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Kerr, Boisserie, Warzala, La trilogie berlinoise – L’été de cristal

Philip Kerr était un écrivain écossais mort en 2018. Il a créé le personnage de Bernie Gunther, ex-inspecteur de la Kripo, la police criminelle de Berlin, devenu détective privé après l’arrivée des nazis au pouvoir pour incompatibilité d’humeur avec l’autorité bottée. Le scénariste Pierre Boisserie a repris le héros pour le mettre en bandes – dessinées par François Warzala. Pour qui connaît la trilogie berlinoise sous forme de livre, cette version illustrée la prolonge. Le dessin en ligne claire à la Blake & Mortimer donne corps aux couleurs du nazisme, le noir, le vert, le brun, et aux silhouettes des personnages historiques, le Gros Göring, le mince Heydrich au nez en serpe, les gueules de brutes de la Gestapo.

A quoi cela sert-il d’enquêter sous un régime autoritaire ? Pour la justice ? Lorsqu’elle est faite du bon-vouloir de quelques-uns, c’est assez dérisoire. Pour savoir ? Ce sont les victimes qui engagent alors les détectives pour connaître le sort de ceux qu’elles recherchent. Le cynisme est exigé pour être objectif. L’ironie amère également. La « nouvelle criminalité » qui mobilise les forces de police du Reich – le Troisième – était : « parler irrespectueusement du Führer, omettre le salut hitlérien ou se livrer à l’homosexualité » p.26. Ou encore ne pas écouter (religieusement) les discours interminables du minable Goebbels, à la propagande bien sentie.

En 1936, alors que le « nègre » Jesse Owens va gagner quatre médailles d’or aux JO de Berlin, contre les bons Aryens blancs de la « race supérieure », le détective Bernie, en fin de trentaine, va être engagé par un magnat de l’industrie de l’acier, Hermann Six, pour retrouver l’assassin de sa fille Grete. Elle a été tuée par balles à son domicile avec son mari Paul le nazi, le coffre où elle conservait des colliers de diamants ouvert et vide. Ils ont été cramés tous deux sur leur lit conjugal alors qu’ils étaient nus et venaient, selon le légiste, d’avoir eu un rapport sexuel.

Curieusement, tout le monde s’en mêle. La police, dont c’est le rôle, mais aussi la Gestapo, on ne sait pourquoi, les hommes de Göring en personne, et même la pègre berlinoise qui « réhabilite » les délinquants à leur sortie de prison. Bernie fume trop, boit beaucoup, baise bien, se fait souvent tabasser, n’hésite pas à tirer, mais garde dans la vie une attitude détachée. Malgré les temps incertains et la mort à chaque coin de la rue.

Une leçon de cynisme salubre alors que reviennent les tentations autoritaires, la haine des autres, la décision d’un seul, l’embrigadement dans une seule vision des choses. Une BD plus « écrite » que dessinée, le texte venant souvent en redondance.

Philip Kerr, Pierre Boisserie, François Warzala, La trilogie berlinoise – L’été de cristal (tome I sur III), 2021, Les Arènes BD 2025, 144 pages, €23,00

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Arthur Conan Doyle, Les archives de Sherlock Holmes

Parfois traduit en français par Les dernières aventures de Sherlock Holmes, ou Archives sur Sherlock Holmes, ce recueil réunit douze nouvelles. Watson raconte, ou pas; c’est parfois Sherlock lui-même qui évoque, ou un narrateur extérieur.

Le détective cherche moins à affirmer sa méthode, il se met volontiers dans l’ombre avec la satisfaction du travail bien fait, de l’utilisation judicieuse de ses capacités d’observation et de déduction, en général en faveur des victimes. Désormais, il est sollicité de toutes parts, y compris par de très hautes personnalités, tel l’Illustre client, ou celui de la Pierre Mazarine. Par discrétion, il a refusé le titre de chevalier, n’acceptant qu’une épingle à cravate en émeraude de la Reine elle-même, comme il est seulement suggéré.

