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La peste, série France 2

Albert Camus l’avait écrit sur le modèle de la peste brune en 1947 ; le Covid l’avait fait vivre sur le modèle d’un virus grippal inconnu en 2020 ; Antoine Garceau l’a réalisé en 2023 dans une série en quatre épisodes diffusée sur France 2 et disponible en repasse.

L’histoire est connue : une maladie étrangère contamine brutalement en quelques jours une population insouciante d’une petite ville du sud de la France. Les autorités minimisent, les partis en profitent pour pousser leurs pions, les affairistes s’engouffrent dans la brèche, les fonctionnaires fonctionnent de plus en plus dans l’obéissance aveugle pour se faire bien voir. En bref : la sale humanité avec tous ses travers, orgueil, petitesse, lâcheté.

Mais aussi les « héros » à la Camus, ceux qui font bien leur travail, stoïques et toujours le pont : les médecins et infirmières, les pompiers, le journaliste, les chercheurs, les simples prof de musique, les anciens humanitaires. Ceux-là aident les autres pour s’oublier eux – le contraire absolu des profiteurs qui font passer leur ego avant tout le reste.

Tout commence par une scène de plage, des enfants à la fragilité nue sortent de la mer, des jeunes plein de vie jouent au ballon, une femme satisfaite se fait masser le dos seins nus – l’hédonisme des vacances et de a vie relâchée propre à nos sociétés démocratiques en paix et prospères. Tout change brutalement avec un rat qui court. Hystérie de la massée, qui se lève à poil pour fuir l’horreur de la petite bête à poil qui court ; elle ne l’a pas même mordue. C’est une brave petite chienne qui va étrangler le rat, par savoir-faire atavique. Heureusement que l’homme a apprivoisé le chien !

Jour après jour, des gens se mettent à tousser, la fièvre monte, des pneumopathies se révèlent. Comme de bien entendu, l’hôpital public est vite encombré, vite à court de moyens, vite sans assez de personnel. La rationalisation ministérielle fait des ravages, pas question de plus, il faut faire avec et tant pis pour les pénuries. Mais Covid oblige dix ans avant, on ne manque plus de masque ni de gants. Les gens meurent, résignés. Le directeur d’hôpital (Francis Leplay) en profite pour supprimer le labo de recherche sur les pathogènes. L’idée en haut lieu est de favoriser les cliniques privées.

Le maire depuis 17 ans (Bruno Raffaelli) est un gros assoupi narcissique qui n’aime rien tant que de parader sur le circuit de télé locale, tandis que sa police municipale surveille nuit et jour par drones et caméras à reconnaissance faciale tous les trublions éventuels. Un clic et le portrait est scanné, la fiche d’identité sortie. Le maire tient à sa saison estivale, pour laquelle il a engagé une cantatrice d’opéra célèbre ; rien pour le populo, tout pour l’élite. En sous-main, une milice privée, dirigée par le capitaine de la police (Éric Denize), joue les gros bras pour les nantis, les traditionalistes, les réactionnaires. Pas de politique en ce film, il n’en est plus besoin, la politique a disparu sous la démocratie molle, le consensus dirigé, la surveillance omniprésente.

Je ne vous l’ai pas dit ? Nous sommes en 2030, autrement dit dans six ans. Le réalisateur rejoue 1984 de George Orwell pour montrer la société telle qu’il la voit venir. Dans six ans, nous aurons peut-être déjà subi trois ans de Rassemblement national après l’élection présidentielles de Marine Le Pen en 2027, avec tout ce qui va avec, déjà mis en œuvre dans les villes du sud de la France, celles qui votent massivement depuis des années pour la droite radicale.

La grève des poubelles comme dans le Paris d’Hidalgo il y a peu, due aux bas salaires et au refus de toute négociation, fait proliférer les rats et elle est le bouc émissaire commode pour l’épidémie. Quand le maire se fâche pour sa saison touristique, la milice règle le problème rapidement : une balle dans le bide du gros meneur qui n’y croyait pas (Gérard Dubouche), un tabassage en règle des manifestants démunis, en majorité arabes. Le lendemain, les poubelles sont enlevées. Mais les rats se sont reproduits et propagent la peste, un variant virulent et résistant aux antibiotiques qui, d’ailleurs, commencent à manquer.

