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François Garde, Ce qu’il advint du sauvage blanc

francois garde ce qu il advint du sauvage blanc

L’histoire est vraie, le récit est un roman. Narcisse Pelletier fut ce marin français abandonné sur une côte du Queensland australien en 1858 à 18 ans, et récupéré 18 ans plus tard par des marins anglais. Ramené en France, il devint gardien de phare.

Mais le récit de François Garde, fonctionnaire énarque et ancien Secrétaire général du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, s’inspire librement de l’histoire pour « déconstruire » la robinsonnade. Nous sommes deux siècles après le Robinson Crusoé de Defoe, trois décennies après le Vendredi de Tournier. L’homme occidental, aujourd’hui, n’emporte pas la civilisation à la semelle de ses souliers, il est – hors des pays tempérés – l’homme nu, page blanche où tout réécrire.

Narcisse à 18 ans est encore un gamin. Fluet mais musclé, obéissant mais fanfaron, il n’a que sa bite et son couteau pour survivre dans la baie déserte où le bateau l’a abandonné. Durant quatre jours, il ne fait rien, trop dépendant pour se prendre en mains. « L’absolue solitude dans laquelle il était précipité le renvoyait aussi à son entière responsabilité » p.110. C’est une vieille aborigène qui l’abreuvera, le nourrira, le prendra en charge comme si elle était sa mère. Car il est vrai que le Blanc jeté dans la nature sauvage est aussi inapte et nu qu’un petit enfant ; ce pourquoi il se servira des plats après tous les autres, les anciens, les hommes puis les femmes – car il n’est rien dans la tribu.

Il devra tout oublier pour renaître. Et s’il répète au début plusieurs fois « Je suis Narcisse Pelletier, matelot de la goélette Saint-Paul », s’il se souvient des mémoires de son parrain à Eylau et de la pute qu’il a sautée au Cap, c’est de moins en moins, comme si le temps usait la mémoire. Celle-ci n’est pas morte, mais enfouie – puisqu’elle ne sert à rien dans le bush.

A deux fois 18 ans, Narcisse aura vécu deux vies. C’est une troisième qui l’attend, à 36 ans, lorsqu’il monte par curiosité dans la chaloupe des Anglais alors qu’il pêchait à pied sur le rivage. Il ne parle que la langue sauvage, faite de sifflements et de clics, il a oublié le babil de l’Occident. Le gouverneur de Sydney, bien embêté de savoir à qui refiler le naufragé, va convoquer tous les étrangers pour savoir quelle langue il peut reconnaître, et c’est le français qui l’emporte. Mais s’il reconnaît le langage, Narcisse est bien incapable de le parler ; il doit tout redécouvrir – non réapprendre, mais dévoiler : le sens, la grammaire, l’accent, le passé et le futur, le conditionnel. Car il est devenu autre.

Son mentor est cet explorateur velléitaire et raté, vicomte rentier membre de la Société de Géographie, écartelé comme tout son siècle entre la morale et la science. Il veut sauver une âme compatriote et, en même temps, étudier l’être humain comme un objet. Il le vêt, le nourrit et le protège, mais en même temps veut tout savoir. S’il lui réapprend à parler, c’est pour son enquête sans pudeur. Et pour son grand-œuvre : fonder une nouvelle science, l’Adamologie !

Narcisse, lui, n’a survécu que parce qu’il a su oublier. Il s’est fondu dans la vie sauvage en occultant tous ses réflexes conditionnés de Blanc chrétien puritain : il est allé tout, nu, a vu baiser et violer devant ses yeux, a dû manger avec ses mains et parfois cru, s’est enduit de suie et de boue contre les moustiques, a dormi avec une vieille et avec des enfants. Il s’est même « marié » avec une sauvage, si l’on en croit une confidence échappée par émotion ; il a eu deux petits qu’il a laissé derrière lui sans presque s’en souvenir. Car on ne vit qu’au présent lorsque l’on est sauvage. Le passé se résume à la lignée et à sa place dans le clan, le futur n’existe pas.

lezard camille baladi

Le retour à la société bourgeoise conventionnelle de l’empire, en 1861, est une cruelle acculturation. Il faut se vêtir et manger à la fourchette, ne pas regarder les femmes dans les yeux ni observer les couples s’accoupler, il faut dire ce qu’il faut et jouer les hypocrites… Par contraste, « notre » société apparaît bien compliquée et tordue en relations humaines. Le seul humain qui ne court pas dans Londres, observe-t-il, est un clochard qui mendie… Le travail est requis pour manger, la Science justifie toute contrainte, quand ce n’est pas la Religion. L’humain, lui, compte peu. D’où le mutisme du « sauvage blanc » qui déclare plusieurs fois en guise d’explication : « Parler, c’est comme mourir ». Il y a des comportements qu’il est impuissant à expliquer parce que l’Occidental est impuissant à comprendre.

Dans ce roman qui est plus qu’un récit d’aventures, l’auteur alterne les chapitres à la troisième personne où Narcisse évolue tel qu’en lui-même avec les chapitres à la première personne où l’explorateur Octave de Vallombrun écrit au Président de la Société de Géographie à Paris. Il y a loin de l’homme au texte tant la médiation de l’individu socialement situé, de la langue polie, des convenances bourgeoises et morales, des normes universitaires, sont des filtres qui édulcorent, déforment et caricaturent. La Science, au XIXe, se résume souvent à une ignorance satisfaite où le préjugé politiquement correct compte plus que le réel observé. A-t-on vraiment changé à l’ère d’Internet ?

Il y a du tragique chez Vallombrun comme chez Narcisse : tous deux sont pris dans un destin qui les dépasse, emportés par une société impériale et impérieuse qui croit tout mesurable, même la soumission à la Croyance.

C’est pourquoi ce roman peut se lire à plusieurs niveaux.

  1. Le premier, le plus facile, accessible aux jeunes adolescents, est celui de l’ensauvagement et de l’aventure en pays inconnu.
  2. Le second, plus élevé, est une réflexion sur la méthode expérimentale, sur le choc moral entre la Science et l’Homme : peut-on faire d’un humain l’équivalent d’un rat de laboratoire ?
  3. Le troisième, plus exigeant encore, renvoie à notre société sûre d’elle-même et dominatrice, surtout fin XIXe, volontiers missionnaire, humanitaire, colonisatrice, impérialiste. Même les bonnes volontés comme celle de Vallombrun peuvent peu dans l’emportement social qui les enserrent et les contraint.

