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Anatole France, Monsieur Bergeret à Paris

Ce quatrième tome du roman d’histoire contemporaine publié par Anatole France est à mon avis le plus mauvais. Il est trop daté pour passer la postérité. L’auteur est en effet (comme le pays) envahi par l’Affaire Dreyfus et la guerre civile des intellectuels contre les cagots, des nationalistes catholiques contre les pacifistes cosmopolites. Le fil du roman s’en ressent, composé de bribes d’articles déjà parus dans les journaux, une  sélection de 35 sur 64. Si le roman est recomposé pour avoir l’air de se tenir, manque cependant l’action : durant ces centaines de pages, il ne se passe rien.

Nous suivons le prof de littérature en Sorbonne dans son emménagement à Paris, les déboires hilarants de son chien Riquet qui répugne à changer et a horreur des étrangers à la maison (comme les nationalistes). Nous errons d’appartement en appartement pour se loger, des taudis de la rue de Seine aux immeubles « neufs » au-dessus du Luxembourg, jusque dans l’appartement d’enfance du prof et de sa sœur.

femmes de Paris

Nous poursuivons les coucheries politiques de baronnes et autres grandes bourgeoises prétendant à l’aristocratie pour faire avancer leurs affaires. Nous écoutons bavasser la jeunesse catholique pour le retour du roi et les adultes politiciens qui savent que seuls les ralliés seront récompensés. Nous contemplons les forêts de toits divers de l’Exposition universelle 1900 au Trocadéro.

Nous subissons deux pastiches de Rabelais, écrits en langue XVIe siècle, contre les « Trublions » aussi violents qu’ignares.

Nous subissons la morale socialiste républicaine positiviste de l’auteur, obligé de quitter sa réserve sceptique pour « s’engager » dans l’arène du temps. La foi en l’Église, l’Armée ou la Royauté ne se débat pas, elle se combat par une autre foi en la Raison, la citoyenneté ou la République. Monsieur Bergeret à un aristo antidreyfusard : « Je puis me permettre de dire que vous avez une philosophie d’état-major. Mais puisque nous vivons sous le régime de la liberté, il serait peut-être bon d’en prendre les mœurs. Quand on vit avec des hommes qui ont l’usage de la parole, il faut s’habituer à tout entendre. N’espérez pas qu’en France aucun sujet désormais soit soustrait à la discussion » p.218. Vieux débat, usé.

Éternelle bêtise politique, illustrée de nos jours par le mensonge Cahuzac après le déni Strauss-Kahn, et par les comptes de campagne Sarkozy. « Si l’armée est atteinte dans la personne de quelques-uns de ses chefs, ce n’est point la faute de ceux qui ont demandé la justice, c’est la faute de ceux qui l’ont si longtemps refusée » p.220.

Éternelle stupidité fonctionnaire, illustrée de nos jours entre autres par les entraves à l’autoentreprise et par l’usine à gaz du crédit d’impôt compétitivité. « Toutes les pratiques auxquelles on eût recours pour celer l’erreur judiciaire de 1985, toute cette paperasserie infâme, toute cette chicane ignoble et scélérate, pue le bureau, le sale bureau. Tout ce que les quatre murs de papier vert, la table de chêne, l’encrier de porcelaine entouré d’éponge, le couteau de buis, la carafe sur la cheminée, le cartonnier, le rond de cuir peuvent suggérer d’imaginations saugrenues et de pensées mauvaises à ces sédentaires, à ces pauvres ‘assis’, qu’un poète a chanté, à des gratte-papier intrigants et paresseux, humbles et vaniteux, oisifs jusque dans l’accomplissement de leur besogne oiseuse, jaloux les uns des autres et fiers de leur bureau, tout ce qui se peut faire de louche, de faux, de perfide et de bête avec du papier, de l’encre, de la méchanceté et de la sottise… » p.267

Éternel histrionisme des comités nationalistes ou révolutionnaires à la Mélenchon ou Le Pen. « L’esprit en était violent. On y respirait un amour haineux de la France et un patriotisme exterminateur. On y organisait des manifestations assez farouches… » p.312.

Monsieur Bergeret à Paris (contrairement à L’anneau d’améthyste) est un exemple de plus que la littérature engagée est rarement de la bonne littérature. Nous avons déjà entendu tout cela et l’auteur n’ajoute rien à l’universel. Le moralisme guide trop l’esprit pour avoir envie de suivre, une fois l’époque passée.

La série romanesque se clôt sur un vide. La « trompe » remplace le récit, démonstration par l’absurde que le militantisme rend sourd et con. Il ne s’agit plus de débattre au Conseil municipal, mais de sonner la trompe pour couvrir toute objection. Il n’y a donc plus rien à dire et Anatole France, logiquement, s’arrête. Malgré quelques réjouissantes satires, le lecteur en est, au fond, soulagé.

Anatole France, Monsieur Bergeret à Paris – Histoire contemporaine IV, 1901, Œuvres tome 3, édition Marie-Claire Bancquart, Gallimard Pléiade 1991, 1527 pages, €61.75

Broché €10.49

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Anatole France, L’anneau d’améthyste

Où le lecteur retrouve ce bon Monsieur Bergeret, professeur de littérature latine dans une université de province, qui vient de se séparer de sa femme, d’adopter un chien, et qui commente avec un humanisme républicain l’Affaire en cours. Anatole France plonge cette fois-ci dans l’histoire de son temps, très fin de siècle, tout entière accaparée par le jugement pour trahison du capitaine Dreyfus en 1894.