Après avoir nié, les autorités prennent peur de la contagion grâce au docteur des pauvres Bernard Rieux (Frédéric Pierrot), au journaliste d’opposition Sylvain Rambert (Hugo Becker, épaissi) et à la chercheuse en biologie lanceuse d’alerte Laurence Molinier (Sofia Essaïdi) – et la ville est rapidement et brutalement confinée. Internet est coupé, la télévision aussi sauf la locale, tout comme les réseaux « pour éviter les fausses informations et les théories du Complot », et les portables n’ont plus de portée que sur l’agglomération. Quiconque résiste est maté d’un coup de crosse dans la tronche ou abattu d’une rafale. Le préfet (Patrick Mille) démet le maire incapable et prend lui-même la gestion de la commune sur ordre ministériel. Nul ne peut plus en sortir et ce qui entre est soigneusement contrôlé par l’armée.

Un fameux Plan D se révèle à demi-mot, bien que nié comme toujours jusqu’à sa preuve incontestable. C’est la parade habituelle aux politiques de tout nier jusqu’à ce qu’ils aient le nez dans la merde, une tactique habituelle aussi aux tueurs en série comme Fourniret, qui n’avoue que lorsque des preuves incontestables luis sont montrées. Le plan D signifie Plan Darwin, le père de la sélection naturelle. Seuls les plus forts survivent et il y a trop d’ayant-droits pour le Budget. Il est décidé au plus haut niveau d’encourager la nature à sélectionner les plus forts, les plus résistants. Le libéralisme poussé à son extrême libertarien. Pour cela, après le confinement qui permet aux élites de se préparer, un déconfinement sans condition de la population permettra au bacille de manifester toute sa virulence et de tuer les faibles, les comorbidités, les vieux, les chétifs. Ceux qui survivront auront le pouvoir et vivront d’autant mieux…

Je vous passe toutes les péripéties humaines et mafieuses, la romance du journaliste avec la chercheuse, l’adoption d’enfants perdus par la prof de piano qui n’e a jamais voulu, la rédemption au service des autres de l’ex-terroriste gauchiste Tarrou (Johan Heldenbergh), les scènes d’émotion et celles d’action, avec la mort d’un enfant (Hippolyte Daumas) comme chez Camus. Le fils d’un juge catho tradi intégriste et rigide (Guillaume Marquet) est atteint et décède, son père est ébranlé par la mort successive de sa femme et de son fils aîné, comme puni par Dieu des sept plaies d’Egypte, malgré sa soumission inconditionnelle à la Foi et à l’Église. Le père Panneloux ne comprend plus rien, Dieu seul sait ce qu’Il fait – façon de botter en touche pour ne plus penser. D’ailleurs, les tarés de l’Apocalypse se réveillent, une hystérique aborde le docteur Rieux au sortir de son travail pour lui parler du diable.

C’est une bonne série, d’aujourd’hui qui réactualise Albert Camus après le vécu du confinement Covid, avec pour perspectives la poursuite des tendances libertariennes et radicales de droite à la Trump ou Zemmour. Pour alerter sur le totalitarisme à la Poutine ou Xi qui vient à bas bruit, le racisme, la télésurveillance par caméras dans la ville et drones, le contrôle facial et informatisé. Au fond, les assassins sont parmi nous ; la peste est déjà en nous. Par notre lâcheté individuelle et collective.

Le message de Camus, repris en sourdine par la série, est que lorsqu’on est gouverné par le mensonge et la violence, il faut résister. La résistance individuelle est vaine (la lanceuse d’alerte est internée, le petit jeune policier qui voulait révéler les magouilles est zigouillé), seule la résistance collective vaut (les brigades de santé de Tarrou, l’équipe de recherche sur le vaccin). Et toute résistance est un rocher de Sisyphe, sans cesse à remonter sur la montagne pour contrer sans cesse l’avidité de pouvoir et les egos des puissants.

Car le bacille de la peste menace toujours, tapis quelque part entre les draps de l’armoire ou dans les pages d’un livre… ou dans la cité avec la bureaucratie, le je-m’en-foutisme, les habitudes…

France 2 La série La peste « saison 1 » en repasse (4 épisodes)

La série La peste sur Wikipedia

Albert Camus, La peste, chroniqué sur ce blog

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Claude Habib, Nous, les chats…

Se mettre dans la peau d’un félin sauvage n’est pas une sinécure – et la tentation d’humaniser le comportement n’est pas loin. Claude Habib, qui sort de Normale sup et exerce comme professeur de littérature française à l’université de Paris III, s’y est essayée et sa réussite est en demi-teinte. Le lecteur croit à cette aventure mais reste dubitatif s’il connait bien les chats.

