Articles tagués : parti

Il y a dix ans le 11 septembre

Article repris par Mediuym4You et cité dans FabrizioCalvi.com

Imaginé dès 1994 par Tom Clancy dans Dette d’honneur, un acte terroriste de masse a visé par ses avions Boeing remplis de pétrole la modernité au travers des tours jumelles de New York, ville cosmopolite et cœur financier. Il a été inventé, mis en œuvre et revendiqué par un nouveau Savonarole rigoriste qui a utilisé la base islamique d’Afghanistan dans le schéma de Lénine : de l’Islam dans un seul pays à la révolution mondiale, via l’internationale fondamentaliste. Il s’agissait de venger les Arabes musulmans d’un Occident impie, matérialiste et impérial.

Dix ans plus tard, Ben Laden a été tué par les services américains bardés de technologie, après avoir fait de pâles émules à Londres, Madrid, Kaboul, Bagdad, Djakarta. Dieu l’a voulu ! Au moment où les peuples arabes se sont révoltés eux-mêmes contre leurs oligarchies politiques et militaires et sans l’aide de la religion. Car si les États-Unis ont encouragé un temps la libanisation arabe pour préserver l’accès à l’énergie, les tyrannies qui s’accrochent au pouvoir comme celles de Saddam Hussein, de Muamar Kadhafi, des ayatollahs d’Iran ou de Bachar el Hassad sont des obstacles au flux régulier du pétrole. Il n’y avait donc pas Complot mais intérêt bien compris, qui a changé avec le temps.

La chute des Twin towers est désormais expliquée sans magie par le rapport du NIST, l’Institut américain des normes et de la technologie. Deux cents experts mobilisés pendant trois ans ont reconstitué par ordinateur la séquence des événements depuis chaque impact jusqu’à l’effondrement successif. Il n’y a aucun mystère dans les deux millions de données computées par deux semaines de temps de calcul. L’orientation de chaque avion, l’effet du kérosène dont ils étaient pleins sur la température, la structure des édifices en colonnes d’acier supportant une armature de toit et d’antennes, suffisent à expliquer la catastrophe.

Il n’y a pas de « dessein intelligent » dans la suite des événements, pas de Complot hors de l’esprit tordu des mauvais médiatiques qui ont profité du choc pour se faire mousser (et se faire de l’argent). Sauf qu’il reste des complotistes qui croient dur comme fer que le 11-Septembre est une invention de la CIA, tout comme l’homme sur la lune est un canular d’Hollywood. On croit bien que le vin se transforme en sang à la messe et que Jésus est ressuscité d’entre les morts, me direz-vous ! Certes, mais c’était il y a deux millénaires et les preuves sont affaire de foi. Tandis que nous sommes aujourd’hui et que l’information existe.

L’information est à l’inverse une suite de faits établis, issus de sources fiables, vérifiés par recoupements et analysés dans leur contexte. Elle est un travail de professionnel – un métier – pratiqué par les bons journalistes, mais aussi par les chercheurs, les professeurs d’université, les diplomates, les services de renseignement et les gouvernements, les économistes spécialisés en intelligence économique, les stratèges boursiers, les décideurs des grandes entreprises. Or Internet a pour particularité de mettre sur le même plan toutes les informations, sans tri ni indice de fiabilité. Les complotistes se focalisent sur des détails; ils les montent en épingle en démontrant qu’ils ne sont pas expliqués. Et alors ? Si l’explication globale se tient, pourquoi cette obsession névrotique d’aller cherche la petite bête ? Le sage montre la lune et l’imbécile regarde le doigt, disent les vieux Chinois.

Croire sans réflexion « ce qui se dit », l’opinion commune, juste pour paraître comme tout le monde, dans le vent est une naïveté proche de « la bêtise », si bien analysée par Flaubert dans son ‘Dictionnaire des idées reçues’, comme par Nathalie Sarraute dans ‘Disent les imbéciles’. Mais s’il ne s’agissait de jeux entre geeks assez ignorants du monde réel, focalisés sur les bits d’info sans la capacité de trier les vrais des faux, on pourrait refermer les portes de l’asile et les laisser jouer entre eux. Sauf que cette mise en équivalence de tout aboutit au n’importe quoi millénariste où la croyance l’emporte sur toute vérité. Le doute reste une info, même s’il a été levé par une autre info : les deux sont juxtaposées sur le net, absolument pas mises en perspectives. D’où la désinformation qui manipule les peurs et les espérances, tout comme la foi levait les foules « enfants », en l’an mille.

