Articles tagués : rééducation

Arto Paasilinna, Moi Surunen libérateur des peuples opprimés

Le burlesque finnois est irrésistible, même si les régimes décrits avec une gourmandise rabelaisienne pour les descendre en flammes sont périmés. Les dictatures fascistes d’Amérique latine reculent tandis que l’URSS est crevée, son utopie communiste obligatoire remplacée par la baudruche national-mafieuse de Poutine.

Un professeur de philologie de l’université finlandaise d’Helsinki, qui parle maintes langues, a un idéal humaniste comme souvent dans les pays du nord. Viljo Surunen est devenu membre d’Amnesty International, qui vise à alerter l’opinion sur les dissidents emprisonnés, torturés et tués à tort. Il ne cesse d’envoyer lettres et missives aux autorités des pays en question, sans aucun résultat comme vous pouvez l’imaginer. Les dictateurs, qu’ils soient fascistes ou communistes, se torchent le cul avec ces billevesées petite-bourgeoises. Les humanistes sont sur leur liste – celle des surveillés à arrêter et éradiquer.

Dans la trentaine, Viljo, qui ne s’est pas encore marié à la maîtresse de musique Anneli Immonen, décide devant un verre d’aller sur place rendre la liberté aux emprisonnés à tort. Direction donc au Macabraguay, pays imaginaire proche des pays se terminant en « guay », à l’époque très fascistes. Parce qu’il n’a pas beaucoup d’argent (la vie est chère en Finlande dans les années 80), il passe par Moscou et La Havane où l’Aeroflot fait voler de vieux coucous à hélices, lents mais (à l’époque) sûrs, dans lesquels officient de grosses matrones soviétiques à l’air revêche, « concentrées par le socialisme ». De La Havane, Mexico, puis l’Amérique centrale où un petit avion l’emmène au Macabraguay, où l’on n’a vu aucun touriste depuis des années.

Seul un correspondant de journal américain loge à l’hôtel central, saoul toute la journée et jamais au courant des coups d’État qui se succèdent sans aucunes conséquences, sinon d’alimenter les prisons qui, elles-mêmes alimentent les cimetières. L’élite chamarrée et armée tient toujours le pouvoir, vivant luxueusement dans des villas sur les hauteurs, avec vue sur les montagnes d’un côté et l’océan Pacifique de l’autre, et se gorgeant de mets choisi et de vins fins étrangers.

Surunen, dans sa naïveté d’Européen humaniste, commence par revendiquer la libération de professeurs emprisonnés pour rien, tout en listant les crimes contre les droits de l’Homme de la dictature. Il est aussitôt – c’était à prévoir – saisi par une milice paramilitaire et torturé dans un hangar par le système du pau de ara, le perchoir de perroquet, qui n’a rien du perchoir démocratique de notre B-Pivert à l’Assemblée. Il s’agit de pendre le corps tout nu, enroulé bras et jambes sur un rondin, et de le laisser méditer dans la douleur due à la pesanteur, à trois mètres du sol. Par le concours d’un tremblement de terre opportun, les fascistes fuient et le perchoir s’effondre, libérant le professeur qui s’empresse de se rhabiller et de saisir un fusil d’assaut laissé dans leur fuite par les couards. Il va les trouver à l’extérieur, leur camion blindé ayant embouti un pylône, et les descendre sans autre forme de jugement. Humanisme ne rime pas toujours avec niaiserie. Il s’agit d’un combat.

Changement de stratégie. Puisque la voie directe est impossible, passons par la bande. Pour cela, l’éminent professeur fait état de ses titres et invite la haute société macabraguayenne à venir entendre une conférence sur l’influence grecque antique en l’Amérique latine, un thème culturel flatteur et suffisamment abscons pour qu’il puisse dire à peu près n’importe quoi. Avant Trump (mais après Staline qui avait copié Goebbels), Surunen sait que le plumage compte plus que le ramage et qu’affirmer avec force quelque chose lui donne une « vérité » convaincante. Voilà donc les perruches, épouses de généraux et colonels, enthousiastes. Elles s’entichent du jeune professeur qui parle si bien espagnol et déclare être venu dans le pays pour collecter des idiomes particuliers pour une étude comparative qui va promouvoir le Macabraguay.

