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Le retour de l’Étrange défaite…

Il y a 10 ans, en 2014, année où Poutine a envahi, occupé et annexé la Crimée sans que personne ne réagisse autrement que comme à Munich en 1938 – par des paroles vaines – j’analysais sur ce blog le Bloch de L’Étrange défaite. Nous y revenons aujourd’hui parce que l’actualité remet le livre au goût du jour et parce que le jeune Emmanuel Macron fustige la lâcheté des dirigeants européens, notamment allemands, face à l’impérialisme botté de Poutine.

Marc Bloch fut un citoyen français patriote et républicain, adepte des Lumières. Né juif alsacien intégré depuis le XVe siècle, il est devenu historien et fondateur avec Lucien Febvre des Annales d’histoire économique et sociale en 1929. Il a été mobilisé, s’est battu contre l’Occupant, a résisté et a été fusillé par la Gestapo en 1944, à 57 ans. L’Étrange défaite est son testament, son analyse à chaud de la lamentable défaite française de 1940, en quelque semaines seulement alors que l’on « croyait » l’Armée française la première d’Europe.

Ce qui s’est effondré, dit-il, c’est le moral. Le commandement a failli, mais surtout les élites avachies dans l’inculture et la bureaucratie, les petit-bourgeois des petites villes assoupies dans l’hédonisme de l’apéro et de la sieste, le pacifisme « internationaliste » qui refuse tout ennemi – alors que c’est l’ennemi qui se désigne à vous et pas vous qui le qualifiez. Poutine est comme Hitler : impérialiste et implacable. Certes, son armée « rouge » a prouvé qu’elle n’était pas à la hauteur de la Wehrmacht en 1940, mais sa volonté et son obstination sont là sur des années.

C’est un fait. Nous devons le prendre en compte et ne pas nous bercer d’illusions. D’autant que l’alliance OTAN est menacée par le foutraque en passe de revenir à la Maison blanche et que les États européens restent dispersés dans la défense commune.

Dès lors, deux attitudes en France : se coucher ou résister.

Les partis extrémistes des deux bords sont avides de se coucher.

A l’extrême-gauche par haine des États-Unis et de leur impérialisme culturel et économique – contre lequel l’extrême-gauche ne fait d’ailleurs quasiment rien, portant jean, bouffant des MacDo, succombant au Mitou et au Wok (marmite où faire rôtir les petits Blancs délicieusement machos et racistes), écoutant le rap de là-bas, ne rêvant au fond pour ses électeurs maghrébins que d’émigrer dans ce grand pays où tout est possible. Je me souviens des propos tenus derrière moi par deux Arabes de France partant à New York, dans le même avion que je prenais : « Aux États-Unis, je ne me sens pas Arabe, je suis un Blanc comme les autres ; pas un Latino, ni un Noir. »

A l’extrême-droite pour les affinités pétainistes que véhicule Poutine et sa restauration de la religion, des traditions, du nationalisme souverainiste, de son ordre moral. Le Rassemblement national a emprunté à une banque russe mafieuse proche de Poutine, Marine Le Pen a rencontré et s’est fait prendre (en photo) par le viril Vladimir, les militants rêvent de muscles à son image et de la même impassibilité dans la cruauté envers les bougnoules de France que Poutine a manifesté contre les Tchétchènes de Russie.

Les partis de gouvernement ne veulent pas rejouer la défaite de 40 après l’abandon de Munich.

Mais ils sont velléitaires, ayant peur du populo, peur de l’opposition, peur des élections. Il faudrait réarmer, mais avec quels moyens quand on a tout donné au social sans jamais que ce soit assez ? Il faudrait entrer en « économie de guerre », mais pour cela contraindre les grandes entreprises à transformer l’appareil de production, quitter le tout-marché pour une économie administrée, ce qui fait mauvais effet à trois mois des élections européennes et à trois ans d’une présidentielle. Car, si le terme est utilisé par le ministre de la Défense dès début 2023, il reste technocratique et a minima. Il faudrait lancer un « emprunt pour la Défense », mais ce serait inquiéter la population, déjà « fragilisée » par les revendications catégorielles (éleveurs, profs, policiers municipaux…). Ou flécher le Livret A, mais au détriment du sempiternel « social » où il n’y a jamais assez pour aider, assister, conforter… Donc, plutôt que de mobiliser, les partis de gouvernement minimisent et en font le moins possible.