L’antisémitisme se déchaîne à la fois contre le Prussien aidé par un apatride, et contre le Juif volontiers républicain et hostile à la religion catholique. La France se cherche, blessée par la défaite de Sedan sous Napoléon le petit ; elle se croit le phare universel du monde, sans voir qu’elle n’a de puissance que celle qu’elle se forge, notamment en économie. Or le rêve de toute fille à marier est d’épouser « un propriétaire, un rentier ou un fonctionnaire » – toutes professions de statut qui produisent peu mais vivent en parasites sur l’État et la société, comme sous l’Ancien régime.

L’antisémitisme est le bouc émissaire idéal qui permet d’attaquer le financier, le libre-échangiste, le rationnel libre-penseur et le républicain – tous ces industrieux optimistes aimant le progrès. Même si le Dieu des chrétiens est juif, Jéhovah comme Jésus et Saint-Esprit. La Contre-révolution veut effacer 1789 pour retrouver la société organique des ordres voulus par Dieu, dans un immobilisme national (qui n’a pas disparu en 2013) : une foi, un roi, une loi. Anatole France est le deuxième sur la pétition des intellectuels après Émile Zola pour la révision du procès Dreyfus. Ses romans contemporains ne peuvent qu’y faire allusion.

Monsieur Bergeret est bien seul dans sa petite ville, rares sont ceux qui pensent comme lui que l’armée n’a pas forcément raison, ni que l’église catholique doive édicter ce qu’il convient de penser. Que sept ou même quatorze officiers en conseil de guerre puissent se tromper plus qu’un seul, Bergeret et Anatole France en sont convaincus. L’esprit de corps, la révérence hiérarchique et la peur de ne pas dire comme tout le monde poussent à un unanimisme fusionnel propice à toutes les erreurs judiciaires. Que vaut « la vérité » contre la raison d’État ? Eh bien tout, répond France avec esprit de libre examen ; surtout rien, rétorque la foule moutonnière avec esprit d’autorité.

Si la discipline fait la force des armées, elle fait aussi sa bêtise : il suffit qu’elle soit mal commandée, comme à Sedan, mal guidée par les politiciens, comme Napoléon III. La suite verra que rien ne change, en 1914, en 1940, sous la IVème République… Un bel outil entre des mains débiles ne fournira que de mauvais services.

Anatole France démontre la progressive inculture intellectuelle par le duc de Brécé : la déchéance de sa bibliothèque, commencée au XVIIème siècle par les grands classiques et censurée par l’actuel duc devenu prude bourgeois.

Il montre aussi la progressive influence de l’argent par les parvenus Bonmont – nés Wallstein – qui ont racheté l’antique château de Montil pour y entreposer une collection d’armes et de tableaux cosmopolites pour se créer un statut.

C’est à ces deux puissances que s’oppose le républicain cultivé Bergeret, nommé professeur à la Sorbonne à la fin du roman. Méritocratie républicaine contre le fait de naître ou la fortune spéculative : voilà Anatole France.

Antimilitariste, anticlérical, antiprivilèges – et volontiers socialiste-libéral à la Jaurès – Anatole France distille sa critique acerbe de la société de son temps dans une langue française limpide et précise. C’est un bonheur de le lire. L’histoire commencée avec L’orme du mail et poursuivie avec Le mannequin d’osier, va de l’avant avec la victoire de l’abbé Guitrel par les femmes : il obtient sa titulature d’évêque de Tourcoing du ministre et du nonce, après les multiples intrigues et coucheries des grandes bourgeoises de son milieu. L’une d’elle, juive convertie et mariée à un baron d’empire (le summum de la parvenue pour le temps), veut lui offrir une bague sertie d’améthyste (d’où le titre du roman)… mais l’oublie dans la garçonnière de son amant militaire.

amour couple printemps

Ce n’est pas le seul trait d’ironie du livre. Contre les croyances imbéciles, Anatole France évoque cette jeune Honorine « de 13 ou 14 ans » qui a « des visions de la Vierge » dans la chapelle – mais qui n’oublie pas d’aller retrouver dans la forêt Isidore « de deux ans plus jeune » : « ils se réconcilièrent. Et, comme ils n’avaient rien, ils s’amusèrent sur eux-mêmes et prirent leur plaisir l’un de l’autre. (…) Isidore (…) avait une longue habitude des choses de l’amour » p.27. C’est mignon, et berne par la nature les bons bourgeois idéalistes.

En ces temps de renouveau de la haine et de la guerre civile idéologique, il est bon de relire cet Anatole France.

Anatole France, L’anneau d’améthyste – Histoire contemporaine III, 1899, Œuvres tome 3, édition Marie-Claire Bancquart, Gallimard Pléiade 1991, 1527 pages, €61.75

Format Kindle, 434 pages, €0.89

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Clément Rosset, Une passion homicide

clement rosset une passion homicide

Deux années après le grand bouleversement social et mental de mai 1968, l’époque était féconde. La mode était à l’antirépressif ce qui, vu par la jeunesse, avait quelque chose d’irrésistiblement réjouissant. Rien à voir avec ce « sérieux » militant des gros bataillons de la Morale qu’un peu tous les partis cherchent sans cesse à faire renaître. A droite comme à gauche. Car la gauche, en ces années-là, réagissait à la pensée de droite, aux habitus de droite, au conservatisme foncier de toute la société d’après-guerre. Et, comme la gauche « réagissait », elle devenait « réactionnaire » : elle remplaçait la morale conventionnelle par la Morale de l’Histoire, substituant Marx lu avec les lunettes de Hegel à saint Paul revu par les Lumières. Avec autant de conviction pour son « bon droit » et d’aveuglement dans les idées.

