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Il n’y a pas de justice, dit Montaigne

Le chapitre XIII du Livre III des Essais, est l’ultime chapitre de tous les Essais. Il est long, Montaigne semblant y fourrer tout ce qu’il n’a pas encore dit. Ce pourquoi, par exception, j’en ferai deux notes avant d’abandonner notre philosophe, ayant lu tous ses livres et m’en ayant fait miel.

Au début, Montaigne dit que « l’expérience » (titre de son chapitre) montre que « la justice » n’a rien de juste, mais beaucoup d’humaine bêtise. « Les lois se maintiennent en crédit, non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois. C’est le fondement mystique de leur autorité ; elle n’en n’ont point d’autre. Qui bien leur sert. Elles sont souvent faites par des sots, plus souvent par des gens qui, en haine d’équalité, ont faute d’équité, mais toujours par des hommes, auteurs vains et irrésolus» Les lois sont faites par des ignorants, imbus de leur personne, et s’imposent par l’autorité qu’elles ont par elles-même. Ces gens haïssent l’égalité (équalité, dit Montaigne directement du latin), probablement par élitisme et goût du pouvoir, et ne sauraient servir l’équité. Rappelons que l’égalité est la même chose pour tous alors que l’équité adapte la chose à chacun.

Déjà la bureaucratie et le commandement pointaient leur nez en France. Nous ne sommes qu’au XVIe siècle, mais déjà la prolifération des lois, règlements et papiers d’autorité visent à régenter les gens. Montaigne s’en aperçoit, lui qui est juriste : « Car nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure (…) ; et si, avons tant laissé à opiner et décider à nos juges, qu’il ne fut jamais liberté si puissante et si licencieuse. Qu’ont gagné nos législateurs à choisir cent mille espèces et faits particuliers, et y attacher cent mille lois ? Ce nombre n’a aucune proportion avec l’infinie diversité des actions humaines. » Epicure défendait la thèse de l’infinité des mondes. Non seulement les législateurs sont des sots, dit notre philosophe, mais en plus ils ne savent pas ce qu’ils font. A vouloir tout embrasser, ils étreignent mal. Créez un bureau, et il fera des règles ; laissez créer des règles, et elles feront des contentieux ; ces litiges exigeront des juges et des greffiers ; leurs jugements prendront du temps et s’imposeront malgré les faits (on parle non de vérité réelle, mais de « vérité judiciaire ») – c’est ainsi que la bureaucratie paralyse un pays, inhibe toute initiative, met des obstacles à toute entreprise. La France a choisi cette tendance, dit Montaigne. Nous en subissons encore le poids aujourd’hui.

Laissons être les choses et ne les corrigeons qu’à la marge, soutient Montaigne, en bon libéral de tempérament. L’homme est bien sot de croire qu’il va commander aux choses, mieux vaut s’y adapter et ne faire que des lois générales. « Il y a peu de relation de nos actions, qui sont en perpétuelle mutation, avec les lois fixes et immobiles. Les plus désirables, ce sont les plus rares, plus simples et générales ; et encore crois-je qu’il vaudrait mieux n’en avoir point du tout que de les avoir en tel nombre que nous avons. Nature les donne toujours plus heureuses que ne sont celles que nous nous donnons. »

D’autant que la sottise et la vanité des législateurs transforment le vocabulaire de tous les jours en jargon ésotérique, incompréhensible sauf aux initiés. Ils le font exprès pour mettre une illusion de profondeur aux banalités qu’ils profèrent. Ainsi Apollon, qui inspirait la sibylle : restez obscurs, vous serez admiré ; soyez clair, vous serez attaqué. « Pourquoi est-ce que notre langage commun, si aisé à tout autre usage, devient obscur et non intelligible en contrat et testament, et que celui qui s’exprime si clairement, quoi qu’il dise et écrive, ne trouve en cela aucune manière de se déclarer qui ne tombe en doute et contradiction ? Si ce n’est que les princes de cet art, s’appliquant d’une pécuniaire attention à trier des mots solemnes [solennels, ronflants] et former des clauses artistes, ont tant pesé chaque syllabe, épluché si primement chaque espèce de couture, que les voilà enfin enfrasqués [embringués] et embrouillés en l’infinité des figures et si menues partitions, qu’elles ne peuvent plus tomber sous aucun règlement et prescription ni aucune certaine intelligence. » Notez le « pécuniaire » : traduire le jargon mérite salaire – ainsi font les avocats… Dans cette confusion, les juges sont rois : ils disent ce qu’ils veulent, tordant les bouts de lois à leur manière. Le langage, c’est le pouvoir ; le jargon, c’est le pouvoir des technocrates ; l’interprétation des lois, c’est le pouvoir des juges. Le roi et le parlement se sont opposés dès l’origine – et ce dernier a vaincu, en 1789. Nos députés qui font les lois ne sont guère meilleurs que les législateurs d’Ancien régime : une bande de singes braillards peut-elle énoncer ce qui est juste à l’intérêt général ? L’invective et la posture peuvent-elle susciter l’intelligence ? En quoi Montaigne est toujours actuel… « Qui ne dirait que les gloses augmentent les doutes et l’ignorance » ?

Non, décidément, il n’y a pas de justice dit Montaigne. « Considérez la forme de cette justice qui nous régit  : c’est un vrai témoignage de l’humaine imbécilité, tant il y a de contradictions et d’erreurs. » Et de citer ces paysans qui viennent l’avertir qu’ils ont trouvé un homme mourant dans la forêt, mais n’ont pas osé le secourir de peur d’encourir les foudres de la justice, d’être accusés de l’avoir blessé, ou dépouillé. Est-ce cela « la justice » ? Ou encore d’un condamné pour homicide, innocent mais jugé tel, qu’avant sa pendaison on trouve le vrai coupable, mais que les juges ne veulent pas se dédire : ce qui est jugé est vérité. Point à la ligne. Et voilà l’innocent comme le coupable condamnés tous deux à mort par l’imbécilité des juges et l’inanité de « la justice ».

