
Au cœur de l’université islamique réputée Al-Azhar, au Caire, un pur jeune pêcheur venu du delta va contrer la toute-puissante Sûreté intérieure du régime militaire égyptien. Celui-ci veut l’accord du sabre et du goupillon, du trône et de l’autel : pas question qu’un nouvel imam soit nommé sans qu’il plaise au Maréchal Président. Des indics infiltrés vont donc œuvrer pour que ce soit le « bon » candidat qui soit choisi, pas trop Frère musulman, plutôt modéré dans son interprétation de l’islam.
Le Grand Imam, plus haute autorité de l’islam sunnite, est mort et Adam (Tawfeek Barhom, 21 ans), qui vient d’intégrer les études avec une bourse, sur la recommandation de son imam de village, voit son ami de dortoir Zizo (Mehdi Dehbi) tué sous ses yeux par les sbires de la Sécurité. Il ne tarde pas à être interrogé, puis recruté par le colonel Ibrahim (Fares Fares), à lunettes et cheveux longs qui font très peu militaires, au contraire de son commandant, jeune brute, un peu grasse déjà et entièrement corrompu. Tous ceux dont il se sert sont tués pour ne pas laisser de traces. Zizo, le précédent indic, est mort parce qu’il voulait arrêter.


Le colonel promet au jeune homme de faire soigner les calculs dans les reins de son père s’il collabore. Adam n’a pas le choix (moral). Il se rapproche donc de « ceux qui prient le matin », les fréristes qui veulent imposer un islam plus littéral et rigoriste contre les vœux du pouvoir. Lorsque le cheikh Ngem (prononcez cher – Makram Khoury), se présente de lui-même à la Sûreté pour s’accuser d’avoir tué l’étudiant, il n’est pas crédible. Aveugle, charismatique, candidat potentiel poste de grand imam, il n’a pas pu tuer un jeune homme en pleine université. Ce qu’il veut, c’est un procès public, pour clamer la vérité. Or cette vérité, il la connaît : c’est la Sûreté qui a fait le coup parce qu’elle l’a manipulé.
Adam voit régulièrement colonel, qui le rencontre de façon fort peu discrète dans un bar, toujours le même, faisant à chaque fois semblant de téléphoner mais se tournant vers lui – comme quoi tout ce cirque est inutile, la Sûreté croit en son impunité. Il reçoit l’ordre de devenir l’assistant du cheikh Al Durani (Ramzy Choukair), candidat proche des Frères musulmans. Parce que le cheikh se sert de lui comme larbin, il va lui faire acheter une tétine pour bébé, Adam se rend compte que le cheikh a un enfant secret, alors qu’il est déjà marié. Il dit que c’est pour son petit-fils, mais il n’a pas de fils… Le Coran le permet, mais pas la réputation du pays, un mariage secret avec une très jeune fille qu’il a engrossée est très mal vu, surtout pour un candidat à l’imamat.


C’est finalement le cheikh en faveur du pouvoir qui est élu, faute de combattants. Adam est alors devenu inutile et le supérieur du colonel Ibrahim veut le faire supprimer, sur l’accusation du meurtre de son ami Zizo, donc pendu. Ibrahim, qui a mesuré le caractère du jeune homme, s’y oppose. Il parvient à convaincre le général Al Sakran (Mohammad Bakri), supérieur de son supérieur, qu’Adam pourrait convaincre le cheikh aveugle Ngem de renoncer à s’accuser faussement, et donc de mettre le pouvoir en difficulté. Adam, étudiant minutieux qui a lu ses textes, moraliste pur de la religion, parvient à faire douter le cheikh de la licéité de sa voie au regard d’Allah et de son Coran. Il réussit et est libéré.


Achevant ses études, il revient à son village, diplôme d’Al Akhar. « Qu’as-tu appris ? » lui demande son imam, tout fier. Adam ne dit rien, mais il repart le lendemain pêcher au large en barque avec son oncle. Pour lui, l’habit ne fait pas le moine, l’apparence n’est pas la réalité. La religion se vit au quotidien, si l’on a la foi ; la morale qu’elle prône est la voie de la pureté. Lui Adam, au nom de premier homme, ne s’est pas laissé corrompre (sous-entendu, il est bien le seul parmi les prétendants à l’interprétation des textes sacrés !)
Tourné en Turquie (évidemment pas en Égypte…), ce thriller dénonce le népotisme et la corruption du pouvoir, la collusion entre islam et politique. Sans crier au chef-d’œuvre pour de mauvaises raisons – ce pourquoi je ne vais pas voir en général les films à leur sortie – il s’agit d’un bon cinéma. L’islam est présenté en religion comme les autres, soumise aux mêmes tentations du pouvoir ou de la morale personnelle, du relâchement au monde ou de l’intégrisme des textes, avec ses intrigues intestines dignes du Vatican, et ses jeux avec le pouvoir civil.
Prix du scénario du Festival de Cannes 2022
Prix François-Chalais 2022
Prix des auditeurs du Masque et la Plume du meilleur film étranger 2022
DVD La Conspiration du Caire (ولد من الجنة, Walad min al Janna, litt. « Garçon venant du Paradis »), 2022, Tarik Saleh, avec Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mohammad Bakri, Memento Distribution 2023, en français, 1h54, €9,99, Blu-ray €16,91
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