Dans la troisième partie de L’Étrange défaite Marc Bloch effectue « l’examen de conscience d’un Français. » L’État et les partis sont à coté de la plaque. C’est déjà « l’absurdité de notre propagande officielle, son irritant et grossier optimisme, sa timidité », et surtout, « l’impuissance de notre gouvernement à définir honnêtement ses buts de guerre ». Aujourd’hui, en effet, quels sont nos buts de guerre ? Aider l’Ukraine à résister ? Mais pour combien de temps et à quel prix ? Et ensuite ? Ou si cela échoue ?

Immobilisme et mollesse du personnel dirigeant sont frappants aujourd’hui comme hier. Déjà les syndicats à l’esprit petit-bourgeois se montrent obsédés par leur intérêt immédiat, au détriment de l’intérêt du pays. Déjà les pacifistes croient naïvement que « la négociation » est la meilleure des armes plutôt que la guerre qui touchera le peuple et profitera aux puissants. Mais que vaut la diplomatie face à un menteur impérialiste ? Munich l’a montré : Hitler promet et s’assied sur ses promesses, il s’agit juste de gagner du temps. Poutine fera de même, car il raisonne de même et ce qui compte à ses yeux est de reconquérir les provinces irrédentistes peuplées de russophones, comme pour Hitler les provinces peuplées de germanophones – il l’a clairement déclaré. Comme il suffisait de lire Mein Kampf, il suffit de lire les discours de Poutine ou une analyse de sa doctrine.

Les bourgeois égoïstes se foutent du populo inculte qui ne lit plus, abêti par l’animation au collège public (au détriment de l’éducation), laissé pour compte par des parents démissionnaires (qui n’élèvent pas). Les médias, à la botte de quelques oligarques imbus d’idéologie conservatrice, ne font rien pour éclairer les enjeux (à l’exception des chaînes publiques comme la 5 ou Arte). Aujourd’hui comme hier, tous ne pensent qu’à s’amuser, « aller boire une bière en terrasse » avant d’aller baiser en boite. Le sentiment de sécurité rend impensable la guerre, oubliée en Europe depuis trente ans, d’ailleurs en Yougoslavie, pays ex-communiste.

Pacifisme, ligne Maginot, diplomatie d’alliances – tout cela devait nous éviter en 1940 de faire la guerre. Mais la guerre est survenue. C’est toute la mentalité administrative qui devait alors la faire… « L’ordre statique du bureau est, à bien des égards, l’antithèse de l’ordre actif et perpétuellement inventif qui exige le mouvement. L’un est affaire de routine et de dressage ; l’autre d’imagination concrète, de souplesse dans l’intelligence et, peut-être surtout, de caractère » (p.91). Hier comme aujourd’hui, les procédures, les normes, les règles, en bref la paperasserie tracassière sont au contraire de la clarté et de la rapidité qu’exige la guerre. Avec la prolifération des bureaux et des normes (pour justifier leur poste), nous en sommes loin ! A quand la suppression de pans entiers du contrôle administratif qui ne sert pas à grand-chose (toujours insuffisant et trop tard), mais qui lève constamment des obstacles à toute entreprise ?

Un espoir ? Marc Bloch écrit p.184 : « J’abhorre le nazisme. Mais, comme la Révolution française, à laquelle on rougit de la comparer, la révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la tête de l’État, des hommes qui, parce qu’ils avaient un cerveau frais et n’avaient pas été formés aux routines scolaires, étaient capables de comprendre ‘le surprenant et le nouveau’. Nous ne leur opposions guère que des messieurs chenus ou de jeunes vieillards. » Beaucoup de dirigeants jeunes surgissent en France (hélas, pas aux États-Unis ni en Allemagne !). Le président Macron est lui-même jeune. Est-ce pour cela que le sursaut est possible ?

