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Albert Camus, Noces

Dans le recueil ‘Noces’, écrit vers 1937 à 24 ans, le premier texte est une merveille. ‘Noces à Tipasa’ chante le bonheur de vivre, d’être tout simplement au monde, dans le paysage, en accord avec ses dynamiques. La richesse présente est si vaste qu’elle submerge. Il n’y a plus ni riche ni pauvre, ni puissants ni misérables, ni vallée de larmes ni promesse de paradis. Aucun plus tard offert à l’imagination ne peut égaler l’écrasante omniprésence de l’instant.

Tipasa est une cité romaine ruinée à quelque distance d’Alger, au bord de la Méditerranée et au pied du Chenous. « Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la mer à gros bouillons dans les amas de pierres. » Ainsi commence le texte, tout empli d’observation attentive et d’empathie pour l’univers. Camus jeune est un païen qui vibre aux rythmes naturels ; il a en lui cette grande joie de vivre, cette énergie qu’il ressource au soleil et au vent, aux flots et à l’odeur des herbes.

« Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l’amère philosophie qu’on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. » Foin des grands mots, des attitudes théâtrales, des postures héroïques tourmentées – la philosophie n’est pas dans la masturbation intello à la Hegel, ni dans les engagements à la Sartre, ni dans les prises de position des vertueux clamant leur vertu à la face des autres. La philosophie est l’art de bien vivre, dans la lignée des Grecs et de Montaigne. Elle est d’être ici et maintenant, et de réaliser au mieux sa condition d’homme.

« Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa nature profonde. » Pour cela, il faut s’accorder à ce qui nous entoure, sans vouloir le contraindre, ni imaginer un ailleurs meilleur. « J’apprenais à respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais. Je gravissais l’un après l’autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense… » Fais ce que dois, tu n’es ni dieu ni diable mais homme tout simplement. Roule donc ton rocher comme le titan sur la montagne, puisque telle est ta condition. « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

« Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux Mystères d’Eleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. » Le bonheur est le simple accord de l’être avec ce qui l’entoure. Bonheur encore plus grand dans le plus simple appareil, sens en éveil, tout entouré de nature.

Car la vérité humaine est la vie éphémère, celle du soleil qui précède celle de la nuit comme la vie précède la mort. Toute cité devient ruines et le bâti retourne à sa mère la nature. Est-ce pour cela qu’il ne faut point bâtir ? L’homme n’est pas un dieu, il ne vit pas dans l’éternité et son destin est tragique : il vit d’autant plus au présent qu’il n’existait pas au passé et qu’il n’existera plus au futur. Il se condamne à mourir par le seul fait de naître. Mais, durant sa courte vie, il construit pour lui et avec les autres. D’où son exigence d’agir ni pour plus tard ni pour ailleurs mais ici et maintenant son vrai destin d’homme.

« J’aime cette vie avec abandon et je veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. » C’est la grandeur de la bête intelligente d’être consciente de son destin. Lucide comme la lumière, exigeant la vérité qui tranche comme le rai de soleil. « Je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir vivre. » La société, en effet, déforme. Trop contrainte de puritanisme paulinien, de mépris d’Eglise pour l’ici-bas, de convenances bourgeoises. Il faut se découvrir, se construire, se prouver. « Connais-toi toi-même », exhortait le fronton  du temple d’Apollon à Delphes ; « deviens ce que tu es », exigeait Nietzsche ; « fais craquer tes gaines » proposait Gide ; soit « ami par la foulée » criait Montherlant. Ce sont les références d’Albert Camus en ses années de jeunesse, auxquelles il faut ajouter Jean Grenier, qui fut son professeur.

