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William Faulkner, Lumière d’août

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Son septième roman, le plus long, est aussi l’un des plus puissants. Le lecteur est pris par cette symphonie aux multiples personnages, envouté par une histoire qui pousse à la manière d’un arbre, allant explorer d’un chapitre à l’autre chacune des branches. Le fil conducteur est la fatalité terrible du péché originel. Qui veut comprendre un peu les États-Unis d’aujourd’hui doit se pencher sur cette histoire faulknérienne du sud, où sexisme et racisme sourdent du puritanisme. Même la musique, « comme toute musique protestante, garde toujours quelque chose de sévère et d’implacable, de prémédité et de froid » p.273. L’Amérique n’a pas fondamentalement changé : égalitaire mais libertaire, elle coagule les communautés en excluant les étrangers au lieu. Putains de puritains.

C’est le cas de deux routards entre Alabama et Tennessee, une femme blanche et un homme au quart noir : étrangers apporteurs d’étrange, ils sont traités comme des parias. La première, Lena Grove, s’est fait engrosser sans être mariée et cherche son homme qui lui a promis de l’installer – mais qui fuit sans cesse les responsabilités. Le second, Joe Christmas, a été abandonné dès sa naissance à l’orphelinat par son grand-père fanatique, parce que sa mère avait fauté avec un « Mexicain » soupçonné d’être à demi-nègre (en fait, nul ne sait) ; il sera adopté par un couple de pasteur tout aussi fanatique, fermier fouettard hanté de chair et obsédé du travail. Autour d’eux, des personnages secondaires étayent l’histoire : Byron Bunch pas encore marié à 35 ans, Joanna Burden en Yankee négrophile, Gail Hightower le pasteur ostracisé, Lucas Burch veule et fuyard, McEachern père fouettard Ancien testament, Doc Hines vieillard paranoïaque.

Le lien commun est la pureté. A divers degrés, en positif ou négatif, mais la hantise de la souillure. Lena veut être légitimée comme mère en recherchant « obstinément » (p.6 édition Pléiade) le père de son enfant ; Christmas se cherche, n’étant ni blanc ni noir, pas même sûr d’être quarteron, ayant la nausée de la baise et finissant par tuer toute ses « mères » nourricières, la sienne l’ayant abandonné ; Doc Hines qui l’a volontairement livré à l’orphelinat est un fou calme (p.95), un paranoïaque focalisé sur la souillure du sang par la faute femelle, l’envie irrépressible de baiser des filles venant pour lui du diable ; McEachern qui élèvera le garçon, est obsédé par la perte, celle de la semence et celle du travail, avare d’accumuler du mérite en obéissant au Seigneur et sublimant les pulsions par le fouet ; tous les personnages ont le dégoût du sexe, du frottement des chairs, des menstrues, des grossesses, de la ménopause. Cette quête éperdue de pureté, analogue à celle du salafisme, incite à la brutalité, à sublimer le sexe par la guerre et les désirs sexuels par les pratiques sadomasochistes. « Plaisir, extase, ils semblent incapables de supporter cela. Pour s’en évader, ils ne connaissent que la violence, l’ivresse, les batailles, la prière. (…) Et, dans ces conditions, pourquoi leur religion ne les pousserait-elle pas à se crucifier eux-mêmes, à se crucifier mutuellement ? » p.273.

La violence éradique, le fouet désinfecte, le meurtre blanchit – la barbarie fait le vide. D’où la guerre des sexes, la guerre des classes, la guerre des races, particulièrement virulentes dans les petites villes du sud des États-Unis : « les gens sont partout pareils, mais il semble que c’est dans les petites villes que le mal est le plus difficile à commettre, où il est plus difficile de s’isoler, que les gens arrivent à inventer le plus d’histoires les uns sur les autres » p.53.