Tout le XXe siècle sera une déconstruction critique de cette arrogance, de cet impérialisme de Raison, de ce totalitarisme de religion. Les « sauvages » sont eux aussi « civilisés » : ils n’ont pas la même culture que nous mais la leur est parfaitement adaptée à leur survie dans leur environnement. Quant à nous, sommes-nous vraiment épanouis et heureux chez nous, dans nos contraintes de toutes sortes ?

Ce roman faussement léger a obtenu une multitude de prix, c’est dire combien la littérature en France manque au fond de talents à reconnaître… (Prix Goncourt du premier roman 2012, grand prix Jean-Giono 2012, prix littéraire des grands espaces Maurice Dousset 2012, prix Hortense Dufour 2012, prix Edmée-de-La-Rochefoucauld 2012, prix Emmanuel-Roblès 2012, prix Amerigo-Vespucci 2012, prix Ville de Limoges 2012).

François Garde, Ce qu’il advint du sauvage blanc, 2012, Folio 2015, 383 pages, €7.70

e-book format Kindle, €7.49

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Robert-Louis Stevenson, La chaussée des Merry Men

robert louis stevenson la chaussee des merry men
Ce court roman est empli de bruit de fureur, celle des éléments et celle des âmes. Charles, jeune étudiant à l’université d’Edimbourg, n’a pour seule famille restante qu’un oncle et sa fille Mary, qui vivent dans une ferme isolée des bords du flot, sur le Ross de Mull à Grisapol. Les brisants dressent leurs chicots redoutables et nombre de bateaux sont entraînés sur eux par le courant. Par les jours de tempête, on dirait qu’ils dansent dans une joie diabolique, d’où leur nom de Joyeux drilles – les Merry Men.

Charles vient passer quelques vacances dans la solitude fracassante de la mer lorsqu’à certains indices, ténus mais répétés, il s’aperçoit que son oncle n’a plus toute sa tête. Lui, le garçon, sait bien ce qu’il veut : épouser Mary et l’arracher à cette solitude déprimante. Il a pour ambition de découvrir un trésor, celui du navire espagnol de l’Invincible Armada brisé sur ces côtes lors de la tempête qui sauva l’Angleterre. Il croit deviner que l’épave peut se trouver dans la baie non loin de la ferme, d’autant qu’un professeur espagnol a récemment contacté son maitre à l’université pour des recherches dans les archives.

L’Ecosse sauvage, un trésor qui fait rêver, le double maléfique chez tout être, le tragique de l’aventure humaine… tous ces ingrédients de l’univers de Stevenson sont présents. Ne reste qu’à planter le décor et y faire se mouvoir les personnages.

L’Ecosse des Basses terres maritimes est pénétrée de vents et de courants. La nature mugit ou soupire selon le temps, prenant des formes sauvages comme si la main de Dieu s’abattait sur les êtres chétifs qui osent défier Sa force. Dans la queue du romantisme, Stevenson décrit comme Hugo les lames agressives comme des êtres vivants, les courants maléfiques qui entraînent hommes et bateaux, les rocs noirs qui font danser les embruns ; il chante comme Wagner la clameur de l’ouragan, les coups de boutoir de la bourrasque contre les pignons de la maison, les soupirs glacés du vent qui s’infiltrent par le cheminée, couchant les flammes de tourbe. Il dit les moments où la nature prend un aspect surnaturel, faisant croire à des forces divines ou diaboliques.

Lui-même n’y croit guère, trop positiviste comme Charles, mais il est impressionné de constater les ravages de l’imagination chez les autres : chez Rorie le serviteur qui croit voir un poisson tapi sous les eaux de la baie ; chez Gordon son oncle approchant la soixantaine qui s’enivre des tempêtes au point de souhaiter les naufrages, mimant l’excitation grandiose des brisants qui fait jaillir l’écume à plusieurs dizaines de pieds de la mer.

Fidden, Ross of Mull, Isle of Mull, Scotland, UK.

Fidden, Ross of Mull, Isle of Mull, Scotland, UK.

Le jeune homme est un sage, qui croit comme Locke que l’expérience de la vie par les cinq sens est meilleure que les dogmes appris par cœur des Bibles et autres autorités. Il se met nu au soleil, plonge dans l’eau marine, explore par toute sa peau le contact gluant des algues. Il veut un contact direct avec la nature et ses forces ; il veut un contact direct avec les gens de chair plutôt que de les imaginer en esprits. Aussi, lorsqu’un homme se dresse sur une épave échouée, ce n’est pas comme son oncle un fantôme qu’il voit, mais un être humain de chair bien vivant. Un Noir – ce qui effraie d’autant plus le vieil homme qu’il se sent coupable d’avoir souhaité la mort d’un marin, lors d’une nuit de tempête, tant était beau à ses yeux le naufrage.

Nous sommes dans la tragédie shakespearienne car tout ce qui devait arriver était comme déjà écrit : la solitude de l’oncle, sa progressive folie, sa fin inéluctable – sans que quiconque puisse rien faire. Macbeth a montré les limites de l’obéissance à un roi criminel ; c’est ainsi que Charles, qui devient adulte donc responsable, jauge l’autorité de son oncle et même celle de Dieu. Nul ne commande que soi-même, ainsi le veut l’aventurier de la vie. Tout ce qui lui arrive dépend en partie de lui, même sa folie. Ce n’est que lorsqu’il lâche pied comme être raisonnable que les forces naturelles l’emportent, telles des démons. Car Dieu a donné la raison à l’homme pour qu’il s’en serve.

Ce court roman très bien écrit explore les tréfonds de l’âme humaine tout en replaçant les êtres fragiles et nus que nous sommes dans le grand chaos indifférent de la nature. La mer n’est maléfique que si l’on y croit ; elle est pourvoyeuse de trésors et d’imaginaire si on le veut. A chacun de choisir.

On dirait que, de Jim de L’île au trésor, 13 ans, à Charles, ici dans sa vingtaine, en passant par David, 18 ans, du roman Enlevé ! Robert-Louis Stevenson grandit au rythme de ses personnages, devenant peu à peu adulte, chargé de famille et aventurier des mers du sud comme de la littérature. Ces quelques pages sont moins destinées aux adolescents qu’aux adultes, encore que chacun puisse y trouver ce qu’il cherche : de l’action, l’homme colleté aux éléments, mais aussi aux forces obscures de l’esprit et des croyances.

