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Marche en forêt et monastère de Gochavank

Le bus nous conduit au début de la marche du jour. Journée de contraste, d’un côté le soleil méditerranéen du lac Sivan et son paysage de plage à la végétation sèche, de l’autre des forêts de hêtres et du brouillard dans une ambiance de Jura. Il suffit de passer un tunnel…

La région qui borde la frontière azerbaïdjane est verdoyante, plus haute en altitude. Riche en faune et en flore, on la nomme évidemment « la Suisse arménienne ». Elle a vu fleurir les maisons de repos à l’ère soviétique, grands bâtiments collectifs aujourd’hui péniblement reconvertis en hôtels ou en colonies de vacances. Il s’agissait hier de distinguer les ouvriers méritants, mais surtout de s’attacher les dirigeants par des privilèges. L’hôtellerie moderne n’a que faire de ces casernes mal conçues et nous voyons se construire des bâtiments plus design, en un complexe de petits chalets disséminés dans la forêt.

Notre guide arménienne nous a fait ce matin un historique de l’Arménie. Insistant sur la période récente, elle a réglé son sort au système soviétique. « Le tout collectif engendre l’irresponsabilité et aboutit au jemenfoutisme. Si aucun intérêt personnel n’est sollicité, nul ne se préoccupe de préserver ou d’économiser, l’inefficacité règne à tous les niveaux, de la gestion d’une cantine aux atteintes à l’environnement. » L’homme maître et possesseur de la nature gaspille sans compter puisque tout est à tous – sans restrictions – donc à personne. La charge de qui a vécu l’ancien système est sans appel. Elle peut être acide, notre guide arménienne. N’empêche : de l’Ourartou antique au Brejnev contemporain, le socialisme est toujours l’État d’abord.

Elle nous a décrit aussi les premières années de l’indépendance, le blocage du gaz russe. L’Arménie avait arrêté sa seule centrale nucléaire par crainte de voir sa technologie faillir comme à Tchernobyl. Mais le gaz n’arrivant plus pour cause de scission arménienne de la CEI à domination russe, la guerre avec l’Azerbaïdjan pour le Haut-Karabagh bloquant les frontières azérie et turque, le pays a vécu plusieurs hivers de rationnement extrême. L’électricité n’était délivrée que quelques heures par jour. Or le climat est rude puisque l’altitude moyenne est au-dessus de 1000 m. A Erevan, la capitale, les habitants brûlaient dans des poêles à bois tout ce qui pouvait se brûler, « à commencer par les œuvres complètes de Marx et de Lénine (plusieurs dizaines de volumes inutiles) » selon notre guide, puis les bancs des squares. On a accentué la déforestation à cette époque, le temps de remettre la centrale nucléaire en route, révisée aux normes de sécurité avec l’aide technique des Français. Ce n’est qu’en 1995 que la situation est redevenue normale. D’où la hantise arménienne de se voir couper d’une frontière commune avec l’Iran, poumon d’échanges si le monde russe fait pression sur elle. Désormais l’Arménie connaît un excédent d’électricité. Elle l’échange contre du gaz iranien et en donne à la Géorgie qui paye directement la Russie en remboursement des dettes arméniennes.

Nous partons à pied du lac de Parz Litch qui signifie « lac clair ou transparent ». Le sentier au bord du lac est fait de pouzzolane aux trois couleurs, rouge sombre, grise et noire. Notre objectif est le monastère de Gochavank.

Pour cela, il nous faut traverser la forêt européenne composée de hêtres, chênes et charmes principalement. Des fleurs bordent le chemin fort boueux des pluies d’hier. Les jeeps locales ont creusé de profondes ornières et il nous faut souvent passer dans les broussailles sur le côté. Certaines voitures se sont même raclées le ventre à voir les traces. Dans ces grandes forêts transcaucasiennes vivent encore le loup, l’ours et le lynx. Nous voyons d’ailleurs une trace de plantigrade sur le chemin. Je crois y reconnaître la trace d’un pied nu d’enfant mais la trace suivante, en avant, montre de fortes griffes dans la boue. Nous imaginons dans la conversation une randonnée de préadolescents heureux d’avancer pieds nus dans cette boue grasse, nez au vent, excités par les odeurs d’humus et d’herbe écrasée, la peau hérissée de rosée tombée des feuilles, les yeux ravis des fleurs de milieu humide. Il y a même quelques champignons. Mais il s’agit probablement des traces d’un petit ours. Tout est moite, dégoulinant d’eau. Il a plu cette nuit et le ciel reste couvert.

Une rude montée nous fait sortir de la forêt pour culminer dans les champs du plateau. Du foin en meules sèche ici ou là. Un vieux bus Kamaz, de l’ère soviétique, a achevé sa vie dans un tournant puisqu’il n’existe pas de décharge publique en ce pays. On l’a simplement poussé dans un fourré le long du chemin. Nous avons fait une boucle et la voie de terre qui redescend nous ramène au village, là où s’élève le monastère. Il ne s’agissait cet après-midi que de prendre l’atmosphère du pays en marchant dans le paysage, ce qui n’est pas une mauvaise manière d’explorer. Avant la visite, je prends une bière au bar d’en face. C’est une bière Ararat de 4.5° d’alcool ; la bière la plus courante est la Kilikian.

Le monastère construit dès 1188 doit son nom à Mekhitar Goch qui l’a fondé, auteur du premier code civil et pénal du pays. L’église Saint Grigor Loussavoritch est l’un des meilleurs exemples de l’architecture arménienne médiévale.

Elle est ornée de croix très ajourées de style tardif, sculptées par Poghos. Ses bâtiments ont des soubassements cyclopéens de pierres sèches, agencées antisismiques par imbrications. Les pierres ne sont pas rectangulaires mais biseautées pour s’ajuster en angles. D’autres murs, énormes, ont été conservés comme limites, ils dateraient de 3000 ans. Des puits de lumière octogonaux délivrent une lumière chiche dans les salles obscures.

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Cimetière de Noratous, lac Sevan et monastère

Ce matin Tigran et son frère ont amenés les fils avec le petit-déjeuner. Il y a de la brioche dorée faite maison. Les kids sont intimidés, 7 et 11 ans, curieux des étrangers. Dommage que nous ne puissions communiquer, il faudrait au moins parler russe. Nous pourrions répondre à leur avidité de connaître.

Le bus nous mène, une fois pliées les tentes, au cimetière du Noratous. C’est un immense cimetière au-dessus du village du même nom, à 1934 m d’altitude, dont les tombes datent du début du christianisme. Noratous, propriété des princes Zakarian, était le centre administratif de la province Tsemak jusqu’au 19ème siècle.

