Articles tagués : antisémite

Pascal Bruckner, Un bon fils

pascal-bruckner-un-bon-fils

Choisit-on sa famille ? Non – pire encore lorsque l’on est unique enfant. Pascal porte un prénom juif alors que son père est hystériquement antisémite. Pourquoi ? Bruckner serait-il un nom juif ? Pourtant, Anton Bruckner, musicien et compositeur autrichien n’est en rien juif. Sur le tard, le fils découvrira le père circoncis, mais peut-être pour raisons médicales… Le mystère reste entier. Cette haine hystérique du Juif par le père a cependant façonné l’enfance et l’existence du fils, qui n’a été « bon » que parce qu’il n’a jamais rompu totalement avec le père.

Le macho engueule sa femme, se mettant dans des colères orchestrées qui montent et le transforment en bête. Les années 40 et 50 avaient poussé au sommet l’autoritarisme mâle issu de la guerre et, plus avant, du traumatisme de la guerre de 14. Ingénieur des mines mais resté très petit bourgeois, intelligent mais haineux, le père René est fort avec les faibles et faible avec les forts. Ce que le gamin ressent, la terreur de l’ogre, l’adolescent comprend, la lâcheté du gueulard.

Heureusement, mai 68 vint… Né en 1948, Pascal Bruckner a donc vingt ans en 1968. S’il a été « déluré à huit ans », surpris la tête enfouie entre les cuisses de sa cousine, il n’a été dépucelé qu’à « dix-huit ans », par une fille de seize en camp de vacances non mixte. Entre temps, élevé chez les Jésuites, il a branlé ses camarades et réciproquement, consentant aussi aux offrandes de bouche des plus grands – dit-il – « l’hostie spermatique ». Mais que les professionnels du choqué ne fassent pas de crise cardiaque : « Des millions d’adolescents, aujourd’hui encore, entrent dans la carrière amoureuse par ce biais et l’effacent ensuite de leur mémoire. A cet âge, il convient de se dévergonder à outrance et par tous les moyens : la pulsion l’emporte sur l’objet, la libido est un fleuve en crue » p.99. De quoi rassurer les parents, s’ils ne comprennent pas leurs garçons parce qu’eux-mêmes sont névrosés à cause du sexe. Ce n’est pas parce que l’on a des comportements homoérotiques entre 10 et 16 ans que l’on devient pédé à jamais. Pascal Bruckner a eu deux enfants, un garçon tôt vers 20 ans, et une fille plus tard vers 45 ans. Il aime les femmes et célèbre la beauté dans toutes ses œuvres. C’était « avant », dans la société catholique patriarcale non mixte, que le sexe était considéré comme sale et, « avant » la pilule ou l’avortement que l’acte sexuel conduisait à la déchéance de la grossesse non désirée, de la fille-mère et de la bâtardise… Non, il faut le réaffirmer contre les mythes, ce n’était pas « mieux avant » !

Bruckner est de cette génération passée du XIXe au XXIe siècle en quelques dizaines d’années, sans intermédiaire. « Dans l’espace d’une seule vie, nous aurons connu les derniers soubresauts de l’ordre patriarcal, la libération des mœurs et des femmes, la chute du communisme, l’effondrement du tiers-mondisme et maintenant celui de l’Europe, mourant de son triomphe, de sa mauvaise conscience » p.97. Enfant il a connu les punitions corporelles de la gifle et du martinet ; jeune adulte, l’interdit d’interdire et le sexe à toutes les sauces. D’un extrême l’autre… Il en garde un scepticisme envers tous les dogmes, ni l’avenir radieux ni le c’était mieux avant ne l’ont convaincu – pour les avoir subis. Ce pourquoi il n’en veut pas à son père d’avoir été ce qu’il fut, seulement de ne pas avoir fait l’effort de reconnaître ses erreurs.

Car la colère peut être saine – si elle remet en cause les inerties ; l’indignation morale est utile – si elle débouche sur des initiatives concrètes ; la critique déconstructive est nécessaire – si elle permet de reconstruire sans être dupe. « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort », soulignait Nietzsche.