Il s’est volontairement retiré dans une ferme des Downs, dans le Sussex, où il élève des abeilles. Proche de la mer, et d’un institut d’éducation de jeunes garçons. Cela lui permet de résoudre une énigme portant sur la faune, dans la Crinière du lion. Une bien étrange affaire d’où sourd un certain sadisme. Là un jeune homme est retrouvé fustigé à mort, « le buste nu » sur les rochers. Une jalousie de mâle ? Un châtiment de la nature ? La beauté masculine, souvent citée chez Conan Doyle, à l’égal de la beauté féminine, est souvent sacrifiée. La belle jeunesse est victime plus que bourreau ; les mauvais portent dans leur corps et sur leur visage les stigmates de leur cruauté.

La modernité « fin de siècle » (le 19) s’intègre progressivement, avec le téléphone qui remplace le télégramme, et les annuaires, si précieux pour retrouver un nom. Ou le microscope, qui permet à Holmes les balbutiements de la police scientifique en distinguant les matières. Ou le gramophone, qui donne l’illusion que l’on joue de la musique alors que l’on entreprend autre chose. Ne resterait que le cinéma, mais Holmes en reste au théâtre : il se met en scène à sa fenêtre sous la forme d’un mannequin de cire qui fait semblant de lire, et que Mrs Hudson déplace de temps à autre, pour donner l’illusion que le détective est chez lui à lire derrière son rideau. Or ce n’est que son ombre. Ou la photo, dont les agrandissements permettent d’analyser de quel genre sont les zébrures qui apparaissent sur le dos nu du pauvre McPherson, athlétique mais faible du cœur.

Restent les forces obscures qui, même si la rationalité fin de siècle les récuse, montent à l’horizon et menacent la civilisation : se seront les orgueils mal placés et les pulsions de mort qui conduisent à la guerre de 14, laquelle préparera celle de 40, donc la guerre froide, puis la suite de décolonisations suivies de dictatures – dont le monde n’est toujours pas sorti.

Que peuvent la science et la raison contre la croyance et l’émotion ? Seules les périodes paisibles et fastes permettent aux raisonnables de contribuer au progrès ; les autres font régresser – toujours. Voyez l’ex-URSS retombée dans le stalinisme poutinien, ou le Nouveau monde régresser vers l’Ancien régime.

Si Holmes évacue la nouvelle menace biologique du « rat géant de Sumatra », c’est que pour lui « l’humanité n’est pas encore prête à en entendre parler ». Pourtant les frelons asiatiques, les mygales, le moustique tigre, migrent vers les pays tempérés avec le réchauffement climatique. Et le Covid nous est tombé dessus, chez Holmes une maladie tropicale dans le Soldat à l’étrange pâleur. Il constate aussi « un dérèglement psychique » chez un adolescent dans le Vampire du Sussex, qui préfigure nos questionnements récents sur le mal-être psychopathique de notre jeunesse 2025. La couguar est déjà là dans la société, avec la vieille des Trois pignons qui fait rosser son jeune amant, très beau mais impécunieux, au profit d’un duc riche dont elle pourrait être la mère. Le transhumanisme n’est pas absent non plus avec les apprentis sorciers du rajeunissement, dans l’Homme qui rampait.

Très moderne Conan Doyle, à l’affût des signaux faibles du futur, distillé dans des nouvelles de divertissement…

Sir Arthur Conan Doyle, Les archives de Sherlock Holmes (The Case-Book of Sherlock Holmes), 1927, Archipoche 2019, 339 pages, €8,50, e-book Kindle €1,49

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Arthur Conan Doyle, La vallée de la peur

Sherlock Holmes lit confortablement une énigme apportée par son gamin des rues Billy, et l’inspecteur MacDonald, de Scotland Yard sonne à la porte. Il vient annoncer un meurtre…

La lettre, écrite par un certain Porlock – un nom de plume qui cache un collabo pris de remord du redoutable professeur Moriarty – est une suite de chiffres, séparés par des espaces, avec seulement trois noms en clair. Holmes n’a pas le code, évidemment pas fourni avec le message (sinon, quel intérêt de le coder ?). Billy « le saute-ruisseau » apporte une seconde lettre, mais non seulement ledit Porlock ne fournit aucun code, mais se défile en plus, craignant d’être surveillé par le redoutable Moriarty. « J’ai vu le soupçon dans ses yeux. Brûlez le message codé, je vous prie. » Holmes n’en fait rien, mais Watson doit le provoquer pour qu’il se mette à agiter ses petites cellules grises : il le met au défi de le décoder.