Quoi de plus implacable, comme destin, que de croire en la prédestination ? La folie du Doc Hines, qui livre le bébé à l’abandon après avoir tué le père et laissé mourir la mère – sa propre fille – apparaît comme une « volonté » de Dieu. « Je l’ai marqué déjà », fait-il dire à Dieu (qui n’en peut mais) p.276. D’où cette « passivité tranquille » de Christmas (p.120) et de Lena, la « lente indécision » (p.8) des paysans « pour qui le temps ne compte pas » (et qui rappelle furieusement celle de François Hollande). Si tout est écrit, si tout doit arriver, pourquoi s’en faire ? Le destin s’accomplira comme une volonté de Dieu, il suffit de « laisser du temps au temps » comme l’affectionnait Mitterrand. Quand on a l’identité coupable, la punition vient inéluctablement. Joe Christmas comme Joanna Burden se persécutent comme des frères ennemis, la Femme et le Nègre représentent l’altérité radicale, en ce pays, à cette époque.

negre lynche au texas 1910

L’ordre social exige le dressage de ces enfants du diable et le refoulement des pulsions qu’ils suscitent. Trois femmes et un nègre vont mourir dans le roman, pour assurer cet ordre que le jeune Percy, « fana mili » comme on dit aujourd’hui, parfait fils d’Amérique dans la Garde nationale, accomplira en tuant puis châtrant Christmas pour avoir égorgé la femme blanche. Les sociétés closes sont effrayées du mélange, hantées par l’impur. Nègre blanc est la pire condition, bouc émissaire facile pour les anges exterminateurs, leaders de leur communauté. Il faut écouter Percy dans son idéal : « foi sublime et implicite dans le courage physique et l’obéissance aveugle ; conviction que la race blanche est supérieure à toutes les autres races, et que la race américaine est supérieure à toutes les autres races blanches, et que l’uniforme américain est supérieur à tous les hommes, et que sa propre vie serait le seul paiement qu’on lui demanderait jamais en échange de cette conviction, de ce privilège » p.335.

Écrit en 1932 alors que l’Europe se fascisait à toute allure après la crise de 1929, William Faulkner montre combien ce qu’on reproche aux autres est aussi en soi : le fanatisme, la xénophobie, le racisme. Nazisme, communisme, salafisme, sont quelques-unes de ces convictions dogmatiques éprises de pureté absolue qui considèrent tous les non-membres comme des sous-hommes – et sont hantées par la souillure.

Faulkner montre au contraire que la vraie vie n’est pas puritaine. Obéir à l’Ancien testament n’est pas une œuvre pie mais une névrose collective du surveiller et punir. « Chiennerie et abomination », éructe le vieillard Hines, poussé par une pulsion de mort au point de tout liquider autour de lui, son gendre, sa fille, sa femme, et à tourmenter son petit-fils jusqu’à la fin de ses jours. Est-ce cela, la vie ? L’inverse de la vitalité ancestrale des femmes qui mettent au monde : « Il se rappelle le jeune corps vigoureux qui, même en travail, révélait quelque chose de tranquille et de brave » p.302. L’inverse de la vitalité primitive : « champs fertiles, la vie riche et luxuriante des nègres sur la plantation, les voix chaudes, la présence de femmes fécondes, la prolifique marmaille grouillante, nue, devant les portes, et la grande maison bruyante, retentissante des cris de trois générations » p.302. William Faulkner partage peut-être certains préjugés de son temps, mais pas le racisme sûr de lui-même et dominateur des peuples qui se croient « élus ».

Faulkner se révèle ici nietzschéen dans sa critique impitoyable du fanatisme religieux, du puritanisme de mœurs, du sentiment de se sentir supérieur par obéissance à quelques simagrées prêchées en chaire. Il accuse les poètes à la Tennyson de mensonge en idéalisant la vie hors sol, pour éviter des vapeurs aux bourgeoises. « Bientôt, le joli langage galopant, la langueur anémique pleine d’arbres sans sève et de concupiscences déshydratées, commence à flotter, douce, rapide et paisible. Cela vaut mieux que la prière, et l’on n’a pas à se préoccuper de penser tout haut » p.237.

Un très grand roman des lettres américaines – celui qui vous fait voir l’actualité aux États-Unis telle qu’elle est : Abou Graïb, French bashing, Tea party, amende BNP…

William Faulkner, Lumière d’août (Light in August), 1932, Folio 1974, 640 pages, €8.93
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 2, Gallimard Pléiade 1995, 1479 pages, €58.90

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Eliot Pattison, Les fantômes de Lhadrung

Eliot Pattison Les fantomes de lhadrung

Ne pas se presser pour lire ce gros roman policier tibétain. Nul ne se presse au Tibet, où la nature impose son immensité aux âmes et la transparence de son air raréfié à l’esprit. Une vie entière permet d’y trouver la sagesse, qui permettra de se réincarner en une autre vie plus élevée, jusqu’à la fusion ultime avec le grand Tout qui clôt le cycle des réincarnations. Le Tibet est un pays bio que le matérialisme athée et scientiste des Han communistes vient polluer.

