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Olympie antique en 2024

Le site grec antique où ont été créé les fameux Jeux se visite toujours. Il est en ruines mais conservé et étudié. Je l’ai revisité au mois de la chèvre (mêêêê !). Il y fait chaud et le soleil brûle, bronzant les athlètes nus au cuir rendu épais, comme nos garçons, par les entraînements.

Les épreuves n’étaient autorisées que pour les mâles parlant grec, aussi bien pour concourir que pour y assister (ce qui excluait les femmes et les barbares). Des épreuves existaient pour les enfants et les adolescents comme pour les adultes. Les Jeux étaient dédiés aux dieux et étaient donc une cérémonie religieuse – visant à « relier » les hommes aux dieux et célébrer l’amour de la vie, l’être ensemble et les valeurs de la cite : piété, courage et beauté (tout le contraire de nos compétitions où fric et nationalisme se mêlent à l’envi). Et l’on raconte que, parce qu’une femme, fille, sœur et mère de champions olympiques s’était déguisée en homme pour voir concourir son fils, il a été décidé que tous les spectateurs mâles devaient assister nus aux compétitions, comme les athlètes.

Il n’est pas certain que la nudité ait été totale, certains parlent d’une sorte de suspensoir pour les parties, mais le mythe veut que le nu ait été une valeur athénienne et spartiate. Il était nature et transparence, en ligne avec l’égalité démocratique et avec la discipline militaire. Il était aussi orgueil du corps sain, présenté tel quel aux dieux. Lesquels n’y étaient pas insensibles, si l’on en croit le nombre de déesses séduites par des mortels ou de dieux, charmés par jeunes filles et jeunes garçons bien charnels – à commencer par le plus grand, Zeus, qui aima successivement Danaé, Alcmène, Léda, Sémélé, Léto, Europe, Ganymède, Euphorion…

Le temple d’Héra, sœur et épouse de Zeus, est le premier édifice dorique connu du Péloponnèse bâti vers -600. Il comprenait un pronaos, une cella et un opisthodome ; la cella était divisée en trois nefs dans le sens de la longueur par deux colonnades de huit colonnes. Elle abritait les statues de culte de Zeus et d’Héra dont les jeunes filles remplaçaient le péplos tous les quatre ans par un neuf qu’elles avaient brodé. Le temple abritait divers objets symboliques : dans la cella le « disque d’Iphitos » gravé du texte de la trêve sacrée, la table chryséléphantine (d’or et d’ivoire) réalisée par Colotès, un élève de Phidias, sur laquelle on plaçait les couronnes préparées pour les vainqueurs des jeux et l’Hermès de Praxitèle ; dans l’opisthodome, Pausanias décrit le coffre de Cypsélos, chryséléphantin aussi, orné de nombreuses scènes mythologiques. Il semble qu’à l’époque romaine le temple ait plus été une sorte de musée qu’un lieu de culte. C’est ici que, devant le temple, l’autel consacré à la déesse sert encore pour l’allumage de la flamme olympique.

Le temple de Zeus Olympien, de style dorique, est colossal avec ses 64,2 m de long et 24,6 m de large. Il fut érigé entre 470 et 456 avant et a subi plusieurs catastrophes, un incendie volontaire vers 426 après, un tremblement de terre un siècle plus tard, une inondation qui l’a recouvert d’une couche d’alluvions. Le fronton Est représentait la course de chars entre Pélops et Oenomaos, le fronton Ouest la bataille des Lapithes contre les Centaures. Douze métopes situées aux extrémités supérieures des porches intérieurs représentaient les douze travaux d’Héraclès (fils de Zeus et fondateur des Jeux olympiques). Ce grand temple de Zeus, pourtant imposant, n’a pas fait l’objet d’une anastylose (remontage des pierres écroulées), bien que des restes de colonnes et de linteaux gisent encore sur le sol.

Il abritait l’une des sept anciennes merveilles du monde, la statue chryséléphantine de Zeus, abondamment décrite par Pausanias. Cette statue fut sculptée par l’atelier de Phidias vers -440 -430. Elle mesurait 12,75 m de haut ; le corps était fait d’ivoire, les cheveux, la barbe, les sandales, et la draperie, en or. Le trône était d’ébène et d’ivoire. Par vénération pour le sculpteur, l’atelier fut conservé jusqu’au Ve siècle après. Ses dimensions, 32 m × 14,5, sont exactement celle de la cella du temple. Il fut ensuite transformé en basilique chrétienne – ce pourquoi il n’a pas été détruit… On le visite encore aujourd’hui, ce qui est plutôt émouvant.