Notre guide arménienne nous apprend à distinguer les siècles en fonction du décor des khatchkars, il y en plus de 800. L’usage est issu de traditions païennes et les premiers étaient probablement en bois. Le IXe siècle voit une simple croix sur pierre brute, puis la pierre est taillée en rectangle avec un bourrelet avançant orienté vers l’ouest et la croix mieux décorée. La croix est doublée au XIe par l’arbre de vie. Le soleil au XIIIe siècle s’introduit sous la croix et sous l’arbre de vie en un cercle où s’entrelacent des lignes. Au XIVe siècle, certaines pierres sont en olivine, vaguement cristallisés et vert pâle. La couleur verte est donnée par le sulfate de magnésie et de fer. Pourquoi le bourrelet de tête de la pierre est-il orienté à l’ouest ? Parce que si le monde naît avec le soleil à l’est, le Christ sauveur, à la fin des temps, est réputé venir des ténèbres, donc de l’ouest. Le bourrelet est comme une inclinaison de la pierre vers le Sauveur, en signe de respect.

La pierre tombale Guéghama est en forme de berceau. Elle est très sculptée de croix et d’arbre de vie. Sur sa face nord un cavalier et un servant qui tient la bride du cheval, un ange survole le couple. A leur gauche sont taillés une rosette (symbole d’éternité), un pot à vin et un four circulaire à cuire le pain arménien. Un musicien assis joue d’un instrument à cordes à côté d’un cercle solaire. La pierre tombale a été érigée en l’honneur de Khatchatour qui avait approvisionné le village en eau au XVIIe siècle. Une autre pierre montre un paysan labourant avec une charrue.

Les tombes modernes, laïques ou communistes, préfèrent le portrait photo du mort gravé sur le marbre, ou encore un buste en bas-relief, à la soviétique.

Au café qui vend des souvenirs et où nous prenons une mouture « à la turque » (qu’on préfère appeler en Arménie « café oriental »), un grisonnant de Lyon nous entreprend en français. Il vit là-bas mais est né en Arménie. Ses grands-parents ont émigré en France mais ses parents sont revenus pour construire le communisme… « Les cons ! », nous dit-il, sincère. Ils ont pu heureusement revenir en France parce qu’ils étaient français.

Notre guide arménienne nous lit dans le bus quelques contes arméniens en français. Il s’agit du bon sens populaire dans les situations inédites.

Voici que nous longeons les rives du lac Sevan. C’est un gigantesque lac salé, 1400 km², presqu’une mer. Lyriques, les nationaux l’appellent « la perle d’Arménie », morceau tombé du ciel.

Nous visitons sa presqu’île aux deux églises, endroit très touristique où se massent les cars d’étrangers et les voitures des Arméniens. Il faut dire que les rives sont balnéaires, une petite côte d’Azur où l’on lézarde au soleil avant d’aller dans l’eau, puis de prendre un verre sous les parasols. Les gens y sont bronzés, se départant de la frilosité paysanne. Gamins et jeunes n’hésitent pas à se promener sans chemise, avec la hardiesse de l’habitude. L’un d’eux, douze ans, s’étire comme un chat sur la pierre chaude du parapet bordant l’église côté lac, frottant sa peau caramel sur la rugosité du basalte. Il est heureux au soleil, le corps libre, bien dans sa peau.

Le monastère Sévanavank (vank voulant dire monastère), s’élève à peut-être 200 m au-dessus du niveau du lac. Il offre une vaste perspective jusque sur l’autre rive et les montagnes au loin. Tout se fond progressivement dans un pastel qui se mêle avec le ciel.

Le lieu est un endroit inspiré, ce qui ne fait pas peu pour sa réputation. Il a été l’un des premiers sites à adopter le christianisme à la suite de la conversion du roi Tiridate le Grand. On dit que saint Grigor éleva les deux premières églises du Sévanavank. L’église des saints Apôtres (Arakélots), date du IXe siècle élevée par la princesse Mariam, fille du roi Achote I Bagratouni. La seconde église est dédiée à saint Jean-Baptiste (Karapèt). La troisième à la Sainte-Mère de Dieu (Astvatsatsine) n’existe plus.

Un groupe de handicapés est amené par ses moniteurs pour aller mettre un cierge de cire jaune dans l’église. Des jeunes, garçons et filles, se prennent en photo sur le parapet, des gamins en groupes de vacances, des familles avec grand-mère et petits enfants. La tradition est transmise ici, même si cela se fait dans une sorte de kermesse. Nous ne sommes pas chez Disney car tout est authentique et il ne s’agit pas de jouer mais de révérer. Mais nous ne sommes pas non plus à Lourdes car la révérence est plus de tradition que de croyance aveugle.

Monter les degrés jusqu’à l’esplanade du monastère, faire le tour des bâtiments, pénétrer dans l’église pour y acheter plusieurs cierges, les allumer en l’honneur de proches au loin ou malades, s’asseoir sur le muret chauffé de soleil pour contempler le lac, redescendre pour déjeuner au restaurant du parking, ou acheter un souvenir avant d’aller pique-niquer sur la plage, voilà qui est un rite social plutôt qu’un acte de foi.

Mais je préfère ce christianisme-là, intégré dans l’existence, au fanatisme des illettrés brutaux qui détruisaient tout ce qui choquait leurs croyances dans les premiers temps chrétiens. Mais oui, nous avons eu nos talibans et ils n’avaient rien à envier aux afghano-pakistanais actuels, l’étude de Ramsay McMullen, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle nous le rappelle (1996, Tempus Perrin 2011) !

Dans l’église, un Christ orant a l’air mongol sur une stèle du XIVe siècle. Peut-être est-ce pour que les invasions mongoles ne la détruisent pas, reconnaissant sur l’image l’un des siens ? De fait, la stèle a subsisté. Beaux visages rêveurs de la jeunesse qui allume des cierges. La lumière douce et chaude allège leurs traits.

Nous déjeunons à une longue table réservée sous les velums du parking. Un groupe d’Italiens encore plus grand que le nôtre déjeune une table plus loin. Il y a des Allemands, des Arméniens en famille, et même nos Tchèques. Nous avons revu le couple et son Stefan de 9 ans, bob blanc et la tête et tee-shirt orange sur le dos. Outre les salades de légumes cuits ou crus, les olives et le fromage, nous est servi un lavaret du lac, poisson coupé en tronçons grillés sur la braise. Le four et le barbecue semblent les façons de cuisiner majeures ici. Les frites, cuisinées pour faire international, sont trop grasses ; il ne doit pas y avoir deux bains de friture et une température trop basse.