Marc Bloch, L’Étrange défaite, 1946, Folio 1990, 326 pages, €13,10, e-book Kindle gratuit

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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A poil

Les interrogations des moteurs de recherche qui atterrissent sur ce blog ne laissent jamais de m’étonner. Il y a bien sûr les sérieuses, les documentaires, celles qui cherchent à connaître : zone euro, argoul, pont des amoureux paris, marine le pen, génocide arménien… Et puis il y a tous les « nu », comme il est de mode d’ajouter, paraît-il à tous les noms (au cas où…) : fille nue, seins nus, tahitienne nue, vahiné nue, ado nu… Marine Le Pen voisine avec vahiné nue.

requetes blog depuis origine

Jusque là, c’est du gros, de l’interrogation de masse. Mais il y a aussi les interrogations particulières, évidemment plus rares, parfois poétiques, parfois ouvertement sexuelles avec des redondances : coureuses nues, seins à l’air maghrébines photoshoot, garçon le plus sexi de 10 ans nu (!), jeune fillette nue à la plage… J’ai même trouvé la recherche « gamin gai de 4 ans » ! Comme si l’on pouvait « être » gai, avoir une quelconque orientation sexuelle à 4 ans. Il est vrai que les Yankees croient ça génétique.

requetes blog

Le plus beau est quand même « un jeune mec arabe à poil à la campagne » que vous pouvez lire sur le tableau des interrogations récentes. Pourquoi arabe ? Frustration musulmane ? Érotisme des banlieues ? Imaginez, l’adolescent dans sa campagne maghrébine, quelque part dans les collines semées de buissons où pousse une herbe rare. Il est tout seul, sensuel, il se met à poil – comme ça. Personne pour le voir, sauf les chèvres. Peut-être lui prend-t-il l’envie de s’en faire une, comme on dit que cela arrive ? Il n’est pas bien vieux s’il est dans la campagne, à garder les chèvres, tout juste pubère sans doute. Vous voyez le fantasme ?

Désolé, mais j’ai peu à offrir à ce genre d’imaginaire sur ce blog. La vue la plus approchante que j’ai pu trouver est ici – mais vous allez être déçu : c’était en noir et blanc, il y a près de 40 ans, et de très loin. La campagne était peuplée à l’époque, et les campagnards assez libres, mais entre eux – et jamais tout seul à la campagne.

jeunes mecs arabes a poil dans la campagne

Une autre interrogation porte sur « chatte toute nue ». J’ai trouvé cela mignon. Afin de ne pas décevoir, j’ai demandé à une copine de 14 ans de mes ados de me montrer sa chatte. Pas de problème ! J’ai pu même la caresser à poil, c’est doux et lustré, tout chaud sous la main. Elle ne porte jamais rien sur elle, la chatte, tout comme Marylyn Monroe. L’adolescente m’a même autorisé à prendre sa chatte toute nue en photo. Vous avez le résultat ci-après. N’est-ce pas tentant ?

chatte toute nue

L’été excite l’imaginaire, la réalité des plages est moins riante. Mais avouez qu’il y a de quoi s’amuser à la lecture des interrogations naïves des blogs.

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Diderot, Les bijoux indiscrets

Denis Diderot n’a pas édité que l’Encyclopédie. En ses jeunes années, il s’est amusé à singer les romans de cour qui paraissaient clandestinement, tout en faisant les délices des ducs et des marquises à la cour de Louis XV. L’arrière petit-fils de ‘L’État c’est moi’ préférait trousser les cotillons aux pesanteurs du gouvernement. La grande affaire, puisqu’il n’y avait rien à faire, était de s’amuser. Diderot a 35 ans lorsqu’il compose ce conte philosophique pornographique.

Entré à dix ans chez les Jésuites, le bachelier en théologie Denis Diderot vient de faire la connaissance du calviniste Jean-Jacques Rousseau, dépucelé ado par une aristocrate. Conter fleurette le distrait du sérieux encyclopédique dont les articles commencent de paraître officiellement en volumes (avant d’être bientôt interdits par la bienséance et la toute-puissance d’église). Diderot est matérialiste, il ne croit pas que l’âme – ce qui anime – vienne ailleurs que du corps et de l’expérience de la vie. Ce pourquoi il conte que l’âme commence par les pieds chez le tout petit enfant, avant de remonter par degré jusqu’aux cuisses et au cœur chez l’adolescent, pour ne parvenir à la tête qu’à l’âge mûr.