Il doit pour cela interroger diverses classes de la société, en commençant par l’élite au pouvoir, mais en devant poursuivre par les commerçants sur les marchés et les détenus des prisons, où l’argot est un met de choix pour un linguiste. Les perruches, enamourées et aux cervelles d’oiseau, n’y voient pas de mal et sont au contraire flattées de l’intérêt que la Science porte à leur langage. Surunen peut ainsi obtenir des généraux réticents, mais qui ne veulent pas s’opposer à l’opinion de leur société, des autorisations pour se rendre à la prison de La Trivial, ainsi que quatre fusiliers marins aux ordres du professeur dans un camion tout-terrain. Il y délivre le professeur Ramon Lopez, gravement malade des reins pour avoir été battu sur ces organes, et le médecin Rigoberto Fernandez, ainsi que trois Indiens frontaliers soupçonnés par ce simple fait d’espionnage. Il prétexte trop de bruit à l’intérieur de la prison pour les faire sortir et enregistrer dehors. A la nuit tombée, Surunen donne l’ordre d’embarquer, feux éteints « pour économiser la batterie », afin de se diriger vers le village des Indiens pour collecter des enregistrements locaux. Les fusiliers obéissent.

Ramon meurt en route, mais libre ; les trois Indiens, Fernandez et Surunen passent la frontière du Honduras à pied, tandis que les fusiliers marins sont libérés de leurs ordres… et préfèrent fuir à l’étranger que retourner à la caserne. Mission accomplie.

C’est alors que Fernandez décide de s’installer dans un pays de l’est pour y vivre ce communisme qu’il idéalise depuis qu’il a été fourré en prison. Surunen l’accompagne à Moscou, où il a lié amitié avec un diplomate soviétique mandaté pour défendre les pingouins dans les conférences internationales. Celui-ci doit se rendre en Vachardoslavie, autre pays imaginaire qu’on imagine être la Roumanie ou la Bulgarie d’époque. Là, ce n’est pas mieux : quiconque n’est pas d’accord est emprisonné sous prétexte de rééducation ou, en cas de persistance, de maladie mentale. Le contestataire est condamné au camp, puis à la prison, enfin à l’hôpital psychiatrique, qui recèle même une section spéciale d’incurables notoires.

C’est dans cette aile particulière que le professeur Surunen va pêcher deux hommes qu’il va libérer, toujours par débrouillardise, en utilisant les failles du système. Il est tellement bureaucratique que n’importe quel papier officiel, avec n’importe quel tampon, et n’importe quelle carte comportant un aigle et une photo (comme le livret militaire finlandais), suffisent à impressionner les plantons et les employés. Deux dissidents sont libérés, un vieil anarchiste voleur et un fondu de Dieu devenu baptiste. Ce n’est pas la qualité des êtres ni leurs convictions qui comptent pour l’humaniste Surunen, mais le fait qu’ils ne puissent s’exprimer librement et soient mis en prison pour cela. Le professeur aurait bien du mal, quarante ans après, et « le communisme » évanoui, dans la Russie qui a succédé à l’Union soviétique : Poutine ne rêve que de reconstituer l’empire communiste à sa botte et emprisonne, empoisonne, laisse crever à tour de bras. D’ailleurs le satiriste finlandais est mort en 2018 à 75 ans.

Dans cette pochade ironique, qui se lit comme un roman satirique à la manière de Voltaire, le burlesque est élevé au rang de santé pour l’esprit. Pouvoir penser par soi-même et pouvoir l’exprimer est le premier des droits humains, après survivre. Que des castes prétendent l’empêcher par la force est une injustice, mais surtout d’une prétention inouïe. Tout le monde doit se battre pour éviter cela. Vaste programme ! Car aussi bien les États-Unis que la Russie ou la Chine n’admettent pas qu’on pense autrement qu’eux. Paasilinna renvoie dos à dos les dictatures, qu’elles soient de force armée comme au Macabraguay, de force idéologique comme en Vachardoslavie, ou de force d’opinion comme aux États-Unis.

Un rire salubre qui libère !