Et il le décode… C’est tout simple, enfin pour un cerveau connecté comme le sien. Le code doit être un livre, et le premier chiffre fait référence à la page. Comme il s’agit du 534, ce doit être un « gros » livre. Pas la Bible, les traductions sont diverses ; pas le bottin, il n’y a pas assez de diversité de mots ; pas le dictionnaire, trop sec. Donc quoi ? « Un almanach ! » Le Whitaker’s annuel est dans toutes les maisons et il comprend deux colonnes, comme le C2 indiqué juste après 534. Manque de chance, ça ne colle pas. Mais si ! Il suffit de prendre non pas le tout nouveau, mais l’usuel de l’année qui vient de s’écouler, et le tour est joué. Le message fait état d’un danger qui pourrait survenir très bientôt à un certain Douglas, riche, à la campagne, à Birlstone House.

Surgit MacDonald. Mr Douglas, de Birlstone Manor House, vient d’être sauvagement assassiné dans la nuit. Sherlock Holmes avoue être « intéressé, mais pas surpris ». L’horreur ressentie par Watson est une émotion négative qui submerge la raison, et Holmes sait la dompter afin de n’en pas être affecté. L’officier de police local White Mason a fait appel à Scotland Yard car l’affaire le dépasse : un meurtre sans témoins dans un manoir fermé entouré de douves. Les voilà donc partis pour la campagne et pour enquêter avec la minutie habituelle.

La bâtisse date de la première croisade et a été rebâtie au XVIe siècle après un incendie. John Douglas l’a rachetée il y a quelques années pour la faire retaper et s’y reclure, sortant peu avec sa femme. Seul son ami Cecil James Barker vient assidûment le voir. Il a rencontré Douglas en Amérique, où ils ont fait fortune comme associés dans les mines. Le seigneur des lieux, descendu la veille au soir en robe de chambre pour vérifier les fenêtres, gît mort d’une décharge de fusil à canon scié provenant d’une armurerie américaine. Une carte de visite avec les lettres V.V. et le chiffre 341 à côté de lui. Une trace sur une fenêtre ouverte laisse penser que l’agresseur a fui par les douves, peu profondes, alors que le pont-levis restait relevé. Mais les haltères dans la salle ne sont plus qu’à un unique exemplaire. Cet insignifiant détail turlupine le cerveau du détective.

L’énigme sera relativement simple à résoudre, malgré les fausses pistes. Holmes s’y emploiera avec sa finesse habituelle, non sans coup de théâtre à la fin. Mais ce n’est que la première partie.

Comme dans Étude en rouge, le roman est divisé en deux : une enquête contemporaine anglaise – et un contexte historique et personnel américain. C’est cette fois le nord américain industriel, dans la région de Chicago, qui explique l’assassinat du manoir anglais. Un certain John MacMurdo s’est fait passer pour comptable des mines pour se faire engager et infiltrer un « syndicat » chargé de protéger les ouvriers de l’exploitation brutale des gros capitalistes. La loge de Chicago était humaniste et d’entraide ; celle de Vermissa, dans la Vallée de la mort, s’est tournée vers le crime et l’extorsion. La police est impuissante et la magistrature achetée. Ici règne la force et le principe du plus fort. Le droit et la loi ne valent rien contre les tueurs impitoyables qui viennent tabasser et racketter en bande. Les membres de la loge doivent jurer obéissance au chef (comme aujourd’hui à Trump) et sont autorisés à user de tous les moyens pour affirmer le droit du chef (comme aujourd’hui les affidés de Trump). Les journalistes sont intimidés physiquement, les contremaîtres voient leur maison explosée avec leur famille dedans, l’ingénieur de la mine est tué d’une balle, le grand patron traqué. Sauf à payer…