La désinformation consiste à présenter pour « vrais » des faits hypothétiques ou déformés, issus de sources obscures, non vérifiés et sortis absolument de leur contexte. La désinformation s’apparente à la rumeur qui est un mode de pensée magique. Elle reflète un climat social sombre et projette sur un bouc émissaire une angoisse collective selon Jean-Noël Kapferer dans ‘Rumeurs’. Une pensée magique est une pensée sortie absolument de l’histoire, un fixisme des « essences » à la manière de Platon dans le mythe de la caverne. Les faits ne se produisent pas ici et maintenant mais sont l’archétype de faits éternels qui se reproduisent mécaniquement, quel que soit le contexte. Ainsi le Traître, le Cheval de Troie, le Complot…

Nul besoin alors d’analyser avec précision ce qui s’est produit le 11 septembre 2001 à 9h03, ni d’enquêter pour vérifier et recouper – il suffit de partir à l’envers. Évoquer le Mythe lui-même, comme certains invoquent le Diable, fait apparaître une structure logique, immédiatement compréhensible, à laquelle tout vient s’agréger, « prouvée » par ces petits détails restés mal expliqués. Hélas ! Il ne suffit pas d’être « logique » pour être « vrai »… Une logique peut être délirante lorsqu’elle part de prémisses fausses ou déformées. Elle est alors proprement « paranoïaque ». S’il suffit de raisonner juste… sur la base d’informations fausses pour paraître dire quelque chose de crédible, n’importe quel affabulateur peut dire n’importe quoi.

C’est cette bêtise de foule, amplifiée par Internet et par le superficiel du zapping, qui est morte avec Ben Laden le 1er mai 2011, un peu moins de dix ans après l’attentat du 11-Septembre. Il y en a toujours qui sont plus enclins à « croire » qu’à « vérifier » ou à « penser par eux-mêmes ». Tant pis pour eux. Ils ne seront toujours que des moutons à suivre n’importe quel berger. La liberté leur fait peur, l’autonomie les effraie, ils préfèrent qu’on leur dise ce qu’il faut faire sous la houlette d’un État fort, et quoi penser via un parti omniscient manipulé par des gourous en vogue. Ceux-là sont les ‘esclaves’ qu’évoquait Nietzsche, mûrs pour la tyrannie. Le contraire du mouvement d’émancipation venu des Grecs sur l’agora à la démocratie libérale du XXe siècle, en passant par la Renaissance, les Lumières et les révolutions.

Paradoxe : c’est lorsque l’Occident a peur et se réfugie dans le préjugé, le mythe du Complot et le bouc émissaire… que les peuples arabes musulmans asservis relèvent la tête et renversent leurs dirigeants. Belle leçon à méditer pour nos naïfs prêts à croire n’importe quoi écrit sur Internet !

Une enquête fouillée d’un « vrai » journaliste d’investigation, Fabrizio Calvi, vient de paraître. Elle pointe la stupidité à courte vue de la CIA et le fonctionnarisme du FBI. Là encore, pas de complot mais l’arrogante bêtise américaine trop sûre d’elle-même…

Voir une bonne feuille du livre sur Rue89

Fabrizio Calvi, 11 septembre la contre enquête, Fayard, 31 août 2011, 536 pages, €20.90

Catégories : Etats-Unis, Géopolitique, Religions | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Quel socialisme après La Rochelle ?

Article repris par Medium4You.

L’université d’été s’est achevée et la question demeure : le socialisme s’est-il perdu dans les sables ?

A écouter les six candidats à la candidature, Manuel Valls, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande, Jean-Michel Baylet et Arnaud Montebourg – seuls les plus jeunes ont quelques idées d’avenir ; ils sont aussi les plus marginaux dans ce parti de vieux. Pour les ténors, l’œil britannique n’a pas manqué sa cible : « on les croirait congelés en 1981 ». Il ne s’agit que de taxer, règlementer, surveiller, étatiser…

Aucun pragmatisme mais le tropisme théorique : yaka faire une « grrande » réforme fiscale et tout ira bien, on pourra dépenser à tout va comme avant, pour arroser les clientèles.

L’Europe ? Yaka violer Merkel, « l’égoïsme » allemand est insupportable aux tenants du Bien qui ont la Raison pure infuse. Puisque les socialistes français détiennent – de droit divin historique – la Vérité, yaka la clamer à la face du monde pour que tout le monde s’incline.

C’est pitié que d’observer une grande nation se perdre en ses vieilles lunes de parti usé jusqu’à la corde. Le monde a changé mais la France socialiste demeure figée dans sa grandeur passée, incapable de bouger, de changer, de s’adapter. La France de gauche ne sait plus où elle en est. A l’origine syndicaliste-anarchiste avec Proudhon, devenu marxiste réformiste sous Lénine, le socialisme du parti s’est transformé en social-démocratie après 1945 puis s’est perdu dans l’émergence du monde tiers.

