
Un roman oublié, où Grimbosq est le nom d’un architecte français qui, en 1721, est invité contre une forte somme d’argent à venir à Saint-Pétersbourg bâtir un palais pour le favori du tsar Pierre 1er. Le roman conte les dernières années du tsar terrible, qui a construit en vingt ans sa capitale sur les marais et a forcé sa cour à adopter des mœurs moins rustres, singeant les cours européennes.
Le pauvre Grimbosq va s’enliser dans ces mœurs à peine sorties de la sauvagerie, où la force impériale s’affirme par le knout et la décapitation, et le pouvoir de cour par la séduction des femmes trop faibles. Arrivé avec un beau salaire, des plans plein la tête, son épouse Adrienne et sa petite fille Louison, 6 ans, l’architecte Grimbosq deviendra très vite cocu avant de se révéler le dindon de la farce. Le palais du chambellan Romachkine est réussi, bien que peu original ; mais il est différent de ceux des architectes italiens en concurrence. Le tsar lui demande alors – ou plutôt il exige – qu’il bâtisse désormais une église sur une île de la Néva.
Grimbosq, et surtout sa femme, voudraient bien rentrer en France, mais comment mécontenter le tsar ? Comment résister à l’appel du génie ? Bâtir une église, même orthodoxe, ce n’est pas rien. Malgré le tyran ivrogne et brutal, pourtant fin politique, qui réunit sa cour lors de fêtes périodiques où les déguisements ridicules et les stations debout interminables servent à discipliner et à soumettre. C’est que Pierre 1er veut faire entrer la Russie dans la modernité. Vaste programme, toujours pas achevé, malgré Staline et Eltsine. Le conservatisme pesant règne dans les croyances, les mœurs et les esprits. Pierre le Grand secoue tout cela et la société résiste. « Deux siècles d’évolution en quelques années. Un cataclysme social. Que de colère sourde, que de saintes indignations avaient dû soulever tous ces changements parmi les tenants de l’ancien ordre des choses ! Comment ne pas admirer le potentat qui, contre vents et marées, conduisait son peuple vers un avenir européen ? » p.33 édition J’ai lu.
Comme Staline, comme Poutine, le tyran sait mieux que vous ce qui est bon pour vous. « Il faut que je m’occupe de tout moi-même, si je veux que l’ensemble tienne debout. Je dois apprendre à mes sujets comment servir et comment s’amuser, comment obéir et comment s’instruire. Car j’ai besoin de gens instruits et qui, pourtant, ne réfléchissent pas trop. La réflexion, c’est mon affaire. La science européenne est utile. Mais elle comporte un principe empoisonné : l’esprit d’indépendance, le goût de la discussion. Cela ne convient pas au peuple russe. Pour que le peuple russe soit grand et et fort, il importe qu’il soit à la fois cultivé et soumis. Des têtes de savant et des échines d’esclaves. Autrement, pas de salut ! L’Europe, après nous avoir tout enseigné, périra, minée de l’Intérieur, par l’excès de liberté » p.159. Ces mots, écrits par Henri Troyat en 1976, décrivent si bien la Russie d’aujourd’hui sous son tyran élu Poutine… Un demi-siècle n’a rien changé.
Adrienne tombera sous les assauts de Romachkine, en aura un fils quelle jure de son mari malgré les cheveux roux du bébé, pareils à ceux du chambellan, passera entre les mains des autres nobles, heureux de se faire une Française, puis deviendra catin, de soldats en marins, jusqu’à périr d’un coup de couteau dans une ruelle sordide du port. Quant à l’église, malgré le socle de pilotis, des fissures apparaissent sur les colonnes ; une tempête hivernale fait monter les eaux et fragilise encore le sous-sol. Pierre le Grand meurt et son épouse Catherine, devenue tsarine, décide d’arrêter les frais.
Grimbosq a tout perdu : sa fille, son épouse, son honneur et son église. Il est renvoyé en France avec le bâtard qui porte son nom.
Henri Troyat, Grimbosq, 1976, Flammarion, occasion €1,90, aussi en J’ai lu 1978, 252 pages, non référencé Amazon
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)
Les œuvres d’Henri Troyat déjà chroniquées sur ce blog

















Commentaires récents