L’ex-inspecteur Shan est Han lui aussi, mais condamné une dizaine d’années auparavant au lao gai par les pontes du Parti dont il avait montré les malversations. Sa peine a été accomplie au Tibet, parmi les ex-moines et les gens simples qui ne veulent pas abandonner la foi pour les slogans. Libéré par le colonel Tan, byzantin gouverneur militaire du comté, il reste tenu en laisse : à la moindre incartade, il réintègre le camp de travail.

Mais les événements locaux obligent le colonel à faire appel à ses talents reconnus d’enquêteur, pour le bien du pouvoir, mais aussi du Tibet. Un homme est tué puis disparaît dans une cascade proche d’un temple tibétain détruit. Au même moment, le vol d’une peinture vénérable est effectué habilement à la Cité interdite, ce haut lieu politique pourtant si sévèrement gardé. Et, excusez du peu, un riche Américain collectionneur de Seattle se fait cambrioler la même nuit tous ses objets religieux achetés à prix d’or… Y a-t-il une relation cosmique entre ces événements ?

Bien sûr ! On ne serait pas Tibet, autrement. A la suite des aventures précédentes (voir les romans chroniqués dans l’ordre sur ce blog), Shan va retrouver son fils, connaître enfin l’Amérique et préparer une retraite spirituelle dans les montagnes. Le fils, Ko, a été abandonné par son père à 10 ans pour cause d’arrestation. Le gamin en a voulu au pouvoir, au socialisme, à sa mère qui s’est empressée de divorcer du mari politiquement incorrect. Il a chahuté à l’école, abattu des poteaux téléphoniques, joué au hooligan anti « socialiste », en bref a manifesté son besoin de père et son ressentiment envers le Parti omnipotent si peu en phase avec l’idéal d’épanouissement communiste. Autant dire qu’il a été condamné bien vite aux mines de charbon. Il a aujourd’hui 19 ans, un corps musclé par les travaux de force, et la haine dans le regard. Il ne connait que le combat, comme un animal sauvage. Shan aura bien du mal à capter son intérêt, à ne pas encourir son mépris, et à lui faire capter un peu de la sagesse millénaire du Tibet.

Les aventures dangereuses vécues ensemble, avec l’inspecteur Yao et le lama Lokesh, avec l’agent Corbett du FBI et le colonel Tan, avec une anglo-tibétaine, un directeur de musée pékinois et deux exécuteurs des basses œuvres, vont rapprocher père et fils. Mais, surtout, les méchants seront punis. L’avidité marchande focalisée sur l’or va se briser sur les mystères des temples cachés dans les montagnes himalayennes. La non-violence des sages aura raison de l’agression des armes.

gamin moine tibet

L’auteur, Américain lui-même, joue du contraste entre le connard yankee type – riche, arrogant, commerçant, immature – et l’enquêteur moraliste du FBI – respectueux des faits, opiniâtre sur l’enquête, soucieux des êtres humains. Oui, les États-Unis ont besoin de la sagesse du Tibet. Le roman a été écrit en 2004 au moment où Bush avait envahi l’Irak, juste pour montrer au monde qui a la plus grosse. Cet infantilisme est remis à sa place par l’exemple de l’empereur chinois Quianling : il y a des siècles, il voulait faire d’un lama tibétain son successeur. Plus proche de nous, en 1904, l’expédition anglaise du colonel Younghusband au Tibet pour raisons stratégiques a conduit à la conversion de nombre d’officiers à la philosophie du lieu. Comme quoi l’Occident anxieux, perpétuellement pris dans l’action immédiate, a besoin de recul et de sagesse pour le bien de son âme.

Eliot Pattison, Les fantômes de Lhadrung (Beautiful Ghosts), 2004, 10-18 2010, 573 pages, €9.69

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John Burdett, Bangkok Tattoo

Nous retrouvons l’inspecteur thaï Sonchaï, de la police de Bangkok, accessoirement partenaire d’un claque tenu par sa mère le soir. Ni le bien, ni le mal ne sont clairs en Asie où le binaire des religions du Livre n’a pas cours. Tout est nuances. Ainsi le sexe est-il joyeux, tout au rebours du puritanisme yankee. L’histoire commence rituellement par le meurtre d’un grand Américain – évidemment espion – dans une chambre d’hôtel avec une fille – évidemment prostituée.