Son amitié, un temps quasi fusionnelle, avec Alain Finkielkraut, lui a permis d’avancer. L’un a réussi Normale sup, pas l’autre ; l’un a enseigné par devoir, l’autre par hasard ; mais tous deux ont écrit des livres, certains à deux. Qui ont plu par leur ton. Comment ne pas être provocateur et un brin cynique lorsqu’on a été élevé par un bon Aryen aussi bon à rien ? Germanophone enfant, par force, Pascal est devenu anglophone par choix ; s’il a subi la « grande » musique petit, il a choisi Aretha Franklin et le « gospel, blues, jazz, soul, funk » (p.98) plus tard. S’il a cru en Dieu au point de lui demander de tuer son père à dix ans, il est devenu agnostique, mais de culture chrétienne, se réveillant chaque matin avec du Bach pour célébrer l’avenir. « Rien de plus doux qu’une grande religion à son crépuscule quand elle a renoncé à la violence, au prosélytisme, et n’exhale que son message spirituel » p.97.

S’il n’a jamais été communiste, trotskiste ou maoïste, il « a vagabondé quelques années d’une secte gauchisante à une autre » et même au PSU où « Michel Rocard nous enseigna[it] les rudiments de la guérilla urbaine sur une plage de Corse. J’en ris encore de bon cœur ». Au fond, « le gauchisme fut cette ruse de l’histoire qui permit de liquider le communisme dans l’intelligentsia » p.109. Il était « plus Charles Fourier que Lénine »… Il reste dans le camp du progressisme « malgré l’épaisse bêtise et la bonne conscience qui y règnent ». Ses « grands éveilleurs » furent Sartre, malheureusement vite tombé dans le gâtisme par avidité à se faire aimer, Jankélévitch avec qui il fit sa maîtrise de philo, et Barthes avec qui il soutint sa thèse sur l’émancipation sexuelle chez Fourier.

pascal-bruckner-photo

Pascal Bruckner a su construire une œuvre : ses deux enfants Éric et Anna, dédicaces de ce livre autobiographique écrit à 66 ans, ses multiples romans et essais récapitulés en fin d’ouvrage : sur le sanglot de l’homme blanc, la mélancolie démocratique, l’amour du prochain, l’euphorie perpétuelle, le fanatisme de l’Apocalypse, la misère de la prospérité, le paradoxe amoureux, la tentation de l’innocence, la tyrannie de la pénitence, les voleurs de beauté… Tous ces poncifs de la génération bobo, gaucho, écolo dont il est, dont il sait se sortir pour voir plus loin.

Ce livre court, écrit magnifiquement, avec ce ton reposé d’après la mort du père, dit en trois parties ce que fut cette vie : le détestable et le merveilleux de l’enfance, l’échappée belle parisienne de la jeunesse, le pour solde de tout compte adulte. On ne dira jamais assez la vertu de l’éducation classique, celle d’avant-68, sur le style et sur la pensée. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Pas de fioritures ni de préciosités mais la langue française dans sa clarté et les idées dans ses Lumières. Le récit se lit avec bonheur, le lecteur est captivé et ne ressort pas indemne de ces confessions d’un enfant du siècle.

Pascal Bruckner, Un bon fils, 2014, Livre de poche 2015, 207 pages, €6.60

e-book format Kindle, €6.99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Daniel Cordier, Alias Caracalla

Article repris par le blog du Cercle Jean Moulin

Roger Vailland dans Drôle de jeu a donné le pseudonyme de Caracalla au jeune Daniel Bouyjou-Cordier, faisant de lui un personnage littéraire. C’est ce pseudo, qu’il n’a jamais porté dans la Résistance où il était parfois Alain, parfois Talleyrand, Toussaint ou Michel, que l’auteur adopte de nos jours pour publier ses souvenirs reconstitués. Car la mémoire, même photographique et passionnée comme on peut l’avoir à vingt ans, est parfois trompeuse. Cordier le sait, qui s’appuie autant que les archives lui permettent, sur des documents authentiques. Dont son Journal tenu en Angleterre et laissé à Londres – ce pourquoi l’activité dans la Résistance ne commence que page 385.

daniel cordier alias caracalla folio

Mais ne vous rebutez surtout pas du pavé de 13 x 11 x 5 cm que vous tenez entre vos mains. L’épaisseur du livre vous donnera des heures de lecture passionnée, car son auteur écrit direct, tout entier dans l’action, ne livrant avec pudeur que de rares naïvetés qui le rendent touchant. L’adolescence trop chaste rend fervent, l’exigence d’identité a besoin d’admirer des modèles.