Plus de sous ! Fiscaliser ne suffit pas, d’autant que Thomas Picketty, expert des impôts au PS, avait déjà montré en 2007 qu’il y avait certes justice sociale à taxer les riches mais aucun « trésor caché » puisque les riches sont fort peu nombreux (Le Monde, 11 juin 2003).

  • Comment imposer les transactions financières sans nuire aux emprunts d’État – que seuls les étrangers vont désormais acheter ?
  • Comment raboter les niches fiscales sans nuire à l’emploi, le premier d’entre eux étant l’immobilier ?
  • Comment répartir ce qu’on ne sait pas produire ?

Le socialisme, expert en administration d’État, n’a pas su penser la société civile. Ce pour quoi il se réfugie aujourd’hui dans l’utopie écolo. Sans voir qu’entre l’utopie positive qui entraîne et la réalité à ses pieds qui résiste demeure un gouffre si l’on n’imagine pas aussi la passerelle !

Tout commence par la réforme de l’État, or le PS a la majorité de ses électeurs, militants et sympathisants dans l’appareil d’État. Équation impossible si l’on dit que la France est dans la moyenne haute des pays de l’OCDE pour le nombre de fonctionnaires par habitant (90 pour 1000 habitants) mais surtout que leur fonction n’est plus à la page pour être efficace (la centralisation d’État devrait nécessiter moins de fonctionnaires que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, plus décentralisés). Scandale de l’évaluation pour les évaluateurs, ceux qui jugent tout du haut de leur statut : profs, flics, fonctionnaires du social. Alors que cela se fait sans drame dans tous les pays voisins.

L’écosocialisme se contente de ressourcer la vieille « croisade des enfants » où les illuminés marchent vers l’étoile. Économiser les ressources de la planète est bon, mais il serait mieux de rendre plus efficace la production de ce qui est. Las ! Les discours se bornent au catastrophisme mondial et aux micro détails locaux. Entre le « petit » producteur qui vend des paniers aux bobos et le « grand marché mondial » où la Chine est très présente, il n’y a aucune pensée de gauche. Veut-on nous faire croire qu’on gère un pays comme une région ? Le Poitou-Charentes ou Lille n’ont pas d’armée, que je sache ! Pas de politique étrangère, pas de place aux négociations de l’OMC ni dans les instances européennes !

La seule pensée de gauche se réduit, pour les plus avancés du PS, à la doctrine du FMI.Le bien-vivre écologique est une philosophie de sagesse… mais pour qui a déjà quelques ressources. S’il s’agit de conforter fonctionnaires et retraités, la France n’a pas besoin du parti socialiste. Aménager la stagnation, tous les partis savent faire. Pour aller de l’avant, peu ont des propositions.

La droite s’adapte avec pragmatisme, selon les vents du monde – c’est déjà ça. Au PS, on attend encore le Sauveur alors que le dernier pressenti, adepte de la dépense compulsive, imposée avec violence, vient de se griller lamentablement dans une chambre d’hôtel à Manhattan. Peu importent les particularités de la procédure américaine, les rapports médicaux et policier font foi, qui prouvent une émission de sperme strausskhanien et lésions sur le vagin de la femme. Consentante ou non, pour le fric ou non, l’aventure laisse apparaître toute l’arrogance, la vie de riche et les mensonges soigneusement mis en scène d’un apparatchik socialiste à qui tout semble permis. Une fois de plus un dirigeant du PS se dit responsable mais pas coupable.

Il faut donc encore « reconstruire »… Mais cela fait plus de dix ans que le socialisme ne cesse de se « reconstruire » sans avancer d’un pas. Depuis Jospin, rien. Plane l’ombre du populisme d’extrême-droite, contre laquelle seules des incantations émanent du PS.

Or le monde avance. Les Français peuvent être fiers de leur modèle économique et social, mais il craque de partout : trop de carcans, trop de niveaux hiérarchiques d’État, trop de dilution des responsabilités – et plus assez de sous pour des prélèvements obligatoires au sommet des pays de l’OCDE !

  • On ne fait pas l’Europe sans consentir à entamer la souveraineté nationale,
  • on ne se dit pas solidaires sans avoir une idée des conséquences de la crise grecque,
  • on n’emprunte pas auprès des marchés financiers sans se dire qu’il faut fixer un cap de sérieux,
  • on n’évoque pas un déficit keynésien sans voir qu’il n’est efficace que lorsqu’il est provisoire et non le prétexte perpétuel à la distribution démagogique,
  • on ne se préoccupe pas de l’emploi et de la vie quotidienne sans poser les problèmes de l’immigration et de l’identité des autochtones, et ceux de la paperasserie administrative et des règlementations sans fin.