C’est le mérite d’Une passion homicide, de Clément Rosset, de nous faire ressouvenir de cette époque lointaine 1970. Il y a plus de 40 ans, donc prescription. La gauche est devenue moins bête (quoique plus hypocrite) et la droite moins conventionnelle (quoique plus agitée). Bien que certains tentent de susciter un climat guerre civile permanente avec mobilisation citoyenne envers tous les « fascismes » imaginaires (qu’ils s’appellent Sarkozy, contrainte budgétaire ou service minimum), la démocratie a progressé. Les yeux se sont ouverts, les idéologies ont fait pschitt ! Le théâtre médiatique est pris pour ce qu’il est – un divertissement – et non plus pour le dernier sérieux d’une pensée décapante. Les intellos – tribu particulièrement moutonnière, poseuse et impériale – ont laissé la place aux histrions cathodiques et aux chercheurs populaires. On a désormais la pensée plus modeste.

Qui sait ce qui est passé par la tête de Maurice Clavel, intello à la pointe des années 1970, pour demander au jeune philosophe Clément Rosset, de donner des chroniques littéraire au Nouvel Observateur ? Rosset était déjà l’auteur de La philosophie tragique et d’un pamphlet ironique sur Derrida, intitulé avec inspiration Discours sur l’écrithure. A cette époque, l’hebdomadaire est estampillé avec enflure et tremblement « Journal de Gauche » par ses lecteurs convaincus, comme cet ineffable professionnel du choqué politiquement correct « A.Z., professeur agrégé, lycée Claude Monet, Paris », qui dénonce par courrier. C’était la procédure « Alerte ! » du monde.fr avant le net – comme quoi les réflexes staliniens ont la vie dure… La gauche, à l’époque, se devait d’être « sérieuse », austère, pédagogique. Il ne fallait pas laisser la dérision détruire ce bel Idéal !

Réfractaire aux illusions, pourfendeur d’enflures, rieur invétéré comme tous ceux qui savent qu’au-delà de cette vie, « rien » ne les attend, Clément Rosset est toujours demeuré allergique de part en part à cette forme de révérence de la pensée unique. Durant quelques mois, de fin 1969 au printemps 1970, il donne ses chroniques irrévérencieuses – pourtant dans le ton mai 68 – à l’hebdo des Cons-vaincus (jusqu’en 1981). L’avalanche de courrier des lecteurs arrête bientôt l’expérience. Ce qui étonne aujourd’hui est moins le fond des critiques du courrier, parfois justifiées sur certains auteurs analysés, que le ton moralisateur tiré tout droit d’un catéchisme jésuite. Comme s’il suffisait, à l’époque, de se dire « de gauche » pour être exempté aussi sec de toute “mauvaise” pensée et de tout acte conventionnel et “répressif”. Clément Rosset y répondra d’ailleurs en citant une lettre de Blaise Pascal à ses détracteurs curés.

C’est dire l’attrait de ce petit opuscule (105 pages) opportunément réédité par les PUF. Il nous montre :

  • Comment la moraline peut pervertir les meilleures intentions : « Reich demeure, aux yeux de beaucoup, une valeur établie, un « grand penseur » avec lequel on ne doit pas, sous peine d’excommunication, en user à la légère. » p.60.
  • Comment l’art du pamphlet est tout de nuances : « la loi du bon pamphlet : laisser parler l’absurdité de l’auteur, intervenir le moins possible, faire apparaître l’absurde en ne changeant presque rien à la pensée et au discours de ceux qu’il pastiche. » p.29
  • Comment la mode couvre l’ineptie de la pensée : « Tout le monde peut s’essayer ainsi à des combinaisons de mots, avec plus ou moins de succès selon leur degré de démagogie idéologique. » p.66

Il réhabilite aussi Paul Lafargue, « gendre de Karl Marx et que Lénine estimait beaucoup », précurseur sans le savoir de nos contemporains écolos dans son pamphlet sur Le droit à la paresse (on voit que la semi-fonctionnaire d’EDF, qui a commis un livre récent sous le titre de Bonjour paresse, n’a rien inventé).

Relire ces chroniques aujourd’hui est de salubrité mentale ! D’ailleurs, la « passion homicide » qui donne son titre au recueil, « c’est, selon Paul Lafargue, (…) celle des ouvriers pour le travail. » p.21 Elle tue, mais on veut la vivre intensément.

Clément Rosset, Une passion homicide – Chroniques au Nouvel Observateur 1969-1970, PUF 2008, 105 pages, €9.97

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Hollande aura-t-il raison sur le chômage ?

Inverser la courbe du chômage « d’ici la fin de l’année » (voire, dans ses derniers propos, en février ou mars 2014) est-ce réaliste ? Ah, mais « c’est la différence entre la prévision et la volonté », a ajouté le président. C’est confondre volonté et discours. Avoir la volonté de faire le maximum contre le chômage est une bonne chose ; affirmer que c’est fait, que la réussite est prévisible à horizon de 6 à 8 mois en est une autre. Ce n’est pas en disant les choses qu’on les règle. Cette communication « performative » a été suffisamment reprochée à Nicolas Sarkozy par la gauche ! A moins d’embaucher de quasi-fonctionnaires sans le dire, des « emplois aidés » invendables sur le marché du travail et qui revendiqueront dans quelques années « le droit » d’être régularisés dans la fonction publique ? Le problème Hollande est qu’il attend la croissance – et que ladite croissance ne reviendra pas au rythme nécessaire à la dépense publique traditionnelle…

La mondialisation et l’Internet sont passés par là :