Mais le schéma simpliste qu’on imagine ne saurait être selon nos habitudes. Il est bien sûr que le colonel de police, parrain de la prostituée, veut étouffer l’affaire. Il est clair que l’ennemi militaire de la police cherche à le faire tomber. Il est inévitable que la CIA soupçonne Al-Qaïda puisque la Thaïlande a des marges musulmanes. Mais tout est illusion, comme toujours, voile de Maya dit le bouddhisme dont la Thaïlande est imprégnée. Bangkok se déploie dans son chatoiement asiatique, tout en variations et porté par le karma, cette accumulation de bienfaits permettant d’accéder à la fin des réincarnations.

L’auteur joue avec ses personnages, il leur donne des caractères attachants bien dessinés. Chanya, paysanne futée, sait se faire aimer des hommes sans compromettre son esprit, tout en calculant combien financer un hôpital pour soigner des malheureux peut lui faire gagner de bienfaits pour contrer ses turpitudes sexuelles. Apparaît Lek, le doux adjoint de 18 ans tout frais sorti de l’école de police, qui se demande s’il est garçon ou fille et adore danser. Le colonel Vikorn joue tous les rôles, avec une subtilité politique inégalée. Un imam musulman et son fils, sont contrastés comme le noir et le blanc du Livre, mais transcendés par l’amour filial et la sagesse infinie d’Allah. Un otaku japonais, autiste informatique depuis tout petit, dessine divinement des tatouages sur la peau avec des aiguilles de bambou traditionnelles. Sonchaï, inspecteur né de GI et de pute, tombe amoureux et va peut-être enfin rencontrer son vrai père, avocat américain qui l’a conçu lors d’une permission du Vietnam. Et qui diable est Don Buri

L’intrigue et bien amenée, embrouillée à l’asiatique et contée d’un ton léger. L’humour entrelace la tragédie et offre de savoureux aperçus des contradictions thaïs comme des blocages yankee.

Les chapitres sont ainsi égrenés par des intermèdes édifiants où Pisit, la vedette de la radio Rod Tit FM, invite des personnalités à débattre des questions sociales de Thaïlande. Le journal de Chanya ouvre des abîmes de réflexion sur l’aspect chevalin des ‘executive women’ américaines qui – en oubliant d’être femmes – incitent les mâles à aller voir ailleurs ou à sombrer dans la psychose. Bouddha reste omniprésent, indulgent et sage, orientant la spiritualité de tous les actes, même ceux en apparence les plus sordides.

A savourer comme une soupe Tom Yam après une mise en appétit de sauterelles grillées !

John Burdett, Bangkok Tattoo, 2005, 10-18 juin 2009, 381 pages, 7.69€

Retrouvez tous les romans policiers thaïs de John Burdett et la Thaïlande sur ce blog

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Ce qui se révèle de l’ex-candidat Strauss-Kahn

La chute du candidat potentiel libère la parole – et pas seulement des femmes. On apprend ainsi ce que l’on n’aurait jamais su des pratiques du parti qui se dit le plus vertueux de France : la manipulation. Le Congrès de Reims et le recomptage léniniste des votes en faveur de Martine Aubry n’était pas qu’un écart… Les déjeuners secrets avec la presse sont-ils l’autre scandale de l’affaire DSK ? Strauss-Kahn avait convoqué en rendez-vous secrets certains journalistes d’organes de gauche pour qu’ils fassent allégeance et soutiennent activement sa campagne. Marianne, le Nouvel Observateur et Libération ont été arrosés en trois déjeuners ‘off’ dans de grands restaurants parisiens. Denis Jeambar, dans Marianne, vend la mèche… mais bien tard, une fois le loup renvoyé en tanière.

Le métier de journaliste n’en sort pas grandi, pas plus que les mœurs politiques, restées très féodales dans ce pays qui se veut constamment « révolutionnaire ».

Le métier de politicien socialiste non plus. Ce sont ses étudiants de Science Po qui ont assisté médusés à un cours sur le travail et le salaire minimum, et à des propos télé le même soir à l’inverse. C’est qu’il n’est pas politiquement correct au parti socialiste de déclarer que le SMIC est trop haut en France, qu’il pèse sur les salaires juste au-dessus et sur la compétitivité du pays. Entre théorie économique et discours politique, Dominique Strauss-Kahn avait parfaitement assimilé l’hypocrisie nécessaire. Il avait le cynisme du parfait socialiste prêt à tout dire pour arriver au pouvoir, tout en n’en pensant pas moins. La « pensée de gauche » – si tant est qu’il y en ait une en France – n’en sort pas grandie.