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Évidemment les démagos ont voté la « loi sur le génocide » arménien, comme si les histrions étaient capables de juger souverainement d’un fait historique. Ils ne sont qu’à la pêche aux voix, dans la plus pure illusion. Étant pour la liberté, je ne voterai pas pour les partisans du politiquement correct – qu’ils le sachent. Un bon commentaire sur le blog de Nicolas.

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Monastère de Tsaghats Kar et forteresse de Sembataberd

Réveil à 7h30 sans effort, cela doit correspondre à un cycle de sommeil. Nous prenons le petit-déjeuner puis le bus jusqu’à un gros village. Mais la route s’est effondrée dans la rivière et nous sommes obligés de marcher un moment entre les maisons, de traverser une passerelle de lattes, avant qu’un minibus loué nous prenne de l’autre côté pour nous mener au début de la randonnée.

Le chemin est caillouteux et plein soleil, au pied des monts Vardenis ; mais il n’est pas dix heures et nous parvenons au monastère à midi, avant la grosse chaleur. Seule difficulté, la rude dernière montée, en altitude. Mais il y a de l’eau partout, au moins trois sources sur le chemin pour ceux qui veulent remplir leur gourde.

Le monastère aurait été érigé pour servir de mausolée aux martyrs chrétiens des guerres de religion contre les Perses, dont lors de la fameuse bataille d’Avaraïr en 451 de notre ère. Le monastère a été rebâti durant le règne d’Abas I Bagratouni (929-953) par l’évêque Stepanos.

Devant l’église saint Nechan, deux énormes khatchkars se dressent sur sa façade ouest. L’église saint Jean est mononef à pilastres, sur son mur est gravée la date de 989.

La seconde église est dédiée à la Sainte Mère de Dieu. Elle est tétraconque  en rectangle et date probablement de 1222. L’église saint Jean-Baptiste (Yovhannès Karapet) est un bel édifice, sa chapelle est digne et austère, toute de basalte noir. Elle date de 1041, construite par le père Vadtik. Ses images gravées dans la pierre commémorent les martyrs avec des raisins, un aigle emportant un agneau dans ses serres, un lion combattant un taureau. Il y a encore la chapelle Saint-Signe, mononef sur caveau.

Nous prenons là notre pique-nique, face aux églises, sur la pente, à l’ombre d’un arbre. Un gros 4×4 noir frimeur éjecte un jeune couple aux lunettes noires très américain d’apparence. A vous dégoûter de marcher dans la nature pour rencontrer au bout de tels spécimens urbains.

Nous ne tardons donc pas à redescendre pour grimper sur la montagne opposée afin de rejoindre la forteresse Sembataberd. Elle commande les deux vallées d’Eghéguis et d’Artabouni. Les remparts restaurés sur l’à pic en trois côtés sont la seule chose à voir avec le paysage. Les murs sont formés de blocs de basalte sur 2 à 3 m d’épaisseur, ce qui date la forteresse du Xe siècle. Ils sont aujourd’hui très restaurés ! L’eau était amenée par des conduites de terre cuite souterraines depuis des sources à 2 km. Ce serait la forteresse Symbace mentionnée par Strabon.

En contrebas, dans le village laissé ce matin, deux camions remplis de gens criant et chantant montent la côte. Nous sommes dimanche, peut-être est-ce pour quelque fête ou un mariage ? Nous descendons l’autre versant parmi les fleurs et les herbes à fourrage. De grands chardons aux têtes mauves bien pommées se dressent sur le sentier. Notre guide arménienne en a cueilli sur le site mégalithique. « C’est pour faire joli dans un vase ? – Non, pour manger. – Manger quoi ? – Mais le cœur, il suffit d’enlever les piquants mauves. – C’est vrai, le chardon est de la famille de l’artichaut. – J’en mangeais souvent petite. »

Au village, trois vieux et un gamin sont assis sous un auvent pour discuter le bout de gras. Regards distants de vague curiosité. Le minivan nous attend avec les filles pour nous reconduire au bus. Nous repassons la passerelle de lattes jusqu’à l’école vide en été où nous attend le bus. Il n’a pas bougé depuis que nous l’avons laissé ce matin.

La maison attenante à l’école, d’où un petit de trois ans nous regardait passer il y a quelques heures, paraît celle d’un ponte. Une vieille Volga des dignitaires du Parti est au garage tandis que le fils de la maison, petit-fils de l’ex-dignitaire peut-être, arrive en pétaradant sur un quad, torse nu du haut de ses dix ans. Il est presque obèse, bronzé et sans gêne, le parfait gosse de riche à qui tout est permis. Il enlève son polo pour faire moderne, à l’inverse de la gêne paysanne des autres garçons. Il n’est pas beau avec ses bourrelets graisseux sur les hanches et les seins mais il a les yeux clairs. Arrivé au portail, il descend et ne dit rien. Sa sœur de neuf ans s’empresse d’aller chercher une pierre pour bloquer l’engin. Le petit mâle connaît ses droits de futur patriarche.

Nous cherchons de l’eau dans une boutique. Ce n’est pas l’usage ici où l’eau coule de source et où les gens sont immunisés aux bactéries. Il n’y a que de la bière ou du Coca. Je prends une bière, elle ne fait que 6.4°. Malgré ses 50 cl, elle ne porte pas à la tête, au contraire, je me sens revigoré, prêt à une autre marche !

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Randonnée vers les nuages

Le départ de cette « vraie » randonnée aujourd’hui est interminable : les sacs sont trop lourds, on n’a jamais assez d’eau, et puis il faudra marcher… Remuer un groupe de quarantenaires n’est pas une sinécure ! Nous finissons par partir via le village de Tatev aux pistes défoncées, allègrement parcourues par les vieilles jeeps russes des paysans. La maison du peuple, souvenir du socialisme réel qui sert aujourd’hui de mairie et de salle commune, a l’apparence d’un kolkhoze à cochons.

Sur le chemin fleuri qui serpente lentement vers la montagne nous croisons un mulet grimpé par trois gamins tout heureux de se montrer en exercice. Nous suivons les traces molles et odorantes des vaches qui vont au pré. De multiples fleurs de campagne alpine mettent leur note de couleur sur le vert de l’herbe : mauves, millepertuis jaune, achillées blanches, œillets sauvages roses… Le soleil voilé est favorable à la marche, plus que la canicule implacable de l’autre jour. Mais monter en altitude nécessite un rodage. Nous avons bu et rebu, retenu de l’eau en raison de la chaleur des jours précédents, l’effort nous fait mouiller la chemise sous les sacs à dos.