Daniel Cordier avait 19 ans lors de l’armistice. La voix chevrotante du défaitiste auréolé pourtant de la gloire de Verdun le glace d’un coup. Lui qui était maurassien naturellement – fondateur à Bordeaux du Cercle Charles Maurras à 17 ans, élevé dans une famille bourgeoise de province aux convictions traditionnelles, catholique, antisémite, conservatrice – voit s’écrouler brutalement son univers. Cela s’appelle grandir. Il quitte tout, famille, ami(e)s, nid de province, pour s’embarquer le 21 juin 1940 vers l’inconnu : l’Afrique du nord où il veut continuer le combat. Mais le cargo belge rallie l’Angleterre, plus proche. Qu’à cela ne tienne, Daniel Cordier sera auprès des Français libres. Il y en avait bien peu en juin 40… « Sur les 19 000 militaires réfugiés en Angleterre, il n’y eut que 900 ‘légionnaires’, dont 37 chasseurs alpins et 7 officiers, les autres ayant choisi de rentrer en France » note p.145.

Il faut dire que l’époque était au chaos, personne ne savait vraiment quoi faire et il fallait la hauteur de l’intellectuel, la judéité, ou la passion réactive de la jeunesse pour choisir d’un coup son camp. Raymond Aron, qu’il rencontre en Angleterre, « expose l’incapacité des militaires à préparer la guerre de mouvement faute d’imagination dans le choix des armes et des stratégies, la démission des milieux politiques qui ne représentaient plus rien au moment où il fallut décider de la survie de la nation. Enfin, on ne devait pas négliger le défaitisme des milieux bourgeois et capitalistes, qui craignaient par-dessus tout le danger communiste » p.164. Daniel Cordier ne fait ni une ni deux, le patriotisme est chez lui viscéral, il n’accepte pas que son grand-père se soit battu pour rien en 14. Même si son idole Maurras se rallie au Maréchal, lui préfère écouter le Général – qui deviendra son idole à son tour. Mais c’est le mérite de ce livre de replacer les choix politiques dans leur histoire, chacun aveuglé par le choc de simplification que fut la défaite, puis l’Occupation et les nécessités quotidiennes de survie de sa famille. Rares sont toujours les héros, rares furent les vrais résistants.

Entraîné durant deux ans en Angleterre au maniement des armes, au sabotage, aux liaisons radio, Cordier n’est parachuté en France que fin juillet 1942 près de Montluçon. Il sera coopté immédiatement par Rex, dont il n’apprendra qu’après sa mort, à la fin 1944, qu’il était le préfet Jean Moulin ; il le croyait peintre ou ministre. Jeune, aimant peu l’école (une pension catholique où les adolescents restent en couveuse et entretiennent des amitiés ‘particulières’), naïf et peu cultivé, Cordier est, comme lui dit l’un de ses amis, « un émotif, un romantique (…) [sa] vie est réglée selon [son] imagination fantasque, [ses] coups de foudre, [ses] enthousiasmes, et non (…) par une sagesse tempérée de la raison » p.323. C’est son patron, Rex, qui l’initiera à la politique – où tous les coups sont permis – et à l’art moderne – dont il fera après la guerre son métier comme peintre et galeriste (il donnera sa collection en 1989 au musée Georges Pompidou).

Une fois dans le bain, le jeune homme s’aperçoit vite que l’Armée secrète est du vent, que les résistants sont plus passifs qu’actifs, que « les chefs » font tout pour se faire mousser, entretenant la division, que l’action principale de la résistance est de paperasser, de communiquer, de rendre compte, « un bazar insensé » dit-il p.703. Ce n’est qu’en 1943, après les Alliés débarqués en Afrique du nord, les nazis battus à Stalingrad, la zone sud occupée, la flotte sabordée à Toulon et le STO établi, qu’une part croissante des Français se sent une âme de rebelle et gonfle les maquis. Mais si les patriotes deviennent légion, les activistes réels sont en nombre infime ; ils resteront souvent inconnus, l’histoire les oubliera au profit des grandes gueules à l’ego plus gros que les capacités. Cordier règle ses comptes avec Frenay, Brossolette et d’Astier de la Vigerie, tous plus « chefs » les uns que les autres, regimbant à l’autorité de Londres et encore plus à celle de Rex, représentant du Général.