Et cette fois, Folio a bien édité le livre.

Robert-Louis Stevenson, La chaussée des Merry Men, 1887, Folio 2008, 128 pages, €2.00
Robert-Louis Stevenson, Œuvres II, Gallimard Pléiade 2005, 1389 pages, €59.80
Les œuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

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Robert-Louis Stevenson, Enlevé !

robert louis stevenson enleve

Tous les ingrédients de l’aventure sont là pour ravir les âmes enfantines : la jeunesse confrontée au monde, la méchanceté des hommes, l’amitié précieuse en contrepartie, les paysages rudes, le combat contre l’injustice et l’occupation étrangère, la vie dans la nature, les multiples dangers… Après L’île au trésor écrit pour son beau-fils de 13 ans Lloyd, Robert-Louis Stevenson chante la jeunesse immortelle dans un adieu à l’Ecosse, patrie de son enfance, qu’il quitte pour des cieux plus cléments à sa santé chancelante.

David Balfour n’a pas 17 ans en 1751 lorsqu’il doit partir, orphelin, avec pour tout viatique la lettre qu’a laissé son père au pasteur Campbell. Elle recommande l’adolescent à son oncle, le vieil Ebenezer qui habite un château en ruines jamais terminé, à quelques miles d’Edimbourg. Ebenezer est le prénom de l’avare Scrooge chez Dickens, et Stevenson aimait beaucoup Dickens.

Après quelques jours de marche dans la campagne, David parvient au gros manoir qui se veut un château et rencontre le méfiant vieillard. Celui-ci reconnaît qu’il est bien le fils de son frère mais n’a qu’une hâte, s’en débarrasser. Aigri par la vie et en butte à l’hostilité de la contrée – par sa faute – il n’a aucunement la fibre familiale, encore moins paternelle. Il embobine le gamin jusqu’à lui faire visiter un brick à l’ancre, dont le capitaine est en affaires avec lui. Tout émerveillé, car ses 16 ans n’ont jamais encore vu la mer, David se laisse circonvenir, assommer, et se retrouve à fond de cale pour un voyage au long cours. Son oncle a topé avec le capitaine pour qu’il le vende aux plantations des Amériques…

Doublement abandonné par les siens, ses parents morts et son oncle renégat, le jeune homme doit s’en sortir tout seul. Il ne peut compter que sur sa bonne mine. Il apprivoise tout d’abord le mousse Ransome, prime adolescent bête et battu qui jure et n’admire que la force, « découvrant sa poitrine » pour montrer ses tatouages qui font viril, vraie graine de forban. Il sera tué d’un coup de poing par le second, seul marin qui sache naviguer sur ce rafiot. Le troisième officier n’approuve pas cette violence et permet à David de retrouver un semblant de liberté à bord, jusqu’à lui faire remplacer le mousse.

A ce poste, l’adolescent va rencontrer un mystérieux personnage, surgi brusquement lorsque sa barque a été éventrée par le brick dans le brouillard. Bien de sa personne et un brin vaniteux, portant « un nom de roi » (Stuart), il sert de messager entre les exilés écossais en France et ceux restés au pays occupé par les tuniques rouges du roi George, qui attendent de l’argent.

La ceinture emplie d’or d’Alan Breck Stewart attire les convoitises et l’équipage peu recommandable va tout faire pour s’en emparer. Comme dans L’île au trésor, le jeune homme et son valeureux mentor, ici David et Alan, vont résister à deux dans la dunette aux assauts des bandits. Après avoir effectué un tour complet des côtes de l’Ecosse, d’Edimbourg à Mull, le brick s’écrase contre les rochers par la faute de son capitaine incompétent, avide d’être payé.

C’est le début d’une longue odyssée pour le garçon naufragé, d’abord esseulé sur un ilot dont il ne voit pas qu’il se transforme en presqu’île à marée basse, puis suivant une sorte de jeu de piste par les messages laissés à tout hasard par Alan qui a réchappé lui aussi au naufrage.

Alors qu’il demande son chemin dans la forêt, David assiste au meurtre d’un Campbell, l’intendant du pays d’Appin, et doit fuir, poursuivi par les tuniques rouges, accusé par le notaire qui l’accuse d’avoir fait stopper l’équipage pour faciliter le tir. C’est alors qu’il retrouve Alan qui le fait s’échapper à couvert, puis brouiller les pistes, dans un vrai jeu d’indiens. L’aventure n’est pas prête à finir !

Les deux compères que presque tout oppose, David whig et Alan jacobite, le cœur pur répugnant à tuer et l’adulte calculant les opportunités, vont traverser les Highlands de part en part, d’ouest en est, l’un pour retrouver son oncle et lui faire rendre gorge, l’autre pour suivre sa mission et s’embarquer pour la France. La géographie très précise, aidée d’une carte publiée par l’auteur, ancre l’imaginaire dans le réel du terrain. La langue anglo-écossaise, qu’un anglais peut comprendre, ajoute au dépaysement.

ecosse highlands ardvreck castle loch assynt

Amitié et loyauté, admiration et réprobation, légalisme et fantaisie, l’injustice punie mais le dilemme moral de cautionner un meurtre, les héritiers rétablis dans leurs droits (David dans son laird) mais pas l’Ecosse dans son autonomie – sont autant d’appels enthousiasmants aux jeunes lecteurs. L’attachement du jeune pour l’adulte qui l’enlève et l’élève à la fois dans l’action n’est pas sans susciter l’adhésion pleine et entière des 11-15 ans. Le roman est écrit pour les journaux, en feuilleton, ce qui lui donne un ton haletant et une vivacité de langage sans pareils. Pas le temps : la fuite commande, comme les rebondissements. Dans ce chaos physique, affectif et moral, il faut se retrouver.

C’est à une véritable quête initiatique dans laquelle David se lance, tout comme Jim dans L’île au trésor, mais avec plus de maturité. Il avait encore 16 ans au début, il en aura 18 à la fin, vrai passage de l’enfance candide et protégée à la liberté responsable de l’âge d’homme. Cela dans la noirceur des secrets de famille. De quoi attirer l’attention de certains critiques sur le processus de distillation du whisky, issu de l’orge maltée des Basses terres (Lowlands) et de l’eau de source filtrée par le granit des Hautes terres (Highlands), longuement mûri en fûts, le 18 ans d’âge étant un summum de flaveurs et de richesse en bouche.