« Tout être beau a l’orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd’hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierai-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre ? Il n’y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd’hui l’imbécile est roi, et j’appelle imbécile celui qui a peur de jouir. » Les ‘Noces’ de Camus sont celles de l’être et du monde, celles de l’auteur avec sa terre maternelle. Les autres textes du recueil sont dans le ton : le vent à Djémila, l’été à Alger, le désert dans la peinture italienne. Il s’agit toujours de se plonger dans le monde, de se mettre en accord avec lui, d’accomplir pleinement son destin humain. Ce n’est pas simple hédonisme, mais bel et bien vertu. Le soleil égal donne la même couleur aux gens ; l’amour et l’amitié font jouir et faire ensemble ; le respect de la nature qui exalte et qui permet rend libre, avec le sentiment d’éphémère. Égalité, fraternité, liberté, c’est toute une philosophie de jeunesse qui est donnée là. L’élan, la vigueur, l’entente.

Le persiflage intello français aime à répéter ce bon mot qu’Albert Camus serait un philosophe pour classes Terminales ; il apparaît plutôt comme un philosophe de la jeunesse. En mon adolescence j’aimais bien Sartre pour son exigence de liberté ; je me suis très vite senti plus attiré vers Camus, à mon œil moins histrion. Chacun choisit selon son tempérament.

Albert Camus, Noces suivi de l’Eté, 1938, Folio €5.41

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Péguy et la mystique républicaine

Dans les années 80 j’ai trouvé en solde dans la collection « Velpeau » de Gallimard un court livre édité en 1933 et réédité depuis en Folio essais : ‘Notre jeunesse’. On ne lisait déjà plus Péguy et avec raison tant le style est lourd, redondant, circulaire. C’est un style de tribune fait pour être dit, pas pour être lu. La déclamation d’assemblée passe mal le silence de la page. ‘Notre jeunesse’ est peut-être la plus lisible des œuvres de Péguy. Le lecteur y découvre quelques idées restées neuves.

S’il est peu question de la jeunesse en général, et encore moins de celle de l’auteur malgré le titre, Charles Péguy développe certaines de ses conceptions politiques à leurs débuts. Elles sont marquées de façon indélébile par l’affaire Dreyfus. J’ai retrouvé certaines de mes interrogations adolescentes, notamment ce que Péguy nomme avec emphase la « mystique républicaine ». Un Mélenchon n’a pas peur de raviver l’idée aujourd’hui pour servir sa dissidence. Mais c’est une grande idée, simple comme toutes les grandeurs. Je crois qu’elle porte encore puisqu’elle est probablement le moteur des révolutions arabes.

Il s’agit d’une transcendance. La république comme substitut de religion. Le contraire même de la religion d’État ou de la religion de l’État. Louis XIV qui ne voulait voir qu’une tête (la sienne) et le jacobinisme botté intolérant d’une certaine gauche comme d’une certaine droite, apparaissent aussi insupportables en regard de la république. Celle-ci, « chose publique », signifie l’intérêt général.

  • Il n’est pas forcément celui du plus grand nombre : ce ne sont pas les sondages qui gouvernent.
  • Il n’est certainement pas celui d’un seul, omniprésident, guide, conducator ou secrétaire général.
  • Il est celui d’un groupe informel et pas d’un parti.
  • Il est soucieux du bien de la nation avant toute autre chose. Mitterrand a ainsi imposé l’abolition de la peine de mort à une opinion rétive… qui reconnaît son bien-fondé. De Gaulle avait de même imposé l’indépendance algérienne à son camp qui y était hostile, volontiers nationaliste.

Ces présidents-là avaient l’air de gouverner seuls. Ils incarnaient en fait la France, une certaine idée partagée de l’avenir commun. Leur solitude était légion.