Où est la vérité ? Dans la pratique ou dans la théorie ? En métaphysique ou dans cette bonne vieille physique de notre monde ? Les êtres humains parlent par la bouche et ils croient que cela est sagesse. Mais les lèvres menteuses ne manquent pas, ce qui rend le vrai tout relatif. N’est vrai que ce que l’on croit vrai. « Je voudrais bien que vous me dissiez à quoi sert cette hypocrisie qui vous est commune à toutes, sages ou libertines. Sont-ce les choses qui vous effarouchent ? Non ; car vous les savez. Sont-ce les mots ? En vérité, cela n’en vaut pas la peine. S’il est ridicule de rougir de l’action, ne l’est-il pas infiniment davantage de rougir de l’expression ? » p.57 Ceux qui prennent le mot pour la chose, la loi pour son exécution, ou l’idée du bien pour le bien même, sont ici clairement visés. Le mot chien ne mord pas, rappellera finement William James.

Comment savoir ? Diderot invente de faire parler le bas des femmes, cette autre bouche munie d’une sorte de larynx qui émet lui aussi des bruits dans le mouvement. Il s’agit du « bijou » de la femme, qu’on appelle « de famille » lorsqu’il s’agit des hommes. Cette invention sera copiée de nos jours par les ‘Monologues du vagin’, avec tout l’égoïsme et la vulgarité d’aujourd’hui. Car ce ne sont pas les mauvais livres ou les mauvais spectacles qui font les mœurs d’un peuple ; mais ce sont les mauvaises mœurs d’un peuple qui font écrire les mauvais livres et surgir les mauvais spectacles.

Diderot écrit un conte, dans un français du XVIIIe siècle fort agréable à lire. Ce qui est trop cru est mis en langues étrangères, comme ces étonnants paragraphes en anglais, italien et espagnol, dont la traduction ne déparerait pas l’Apollinaire des ‘Onze mille verges’. Tout ceci se passe dans une cour d’un pays fabuleux, le Monomotapa, qui mélange l’Afrique, le proche et le moyen Orient, prenant des traits du Grand Turc, du grand Moghol et des « bramines » indiens. Ces « musulmans » troussent volontiers les femmes des autres tandis que le Prince vit comme à Versailles, allant souvent « à Montmartre » ou autres lieux familiers. Il y rencontre ces « polémiques » à la française qui font le seul divertissement intellectuel des sociétés de cour : les Anciens contre les Modernes, les dévots contre les beaux esprits, les lullistes contre les ramistes, les vorticoses contre les attractionnaires… Diderot s’amuse à énoncer des paradoxes pour renvoyer tous ces intellos qui se croient à leur étroitesse d’esprit. Le savoir, en société de cour, est un arrivisme, pas une mission : on recherche la gloire plus que la vérité. Le choix du Monomotapa pour ce dépaysement à la Montesquieu n’est qu’un masque de Venise pour dire et faire ce qu’on veut sans paraître offenser quiconque. Admirable hypocrisie des sociétés de cour…

Cela donne un conte bigarré où l’anneau donné par le génie Cucufa sert au prince à faire parler les cons tout en restant invisible. Il en apprend de belles sur les dessous de la vertu. « Trois choses meuvent puissamment [les femmes], l’intérêt, le plaisir et la vanité (…) celles qui les réunissent toutes trois sont des monstres » p.181. C’est cela, une société de cour : un perpétuel théâtre où chacun simule pour se poser, jouant son rôle choisi pour en faire accroire. La France de nos jours au palais de l’Élysée, comme celle des Congrès socialistes, attisée par les médias avides de scoop pour faire du fric et se monter les uns sur les autres, reste bien aujourd’hui cette société du spectacle que Diderot analysa.