C’est que les gens préfèrent leur rôle et leur uniforme à leur personnalité. Leur intelligence ne leur sert qu’à conserver le pouvoir dans leur caste, pas à exercer « la justice ». Au contraire de Montaigne, qui prône la conscience de soi, le penser par soi-même. « D’apprendre qu’on a dit ou fait une sottise, ce n’est rien que cela ; il faut apprendre qu’on n’est qu’un sot, instruction bien plus ample et importante. (…) Si chacun épiait de près les effets et circonstances des passions qui le régentent, comme j’ai fait de celles à qui j’étais tombé en partage, il les verrait venir, et ralentirait un peu leur impétuosité et leur course. »

D’où la suite du chapitre, sur l’importance de se connaître soi-même.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg

Témoin d’époque, l’auteur frappe un grand coup. Le confinement Covid l’a fait réfléchir sur la société comme elle va dans un premier roman, La conversation, sur les réseaux sociaux qui prennent de plus en plus de place, sur la technique qui étend son emprise sur l’humain. Les responsables ? Les patrons des GAFAM (Google, Apple, Amazon et Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ces multinationales technologiques et de réseau.

Dès la page 13, Mark Elliot Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook et désormais propriétaire aussi d’Instagram, de WhatsApp, Messenger et Threads, est exécuté d’une balle dans la tête. Facebook, nommé au départ Facemash, autrement dit « fesses-book » qui permettait de noter les appréciations sur les étudiants et étudiantes les plus sexy à la fac, est devenu un réseau social mondial et rentable renommé Meta Platforms. Zuckerberg n’en possède que 13 % des parts mais en contrôle 60 %, le reste étant coté en bourse et partiellement aux mains d’investisseurs institutionnels.

Il envisage de développer la blockchain pour la monnaie, l’épargne et les paiements, les lunettes connectées qui filment à votre insu, le Metavers qui est un univers parallèle, et l’IA pour capter et faire fructifier les données des utilisateurs. Autrement dit, Mark Elliot Zuckerberg est « le » prédateur du futur, le Big Brother d’Orwell dans 1984. Le fait qu’il soit juif, capitaliste et américain n’est pas mentionné par l’auteur, bien que cela participe du « Complot » mondial dont les défiants sont habituellement férus.

A la page 18, d’autres crimes sont évoqués sur les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et même de l’ex-président Trump, de même que sur Merkel, Sandrine Rousseau (après tortures, l’auteur se venge-t-il symboliquement ?), et divers attentats contre d’anciens dirigeants comme Sarkozy ou Hollande. Au total, près d’une centaine.

Le meurtrier de Zuckerberg est arrêté assez vite à Paris, dans le palace où il se prélasse, son forfait accompli. Le commissaire Gerbier, usé et fatigué après des décennies de crimes et d’enquêtes dans une société qui pourrit par la tête, est chargé comme meilleur professionnel du 36, de l’interroger. Il a en face de lui un homme de son âge, qui avoue appartenir à un réseau terroriste pour éradiquer l’emprise technologique sur les humains : Table rase.

Il y a peu d’action mais beaucoup de conversation. La soirée puis la nuit passent à deviser afin de savoir pourquoi on a tué, et qui est impliqué. Le pourquoi devient limpide : c’est une critique en règle de l’ultra-modernité : les réseaux qui abêtissent, la moraline du woke qui censure et inhibe, l’IA qui formate peu à peu et réduit l’intelligence humaine. La société hyperconnectée est nocive : il est bon d‘être réactionnaire envers elle !

Premier argument du terroriste : le complot serait général, pour mieux dominer les populations, intellos compris (souvent très moutonniers) : « Vous savez, la meilleure façon de contrôler la pensée d’une population est simplement qu’elle n’en ait pas. Noyer sa réflexion et son attention dans un flot continu d’informations stupides – ou commerciales , ce qui revient à peu près au même – est un excellent moyen d’y parvenir. Limiter l’esprit humain est aujourd’hui devenu un véritable programme politique. Plus le peuple sera ignorant et occupé à des futilités, plus il sera facilement contrôlable » p.53. Sauf que l’on pourrait objecter que les États-Unis ou la France ne sont ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran et que le « contrôle social total » reste un fantasme de défiant complotiste. Nul n’est obligé de suivre les errements des réseaux, des chaînes d’info et de la violence radicale.

Second argument : c’est le capitalisme qui est en cause : « Une société dont l’économie ne survit qu’en générant des besoins artificiels, avec pour objectif d’écouler des produits dont la plupart sont inutiles voire nocifs pour la population comme pour la planète, ne me paraît pas digne de survie à long terme » p.57. Mais quel est le « long terme » ? Pour Michel Onfray comme pour quelques autres, le « capitalisme » est né dès le néolithique ou même dès la première société humaine qui produit et stocke pour échanger… D’autre par, le « capitalisme » est un outil économique, une technique d’efficacité diablement efficace : même la Chine « communiste » s’y est convertie avec la réussite qu’on lui connaît, au contraire de l’archaïque mentalité russe, dont l’économie et la prospérité stagnent.

Troisième argument, anthropologique, vers le Soushomme, l’abêtissement général dans le futile, le tendance et l’autocensure pour ne pas offenser : « Passer d’un mode de vie résolument ancré dans le réel à des relations essentiellement virtuelles et souvent, ne nous voilons pas la face, purement mercantiles, est forcément contre-nature. Les réseaux sociaux incarnent ainsi la caricature la plus vide de sens de notre époque. (…) La mise en scène de toutes choses relève aujourd’hui d’un phénomène de cirque, servi par la consommation instantanée et ininterrompue d’informations sans aucun intérêt. A ce stade, ce n’est plus un appauvrissement, c’est une désertification intellectuelle et une raréfaction glaçante des relations sociales… » p.77. Nietzsche appelait à la volonté pour aller vers une sur-humanité ; la technologie, comme Heidegger le disait, ramène plutôt l’humain vers la sous-humanité de bête à l’étable qui regarde passer les trains.

Quatrième argument, l’effritement des relations sociales sous les coups de la victimisation, du buzz et du woke et la remise en cause de la démocratie sous les coups de force des gueulants : « Désormais, pour exister, au moins médiatiquement parlant, il faut absolument revendiquer quelque chose, protester. S’en prendre à quelqu’un, faire valoir ses traumatismes, bref être une victime, peu importe de qui ou de quoi. Dis-moi ce que tu revendiques, je te dirai qui tu es ! (…) Mon propos est de dénoncer une atmosphère délétère qui déteint sur tous les pans de la société, et entrave sérieusement la liberté d’expression en suscitant des phénomènes d’autocensure particulièrement inquiétants. Un travers en grande partie dû à l’amplification médiatique du moindre fait divers et de la moindre déclaration sortie de son contexte par les chaînes d’information continue, et bien sûr par les réseaux sociaux. (…) Les fondamentaux démocratiques de la société sont désormais pris en otage par quelques tristes sires qui les dévoient de manière éhontée pour leur usage personnel, et surtout pour se faire de la publicité à moindre frais » 103. On pense à la Springora et à la Kathya de Brinon – entre autres. Mais doit-on les croire sans esprit critique ? Leur force médiatique tient surtout à la lâcheté de ceux qui sont complaisants avec leurs fantasmes et leurs approximations.