L’enlèvement concerne l’adolescent David, mais aussi le jeune lecteur, emporté qu’il est par l’imagination fertile de l’auteur, dans un paysage de légendes et par une aventure échevelée. La sortie de l’enfance est un âge où l’on fantasme d’être enlevé ; quitter sa famille est inscrit dans le programme génétique et la fascination du garçon ou de la fille pour qui leur donne l’exemple a quelque chose d’érotique. Dans ce roman d’aventures, nous sommes entre Walter Scott et Mark Twain, auteurs de la même époque, mais avec la patte Stevenson, à nulle autre pareille.

Il est curieux que Folio n’ait pas édité une traduction récente, car ce livre est une bonne lecture pour la jeunesse.

Robert-Louis Stevenson, Enlevé ! (Kidnapped), 1886, CreateSpace Independent Publishing Platform 2015, 270 pages, €15.50
Robert-Louis Stevenson, Œuvres II, Gallimard Pléiade 2005, 1389 pages, €59.80
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François Bellec, Le testament de Lapérouse

francois bellec le testament de laperouse
Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse, fut envoyé en 1785 par le roi Louis XVI et son ministre de la Marine le Marquis de Castries, explorer le monde. Il devait notamment compléter James Cook sur le Pacifique sud et rechercher pour la France des comptoirs commerciaux. Deux frégates, l’Astrolabe et La Boussole quittèrent Brest le 1er août pour tourner le Cap Horn, longer le Chili, aborder l’île de Pâques, rallier les îles Sandwich puis Hawaï et l’Alaska, atteint en 1786. Ils redescendent par la Californie avant de traverser le Pacifique jusqu’à Macao. Puis ils quittent l’Asie par Manille et la Corée du sud jusqu’à l’île alors japonaise de Sakhaline et le Kamtchatka russe. C’est là qu’un ordre venu de Paris intime d’aller reconnaître les établissements nouvellement créés par les Anglais au sud de l’Australie.

Aux Samoa, le 6 décembre 1787, un groupe d’indigènes attaque les matelots en aiguade et en tue douze, dont Paul Antoine Fleuriot de Langle, capitaine de l’Astrolabe. Les bateaux arrivent à Botany Bay le 24 janvier 1788 où Lapérouse envoie sa relation de voyage, quelques cartes et des lettres en Europe via les Anglais. Nous ne connaitrions pas son expédition sans cela… Car voulant joindre les îles Santa Cruz dans l’archipel des Salomon, les deux frégates se perdent sur le corail dans un coup de vent en juin 1788. Elles sont drossées sur l’île non répertoriée de Vanikoro, à 118 km de leur destination. A cet endroit, les expéditions de Peter Dillon en 1826, puis de Dumont d’Urville en 1828, retrouveront des traces.

laperouse carte exploration

C’est à cette date que l’auteur, marin reconnu d’aujourd’hui, prend le relais. Comme la réalité n’est pas vérifiée, il en fait un roman. Les survivants tentent par tous les moyens de quitter l’île pour rejoindre le monde civilisé ; certains parviennent à partir en bateau, ils n’arriveront jamais. Lapérouse, le chirurgien et un domestique restent seuls sur l’île. Les deux premiers tentent une sortie par beau temps sur une yole, mais la malchance et l’obstacle de l’épave les précipitent sur le corail où leur bateau est détruit : ils sont condamnés à rester jusqu’à leur trépas sur cette île perdue où sévissent des tribus mélanésiennes et polynésiennes qui ne s’entendent pas, certaines étant volontiers cannibales. C’est par la cloche du navire sauvée des eaux, le tambour des Esprits venus de la mer, qu’ils récoltent un semblant de respect.

La lecture un temps de l’Encyclopédie, puis le décompte des jours au sextant et à l’horloge de marine, leur permettent de passer quelques années. Le domestique se marie, a des enfants ; il se fond dans la population. Mais une crue emporte tous les livres et toutes les collections, restes sauvés tant bien que mal de l’Astrolabe, et le chirurgien se supprime de désespoir. Pour l’auteur, le comte de Lapérouse ne consent rien, noblesse oblige : il n’apprendra jamais la langue des indigènes ni ne vivra comme eux… autant qu’il peut – car une belle vahiné venue à la nage se donne à lui toute nue dans un fantasme de bonne sauvage.

laperouse vanikoro carte

Curieuse édition, avec carte mais sans table des matières, avec des annexes mais incomplètes. Il est par exemple étrange que l’auteur, ancien directeur du Musée national de la Marine et membre de l’Académie de Marine, s’il cite Dillon et Dumont d’Urville, n’évoque en rien les découvertes du plongeur Reece Discombe en 1962 et en 1964, accompagné par l’amiral de Brossard de la Marine Nationale, ni ceux de l’association Salomon en 1980.

Mais ce roman est d’une lecture agréable pour qui veut évoquer Lapérouse, bien qu’il y ait peu d’action : il faut dire que l’île, à l’écart des routes, est bel et bien une prison. L’auteur rend hommage aux Lumières et au grand marin victime du sort, derniers vestiges d’un siècle qui se finit dans le sang.

François Bellec, Le testament de Lapérouse, 2015, éditions Jean-Claude Lattès, 268 pages, €18.00
Format Kindle €12.99

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Bernard Moitessier, La longue route – seul entre mers et ciels

bernard moitessier la longue route j ai lu
Presqu’un demi-siècle après son tour du monde en solitaire, je ne suis pas prêt d’oublier Bernard Moitessier. Les navigateurs d’aujourd’hui sont de bons ouvriers de la mer, efficaces petits soldats du système sponsors-medias-industrie. Moitessier, vaguement hippie et écologiste avant les idéologues, en dédaignant le système fit rêver toute une génération. Heureux qui, comme Ulysse, vécut une Odyssée moderne ! Il a chanté l’homme libre, livré à lui-même, en harmonie avec les matériaux, les éléments et les bêtes. Le Vendée Globe est une compétition technique ; le Golden Globe était une aventure humaine.

Avec la crise de civilisation que nous vivons, des attentats inouïs du 11-Septembre et du 7-janvier à l’escroquerie des subprimes et autres pyramides Madoff, de l’échec impérial US au réchauffement climatique, on ne peut que mesurer combien la Longue Route 1968 diffère des courses aux voiles d’aujourd’hui.