Le dénivelé d’aujourd’hui passe de 1500 m à 2100 m avant de redescendre. Nous suivons « le corridor qui conduit au cosmos », selon les termes locaux, toujours fleuris. Il surplombe le bassin de Chamb pour rejoindre le village de Ltsen. La vue est plongeante sur Sissian devant et sur Tatev derrière. Nous pique-niquons au col, allégeant les sacs mais après la montée. Outre la viande hachée sur sa brochette, il y a une tomate et un concombre, en dessert deux biscuits maison fourrés à la confiture de figue.

Un berger local laisse ses moutons errer pour venir tenir conversation avec notre guide. Il est content de voir des étrangers visiter son petit pays ; lui est né ici et a parcouru tous les chemins depuis tout gamin, il en est fier et il l’aime, son coin de montagnes à moutons. Et puis nous sommes « propres » dit-il : nous ne laissons ni mégots par terre ni bouteilles plastiques vides. Il aurait envie qu’il y ait plus de touristes qui viennent admirer son paysage, des gens comme nous « qui respectent ». Pas des socialistes réels aux comportements de grossièreté prolétarienne, comme il était de mode sous feue l’URSS.

A la redescente, des sources ruissellent en travers du chemin. Des centaines de papillons me rappellent mon enfance, ils étaient encore nombreux à la campagne, éradiqués depuis par la chimie agricole. Ici volettent des blancs, des mauves, des oranges à pois, des noir et gris – je ne sais plus leur nom que j’avais pourtant appris dans un petit livre Hachette, jadis. De jolis coquelicots sauvages éclatent de pourpre, le cœur barré d’une croix noire bordée d’un filet blanc. Le soleil est revenu peu avant le col mais une brise montant de la vallée rafraîchit l’atmosphère. C’est une belle marche en moyenne montagne, pas trop dure, dans la verdure, et où l’on respire bien. Le plus difficile sera la fin, dans la poussière et sous le cagnard. Nous y prendrons des couleurs.

Seuls les abords du village de Ltsen sont rafraichissants, les maisons bordées de vergers touffus de pommiers, pruniers et poiriers, ou de treilles de vigne. Sous les ramures qui font ombre, des hordes d’enfants demi-nus s’amusent. Une jolie petite fille à queue de cheval noire se met au portail pour nous regarder passer effrontément. Pas un sourire mais des yeux noirs perçant. Son petit frère rit, en slip sous un pommier.

Malgré nos semelles brûlantes, nos gosiers secs et nos genoux fatigués, la visite est prévue au monastère de Vorotnavank qui est sur le chemin défoncé pour rallier Sissian.

Érigé peu après l’an mil, son église triconque, son mausolée et son cimetière herbu remplis de serpents sont bien délabrés. Les pierres à croix s’élèvent du sol comme pour revendiquer leur trace dans l’existence du monde.

Le petit tchèque Stefan, pris en stop dans le bus avec ses parents, court de ci delà, empli de curiosité. Le père fait des photos tandis que des serpents rampent dans l’herbe, qu’il chasse en faisant sonner le sol sous ses talons.

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Monastère arménien de Tatev et premier camping…

Peu avant Sisian, nous quittons la route principale pour longer les gorges vers Tatev. Le canyon « vertigineux » de la rivière Vorotan s’abîme sous la route. Un gigantesque téléphérique relie le plateau au monastère de Tatev, haut lieu touristique que nous allons visiter. Construit par des Italiens selon une conception suisse, ce téléphérique est une fois de plus un record ! Il a la portée la plus longue du monde, affirme notre guide patriote arménienne. La route a été refaite car le précipice était fort près des roues auparavant et nombre de touristes paniquaient à l’idée que leur jeep passe par là.

Sitôt arrivés au pied du monastère, nous montons les tentes igloo deux places dans le petit bois juste au-dessus avant d’aller visiter. J’ai, comme à l’hôtel une chambre, une tente pour moi tout seul. Que je monte seul aussi, trouvant comment ça marche en examinant les pièces. Ce n’est pas le cas de quelques filles. Encore pour celles qui n’ont jamais fait de camping, je peux comprendre, mais pour les autres, on dirait des poules ayant trouvé un couteau. « On nous explique rien, on n’est pas aidé ». C’est toujours la faute des autres, de l’organisation, du système, jamais de la sienne. Et si elles se prenaient en main un peu, les râleuses professionnelles ? Mal d’époque : les fonctionnaires du social disent à chacun ce qu’il doit faire et comment, baiser en missionnaire avec capote, manger cinq fruits et cinq légumes par jour, boire un litre et demi d’eau au moins, se laver trois fois les dents, changer sa brosse tous les mois, et blabla. Infantilisés et rendus irresponsables, les gens attendent une aide pour tout, même pour monter une tente.

Sur le parking, une vieille Volga bleu pétrole de l’époque soviétique trône avec éclat.

Nous entrons dans le monastère en longeant l’église saint Astvatsatsine (Sainte Mère de Dieu) du XIe, siècle à la coupole coiffée d’un toit ombrelle.

Sa porte de bois est très détaillée. Le monastère a servi d’université du Xe siècle à l’invasion de Tamerlan en 1435 ; on y enseignait la philosophie, la calligraphie, l’enluminure, la musique, la littérature, l’histoire de l’église et les sciences. Il y a eu jusqu’à 500 moines au moins, aujourd’hui il en reste deux qui vivent à demeure dans un seul des bâtiments.

Comme nous le voyons, de tout jeunes adolescents du pays viennent servir la messe, par respect. L’église des saints Pierre et Paul (Poghos Pétros), construite à la fin du règne arabe, se dresse au centre de la place, bordée de logements au-dessus des gorges à pic. La vue, depuis les balcons des cellules des moines, est impressionnante : pas moins de 700 m de vide sur la gorge de la rivière Tatev. Le monastère était une forteresse. Côté promontoire, deux tours rondes et une muraille épaisse protègent des incursions depuis le IXe siècle.

Les cloches de Tatev attestent la maîtrise du coulage de bronze au XIVe. Elles ont sonné 700 ans. Durant le régime soviétique, les cloches ont été cachées par les paysans et l’une a été remontée depuis l’indépendance. Sur l’une figure la date de 1302, sur l’autre de 1304.