Habilement, sous forme d’un interrogatoire policier, l’auteur reprend les critiques les plus usuelles sur les méfaits de la technique et le mauvais usage des outils, comme sur l’abandon de ceux qui sont chargés de transmettre : les parents, les profs, l’administration, les intellos, les journalistes, la justice, les politiques. Ils ne sauvegardent pas l’humanité en laissant advenir par inertie « un transhumanisme sauvage » p.142.

En cause l’éducation et la famille, dont l’auteur ne parle guère. Je pense pour ma part que l’habitude viendra d’user mieux de ces choses, qui sont aujourd’hui beaucoup des gadgets à la mode dont on peut se passer (ainsi Facebook ou Instagram), ou qui font peur aux ignorants qui ne savent pas s’en servir. Je l’ai vécu avec le téléphone mobile : l’anarchie et l’impolitesse des débuts a laissé place à des usages plus soucieux des autres. Quant aux réseaux, les cons resteront toujours les cons, quels que soient les outils de communication, et il faut soit les dézinguer à boulets rouges s’ils vous attaquent, soit les ignorer superbement. Le chien aboie, la caravane passe.

Ce roman policier un peu bavard, aux dialogues, parfois réduits à un échange de courtes interjections comme au ping-pong, pose la question cruciale de notre temps : que voulons-nous devenir ? Il se lit bien et n’échappe pas à un double coup de théâtre final fort satisfaisant. Clin d’œil, l’auteur est lui-même sur Facebook.

Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg, 2024, éditions La route de la soie, 146 pages, €17,00

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Effet 11 janvier

Après les attentats commis il y a tout juste neuf mois par deux minables contre l’esprit soixantuitard moqueur de Charlie Hebdo, des Français ont manifesté en masse dans la rue. Ils étaient certes invités à le faire par un gouvernement un brin démagogique, tout prêt à récupérer « l’indignation » pour redorer son image, mais l’ampleur des manifestations à Paris comme en province a largement submergé cet effet. D’autant que « l’islamophobie » chère à certains intello-gauchistes en mal de victimes à découvrir pour alimenter leur sens de l’Histoire a été absente, les partis extrêmes à droite ayant refusé de s’associer.

Certains, comme Pierre Nora (Le Débat n°185, mai-août 2015), ont pu parler de « communion urbaine » analogue aux funérailles de Victor Hugo – ou à celles de Jean-Paul Sartre, mais communion pour quel message ? Hugo, c’était la grande voix anti-impériale, la république universelle, la compassion d’écrivain célèbre pour les petits et les condamnés ; Sartre, c’était l’intellectuel analysant la politique et le réel, certes fourvoyé dans les années 50 dans le communisme totalitaire, certes cacochyme et délirant dans les années ultimes sous l’influence de Benny Lévy (ex-Pierre Victor), mais un intellectuel engagé dans le réel. Le 11 janvier, quoi ?

Probablement la découverte de « l’ennemi ».

Non pas la finance, comme l’hypocrite candidat Hollande l’avait un peu trop légèrement proclamé – sans surtout ne rien faire contre. Mais l’islam radical en tant que religion intolérante, en tant que cléricalisme prescripteur d’une morale archaïque qu’on croyait terrassée par 1905 et 1968. Non pas l’islam mais le salafisme, non pas la croyance en Allah dernier avatar des religions du Livre, mais le rigorisme puritain des premiers temps bédouins, complètement inadapté aux sociétés occidentales modernes.

Il existe un socle républicain qui est comme un inconscient politique, révélé brusquement le 11 janvier.

C’est moins le « droit » au blasphème que la liberté de s’exprimer, inhérente à tout débat public – donc à l’exercice même de la démocratie. L’étranger ne s’y est pas trompé, qui a fait de cet événement très français un moment planétaire jusqu’en Afrique, en Inde et au Japon. Même les États-Unis ont attribué le prix du Pen Club aux journalistes de Charlie Hebdo. Les Américains sont pourtant habitués à une liberté d’expression sans aucune entrave, contrairement à la nôtre – bardée de lois Pleven, Gayssot, Taubira et autres Halde politiquement correct sur le genre, la sexualité, le handicap et le harcèlement. S’il n’y a pas choc « des civilisations », il y a bel et bien choc de la liberté contre la religion.

Lorsque celle-ci veut s’imposer partout dans l’existence, de la chambre à coucher au gouvernement du pays et aux relations internationales, il ne s’agit pas de croyance mais de force, pas d’opinion mais de totalitarisme. Les faux-culs du « pas d’amalgame » et du déni ont tenté de se raccrocher aux branches d’une manifestation populaire d’ampleur rare, mais ils n’ont rien compris s’ils ne tiennent pas compte de cet attachement viscéral à la liberté égalitaire de croire et de dire, de s’exprimer sans opprimer.

Oui, ils y a des musulmans intolérants, lorsqu’ils sont intégristes ; oui, il y a des Arabes racistes, lorsqu’ils manifestent leur haine des Juifs, des « Gaulois » et tous les kéfirs ; oui, il y a des victimes sociales qui deviennent bourreaux, comme les Merah, les Kouachi et les Coulibaly… Ce n’est ni raciste, ni islamophobe de le dire – c’est énoncer des faits.

Coran dit

Et oui, il y a des gens de gauche qui flirtent dangereusement avec l’amalgame et la haine, lorsqu’ils assimilent les Palestiniens aux nouveaux prolétaires de l’Histoire, donc les Israéliens aux impérialistes américains, capitalistes à abattre. Le crétinisme d’un Todd, qui fait du 11 janvier une grande manifestation « d’islamophobie », appartient à ce genre de raisonnement tordu où, puisque l’on récuse les massacreurs, on rejette forcément leur race et leur religion – donc tout leur groupe.