L’ensemble du sanctuaire (temples et bâtiments, y compris gymnase et stade) était dédié à Zeus, sous l’égide duquel se tenaient des Jeux d’Olympie. Ils avaient lieu tous les quatre ans, à partir de 776 avant, date de la paix entre Lycurgue, roi et législateur de Sparte, et le roi Iphitos d’Élide (région d’Olympie). Au moment de ces Jeux, on estime à plus de 40 000 le nombre de personnes présentes sur le site (athlètes, spectateurs, marchands, artisans, poètes, sculpteurs et architectes). La dernière célébration des Jeux antiques a eu lieu en 393 après, année où l’empereur Théodose 1er, sur l’insistance de l’évêque de Milan Ambroise, ordonne l’abandon des rites et des lieux de culte païens… Les monuments seront détruits à la suite de l’édit de Théodose II en 426 pour que s’installe une petite communauté de chrétiens.

Le stade était, dans l’antiquité, entouré de bois d’oliviers. Il est aujourd’hui vide, et toujours gardé par un cerbère femelle qui siffle dès qu’un touriste fait quelque chose « considéré comme » inconvenant, ainsi courir sur le stade ou s’asseoir sur une pierre à l’entrée ! Nous nous posons sur la pelouse bien au-delà de la piste pour écouter le guide. Ce stade est le quatrième construit à Olympie et remonte au Ve siècle avant. Les athlètes, les juges et les prêtres accédaient au stade par la crypte, un étroit couloir de 32 mètres, aménagée au IIIe siècle avant. À l’entrée Est se dressaient les statues des divinités Tyché et Némésis. Les spectateurs passaient par les talus. Le stade mesure 212,54 mètres de long sur 28,50 mètres de large. La piste spécifiquement (le « dromos »), entre la ligne de départ (« aphésis ») à l’est et celle d’arrivée (« terma ») à l’ouest, symbolisée par une bande de pierre, mesure 600 pieds (le pied d’Olympie est de 32,04 cm ) soit 192,24 mètres de long. Toute la piste est entourée d’une rigole qui reliait de petites cuvettes destinées à recueillir les eaux pluviales qui descendaient des talus.

La palestre montre sa double rangée de colonnes érigées. Elle remonte au IIIe siècle avant et a le même plan carré qu’un gymnase, en plus petit. Les athlètes s’y entraînaient à la lutte et au saut. Autour de l’espace central, les portiques étaient organisés en petites pièces où les athlètes nus se préparaient, s’oignaient d’huile pour la lutte, et s’entretenaient avec leur entraîneur. Les petites pièces des angles est et ouest sont des bains. La palestre est séparée du gymnase par un propylée de style corinthien datant du IIe siècle avant.

Le gymnase remonte à l’époque hellénistique. Les athlètes y pratiquaient les sports nécessitant de la place dont le javelot, le disque et la course. Il est constitué d’un grand espace rectangulaire central à ciel ouvert (120 m sur 200 m) bordé de portiques doriques.

Les Grecs s’exerçaient aux jeux pour révéler leurs talents. Ils devaient, pour être de bons citoyens de leur cité, se montrer de bons soldats, physiquement forts et moralement solides. Le corps et l’esprit sont entraînés en même temps, l’un reflétant l’autre dans l’harmonie antique. Ils se dépassaient lors des compétitions en l’honneur des dieux, comme pour les approcher, sinon les égaler. Les jeux gymniques avaient lieu une fois tous les quatre ans à Olympie, mais quatre autres centres organisaient des jeux panhelléniques en alternance avec Olympie : Delphes, l’Isthme de Corinthe, Némée. Olympie était le plus prestigieux.

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Les trois maux sont des biens pour Nietzsche

Zarathoustra/Nietzsche met des mots sur les maux dans ce chapitre important qui s’intitule « Des trois maux ». Il commence par se situer au-dessus du monde, sur un promontoire face à la mer avec un arbre à ses côtés – les deux faces de la planète, l’eau primordiale d’où tout naît et la terre qui enracine. A cet endroit, à ce moment de l’aube, il « pèse » le monde. « Mon rêve, un hardi navigateur, mi-vaisseau, mi-rafale, silencieux comme le papillon, impatient comme le faucon : quel patience et quel loisir il a eu aujourd’hui peser le monde ! » C’est « une chose humainement bonne », bien loin des fumées d’infini des religions qui droguent les crédules.