Défiée par sa sultane Mirzoza, le prince Mangogul cherche la fidélité désespérément. Mais il a beau tourner et retourner la bague à son doigt devant les femmes d’apparence les plus sages, ce ne sont que fantasmes et passages à l’acte répétés. Ne croit-il pas avoir trouvé la vertu d’un vagin à qui les hommes déplaisent… qu’il découvre une gouine ! Les hommes cavaleurs trouvent leur équivalent féminin sans problème – puisque la chose ne se peut faire qu’à deux. En ceci Diderot est féministe, égalitaire plutôt, le désir n’a pas de sexe mais se manifeste en tout être. Il ne faut croire ni les curés ni les romans : « Voilà, madame, répondit le sultan, comme les romans vous ont gâtée. Vous avez vu là des héros respectueux et des princesses vertueuses jusqu’à la sottise, et vous n’avez pas pensé que ces êtres n’ont jamais existé que dans la tête des auteurs » p.213. Toute la critique du futur romantisme, dont s’est gorgé Hugo entre autres, est ici contenue.

La vérité n’est-elle pas celle des corps dans ce monde plutôt que celle des abstractions inventées au-delà ? Libertin n’est pas libertaire, mais les deux concepts contiennent la liberté : celle des corps mène à celle des esprits et c’est cela qui effraie « les corps constitués », qui n’ont de chair que les règlements qu’ils imposent unilatéralement à tous au nom du Bien. Si Diderot secoue la raison avec l’Encyclopédie, il remue les bas-ventres avec les contes, dans une même démarche visant à mettre bas le joug totalitaire du roi et le dogme d’église. Dans la lignée de Montaigne, il est sceptique, contre ce qu’on appellera l’Ancien régime évidemment, mais aussi contre ce progrès sûr de lui-même et dominateur qui devient dès cette époque une idéologie.

Cet opus ludique est unique dans l’œuvre, Diderot reviendra bientôt aux sujets plus graves que sont ‘La religieuse’ et ‘Jacques le fataliste’. Malgré ses longueurs parfois, pour les lecteurs d’aujourd’hui qui aiment aller droit au but, ‘Les bijoux indiscrets’ gardent cette exubérance qui a fait la réputation du bonhomme. Ils se lisent avec plaisir. Le lecteur en sort avec ce paradoxe, qu’il met longtemps à ruminer, que la vérité sort moins du haut que du bas, moins de la raison que des instincts – peut-être moins des écrits intellos que de la sagesse populaire. « Nos vertus ne sont pas plus désintéressées que nos vices » p.213. La pulsion du vagin est plus vraie que les illusions de la bouche. Ce que verra un siècle plus tard Nietzsche et, encore un demi-siècle après, Freud.

De là à penser que toute vérité est une connerie…

Denis Diderot, Les bijoux indiscrets, 1748, Gallimard Pléiade 2004, Contes et romans, édition Michel Delon, 1300 pages, €52.25

Denis Diderot, Les bijoux indiscrets, Folio, 1982, 320 pages, €6.93

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Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band

Seuls les amoureux de Céline se pâmeront sur ce roman inachevé, touffu et délirant. Je l’ai trouvé plein de longueurs, d’invraisemblances grotesques, de verve archaïque vautrée dans le popu complaisant. Il y a de belles trouvailles (j’en ai relevé ci-après) mais engluées dans le trop-plein. Céline, qui connaît bien l’anglais, joue sur le mot ‘band’ pour signifier qu’il est emberlificoté dans son destin, parmi les autres, dans ce milieu qu’il aime et déteste à la fois. Band est le lien, la bande, la troupe, la fanfare, l’orchestre – mais aussi bander à la française. Il y a de tout ça dans ce machin de 676 pages Pléiade, sans les appendices inachevés ! Rendons hommage au travail d’édition d’Henri Godard, pas facile avec ses manuscrits dispersés, son argot vieilli et ses allusions perdues.