Solitaire par sécurité, courant d’un endroit à l’autre de Lyon puis de Paris pour poster des messages, relever des boites aux lettres ou fixer des rendez-vous, Daniel Cordier est le secrétaire efficace de Jean Moulin durant un an, du 26 juillet 1942 à son arrestation, le 22 juin 1943. Il rencontre à peu près tous ceux qui comptent dans les mouvements, les syndicats et les partis, il observe, il assimile les leçons de politique de son patron. « L’emprise de son autorité (…) consiste en un mélange de curiosité, de gentillesse et de respect des convictions de ses interlocuteurs, prouvant qu’ils sont compris. Je crois que ce mélange de simplicité et de compassion font tout son charme » p.585. Il évolue aussi politiquement, passant du nationalisme intégral des Camelots du Roy à l’humanisme socialiste du Club Jean Moulin.

Rappelé à Londres, il s’évade par l’Espagne où il est interné un temps par les sbires de son ancienne idole Franco. De retour en Angleterre fin mai 1944 il devient chef de la section des parachutages d’agents du BCRA puis, en octobre 1944, archiviste avec Vitia Hessel des archives du BCRA. Chef de cabinet du colonel Passy (André Dewavrin), il démissionne après le départ du général de Gaulle en janvier 1946 avant d’oublier volontairement toute cette période. Grand Officier de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, Croix de Guerre 39/45, ce n’est que l’obstination de Henri Frenay à (selon lui) tordre l’histoire qui le fait revenir sur ses propres souvenirs en 1977. Il entreprend une carrière d’historien de la mémoire avec une biographie monumentale de Jean Moulin et des réflexions sur l’histoire.

Daniel Cordier, Alias Caracalla, 2009, Folio 2011, 1145 pages, €10.07

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jules Verne dans la Pléiade

Vous avez quinze jours pour le faire, en librairie ou par Internet.

Du 15 au 31 mai la collection de la Pléiade, chez Gallimard, propose gratuitement un album relié cuir aux acheteurs de trois volumes de la collection. Justement, le duo des Œuvres romanesques de Virginia Woolf vient de paraître, de même qu’un recueil de Romans, récits et nouvelles de Pierre Drieu la Rochelle. Quoi qu’on pense de ces deux personnes, leur œuvre littéraire reste. D’autant que le catalogue comprend de nombreux autres auteurs tels Milan Kundera ou les Nouvelles d’Henry James.

L’album Jules Verne présage la parution en deux volumes fin mai de romans du populaire auteur, dont on s’étonnait de l’absence malgré Alexandre Dumas déjà dans la collection. Il est vrai que la servilité commerciale envers ce qui est dans le vent l’emporte sur tout le reste. Duras a été plébiscitée car « de gôch, féministe et cinéphile », au détriment du grand Kessel, qui aurait bien mérité mais qui ne figure TOUJOURS PAS dans la Pléiade. Telle est la mode, n’est-ce pas ? Le talent compte peu au regard du socialement adulé politiquement correct. A ce compte, Flaubert aurait été ignoré en faveur de son ami tellement plus apprécié des salons (pourtant aujourd’hui largement tombé dans l’oubli) Maxime du Camp !

Vous me direz que Jules Verne a été « antisémite », volontiers dreyfusard contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite. La belle affaire ! Nous étions au XIXème siècle, pas au XXème. Il ne s’agissait pas de camps d’extermination mais de mépris catholique-aristocrate envers le matériel, le numéraire, les affaires. Plus le mépris nationaliste de la gauche radicale à l’époque, les Juifs étant volontiers « allemands » d’origine. D’autant que Jules Verne a toujours abhorré l’esclavage (voir L’île mystérieuse). Quiconque confond les époques est nul et devrait se recycler (il existe une collection complète « pour les nuls » dans tous domaines, même François Hollande s’est fait surprendre à lire L’histoire de France pour les nuls…). Est-ce qu’on osera dire que la répulsion socialiste et gauchiste d’aujourd’hui « contre les puissances de la banque et de l’argent cosmopolite » présage DEJÀ des lendemains de camps pour la race des riches, exilés suisses, juifs américains ou patrons français ?