« Quelles sont les trois choses qui ont été le plus maudites sur terre ? C’est elles que je veux mettre sur la balance. La volupté, le désir de domination, l’égoïsme : ces trois choses ont été les plus maudites et les plus calomniées jusqu’à présent – et je veux les peser humainement ».

La mesure de la balance sont ces questions vitales : « Sur quel pont le présent va-t-il vers l’avenir ? Quelle force contraint ce qui est haut à s’abaisser vers ce qui est bas ? Et qu’est-ce qui ordonne à la chose la plus haute de grandir encore davantage ? » Ces trois « lourdes questions » sont celles de la vie humaine, tout simplement. Où va-t-on ? Avec quelle énergie en soi ? Avec quels autres ? Poussé par quoi ?

LA VOLUPTÉ « c’est pour tous les pénitents contempteurs du corps l’aiguillon et le pilori, c’est le ‘monde’ maudit chez tous les visionnaires de l’au-delà : car elle nargue et égare tous les trouble-doctrines ». C’est aussi « le feu lent qui consume la canaille » – le sexe pour lui-même. C’est « un poison doucereux » pour « les flétris » – ceux qui en font une drogue à accoutumance. Mais, pour les forts, « ceux qui ont la volonté du lion », « c’est le plus grand cordial », « la plus grande félicité, le symbole du bonheur et de l’espoir suprême. Car à bien des choses l’union est promise, et plus que l’union », plus que la simple copulation de l’homme et de la femme. Ce pourquoi nombre d’hommes politiques sont actifs en la matière. Mais, ni « cochons », ni « exaltés », Nietzsche en appelle aux « lions » pour célébrer la volupté. Elle est l’alliance du ciel et de la terre, la reproduction de la vie en son essence, l’avenir biologique de l’espèce humaine. La volupté peut donc être la pire ou la meilleure des choses selon que vous êtes fort ou faible, que vous la domptez pour la faire servir l’avenir ou que vous vous y abandonnez comme un cochon se vautre.

LE DÉSIR DE DOMINER « c’est le jouet cuisant des cœurs les plus durs, l’épouvantable martyre réservé aux plus cruels, la sombre flamme des bûchers vivants. » C’est aussi « le frein méchant qui est mis aux peuples les plus vains, la honte de toutes les vertus incertaines, à cheval sur toutes les fiertés. » C’est encore « le tremblement de terre qui rompt et disjoint tout ce qui est vermoulu et creux, c’est le briseur irrité et grondant des sépulcres blanchis, c’est le point d’interrogation qui jaillit à côté des réponses prématurées. » C’est ce qui fait que l’humain rampe lorsqu’il est faible, « qui l’asservit et l’abaisse au-dessous du serpent et du cochon ». Le désir de dominer «  c’est le maître effrayant qui enseigne le grand mépris » – avec cette ambivalence de montrer aux hommes combien ils sont lâches et paresseux pour les faire réagir, mais aussi de tenter les purs et les solitaires vers la dictature, « brûlant comme un amour qui trace sur le ciel la pourpre de séduisantes félicités », les incitant à dominer. Une fois encore, ce qui est « bon » pour l’homme peut aussi être mauvais pour ceux qui n’ont pas la force de le supporter (à commencer par les tyrans qui s’y réfugient au lieu d’en faire un outil), car le monde ici-bas (le seul pour Nietzsche) est ainsi fait qu’il est toujours mêlé et que la « pureté » n’y existe jamais.

L’ÉGOÏSME est le troisième soi-disant mal. « Que la hauteur solitaire ne s’isole pas éternellement et ne se contente pas de soi, que la montagne descende vers la vallée et les vents des hauteurs vers les plaines  : Oh ! qui donc baptiserait de son vrai nom un pareil désir ! ‘Vertu qui donne’ – c’est ainsi que Zarathoustra appela jadis cette chose inexprimable. » Il la nomme désormais ‘égoïsme’, « le bon et le sain égoïsme qui jaillit d’une âme puissante ». Or, qu’est-ce qu’une âme puissante ? C’est l’idéal antique de l’humain accompli, celui qui s’égale aux dieux : « L’âme puissante qui possède un corps élevé, un beau corps, victorieux et harmonieux, autour duquel toute chose devienne miroir : le corps souple et séduisant, le danseur dont le symbole et l’expression est l’âme joyeuse d’elle-même. La joie égoïste de tels corps et de telles âmes s’appelle elle-même : ‘vertu’. » Cette vertu pèse le bien et le mal, ou plutôt le bon et le mauvais – car ni bien, ni mal, n’existent en soi mais en fonction de ce qu’ils font à la société humaine.