Les revendications des religions sont légitimes comme les autres, dans le débat démocratique. Mais elles ne peuvent dépasser un niveau « raisonnable » – qui est celui où leur liberté rencontre celle des autres. L’objectif de l’islam intégriste est de convertir ou de dominer, par le djihad plus militaire (interprétation sunnite) que spirituel (interprétation chiite). Si chaque religion a ce même objectif d’imposer sa foi, la vie en commun est impossible, la seule voie est la guerre de religion des communautés dressées les unes contre les autres comme hier en France sous Louis XIV et sous l’Occupation, aujourd’hui au Liban en Syrie, en Irak…

Or « les sociétés islamiques sont des sociétés d’Ancien régime », démontre Henry Laurens, professeur d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France (Le Débat, n° cité), « elles s’effondrent d’elles-mêmes avec cette entrée de la modernité ». Plus la société se modernise et plus l’islam sert d’identité, un islam individuel bien loin de la théocratie des origines – donc un islam idéalisé, rendu à la mythique pureté des « premiers temps », hors de l’histoire – littéral. Mais c’est un islam des ignorants, qui tient pour rien les siècles de commentaires des philosophes musulmans : avec l’école primaire désormais répandue, « des tas de gens vont pouvoir lire les textes religieux, voire les connaître par cœur, en tout cas le Coran, et vouloir les appliquer de façon littérale sans les vingt-cinq ans d’études religieuses indispensables pour rédiger un bon commentaire ».

enfant soldat syrie los angeles times

Devant cette « pathologie de la transition moderne » (Marcel Gauchet, Le Débat n° cité), il faut donc « imposer » chez nous sans état d’âme la loi républicaine aux intégristes – de quelque croyance qu’ils viennent, islamistes rétrogrades, intégristes chrétiens, fondamentalistes juifs, communistes révolutionnaires, néo-nazis totalitaires, écologistes de contrainte, féministes du genre. Nous avons le droit de décider par la majorité comment vivre sur notre sol, malgré la démagogie électoraliste et la lâcheté politique dont font preuve trop souvent les « zélus ».

Pas d’excès de liberté aux ennemis de la liberté !

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Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre

pierre hadot la philosophie comme maniere de vivre
Pierre Hadot (1922-2010) est un philosophe issu du catholicisme et spécialiste de la philosophie antique, élu professeur au Collège de France en 1982. Il a traduit Plotin et Marc Aurèle. Pour lui, la philosophie n’est pas un système comme une Bible, mais une voie au sens oriental, une manière de vivre au sens de Montaigne (que l’auteur a abordé vers 14 ans). Elle enseigne qu’il faut apprendre à mourir. Ce qui veut dire quitter l’horizon borné de son petit moi pour voir le monde d’en haut, dans l’universel humain puis dans le grand Tout – mais surtout expérimenter par la pratique tout ce que l’existence peut offrir de beauté, de joie et d’infini.

Dans ce livre d’entretiens avec un historien américain pour qui ses livres ont changé la vie, et d’une maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales spécialiste des philosophies à la fin de l’Antiquité, il livre avec simplicité son parcours professionnel, intellectuel et spirituel. Ce n’est pas un livre de philosophie, mais l’on y philosophe à chaque page. C’est-à-dire que l’auteur comme ses interlocuteurs réfléchissent ensembles sur des sujets tels que le discours philosophique, l’interprétation des auteurs anciens, l’expérience intuitive, les exercices spirituels (qui ne sont pas l’apanage des religions), la philosophie comme existence, ce qui est « inacceptable » et l’investissement plein dans le présent.

On ne saurait rendre compte de tout dans une note aussi brève. Après une enfance et une adolescence catholique, puis une vie de chercheur et d’enseignant, arrivent les deux-tiers les plus intéressants du livre. Nous en choisissons quelques thèmes majeurs : une manière et un choix de vie, le problème de l’interprétation, le désir à l’origine de philosopher, le problème du mal.

pierre hadot photo

La philosophie, à l’origine, répond à des questions. D’où la forme des dialogues de Socrate, des commentaires d’Aristote, l’exégèse des textes anciens. Ce n’est qu’avec la modernité que l’on compose des systèmes.

Ils sont moins destinés à apprendre à bien vivre et à former l’esprit comme dans l’antiquité, qu’à exposer une doctrine personnelle, une somme. « Cette évolution s’explique par des facteurs historiques et institutionnels. Dans la perspective étroite des Universités, comme il s’agit de préparer les élèves à l’étude d’un programme scolaire qui leur permettra d’obtenir un diplôme de fonctionnaire et leur ouvrira une carrière, le rapport personnel et communautaire doit nécessairement disparaître, pour faire place à un enseignement qui s’adresse à tous, c’est-à-dire à personne » p.99. Retenons donc que les professeurs en sont en rien philosophes, mais des technocrates du savoir.

Or le discours philosophique n’est pas la philosophie ; la philosophie, c’est la pratique, le vécu. Ce pourquoi l’auteur reconnaît « en Socrate le philosophe par excellence, dans la mesure où, vivant d’une vie simplement quotidienne, il la transfigure par la conscience qu’il a de l’infinie valeur de chaque instant de cette vie quotidienne » p.199.

Des propos antiques, il est difficile de cerner le sens intégral de nos jours. Pas question de prendre le texte comme les fondamentalistes religieux ou professoraux le font. « Tout au contraire, la perspective historique et psychologique est très importante en histoire de la philosophie, parce qu’il s’agit toujours de replacer les affirmations des philosophes dans le contexte social, historique, traditionnel, philosophique, dans lequel elles se situent » p.204. Jeu de langage, exercice spirituel, valeur mythique, sont des moyens au service de l’intention qui est d’enseigner. « Il faut s’attacher avant tout à suivre le mouvement, les méandres de la pensée de l’auteur, c’est-à-dire finalement les exercices dialectiques et spirituels que le philosophe fait pratiquer à ses disciples, par exemple, en reprenant l’exposé à partir de différents points de départ, comme c’est le cas chez Aristote… » p.149.

La philosophie est au fond chose simple et vivante « J’ai appris dans Montaigne l’importance de la simplicité, le ridicule du pédantisme » p.199. Puis dans Platon les liens de l’amour et de la sagesse : « L’amour d’un beau corps est déjà, en puissance, l’amour de la Beauté éternelle. Il s’explique par l’attraction de celle-ci. La démarche philosophique a donc pour moteur le désir (…) La dimension de l’amour donne à la philosophie le caractère d’une expérience vécue, vivante, d’une présence. C’est vrai de Platon, mais aussi de toute philosophie » p.204.