Les frontières ne sont plus fermées, ni les citoyens dans l’entre-soi : nous avons signé plusieurs traités successifs d’Union européenne, nous sommes intégrés dans l’Organisation mondiale du commerce, partenaires du G8 et du FMI. Oui, la mondialisation n’est pas que pour les autres, les échanges de marchandises ne sont pas les seuls, mais aussi les échanges culturels, étudiants, touristiques. Nous savons désormais grâce à Internet et aux réseaux sociaux instantanés que certains voisins vivent mieux que nous avec un chômage plus bas, un État moins gros, une ponction moindre sur les salaires, des impôts moins lourds et des services publics souvent meilleurs (l’éducation, la justice, l’emploi). Il nous faut reconnaître que sur le chômage comme sur d’autres points, l’État-nation n’est plus capable, l’État-providence n’a plus les moyens, et que dire « je veux donc c’est fait » devient ridicule.

cout du travail compare europe 2013

L’impératif est de créer de la valeur non en fermant ses frontières ou en maintenant des activités à faible valeur ajoutée mais en occupant une place stratégique pour obtenir la plus forte valeur ajoutée. Ce qui exige une adaptation permanente et une culture du compromis qui manque en France – à l’inverse de la social-démocratie allemande, scandinave, suisse ou anglaise.

cout du travail compare europe 2013 tableau

La démagogie du tout-politique :

La France souffre de l’héritage politique de la Révolution qui garde une méfiance profonde envers tout intermédiaire entre l’État et le peuple. Or le compromis entre le travail et capital est aujourd’hui plus difficile en raison de l’avènement d’une économie ouverte et d’une mobilité du capital qui donne un pouvoir de négociation face aux salariés plus fort, surtout lorsqu’ils sont peu qualifiés.

preference francaise pour le chomage denis olivennes le debat novembre 1994

Denis Olivennes en 1994 (il y a presque 20 ans !) dénonçait déjà La préférence française pour le chômage dans une note de la Fondation Saint-Simon reprise en article dans la revue Le Débat n°82. « Avant d’être un problème, le chômage est une solution. Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner les questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société : les actifs occupés ». Les gouvernements de droite comme de gauche ont donc choisi la facilité électoraliste : salaires élevés via le SMIC, pour des cotisations sociales élevées qui permettent de redistribuer et d’assister les chômeurs. Ce consensus politico-syndical devient aujourd’hui plus fragile car la crise ne permet plus d’augmenter beaucoup les salaires, tandis que les prestations mal contrôlées se dispersent et que le Budget de l’État est en grave déficit.

Comme le notait déjà Olivennes : « En réalité, la croissance de nos salaires réels est moins imputable à la rémunération directe des salariés qu’à l’augmentation continue des charges sociales incorporées dans le coût du travail ». De fait, quand le patron paye 1000 en Suisse et en France, le salarié suisse touche 65% nets sur sa fiche de paie tandis que le salarié français ne touche que 48% nets. Sans compter les impôts et la TVA… En 1981, les prestations sociales représentaient en France 25%, mais 31,3% en 2009. Elles ont augmenté plus vite que le PIB, surtout les années de hausse du chômage : c’est donc bien une reprise de la croissance qui allègera les charges. Encore faut-il s’en donner les moyens.

emploi et valeur ajoutee 1980 2011

Compétitivité :

Le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 (dit rapport Gallois) sur Les déterminants de la compétitivité de l’industrie française estime que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années. Le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points à celui constaté en Allemagne ». « En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Il préconise de « décharger d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité. » Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie  à Paris I et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, « la perte de la compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique à la fois par l’évolution des coûts salariaux par celle des gains de productivité ».

Productivité du travail :

La France est bien classée en termes de productivité du travail (parce que les jeunes et les seniors sont exclus majoritairement de l’emploi), mais pas en gains de productivité (la robotisation est faible dans l’industrie, l’informatisation a été tardive dans les services et le travail reste trop hiérarchisé). Dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible. Les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi – pas en France !

En Italie, Espagne, Royaume-Uni ou l’Allemagne, quand le chômage augmente la croissance des salaires ralentit rapidement – alors qu’on observe le contraire en France. Le salaire ne réagit ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Deux raisons : 1/ l’évolution du SMIC ne suit pas la conjoncture mais les prix ; 2/ Les syndicats ne représentent que les seuls salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non les chômeurs ; ils sont de plus majoritairement composés salariés de la fonction publique, non concernée par le chômage. Pour les Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé, de la pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité – pas en France où la surenchère idéologique attise un climat de guerre civile entre « patrons » et « prolétaires ». Les syndicats de travailleurs allemands, majoritairement du privé, sont bien meilleurs critique de la réalité et donc mieux aptes à négocier.

interactions competitivite productivite marche du travail

Effet des 35 heures :

Le SMIC français a notamment progressé sous l’effet des 35 heures. Il s’est agi d’un choc de compétitivité négatif : les salariés travaillent moins, avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État mais supporté à la fin par les entreprises. La France est donc l’un des pays de l’OCDE où le prix du travail dès le salaire minimum est le plus élevé (environ 80 % de plus que la moyenne). Dans un Rapport d’information de l’assemblée nationale le 27 mars 2013 rédigé par la mission d’information sur les coûts de production en France et présenté par Daniel Goldberg, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. » Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année.

Les récurrentes questions d’évitement :

La politique européenne de réduction des déficits publics dite « d’austérité » n’est pas le déterminant principal du chômage : même dans les années fastes, la France a toujours gardé un niveau de chômage plus élevé que ses voisins. En 1995 déjà, Denis Olivennes dans un autre article du Débat (n°85) renvoyait à leur ineptie théorique les critiques qui incriminaient la faute des autres : à l’époque les taux d’intérêt trop élevés qui restreignent le crédit, l’arrimage du franc au deutsche mark donc la force de la monnaie. « Aurait-on si vite oublié les piètres résultats de l’autre politique en économie ouverte et changes flexibles ? En 1980, le taux de chômage en France était de 6.3%. Quatre ans et quelques dévaluations plus tard, il était de 9.7%. » Mais la démagogie répète inlassablement les mêmes arguments, reprenant inlassablement les mêmes boucs émissaires, refusant inlassablement d’examiner ce qu’elle considère comme tabou. D’où leurs yakas : taxer les actionnaires, forcer les entreprises à financer la retraite à 60 ans.