Nietzsche précise de cette vertu : « Elle bannit loin d’elle tout ce qui est lâche ; elle dit : Mauvais – c’est ce qui est lâche ! Méprisable lui semble l’homme soucieux qui soupire et se plaint sans cesse et qui ramasse même les plus petits avantages. Elle méprise aussi toute sagesse lamentable (…) Une sagesse nocturne qui soupire toujours : tout est vain ! » Donc les petits-bourgeois avaricieux qui « profitent » et adorent se « faire aider » pour tout, éduquer les enfants, finir la fin du mois, se loger moins cher, se divertir à peu de frais… Donc les petits intellos qui se croient « sages » parce qu’ils relativisent tout et restent soigneusement « neutres » en étant « toujours d’accord » avec celui (ou celle!) qui parle avec assez de force, même si ce qu’il dit est hors du bon sens.

Pire encore ! La vertu de l’âme puissante « hait jusqu’au dégoût celui qui ne veut jamais se défendre, qui avale les crachats venimeux et les mauvais regards, le patient trop patient qui supporte tout et se contente de tout  ; car ce sont là coutumes de valets. » Autrement dit d’esclaves ou d’exploités. Si je le traduis pour aujourd’hui, esclaves sont les « démocrates » qui croient que tout admettre est un signe de santé, que « dire » ou « paraître », c’est offenser, que diffuser sa culture et ses traditions ne doit plus être imposé aux allogènes qui occupent le même sol, que tout est désormais à la carte pour les monades des banlieue qui prennent les allocations et les avantages sans souscrire au contrat social. Esclaves sont aussi les pusillanimes qui prônent la « paix » avant tout, alors qu’une bonne paix n’existe que lorsque l’on a préparé la guerre, que l’ont est assez fort pour dissuader l’ennemi. Poutine est un tyran mongol qui ne reculera jamais à vouloir réunifier l’empire du tsar Nicolas, tout comme Hitler jadis voulait réunir à la Grande Allemagne les provinces irrédentistes où l’on parlait allemand. «Mauvais – c’est ainsi qu’il appelle tout ce qui est ployé et servile, les yeux clignotants et soumis, les cœurs contrits et cette manière hypocrite et flétrissante d’embrasser lâchement à pleine bouche. »

Nietzsche/Zarathoustra en appelle au « jour, le tournant, l’épée du jugement, le grand midi ». La sagesse appelle le grand midi de lumière et de vitalité enfin reconnue. La lumière – les Lumières – qui font sortir de l’obscurité du non-dit – de l’obscurantisme des religions ; la vitalité de la volupté du corps, exercé par le sport, harmonieux par la santé, qui engendre des enfants pour le plaisir de les voir vivre et grandir, de les éduquer et de les ‘élever’ vers l’humain plus, le meilleur.

Des trois « maux » des prêtres et des doctrines d’autorité qui veulent imposer leur morale, Nietzsche fait trois « biens » pour l’humaine condition.

Non, il n’est pas « mal » de jouir de son corps avec ceux des autres qui y consentent et en éprouvent de la joie.

Non, il n’est pas « mal » de désirer dominer, à commencer par se dominer soi-même, car cela incite ceux qui ne le peuvent pas ou ne croient pas le pouvoir à se reprendre et à le désirer eux aussi (cela s’appelle l’émulation) – et seuls ceux qui ne sont pas assez forts resteront ‘dominés’ (par leur manque d’entraînement du corps, par leur paresse à apprendre, par leur manque d’exercice de l’esprit) ; leur absence de mérites les laissera en proie aux croyances, aux illusions, et en feront des proies faciles pour les religions).

Non, il n’est pas « mal » d’être égoïste, car cela veut dire avoir développé son ego contre les dominations imposées (les gènes, la famille, le milieu, l’éducation, la société, les mœurs, le politiquement correct, les croyances, l’opinion…). De cette façon, le « libéré » partiel peut aider les autres, descendre des hauteurs pour désenchaîner des exploitations, sortir des illusions complaisantes, affirmer sa culture face à ceux qui voudraient la saper au nom d’une croyance venue d’ailleurs. La santé s’appelle vertu, et elle est baptisée faussement du nom d’égoïsme – il faut remettre les choses dans l’ordre. Cet égoïsme qui vient de l’ego sain est « bon » : il affirme, il règne, il attire. Il est un bon exemple à suivre.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Vient de paraître en Pléiade

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

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Michel Onfray, La sagesse tragique

Article repris par Medium4You.