Nous sommes en 1916, Destouches continue de broder sur son histoire personnelle. Blessé en 1914, réformé à 80%, il a 20 ans et tente à Londres de commencer une existence jusqu’ici toujours contrainte par les parents, l’école ou l’armée. Mais il n’est bon à rien, pas même à la fidélité envers ceux qui l’aident. Il se laisse ballotter par tout ce qui survient, se monte des imaginations, va lui-même ouvrir la porte aux malotrus, se dit qu’il faudrait s’éjecter mais reste sur son cul à rien foutre. En bref le clampin puceau, incapable et impuissant. Dès lors, l’histoire manque ; la seule chose qui fait tenir ce roman est le style, toujours le même, ambiance délire, bouffées hallucinatoire,  divagations de trépané, les trois points à toutes les sauces et un vocabulaire d’arsouille. L’énormité remplace le talent. Certes, l’œuvre a été maintes fois reprise puis abandonnée, recommencée à divers stades de l’existence mouvementée de l’auteur, jamais élaguée sur le tome II, mais enfin… Quand Céline a un fil conducteur, sa verve passe bien ; quand il ne sait pas où va, ça tourne vite lancinant et lasse.

En gros, le roman veut traduire le désastre d’une existence personnelle prise dans le cataclysme d’une guerre suicide européenne. Pourquoi pas ? Mais le milieu des putes et boxons français à Londres, durant la Grande guerre, est-il bien choisi pour ce faire ? Londres est une ville où il fait bon vivre en 1916 car assez loin des champs de bataille, sauf quelques zeppelins bombardiers, et où l’on sait s’amuser. La société est restée très victorienne, l’apparence rigide masque le défoulement sans limites des passions. Ce ne sont que théâtres, bars, « musique nègre », pelotages et coups vite faits. Le War Office organise un concours du meilleur masque à gaz pour l’armée et voici Ferdinand embringué avec un faux chinois, bateleur français, pour jouer l’inventeur auprès d’un colonel à nièce.

La môme a dans les 12-13 ans, cuisses musclées sous jupette courte, beaux yeux bleu myosotis et boucles blondes. Rien de tel pour faire chavirer Céline, assez pédophile pour les petites anglaises. « Elle est trop agréable fleur ! oui fleur… je respire… bleuet !… oiseau j’ai dit… j’aime mieux oiseau… tant pis ! Je suis ensorcelé… bleuets ses yeux… une fillette… et ses jupes courtes !… » p.334. Il tente bien un vague équilibre romanesque avec la femme de son pote pseudo-chinois, Pépé, qui papouille et baisotte à bouche goulue un jeune laitier. « Et la grosse bise au petit garçon… Encore une autre ! une autre grosse bise ! dear little one !… Et que je te l’empoigne le petit bougre ! il est cajolé, trifouillé, pourléché, emmitouflé, en moins de deux ! dans les caresses ! là sur le paillasson ! là tout debout !… le poupon commissionnaire !… Ah le petit giron !… Il se tortille, il glousse de même !… ça doit pas être la première fois !… » p.302. Mais sa verve pour l’émoi adolescent, encore forte dans ‘Mort à crédit’, n’est plus là. Il l’avoue, le sexe n’a jamais été son fort : « moi surtout qui suis pas la braise, enfin du cul terriblement, je le dis tout de suite » p.570.

Il a trouvé son Alice et ses merveilles, mais sans rien de la sobriété mathématique du poète Lewis Carroll. L’ex-cavalier français, qui deviendra médecin en dispensaire, joue plutôt dans la grosse farce avec divagations enfiévrées. Pris un soir de course dans l’atmosphère effrénée d’un bar nègre avec la petite, il la voit se frotter sur les hommes, perdre sa culotte et sauter de genoux en genoux, « le cul en l’air qu’elle a tout nu » p.508. Elle est déchirée, défoncée par le rythme et les hommes, « c’est un défilé sur elle… un tzigane d’abord, puis un nègre, puis un barbu, puis un athlète (…) ils montent dessus partout à la ronde », elle est heureuse de jouir et d’en redemander, « enlacée, reniflée, pourléchée, haletante et câline, elle se tortille, elle se pâme au tapis… » p.510. Sitôt sorti dans la ruelle, il la viole illico sous la pluie à torrent, contre un mur, sa petite fée souillée. L’imagination l’enflamme, « comment elle se faisait caresser !… bourrer… farfouiller !… Ah ! pardon ! par la horde ! » p.513. Il l’agrippe, « je suis animal hop !… Y a personne !… Elle geint d’abord… puis elle miaule… je la fais sauter tellement je suis fort !… ‘Saute ! saute ! cabri !’ Je sais plus !… je la sens au bout… chaque coup elle grogne… C’est chaud au bout !… c’est chaud !… ‘Mon ange !…’ Je l’embrasse… elle me laisse… je secoue… je secoue !… » p.515. Étonnante page où l’on baise une mineure dans la littérature française. Rythme filmique, images saccadées jusqu’au spasme final, c’est prenant.