Sur tout cela, motus au PS ! Yaka faire une « grrrande » réforme fiscale et violer Merkel. Point à la ligne. Alors que toutes ces pressions conduisent le Français moyen et populaire à un repli sur soi et au refus de toute différence.

Ce pourquoi les ouvriers ont déserté le PS aux élections récentes. Tout ce qui change est menaçant. Le modèle multiculturel est en faillite pendant que les partis de gauche ou les militants antiracistes sont peu à peu contestés. Car ce n’est pas être « raciste » que de dire que l’intégration se fait mal : c’est dire qu’on a mal et que c’est la faute au tabou concernant l’immigration. Ne pas en parler est bien pire que de dire ce qui est : que l’intégration se fait cahin-caha, que les « quartiers » sont des sas de passage vers une évolution par l’emploi et pas ces ghettos à l’anglo-saxonne qui fomentent des émeutes, que les études mènent à intégrer la société mieux que les discours compassionnels sur sssseuxquiisouffrrrr.

La primaire serait la solution ? Nous l’avons toujours écrit, adopter les mœurs américaines nécessite de laisser tomber l’esprit de caste à la française. Hillary Clinton a embrassé Barack Obama après son échec : verrait-on Martine embrasser François ou – pire ? – Ségolène baiser Martine (sur les joues) ? Si primaire il y a, il faut qu’elle soit ouverte. Tous les candidats, même les plus improbables, doivent pouvoir se présenter. Ce n’est évidemment pas le cas dans un parti resté léniniste pour qui il s’agit surtout de verrouiller.

L’électeur de gauche n’aura donc le choix qu’entre la fille de son père, le mari de sa femme et la femme du mari, plus quelques vagues outsiders mal considérés dans les rangs enseignants. Manuel Valls a le pragmatisme propre à la droite, voilà qu’il est aussitôt catalogué « de » droite, en bonne pratique stalinienne.

Hors du Dogme, point de salut ! C’est ce que disait le capitaine du Titanic lorsqu’on évoquait vaguement les icebergs déréglementés se baladant librement sur la mer libre…

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Péguy et la mystique républicaine

Dans les années 80 j’ai trouvé en solde dans la collection « Velpeau » de Gallimard un court livre édité en 1933 et réédité depuis en Folio essais : ‘Notre jeunesse’. On ne lisait déjà plus Péguy et avec raison tant le style est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de tribune fait pour être dit, pas pour être lu. La déclamation d’assemblée passe mal le silence de la page. ‘Notre jeunesse’ est peut-être la plus lisible des œuvres de Péguy. Le lecteur y découvre quelques idées restées neuves.

S’il est peu question de la jeunesse en général, et encore moins de celle de l’auteur malgré le titre, Charles Péguy développe certaines de ses conceptions politiques à leurs débuts. Elles sont marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy nomme avec emphase la « mystique républicaine ». Un Mélenchon n’a pas peur de raviver l’idée aujourd’hui pour servir sa dissidence. Mais c’est une grande idée, simple comme toutes les grandeurs. Je crois qu’elle porte encore puisqu’elle est probablement le moteur des révolutions arabes.

Il s’agit d’une transcendance. La république comme substitut de religion. Le contraire même de la religion d’État ou de la religion de l’État. Louis XIV qui ne voulait voir qu’une tête (la sienne) et le jacobinisme botté intolérant d’une certaine gauche comme d’une certaine droite, apparaissent aussi insupportables en regard de la république. Celle-ci, « chose publique », signifie l’intérêt général.

  • Il n’est pas forcément celui du plus grand nombre : ce ne sont pas les sondages qui gouvernent.
  • Il n’est certainement pas celui d’un seul, omniprésident, guide, conducator ou secrétaire général.
  • Il est celui d’un groupe informel et pas d’un parti.
  • Il est soucieux du bien de la nation avant toute autre chose. Mitterrand a ainsi imposé l’abolition de la peine de mort à une opinion rétive… qui reconnaît son bien-fondé. De Gaulle avait de même imposé l’indépendance algérienne à son camp qui y était hostile, volontiers nationaliste.

Ces présidents-là avaient l’air de gouverner seuls. Ils incarnaient en fait la France, une certaine idée partagée de l’avenir commun. Leur solitude était légion.

La mystique signifie l’au-delà de la matière, la mise en veilleuse des petits intérêts cuits à petit feu dans leurs petits coins par les petits lobbies et les partis étroits. L’argent, les machines politiques, les alliances internationales, la mondialisation, conduisent du fait de leur complexité à réserver le champ du politique aux seuls spécialistes. Or la politique est la vie de la cité, elle concerne chaque citoyen, elle appelle tous ceux qui veulent le devenir, jeunes, exclus ou immigrés. Avec le recul, c’est bien la mystique républicaine qui a fait naître la Résistance comme la conquête du pouvoir par la gauche en 1981, ou encore la volonté de bouger enfin la France dans un monde qui accélérait, en 2007. C’est l’une des causes des révoltes arabes, et certainement ce qui pousse los indignados à revendiquer d’exister dans une société qui les ignore, les éduque par-dessus la jambe et les exclut du travail.