Voici un petit livre sur Friedrich Nietzsche, écrit dans l’enthousiasme de la jeunesse à 28 ans et préfacé vingt ans plus tard par un philosophe devenu passeur des œuvres. C’est une excellente introduction à Nietzsche, courte et percutante, se mettant dans le courant de la branchitude pour mieux recadrer les préjugés. Il faut lire Nietzsche, dit le médiatique libertaire ! Car il vous libère personnellement de tous les esclavages, à commencer par celui de l’opinion, de la mode, de la morale, de la politique, des déterminants économiques, des religions.

« Je sais que Nietzsche n’est pas de gauche, ni hédoniste, libertaire, ou féministe » p.12. On pourrait ajouter chrétien ou socialiste dans la liste de ce qu’il est de bon ton « d’être » en apparence dans les années 2000. Tout ce que le philosophe n’est pas suscite automatiquement la haine pavlovienne des fusionnels, des branchés, de tous ceux qui n’ont qu’une ambition : être comme les autres, d’accord avec le dernier qui parle, surtout pas « différent », oh là là ! Il y a donc mauvaise foi, méchanceté, manipulation des textes, jeu de pouvoir intello dans ce qui paraît sur Nietzsche depuis des décennies. Michel Onfray, c’est son grand mérite, rectifie au bulldozer ces tortillages de cul pour donner la cohérence de la vie et des idées du philosophe au marteau, prophète de Zarathoustra l’apollinien dionysiaque.

Nietzsche c’est l’énergie au cœur de toutes choses. Ce qu’il appelle la volonté de puissance n’a rien de la tyrannie SS ni de l’emprise stalinienne sur les masses mais constate l’énergie vitale en chaque être, de la cellule végétale à nos corps de primates intelligents. Cette énergie est un fait, elle sourd de la vie même puisque vivre est lutter contre l’inertie de la matière.

Aux hommes d’exception de faire servir cette énergie au mieux de leurs capacités humaines. Ils sont appelés « sur »-hommes parce qu’ils se détachent de la masse indistincte vouée à seulement survivre et se reproduire. L’indistinction est ce « dernier homme » qui rumine bovinement en regardant passer les trains de l’histoire, masse grégaire à la Ortega y Gasset qui se laisse modeler comme une vulgaire pâte à partis collectivistes, fascistes ou communistes, humains « esclaves » de la mode, de l’apparence, de l’opinion.

Qu’est-ce qui empêche les Alexandre et les Diogène aujourd’hui, les Léonard de Vinci et les Einstein ? La mauvaise conscience morale prescrite par les « esclaves » qui ne trouvent bien que ce qui rabaisse tout le monde à leur niveau, et imposée en système par les religions du renoncement : christianisme, bouddhisme, socialisme. Ce dernier – une hérésie laïque du christianisme – est marxiste bismarkien, le seul que Nietzsche connût. Le Surmoi rigide des religions et des idéologies au nom d’un au-delà, d’un ailleurs ou d’un éternel lendemain (qui chante et qui rase gratis…), secrète une moraline permanente qui refoule les instincts vitaux comme le montrera Freud. La répression sociale des désirs engendre névrose de civilisation et ressentiment politique, envie de tout casser et d’éradiquer le vieil homme au nom d’une utopie radicale d’égalité abstraite.

A chacun, dit Nietzsche, de se révolter contre ces contraintes et structures qui aliènent : travail, famille, patrie. La morale comme la domination économique, l’asservissement politique comme la crainte religieuse sont des carcans qui rendent esclaves. Chaque  individu doit être maître de ses propres valeurs, ce qui signifie avant tout maître de lui. Nietzsche n’est pas un nihiliste pour qui tout vaut tout, ni un anarchiste pour qui tout est permis, ni même un libertaire vautré dans l’accomplissement ici et maintenant de tous ses désirs. C’est un peu la limite de Michel Onfray que de le tirer vers ses propres fantasmes. Nietzsche aime le bouillonnement des passions et désirs (son côté Dionysos) mais il aime y mettre son ordre par une rigueur qui hiérarchise (son côté Apollon). Non, tout ne vaut pas tout ! Des valeurs sont préférables à d’autres – mais ce n’est pas à une instance extérieure à chacun de l’imposer comme un commandement. Chacun se commande lui-même : telle est sa liberté.