Monsieur le chat est « fruste, c’est de naissance » p.9. Né sous la mère en nid douillet, il voit ravir sa sœur une nuit par une vieille chouette affamée – il faut dire que la chatonne avait désobéi à sa maman partie chasser pour nourrir la nichée. Restent deux mâles, qui vont devenir rivaux et quitter la mère – c’est au programme génétique.

Commence alors une vie errante, de territoire en territoire, chassé par plus fort que soi. Car le chat est un félin sauvage, au fond un prédateur. Il est carnivore, donc au sommet de l’échelle des êtres, si celle-ci existe (elle est invention bien humaine). Être presque parfait, disons plutôt parfaitement adapté à son milieu, le chat joue au tigre modèle réduit. Il se nourrit de petites bêtes dont la prolifération serait nuisible – à la nature comme à l’homme.

Mais le chat prolifère lui aussi, plusieurs portées par an, donc la sélection « naturelle » s’applique. La loi de la nature est celle de la jungle : le plus fort – je dirais le mieux adapté – survit. Il y a donc une erreur de l’auteur à préférer le félin sauvage au domestiqué : si les chats sont aussi nombreux aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont adopté l’homme et l’ont aidé à réduire les rongeurs de grains. Cette symbiose fait la bête, plus sûrement que les mythiques origines tigresques…

Au-delà de l’aventure au ras de museau, il faut donc lire cette mise en fourrure comme un conte philosophique à la manière de Montesquieu : comment peut-on être félin ? Sans les hommes, pas de pitance, ou si peu. Les territoires de chasse sont envahis de bitume (où être vite écrasé) et de constructions (où être vite croqué par les molosses). Dès lors, choisir d’être apprivoisé ou de rester sauvage, préférer être chien ou loup selon la fable de La Fontaine, c’est choisir entre liberté et sujétion, entre libéralisme et collectivisme – le confort au détriment de l’intensité de vivre.

Notre chat se bat pour couvrir les femelles, il en est amoureux comme les vrais chats le sont ; il parsème de traces son territoire de chasse en compissant soigneusement les endroits stratégiques ; il se bat à s’en déchirer les oreilles contre les intrus mâles.

Et puis se laisse attirer par la chatte apprivoisée d’un couple parisien qui ne vient qu’en vacances. Intrus et sauvage, il est l’immigré qu’on chasse de son terrain. Il est piégé par de trop bonnes pâtées (« yabon RMI ! ») et se trouve aspergé de vinaigre. Contrairement à ce qu’il pense, lui le chat, et à ce que croit la doxa des ménagères, le vinaigre n’est pas « un poison » mais un répulsif pour l’empêcher de pisser partout et le faire fuir. D’ailleurs, la fin ne voit pas sa fin, « je ne suis pas mort » dit-il p.124 – et il saute du tas de bois.

Car, là encore, il choisit entre la voie tranquille de se laisser couler doucement, et la voie racée de sauter d’un bond. Apprivoisé ou sauvage ? Il a compris, il choisit le grand large.

Les connaisseurs du chat s’amuseront de ce conte humanisé qui se lit avec plaisir ; les ailurophobes fuiront comme la peste cette empathie féline comme s’ils étaient diables en bénitier. C’est que le chat ne laisse personne indifférent.

Claude Habib, Nous, les chats…, 2015, éditions de Fallois, 127 pages, €15.00

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Erskine Caldwell, Le bâtard

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Sans concession morale, rédigé au degré zéro de l’écriture, au ras des gens, le bâtard dont l’auteur retrace la vie est une créature du Sud américain, du machisme ambiant, du racisme ordinaire. Nous sommes à la fin des années 1920 qui verront la Grande dépression économique de 1933 suivre la crise boursière de 1929 puis la crise financière de 1930. Après la parution du livre, le capitalisme s’affolera dans la spéculation, préparé par le mépris des possédants pour les pauvres, qualifiés de perdants.

