
Ce roman qui venait du Brésil a connu un succès mondial, et la mode en France s’y est mise à la fin des années 90. C’est qu’il est d’un cœur simple, un conte initiatique, donnant le sens de la vie. Oh, pas une grande innovation – mais la simple reprise de la philosophie antique, la vie bonne à la Montaigne.
Un jeune berger andalou nommé Santiago a été assigné au séminaire par ses parents jusqu’à 16 ans pour obtenir une situation. Mais lui s’est rebellé intimement, il a voulu devenir berger. Il est allé, avec ses moutons, par les chemins et par les prés, l’homme et les bêtes s’apprivoisant l’un l’autre. Et puis un soir, au pied d’un sycomore poussant dans une église en ruines, l’odeur du désert apporté par le vent du sud, venu du Sahara, a poussé le garçon à se demander si sa vie allait n’être que cette stabilité trouvée. Allait-il épouser la fille du commerçant, rester expert en brebis et en laine, et revivre jour après jour le même jour ?
Première leçon : un roi lui est apparu dans un rêve, pas moins que le Melchisédech de la Bible, qui l’enjoint à découvrir sa Légende personnelle. Autrement dit à devenir soi-même. Trouver sa voie. Bâtir sa vie. Rien de très neuf, on le voit… Le berger vend ses moutons, après avoir prélevé la dîme pour le roi conseiller. Il va trouver une gitane qui prédit la bonne aventure. Elle lui apprend qu’il découvrira un trésor au pied des pyramides d’Égypte, et ne veut pas se faire payer, préférant 10 % du trésor lorsqu’il l’aura découvert.
Seconde leçon : voilà donc notre ex-berger parti, nanti du pécule obtenu de la vente des moutons, par-delà la mer jusqu’à Tanger. Là, misère, tout le monde parle arabe, ne boit surtout pas de vin, et le jeune homme ne sait trop comment aller en Égypte. Un jeune Arabe l’aborde et lui parle en espagnol ; il lui fait confiance, malgré le cafetier qui vocifère en arabe. Le jeune homme a eu tort, il est naïf, n’a rien compris au nouveau pays, croyant qu’il était comme le sien. Il a fait confiance sans savoir – et le jeune Arabe le vole en emportant son argent au prétexte d’aller acheter deux chameaux pour l’Égypte. Toute bêtise se paye en ce monde.
Troisième leçon : ne pas se laisser abattre. A nouveau pauvre comme Job, le garçon se propose comme employé d’un magasin de cristaux, s’offrant à nettoyer les objets contre un repas. Le patron, qui est musulman et a l’obligation religieuse de donner à manger à ceux qui le demandent, accepte. Les cristaux qui reluisent à nouveau attirent des clients ; le bouche à oreille – dit téléphone arabe – fait son office. Le jeune employé propose d’établir un éventaire à l’extérieur pour montrer la marchandise. Les clients se multiplient. Comme le magasin est isolé en haut d’une côte, les clients sont essoufflés et ont soif. Le garçon propose de servir le thé, assis, et dans les coupes de cristal de la boutique. Succès accentué, les clients sont ravis et voient comme un luxe les cristaux, qu’ils rapportent à leurs femmes ou donnent en cadeau. Le patron, qui avait proposé de payer son employé par un pourcentage des bénéfices, sans croire au succès, renfloue l’ex-berger volé. Celui-ci peut donc partir en Égypte s’il le veut.
Quatrième leçon : mais va-t-il le faire ? Le voilà commerçant avisé, nanti d’une expérience plus riche et d’un pécule qui lui permet soit de s’associer au cristallier, soit de retourner en Andalousie pour racheter ses moutons et épouser la fille. Dilemme. Quelle est sa Légende personnelle ? Croit-il à son Trésor ? S’il y croit, il doit suivre son destin. Ce qu’il fait, non sans avoir hésité. Il joint une caravane qui traverse le Sahara vers l’Égypte. Il fait la connaissance d’un Anglais féru d’alchimie, qui cherche la vérité dans les livres. Sa Légende personnelle est de trouver la Pierre philosophale afin de pouvoir transformer le plomb en or, et l’Élixir de longue vie. Mais trouve-t-on la philosophie uniquement dans les livres ? Et l’or pour quoi faire ? Et la vie longue pour quel but ? Le jeune garçon préfère observer le désert et suivre un chamelier qui lui apprend les Signes.