La mystique signifie l’au-delà de la matière, la mise en veilleuse des petits intérêts cuits à petit feu dans leurs petits coins par les petits lobbies et les partis étroits. L’argent, les machines politiques, les alliances internationales, la mondialisation, conduisent du fait de leur complexité à réserver le champ du politique aux seuls spécialistes. Or la politique est la vie de la cité, elle concerne chaque citoyen, elle appelle tous ceux qui veulent le devenir, jeunes, exclus ou immigrés. Avec le recul, c’est bien la mystique républicaine qui a fait naître la Résistance comme la conquête du pouvoir par la gauche en 1981, ou encore la volonté de bouger enfin la France dans un monde qui accélérait, en 2007. C’est l’une des causes des révoltes arabes, et certainement ce qui pousse los indignados à revendiquer d’exister dans une société qui les ignore, les éduque par-dessus la jambe et les exclut du travail.

Que dit donc Péguy ? Pour lui, la modernité est « le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique » p.15. Cette mystique qu’il revendique est une foi, mais pas forcément religieuse. Elle est le sens des valeurs, la culture en acte. Incarnations : Jeanne d’Arc, Barra, Gavroche, de Gaulle au 18 juin, Jean Moulin, Albert Camus face à la haine des Sartre – pour n’évoquer aucun vivant.

« Ne parlez point si légèrement de la république, elle n’a pas toujours été un amas de politiciens, elle a derrière elle une mystique, elle a derrière elle tout un passé de gloire, tout un passé d’honneur, et ce qui est peut-être plus important encore, plus près de l’essence, tout un passé de race, d’héroïsme, peut-être de sainteté » p.17. Ne sautez pas au plafond au mot de ‘race’, c’est une clause du style d’époque pour dire l’honneur, d’essence aristocratique. La ‘race’ au sens de Péguy n’est pas la sélection génétique mais le tamis des valeurs inculquées par la culture et le milieu. « Car des hommes sont morts pour la liberté comme des hommes sont morts pour la foi » p.28.

Mais c’est une loi historique que toute foi s’use, que toute légitimité se voit remise en cause, que toute noblesse devienne routine. La tragédie se répète en comédie, la mystique se dégrade en politique, les pensées vivantes en idéologie fermée, la volonté en propositions réduites à l’acceptable, la culture en enseignement monotone et l’enseignement en pédagogisme… Ce qui était vivant, fruit d’un élan, s’intellectualise, se dessèche, se réduit, se bureaucratise. On ne construit plus, on nomme une commission ; on ne décide plus, on cherche le plus petit commun dénominateur pour ne fâcher personne. Les saints deviennent clercs, puis énarques ; les héros passent nobliaux fiers de leur naissance plus que de leurs actes, puis politiciens démagos fiers de leur beau quartier, de leur écoles huppées, des résidences réservées et des rallyes privilégiés pour marier leurs descendance ; les entrepreneurs deviennent gestionnaires puis administrateurs, l’esprit d’entreprise se dégrade pour se réduire ultimement au seul contrôle des coûts.

La grandeur, on ne la comprend plus, donc on la méprise. Le scepticisme intellectuel croît très fort dans le calme et la paix, engendrant une somnolence de la raison, plus sollicitée par les instincts ou les mouvements. Chaque catastrophe nous le révèle : l’Administration n’a jamais rien vu, les politiciens n’ont rien anticipé, les décideurs réagissent affolés à ce qui aurait dû être au moins envisagé. L’État n’est plus incarné, c’est personne. Voilà la politique du parapluie, le principe de précaution inscrit dans la Constitution, la somnolence Chirac élevée au rang des beaux arts… Auparavant, il y eût la faillite de mai 1940, la débâcle de toute une société petite-bourgeoise, provinciale, contente d’elle-même et confite en un « radicalisme » qui n’avait plus aucune radicalité autre que celle de conserver à tout prix ses zacquis.

Ce sont alors les obscurs, les sans-grades qui sauvent l’honneur, ceux qui avaient gardé en leur cœur quelques braises de cette mystique républicaine. Joseph Kessel a magnifiquement décrit ce premier mouvement dans ‘Pour l’honneur’, dédié aux résistants de la première heure face à la démission des élites française de la IIIe République en 1940, tout comme aux républicains espagnols catalans.

