
L’auteur de polars islandais vieillit ; il déprime. Il reprend ici son second héros, hélas pas Erlendur, bien meilleur, mais l’inspecteur Konrad, désormais à la retraite et obsédé par l’affaire non résolue du meurtre de son père dans les années 50. Il se souvient enfant de son père violent, ce pourquoi sa mère était partie en emmenant sa fille ; elle avait laissé le fils au papa policier. Konrad le craignait et l’aimait à la fois, car l’adulte savait être complice – lorsqu’il n’avait pas bu. Il lui avait montré le soir de ses neuf ans un revolver de la Seconde guerre mondiale, un Lüger allemand à neuf balles de neuf millimètres, dont une dans le canon.
Or, voici du neuf : une vieille dame arrive au commissariat pour donner à la police une arme qu’elle a trouvée sur une étagère du garage de son mari qui vient de décéder. C’est un Lüger et Konrad est intrigué. Il a gardé des liens avec ses anciens collègues et la balistique confirme bientôt que le revolver est celui qui a tiré une balle mystérieuse, des années auparavant, tuant le jeune Gardar. Serait-ce l’arme que son père lui avait montrée ? Son père pourrait-il être le meurtrier ?
L’enquête reprend des éléments livrés dans les tomes précédents. Elle poursuit la piste des violences sexuelles, usuelles dans les années 50 à 80, notamment sur les jeunes adolescents des deux sexes. Ce genre de comportement était « normal », au sens où les gens s’en souciaient peu. Une fille de 12 ans avait ainsi été tuée et jetée dans le lac, après des viols répétés et alors qu’elle s’était retrouvée enceinte. Des garçons de l’internat disciplinaire étaient abusés régulièrement par le directeur, surnommé Sucette, et les clients auxquels il les livraient pour de petits travaux de jardinage ou de lavage de voiture. Ainsi Tobbie, joli garçon, que le désespoir avait fait se suicider à 15 ans. Gardar était son frère ; il a été tué deux ans après. Tout cela a-t-il à voir avec son père ?
L’immonde Gustaf, médecin violeur, a été mis en prison, mais il se joue encore de Konrad en faisant tabasser sa sœur Elisabeth dite Beta, pas bien futée mais dont il a appris qu’elle a été abusée par son père, cause de la séparation du couple. Konrad n’est pas un héros policier, mais un homme qui a ses faiblesses. Il s’est laissé un temps corrompre par son collègue Leo, qui trafiquait avec les soldats de la base américaine ; il a délaissé son fils Hugo, qui ne lui parle plus guère ; il ne peut avoir une relation suivie avec sa maîtresse du moment. Il est et reste obsédé par lui-même, par sa propre histoire, par l’énigme de son père et de sa fin tragique.
Il vaut mieux se souvenir des volumes précédents pour lire ce livre sans se perdre. Les chapitres sont courts, sautent du coq à l’âne et bousculent les époques. Ils désorientent comme le personnage est désorienté, ce pourquoi ce polar se lit malgré tout assez bien, si l’on sait s’accrocher. Tout prend sens peu à peu, un réseau pédocriminel, organisé par des homosexuels réprimés durement par la loi et la réprobation publique jusque dans les années 80. L’idée sous-jacente est que la prohibition n’est jamais bonne, elle force à transgresser et forcément dans l’excès. La libération des mœurs aurait plutôt sauvé les mineurs des abus sexuels, en permettant aux adultes de même sexe d’avoir des relations officielles entre eux. Rejetés, les parias sont dangereux et « gardent le silence » – signification du titre islandais.
Un roman complexe et finalement attachant.
Arnaldur Indridason, Les parias, 2022, Points policier 2025, 357 pages, €8,95, e-book Kindle €5,99
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)
Les romans policiers islandais d’Arnaldur Indridason déjà chroniqués sur ce blog





















Commentaires récents