Or en France la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne. Le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises n’a pas beaucoup évolué. Ce n’est donc PAS la politique envers les actionnaires qui pénalise l’investissement – mais l’absence de débouchés en France et en Europe qui empêchent d’y investir.

Les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le PLUS grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité. D’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi.

La fausse bonne idée, les emplois aidés d’État :

Barbare Sianesi, cité par Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public » p.181. Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et envoient un mauvais signal aux employeurs.

Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre être la mesure la plus efficace dans la pratique. « La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement » p.139.

C’est malheureusement ce qu’envisage Hollande avec les quelques 540 000 emplois « aidés », emplois jeunes, contrats de génération et sortie des statistiques de 30 000 chômeurs envoyés en formation. Toujours les vieilles ornières du clientélisme d’État à fins électoralistes, plutôt que de redonner de l’initiative aux partenaires salariés et créateurs d’entreprise en allégeant la ponction fiscale et sociale…

Les mesures testées ailleurs :

Exonérer de charges les bas salaires – donc transférer le financement de ces charges sur d’autres prélèvements fiscaux (TVA, CSG…). C’est tout juste entrepris, mais sans certitude que le surplus n’entre pas dans le Budget général.

Revoir la logique aveugle de redistribution égalitaire – mais inéquitable – de l’État-providence. C’est ce que tente Hollande en touchant aux allocations familiales et à la formation professionnelle.

Organiser une véritable cogestion de la négociation salariale à partir des gains de productivité attendus. C’est que qui s’est fait chez Renault et qui se tente chez Peugeot ou Michelin – malgré les syndicats les plus rigides. Quant à la SNCM, déjà pas rentable quand le problème s’est posé, la situation ne s’est pas améliorée et les syndicats ne veulent rien savoir.

Réviser la durée du travail dans une vie qui s’allonge, donc cotiser plus longtemps avant de toucher des prestations, plutôt que de rogner sur les retraites versées. La conférence sociale le dira.

Côté puissance publique, son rôle n’est plus de prescrire mais d’intégrer. L’emploi est partie d’une politique globale : industrielle, fiscale, éducative, internationale. Il faut donc :

  • favoriser l’investissement (et cesser d’insulter les étrangers qui veulent acheter des entreprises françaises ou les actionnaires qui mettent leur épargne),
  • négocier les délocalisations (et cesser d’insulter Peugeot qui a conservé pour son malheur plus d’emplois en France que Renault),
  • organiser des filières d’innovation (et ne pas refuser a priori la vente de Dailymotion par une France télécom qui n’en a jusqu’ici rien à faire),
  • aider les PME qui font plus de la moitié de l’emploi industriel (sans les décourager par des taxes tout de suite et un crédit d’impôt plus tard, illisible et trop complexe),
  • aider l’innovation et les créateurs d’entreprise (au lieu de taxer la revente au taux confiscatoire),
  • favoriser l’auto-entreprise puisque Pôle emploi ne peut rien (et ne pas s’empresser de restreindre et taxer ce qui commençait tout juste à marcher).

Il y a, chez François Hollande, ce mixte de socialisme du possible (mais sans les syndicats adéquats ni les partis alliés favorables) et de pensée magique (comparable au storytelling Sarkozy) qui mécontente à la fois la droite et la gauche, tout en prenant trop de temps sur le temps. De quoi avancer, mais trop peu et trop tard, sans projet clair, tout en louvoiements tactiques politiciens.

2013 previsions chomage insee

Aura-t-il raison sur le chômage ? C’est peu probable. S’il a raison, il n’aura rien réglé sur le fond, seulement reculé l’échéance par de la dépense publique en croissance durablement faible ; s’il a tort, il se déconsidérera un peu plus. De quoi jouer perdant-perdant.

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Casanova, La patrie en danger

roger demosthene casanova la patrie en danger

Roger Démosthène Casanova (RDC) est quelqu’un. Son CV ne fait pas moins d’une quinzaine de pages. Il montre un être double, passion et raison. Docteur ès science et expert international mais Corse bouillant, analyste mais porté à la décision politique, soucieux de la démographie mais père d’un seul enfant. Il édite un essai qu’il vaudrait mieux appeler pamphlet tant le ton est urgent, mais bourré de références pour qui veut vérifier. Ce qu’il dit n’est pas faux, mais mélangé et excessif. C’est dommage car le sujet mérite une analyse à froid. Un récent sondage TNS met en avant en France la perte des repères, la peur du dynamisme religieux musulman et l’accrochage à la laïcité comme bouée. Autant dire que le thème est d’actualité.

En résumé, pour l’auteur l’avenir est aux sociétés durables. Mais ce qui constitue l’environnement ne se limite pas au milieu naturel ; il englobe aussi toutes les relations complexes des hommes avec la nature et entre eux. La menace actuelle n’est pas seulement climatique ou liée à la rareté relative des ressources ; elle porte aussi sur les conditions de vie en société. Or l’islamisme représente un véritable changement de civilisation en France, qui est ignoré ou dénié.