Que dit donc Péguy ? Pour lui, la modernité est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. Cette mystique qu’il revendique est une foi, mais pas forcément religieuse. Elle est le sens des valeurs, la culture en acte. Incarnations : Jeanne d’Arc, Barra, Gavroche, de Gaulle au 18 juin, Jean Moulin, Albert Camus face à la haine des Sartre – pour n’évoquer aucun vivant.

« Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui est peut-être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Ne sautez pas au plafond au mot de ‘race’, c’est une clause du style d’époque pour dire l’honneur, d’essence aristocratique. La ‘race’ au sens de Péguy n’est pas la sélection génétique mais le tamis des valeurs inculquées par la culture et le milieu. « Car des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28.

Mais c’est une loi historique que toute foi s’use, que toute légitimité se voit remise en cause, que toute noblesse devienne routine. La tragédie se répète en comédie, la mystique se dégrade en politique, les pensées vivantes en idéologie fermée, la volonté en propositions réduites à l’acceptable, la culture en enseignement monotone et l’enseignement en pédagogisme… Ce qui était vivant, fruit d’un élan, s’intellectualise, se dessèche, se réduit, se bureaucratise. On ne construit plus, on nomme une commission ; on ne décide plus, on cherche le plus petit commun dénominateur pour ne fâcher personne. Les saints deviennent clercs, puis énarques ; les héros passent nobliaux fiers de leur naissance plus que de leurs actes, puis politiciens démagos fiers de leur beau quartier, de leur écoles huppées, des résidences réservées et des rallyes privilégiés pour marier leurs descendance ; les entrepreneurs deviennent gestionnaires puis administrateurs, l’esprit d’entreprise se dégrade pour se réduire ultimement au seul contrôle des coûts.

La grandeur, on ne la comprend plus, donc on la méprise. Le scepticisme intellectuel croît très fort dans le calme et la paix, engendrant une somnolence de la raison, plus sollicitée par les instincts ou les mouvements. Chaque catastrophe nous le révèle : l’Administration n’a jamais rien vu, les politiciens n’ont rien anticipé, les décideurs réagissent affolés à ce qui aurait dû être au moins envisagé. L’État n’est plus incarné, c’est personne. Voilà la politique du parapluie, le principe de précaution inscrit dans la Constitution, la somnolence Chirac élevée au rang des beaux arts… Auparavant, il y eût la faillite de mai 1940, la débâcle de toute une société petite-bourgeoise, provinciale, contente d’elle-même et confite en un « radicalisme » qui n’avait plus aucune radicalité autre que celle de conserver à tout prix ses zacquis.

Ce sont alors les obscurs, les sans-grades qui sauvent l’honneur, ceux qui avaient gardé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine. Joseph Kessel a magnifiquement décrit ce premier mouvement dans ‘Pour l’honneur’, dédié aux résistants de la première heure face à la démission des élites française de la IIIe République en 1940, tout comme aux républicains espagnols catalans.

La mystique républicaine s’applique à tous les peuples. Mais la France a ses particularismes en Europe et dans le monde. Charles Péguy les énumère : « la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré, une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir l’injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. Avec l’hédonisme post-68 et la contamination américaine, ces vertus seraient à revoir, mais ne boudons pas notre plaisir : la mystique républicaine reste.

La question est : qui l’incarne ? Il ne suffit pas de le clamer, comme Mélenchon. On sent chez lui que, très vite l’intérêt « général » risque de se réduire à celui de son clan, de sa vérité étroite. Comme Chavez ou Castro, il est universel avant de prendre le pouvoir, il risque d’être sectaire après. Il y avait de Gaulle, il y a eu Mitterrand. Quelques autres ont émergé sans accéder à la haute fonction. Qui  pour 2012 ?

Charles Péguy, Notre jeunesse, 1933, Folio essais 1993, 344 pages, €9.40

Joseph Kessel, Pour l’honneur, 1964, Livre de poche 1972, €1.80 occasion

Catégories : Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

10 mai : dis-moi lequel ?