Arto Paasilinna, Moi Surunen libérateur des peuples opprimés, 1986, Folio 2016, 368 pages, €8,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans d’Arto Paasilinna déjà chroniqués sur ce blog :

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

CGT et Mélenchon sur le modèle de Lénine

Lénine l’impatient croyait qu’un bon coup de pouce pouvait faire avancer l’Histoire. Il déclarait : « la force seule peut résoudre les grands problèmes historiques. » Pour lui, la violence est la vérité de la politique, le révélateur des rapports de force, l’épreuve où se séparent révolutionnaires et opportunistes. Il n’excluait pas la guerre comme moyen de faire avancer le socialisme, car elle est génératrice de changements. La CGT se situe dans sa ligne – tout comme Mélenchon.

Lénine a tout dit dans L’Etat et la révolution, avec le même cynisme de grand dictateur qu’Hitler – qui avait tout dit dans Mein Kampf. Ecrit de circonstance visant à combattre la social-démocratie de la IIe Internationale, le livre d’action de Lénine prend l’Etat comme outil de passage au communisme utopique. Il utilise Marx et Engels, avec un didactisme un peu lourd, pour définir les trois étapes de l’action révolutionnaire :

1/ La révolution violente est nécessaire pour supprimer l’Etat bourgeois et éradiquer « le faux problème de la démocratie », cette oppression de classe. Un autre pouvoir de répression, celui du prolétariat, dernière classe dans l’Histoire selon Marx, doit prendre le pouvoir. Pour ce faire, son avant-garde (le Parti de Lénine, aujourd’hui le syndicalisme CGT) doit faire un coup de force, aidé par sa connaissance des rouages sociaux et historiques donnée par le marxisme.

2/ Organisé en classe dominante, le prolétariat majoritaire construira la société socialiste en brisant les résistances des exploiteurs et en dirigeant la grande masse vers la « pensée juste » (par la contrainte, la propagande et l’éducation). La forme du pouvoir ne change pas (il s’agit toujours d’un Etat qui opprime) mais le contenu de son activité se fait (en théorie) au profit du grand nombre et (en réalité) par le seul Parti en son nom. Le modèle est la République jacobine de 1792 à 1798.

Selon Lénine, « Toute l’économie nationale est organisée comme la Poste ». Tous les moyens de production sont collectifs et « tous les citoyens se transforment en employés salariés de l’Etat. » Donc pas de problème de financement de la retraite.

L’administration suit l’exemple de la Commune parisienne de 1792 : l’armée permanente est dissoute au profit du peuple en armes, tous les fonctionnaires et les juges sont élus au suffrage universel et révocables par les électeurs, tous ont un salaire égal, fonctionnaires comme ouvriers. Exécutif, Législatif et Judiciaire sont confondus dans une seule « volonté du peuple » – évidemment exprimée par les seuls dirigeants, « représentants » de l’avant-garde dans l’Histoire. La bureaucratie est supprimée et les fonctionnaires réduits à des tâches de surveillance et de comptabilité sous le contrôle des ouvriers.

3/ Un jour non précisé, le communisme sera la dernière phase. L’Etat s’éteindra au profit des soviets (ou des communes) parce que les dernières racines des classes sociales auront été arrachées et qu’un « homme nouveau » sera né, façonné par la force. Il n’y aura plus nécessité de recourir à la violence pour concilier les intérêts car :

  • le développement (pas celui de la société, mais celui du Parti, ingénieur des âmes…) aura fait disparaître l’opposition entre travail manuel et intellectuel,
  • le travail ne sera plus un moyen de vivre mais le premier besoin vital, selon les capacités de chacun,
  • les forces productives seront tellement accrues que l’abondance sera possible (sauf que nul n’aura plus l’idée fatigante d’innover, d’entreprendre ou d’augmenter la productivité… mais usera et abusera du ‘droit à la paresse’ de certains employés de monopoles aujourd’hui minoritaires),
  • « les hommes s’habitueront à observer les conditions élémentaires de la vie en société, sans violence et sans soumission » (Engels). Quant aux excès individuels, le peuple armé s’en chargera, comme une foule quelconque empêche aujourd’hui qu’on rudoie un gosse (Engels disait « une femme », mais c’était avant l’obscurantisme de banlieue).

Lénine laisse soigneusement dans le flou « la question des délais » et notamment la disparition historique de l’Etat. Il le déclare expressément. Le socialisme suppose « la disparition de l’homme moyen d’aujourd’hui capable (…) de gaspiller à plaisir les richesses publiques et d’exiger l’impossible. » Donc pas de démagogie à la Mélenchon mais pas non plus d’opinion publique : le Parti seul sait parce qu’il est l’avant-garde éclairée, éduquée dans la pensée juste, celle de Marx & Engels. Le Parti seul décide de ce qui est vrai et bien – pour tous. Et les contestataires ferment leurs gueules sous peine de mort ou de camp.