Bernard Moitessier était un hippie, élevé en Indochine et sensible aux bruits de la forêt comme aux mouvements de la mer, commerçant sur jonque avant de construire ses propres bateaux pour errer au gré du vent, marié avec une passionnée qui lui donne des enfants. Éternel nomade en quête de soi, Moitessier était l’homme de la Route, celle de Kérouac, celle de Katmandou, celle d’une génération déboussolée – déjà – par les contradictions anti-droits-de-l’homme des guerres coloniales ou impérialistes (Algérie, Vietnam, Hongrie, Tchécosclovaquie), par la robotisation de la modernité (le film ‘Mon oncle’ de Tati) et le maternage d’État-Providence technocratique (mai 68 venait d’avoir lieu). Cette génération cherchait la Voie, pas à gagner une coupe, ni une masse de fric, ni à parader dans l’imm-média. Elle cherchait une harmonie avec le monde, pas l’aliénation consumériste. Deux de mes amis les plus chers ont tenté leur Odyssée sur les traces de Moitessier avant de se ranger pour élever leurs enfants. Ils n’ont plus jamais été dupes de l’infantilisme politique ou marchand.

Moitessier La longue route Arthaud

The Sunday Times’ organisait alors un défi comme au 19ème siècle, sans enjeu médiatique ni industriel, juste pour le ‘beau geste’ (en français oublié dans le texte), avec une récompense symbolique. L’exploit consistait à tester les limites humaines comme dans leTour du monde en 80 jours de Jules Verne. Il s’agissait de partir d’un port quelconque d’Angleterre pour boucler un tour du monde en solitaire et sans escale, en passant par les trois caps. Il n’y avait alors ni liaison GPS, ni PC météo, ni vacations quotidiennes aux média, ni balise Argos, ni assurances tous risques obligatoires, ni matériel dûment estampillé Sécurité.

Moitessier embarque sans moteur, fait le point au sextant, consulte les Pilot charts et sent le vent en observant un vieux torchon raidi de sel qui s’amollit quand monte l’humidité d’une dépression ; il communique avec le monde en lançant des messages au lance-pierre sur le pont des cargos, par des bouteilles fixées sur des maquettes lancées à la mer ou en balançant ses pellicules photos dans un sac étanche à des pêcheurs qui passent.

Moitessier La longue route ketch 12m Joshua

Sur 9 partant, 1 seul reviendra au port, Robert Knox-Johnson, 1 disparaîtra corps et bien, tous les autres abandonneront pour avaries graves… et 1 seul – Bernard Moitessier – poursuivra un demi-tour du monde supplémentaire avant de débarquer à Tahiti. Il passera seul dix mois de mer, parcourra 37 455 milles marins sur ‘Joshua’, son ketch de 12 m à coque acier et quille automatique. Parti le 22 août 1968 de Plymouth, il ralliera Tahiti le 21 juin 1969, trop distant de la société marchande des années 60 pour revenir en Europe toucher ses 5000£, comme si de rien n’était.

Moitessier La longue route carte tour du monde et demi

« Le destin bat les cartes, mais c’est nous qui jouons » (p.63) dit volontiers ce hippie marin. Pas question de se laisser aller à un mol engourdissement à l’Herbe, pour cause de mal-être. Mieux vaut vivre intensément le moment présent : voir p.87.

Égoïsme ? Que nenni ! Cette génération voulait se sentir en harmonie avec le monde, donc avec les autres, matériaux, plantes, bêtes et humains. « Tu es seul, pourtant tu n’es pas seul, les autres ont besoin de toi et tu as besoin d’eux. Sans eux, tu n’arriverais nulle part et rien ne serait vrai » p.66. Ses propres enfants sont des êtres particuliers, non sa propriété : « Les photos de mes enfants sur la cloison de la couchette sont floues devant mes yeux, Dieu sait pourtant que je les aime. Mais tous les enfants du monde sont devenus mes enfants, c’est tellement merveilleux que je voudrais qu’ils puissent le sentir comme je le sens » p.216. C’était l’époque où l’on vivait nu (sans que cela ait des connotations sexuelles, contrairement aux yeux sales des puritains d’aujourd’hui). C’était pour mieux sentir le soleil, l’air, l’eau, les bêtes, les autres, leurs caresses par toute la peau – réveiller le sens du toucher, frileusement atrophié et englué de morale insane du Livre chez nos contemporains.

Mousses a l orphie

La vie en mer n’est jamais monotone, elle a « cette dimension particulière, faite de contemplations et de reliefs très simples. Mer, vents, calmes, soleil, nuages, oiseaux, dauphins. Paix et joie de vivre en harmonie avec l’univers » p.99. Il lit des livres : Romain Gary, John Steinbeck, Jean Dorst – naturaliste et président de la Société des explorateurs – il est un vrai écologiste avant les politicards. Il pratique le yoga, observe en solitaire mais ouvert, écrit un journal de bord littéraire.

Deux des plus beaux passages évoquent cette harmonie simple avec les bêtes, cet accord profond de l’être avec ce qui l’entoure.

Une nuit de pleine lune par calme plat, avec ces oiseaux qu’il appelle les corneilles du Cap, à qui il a lancé auparavant des morceaux de dorade, puis de fromage : « Je me suis approché de l’arrière et leur ai parlé, comme ça, tout doucement. Alors elles sont venues tout contre le bord. (…) Et elles levaient la tête vers moi, la tournant sur le côté, de droite et de gauche, avec de temps en temps un tout petit cri, à peine audible, pour me répondre, comme si elles essayaient elles aussi de me dire qu’elles m’aimaient bien. Peut-être ajoutaient-elles qu’elles aimaient le fromage, mais je pouvais sentir, d’une manière presque charnelle, qu’il y avait autre chose que des histoires de nourriture dans cette conversation à mi-voix, quelque chose de très émouvant : l’amitié qu’elles me rendaient. (…) Je me suis allongé sur le pont pour qu’elles puissent prendre le fromage dans ma main. Elles le prenaient, sans se disputer. Et j’avais l’impression, une impression presque charnelle encore, que ma main les attirait plus que le fromage » p.120.