Au début de ‘Guignol’band’, Virginia a 12 ans, elle aura 16 ans dans le dernier tome dont seul le synopsis a été écrit. Effrayé par son audace provocatrice commencée durant les années folles, confronté à la chape d’ordre moral du vieux Pétain, Céline a tenté de raccrocher l’âge de 15 ans comme légal pour le mariage des filles… La voilà enceinte et lui « cloque monsieur », dit-il drôlement p.577. Il a de ces trouvailles quand il aime, Céline, parlant encore de « jardiner la nièce » p.643, ce qui est poétique.

Mais tout son bonheur ne parvient pas à coaguler. Dans ce Londres où il est poisson dans l’eau, tout ce qu’il aime lui échappe, bars, marmaille et bateaux. Les bars explosent sous les grenades de l’anarchiste juif Boro, la marmaille est pelotée, troussée et besognée – filles comme garçons -, les bateaux partent sans lui pour les Amériques… « C’était la faute de personne, chacun est fou de vivre tant qu’il peut, de tout ce qu’il possède et tout de suite, personne n’a une seconde à perdre, debout ou couché, c’est la loi du monde… » p.537.

Pourtant, comme il est beau Londres à vingt ans : « Je me souviens tout comme hier de leurs malices… de leurs espiègles farandoles le long de ces rues de détresse en ces jours de peine et de faim. Grâce soit de leur souvenir ! Frimousses mignonnes ! Lutins au fragile soleil ! Misère ! Vous vous élancerez toujours pour moi, gentiment à tourbillons, anges riants au miroir de l’âge, telles en vos ruelles autrefois dès que je fermerai les yeux… » p.106. Ou encore, bien des pages plus loin : « Mourir ainsi tout emporté de jeunesse, de joie, de marmaille ! tout le bonheur ! le bouquet de joie d’Angleterre ! si frais, si pimpant, divin ! pâquerettes et roses moustillantes ! Ah ! je m’exalte ! Ah ! je m’enivre ! » p.656. Joli, non ?

Marmaille, cuisses de nymphe, bateaux à voiles… tout ce qui danse émerveille Céline. « Il s’envolerait, c’est un oiseau, malgré les myrions de camelotes dans son ventre en bois, comble à en crever, le vent qui lui chante dans les hunes l’emporterait par la ramure, même ainsi tout sec, sans toile, il partirait, si les hommes s’acharnaient pas, le retenaient pas par cent mille cordes, souquées à rougir, il sortirait tout nu des docks, par les hauteurs, il irait se promener dans les nuages, il s’élèverait au plus haut du ciel, vive harpe aux océans d’azur, ça serait comme ça le coup d’essor, ça serait l’esprit du voyage, tout indécent, on aurait pu qu’à fermer les yeux, on serait emporté pour longtemps, on serait parti dans les espaces de la magie du sans-souci, passager des rêves du monde ! » p.672.

Ça serait… mais avec Céline le coup d’essor se ramène aux coups du sort. Jamais d’envol, sauf dans le délire. L’existence à ras de terre, toujours fourvoyée dans les ennuis, où il se met comme un niais. Le lira qui pourra, il y a tant de longueurs… Le lecteur étouffe souvent dans le galimatias, l’éructation, le flux délirant. Il aurait fallu trier, élaguer, construire. Pas eu le temps, Céline, ni le goût. Restent quelques perles – mais à dire plus qu’à lire !

Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band 1 et 2 + synopsis du 3, 1944, Romans III Gallimard Pléiade, édition Henri Godard 1988, 1264 pages, €52.25

Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band 1 et 2, Folio, 1989, €10.45

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