Staline a fait de Lénine l’homme devenu mausolée. Sa pensée est devenue un bunker théorique qu’il est sacrilège de critiquer ou de prolonger. Au contraire, on peut s’y retrancher à tout moment. L’Etat et la révolution est l’Evangile du communisme. Le monument de Leningrad montre Vladimir Illitch devant la gare de Finlande, qui harangue la foule debout sur la tourelle d’un blindé coulée dans les douilles de bronze des obus de la guerre. Tout est dit, tout est figé, le bas-peuple n’a plus qu’à obéir, « on » agit pour son bien, pour l’Avenir. « On », ce n’est pas le peuple mais les seules élites autoproclamées, bien-entendu, une nouvelle « classe » de privilégiés autoproclamés.

Qui se rebelle est éradiqué. Au début par le fusil ou la famine, ensuite par les camps de rééducation et de travail (le Goulag), puis dans les derniers temps du « socialisme réalisé » – sous Brejnev – par l’accusation de maladie mentale. Pourquoi en effet l’être humain qui refuse l’avenir et le savoir scientifique de Marx, Engels, Lénine et Staline serait-il sain d’esprit ? Les psychiatres socialistes le déclarent « fou » en bonne logique (puisque non socialistes), et la société socialiste l’interne « pour son bien » et pour ne pas contaminer les autres par de « mauvaises » pensées. L’Eglise catholique a brûlé des hérétiques pour moins que ça et les fatwas des oulémas ne sont aujourd’hui pas en reste.

L’exemple vient de Lénine. Mis en minorité, l’intolérant nie la signification du vote et sort de L’Iskra peu après le Congrès de Bruxelles. Puisque les Bolcheviks y sont minoritaires, le journal ne représente plus la majorité « réelle » et Lénine transporte la vérité du parti à la semelle de ses bottes. Il dissout le peuple qui ne pense pas comme lui, tout comme il le fera de l’Assemblée constituante. Le 7 décembre 1917, cinq semaines seulement après le soulèvement d’octobre, c’est Lénine lui-même qui crée la Commission pan-russe extraordinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage (Vetchéka). Il prend pour modèle la Terreur jacobine, appelant Dzerjinski qui la dirige son « Fouquier-Tinville ». Dès 1918, le Comité Central décide qu’on ne peut critiquer la Tchéka en raison du caractère difficile de son travail. Son rôle dans les institutions se consolide : en 1922 elle devient la Guépéou, en 1924 elle est absorbée par le NKVD et dépend du Ministère des Affaires intérieures. En 1954, après la mort de Staline, on la rattache directement au Conseil des Ministres sous le nom de KGB. Dans un régime idéologique, chaque partisan doit être un parfait vecteur des lois scientifiques à l’œuvre. Lénine disait qu’un bon communiste devait être un bon tchékiste – autrement dit un flic pour traquer toute déviance de la ligne. Aujourd’hui les « réseaux sociaux » s’en chargent au plus bas de la vanité et de l’envie populacière.

L’avenir se devait d’avancer comme un engrenage. Lénine adorait l’armée et la Poste, son organisation et sa discipline qui font l’efficacité des masses. Le parti bolchevik a été calqué sur l’organisation militaire allemande avec l’enthousiasme révolutionnaire des nihilistes russes en plus. Lénine écrivait : « La notion scientifique de dictature s’applique à un pouvoir que rien ne limite, qu’aucune loi, aucune règle absolument ne bride et qui se fonde directement sur la violence. » Avis aux sympathisants de la CGT (version Staline à moustache) – ou de Mélenchon (version éruptive autocratique sud-américaine). La tyrannie naît dans les faits avec Lénine et est issue de sa certitude dogmatique d’avoir raison. Au-dessus du suffrage populaire, il place sa propre vision de l’intérêt général. Il faut relire Caligula de Camus…