La mystique républicaine s’applique à tous les peuples. Mais la France a ses particularismes en Europe et dans le monde. Charles Péguy les énumère : « la vaillance claire, la rapidité, la bonne humeur, la constance, la fermeté, un courage opiniâtre, mais de bon ton, de belle tenue, de bonne tenue, fanatique à la fois et mesuré, forcené ensemble et pleinement sensé ; une tristesse gaie qui est le propre du Français ; un propos délibéré, une résolution chaude et froide ; une aisance, un renseignement constant ; une docilité et ensemble une révolte constante à l’événement ; une impossibilité organique à consentir l’injustice, à prendre son parti de rien. Un délié, une finesse de lame. Une acuité de pointe » p.130. Avec l’hédonisme post-68 et la contamination américaine, ces vertus seraient à revoir, mais ne boudons pas notre plaisir : la mystique républicaine reste.

La question est : qui l’incarne ? Il ne suffit pas de le clamer, comme Mélenchon. On sent chez lui que, très vite l’intérêt « général » risque de se réduire à celui de son clan, de sa vérité étroite. Comme Chavez ou Castro, il est universel avant de prendre le pouvoir, il risque d’être sectaire après. Il y avait de Gaulle, il y a eu Mitterrand. Quelques autres ont émergé sans accéder à la haute fonction. Qui  pour 2012 ?

Charles Péguy, Notre jeunesse, 1933, Folio essais 1993, 344 pages, €9.40

Joseph Kessel, Pour l’honneur, 1964, Livre de poche 1972, €1.80 occasion

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Albert Camus, L’Homme révolté

Comment légitimer la révolte de l’être humain contre son destin ? C’est dans cette entreprise que se lance Camus depuis les premiers jours de la guerre et qu’il approfondira durant la Résistance. Il écrit donc en 1951 un essai non dans l’abstrait, mais à partir de son expérience vécue. Autant Sisyphe symbolisait l’absurde de la condition humaine, autant Prométhée mène la révolte. Et pourtant : le titan ne se révolte que contre Zeus, pas contre la Création. Pareil pour le Caïn de la Bible qui tue son frère par jalousie de le voir préféré par le Père pour des raisons incompréhensibles. Il faut attendre le Dieu fait homme pour que la révolte métaphysique prenne un sens et que l’unité de l’homme se cherche dans la totalité. Mais tout détruire pour poser son désespoir n’est que nihilisme – mot qui hante Camus. Comment fonder une révolte qui, du mouvement négatif, crée un acte positif ?

Il va successivement en énoncer la volonté (métaphysique), puis l’histoire et enfin le sens (la pensée de midi). Mais le plan en 5 parties au lieu de 3 rend la structure peu lisible. Les ruptures de style font que, si l’auteur est captivant pour ce qu’il connaît bien (les Grecs, les nihilistes russes, Nietzsche, Marx), il est parfois sentencieux et pesant sur le reste. Le panorama philosophique, littéraire et historique vaut cependant toujours pour la synthèse organisée qu’il offre de cette propension à la révolte qui est en chacun des hommes.

L’absurde est un doute méthodique sur l’existence ; la révolte un non à une situation, en même temps qu’un oui à une valeur de liberté qui ne peut exister sans solidarité. La révolte n’est pas le ressentiment car le révolté n’envie pas ce qu’il n’est pas mais défend ce qu’il est. L’esclave se révolte contre le maître et reconnaît ce qu’il trouve en lui et chez ses frères exploités : la dignité humaine. Sa violence est « nécessaire et inexcusable » ; elle va donc se heurter aux limites, tout aussi nécessaires, de la dignité humaine. Qui ne l’a pas compris et vécu est un nihiliste, version collective du suicidaire.