Femme sauvage

Ce pourquoi il n’y a pas d’inacceptable « par principe », abstraitement, mais une empathie humaine : « c’est qu’il ne faut pas perdre la tête avec celui qui souffre, mais l’aider réellement à surmonter sa souffrance » p.243. Nombre de bobos et de « pseudo-intellos » (comme dit la ministre) pourraient prendre utilement des leçons de sagesse auprès de Pierre Hadot. S’indigner ne débouche sur rien si l’on en reste aux « principes » ; il est préférable de proposer des pistes pour réduire la souffrance et en traiter les causes.

« Les stoïciens considéraient qu’il n’y avait de mal que dans la volonté de l’homme » p.249 – le monde, lui, est indifférent aux « valeurs » et aux « jugements ». Reconnaître que tout être est une partie de l’univers, qu’il contribue au mouvement général, permet d’accepter le monde tel qu’il est et – en même temps – de combattre le mal moral et l’injustice. Car le combat est contre des hommes faillibles et ignorants, pas contre le monde ici-bas – sauf à quitter la philosophie pour la croyance religieuse.

Pour cela, il nous faut quitter l’illusion des grands principes et ne plus avoir la vanité des seules idées. « Ne plus se projeter dans l’avenir, mais considérer en elle-même et pour elle-même l’action que l’on fait, ne plus regarder le monde comme le simple cadre de notre action, mais le regarder en lui-même et pour lui-même. Cette attitude (…) permet tout d’abord de prendre conscience de la valeur infinie du moment présent (…) des moments de demain. (…) Mais elle permet aussi de prendre conscience du sérieux de chaque moment de la vie » p.254. Faire comme d’habitude, mais comme si c’était la dernière fois…

Sous des dehors bénins, dans une langue qui se lit facilement, une grande leçon de sagesse par un méditant dont la vie exemplaire de chercheur pourrait en remontrer à beaucoup.

Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre – entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, 2001, Livre de poche 2010, 284 pages, €6.10

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Échec hollandais ?

A presque mi-mandat, la gauche menée par François Hollande a-t-elle réussi à convaincre ? Entre les promesses du candidat et les réalisations, apparemment pas ; entre le changement de cap de janvier et les réalisations sept mois plus tard, apparemment pas. Ce qui semble manquer à François Hollande est le temps : temps de penser, temps de consulter, temps de décider, temps de convaincre. Il lui faudrait une génération entière, à cet homme, s’il suivait son tempérament. Procrastination, quand tu nous tiens…

Crédit emploi-recherche, compte pénibilité, temps partiel, ABCD de l’égalité, Ecomouv, réforme territoriale, intermittents du spectacle, SNCF, SNCM, les réformes socialistes existent. Mais elles sont mal pensées, mal rédigées, abstraites, impraticables – comme si les politiciens de gauche ne connaissaient RIEN aux relations du travail. La promesse (légère) de maîtriser la finance, l’instauration de nouveaux rapports avec l’Allemagne, les rodomontades montebourgeoises sur Mital, Peugeot et Alstom, la réaction ridicule et velléitaire à l’application du droit américain dans l’affaire BNP, sont des pétards mouillés. Ces gens au pouvoir sont-ils vraiment sérieux ? Savent-ils s’entourer d’experts autres qu’idéologues ?

Si le décalage entre le gouvernement des doctrinaires et les entrepreneurs réels persiste, si le décalage entre des syndicats non représentatifs et les travailleurs persiste, si le décalage entre les politiciens et les citoyens persiste – rien ne va changer, donc tout va exploser par un vote massif en faveur de la droite (Juppé/Le Pen au second tour en 2017 ?). L’erreur majeure de la gauche est de n’avoir rien préparé ni rien compris au bout de (pourtant) dix ans d’opposition, de n’avoir toujours rien appris au bout de deux ans et demi de pouvoir…

francois hollande ministres racontent 2014 05

Vous souvenez-vous du « Programme » du parti socialiste ? Il est déjà obsolète avant même d’être appliqué, à commencer par le slogan « abroger la réforme territoriale » (proposition 30)… que le socialiste Hollande est en train de remettre à l’ordre du jour ; à continuer avec « une République fière de ses valeurs » dont on observe les dérives mafieuses dans la justice avec ces créateurs du Mur des cons qui n’hésitent pas à écouter à la dérive un ancien président durant 9 mois, et même l’avocat des avocats, le Bâtonnier, au mépris du secret professionnel – sans parler du ministre Cahuzac, pris la main dans le sac d’argent évadé fiscal ! Quant à l’affirmation claire (proposition 16) « Pour les retraites, nous rétablirons (…) l’âge de départ sans décote à 65 ans » – au vu des réalités (apparemment ignorées des technocrates socialistes), vous y croyez encore ? Et « nous fusionnerons l’impôt sur le revenu et la CSG » (proposition 17), c’est pour quand ? « Les responsables de l’audiovisuel public ne seront plus nommés par le président de la République » (proposition 28) : première nouvelle !

Le coût du travail n’est pas l’explication du chômage en France. Un entrepreneur embauche s’il a besoin, pas si on lui agite une incitation fiscale (différée) sous le nez. Il faut être vraiment idéologue pour croire que la raison d’être d’une entreprise est de créer de l’emploi. Une entreprise produit et vend, elle ne fait pas « du social », ce n’est ni son objet ni son rôle. C’est au contraire à l’État de faire en sorte que de bonnes conditions soit réunies pour produire, pour vendre et pour en redistribuer les fruits : des compétences, un réseau de transports entretenu (accablante SNCF pourrie de syndicalisme « fier » de son travail… à Brétigny-sur-Orge !), des services publics efficaces, des impôts en phase avec ceux de nos partenaires et concurrents européens, des règles communes, aucun excès de règlementation par rapport aux autres.

Or les politiciens, et surtout les politiciens français, adorent réglementer ; ils ont l’impression de résoudre tous les problèmes en faisant de tout des lois. La société serait-elle rongée par l’angoisse de l’avenir plus que l’allemande, la belge, l’italienne ou l’anglaise ? Les autres s’adaptent – pas nous. Il nous faut du temps, et encore du temps, pour accoucher de compromis bancals – à renégocier deux ans plus tard. Entre les fonctionnaires qui ne justifient leur emploi que par la réglementation et la paperasse de contrôle, entre le poids des codes et procédures qui régentent toute vie quotidienne et rend impraticable la vie d’une entreprise normale, l’initiative française s’étiole et se perd… Comme si la gauche n’était que l’État (ignorant Marx qui le voyait dépérir…), et que l’État centralisé, jacobin, parisien, avait décidé de surveiller et punir toute vie sociale, la vie des gens, des collectivités et des entreprises. Pour exister contre « la droite » ? Pour se prouver que le politicien peut changer le monde ? Par super-égo d’immature soixantuitard ?