Nietzsche est grec antique pour qui la minorité exemplaire des être humains d’exception doit entraîner les autres à incarner l’homme au mieux de son potentiel : un esprit sain dans un corps sain, avec de saines affections. Nietzsche a pour maître les moralistes français, de Montaigne à Chamfort, qui jugent du bon et du mauvais pour eux, et non pas du bien et du mal en soi. Ce que l’on accomplit ici et maintenant, il faut le vouloir comme s’il devait revenir éternellement. C’est ainsi que l’éternel retour du même peut être désiré comme matrice des actes. Telle est la seule façon d’agir selon sa conscience. Il ne s’agit pas de morale venue d’ailleurs, ni de contrainte sociale politiquement correcte, mais d’éthique personnelle : être fier de soi dans ce que l’on fait. Être responsable de ses actes et les assumer à la face du monde.

Il n’y a donc pas d’élitisme social chez Nietzsche, non plus que de contrainte de « brutes blondes », comme quelques citations sorties de leur contexte pourraient le laisser croire. Michel Onfray insiste bien sur ce point et le démontre. « Le Maître donne, non par pitié ou compassion, mais par excès de force, débordement de vie. Ses objectifs ? Maîtrise de soi, rigueur et vigueur, noblesse et grandeur. Non pas commander, mais se gouverner » p.140. Et d’ajouter, perfide pour la mode médiatique qui se pose afin d’anticiper les places à venir (si les socialistes compassionnels du ‘care’ gagnent l’élection présidentielle) : « Jaurès ne s’y était pas trompé, lui qui voyait dans le surhumain une potentialité à laquelle il suffirait de consentir » p.144. Nietzsche déclare que le socialisme est une supercherie qui conforte le système d’esclavage industriel et la tyrannie de la majorité médiocre en reportant toujours à demain la liberté personnelle au nom de la Morale.

Le travail aliène lorsqu’il est imposé et n’offre aucune satisfaction à l’être humain. A l’inverse, le loisir (l’otium des anciens), permet la création personnelle au quotidien. « Qui n’a pas les deux-tiers de sa journée pour lui-même est esclave », déclare Nietzsche dans ‘Humain trop humain’, §283. Humour de Nietzsche, qui n’est pas relevé par Onfray : 2/3 d’une journée de 24h font 16h… ce qui laisse 8h de travail pour la société et pour gagner sa croûte. On peut bien sûr ne considérer que les heures éveillées et calculer les 2/3 de 16h, ce qui laisse 10h de loisirs et donc… 35h de travail par semaine. Mais les individus sont-ils moins aliénés quand ils ont du temps libre ? La pression sociale des potes, des cousins, de la famille, du quartier, de la télé et des médias, de fesse-book et autres chaînes mobiles, des associations, du parti, de l’État, de la religion, permet-elle d’être enfin soi ? Bien sûr que non. Ni le temps de loisir ni la technique ne libèrent… si chacun ne se prend pas lui-même en main pour épanouir ses potentialités.

Pour cela, rire, danser et jouir de ses sens, prescrit Nietzsche. Il faut penser léger, se moquer de ceux qui font la tronche, des politiciens pour qui tout est « grave » et des religions prêchant l’enfer à qui n’obéit pas aux Commandements. Il faut une vie bonne à la Montaigne, parce qu’elle est la seule que nous ayons, sans illusions sur l’au-delà. Exubérance et maîtrise, élan mais art : croit-on que la danse n’est pas une discipline ? Marcher, randonner pour penser mieux, en mouvement, loin de ce « cul de plomb » qui caractérise « la pensée allemande » (et tant de philosophes-bureaucrates français). Écrire souvent mais ciseler ses aphorismes par le travail comme on forge une épée avant de la plonger dans l’eau froide.

« Soyons les poètes de notre vie », dit Nietzsche à ceux qui ne l’ont pas compris, « et tout d’abord dans le menu détail et le plus banal » (Gai savoir §289). Lisez Nietzsche ! Il est un maître de vie. Lisez-le avec le guide Onfray, qui est un bon pédagogue.

Michel Onfray, La sagesse tragique – du bon usage de Nietzsche, 1988, Livre de poche 2006, 188 pages, €5.70

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