Le Sud, où l’auteur est né en 1903, recèle la quintessence du peuple perdant. Il a perdu la guerre de Sécession, perdu ses valeurs aristocratiques, perdu l’estime de soi sous les critiques de la presse du nord. Le « petit Blanc » est aussi pauvre que le Noir, mais ne peut se raccrocher à rien. Son sentiment de dégradation est peint ici de façon complète.

Gene Morgan est en effet « fils de pute » au sens littéral, haï par sa mère dès sa naissance parce qu’il l’empêche de se faire les dizaines de mecs dans la soirée qui la font vivre. Elle a failli le tuer et il est sauvé par une négresse qu’il lâchera à 11 ans pour se faire tout seul, en jeune macho sans scrupules. Pas étonnant qu’il soit phallocrate, usant des filles comme de « trous à boucher » (selon la métaphysique de Sartre). Pas étonnant qu’il soit raciste, les Noirs restant à cette époque illettrés et trop peureux pour s’affirmer. Pas étonnant qu’il soit violent, on ne peut se faire soi-même sans en vouloir et en rajouter sur sa virilité. Gonflé de désirs divers, s’abrutissant au travail physique torse nu dans un moulin à coton ou dans une scierie, s’assouvissant sur les femmes qui passent ou dans l’alcool malgré la Prohibition, n’hésitant pas à tuer (même à la scie industrielle), Gene est un jeune : brut, direct, sans pitié. Ce genre d’animal a-t-il une âme ?

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La peinture au vitriol de cette société qui – une grande crise plus tard – votera Trump sans plus d’état d’âme, est si réaliste qu’elle garde des échos aujourd’hui. C’est bien cette société-là qui revient, celle des déclassés, des oubliés, des loosers. Celle qui veut sa revanche sur les autres, sur la société et sur le monde entier. Celle qui marmonne Dieu en piétinant ses créatures, qui impose sa force tant qu’elle existe – puis disparaît par « sélection naturelle » dès qu’elle décline un peu. Une société à la Poutine, dure aux faibles, serviles aux forts.

Le sexe est soumis à cette revanche, pratiqué comme une prédation. Jusqu’au bouleversement de l’amour, qui peut arriver comme une grâce. Gene, en effet, après avoir pris, baisé, violé sans vergogne sa vie durant, tombe en amour d’une « enfant » de 15 ans, peut-être sa demi-sœur. Elle est fragile, vierge et l’émeut. Ce n’est pas une chose à jeter, comme les autres, mais un ange à protéger. Il la ravit, l’emmène loin de sa ville où elle pourrit, ils font un petit.

Mais nul ne vit en diable sans conséquences : le bébé est anormal, trop faible, épileptique et velu. Un vrai dégénéré. Le fils de pute sans âme peut-il engendrer autre chose qu’un monstre ?

Nous sommes en plein dans la psyché américaine, névrosée d’Ancien testament et de Morale biblique rigoriste (Caldwell est né presbytérien). Il y est dit que chacun a un destin et ne peut y échapper ; que les tares sont héréditaires ; que le rachat n’est qu’éphémère. Ce Blanc a une existence noire, telle est la malédiction du Sud. L’animal humain ne peut connaître la rédemption sans un effort continu – qu’il n’est pas prêt à faire le plus souvent, ou n’en a pas la capacité. Et cela, c’est le père qui la donne, lui qui élève le garçon au moins par son exemple, comme le Shériff a élevé son John.

Ici, l’homme ne fait pas l’histoire, pas même la sienne. Il est le jouet de forces qui le dépassent, l’hérédité, l’éducation, la société. La force de ce premier roman vient de l’écriture. Son détachement clinique suggère un cynisme qui fera interdire le livre à sa parution, mais c’est ainsi que les choses arrivent : par hasard, par accident, les circonstances. C’est ainsi que John, le copain de Gene, a couché dès ses 11 ans avec des filles de joie mais, avec Rose, « ils avaient commencé ensemble leur vie d’adulte » quelque part avant 14 ans, dit l’auteur avec naturel (chap. VI). Les choses arrivent, tout simplement, comme chez les bêtes, le meilleur (l’amour) comme le pire (l’avilissement, la mort).

L’auteur, connu plus tard pour La route au tabac, est un écrivain naturaliste. Il est mort en 1987, avant le premier des krachs qui ont jalonné la période récente.