Vous allez voir, il n’y en aura que pour 1981, le seul 10 mai reconnu par le lobby médiatique ! Et pourtant, les 10 mai français sont nombreux et bien plus importants : c’est le 10 mai qu’en 1871 le traité de Francfort met fin à la guerre franco-allemande, le 10 mai qu’en 1940 l’Allemagne nazie envahit la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, le 10 mai 1968  qu’a lieu la première nuit des barricades…

Chacun de ces 10 mai a fait basculer l’histoire :

  • en 1871 vers la Commune puis la IIIème République avide de « réarmement moral » et d’instruction du peuple,
  • en 1940 vers la plus grave défaite de la France en sa mentalité, ses élites, son confort moral et son pastis, incitant à la Résistance et à la régénération du pays par le Conseil National en 1944,
  • en 1968 vers la chute du vieux monde ranci, autoritaire et hiérarchique, imposé par des vieux sur la société tout entière, avec des valeurs rigides d’un autre temps.

Le 10 mai 1981, parmi tous ces 10 mai, apparaît comme un détail de l’histoire, la première élection sous la Ve République d’un président de gauche qui qualifiait les institutions de « coup d’état permanent »… La célébration 2011 du 10 mai 1981 n’est guère plus que celle du 19 mai 1974 qui vit la victoire de Giscard d’Estaing en plus jeune président de la Vème République : un incident du XXe siècle.

Oh, certes, on voit bien où cet anniversaire des « trente ans » veut en venir : encore ! encore ! encore ! C’est toute la gauche qui saute comme un cabri pour revoir ça.

Sauf qu’il ne suffit pas de sauter sur sa chaise pour engendrer l’histoire. L’analyse du 10 mai 1981 devrait inciter à plus de modestie. Quelle fut en effet cette « victoire » de la gauche ? Un mythe, un espoir déçu, l’amertume des lendemains qui déchantent. Comme si la politique française ne pouvait connaître d’alternance « normale » entre majorité et opposition, ce qui se passe dans tous les pays voisins. Il faut à chaque fois en faire un drame, chanter « la révolution » avant de déchanter face aux réalités.

La victoire de François Mitterrand n’avait rien d’acquis ni de logique. L’Union de la gauche battait de l’aile entre un parti Communiste méfiant et un parti Socialiste qui ne se sentait plus, lui même écartelé entre le jacobinisme mitterrandien et la deuxième gauche rocardienne. Les intellos de gauche flottaient dans la désillusion idéologique depuis les boat people vietnamiens en 1975, qui ont voté massivement avec leurs rames contre le communisme Viêt-Cong – tant chanté par les Jean Lacouture. Le Cambodge du pote Pol n’a pas été sympa avec les bourgeois, mais pas non plus avec les urbains, en bref avec 80% du peuple qu’il a « rectifié » à la campagne et dans les camps, ce qui a fini par se voir en 1979 malgré les dénis obstinés et les œillères idéologiques. C’est le moment que choisit la moitié asiatique du communisme mondial pour reconnaître que « peu importe qu’un chat soit blanc ou jaune s’il attrape les souris », ouvrant la voie au capitalisme surveillé par le parti, boulevard du développement chinois… Le 10 mai 1981 n’est donc pas une victoire de l’idéologie de gauche, seulement celle d’un habile stratège de parti.

Cela ne lui enlève rien, sinon son mythe. Ne pas rêver en 2011 – si « la gauche revient » avec son jacobinisme botté, son misérabilisme du soin, ses dépenses à guichet ouvert pour lépludémunis…

  • Les Français veulent travailler, pas se faire assister (ce que Villepin n’a pas compris, ni Aubry avec ses emplois-parking pour léjeunn, cette race bizarre de fouriens) ;
  • Les Français populaires veulent s’élever dans la société, pas rester « éduqués » à exprimer leur indigence (ce que l’E.NAtionale n’a pas compris avec le spontanéisme, l’abandon de l’orthographe et de la rédaction, le bac-pour-tous… et la sélection drastique à l’université, dans les grandes écoles, pour le premier emploi !) ;
  • Les Français moyens veulent un emploi, se loger et assurer un avenir à leurs enfants, pas plus mais pas moins (et surtout pas payer encore des impôts pour le tonneau des danaïdes de l’immigration sauvage, des banlieues ghetto et des fabriques à crétins).

Ne pas rêver donc, mais, comme à l’école primaire, savoir lire un programme, savoir juger le réaliste et savoir compter.

Car le 10 mai 1981 a été suivi rapidement du « tournant de la rigueur » de l’automne 1982, après trois dévaluations du franc. Aujourd’hui, on ne peut plus : ce sont la dette et l’euro qui contraignent, autant en être conscient. L’espoir déçu est pire que les promesses précautionneuses : voyez Sarkozy ! A force de promettre « la croissance avec les dents » le « travailler plus pour gagner plus », le retour des emplois et le « nettoyage des racailles au karcher », chacun mesure les résultats face à la parole donnée. 2007 avait fait naître un vigoureux espoir de réformer enfin cette France immobile, confite en castes comme en 1870, en 1940 et en 1968. Le pétard a fait « pschitt ! » comme disait si bien le dernier roi fainéant.