Cinquième leçon : la bonne philosophie est de se laisser être. Tout peut être signe à qui observe attentivement. La sagesse est de s’accorder au monde et cette harmonie fait que tout vient à point à qui sait attendre – et voir. Ainsi le garçon observe-t-il deux éperviers au soir qui tracent le signe d’une menace. Les tribus bédouines se font la guerre et l’une d’entre elle, affaiblie, songe à envahir l’oasis. Or, par tradition religieuse au-dessus des tribus, tout oasis est une zone de paix où sont les femmes et les enfants. Le jeune homme va trouver les chefs et leur expose les signes. Ceux-ci ne le croient guère mais le chef des chefs – qui est chef parce qu’il est avisé et prudent – se dit qu’il vaut mieux prévenir. Les hommes se réarment au cas où. Et l’attaque survient, par ruse, comme les Arabes savent le faire. Mais à rusé, rusé et demi : les guerriers qui sortent leurs sabres courbes dessous leur djellaba sont entourés, massacrés, leur chef pendu. Le garçon est regardé avec respect, payé de cinquante pièces d’or, et nommé Conseiller de l’oasis. Une fois encore, va-t-il se reposer sur ses lauriers et épouser la jeune Fatima, qui lui apparaît comme la femme de sa vie, et réciproquement ? Il rencontre un Alchimiste qui lui apprend qu’il ne faut jamais se relâcher, aimer le désert mais ne pas s’y fier entièrement. Donc rester soi, sans s’abandonner aux choses, ni aux êtres. Il l’encourage donc à poursuivre.
Sixième leçon : aller jusqu’au bout. Le jeune homme hésite, puis se décide : il ira au terme de son voyage, il verra les pyramides. Les apprentis alchimistes qui cherchent seulement l’or ne trouvent rien car ils cherchent le trésor de leur Légende personnelle sans vivre cette même légende. Or c’est la voie qui compte, pas le but – le zen japonais l’enseigne depuis deux millénaires, tout comme les moines d’Occident. « Les sages ont compris que ce monde naturel n’est qu’une image et une copie du Paradis », dit l’Alchimiste au jeune homme p.172 (pagination J’ai lu édition 1996). Autrement dit, tout se trouve dans la nature, il suffit de le comprendre. Quand on est dans le désert, il faut se plonger dans le désert. L’âme du monde est dans le moindre grain de sable. Mais la raison observatrice et analytique ne suffit pas, il faut aussi écouter son cœur, faire la paix avec lui, ses craintes et ses emballements.
Septième leçon : le trésor n’est jamais loin, si on le cherche vraiment. Des guerriers dans le désert font prisonnier le jeune homme et l’Alchimiste. Celui-ci leur donne l’or du garçon, qui redevient à nouveau pauvre. Mais il reste en vie, ce qui est, convenons-en, la plus grande richesse. Il l’encourage à apprivoiser le vent. « Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve impossible : c’est la peur d’échouer » p.191. Le simoun souffle tellement qu’ils peuvent illusionner les guerriers et partir. « Et le jeune homme se plongea dans l’âme du monde, et vit que l’âme du monde faisait partie de l’âme de Dieu, et vit que l’homme de Dieu était sa propre âme. Et qu’il pouvait, dès lors, réaliser des miracles » p.203. La sagesse, c’est aussi simple que ça.
Enfin, les pyramides d’Égypte s’étalent dans la plaine. Le garçon creuse, mais ne trouve rien. Des hommes surviennent, qui le menacent et le forcent à creuser pour ce trésor qu’il doit trouver, mais rien. Leur chef dit alors qu’il est idiot, que lui-même a fait un rêve semblable, un trésor au pied d’un sycomore poussant dans une église en ruines, en Andalousie. Foutaises ! Le jeune homme a l’illumination : il a trouvé son trésor. Il est là où il a toujours été, pas besoin de courir le monde. Sauf que courir lui a permis de devenir, et que cette initiation du voyage et de l’expérience a fait de lui un homme.
Comme on le comprend, rien de neuf en sagesse. Le succès – 150 millions d’exemplaires en 80 langues – est dû à la forme du conte, qui fait rêver ; aux chapitres très courts, qui permettent de zapper entre temps vers le smartphone ; au langage minimal, que même les peu lettrés arrivent à comprendre ; aux aphorismes bien tranchés, qui font des slogans cultes ; à sa philosophie de la vie rejetant les livres et la culture, qui demandent trop d’efforts, contre la simple observation et l’accord avec ce qui survient – qui convient à la flemme fondamentale d’aujourd’hui. Un livre de philosophie pour les nuls, adapté à l’individualisme croissant qui frise l’égoïsme narcissique – en bref, tous les tropismes de la jeunesse depuis trente ans.
Cela dit, sa lecture est agréable et les leçons qu’il donne toujours bonnes.
Paulo Coelho, L’Alchimiste (O Alquimista), 1988, J’ai lu 2021, 160 pages, €7,90, e-book Kindle €5,49
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