La première utilisation des camps remonte au 4 juin 1918, lorsque Trotski, très proche intellectuellement de Lénine, donne l’ordre d’y emprisonner les Tchèques qui refusaient de rendre leurs armes. Lénine en personne a poursuivi, lors de l’insurrection paysanne de Penza le 9 août 1918. L’usage en a été codifié dans la résolution Sovnarkom du 5 septembre 1918. Tous les groupes de population « impurs » aux yeux des maîtres du Parti y finiront : les koulaks dès 1929, les adversaires de Staline dès 1937, les groupes nationaux soupçonnés de faible patriotisme soviétique et les prisonniers militaires libérés dès 1945, les intellectuels juifs dès 1949, les dissidents jusqu’à la chute du régime. Selon l’écrivain soviétique Vassili Grossman, « il suffirait de développer logiquement, audacieusement, le système des camps en supprimant tout ce qui freine, tous les défauts, pour qu’il n’y ait plus de différence. » Le socialisme réel est un vaste camp de travail… Un rêve de CGT qui ne veut voir qu’une seule tête, une utopie mélenchonienne qui ne veut entendre qu’une seule voix (la sienne).

Lénine connaissait peu l’économie et imaginait tout régenter sur le modèle de l’armée. Il a laissé s’élaborer une économie-machine parce qu’il ne voyait pas de différence radicale entre la gestion des chemins de fer et la gestion de l’économie tout entière. Le système a nécessité de « Nouvelles Politiques Economiques » successives pour combler les catastrophes régulières du collectivisme. Le Parti a toujours (et vainement) cherché la pierre philosophale : sous Staline les recettes biologiques de Lyssenko, la plantation de forêts à outrance, le projet d’irrigation des déserts. Sous Khrouchtchev les labours profonds, l’extension du maïs à tout le pays, l’utilisation massive d’engrais, l’exploitation des terres vierges et le détournement des fleuves pour irriguer le coton – qui ont asséché la mer d’Aral. Sous Brejnev, les achats annuels de céréales à l’Occident et le développement de l’espionnage technologique et scientifique. L’URSS est restée jusqu’à la fin un Etat qui applique en temps de paix les méthodes de l’économie de guerre – sans jamais décoller, sauf les fusées et le matériel de guerre.

Rien à voir avec le socialisme de l’avenir mais bien plus avec le despotisme asiatique des Etats archaïques comme le fut Sumer. Et il faudrait suivre le syndicat CGT ou le dictateur Mélenchon ?

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Harry Wu, Retour au laogai

Né en 1937, le catholique chinois Wu Hongda est mis en prison en 1960 pour avoir obéi au président Mao et fait s’épanouir cents fleurs : c’était un piège, la dissidence des opinions reste bannie en Chine depuis des millénaires et encourager la critique individuelle permettait au sadique Timonier de débusquer les « ennemis du peuple » (autrement dit les siens). Celui qui prendra le nom d’Harry a 23 ans.

Il passera 19 ans dans les camps, bien que condamné à « seulement » trois ans de prison, sa « rééducation » ne cessant d’être prolongée… Ce n’est qu’à la mort du dictateur rouge, en 1979, qu’il sera libéré, à 42 ans, sa vie irrémédiablement gâchée. Il n’aura dès lors de cesse de dénoncer au monde l’univers carcéral chinois, son conformisme au risque du goulag, son inspiration tyrannique auprès de Staline. Ce livre, paru en 1996, juste après son « expulsion » de Chine où il avait filmé les camps et les hôpitaux où sont prélevés des organes destinés aux greffes sur des prisonniers encore vivants ou tués pour la circonstance, est une forme de publicité démocratique. Elle est rendue possible par l’influence de la chaîne CNN, avant l’Internet et « les réseaux sociaux ».

La Chine, comme toutes les dictatures, sait qu’elle doit désormais compter sur la mise au jour instantanée et universelle de ses malversations en termes de droits de l’homme. D’où sa contestation de biais desdits « droits », au nom de leur conception trop occidentale. Le collectivisme ne serait-il pas lui aussi un « droit » humain, même s’il n’est pas individuel mais communautaire ?

Harry Wu s’est converti aux valeurs américaines et juge ses ex-compatriotes à l’aune de son nouveau pays. Mais plus de vingt ans ont passés depuis l’écriture de ce livre et, si le système carcéral chinois demeure, il semble moins fourni et vise moins à la rééducation idéologique. Il s’agit plutôt de mettre à l’ombre des dissidents avérés et des contestataires potentiels tout en les faisant contribuer au travail collectif. Le « droit » au sens occidental continue de ne pas exister, l’individu étant nié au profit de la famille et de la communauté, voire de la « patrie » han.