Erskine Caldwell, Le bâtard (The Bastard), 1929, Livre de poche Biblio 2014, 168 pages, €5.90

e-Book format Kindle, €6.99

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Détour mortel

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Bien monté, peu sexuel mais haletant (on peut le faire !), le film montre au fond que suivre la voie est la meilleure façon de ne pas rencontrer la sauvagerie… Nous sommes dans l’Amérique profonde, isolée, celle de Virginie occidentale couverte de forêts, qu’une seule route rapide perce pour joindre les îlots de civilisation que sont les villes (malgré leurs banlieues où officient les tueurs nés disséqués par Kay Scarpetta selon Patricia Cornwell).

La première scène montre des jeunes gens beaux et musclés en train d’escalader une falaise au-dessus des bois. Le garçon arrive au sommet le premier, la fille a plus de mal ; au moment où elle lui demande de la monter (sans allusions), elle reçoit du fluide de son compagnon (non, ce n’est que du sang). Une main pend, la tête aussi, et le corps se trouve très vite tiré dans les broussailles par une créature qu’on ne peut voir, puis choit inerte au bas de la falaise. C’est alors que la fille se sent tirée (par la corde) et coupe le cordon vite fait. Malgré sa chute et le cadavre tout proche de son sex-toy avachi, elle hurle de terreur et s’enfuit… mais tombe, les pieds pris dans un barbelé inopinément mis sur le chemin de la voiture. Fin du prologue. Pas de sexe mais beaucoup de frissons quasi sexuels, tant les actrices et acteurs sont plastiques et vêtus moulés ; chaque action frise l’érotisme…

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La suite fait retomber la tension, avant de la remonter lentement – tout comme dans l’acte sexuel, c’est voulu. Un étudiant en médecine beau, robuste et qui n’a pas froid aux yeux (mais semble-t-il ailleurs), roule dans sa Ford Mustang qui semble son seul amour et qui a lessivé (comme une femme) toutes ses économies. Un embouteillage sur l’inter-états causé par un camion de produits chimiques renversés l’énerve, car il va arriver en retard à un entretien en soirée. Il fait donc demi-tour et cherche à contourner les deux heures de bouchon. Avisant une route perpendiculaire, il découvre une station d’essence antique, perdue dans la forêt. Là, un garagiste crapoteux au chicot apparent met toute sa mauvaise volonté atavique à ne pas le renseigner : son téléphone fixe ne fonctionne pas (les portables ne sauraient passer dans un tel désert oublié de tout) et le dégénéré ne « sait pas » s’il existe une route de contournement. Mais une carte Ford montre une piste en pointillés. Peut-on la prendre ? « Oui, mais elle n’est pas goudronnée », oubliée de l’administration des eaux et forêts comme des fonctionnaires de l’Etat. C’est dire si l’on se sent aidé…

Le beau gosse aime le rock endiablé, un brin ringard ; son CD s’échappe de sa piste (après le mobile puis le téléphone, la technique décidément déraille). En fouillant sous le tableau de bord sans regarder la route, sa Mustang heurte une Range-Rover plantée en plein milieu et écrabouille un vélo fixé à l’arrière. Un peu sonné, Chris (Desmond Harrington) découvre une bande de jeunes à eux tout seuls, deux garçons et trois filles, partis « faire du camping » pour consoler la troisième fille de la rupture toute récente que son mec lui a fait subir. Un barbelé en travers de la route (tiens, tiens !) a crevé les pneus avant de la grosse bagnole. Que faire ? Ni autos, ni vélo – le tout pulvérisé, comme de sales gosses savent le faire – isolés dans la forêt sauvage… reste à aller à pied. Après tout, la station d’essence n’est pas si loin. Un couple reste, l’autre part avec Chris et la larguée Jessie (Eliza Dushku).

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Sauf que la forêt comprend plusieurs pistes, dont une qui ne mène nulle part, coupée par un ravin. Les séquences alternent entre les séparés : le couple resté aux voitures commence par bavarder, puis à se caresser, puis à baiser après une pipe (le spectateur n’en voit que les prémices, bien que le film soit interdit en France « au moins de 16 ans »). Cette allusion au sexe n’est là que pour pimenter l’action. Car la fille égoïste, qui suce toute seule une barre chocolatée dans la voiture de Chris (après s’être léché autre chose) tout en affirmant à son copain qui a faim (après l’acte) qu’elle ne trouve rien à manger, s’aperçoit bientôt que le copain en question ne répond plus à ses appels (elle aurait dû partager sa pitance). Elle s’enfonce (hum !) dans la forêt et aperçoit une basket vide (elle les avait ôtées à son compagnon pour baiser, avant qu’il ne les remette), puis une oreille coupée. Arrg ! Une silhouette la prend par derrière pour jouir de son corps comme d’une proie. Fondu enchaîné de suspense.