MacMurdo est un inspecteur de l’agence privée de détectives Pinkerton, engagée par les gros capitalistes de New York qui voient d’un mauvais œil cette loi de la jungle. L’état d’esprit libertarien – celui des pionniers – n’est plus de mise dans un État moderne où la bonne marche de l’économie dépend des échanges donc de la loi et de la confiance entre les acteurs. Le même dilemme se pose aujourd’hui : les grands patrons de la tech veulent moins de réglementation pour leurs affaires, mais pas une dictature du bon plaisir qui boute l’anarchie sur les marchés et à l’international. Nul doute que l’antagonisme Trump-Musk, qui vient à peine de se révéler, ne va faire que s’accentuer. Comme c’était le cas à la fin du XIXe entre les mafieux des loges et les patrons des mines.

MacMurdo fait donc arrêter les malfrats, dont la plupart sont pendus après procès en bonne et due forme pour l’édification du public et le retour de la confiance économique. Mais les survivants qui se cachent ont juré sa perte. Il doit donc s’exiler, prendre un faux nom, changer souvent de résidence et de métier. Jusqu’à cette Angleterre paisible de la campagne des Downs où son passé le rattrape. Le potentat du crime Moriarty a pris l’affaire en main et a plaisir à la résoudre selon ses méthodes : tuer. Holmes ne va que retarder l’échéance ; il le sait, la seule façon d’arrêter Moriarty est qu’il disparaisse de la surface de la terre. Ce ne sera pas encore dans ce roman.

Sir Arthur Conan Doyle, La vallée de la peur (The Valley of Fear), 1914, Livre de poche 1975, 240 pages, €5,20, e-book Kindle €0,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Arthur Conan Doyle, Le retour de Sherlock Holmes

Par peur d’être littérairement « bouffé » par son personnage, l’auteur avait occis son détective privé dans un gouffre des Alpes suisses, entraînant le maléfique Moriarty dans l’abîme. Mais les lecteurs ont été épouvantés de cette perte, et l’éditeur du Strand, le magazine qui avait fait ses choux gras des histoires du détective, a été désespéré. Conan Doyle disait de Holmes qu’il était pour lui comme « un abus de foie gras », un écœurement proche de la nausée…

Le magazine américain Collier’s propose un pont d’or (ou presque) à l’auteur pour concocter huit nouvelles au moins ; le Strand les reprendra. Dix ans après donc, le retour. Sherlock n’est pas mort mais s’est caché ; seul Moriarty a fini dans le gouffre. Watson, devenu veuf, a presque une syncope lorsqu’il voit un vieux racorni se transformer sous ses yeux en vrai Holmes revenu du néant. Fini le déguisement, réintégration dans le personnage pour de nouvelles aventures. Treize, cette fois, souvent de bonne qualité.

Holmes applique sa méthode : observation, logique, toujours partir des faits et ne laisser l’imagination courir qu’ensuite. Il adore « la signification de l’insignifiant », selon le critique Ian Pears, procédé titillant et obsessionnel repris par Fred Vargas et par certaines séries, parfois jusqu’à l’absurde. Sherlock prête toute son attention à ce qui ne se voit pas, ce que les autres laissent de côté, sur lequel ils passent pour courir de suite aux hypothèses. Le détective pense à l’envers des autres, par induction plutôt que par déduction. Il part des faits observés pour en tirer des déductions, pas l’inverse – qui est l’erreur courante.

Ces treize nouvelles montrent divers types de criminels en action. Le né pour tuer, tel le colonel Moran, irrécupérable, véritable bête nuisible hors de l’humain ; l’étranger, tel l’Américain des Bonshommes qui dansaient, toujours mystérieux, donc inquiétant, sorte de fantasme grossi par l’imaginaire dont on doit se méfier ; le professionnel, tel Charles Augustus Milverton, endurci dans le crime de chantage et qui en tire un plaisir malsain ; l’opportuniste, qui tue parce que les circonstances l’exigent, sans intention de le faire, ou au contraire après l’avoir mûrement planifié selon des raisons légitimes, comme dans le Manoir de l’Abbaye.