Camus est anti-Hegel. La sagesse est la mesure du ‘non’ comme du ‘oui’ dans le même être, en cela Camus est grec – « méditerranéen », dit-il, opposé aux brumes maniaques de « l’idéologie allemande ». La démesure est de piétiner les limites de l’autre et de croire seule vraie sa propre liberté (individuelle comme Sade ou collective comme soviétique). Dieu est mort et tout est relatif, l’affirmation de vérité revient donc à imposer la loi du plus fort : ne rien croire signifie que tout est permis et que la fin justifie tous les moyens. Lénine comme Hitler l’ont bien compris : les vainqueurs imposent leur vision du monde et règnent en maîtres (baptisés « guides ») sur les troupeaux d’esclaves (les masses) forcés à travailler en camps.

Camus voit dans la révolte le fondement de la communauté humaine, « je me révolte, donc nous sommes », car toute liberté personnelle ne peut s’exercer que grâce à la liberté des autres. C’est pourquoi tout meurtre au nom du bien empêche le bien d’advenir. Il ne s’agit pas d’être paralysé par l’indécision ou d’accepter tout ce qui advient y compris le mouvement de l’Histoire (quiétisme). Il s’agit d’endosser une « culpabilité calculée », d’être un « meurtrier innocent » ou « délicat ». La fin ne justifie pas n’importe quel moyen ; ce sont au contraire les moyens qui changent la fin en libération (affirmation de dignité) ou en tyrannie (nouvel esclavage).

Le révolté n’est pas Dieu puisqu’il se heurte au pouvoir de révolte de tous les autres individus. Les adolescents russes de 1905 ont atteint pour Camus « le plus haut sommet de l’élan révolutionnaire », tuant les principes en la personne du tsar ou du grand-duc mais ayant scrupule à tuer avec eux les enfants qui peuvent les accompagner. Scrupule que n’auront ni Lénine ni les révolutionnaires professionnels après lui, ni évidemment les terroristes à la Ben Laden, ce qui déconsidère toute leur action et conduit à une exploitation pire que la précédente. Car la bonne conscience justifie n’importe quel crime au nom du bien ! Tkatchev, auquel Lénine a emprunté sa notion de socialisme militaire, ne proposait-il pas de supprimer tous les Russes au-dessus de 25 ans comme incapables d’accepter les idées nouvelles ?

Le nihiliste ne croit pas à ce qui est, le révolutionnaire croit à ce qu’on lui dit de l’avenir – tous sont hors du présent ici et maintenant. Camus cherche à retrouver une pensée « à hauteur d’homme » et à affirmer le ‘nous’, la « longue complicité des hommes aux prises avec leur destin ». Les tensions ne se résolvent jamais, telle est la condition humaine : entre violence et non-violence, justice et liberté, être et devenir – toujours il faut de la mesure, tester les limites. Sans jamais basculer vers l’un ou l’autre des extrêmes, au risque de quitter la dignité humaine. S’il y a une dialectique, il n’est point de synthèse définitive ni de fin de l’histoire. Sauf à détruire le monde et toute l’espèce humaine.

C’est le drame du marxisme, pensée vivante chez Marx, devenue mausolée avec ses disciples : « Le malheur est que la méthode critique qui, par définition, se serait adaptée à la réalité, s’est trouvée de plus en plus séparée des faits dans la mesure où elle a voulu rester fidèle à la prophétie. On a cru, et ceci est déjà une indication, qu’on enlèverait au messianisme ce qu’on concèderait à la vérité. Cette contradiction est perceptible du vivant de Marx. La doctrine du ‘Manifeste communiste’ n’est plus rigoureusement exacte, vingt ans après, lorsque paraît ‘Le Capital’ ». Marx était de son temps et son messianisme était donc bourgeois de son siècle : « Le progrès, l’avenir de la science, le culte de la technique et de la production sont des mythes bourgeois qui se sont constitués en dogmes au XIXè siècle. On notera que le ‘Manifeste communiste’ paraît la même année que ‘L’avenir de la science’ de Renan ».