Moitessier La longue route oiseaux

Quelques semaines plus tard : « Une ligne serrée de 25 dauphins nageant de front passe de l’arrière à l’avant du bateau, sur tribord, en trois respirations, puis tout le groupe vire sur la droite et fonce à 90°, toutes les dorsales coupant l’eau ensemble dans une même respiration à la volée. Plus de dix fois ils répètent la même chose. (…) Ils obéissent à un commandement précis, c’est sûr. (…) Ils ont l’air nerveux. Je ne comprends pas. (…) Quelque chose me tire, quelque chose me pousse, je regarde le compas… ‘Joshua’ court vent arrière à 7 nœuds, en plein sur l’île Stewart cachée dans les stratus. Le vent d’ouest, bien établi, a tourné au sud sans que je m’en sois rendu compte » p.148. Moitessier, averti par les dauphins qu’il court au naufrage, rectifie la direction puis descend enfiler son ciré. Lorsqu’il remonte sur le pont, les dauphins « sont aussi nombreux que tout à l’heure. Mais maintenant ils jouent avec ‘Joshua’, en éventail sur l’avant, en file sur les côtés, avec les mouvements très souples et très gais que j’ai toujours connus aux dauphins. Et c’est là que je connaîtrai la chose fantastique : un grand dauphin noir et blanc bondit à 3 ou 4 m de hauteur dans un formidable saut périlleux, avec deux tonneaux complets. Et il retombe à plat, la queue avers l’avant. Trois fois de suite il répète son double tonneau, dans lequel éclate une joie énorme » p.149

Toute la bande reste deux heures près du bateau, pour être sûre que tout va bien ; deux dauphins resteront trois heures de plus après le départ des autres, pour parer tout changement de route… Je l’avoue, lorsque j’ai lu la première fois le livre, à 16 ans, j’ai pleuré à ce passage. Tant de beauté, de communion avec la nature, une sorte d’état de grâce.

Il y aura encore cette merveille d’aurore australe qui drape le ciel de faisceaux magnétiques « rose et bleu au sommet » p.178 ; ces phoques qui dorment sur dos, pattes croisées (p.139) ; le surf magique sur les lames, à la limite du « trop » (p.186) dont j’ai vécu plus tard une version légère ; les goélettes blanches aux yeux immenses (p.238).

À côté de ces moments de la Route, comment l’exploit technique des sympathiques marins techniques de nos jours, leurs clips radio matérialistes de 40 secondes d’un ton convenu de copain, leur mini-vidéos pour poster vite, leurs Tweets clins d’œil, pourraient-il nous faire rêver ? « Qu’est-ce que le tour du monde puisque l’horizon est éternel. Le tour du monde va plus loin que le bout du monde, aussi loin que la vie, plus loin encore, peut-être » p.211. Les marins à voile d’aujourd’hui font bien leur boulot ; Bernard était un nouvel Ulysse – c’est là la différence, que l’inculture ambiante risque de ne jamais comprendre…

Bernard Moitessier, La longue route – seul entre mers et ciels, 1971, J’ai lu 2012, 440 pages, €7.60
Édition originale 1971 avec 3 photos de l’auteur, occasion €10.00

La pagination citée dans la note se réfère à l’édition originale 1971.

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Mario Tobino, L’ange du Liponard

mario tobino l ange du liponard
Neufs nouvelles sur la mer et les marins, par un auteur italien devenu médecin psychiatre mais qui a toujours gardé la nostalgie de son enfance en bord de mer, à Viareggio, près de Pise. Très populaire en Italie parce qu’il écrit sans façon, dans le style réaliste qui plaît aux années d’après-guerre, il a reçu en 1962 le prix Strega, l’équivalent du Goncourt français.

L’auteur, né en 1910, a connu ces gamins de douze ans qui devenaient mousses sur les navires encore majoritairement à voiles sur la Méditerranée. Il a connu ces jeunes hommes, capitaines de trente ans dans les années trente. Il raconte ces histoires simples et rudes de marins, réduites aux bases de l’humanité : la femme, la peur, l’autorité, la jalousie, la vieillesse.

La nouvelle qui donne son titre au recueil garde l’unité de temps, l’unité de lieu et l’unité d’action du théâtre classique. Le temps, quelques jours de bonace, qui encalminent inexorablement un navire à voiles ; le lieu, l’étroite goélette, où tout le monde se côtoie, où tout se voit, les corps nus des marins et surtout le bain féminin à l’eau de mer qui plaque le maillot sur les formes juvéniles ; l’action, tous les événements sont liés et nécessaires, comme pour une tragédie : le jeune capitaine qui emmène à bord sa femme tout juste épousée, la bonace qui désœuvre et fait travailler l’imagination, le côtoiement social qui égalise les conditions et suscite le jeu, lequel tourne en drame. La catharsis survient lorsque meurt le capitaine, pour s’être emmêlé les mains en haut d’une corde lors d’une course en tête de mât : le champ est libre désormais pour les hommes. Sauf le Second, en responsabilités, et le mousse, trop jeune pour désirer, tous les marins passent sur la Femme, à tour de rôle, jusqu’au port. C’est la nature, c’est le destin. Qui est l’ange ? La goélette, bien-sûr, mais peut-être aussi la seule femme du bateau – ou bien encore le mousse, le seul à rester libre.

femme de viareggio

Un autre mousse fera naufrage, sans le savoir, dans un bateau voilé qui s’éventre sur un rocher. Enfermé par le prévenant capitaine dans sa cabine, il se retrouve tout seul, mais à trente mètres de la terre. Un vieux berger viendra le délivrer. Travail, sensualité, côtoiement des hommes, terreur d’être englouti – et expérience unique d’avoir fait naufrage et de s’en être sorti.

Les matelots adultes sont en proie à d’étranges lubies : untel croit que sa femme le trompe, bien qu’elle lui ait donné deux gamins. Sur les insinuations d’un serpent sur un autre bord, jaloux de sa joie de vivre, il revient en catastrophe au village côtier, pour trouver sa femme… en bonne mère et bonne ménagère. Un autre, un meccano, ne peut supporter de se faire engueuler par un patron avare qui le houspille un peu fort, alors qu’il s’est levé très tôt pour remettre en état un moteur usé jusqu’aux coussins. Deux marins en bordée se baladent en ville et suivent une femme qui les séduit ; c’est une professionnelle, mais ils n’ont pas les mots pour l’aborder, ni peut-être la paye – ils ne font que rêver. Un vieux se souvient de la mer et se délecte une dernière fois du poisson qu’il a lui-même pêché, accommodé à l’huile et au citron.

viareggio goelette eolo

Un village sur un rocher, avec l’église dans les embruns, est le théâtre de la dernière des neufs nouvelles. La tante de l’auteur vient de mourir, lien charnel et maternel dernier avec l’endroit qui l’a vu naître et où il tant joué, enfant.