Le moulin à huile est du XIIIe siècle, près de la tour ronde à l’est. Dans une pièce, une pierre servait de presse pour les graines à huile. De grands foyers étaient utilisés pour décanter la mixture. Les stalles réservées aux chevaux, près de l’entrée, sont plus lumineuses et plus confortables que l’auberge des pèlerins. Une tour oscillante en segments de basalte octogonaux montrait les tremblements de terre, à droite de l’église. Consacrée en 906 par le Catholicos, elle a été aujourd’hui fixée contre les petits malins qui voulaient voir jusqu’où elle pouvait osciller. Sur la cour intérieure s’ouvrent aussi la résidence de l’évêque, le réfectoire, la cuisine et la boulangerie, au-dessus de la gorge de Vorotan.

Nous dînons « chez l’habitant », au-dessus du monastère, sous une bâche. Des mezzés de légumes grillés au four, aubergine, tomate, poivron, porc grillé patates, et du vin du pays en bouteille de Coca de deux litres. L’ambiance est assez joyeuse malgré la marche de 17 km demain qui effraie déjà le groupe presque autant que la nuit sous tente « avec les bêtes ». Une fille se lance dans l’animation intello : trouver les mots féminins se terminant par t ou le mot masculin se terminant par ette. Pas simple car ils sont rares. Le mot masculin est squelette. Les mots féminins sont nuit, mort, part, dot, durit, jet set, basket, gent et jument. Peut-être en ai-je oublié un ou deux ?

La nuit sous la tente n’est pas de tout repos. Outre le décalage qui nous laisse éveillés quelques heures, l’agitation sous la tente de notre guide arménienne est hors de toute discrétion. Halètements, grognements, rires étouffés… Dans l’autre tente proche de la mienne, un cri dans la nuit : c’est l’une des filles, elle a été « agrippée par une bête » ! La bête en question n’est autre que celle qui partage sa tente et qui a glissé en raison de la pente. Rires, pleurs, ah les joies du camping pour celles qui n’en ont jamais goûté !

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Monastère Noravank et col Saravan

Nous prenons un déjeuner de salades et poulet frit sous la tonnelle du restaurant près de l’enceinte avant de visiter le monastère Noravank. Il y a même cette fois-ci des herbes aromatiques telles que coriandre, persil plat et aneth frais, et de la betterave rouge râpée à la crème aigre, tous ingrédients et préparations typiquement russes.

Le monastère recèle dans le gavit (salle de réunion) les mausolées de rois. La transmission du trône ne s’effectuait pas forcément par droit d’aînesse mais le roi choisissait le fils qui jouait le mieux aux échecs. C’était la garantie d’un esprit réfléchi apte à la stratégie, ma foi pas une mauvaise façon d’assurer sa succession ! Endommagé par le tremblement de terre de 1321, le moutier fut reconstruit probablement par Momik, l’architecte des princes Orbélian.

On observe surtout les deux sculptures réalisées par lui sur le tympan : la Vierge à l’enfant aux ornements de lettres arméniennes liés de feuilles de vigne et de fleurs et, sur la fenêtre supérieure, Dieu, le Christ et Adam. L’humain a la tête caressée par le Père tandis que la colombe lui envoie son souffle. Une vraie bande dessinée pour les chrétiens : Dieu donne la vie aux humains, puis la vie éternelle avec son Fils.

Des inscriptions datent de 1232 et 1256 sur la partie inférieure des murs qui a résisté aux séismes. Sur une pierre tombale un chevalier attaque un lion – allégorie du prince Orbélian Elikoum, surnommé le Lion. Il reste quelques traces de fresques en rouge et noir. Sur une autre, un lion case son corps dans l’étroit rectangle ; il est obligé à de curieuses contorsions pour présenter sa tête de face.

L’architecte Momik, qui était également écrivain, miniaturiste et architecte, a sculpté lui-même sa pierre tombale avant de mourir. Il serait né vers 1260 et mort vers 1339 ; il a été le peintre et l’architecte de la famille des Orbélian. Par rapport aux tombes royales et princières, la sienne est toute petite et bien plus sobre, placée à droite de l’église. Il est écrit : « Souviens-toi, Christ, et bénit l’âme de Momik ». Humilité chrétienne, bien qu’il ait prénommé son fils Askandar – Alexandre. Ses khatckars (croix) de Noravank sont si finement sculptés qu’ils ne sont plus sur site mais dans les musées.

Les familles en visite, aujourd’hui, n’ont plus le sens du sacré. Elles parlent dans le sanctuaire, entrent les épaules nues, boivent entre les chapelles, grimpent ici ou là. Les vieilles tombes sont un chez eux, les églises sont à elles ; elles y vivent comme dans leur maison, sans plus de façons. Je prends en photo une jeune fille aux traits doux qui se fait photographier par sa sœur dans l’église, près de l’autel.

Un escalier étroit grimpe sans parapet par un double rang de marches en trapèze, jusqu’au premier étage de l’église Surb Astvatsatsine créée par Momik en 1339. Les parents y placent souvent leurs petits pour faire la photo souvenir. Facile à monter, il est beaucoup plus difficile à redescendre : nombre sont piégés par le vertige, les filles plus que les gars. J’en ai vu redescendre sur les fesses, en fermant les yeux et se raclant l’épaule au mur. Punition de Dieu pour la frivolité ambiante ? Cet étage à l’escalier aérien servait aux moines à prier et à recopier des manuscrits.

Le soleil vertical délivre une chaleur de four et toute ombre est bienvenue, même de pierre. Les photos familiales sont l’occasion de grimaces face au ciel incandescent. J’en profite pour prendre des visages immobiles qui ne me regardent pas.

Nous reprenons le bus, heureusement climatisé. Nous buvons tout ce que nous pouvons acheter comme bouteilles d’eau de source de 50 cl. Dans les voitures arméniennes, les enfants sont torse nu ; ils n’enfilent une chemise ou un débardeur que lorsqu’ils sortent : peu de peau en public. Les petites filles n’ont pas cette aise, elles doivent rester habillées comme elles sont.

Le diesel peine à grimper jusqu’aux 2330 m du col Saravan. Le chauffeur coupe plusieurs fois la climatisation pour gagner de la puissance. Nous effectuons un arrêt au col. Un monument pompier y a été érigé à l’époque soviétique, comme si la route était une victoire humaine sur la nature. Les familles ne dédaignent pas de se faire photographie devant… D’un tuyau coule une source fraîche et personne ne manque de venir remplir ici sa bouteille.

L’altitude permet à l’herbe de rester verte tandis que les basses plaines sont desséchées sauf près des rivières. Les paysans locaux sont venus vendre leurs fruits au col, près de la source. Notre guide arménienne nous achète pour quelques drams un sac d’abricots. Ils sont pâles mais bien mûrs et parfumés. L’inverse de ceux qu’on trouve à Paris, bien oranges mais durs et encore verts !