1981 est aussi l’aboutissement de deux chocs pétroliers, celui de 1973 après la guerre israélo-arabe du Kippour (hop ! plus 70% de hausse pour le prix du baril) et celui de 1979 après la victoire de l’obscurantisme chiite avec Khomeiny en Iran (et hop ! encore dans les 100% de hausse). Le président Giscard a mal joué en hébergeant un serpent en son sein, tout comme Sarkozy a fait risette à Kadhafi avant de le bombarder.

La gauche pourrait gagner seulement parce que la droite peut perdre. Car la crise d’hier revient aujourd’hui :

  • Réformes : Elle a fait du mal au septennat giscardien malgré ses réformes libérales (majorité à 18 ans, divorce, droit à l’avortement, suppression du monopole ORTF, création du système monétaire européen, lancement des études pour le TGV). Or la crise est là encore aujourd’hui.
  • Divisions : La trahison de Jacques Chirac, maître du RPR, qui n’appelle pas à voter Giscard au second tour, ressemble fort à celle de Villepin ou Borloo aujourd’hui.
  • Affaires : Les diamants ont crispé en 1981 le président sortant, l’incitant au déni et au mépris, ce qui n’a pas aidé les quelques électeurs hésitants à le garder. Les affaires Bettencourt, Alliot-Marie, après celle du fils et quelques autres peuvent jouer le même rôle en 2012 qu’en 1981…

Aujourd’hui que « 10 mai » sonne comme « dis mêêêê…! », alors que les évêques mitrés du culte de Mithra-Mittrand redisent encore et toujours la messe et font lever les hosanna vers « Dieu » -autant penser par soi-même pour se faire une idée.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jonathan Coe, Le cercle fermé

Voici la suite de ‘Bienvenue au club’déjà chroniqué sur ce blog. Nous ne sommes plus dans les années 1970 mais au début des années 2000. Les adolescents au lycée, vivant leurs amours et leurs ambitions dans un humour ravageur ont fait place à des adultes mariés, parfois avec enfants. Sont-ils heureux ? Ont-ils réalisé les promesses de l’aube ? C’est tout le sujet de ce second tome.

Doug l’apprenti journaliste dans le bulletin du lycée et fils de syndicaliste, est devenu journaliste politique ; il est marié à Frankie, fille de la haute, dont il a deux fillettes. Et l’on rit lorsque les gamines essayent maladroitement de répéter les injures sorties de la bouche de leur père à l’énoncé d’une mauvaise nouvelle, devant leur mère outrée. Culpepper, sportif et bon élève en concurrence avec Steve le Jamaïcain noir, est devenu homme d’affaires proche du pouvoir ; il a pris une bedaine et un cynisme qu’on ne lui aurait pas deviné. Steve a laissé la physique, où il a échoué en terminale, pour la chimie où il dirige un labo de recherche jusqu’à ce que la quête du profit maximum immédiat le mette sur la paille dans les années Blair. Le pâle Philip a épousé Claire et ils ont un fils, Patrick, 15 ans au début du livre. Mais le couple a divorcé, ayant chacun fait le choix du mauvais conjoint. Philip est toujours resté amoureux de Lois, qui en a épousé un autre, tandis que Claire aurait bien épousé Benjamin.

Benjamin justement, reste le héros du livre, le personnage central autour duquel tout tourne. Nous l’avions quitté éperdument amoureux de Cicely la poison. L’a-t-il épousé comme rêvé ? Point du tout ! Sitôt l’amour fait, Cicely est partie rejoindre sa mère qui officiait sur les planches à New York, et a connu là « sa période gouine ». Benjamin n’a donc pas écrit son grand œuvre, il est devenu expert-comptable. Il a épousé la triste Emily, militante chrétienne. Ils n’ont pas d’enfant, n’étant pas parvenu à en faire. Le lecteur apprendra, au fil des pages, qu’il s’agissait bien d’un blocage psychologique car tant Benjamin qu’Emily en auront un par ailleurs… mais ne dévoilons pas trop l’histoire. L’auteur entremêle les destins de façon qu’une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits. Mais cela donne des coups de théâtre excellents, comme celui qui arrive à Paul sur la fin. L’infernal petit frère des années lycée est resté aussi chieur qu’ado en devenant député travailliste. Il a constitué un club, comme les Anglais aiment tant à s’y distinguer, le Cercle fermé. Ce rassemblement informel d’amis autour d’un projet politique commun est une façon de comploter à l’intérieur du grand parti, afin de se pousser du col. Ne critiquons pas trop les clubs anglais : les Français ont leurs franc-maçonneries, ce qui ne vaut guère mieux.