Ces histoires simples et vraies, un peu surannées, laissent un charme à l’esprit comme un vin long en bouche. Lues facilement, il ne faut pas se laisser prendre à leur apparente spontanéité car elles font travailler l’imaginaire longtemps encore après avoir été dévorées.

Mario Tobino, L’ange du Liponard et autres récits de mer (L’Angelo del Liponard), 2007, éditions La Découvrance 2015, 133 pages,
Éditions La Découvrance, La Rochelle – attachée de presse Guilaine Depis – 06.84.36.31.85 guilaine_depis@yahoo.com

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Un rescapé de La Méduse – mémoires du capitaine Dupont

philippe collonge un rescape de la meduse memoires du capitaine dupont
Gervais Daniel Dupont, originaire de Maintenon (dans la Beauce au nord de Chartres), soldat de l’An II engagé à 17 ans dans les armées de la République, est devenu au fil des campagnes capitaine d’infanterie. Sa dernière mission est de rallier le Sénégal, rendu à la France par l’Angleterre avec le retour de Louis XVIII.

Las ! Le lieutenant de vaisseau Duroy de Chaumareys, réintégré capitaine de frégate après 25 ans sans naviguer, est un dilettante vieilli qui jette toutes voiles dehors, bonnettes de course sorties, sa frégate La Méduse sur le banc d’Arguin au large de la Mauritanie, pourtant marqué sur toutes les cartes.

Dupont raconte la pagaille, la lâcheté, les révoltes des soldats contre les officiers, les affres de la faim, l’ivrognerie de désespoir, enfin le sauvetage in extremis… Tout le monde connait le tableau de Théodore Géricault qui montre avec l’exaltation propre au Romantisme, des naufragés blêmes à moitié nus gisant sur les planches qui font eau.

theorore gericault le radeau de la meduse construction

Le grand format est construit en deux cônes successifs, dans une atmosphère de fin du monde. Le premier suggère le passé, le radeau porté par sa voile de drap comme un destin subi ; le second est l’espoir, l’action de la chemise agitée vers le bateau qu’on croit apercevoir à l’horizon. Le tableau date de 1818 et le naufrage de 1816, encore tout frais à la mémoire. La presse parisienne – mais surtout l’anglaise, toujours avide de se gausser des Grenouilles vaniteuses (jusqu’au cirque Trierweiler tout récent) – donne un retentissement mondial au radeau de La Méduse.

theorore gericault le radeau de la meduse ecoliers au louvre

Philippe Collonge, habitant de Maintenon à sa retraite du groupe Air France, s’est intéressé à l’histoire de sa commune et a collecté les manuscrits conservés soigneusement par la famille du capitaine, adjoint au maire sur ses vieux jours. Il a fait un véritable travail d’historien, n’hésitant pas à comparer la version des faits écrite de la main Dupont avec les témoignages des autres rescapés de La Méduse, et à nous donner un éclairage sur les années de jeunesse du soldat devenu capitaine pour ses capacités humaines et sa bravoure au combat.

Dupont ne dit pas tout. Même s’il parle moins bien le français que sa langue maternelle le beauceron, il connait l’art de l’ellipse, tant sur les putains de Saint-Domingue que sur l’épisode cannibale du radeau et la répression des révoltés sans-grades. Mais ce qu’il dit est franc et honnête, son écriture est directe, sans langue de bois.

theorore gericault le radeau de la meduse cadavre

theorore gericault le radeau de la meduse carte naufrage

Une première partie narre ses campagnes de 1792 à 1815, tirées d’un journal tenu succinctement à mesure ; une seconde partie met en scène La Méduse et après, de 1816 à 1818. Les deux parties tiennent à peu près le même nombre de pages mais l’éclairage des années de soldat montrent combien la personnalité d’un homme compte plus que ses connaissances théoriques lors de dangers immédiats. Gervais Daniel Dupont a 41 ans lors du naufrage de La Méduse ; il n’a jamais été marin mais a beaucoup navigué pour l’armée, notamment vers les Antilles et dans les Caraïbes. Il voit très vite combien les officiers de la frégate sont peu compétents, à l’exception d’un aspirant d’une vingtaine d’années qui ne survivra que par miracle, blessé gravement à la jambe, et qui adressera un rapport tout professionnel au ministère de la Marine.

Si la première partie intéressera surtout les Antillais et les amateurs d’histoire maritime du XIXe siècle, la seconde captivera tous ceux qui aiment les mystères des faits divers. Car ce malheureux naufrage n’est que la traduction de la misère humaine : l’impéritie, l’inaptitude, l’arrogance, la veulerie, la démission… Les officiers mariniers et les officiels embarqués se sauvent en chaloupe. Ils ne remorquent qu’un moment le radeau où s’entassent le tout-venant, 150 personnes avec Dupont et sa compagnie de terre, ainsi qu’un mousse de 12 ans qui mourra et une seule femme. Lorsque le brick L’Argus retrouvera le radeau de La Méduse, 15 jours après le naufrage de la frégate, il ne reste que 15 survivants.

Ce témoignage d’un fait vrai donne envie de relire le roman ensorcelant d’Edgar Allan Poe, Les aventures d’Arthur Gordon Pym sur le même sujet.

Un rescapé de la Méduse – mémoires du capitaine Dupont 1775-1850, Manuscrit original présenté et commenté par Philippe Collonge, La Découvrance novembre 2014, 161 pages, €17.94

Attachée de presse Guilaine Depis

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A voile et à vapeur à Tahiti

Engouement pour les croisières sur les cargos mixtes. Pour les Australes, le cargo mixte Tuhaa Pae 4 a obtenu son certificat et démarre ses croisières aux Australes en juillet avec 25 passagers. Pour les Marquises, l’Aranui 5 devrait arriver fin 2014 et permettra d’accroitre l’offre de 180 à 260 passagers.

Aranui 5

Pour les Tuamotu, le groupe Degage (ferries pour Moorea) va lancer la construction du Dory 2 qui proposera des croisières « plongées » pour 70 passagers aux Tuamotu. On attend les touristes de préférence avec une carte de crédit gros débit ou un portefeuille bien rempli. Viendrez-vous ?