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Monastère arménien de Khor Virap et vin d’Aréni

Belle vue sur l’Ararat, mont pastel sur ciel pervenche. Le monastère de Khor Virap dresse ses murs de basalte sur la plaine à son pied, côté arménien, au bas de la citadelle antique d’Artachat et sur la rive gauche de la rivière Araxe. Le nom de Khor Virap signifie « fosse profonde », le lieu ayant servi d’oubliettes à Grégoire l’évangélisateur (257-334).

Son père a assassiné le roi au IIIe siècle après. La nourrice du fils encore bébé, s’est enfuie avec lui à Byzance pour le protéger. L’enfant grandit à Césarée, devient chrétien. Adulte, il revient en Arménie pour l’évangéliser. Tiridate, nommé par l’empereur Dioclétien (284-305), invite Grigor à sa cour. Lors d’une cérémonie païenne, Grigor refuse d’enguirlander une idole. Condamné pour sa foi chrétienne et parce que fils de l’assassin du père du roi, il est jeté aux oubliettes. Il survit treize ans, nourri par une vieille. Cet exploit médical lui vaut d’être tiré de sa fosse sur un rêve de la sœur de Tiridate. Il serait le remède pour guérir le roi de son mal d’amour pour une vierge chrétienne ! Ce qu’il réussit sans peine selon l’hagiographie, lui montrant que la vierge en question consentirait à être violée par le roi s’il se convertissait au christianisme… Vertu des femmes plus que révélation : le roi se convertit en 301, entraînant tout le pays avec lui comme c’était la coutume. L’Arménie s’enorgueillit de ce record supplémentaire, dont son identité menacée est friande : elle est « le premier pays » à avoir été christianisé, avant le monde romain en 312 (sous Constantin).

Tous les bâtiments qu’on visite aujourd’hui sont du 17ème siècle ; le reste a été détruit par les diverses invasions musulmanes et mongoles. La chapelle élevée sur la fosse de Grégoire date de 1632. Un puits mène aux profondeurs mais l’escalier à vis est vraiment très étroit. De petits oiseaux, peut-être des moineaux, nichent entre les pierres du mur extérieur. Ils piaillent et se battent à grands cris devant les visiteurs. Cela donne de la vie aux vieilles pierres religieuses. De quoi compenser tout un panneau d’interdictions pour apprendre la pudeur aux touristes !

Du sommet rocheux voisin, nous avons une belle vue sur les bâtiments du monastère, sur le mont Ararat en Turquie et, de l’autre côté, sur le cimetière massé près du lieu saint pour bénéficier de son aura. Les cimetières ne sont jamais à étages, pas de caveau de famille aux cercueils superposés. Pas de concession temporaire mais une tombe pour l’éternité, comme chez les Juifs. Ils prennent donc de la place en ville et de bonnes terres agricoles près des monastères.

La région frontière que nous longeons avec ses miradors est riche de fruits. Pommes, poires, pêches, cerises, il y a de tout et des conserves artisanales au bord de la route sont proposées par les paysans. L’Arménie est un pays autosuffisant en fruits et légumes, sauf pour le blé où 35% seulement des besoins sont produits sur place.

La légende veut que le pays ait cultivé la première vigne, avec Noé. On sait qu’il s’enivrait souvent et que ses fils l’ont vu nu un soir qu’il était bourré. Horreur sacrée pour la religion judaïque ! Le corps, quelle pourriture ; la nudité, quelle offense ! Dionysos savait déjà que le vin libère les pulsions. La vieille religion patriarcale des interdits, de Noé à Freud, n’a pas finie de névroser les peuples.

Mais il n’est pas facile, en pratique, d’élever le vin en Arménie. Le pays est constitué de hauts plateaux à plus de 1000 m qui gèlent en hiver. Les vignerons obstinés doivent donc enterrer les pieds de vignes à la fin de l’automne pour les protéger du gel, puis les déterrer au printemps, ce qui fait beaucoup de frais en main d’œuvre. Le vin rouge réussit cependant à être produit pour faire la nique aux musulmans de l’autre côté des frontières sud (Turquie, Iran, Azerbaïdjan). Il est exporté surtout vers la Russie. S’il a assez de sucre pour titrer 12 ou 13°, il n’est pas très bien vinifié et se garde mal. Les vins sont les produits de cépages locaux peu connus dans le reste du monde. Un cépage porte le nom d’Areni, il résiste à 1300 m d’altitude. Les rouges sont les plus proches de nos goûts et les vins blancs ont une saveur acide de presque cidre. On dirait le verjus d’autrefois. La chaleur du pays et l’absence de technique vinicole peuvent expliquer la mauvaise garde.

La réputation de l’Arménie s’est faite surtout par le « cognac », dont les Soviétiques étaient fort friands. Depuis la fin de l’URSS, l’appellation « cognac » n’est plus autorisée et le breuvage est devenu « brandy ».

Nous visitons une cave et goûtons le vin rouge d’Areni 1991, année de l’indépendance de la nouvelle république. Il a donc vingt ans et le gérant (qui n’est pas le propriétaire des vignes) nous présente ses chais et sa production. Ce vieux cru ‘Old Areni’ a encore des saveurs de framboise.

La contrée se sert de sa réputation pour produire des vins fantaisie avec les fruits locaux. Vous avez ainsi du vin de grenade, de cerise, d’abricot et de pêche, outre les vodkas aromatisées aux mêmes fruits. Pour les vins, on ajoute un tiers de raisin aux fruits sélectionnés pour réussir la vinification. Nous goûtons un peu de tout. Le vin de cerise a un fort goût de Guignolet sans sucre, assez agréable au palais. Le vin de grenade est une grenadine nettement plus âpre, il s’oxyde très vite une fois la bouteille ouverte. Le groupe achète quelques bouteilles pour rapporter au pays ou pour boire dans les jours suivants. Les soirées auront ainsi leur apéritif, la pratique montrant qu’il est vain de ramener en France un tel vin qui ne vaut pas les nôtres.

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Monastère de Guéghard en Arménie

A un quart d’heure de bus du temple de Garni s’élève le monastère de Guéghard où nous arrivons assez tard. La plupart des touristes sont partis. A l’entrée, à gauche du porche, des niches proposent aux chanceux de recueillir de petites pierres s’ils parviennent à les lancer pour les faire tenir sur l’étroite corniche. Qui réussit voit son vœu se réaliser. Notre guide arménienne nous dit que, parmi tous les groupes qu’elle a accompagnés, seul un Marseillais a réussi à loger une pierre dans une niche : il était bouliste !