Outre sa construction originale qui fait retrouver les personnages selon des liens inattendus, outre l’usage réitéré de fragments littéraires divers tels le récit, le journal intime, le courriel, l’un des intérêts multiple de ce gros roman est sociologique. L’auteur porte un regard aigu sur les travers de son époque et de son pays. Plutôt porté à gauche, Jonathan Coe n’en raille cependant pas moins l’égoïsme indifférent des bobos locaux. Telle cette conne, « la conductrice d’un énorme 4×4 vert bouteille – qui semblait fait pour acheminer des vivres sur des routes défoncées entre Mazar-e-Charif et Kaboul plutôt que pour emmener au supermarché, comme cela semblait être le cas, un couple bourgeois avec enfant – klaxonna furieusement en faisant une embardée, portable à la main » p.81. On se demande combien de mains possède cette Shiva démoniaque qui fait tout en même temps en se foutant pas mal des autres.

Mais les hommes ne sont pas mieux traités. Ils emmènent le dimanche leurs enfants petits au square. « La plupart des nounous, apparemment, avaient leur dimanche libre, et les pères pouvaient ainsi profiter de leurs enfants au parc tandis que les mères restaient à la maison pour faire ce qu’elles ne pouvaient pas faire le reste de la semaine pendant que les nounous s’occupaient de leurs enfants. Ce qui signifiait en pratique que les enfants étaient livrés à eux-mêmes, délaissés et confus, tandis que les pères, chargés non seulement de journaux, mais de pintes de café Starbucks ou Coffee Republic, tentaient de faire sur un banc ce qu’ils auraient fait à la maison s’ils en avaient eu la possibilité » p.112.

Car le monde a pris la bougeotte. « Nos parents ont gardé le même boulot pendant quarante ans. Mais maintenant (…) Doug a changé de boulot. Moi, j’ai changé de boulot et de pays. Steve veut changer de boulot, apparemment » p.303. Sauf un : Benjamin le lunaire, jamais remis de l’amour de sa vie pour l’égoïste évanescente Cicely. Il va d’ailleurs la retrouver, juste au moment où il envisageait de se faire moine, mais je ne déflore rien de plus. Sauf que l’on apprend tout sur le miracle du slip, irrésistible dans le premier volume.

Le monde a pris de l’égoïsme aussi. Les manifs syndicales aux portes des usines précises, dans les années 1970, ont laissé place à des manifs pour des abstractions : contre la guerre en Irak ou pour conserver Rover en Grande-Bretagne. Personne ne fait plus attention aux autres, sauf par nostalgie adolescente, et encore. Le joyeux Harding, potache blagueur célèbre au lycée, est devenu un pronazi cynique célibataire et aigri, vivant tout seul dans la campagne en écolo de Hobbes, en guerre contre tous. Les néolibéraux ont pour hantise la promiscuité, ils s’isolent en cercles fermés, en ghetto de résidence, en plages réservées. « Ils emploient leur argent à installer un système de filtrage, à édifier autant de barrières que possible, afin de n’entrer en contact digne de ce nom qu’avec des gens du même type qu’eux, économiquement et culturellement » p.349. Les néotravaillistes se sont acoquinés avec eux, ce qui explique pourquoi Blair a fini par perdre le pouvoir.

Quant au modèle américain, il est celui de la pute. Racoler le client comme on racole sur le trottoir, susciter le désir de consommer sur le schéma de la baise. Munir, anglais d’origine pakistanaise, est outré de voir à la télé les séries de « stars » américaines : « Ces femmes sont dans un endroit public et elles discutent de la meilleure manière de pratiquer une fellation, exactement comme elles parleraient tricot ou cuisine. Et l’une d’elles – celle-là, là-bas ! – vient de reconnaître qu’elle avait couché avec cinq hommes différents en une semaine ! Quel respect, quel respect ces femmes peuvent-elles éprouver pour elles-mêmes, pour leur corps ? (…) Voilà ce que c’est, l’Amérique, aujourd’hui, un pays de dégénérés ! Pas étonnant que le reste du monde se soit mis à les mépriser ! Quelle… quelle probité attendre d’un pays qui se conduit ainsi ? (…) Qui prêche la religion et la morale, mais dont les femmes se comportent comme des putains » p.420. Ce pourquoi Blair, fourvoyé à tort dans la guerre d’Irak avec Bush junior, a fauté, au grand dam de l’auteur qui vote travailliste.

Un bien beau livre qui montre que tout est lié, que l’on n’oublie jamais, que sans cesse les causes produisent leurs effets inattendus. La vie, quoi. Avec d’attachants personnages.

Jonathan Coe, Le cercle fermé (The Closed Circle), 2004, Folio 2009, 551 pages, €7.98 

Le coffret Bienvenue au club + Le cercle fermé, Folio, €15.96 

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,