Quel détournement des réalités ! En 20 ans, le bac est devenu plus répandu, mais jamais la sélection par les seules maths n’a été aussi vive ; les bacs classiques reculent nettement, au profit des bacs technologiques et professionnels. Où est la fameuse « égalité des chances » dont se rengorgent les politiciens de gauche et que revendiquent manif après manif les syndicats d’enfeignants ? (Oui, feignants, pas tous mais les principaux, les syndiqués de l’ENAtionale : bornés, corporatistes, démissionnaires, contents d’eux, jamais assez payés et travaillant toujours trop d’heures, refusant toute évaluation). Selon l’enquête PISA, les origines sociales pèsent sur la réussite scolaire pour 22,5 % à cause des maths, contre 15 % en moyenne OCDE. La réponse « minable » (terme qu’affectionnait Jean-Marc Ayrault, ci-devant Premier ministre) a été la « déconstruction » des stéréotypes hommes-femmes… Lire, écrire, compter, on s’en fout ! Le socialiste au pouvoir ne se préoccupe que du politiquement correct entre zizi et foufoune, socialement Monsieur et Madame, au profit du genre unique. Même constat pour le mariage gai-trans-lesbien ou la poursuite de la clientèle putes : peut-être fallait-il le faire, mais était-ce le problème urgent à résoudre ? Là, on pouvait prendre du temps; pas sur le chômage ni sur la complexification des règlementations. « On veut du boulot, pas du mariage homo » est un slogan qui a fleuri sur les trottoirs et les murs des grandes villes : il résume à merveille la réaction des gens du peuple devant ces préoccupations de bobos nantis socialistes. L’égalité, le symbole, c’est bien, mais quand on ne fait rien par ailleurs, c’est trop : de l’amusement public, de la démagogie électoraliste, hors des VRAIES questions que sont l’emploi et les entraves à entreprendre ou créer. En plus, lorsque ces réformes « sociétales » ont été mal expliquées, mal préparées, mal rédigées, elles apparaissent comme du vrai travail d’amateurs !

Photo : Le cri du cœur du « street art » si cher aux bobos parisiens !

hollande sur un mur

Quant à l’Europe, les politiciens de gauche français sont-ils ignorants, ou incompétents ? Autant les Anglais et les Allemands savent placer des hauts fonctionnaires dans les rouages, autant les Français envoient les recalés du système électoral ou les ratés de la politique à Bruxelles (par charité, je ne cite pas de noms). La gauche française se moque de l’Europe et des électeurs français ; elle préfère ses petits calculs électoralistes pour promouvoir la carrière de ses affidés, sans aucun projet autre qu’un blabla universaliste à la Victor Hugo (bien daté pourtant…). L’incantation à la croissance et à l’emploi de François Hollande n’est que la reconnaissance de la puissance allemande et l’avilissement devant ses intérêts économiques. Avec la probable sortie du Royaume-Uni de l’UE, nous aurons une grande Allemagne avec une France croupion – puisque la gauche matamore reste incapable de mener à bien une quelconque réforme d’un État obèse, interventionniste et jacobin – dont elle profite à plein, comme une colonie de rats dans un fromage.

Lorsque le Front national a réussi l’inédit, obtenir près de 25% des voix (exprimées) aux élections européennes, qu’a fait le chef de la gauche au pouvoir ? RIEN. Il a décidé que rien n’allait changer, sauf le Premier ministre. Manuel Valls a toutes les qualités que François Hollande n’a pas : bonapartiste, décideur, rassembleur. Ce pourquoi il est nettement plus populaire que le Procrastinateur en chef. Mais François Hollande, jamais à une contradiction près, a tissé autour du Premier ministre et possible rival en 2017, une toile d’araignée de postes-clés à sa botte et de « conférences » sociales ou commissions qui l’enserrent et le contraignent. Manuel Valls ne fera pas ce qu’il veut ; autrement dit il ne fera rien qui fâche la présidence – donc rien du tout sur le fond. Mais ce ne sera pas (en apparence) Hollande le responsable… Comme si les citoyens étaient dupes.

Le seul sujet de préoccupation de François Hollande semble moins l’intérêt général que d’occuper les médias et divertir l’opinion. La croissance reste en berne (au contraire de nos partenaires européens), les impôts sont au maximum acceptable, la dépense publique reste incompressible faute de volonté, le chômage en hausse, les problèmes d’intégration communautaire de plus en plus pressants, la droitisation extrême en progrès : quel beau bilan !

Cela nous promet une rentrée houleuse, voire agitée…

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Hellénisme et christianisme selon Camus

Dans son diplôme d’études approfondies de philosophie, écrit en 1936 sous le titre ‘Métaphysique chrétienne et néoplatonisme’, Albert Camus tente de comprendre le christianisme au regard des Grecs et d’opérer comme une synthèse de la ‘mentalité’ méditerranéenne.

« C’est ainsi qu’on peut mettre à jour chez les Grecs et les Chrétiens des attitudes devant le monde irréconciliables. Tel qu’il se formule vers les premiers siècles de notre ère, l’hellénisme implique que l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. Ses temples sont construits à sa mesure. En un certain sens, les Grecs acceptaient une justification sportive et esthétique de l’existence. Le dessin de leurs collines ou la course d’un jeune homme sur une plage leur délivrait tout le secret du monde. Leur évangile disait : notre Royaume est de ce monde. C’est le « Tout ce qui t’accommode, Cosmos, m’accommode », de Marc Aurèle.

Cette conception purement rationnelle de la vie, – le monde peut être tout entier compris – conduit à l’Intellectualisme moral : la vertu est chose qui s’apprend. Sans toujours l’avouer, la philosophie grecque fait du sage un égal de Dieu. Et Dieu n’étant qu’une plus haute science, le surnaturel n’existe pas : tout l’univers se contre autour de l’homme et de son effort. Si donc le mal moral est une ignorance ou une erreur, comment insérer dans cette attitude les notions de Rédemption et de Péché ?