Un gamin torse nu d’une huitaine d’année s’y emploie avec passion, ainsi que sa sœur. Le petit garçon a la peau pâle comme s’il s’exposait peu au soleil. Est-ce pour se distinguer des basanés du sud, turcs, ouzbek ou iraniens, tous musulmans ? Est-ce un signe de distinction sociale comme le degré de blancheur dans les îles Caraïbes ? Est-ce pudeur chrétienne ? Nous observons peu de torses nus dans la jeunesse arménienne. C’est encore en ville que nous pouvons en voir le plus, influence des mœurs américaines. Pas d’épaules nues dans les églises pour les femmes, et les hommes doivent retirer leur chapeau. Même les enfants enfilent souvent une chemisette par-dessus leur débardeur pour éviter toute nudité dans les lieux sacrés.

L’église du IVe siècle, reconstruite en 1215, est de basalte et de calcaire, le chœur à l’est, en direction du soleil levant. J’avais ce préjugé que les chœurs des églises indiquaient la direction de Jérusalem, mais rien de plus faux. Toutes les églises chrétiennes sont orientées vers l’est. Ce sont les musulmans qui tournent leurs mosquées vers La Mecque ! L’église devant nous a été construite par saint Grégoire l’Illuminateur et s’appelait Aïrivank ou monastère rupestre. La coupole est cannelée d’arcatures aveugles sur lesquelles sont sculptés un oiseau, une rosace et un masque. La façade sud porte un tympan finement sculpté, arbre, grenades et ceps de vigne, symboles du sacrifice et de longue vie. Un lion terrasse un taureau, suprématie d’Ivané Zakarian.

L’église dite « cathédrale » s’adosse aux églises rupestres. Celle d’Avazan recèle une source aux vertus. Celle de Katoghizé comprend une coupole intérieure à stalactites comparable aux pans d’une tente. Le sol est parsemé de tombeaux sur lesquels marcher est rendre hommage à l’humilité chrétienne des princes enterrés.

Sur l’autel n’est pas exposé le Christ en croix comme chez les catholique, mais la Vierge à l’enfant, appelée ici « Sainte Mère de Dieu ». Il y a parfois une croix, mais sans cadavre dessus, et placée dans un coin. Le christianisme arménien semble moins torturé que celui né dans les catacombes romaines.

Des moines vivaient une existence ascétique dans de petites grottes sur les falaises alentour. Des khatchkars sont sculptés sur les parois des falaises. On appelle ainsi ces croix particulières, création originales de l’Arménie chrétienne. Il faut prononcer ratchkar avec un r dur, craché comme dans le mot espagnol jota. Tout ici a été détruit sous les musulmans en 920, notamment les manuscrits. Les édifices d’aujourd’hui datent de la reconstruction, au XIIIe siècle, lors de la libération des seldjoukides par le roi Orbélian et ses généraux les frères Zakarian.

La chapelle attenante est monolithe, creusée directement depuis le haut du plateau, en cloche dans la masse. Le mausolée est troglodyte. Des croix sculptées recouvrent presque entièrement les pierres, les fameux khatchkars. Sur ces croix arméniennes, Jésus-Christ est rarement représenté (seulement deux fois en Arménie). La croix est un symbole graphique élevé sur une pyramide stylisée représentant le Golgotha, lieu mythique où l’on dit qu’Adam fut enterré. La plupart des khatchkars ont été financées par des familles riches à la mémoire de leurs morts. Elles sont colorées de rouge par la cochenille. Le grand khatchkar de Katoghizé date de 1213, sculpté par Timoté et Mekhitar.

Il fait toujours aussi chaud, sauf dans les intérieurs d’église, lieux apaisants comme un avant goût de paradis. Nous sommes littéralement « envoûtés » par les voûtes sombres et fraîches des églises de pierre où la lumière parcimonieuse tombe d’un puits dans le toit ou d’étroites meurtrières.

Guéghard était un site de pèlerinage patronné par les familles princières. Il détenait un reliquaire de la Sainte-Lance et un fragment de bois provenant de l’arche de Noé. Guéghard signifie d’ailleurs « lance ». Détruit par les Mongols de Timor Lang (Tamerlan), puis par les tremblements de terre de 1127, 1679 et 1840, il n’a cessé d’être rénové. Il sert de résidence d’été au Catholicos, chef de l’Église apostolique arménienne.

Le long retour en bus vers Erevan fatigue, soleil de face et manque de sommeil la nuit précédente. Nous croisons un attroupement de badauds sur la route de campagne. Une voiture est partie dans le décor, le museau entre deux arbres sur cette route droite. Difficile d’imaginer comment le conducteur a pu réussir un tel exploit, sauf vodka aidant…

Nous allons dîner à la Taverne Yerevan, en centre ville. Le lieu est assez chic et nous avons une salle particulière. J’ai bu et rebu de l’eau et une bière entière de 50 cl, un thé pour finir. Sur les hauteurs de la ville, une gigantesque statue de matrone se découpe sur le ciel nuit. C’est la Mère patrie, statue gigantesque du pompiérisme soviétique présent dans toutes les républiques de l’ex-URSS. Elle est élevée au-dessus du musée de la Seconde guerre mondiale pour célébrer Staline.

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Les Incas du Pérou

On ne connaît pas l’origine des Incas. Certains les font venir des hautes plaines de l’Amazonie, d’autres du Lac Titicaca… Les Incas ont fondé vers 1200 Cuzco, « le nombril du monde » en quechua. Le grand temple du Soleil est devenu les fondations du monastère Santo Domingo. Douze dynasties incas se seraient succédé à Cuzco. Atahualpa appartiendrait à la treizième. Le premier Inca historique est Pachaculec-Inca-Yupan (1438-1471). « Renversement de l’ordre du monde » signifierait son nom. Les Espagnols découvrirent la ville de Cuzco rebâtie par lui.

Les Incas dominaient un immense empire couvrant le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, et une partie de la Colombie et du Chili d’aujourd’hui. Les traces de cette civilisation sont partout, chez les gènes des 10 millions d’indigènes parlant le quetchua, dans les objets des musées, dans les ruines du bâti antique. Les Incas ont beaucoup apporté à l’agriculture et à l’architecture. Comment ne pas être admiratif devant les ouvrages colossaux constitués d’impressionnantes pierres taillées et ajustées qu’on ne peut, entre deux blocs, y glisser la lame d’un couteau ?