Jules Verne, qui a enchanté maintes enfances, va donc paraître en collection de prestige. Cet album raconte sa vie, richement illustrée. Né à Nantes (ville socialiste fondée sur le trafic d’esclaves) d’un père juriste du Beaujolais et d’une mère aristocrate apparentée aux Écossais, le petit Jules se voit bientôt flanqué d’un frère Paul, de seize mois plus jeune, qu’il aimera plus que tout. La ville catholique bourgeoise l’ennuie fort en ses enfances et adolescences (« des sots bâtissant sur le sable, en affaires peu scrupuleux », écrira-t-il des Nantais) mais l’air du large et l’agitation industrielle comblent son goût pour l’aventure (« le mouvement maritime d’une grande ville de commerce, point de départ et d’arrivée de nombreux voyages au long cours »). Il tombe amoureux de sa cousine et se fait éconduire ; il s’exile à Paris pour y faire son droit jusqu’à la licence. Mais c’est le théâtre et la littérature qu’il préfère. Il écrit des pièces qui font un four, mais des nouvelles qui sont appréciées des revues. Il deviendra écrivain.

Tout d’abord pour enfant lorsqu’il rencontre Hetzel, génial éditeur spécialisé dans la jeunesse. Mais très vite ses romans vont conquérir un plus vaste public. Jules Verne a la plume directe et le sens dramatique, il fait aimer la science appliquée, l’exploration géographique et le positivisme républicain. Ses héros ont quinze ans ou trente, capitaines courageux ou misanthropes réfléchis. Ils sont lui fantasmé, petit blond fluet captivé d’aventures et hyperactif à 8 ans. Ils sont Michel, son fils difficile, érotomane dès la puberté, qu’il a fallu mettre en collège fermé, puis engager comme matelot pour deux ans. Ils sont coureurs de mers, comme lui en mieux sur les Saint-Michel I, II et III. Jules Verne habitera vite Amiens, ville à l’époque culturelle, à la fois proche de Paris et proche de la mer, où il ancre son bateau au Crotoy.

Ses héros osent. Ils sont l’humanité entière en quelques caractères ; ils reconstituent toute l’expérience humaine depuis les origines dans ces îles désertes ou industrielles dans lesquelles le hasard ou la nécessité les jette. Vingt mille lieues sous les mers est un palace sous-marin, Robur le conquérant un palace volant, La maison à vapeur un palace automobile, Cinq semaines en ballon un havre aérien, La jangada un radeau microcosme, L’école des robinsons une île véritable, comme L’île mystérieuse et Deux ans de vacances… Ou bien les héros sont seuls face à une nature (et à des indigènes) hostiles. Michel Strogoff dans les immensités de la Russie, Le tour du monde en 80 jours malgré les aléas, Kéraban le têtu véritable tête de Turc, Voyage au centre de la terre

Mon goût pour explorer le monde est venu de Jules Verne. Ma foi envers l’ingéniosité humaine aussi. Comme mon optimisme républicain des Lumières. Voyage au centre de la terre, Deux ans de vacances et L’île mystérieuse le prouvent à l’envi, qui sont mes préférés. Vient enfin l’hommage mérité de la prestigieuse collection à un véritable écrivain.

Jules Verne, Album Jules Verne établi par François Angelier, volume relié pleine peau sous coffret illustré, format : 105 x 170, 320 pages, 318 illustrations, collection « Album de la Pléiade » n° 51, offert par les libraires pour tout achat de 3 volumes de la Pléiade, du 15 mai au 31 mai 2012.

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Les Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers / L’Île mystérieuse, Le Sphinx des glaces, 2 volumes Pléiade sous coffret illustré, 1488 et 1264 pages, 505 illustrations de la collection Hetzel, parution fin mai, Gallimard.

Tous les romans de Jules Verne chroniqués sur ce blog

Catégories : Jules Verne, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre

Article cité dans le blog Exigence : littérature.

A 64 ans, Céline a trouvé son style. Tout aussi populaire que dans ‘Voyage au bout de la nuit’, aussi éructant que dans ‘Mort à crédit’ – mais construit, élaboré, trituré. Ce ne sont que phrases inachevées, points de suspensions, ruptures de logique. Exprès. Les manuscrits et moutures successives montrent que Céline a volontairement déconstruit la phrase initiale pour faire comme les peintres de son siècle : éliminer le sujet au profit de l’expression.