Il arrive de drôles de choses aux autres. Je ne vous raconte pas, sauf que le scénario est proche de la séquence précédente et que toute allusion sexuelle (mariage, caresses) se trouve très vite parodiée par la violence criminelle. Une cabane paisible leur semble un havre, mais les frigos dedans sont un cauchemar. La fille la plus cucul du groupe, Carly (Emmanuelle Chriqui), ne peut évidemment qu’avoir envie d’aller aux toilettes dans ce lieu sordide (pourquoi n’a-t-elle pas pissé dans la forêt ?). Elle retarde les autres, qui voient bientôt revenir les occupants du lieu en pick-up Ford des années 50 (la marque Ford, omniprésente, a-t-elle sponsorisé le film ?). Compte-tenu de ce qu’ils sont vu dans les frigos, ils ne tiennent guère à lier connaissance…

Cachés sous le grabat de la pièce, ils voient entrer un trio de crétins des bois, produits par plusieurs générations de consanguinité américaine (la leçon, quasi sexuelle, est ouvrez-vous aux gens extérieurs sous peine de devenir démon !). Ils traînent le corps sans vie (mais toujours moulé dans son short et son body) de la fille laissée aux voitures, dont on a déjà oublié le nom. D’un coup de hache, l’un d’eux tranche un mollet, probablement succulent une fois grillé. Il faut bâillonner la Carly, toujours prête à hululer en hystérique. Une fois les dégénérés repus et endormis, le quatuor planqué se coule hors de la cabane, tels Ulysse et ses compagnons de l’antre de Polyphème. Sauf que la Carly botte une cruche qui résonne, et réveille bien évidemment l’un des tarés. C’est alors qu’une course-poursuite commence, dans la forêt dense comme une touffe de femme.

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La suite est du même tonneau, alternant avec art sentiments de soulagement et moments de grande tension, appel réussi à la police d’Etat et bêtise du fonctionnaire unique arrivé sur les lieux, élimination à coups de flèche du niais copain de Carly, puis de Carly dont on est enfin débarrassé tant elle est conne (malgré ses seins qui pointent sans soutif dans un body étroit), du piège à la Rambo inventé par Chris pour sauver Eliza, puis d’Eliza enlevée par les soudards et attachée écartelée sur une table de consommation (toujours ce parallèle sexuel, détourné en sadomasochisme aidé d’instruments pointus et tranchants). Chris va-t-il parvenir à se sauver ? Tout seul ou avec Eliza ? Vous le saurez en regardant le film…

Il s’agit d’un bon thriller, plus subtil que Massacre à la tronçonneuse, et qui fera des petits durant quelques années. Le film initial se passe uniquement dans la sauvagerie des bois et entre Blancs, sans les références bibliques ni la mixité politiquement correcte obligées du genre. C’est original, bien bâti et l’on ne s’y ennuie pas une seule seconde.

Le message est quand même qu’il vaut mieux se prendre en mains que subir, et que la civilisation est bonne dans les villes, malgré les rêves écolos de retour à la « nature ». La sélection « naturelle » est en effet très néfaste aux isolés comme aux niais !

L’opus numéro 2, que j’ai vu aussi, reprend le même schéma mais en plus gore – je préfère le numéro 1. La scène initiale du 2 montre déjà une pétasse oxygénée littéralement fendue en deux par une hache, du haut en bas. Nous sommes dans le guignol et la bidoche. La suite est une même boucherie, avec les deux élus à la fin. Ce que c’est que de nous…

DVD Détour mortel (Wrong Turn) de Rob Schmidt, 2003, avec Desmond Harrington, Eliza Dushku, Emmanuelle Chriqui, Erica Leerhsen, Tom Frederic, TF1 édition, €24.90

Coffret intégrale Détour mortel de 1 à 6, 20th Century Fox, €25.99

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