Au reste et dans l’ordre physique, les Grecs croyaient encore à un monde cyclique, éternel et nécessaire, qui ne pouvait s’accommoder d’une création ‘ex nihilo’ et partant d’une fin du monde. »

Pour ma part, ayant été endoctriné chrétien petit, avant de l’être marxiste adolescent, j’ai rejeté toutes ces illusions morales. Je ne crois ni en l’Ailleurs, ni en la Vérité comme absolu inscrit dans le ciel des Idées. Je crois au contraire que ces illusions sont dangereuses pour l’homme d’ici et de maintenant. On massacre toujours pour « obéir à Dieu » ou « créer l’Homme nouveau » et l’on promet toujours de raser gratis… demain. Ce qui m’importera toujours est l’aujourd’hui et mon prochain.

J’ai donc jeté par-dessus bord ces illusions dangereuses.

D’abord parce qu’elles ne permettent pas de vivre au présent mais seulement de récriminer sur ‘ce qui devrait être’ d’un avenir fumeux.

Ensuite parce qu’elles tendent à l’autoritarisme, sinon au totalitarisme, de ceux qui sont persuadés d’avoir raison contre les autres. Ils considèrent les autres hommes, pourtant égaux en dignité, comme des sous-citoyens, des ignorants primaires à l’âme d’enfant, incapables d’être adultes à part entière, aliénés par leur condition où atteints par hérédité de bêtise incurable. C’est malheureusement le lot des curés, des imams et des militants socialistes de vouloir imposer les vérités révélées par Moïse, par Jésus, par Mahomet ou par Marx, au commun des mortels. Dieu nous préserve des ‘missionnaires’ !

Je crois, comme Camus, que « l’homme peut se suffire et qu’il porte en lui de quoi expliquer l’univers et le destin. » Il construit un monde à sa mesure. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse chercher à dominer, à jouer à l’apprenti sorcier, ou à se prendre pour Dieu. Il est certes des choses dans le monde, Othello, qui dépassent toute la philosophie. Il est des mystères, dans l’esprit humain même, que les sages tibétains ou les moines zen découvrent comme le firent certains soufistes musulmans ou mystiques chrétiens. Mais restons dans ce monde-ci puisque nous sommes incapables, sauf présomption ou soif luciférienne de pouvoir, d’en concevoir un autre.

« Le surnaturel n’existe pas » car tout est inclus dans la nature – y compris ce qu’on ne comprend pas. Donc « la vertu est chose qui s’apprend » (alors que la morale, toute extérieure, s’impose), Aristote le disait déjà. La discipline zen comme la voie taoïste, l’éveil bouddhiste ou la simple éducation humaniste, sont des pistes bien plus généreuses que l’obéissance passive aux dogmes des religions du Livre, Marx inclus, soi-disant révélées un jour à de rares clercs qui en conservent les arcanes pour imposer leur pouvoir.

Albert Camus, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, 1936, Pléiade OC t.1 p.1000, €67.45

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Histoire de la Révolution française de Jules Michelet

En plus de 2500 pages (plus les notes, biographies et index), voici décrites ces cinq années de bruit et de fureur qui ont fondé la France. Michelet écrit en romantique, avec les outils de l’historien. Il est très proche des sources disponibles à son époque (1868 pour son dernier volume). S’il s’étend beaucoup sur la première période, s’il brade au galop la dernière, s’il s’arrête à la chute de Robespierre sans même évoquer le Directoire (1795), c’est parce qu’il considère que les deux années entre 1789 et 1792 ont plus fait pour la France que la suite. Elles ont changé un millénaire de féodalité. La suite, malheureusement, a préfiguré le XXe siècle…

En 1789, le peuple enthousiaste renverse la Bastille… et la démolit jusqu’aux fondations. Les États généraux de l’Ancien régime se constituent en Assemblée nationale qui devient Constituante. Mais la fuite du roi et son veto exécutif rendent la Constitution inapplicable. Les sections populaires envahissent les Tuileries en 1792 contre le roi « traître » et la reine « vendue à l’étranger ». Se forme à Paris une Commune insurrectionnelle. Une nouvelle assemblée est élue qui prend le nom de Convention. Elle ouvre le procès de Louis XVI le 11 décembre et exécute le roi par la guillotine le 21 janvier 1793, puis la reine. La guerre extérieure et les insurrections en province mettent en lumière l’absence de décision de cette assemblée qui adore palabrer mais se méfie de tout décideur. La Constitution de 1793, dite « de l’an I » est votée mais ne sera jamais appliquée, contrairement aux fumées qu’agitent aujourd’hui certain démagogue.

Pire : Robespierre manipule les partis (qu’on appelait clubs) et joue en virtuose des oppositions pour s’imposer comme « dictateur moral » (Michelet, 2 p.836), allant jusqu’à la posture de « nauséeux moraliste » (2 p.860). Il fait écraser les Girondins par les Jacobins, intimider la Convention par la Commune, centralise la France au Comité de salut public contre les tentatives fédéralistes, fait massacrer les Indulgents (Danton, Desmoulins) par les Ultras (Hébert), avant de se retourner contre eux. Excédée par cette Terreur institutionnelle – 1200 exécutions en 2 mois à Paris, dit Michelet 2 p.923, plus de 5000 selon les registres de Paris sur la période – la majorité des députés arrête Robespierre, Saint-Just et Couthon. Ils sont guillotinés sans jugement au lendemain même du 9 Thermidor-27 juillet 1794, selon la procédure expéditive même de Robespierre…

Cette accélération de l’épuration idéologique, ce reniement de justice, ces exécutions sommaires, ce sont toutes choses que Robespierre et Saint-Just ont voulues, établies. Ils en ont été les victimes. Pour Michelet, Robespierre jacobin persévérant (qualité politique) est un prêtre au fond (défaut moral). Sa quête éperdue de « pureté » passait en-dedans de lui-même, aiguillonnée par Saint-Just l’adolescent funèbre tout entier tourné vers l’utopie. L’idéologue Saint-Just « détestait le commerce et le proscrivait spécialement », écrit Michelet (2 p.851). Il tonnait contre « l’homme d’argent, le spéculateur » (2 p.830), être pourtant nécessaire à l’achat des biens nationaux confisqués à l’Église et aux émigrés pour financer la Révolution… La radicalité d’aujourd’hui reprend cet idéalisme de type communiste pour condamner toute relation humaine autre que politique. Proudhon, dans une lettre d’avril 1851 à Michelet, citée en préface à l’édition de 1868, déclare de Robespierre : « Ce qui m’indispose le plus contre ce personnage, c’est la détestable queue qu’il nous a laissée et qui gâte tout en France depuis vingt ans. C’est toujours le même esprit policier, parleur, intrigant et incapable, à la place de la pensée libérale et agissante du pays » 2 p.1003. On peut en dire autant aujourd’hui : « intrigant et incapable » reste le lot du démagogue de gauche jamais à court de promesses.