D’un château l’autre conte l’épopée de Céline médecin des pauvres, de sa femme Lili la danseuse et de l’énorme chat Bébert (une bête initialement à l’acteur Robert Le Vigan). Cela dans le Siegmaringen de la fin 1944. L’Allemagne nazie y a regroupé Pétain, Laval et les principaux chantres de la collaboration en France, dans l’espoir d’en faire une pépinière d’un éventuel renouveau après la victoire. Il y a là près de deux mille personnes, que Céline réduit à 1142 par une fausse précision qui fait vrai. C’est qu’il n’est pas historien mais écrivain, son livre n’est pas un récit mais une légende.

Il est comme ça, Céline, il utilise la mémoire de ce qui lui est arrivé ou ce à quoi il a plus ou moins participé, pour élaborer du racontable, une alchimie à la Proust qui lui fait reconstruire les faits pour la légende. Son leitmotiv : « il s’est passé des choses… je vais vous raconter… » Les trois points (ironie maçonnique ?) remplacent la virgule (trop tordue, orientale, « juive » ?). Le mouvement du conte agite l’imagination pour la faire enfler par la langue. Céline embellit, transpose, gouaille. Il n’a pas fait la moitié de ce qu’il dit, mais il a fait beaucoup de choses qu’il ne dit pas. Ce qui compte est « l’atmosphère » : l’établir, la rendre, la faire vraie. Ce pourquoi il digresse, il s’introduit dans l’histoire avec ses râleries, ses réflexions, ses états d’âme. Il décrit, portraiture et invente. « J’ai toujours trouvé indécent rien que le mot : écrire !… prétentiard, narcisse, ‘m’as-tu-lu’… c’est donc bien la raison de la gêne… » p.92.

Il n’est jamais aussi à l’aise que dans la vie romancée ou le roman vrai. ‘D’un château l’autre’, resserré à 297 pages Pléiade, est une réussite. Le lecteur est transposé dans la pâtisserie baroque des Hohenzollern, introduit dans le chaos de la défaite allemande, parmi les haines recuites des collabos en déroute parqués là. Céline et sa petite famille ne sont restés que de novembre 1944 à mars 1945 ; il a obtenu par la suite un visa pour le Danemark, faute d’avoir pu passer en Suisse. Mais de ces quatre mois, il en fait dix, étant partout, contant tout, multipliant les rencontres et les personnages. Même qu’il a été nommé par Laval Gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon. Il a peu vu Pétain, qu’il n’aimait pas et qui, vieillard maniaque, se tenait sur sa réserve. Mais il a vu Laval, Brinon, Marion, Bonnard, Bichelonne. Il n’ira pas rendre les honneurs à ce dernier, mort durant une opération dans le nord de l’Allemagne, malgré ce qu’il raconte. Mais il reconstitue l’épopée par les journaux et les témoins.

Il ajoute sa touche Céline, ces mômes réfugiés de Königsberg, « de vrais mômes sauvages », qu’il fait piller les cartons de vivres de la Croix-Rouge puis dépouiller les ministres français de leurs pardessus et vestons pour en couvrir leurs chemises en loques. Céline a une tendresse rude pour les mômes, depuis le Bébert du ‘Voyage’, crevé de typhoïde sans qu’il ait rien pu faire et dont il a donné le nom au matou « gros comme un petit agneau » selon un témoin. Ce Bébert, c’est son gamin, griffu, pas commode et nature, redoutable chasseur de rat mais doué de sensibilité envers les gens et de véritable affection. Les mômes de Königsberg, ce sont les jeunes prénazis, élevés à la dure mais vigoureux, débrouillards et beaux. Bien plus admirables que les crevards parisiens du passage Choiseul, « élevés au gaz », et qu’on allait faire « respirer » à grands coups de torgnoles sur le bateau-mouche ‘Pont-Royal-Suresnes’. Comme le fut Céline. « C’était l’éducation d’alors !… beignes, coups de pied au cul… maintenant c’est énorme évolué… l’enfant est ‘complexe et mimi’… » p.59. Pour l’anarchiste Louis-Ferdinand, mieux valent les garçons sauvages que les intellos endives, ces mômes libres dont William Burroughs, Américain de la ‘beat generation’ fera un livre post-68.