Le lecteur retrouvera son héros anglais de la fin XIXe avec plaisir, toujours avide d’exercer ses facultés mentales, toujours flanqué de son compère médecin, toujours gentleman. De la belle ouvrage qui change des gadgets à la mode (téléphonie, ADN, caméras de surveillance, traces internet) qui masquent trop souvent l’inanité de la psychologie.

Sir Arthur Conan Doyle, Le retour de Sherlock Holmes (The Return of Sherlock Holmes), 1905, Archipoche 2019, 425 pages, €8,95, e-book Kindle €1,49

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes

Le jeune Arthur, 32 ans, marié à Louisa, exerce à Londres la profession de médecin dans le quartier de Bloomsbury. Il écrit assidûment : des romans historiques, des nouvelles. Celles sur Sherlock, publiées dans les magazines, ont un tel succès qu’elles sont publiées en volume. Et, après huit ans de pratique de la médecine, il décide, à la suite d’une grippe, de se livrer entièrement à l’écriture.

Le succès de ces douze nouvelles tient à ce qu’on peut les lire indépendamment. Elles ne se suivent pas, même si Watson le narrateur rappelle parfois certaines aventures passées. Les gens qui, déjà avant les réseaux sociaux, avaient du mal à fixer leur attention trop longtemps, sont ravis. La recette n’a pas changé : pour le succès, faites court !

Sherlock Holmes voit son personnage s’étoffer. Il apparaît moins ignorant qu’il ne s’était affirmé au départ ; il est moins méprisant envers les facultés d’observation médiocre de son compère Watson, encourageant même ses progrès ; il apprécie la contradiction et la candeur de son vis-à-vis, ce qui l’aide, dit-il à réfléchir.

Les enquêtes sont dans la banalité du quotidien : retrouver un bijou perdu, innocenter un présumé coupable, sauver une jeune femme des griffes d’un parent violent, un homme d’une arnaque, la société d’habiles malfrats… Les histoires sont dans la ville et la campagne, dans leur temps sous l’empire et le commerce mondial. Londres est la ville-monde de l’époque, là où tout se passe au final, le 221b Baker Street est le lieu de l’analyse sociale, et le cerveau de Holmes la raison qui explique au final le monde comme il va – avec logique.

Rien n’est plus agréable que de se retrouver avec Sherlock Holmes et John Watson dans le salon douillet de leur logeuse, un bon feu allumé dans la cheminée alors que le vent et la pluie frappent les vitres lors d’une tempête d’automne, ou que la neige recouvre les trottoirs, ou encore que le brouillard jaune des foyers au charbon s’insinue dans les rues et ne permet plus de voir à trois mètres. L’intérieur est un cocon protecteur des vrais dangers extérieurs, un nid propice à la réflexion dégagée de toutes contingences et stimulée par le whisky et le tabac, un havre hors des émotions pour qui vient consulter. Sherlock Holmes est le médecin des malades sociaux, ceux qui craignent le scandale, ceux qui se sont fait avoir, ceux qui se demandent s’ils doivent accepter une place trop bonne pour être honnête.

La suite des aventures est plaisante à lire, sans descriptions inutiles, avec la raison pour reine. Chaque lecteur se sent apte à user du même instrument offert à l’humain par la nature : ses sens pour observer et sentir, son cerveau pour analyser et résoudre. Les dessins de Sydney Paget à l’époque ont fixé une fois pour toutes l’image-type du détective : casquette de chasseur de daim qui couvre le précieux encéphale et les oreilles, pipe pour stimuler l’esprit, loupe pour voir au plus près. Tout fait sens.