De même la référence aux « valeurs républicaines », si souvent affirmées, sont-elles le plus souvent du théâtre. La pratique ne résiste pas aux tentations communautaristes.

On se pose en multiculturel, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, dans la lignée droitdelhommiste d’égale dignité de tous. Voilà qui est très libéral, sens XVIIIème siècle et j’y adhère complètement. Sauf que les femmes sont une espèce soumise, si l’on observe les pratiques de ces messieurs habitués des suites et des ors républicains. Sauf que les indigènes de la république sont renvoyés à leurs différences, tout écart de leur part à la norme dite républicaine étant solidifié en pratique culturelle, particularisme cultuel ou coutume traditionnelle. Ce multiculturalisme bobo, qui n’a rien du regard ethnologue, dépolitise en figeant les différences. Il n’y a rien à faire, tout est ethnique, aucune politique particulière à mener, c’est culturel. L’autre est enfermé dans son origine originale, conservé en indigène irréductible.

C’est la même chose à l’extrême droite avec l’irrédentisme gaulois, celui qui « résiste encore et toujours à l’envahisseur ». Comme s’il existait encore un « peuple gaulois » conservé dans la glace, différent de l’italien du nord, du germain de l’est, de l’anglais du nord et des celtibères de l’est… Le Gaulois est sommé de respecter une « identité française » dont on a peine à savoir ce que c’est.

Les intellos rejettent le multiculturalisme anglo-saxon sous le nom de communautarisme. Ils revendiquent l’intégration à la française. Le cosmopolitisme universaliste est une composante de l’esprit des Lumières, donc appartient à l’esprit français. Mais certains n’ont pas peur de la schizophrénie : ils vilipendent tout ce qui est américain ou anglais, communautarisme, ultralibéralisme comme mondialisation… mais s’empressent de l’adopter candidement s’il sert leurs intérêt immédiat. Tel le lobby juif à l’œuvre dans l’affaire DSK. Nous savons qu’il existe un lobby officiel aux États-Unis ; nous ne savions pas qu’il en existait un occulte en France. Or nous avons tous entendu le chœur des intellos-médiatiques qui se revendiquent juifs défendre le fils de famille sur les télés françaises, comme s’il suffisait d’appartenir à la communauté pour être de facto vertueux. Être juif n’a rien de déshonorant et nombre d’envieux sont antisémites faute d’avoir réussi comme les bons élèves. Mais pourquoi revendiquer l’intégration républicaine, haïr le communautarisme s’il est musulman… mais le pratiquer ouvertement pour soi ?

L’avocat newyorkais de DSK, Benjamin Brafman, revendique son appartenance à la religion juive orthodoxe. Que vient faire la religion dans une affaire de mœurs ? Est-ce que la seule croyance en une religion du Livre expliquerait que les femmes soient dominées et sans leur mot à dire ? Il va plus loin en confiant ses propos sur l’affaire non pas à un journal français comme Le Monde, Le Figaro ou Libération, mais à… Haaretz, quotidien israélien. Que vient faire Israël dans ce procès qui met en cause un citoyen français sur le territoire américain ? Il faut certes y voir une tactique judiciaire qui consiste à détacher DSK des préjugés yankees à l’égard des Froggy bastards, tout en agitant la compassion de la minorité juive américaine, mais imagine-t-on les dégâts dans l’opinion française ? Dominique Strauss-Kahn se trouve extradé de sa culture et de son pays, au profit d’une ethnie mondialiste particulière, qui est montrée pouvoir s’installer ici ou là sans être attachée nulle part…

J’aimais assez l’homme, que j’ai pu rencontrer ici ou là dans des colloques, son intelligence aiguë, son sens de la mesure, sa vision globale. Peut-être aurait-il été un bon président pour la France, donnant les grandes impulsions que ses ministres auraient mises en œuvre. Mais l’expression affichée de ce multiculturalisme-là par son entourage est une forme de racisme qui consiste à dire, qu’on le veuille ou non, « je ne suis des vôtres qu’en partie, je suis avant tout de mon clan ».

Manipulation en sous-main, discours idéologique pour plaire aux militants, refuge communautaire quand sa vertu est attaquée, certitude absolue d’avoir raison et de n’être jamais « coupable » de rien : l’état d’esprit léniniste, ce bunker de la pensée, a décidément beaucoup de mal à lâcher les consciences des hommes de gauche français.

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