En visitant Dachau, Harry Wu avise la devise qui surmontait l’entrée du camp de la mort : « Le travail rend libre ». « Vous êtes sûrs ? fis-je abasourdi. En Chine, le slogan de nos camps, c’était : « Le travail bâtit une vie nouvelle » p.225. Ce n’est au fond pas très différent, puisque toutes les sociétés totalitaires se ressemblent. Mais cela nous permet de comprendre la coercition absolue qu’une société peut exercer sur sa population.

Ecrit à l’américaine comme un document vécu, ce livre rappelle combien la Chine reste peu ouverte au monde, autoritaire et tyrannique envers ses citoyens, prête à exploiter sa main d’œuvre prisonnière et à mentir sans vergogne à tout étranger. Trop orgueilleuse pour consentir à adopter des manières « universelles », elle impose ses propres valeurs comme toute nation sûre d’elle-même le fait naturellement. Mais ce qui paraissait un scandale absolu du temps de la présidence Clinton apparaît sous la présidence Trump comme d’un réalisme criant : le bouffon de l’immobilier ne pratique-t-il pas le même cynisme et le droit du plus fort à la chinoise ?

Harry Wu a été naturalisé américain en 1994 et est mort à 79 ans en 2016, hanté toute sa vie durant par l’expérience des camps.

Harry Wu, Retour au laogai – La vérité sur les camps de la mort dans la Chine d’aujourd’hui, 1996, Belfond 2004, 360 pages, €20.90

Catégories : Chine, Géopolitique, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Politique et morale

L’union de la politique et de la morale est un idéalisme, elle est totalitaire. La séparation est un cynisme qui laisse le choix, et le choix est difficile.

Si morale et politique vont ensemble, ce qui est moralement bon est politiquement juste, et réciproquement

C’est un idéalisme où le vrai et le bien, l’univers du saint, du savant et du militant se rejoignent. La morale a toujours raison, la raison est toujours morale. Ainsi peut-on savoir ce qui est juste : la morale et la politique deviennent une science, toute faute est une erreur, toute erreur une faute. Les adversaires se trompent, ils sont hors de la raison – fous, malades, sauvages.

Soit l’idéalisme est réactionnaire et regarde vers le passé : tout vient du Bien et va de mal en pis. Le présent est une erreur qu’il faut corriger au nom des lois d’origine : la morale fonde la politique. C’est tout le pari du « c’était mieux avant », de l’âge d’or (mythique), du collectif éternel qui sait mieux que vous, pauvre petit chainon de la lignée, ce qui est bon pour la perpétuation à l’infini de la lignée. Rejoindre le Bien (Platon), c’est rejoindre le Peuple en son essence historico-culturelle (Mussolini) ou génétique (Hitler), et en son communisme fondamental (Staline), c’est rejoindre Dieu en ses Commandements (le Peuple élu juif, la Cité idéale chrétienne, la Soumission musulmane).

Soit l’idéalisme est progressiste et c’est l’avenir qui a raison : tout va mal mais vers le mieux. La politique fonde la morale, ce qui est politiquement juste est moralement bon. Même si cela fait du mal à quelques-uns – et parfois au grand nombre : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs a été la grande justification de la « dictature du prolétariat » et du goulag soviétique, la « rééducation » le grand mantra maoïste et polpotiste.

Le philosophe-roi (Platon) et le dirigeant philosophe (Lénine) de ces deux idéalismes savent objectivement ce qui est bon. Ils sont au-dessus des lois, car la vérité ne se vote pas. Ils décident seuls de ce qui doit vivre ou périr. Cela donne le totalitarisme de la pensée et la dictature en politique : celle des prêtres, du chef ou du parti. La fin justifie les moyens, « les questions de morale révolutionnaire se confondent avec les questions de stratégie et de tactique révolutionnaire », écrivait Trotski dans Leur morale et la nôtre.

Si morale et politique sont séparés, l’une prime l’autre

C’est un cynisme, qui peut être moral (individuel) ou politique (collectif).