Non, RDC n’est pas au Front national, il est plutôt dans ces micro-partis que sont Riposte laïque et Résistance républicaine. Il cite Jean Jaurès dès la page 12 : « le courage est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». RDC poursuit malheureusement par 9 pages de « marre de… » qui font dans la complainte et n’analysent rien, ne faisant pas avancer un débat nécessaire. Certes, « les partis politiques se comportent de plus en plus comme des clans et non comme des porteurs d’idées et d’idéaux » – mais est-ce le rôle des partis politiques d’être des laboratoires d’idées ? La Constitution leur a reconnu une fonction, celle de sélectionner les candidats aux postes électifs. Les partis sont donc des machines électorales, ni des think tank, ni des universités. Les 45 pages de « Prolégomènes » sont donc en grandes parties inutiles.

Suit une première partie dont on ne voit pas bien ce qu’elle vient faire. Intitulée « Comprendre pour agir », elle ne porte que sur la biosphère, l’eau, l’énergie et tout ça. Certes, les interrelations homme/biosphère et politique/développement durable sont évoquées, mais sans lien ni avec l’introduction, ni avec la partie suivante. Sauf à prouver que les politiciens sont bien légers dans l’analyse et la prévision des catastrophes naturelles, et que les organisations internationales sont de lourdes bureaucraties conformistes inaptes à appréhender la complexité.

La partie 2 est consacrée à la France et sa « démocratie malade », où l’on apprend que l’expression du vote a été confisquée en 2005 par le refus de prendre en compte le NON majoritaire des citoyens français au nouveau Traité européen. Qui a refusé ? Cette oligarchie de la politique, de la finance et des médias peu à peu installée et qui s’organise en « nomenklatura à la soviétique ». C’est vite dit, mal analysé et peu documenté, mais pas faux : les affaires Tapie, Bettencourt, DSK et Cahuzac (entre autres) en témoignent.

La partie 3 est vouée aux « agents et concepts destructeurs de la civilisation occidentale » et au « totalitarisme islamiste ». Le lecteur entre (enfin !) dans le vif du sujet ; il a attendu 137 pages, la moitié du livre. Là, le propos est plus cohérent, mieux organisé, étayé de nombreux renvois à des rapports et à des publications comme à des exemples personnels, l’auteur ayant beaucoup travaillé en Afrique et autour de la Méditerranée dans le secteur minier et le développement, puis comme fondateur et directeur du DESS Gestion de la Planète, développement durable et environnement de Sophia-Antipolis.

roger demosthene casanova

Ces « agents destructeurs » pour RDC sont

  1. le mondialisme, idéologie anglo-saxonne ennemie de l’Europe, qui est pour le marché unique (Londres) et la finance libre (New York),
  2. les « ennemis de l’intérieur » (listés p.146 en redondance de la partie 2) que sont une « invasion sournoise », la « méconnaissance de la réalité par les décideurs », la « servitude volontaire du peuple, sa résignation », la « bulle protégée » de l’oligarchie politico-financière et médiatique, la « médiocrité des dirigeants de notre société » en termes de morale civique, de culture, de courage et de hauteur de vue,
  3. La propagande des lieux communs comme « l’avenir est au métissage », « l’islam a tant apporté à l’humanité », la « Turquie a sa place en Europe »,
  4. la « repentance » entretenue par l’oligarchie démago,
  5. le « déni des cultures » et de leur incompatibilité de valeurs parfois,
  6. le déni historique qui fait de « l’islam (une) religion de paix et de tolérance »

En conclusion, dit l’auteur, il est urgent de « résister », en « légitime défense » à la montée des musulmans et de l’intégrisme dans l’islam. Citant sans distance l’assez douteux révérend Peter Hammond (Slavery, Terrorism & Islam, 2005) – à ne pas confondre avec l’économiste de renom du même nom à Stanford – RDC expose (sans convaincre) qu’autour de 10% de musulmans dans la population il y a délinquance admise envers les non-musulmans et pression rigoriste sur le comportement religieux ; qu’au-delà de 20% de musulmans dans la population naissent des émeutes et des milices « djihadistes » (Éthiopie), voire une guerre civile (Liban Bosnie). La France peut-elle être comparée historiquement, sociologiquement et politiquement à ces pays ? L’exemple de la Turquie de 1915-1920 aurait été plus probant : éradication brutale de tous les non-musulmans par génocide (Arméniens chrétiens) ou expulsion (Grecs orthodoxes). Mais là encore, la France 2013 dans l’UE n’est pas la Turquie en guerre alliée au Reich de Guillaume II.

L’ensemble de l’ouvrage n’est pas convainquant parce que nombre d’immigrés d’origine musulmane en France ne sont pas pratiquants, que ceux qui sont pratiquants sont en majorité ouverts, et que seule une infime minorité de jeunes mal intégrés par les cités et par la faillite de l’Éducation nationale sombrent dans la délinquance, voire le terrorisme. Ce qui n’est pas dit mais qui en revanche est vrai, est que ces immigrés intégrés ou voulant l’être se taisent trop souvent – par lâcheté et démagogie – envers leurs « frères » qui fautent. Qu’ils ne montrent pas (ou pas assez) que le Coran n’a pas une lecture unique, qu’elle a varié dans l’histoire, que le salafisme ne reflète qu’un courant bédouin archaïque, même s’il est financé par la trop riche Arabie Saoudite, et qu’il existe d’autres courants compatibles avec la neutralité de l’État et avec la démocratie.

La conclusion de l’opuscule est un amalgame de récriminations sans liens avérés entre elles comme le mariage gay, la dépénalisation du cannabis, le communautarisme, les naturalisations abusives, le vote des étrangers, le contournement de la laïcité, le « racisme anti-blanc » et l’effet cliquet des renoncements. On est presque soulagé de lire enfin une phrase de raison dans ce qu’il faut bien appeler un fatras conclusif : « Qu’on ne se méprenne pas. Ce n’est pas l’islam religion qui est le problème de fond (chacun peut croire à ce qu’il veut) mais l’islam civilisation qui pousse au communautarisme et à l’explosion de la Nation française » p.216. Pas faux – donc comment agir ?