« Il est sûr que tout élément du vrai Tartufe y était, souligne Michelet dans sa préface de 1869 intitulée ‘Le tyran’. Ses moralités banales, ses appels à la vertu, ses attendrissements calculés, de fréquents retours pleureurs sur lui-même, enfin les formes bâtardes d’un faux Rousseau, prêtaient fort, surtout lorsque, dans cette rhétorique, discordait de façon criante tel brusque élan de fureur » 2 p.1019. Ce portrait politique paraît dessiné pour notre contemporain.

La Terreur de Robespierre profite de la lassitude du peuple pour s’installer. Il en sera de même en Russie et en Chine au XXe siècle. Il en a vite marre du bruit et de la fureur, le peuple ; il aspire à retrouver sa famille, un climat apaisé, et à vaquer tranquillement à ses affaires. Michelet sur le 9 Thermidor : « Un phénomène singulier, qu’aucun des partis n’attendait, apparut dans cette nuit : la neutralité de Paris. Ce qui se mit en mouvement, ou dans un sens ou dans l’autre, était une partie imperceptible de cette grande population. On aurait pu le prévoir. Depuis cinq mois, la vie publique y était anéantie. Partout les élections avaient été supprimées. Les assemblées générales des sections étaient mortes, et tout le pouvoir avait passé à leurs comités révolutionnaires, qui eux-mêmes n’étant plus élus, mais de simples fonctionnaires nommés par l’autorité, n’avaient pas grande vie non plus » 2 p.970. Une vraie politique à gauche de la gauche, sans voix au peuple, ce qu’agite aujourd’hui certain tribun dans l’enthousiasme des foules et l’ébahissement ravi des fonctionnaires bobos. Curieuse conception de « la démocratie »…

Comment tuer le vieil homme en Robespierre, cet Ancien régime dans lequel il a été élevé ? « La société doit s’épurer. Qui l’empêche de s’épurer veut la corrompre, qui veut la corrompre veut la détruire » 2 p.763. Après Saint-Just, c’est ce que dira plus tard Lénine ; Staline déclenchera la même Terreur que celle de Robespierre, aussi aigri, paranoïaque du Complot, voyant des ennemis partout, étrangers ou émigrés, « à la solde » des puissances extérieures, avec l’instrument fondé par Trotski, la police politique, cette Tcheka si proche du Tribunal révolutionnaire où le jugement est fait d’avance… Michelet 2 p.877 : « Cinquante jurés, robespierristes. Plus de défenseurs. ‘Défendre les traîtres, c’est conspirer. (…) Plus d’interrogatoire préalable. Plus de dépositions écrites. Plus de témoins, s’il n’est absolument nécessaire. La preuve morale suffit’ » 2 p.877. Les procès staliniens, fascistes et nazis, les autocritiques maoïstes, les déportations polpotistes sont de cette eau. Ceux que fait Mélenchon aux journalistes ou à quiconque le critique aussi. « La preuve morale » est analogue au bon vouloir royal. Le chef du parti au pouvoir décide souverainement du Bien et du Mal, comme s’il représentait Dieu sur la terre.

Un exemple de cette absence de « contrepouvoirs » dans les institutions, dont un soi-disant féru de politique s’étonne (provocation ou sainte ignorance ?) qu’on puisse encore l’évoquer : Michelet 2 p.836 : « Un Hébertiste qui menait la section des Quatre-Nations, ans laquelle demeurait Prudhomme, fit à lui seul toute l’affaire : 1° il dénonça Prudhomme à l’assemblée générale de la section (…) ; 2° président de cette assemblée, il prononça lui-même la prise en considération de la dénonciation, et fit décider que l’accusé irait au Comité révolutionnaire ; 3° il présida le Comité et fit décider l’arrestation ; 4° il la fit lui-même, à la tête de la force armée. » Sans contrepouvoirs, point de démocratie, mais la puissance unique et tyrannique de la minorité agissante, des chefs les plus violents, contre la majorité silencieuse, lasse d’être mobilisée en permanence. Telle est l’essence du bolchevisme, Lénine-Trotski-Staline confondus en manipulation politicienne. Tels étaient Robespierre et Saint-Just.

Croyez-vous que ce parallèle entre les terreurs du XXe siècle et celle de Robespierre soit polémique ? Lisez plutôt cette remarque inouïe de Michelet ! « Un architecte (…) imagina un monument pour la combustion des morts qui aurait tout simplifié. Son plan était vraiment propre à saisir l’imagination (…) Au centre, une grande pyramide, qui fume au sommet et aux quatre coins. Immense appareil chimique qui, sans dégoût, sans horreur, abrégeant le procédé de la nature, eût pris une nation entière… » 2 p.928. Que la Révolution accouche du crématoire grâce à Robespierre devrait en faire réfléchir plus d’un ! La Raison des Lumières a permis la libération de certaines contraintes de nature (la naissance, la famille, le clan, l’asservissement, la religion, les croyances). Mais l’excès de la Raison, son délire logique, aboutit à ce que l’on a vu : le jacobinisme botté de Napoléon, la mission coloniale, le paternalisme de parti, l’État totalitaire.

Il faut savoir raison garder.

Lorsque l’on constate que Robespierre et Saint-Just sont les héros historiques de Mélanchon, l’électeur se dit qu’il y a manipulation de l’histoire à des fins personnelles. Les fans sont soit naïfs et ignorants (c’est souvent la même chose), soit jouent les idiots utiles pour la venue d’un parti qui ne leur fera aucun cadeau. Donner une voix au ressentiment est une chose, construire le monde de l’avenir une autre : on ne le fait jamais seul, ni sur une table rase. « Ne pas voir ce que les temps exigent, se répandre en vaines paroles, se mettre toujours en avant sans s’inquiéter de ceux avec qui l’on est, cela s’appelle être un sot… » – c’est pourtant ce que déclara Saint-Just sur Robespierre ! (2 p.760) Une précision encore, de Michelet : « Robespierre, comme je l’ai dit, fut anti-socialiste. Même l’innocente idée des Banquets fraternels, où chacun, dans la disette, descendait, apportait son pain, cela même il le proscrivit » 2 p.1021… Nul trotskiste n’a jamais été socialiste – loin de là ! Pas plus Mélenchon qu’un autre.

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