Soit c’est un cynisme moral (Diogène) : il vaut mieux être moralement bon que politiquement efficace, la vertu est préférée au pouvoir, l’individu au groupe, la sagesse ou la sainteté à l’action, l’éthique au politique.

Soit c’est un cynisme politique (Machiavel) : mieux vaut être politiquement efficace que moralement bon, mieux vaut la puissance que la justice, le pouvoir et sa conservation est la seule fin.

Alors, idéalisme ou cynisme ? Morale ou politique ?

Il faut choisir mais le libre-arbitre ne permet de choisir ni son camp, ni sa morale, parce qu’on ne se choisit pas soi-même. Chacun est déterminé plus ou moins fortement par ses gènes, son éducation, sa famille, son milieu social… Le choix n’est jamais désintéressé car jamais sans désir. C’est l’impasse faite par les économistes libéraux sur tout ce qui n’est pas rationnel chez le consommateur, l’impasse faite par les analystes politiques sur l’irrationalité foncière de la politique, le pari fait par les sectateurs de toutes les religions sur l’émotion et la peur fondamentale qui exige la croyance. Le désir résulte d’un corps et d’une personnalité, d’un lieu et d’une histoire. Les choix moraux et politiques sont des jugements de goût – ou de dégoût – plus que des jugements rationnels. La raison ne vient qu’en surplus pour « rationaliser » ces choix instinctifs.

Mon goût me porte à préférer ainsi le cynisme à l’idéalisme. Le cynisme est moins dangereux car il permet de ne pas croire. C’est reconnaître que l’existence est tragique, mais ce « dé »-sespoir, cette absence de tout espoir métaphysique apaise, il fait vivre ici et maintenant plus fort et rend plus miséricordieux à nos semblables englués dans leurs passions et leurs angoisses.

Les dangereux sont plutôt les papes armés, les prophètes politiques, les ayatollahs du quotidien, les secrétaires généraux de parti communiste et les censeurs anonymes des réseaux sociaux. La foi rend méchant, la « bonne conscience » rend pire encore.

Le machiavélisme du cynique n’est pas une position politique mais la vérité de toute politique : la force gouverne parce qu’elle est la force. Diogène n’enseigne pas une morale parmi d’autres mais la vérité de toute morale : seule la vertu est bonne.

Le pouvoir n’est pas une vertu, ni la vertu un pouvoir. La morale enveloppe la politique car elle est toujours individuelle et solitaire. Aucun devoir ne s’impose moralement à un groupe ; politique, police, politesse, sont des lois de groupe, la morale non. Le machiavélisme, qui ne se veut que politique, n’est justifié qu’en politique. Ce n’est pas un impératif pour l’individu mais une règle de la prudence et de l’efficacité pour le groupe. Pour chaque individu, Diogène l’emporte.

Machiavel pour le groupe, Diogène pour chacun. Car seul le bien que l’on fait est bon. Il est bon, non par une loi universelle à laquelle il se soumet, mais par la création particulière du bien précis qu’il fait à quelqu’un. La seule règle est qu’il n’y a pas de règle universelle mais seulement des cas singuliers. Pour Montaigne, la tromperie peut servir profitablement si elle est exceptionnelle, dans certaines limites (que chacun doit solitairement évaluer) et exclusivement dans les situations collectives. C’est l’exemple fameux du Juif qui frappe à votre porte, sous l’Occupation, et qui est poursuivi par les nazis. Si l’on vous demande si vous l’avez vu, la vérité exige de dire que oui ; mais la morale exige de dire que non. Ce « pieux » mensonge est pour le bien précis du Juif que vous allez ainsi sauver.

Quoi que vous fassiez, la morale restera globalement impuissante en politique, comme la puissance restera en elle-même amorale. Mais dans votre sphère de décision, vous pouvez agir moralement. Vous ne ferez pas de la « grande » politique mais de la relation humaine – à la base de la vie de la cité, ce qui est aussi la politique.

Chacun sait bien ce qu’il juge, mais n’a plus les moyens d’en faire une morale universelle parce que nul fondement absolu ne tient plus. Il faut faire simplement ce qu’on doit, c’est-à-dire le bien plutôt que le mal, et le moins mal plutôt que le pire. Et ce n’est pas à la foule ni au parti ou au clerc de dieu de juger, mais à chacun, dans sa solitude de choix.

Catégories : Philosophie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,