Vahine nue touriste

On annonce l’arrivée du Wind Spirit en mai 2014, le voilier pourrait rester trois ans en Polynésie. Ce voilier de quatre-mâts est le sister-ship du Wind Song, paquebot à voile arrivé en Polynésie en 1987. Les croisières seront de sept jours au départ de Papeete avec escales à Moorea, Taha’a, Raiatea, Bora Bora et Huahine.

Le A, super-yacht d’Andreï Melnichenko était dans nos eaux cet été. Il n’avait pas pu venir l’an passé à cause du bichon de Madame qui aurait été mis en quarantaine. Qu’à cela ne tienne, on a changé la législation sur les animaux et Madame a pu venir avec son bichon !

yacht 4 mats papeete

Il y eut aussi en escale le yacht Tango mais d’autres sont déjà venus cette année et d’autres annoncent leur venue tels l’Octopus, l’Artic P, le Nahlin, le Lady Christine, l’Archimède, le Suri, le Dragonfly et les Golden Odyssey et Golden Shadow. Enfin, que du beau monde.

Naufrage tragique dans la zone rapa (Australes). Les six marins pêcheurs, rescapés du navire chinois le Zhong Yang 26, quatre Chinois et deux Indonésiens, ont été rapatriés à Papeete à bord du Tuhaa Pae (la goélette des Australes). Le dimanche 5 aout vers 3 heures du matin, au large de Rapa, leur navire qui avait quatorze marins (neuf Chinois, deux Vietnamiens et trois Indonésiens) chavirait suite à une voie d’eau. Répondant à l’appel de détresse, le MRCC a largué des canots de sauvetage dans une mer démontée, et le lendemain l’hélicoptère a pu intervenir. Les marins rescapés ont été déposés à Rapa, accueillis par le premier magistrat et la population. Ils devraient quitter le sol polynésien par ATN via le Japon pour rejoindre leurs pays. Le consul de Chine à Papeete a géré ce drame du mieux qu’il a pu. Les marins travaillaient pour la Compagnie générale des Iles Fidji qui les avaient embauchés.

Hiata de Tahiti

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Thorgal 28, Kriss de Valnor

Thorgal 28 1 couverture

L’aventure reprend – enfin ! Les auteurs en avaient marre de Thorgal et de son errance perpétuellement insatisfaite ; ils ont tenté de le tuer. Tactique favorite pour relancer l’intérêt, et puis les ados ont probablement réclamé dans leur hebdo favori et Thorgal est ressuscité. Même pas mort ! Empoisonné, il lui a suffit de vomir, puis de subsister dans l’île avec son arc, les flèches répandues partout par la compétition de l’album précédent, Le Barbare. Il suffit d’y croire pour que l’aventure continue.

La bonne vieille errance croisée de Thorgal seul d’un côté et de sa petite famille unie de l’autre reprend donc. Aaricia reste psychorigide, ne lâchant rien, au risque du pire – qui ne manque jamais d’arriver. Mais elle n’apprend rien, Aaricia, pas fille des étoiles mais princesse viking à l’orgueil têtu. Thorgal vole une barque à la galère des Romains pour se retrouver naufragé après une tempête. Aaricia tente de fuir, refuse d’être pardonnée malgré la bienveillance du gouverneur, et se retrouve avec sa marmaille à travailler comme esclave dans les mines d’argent.

kriss au fouet

Mais devinez qui voilà ? La femme au fouet, demi-nue sous le cuir, est Kriss de Valnor, l’ex-amante de Thorgal séduit par sortilège. Elle aussi est esclave, mais du bon côté du manche, ce qui lui permet d’attendre.

jolan lien magique avec son pere

Attendre qui ? Mais Jolan, 14 ans, qui s’atteste en petit jeune homme quand il n’est pas sous la coupe imposante de son père. Il est raisonnable, courageux, tenace, Jolan ; il entretient une relation magique avec Thorgal, un lien des étoiles peut-être. Il en rêve, il lui parle la nuit, il le retrouvera par lui-même dans la suite de l’album. Mais si Kriss veut Jolan, c’est pour s’enfuir grâce à ses « pouvoirs » qu’elle connait. Elle apprécie le garçon, fluet mais indomptable. Et puis elle s’est humanisée…

 kriss toujours du cote du manche

Dans la galerie de fuite, elle manque de choir mais Jolan la retient ; une grille barre le passage mais Jolan la dissout par l’esprit. Kriss remplace le mâle dominant de la bande dans le vol des chevaux et la cavalcade qui s’ensuit ; elle sait où elle va, elle sait ce qu’elle veut. Car elle est désormais mère, la « méchante et cruelle » Kriss de Valnor ; elle sait désormais ce qu’est l’amour pour son propre enfant. Avec Louve, elle a sauvé Aniel, le fils qu’elle a eu avec Thorgal.

kriss gifle jolan

Jalousie féroce d’Aaricia, mais compassion de Louve et engagement de Jolan pour son petit frère, qu’il sauve de la noyade. Car la barque succède aux chevaux, dans un rituel bien rôdé de l’aventure.

jolan 14 ans sauve aniel 2 ans

Kriss, prête à tout, tente d’amadouer Aaricia dans le bain en la caressant et lui proposant de se gouiner. Pas question !

kriss de valnor se gouine

Mais un discret fumet de sexualité passe dans cet album pour ado : Jolan voit Kriss seins nus.

Thorgal 28 6 kriss nue et aniel fils de thorgal

Il se dénudera le torse lui-même pour avoir de quoi faire un garrot sur une blessure de la guerrière.

kriss aaricia jolan deja viril torse nu

Il scellera à jamais la passe dans la montagne pour offrir un tombeau digne à Kriss qui s’est sacrifiée pour Aaricia, Thorgal inconscient et les mômes, Aniel compris. Enfin, jusqu’à ce qu’elle reparaisse ailleurs, Kriss de Valnor, car elle a neuf vies comme les chats et les démons…

Jolan s’émancipe, petit mâle attachant, serviable mais irréductible. Thorgal est retrouvé mais, épuisé par son naufrage, reste un légume à cheval. Jusqu’au prochain album. Celui-ci est un bon.

Rosinski & Van Hamme, Thorgal 28, Kriss de Valnor, 2004, éditions Le Lombard, 48 pages, €11.40

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