Ces enfants naturels ne sont pas comme les bonnes femmes, ces mégères civilisées qui font l’opinion publique : « Vos dames sont débiles mentales, idiotes à bramer ?… d’autant mieux ! plus elles seront bornées, butées, très rédhibitoirement connes, plus souveraines elles sont !… » p.4. Ni comme ces écrivains qui se croient : « ces gens de lettres sont terribles ! si affligés de moimoiisme !… » p.17. D’ailleurs la société les encourage, ces « plus vaselinés de la Planète ». « Vous avez qu’avoir vu Mauriac, en habit, s’incliner, charnière, tout prêt, ravi, consentant, sur sa petite plate-forme… il se gênait en rien !… jusqu’à la glotte !… ‘oh qu’il est beau, gros, votre Nobel !’ » p.34. Mauriac est assaisonné en quatre mots redoutables : « pissotières mutines et confessionnaux ! », Sartre en deux efficaces : « Trissotin Tartre » p.49, et Elsa Triolet la coco en un diminutif mimi : Triolette. Pour Céline, « c’est le ‘Voyage’ qui m’a fait tout le tort… mes pires haineux acharnés sont venus du ‘Voyage’… (…) encore je me serais appelé Vlazine… Vlazine Progrogrof… je serais né à Tarnopol-sur-Don, j’aurais le Nobel depuis belle ! mais moi d’ici, pas même séphardim !… on ne sait où me foutre !… m’effacer mieux !… honte de honte… » p.51.

C’est ça la Vrounze, celle à Gaugaule. Céline adore torturer les mots pour dire en un seul le sens de plusieurs. Gogol qui a la gaule, de Gaulle chef de Gaule, la Vrounze aux Vrounzais ! Malheur aux fâchistes, mélange de fâcherie et de fascisme. Mais « Je voudrais bien voir un peu Louis XIV avec un ‘assuré social’ !… il verrait si l’État c’est lui !… » p.56. L’Hitler, il aime pas, Céline : « l’Hitler, semi-tout, mage du Brandebourg, bâtard de César, hémi-peintre, hémi-brichanteau, crédule con marle, semi-pédé, et gaffeur comme !… » p.175. Le racisme ? Quelle blague : on encense Saint Louis et pas Louis-Ferdinand, alors que le saint a fait pire qu’un ou deux pamphlets : « Saint Louis, la vache !… pour lui qu’on expie ! je dis !… lui le brutal ! le tortureur !… lui qu’a été béatifié, tenez-vous ! qu’il a fait baptiser, forcés, un bon million d’Israéliens !… dans notre cher midi de notre chère France ! pire qu’Adolf, le mec !… » p.107. Car il faut se faire une raison, science, vérité, justice, tout ça c’est de la foutaise : « L’Opinion a toujours raison, surtout si elle est bien conne… » p.109. D’où le bon sens issu de l’expérience : « le visage qu’il faut avoir dans les États vraiment sérieux… l’expression de jamais plus penser !… jamais plus rien !… ‘Même si vous ne dites rien, ça se voit !… habituez-vous à rien penser !’ » p.140.

Seuls les mômes sont vrais car ils sont nature. Biologie d’abord, la force de l’instinct vital, comme les bêtes. Céline y croit. Après la ruine parlementaire des la première puis de la seconde guerre mondiale, cette lâcheté d’écoles à beignes et d’élevage au gaz, on le comprend. Il a choisi le mauvais camp, mais les autres, les vainqueurs, se sont empressés d’aduler la dictature vitaliste alternative : jeunes pionniers, gardes rouges, avenir radieux. On ne peut pas reprocher à Céline d’aimer la santé, les corps vigoureux et la vie. On ne peut lui reprocher que son délire littéraire antisémite. Mais cela apparaît très peu dans ce roman : il gardait ça pour les pamphlets.

Un peu dur d’y entrer mais on aime, la langue vit, le télescopage des mots est souvent cocasse. C’est héneaurme !

Louis-Ferdinand Céline, Romans II, D’un château l’autre – Nord – Rigodon, Gallimard Pléiade 1974, 1272 pages, €50.35

Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, 1957, Folio, €7.41

William Burroughs, Les garçons sauvages, 10-18 2003, 250 pages, €7.03

Catégories : Livres, Louis-Ferdinand Céline | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,