L’auteur retrouve sa maîtrise pour exposer (beaucoup trop succinctement) trois points :

  1. Poser les principes du vivre ensemble
  2. Les mettre en débat national et européen
  3. User des moratoires pour prendre les bonnes décisions (sur la dette, l’immigration, le droit du sol, la tolérance…)

Au total, je juge le livre mal maîtrisé, qui hésite entre le pamphlet politique (mais sans les bons mots et avec trop de références) et l’essai sur l’avenir durable (qui serait bienvenu et avec des références faisant mieux autorité). Il aurait fallu articuler plus clairement environnement et société durable en décrivant comment chaque peuple décide de faire société par des mythes politico-religieux et des valeurs citoyennes (voir Maurice Godelier) ; dire que cela se constitue historiquement par adhésion et qu’au contraire le « métissage » subi conduit à la révolte du peuple contre la caste oligarchique ; enfin montrer combien aujourd’hui les « résistances » existent (même chez les bobos) : notamment la recherche universitaire (Hugues Lagrange, Gilles Kepel) et le féminisme (Dictionnaire des femmes créatrices, 4800 pages, éditions des Femmes 2013). Dire surtout que l’individualisme poussé par les désaffiliations des Lumières exige une éducation solide et un apprentissage de l’outil Internet… Donc pas mal de boulot pour accoucher de quelque chose qui fasse avancer !

Roger Démosthène Casanova, La patrie en danger, éditions Mélibée 2013, 229 pages, €16.15

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Nos politiciens ont-ils compris quelque chose ?

Le mouvement du monde nous berce sans que l’on prenne conscience des changements. La vertu des crises est de précipiter les choses et de montrer quelles sont nos fragilités dans cette histoire qui avance. Bien que beaucoup le dénient, nostalgiques du passé ou volontaristes de leur pré carré politicien, la France a son destin indissolublement lié à celui de l’Europe. Celle-ci fonctionne cahin-caha, mal organisée, mal comprise, mal gérée. On ne reviendra pas sur les erreurs politiques de l’élargissement trop précipité sans institutions fiables ; de la création d’une monnaie unique sans mécanismes de convergence réelle par étapes ; du refus de la démocratie par l’élection du Parlement unique le même jour et selon les mêmes modalités dans tous les pays.

Oui, les politiciens de droite comme de gauche, ont leurs responsabilités. Il est risible d’entendre les yakas socialistes aujourd’hui, alors que la méthode Delors a été largement piétinée et que les cinq ans Jospin n’ont vraiment pas faits la preuve d’une volonté d’aller plus loin.

Aujourd’hui, la crise financière est devenue économique, puis politique. Les États, surtout latins, ont pris des habitudes d’endettement systématique et de laxisme budgétaire clientéliste, fondées sur la politique de demande (soutien à la consommation plutôt qu’à la production). Les boucs émissaires commodes du déni sont naturellement « les autres » – surtout pas les politiciens !

C’est particulièrement vrai en Grèce où l’augmentation du nombre et du salaire des fonctionnaires a été bien supérieur aux capacités du pays, sans que ni la croissance, ni la fiscalité, ne permettent de financer. L’argent de l’Europe était une manne bénie, la force de l’euro permettait des importations hors zone à bas prix. La « descente » de l’héroïnomane est toujours vertigineuse, d’où le sentiment d’abandon et de désespoir des Grecs aujourd’hui.

Mais que font-ils, les Grecs, pour forcer leurs politiciens à faire rentrer les impôts fonciers ? A établir ne serait-ce qu’un cadastre ? A condamner le paiement des commerçants et des professions libérales au noir ? Pour supprimer les rentes de monopole ? Pas grand-chose en dehors de brailler dans la rue… Contrairement à la Suède, où la crise des finances publiques a été réglée dans le débat et avec les années, la Grèce manque de démocratie concrète. Trop longtemps asservie par les Turcs, elle en a pris les habitudes du clientélisme et du bakchich. L’exemple actuel de l’Irlande montre qu’un pays européen, démocratique, effondré par la même crise, peut se redresser avec les mêmes aides de l’Europe.

Graphique de la confiance dans la zone euro :

Ce qui compte est la confiance. Celle des ménages, des entreprises, des investisseurs. Parmi les investisseurs il y a évidemment les marchés (qui achètent les obligations d’État), mais aussi les banques. Les États-Unis financent leur économie surtout par les marchés, d’où le soutien qui leur est apporté par la Fed plus qu’aux banques. En Europe, c’est l’inverse : les banques financent près de 80% des entreprises – il est donc logique que les gouvernements et la BCE se soient préoccupés avant tout d’assurer la liquidité aux banques. Celles-ci restent fragiles, puisque plombées encore quelques années avec les produits toxiques (subprimes et CDS) comme avec les emprunts des États incapables de rembourser. Surveiller le système bancaire demeure donc crucial.

Mais il y a plus : sans confiance, pas de système. Les États doivent restaurer cette confiance générale par une double action de rigueur et de croissance. C’est politiquement difficile dans les pays où la démocratie est peu mûre – et la France en fait partie, État centralisé, à mentalité autoritaire, sans guère de contrepouvoirs institutionnels. Le citoyen considère que l’État est responsable de tout, donc yaka. Pêle-mêle : violer les banquiers, nationaliser les banques, dompter les marchés financiers, faire rendre gorge aux « riches » (au-dessus de 4000€ par mois pour un couple selon Hollande, « je prends tout » éructe Mélenchon qui a piqué le terme à Jean-Marie Le Pen… dans son « je prends tout » de l’histoire de France).