A la parution de ‘L’Homme révolté’, le socialisme soviétique est au firmament, fort de la victoire acquise sur le nazisme grâce à l’armée rouge et à l’industrialisation russe à marche forcée sous Staline. Le marxisme-léninisme est la religion laïque des intellectuels. Qui dit ses doutes est vite excommunié, traité de fasciste avec la nuance qui fait toute la beauté maléfique de la gauche. Sartre : « tout anti-communiste est un chien, je ne sors pas de là ». La droite accueille bien le livre, donc les intellos de gauche lui trouvent des défauts dont le moindre n’est pas sa tentative de « sortir de l’histoire » (Francis Jeanson, compagnon de route), péché suprême pour les marxistes ! Puisque Camus n’est pas le rouage froid de la révolution, le militant professionnel indifférent aux vies humaines au nom des Fins, il n’a qu’une « morale de Croix-Rouge ». Sartre en rajoute en appelant à être dans l’histoire, ce qui fit à l’époque une grosse polémique « à la française », bien datée aujourd’hui. Son objet se résume en gros à la question : « y a-t-il autre chose que le marxisme ? » La réponse de Sartre était évidemment « non » puisqu’il savait, se science infuse, la Vérité. La réponse de l’histoire a été « oui »…

Camus : « Aussitôt que la révolte, oublieuse de ses généreuses origines, se laisse contaminer par le ressentiment, elle nie la vie, court à la destruction, et fait se lever la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graine d’esclaves, qui finissent par s’offrir, aujourd’hui, sur tous les marchés d’Europe, à n’importe quelle servitude. » Nous ne sommes pas sortis de cette pose théâtrale si forte dans la France intello-médiatique, de cette attitude bien-pensante de la doxa de gôch, en bref de la comédie humaine !

Facétie de l’histoire : les Arabes, méprisés en tant qu’immigrés quémandeurs de prestations asociales auprès de l’ancien colonisateur jeté à la mer, les Arabes se révoltent. Sans ressentiment mais pour la dignité. Sans pose médiatique mais avec rassemblement de foule et morts inévitables. Une belle leçon à nos intellos médiatiques, théâtreux enflés de tribune, jamais sortis de leurs écoles confortables où ils ont l’emploi garanti à vie.

Albert Camus, L’Homme révolté, 1951, Gallimard Folio essais, 240 pages, €7.41

Albert Camus, Œuvres complètes tome 3, Gallimard Pléiade 2008, édition Raymond Gay-Crosier, 1504 pages, €66.50

Camus et les révoltes arabes dans Rue89
Camus libertaire par Michel Onfray dans le Nouvel Observateur

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Gravures rupestres de Twyfelfontein en Namibie

Twyfelfontein veut dire ‘source douteuse’. Une promenade au milieu des parois rocheuses permet de découvrir de nombreuses gravures et quelques peintures rupestres extraordinaires laissées par les premiers Bushmen (ou en français Bochimans).

Les gravures dans le grès rouge sont remarquablement bien conservées et les animaux représentés reconnaissables. Il y aurait eu plusieurs phases d’exécution des gravures pariétales. On estime leur âge entre 5 et 6 000 ans, les plus anciens 10 000 ans.

La représentation d’une otarie laisse supposer un contact entre les Bochimans et la côte, distante de 100 km.

Parmi 2 500 gravures notez un rhinocéros superbe ; une grande représentation d’éléphant du site ; un lion dont la queue se termine en forme d’empreinte ; des traces d’empreintes d’élans et de koudous.

La couleur ocre des roches est un délice pour les yeux.

Ne pas oublier de photographier les orgues basaltiques.

La météorite de Hoba, découverte en 1920, pèse 55 tonnes.

Elle est composée de 85% de fer, de 16% de nickel, cuivre, cobalt et chrome. Elle aurait 82 000 ans.

On note des arbres solitaires.

Et des varans, drôles de lézards.

Hiata de Tahiti

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