Sur les crêtes, ils ont construit Machu Picchu, Pisac, Sacsahuaman, des cités-forteresses approvisionnées et surveillées par tout un réseau de chemins et de sentiers d’approche. Les travaux des routes commencés sous la civilisation Chimu se sont poursuivis. Ils les ont agrandis jusqu’à 11 000 km, une route suivant la côte, l’autre la cordillère.

Si la religion catholique a été adoptée par la majorité des peuples d’Amérique du Sud, l’animisme a conservé ses rites millénaires : lorsqu’on passe un col, vous verrez votre chauffeur descendre de voiture ou de car et poser un caillou blanc sur un tas déjà constitué. Le jour des morts on fait libation sur les tombes, on apporte aux défunts à manger, on trinque avec la tequila, on leur fait donner une aubade. Le lutin bossu et grassouillet (ekeko), censé apporté la richesse, est béni ainsi que tous les autres le 24 janvier à La Paz. Le demi-dieu de l’abondance est porteur de tous les désirs en représentations miniatures tels enfants, nourriture, argent, automobile Mercédès. Les poupées du Pérou en laine, coton et fibres végétales n’étaient pas des jouets mais des idoles rituelles. Les guérisseurs font toujours office de médecins.

La musique demeure l’une des plus belles qu’il m’ait été donnée d’entendre que ce soit dans les auberges, les fêtes populaires, sur une place publique.

Les tambours, (cajas et tinyas), percussions, sifflets, ocarina, flûtes de pan (antaras), flûtes droites (quenas), guitare et violon accompagnent les chanteurs et danseurs de valse créole et marinera.

Hiata de Tahiti

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Ellis Peters et frère Cadfael

Ellis Peters était une vieille anglaise envoûtée par la vie bénédictine des monastères. Cette période troublée du 12ème siècle vit s’affronter, des décennies durant, la fille d’un roi prétendant au trône et son cousin couronné. Ellis y trouvait une résonance particulière à sa propre existence, née juste avant une guerre mondiale pour y exercer, adulte, son devoir durant une autre. Jamais mariée, elle aimait les enfants, mais surtout les adolescents qui basculent en quelques mois à l’âge d’homme, ou les adolescentes qui savent brusquement ce qu’elles veulent faire de leur vie quand elles ont rencontré « leur » amour.

Cette mutation de maturité a fait l’objet de toute son attention dans les 21 livres qu’elle a consacré à son héros, Cadfael (prononcer Kadval, à la galloise). Son moine a vécu cinquante années dans le siècle, s’est croisé, a eu un fils sans le savoir en Orient, et s’est retiré, l’âge venu, dans la clôture de Shrewsbury afin d’y trouver une règle, une famille, et le sens de tous les tourments terrestres.

Bien entendu, le monde se rappelle sans cesse à son souvenir, Cadfael est presque plus souvent en-dehors de la clôture que dedans. A cause de l’intérêt qu’il porte à tous ses frères humains. Apothicaire autodidacte, vaguement chirurgien pour avoir été soldat, il plante médicinal et transforme les herbes en sirops, vulnéraires, pastilles et onguents qu’il concocte à chaque saison propice, en prévision des mauvais jours. Il découvre et connaît le shérif du comté, Hugh, favorise son mariage avec la femme la plus obstinée et la plus belle du lot, avant de devenir le parrain de leur fils. Dès qu’un jeune est en difficulté, (garçon ou fille de 12 ou 20 ans) Cadfael lui offre une épaule secourable. Attentif, indulgent, ayant un sens aigu du devoir, il sait juger des êtres et leur fournir ce coup de pouce qui les aide à basculer du bon côté, au bon moment. Lire la série est un bain de jouvence, de droiture et d’humaine espérance.

Il est préférable de commencer par le premier, Trafic de reliques, publié en 1977, et de lire les romans dans l’ordre, car les personnages s’y retrouvent et il est fait souvent allusion aux épisodes précédents. Le dernier tome, Frère Cadfael fait pénitence, fut écrit à 81 ans en 1994. Edith Pargeter, dite « Ellis Peters » de son nom de romancière, donne là son testament. Elle est décédée un an plus tard, en octobre 1995, avant cet hiver dont elle se remparait dans ses romans.

Peut-être est-ce son meilleur livre, ou peut-être suis-je personnellement plus sensible à son fil – il a en tout cas un grand poids humain. Les thèmes en sont les rapports père/fils, les fidélités du siècle et l’hérédité du sang, le modèle qu’on se voulait et la réalité des ans. Yves et Olivier qui lui servit de père en son adolescence, Cadfael et Olivier son fils ignoré qui a choisi à 14 ans le modèle paternel légendé par sa mère, Philippe le fils cadet du comte de Gloucester qui passe à l’ennemi, las de tant d’années perdues pour l’Angleterre, Jovetta et son fils assassiné qu’elle venge, et jusqu’à Cadfael qui négocie avec le père abbé de son abbaye la possibilité d’aller sauver des âmes – tous ces rapports sont des rapports filiaux.

Ils portent, avec eux, le legs d’Ellis Peters : « Chacun fait ce qu’il doit faire et assume les conséquences. En définitive, les choses sont simples. » (p.304) Le père assume le fils, quels que soient les actes de ce fils, simplement parce qu’il est sien. Et le fils demeure en dette vis-à-vis de son père, éternellement et à jamais, pour avoir été désiré et élevé. Les dirigeants, surtout à l’époque médiévale, étaient des « pères » pour leurs sujets. Et Philippe, droit, intransigeant, qui a trahi sa reine parce qu’excédé de la guerre civile qui dure, de le montrer : « Toute conclusion qui laissera les hommes vivre, labourer leurs champs, emprunter des routes sûres et faire prospérer leur commerce en sécurité doit être préférée, sans égards pour les droits et triomphes des monarques. » (p.229)

Le portrait qui est fait de Mathilde, prétendante au trône, fauteuse de guerre, et dont le fils deviendra le roi d’Angleterre Henri II, a des échos singuliers dans notre actualité politique : « La Dame des Anglais était belle, brave (…) Tous les candides jeunes gens de sa suite étaient un peu amoureux d’elle ; ils la voulaient parfaite et se détournaient indignés, lorsqu’il apparaissait manifestement qu’elle n’était pas une sainte, sachant fort bien, au tréfonds de leur cœur douloureux, combien elle était arrogante et vindicative. Ils étaient condamnés à souffrir. » (p.60)

La série des 21 romans policiers médiévaux de Frère Cadfael est parue aux éditions 10/18 dans la collection « Grands détectives », €6.65 le volume

Trafic de reliques

Frère Cadfael fait pénitence

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