Suffirait-il de décider d’en haut pour que tout suive et s’organise ? Conception héritée tout droit du catholicisme romain que de considérer la Raison comme souveraine en soi, volonté de Dieu pour ses élus : il suffit qu’elle paraisse pour que tout le monde s’incline. Vieille légèreté française datant du culte à Robespierre que de croire en la Vertu, évidemment incarnée par un seul homme qui dit le bien et le mal et s’impose par la terreur – sans débat. Recopiage scolaire de la pensée allemande sous Hegel, pour qui  Dieu s’incarne dans l’Histoire, et que les histrions font accoucher en gueulant très fort comme des femmes en gésine.

  • Je m’interroge sur la contradiction à gauche de prôner le « développement durable » lorsqu’il s’agit de l’énergie et de la planète – mais de refuser ce même « développement durable » lorsqu’il s’agit de la dépense publique…
  • Je m’interroge sur le riche sénateur Mélenchon se faisant défenseur des « pauvres », comme si la fortune venue du public était plus « morale » que l’enrichissement issu de ses mérites, par la création ou l’entreprise. Peu d’ouvriers font confiance à Mélenchon, mais un maximum de profs.
  • Je m’interroge sur cette propension à redistribuer plus… tout en voulant rester « dans » l’euro, comme si la Grèce n’était pas le contre-exemple parfait de gabegie politicienne.

Le « pic » du pétrole est atteint, celui de l’endettement d’État aussi. Il faut donc organiser la « décroissance » de l’État obèse, celui qui se mêle de tout, qui régente tout, avec ses strates multiples de décision sans concertation. Maigrir, réorganiser, simplifier. Les écolos sont d’accord, mais pas Mélenchon. François Hollande a maigri lui-même avant d’être candidat, fera-t-il maigrir la France s’il est élu ? Où laissera-t-il ses petits copains, entrés dans la pâtisserie après être restés longtemps cantonnés derrière la vitre, mettre les deux mains dans les pots de bonbons, aiguillonnée par la gauche de la gauche ?

L’économie n’est pas mécanique, mais politique. Il ne suffit pas de verser d’un vase dans un autre, de prendre aux riches pour redistribuer aux pauvres, pour que tout se rééquilibre tout seul. Cela, c’est la Cité de Dieu catholique c’est le « laisser-faire » dont une certaine gauche ignare croit le libéralisme coupable. L’équilibre s’effectue dans le mouvement et, en économie, il s’agit de la confiance. Ériger la guerre civile en principe, droite contre gauche, riches contre peuple (stratégie d’évitement des élites…), national-socialisme contre libéral-Europe, dénigrer systématiquement tout ce qui a été fait par le précédent gouvernement, « détricoter » loi par loi pour rétablir cet âge d’or qui était avant, faire « comme si » ni le monde, ni l’Europe, ni les Français n’avaient changés – rien de cela n’est fait pour établir la confiance.

  • Ni celle des ménages (qui ne vont pas dépenser s’ils pensent être plus imposés) ;
  • Ni celle des entreprises (interdites de licenciements – donc soucieuses de ne pas embaucher – taxées plus, soumises aux banques par découragement des actionnaires, tentées de délocaliser, voire d’installer ailleurs leur siège social pour les plus grandes – comme Schneider) ;
  • Ni celle des investisseurs (taxés sur les transactions, taxés sur les gains, taxés sur le patrimoine, taxés sur les successions).

La démocratie, c’est le débat, pas le populisme des sondages plébiscitant des décisions idéologiques venues d’une secte : dénoncez tout et fermez les frontières ! dépensez tout et mendiez pour rester dans l’euro ! écoutez le complot Cheminade ! donnez tout le pouvoir aux seuls travailleurs d’usines !

L’Europe du nord sait faire, l’Europe du sud a beaucoup de réticence. Encore que l’Italie ne s’en sorte pas si mal : il y a une vraie souplesse politique sous des dehors partisans – contrairement aux rigidités françaises.

Peut-être est-ce parce que l’Italie exporte plus que la France via ses PME ? L’ouverture à l’extérieur, par les exportations des entreprises régionales, ouvre l’esprit au monde. Elle donne du bons sens à la souplesse et à l’inventivité. Chacun voit alors que s’il ne travaille pas assez, s’il produit trop cher, s’il bloque l’efficacité de l’organisation, si le service après vente est par-dessus la jambe, son salaire va en pâtir, son emploi être compromis.

La France est à l’inverse le pays du fonctionnariat. Près de la moitié de la population active est concernée par l’emploi public, soit directement, soit par le conjoint ou les enfants. De bonne foi, un fonctionnaire ne comprend rien à la compétitivité du pays. Il ne connaît rien à la pression économique (en témoignent les suicides par désespoir des salariés des ex-entreprises publiques à qui l’on demande de changer de mentalité…). Un fonctionnaire ne peut fonctionner mieux que s’il a « plus de moyens », c’est dans l’esprit même de l’administration des choses. Il ne faut pas lui en vouloir, il a été formé ainsi et est de toute bonne foi. Mais pour que la France aille mieux il ne s’agit pas d’administrer les choses : il s’agit de les produire. Qui parle de production, à gauche ? Qui ?

C’est aux politiciens d’expliquer et de convaincre, de prendre les mesures pour encourager à créer et à entreprendre, d’établir la confiance pour ne pas changer les règles à chaque élection, allant pour le produit du travail du laxisme à la confiscation. Mais nos politiciens ont-ils compris quelque chose ?

Les indices de confiance :

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