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes (intégrale des 12 nouvelles), éditions Mystérium 2021, 154 pages, €7,99

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes – 1ère nouvelle : Un scandale en Bohême, 1892, Livre de poche 1996, 187 pages, €4,90

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Arthur Conan Doyle, Étude en rouge

Arthur Doyle, qui ajoute le nom de son grand-père maternel Conan pour se différencier de son propre père, et devient « sir » par anoblissement du roi Édouard VII en 1902, après ses loyaux services sanitaires et historiques durant la guerre des Boers, accouche à 27 ans de son fils spirituel : Sherlock Holmes. Il apparaît pour la première fois dans cette « étude en rouge », où le sang autour de la victime égare l’enquête, alors que la vengeance du sang en est le mobile profond.

Ce court roman permet en quelques pages de faire la connaissance du Docteur Watson, le fidèle ami et associé, narrateur des exploits du « détective consultant », comme Holmes se fait appeler. Watson est médecin, retour d’Afghanistan où il a été sévèrement blessé, et en convalescence sans le sous à Londres. Il saute sur l’occasion que lui présente un ancien collègue de partager un appartement avec un excentrique, au 221b Baker Street, un salon et deux chambres à l’étage, cuisine et ménage faits par Mrs Hudson, la logeuse.

Quant à Sherlock, c’est un grand personnage émacié, 1m83, dont la raison est hypertrophiée, étouffant l’émotion. Laquelle affleure parfois, mais rarement, et sous contrôle. La fin XIXe est en effet à la Science et à ses excès rationnels du scientisme. Tout doit être explicable, il suffit de remonter aux causes pour en déduire les effets. Holmes a une méthode originale : faire l’inverse. Ce « raisonnement analytique », comme dit le détective, consiste à partir des faits bien observés, pour remonter leurs causes. C’est ainsi qu’il déduit que le Dr Watson est médecin, à cause du titre de docteur, ancien militaire blessé revenu d’Afghanistan par son maintien un peu raide, son bronzage des mains et du cou, son bras gauche maladroit et son teint émacié. Conan Doyle, lui-même docteur en médecine dès 1885, a gardé le souvenir de son maître de chirurgie à l’université d’Édimbourg le Dr Joseph Bell, qui prônait l’observation aiguë des indices et des symptômes.

Holmes est appelé par les détectives de Scotland Yard Lestrade et Gregson, qui sèchent sur un meurtre mystérieux commis sur un personnage bien mis dans une maison vide d’un sordide quartier de Londres, et pour lequel ils n’ont aucune piste. Le cadavre d’un Américain d’origine allemande, Enoch Drebber, est retrouvé mort sans blessure apparente, mais du sang autour de lui, avec le mot RACHE écrit au sang en capitales sur un mur. Querelle d’amour avec une certaine Rachel pour enjeu ? C’est ce que pense la police, avide de sauter sur la piste la plus simple. Pas du tout, raisonne Holmes, Rache veut dire en allemand « vengeance ». C’est donc un peu plus compliqué que cela.

Bien que peu lettré – il dit ne pas vouloir encombrer son cerveau, forcément limité, de connaissances qui ne lui sont pas utiles – Sherlock Holmes sait ouvrir son esprit à la culture et au monde. C’est ainsi que la seconde partie nous propulse en Amérique, où les Mormons commencent à faire parler d’eux. C’est une secte chrétienne guidée par un gourou machiste qui a un fil direct avec Dieu le Père (ainsi le fait-il croire à ses adeptes). Il prône la polygamie pour croître et multiplier, et ainsi affirmer sa puissance. Les femmes ne sont pour lui que des « génisses », et elles doivent prendre mari dès leur puberté. Une pièce rapportée à la tribu, découvert affamé et assoiffé dans le désert du Lac Salé, n’est pas de cet avis. Bien que réussissant en ses cultures, et respectant le culte, il n’envisage pas de confier sa fille adoptive Lucy, sauvée par lui tout enfant, à n’importe quel godelureau issu du patriarche. D’où rébellion, fuite et châtiment, mariage forcé, mort et vengeance. L’amoureux extérieur, Jefferson Hope que Lucy voulait épouser, mineur vigoureux et obstiné, traquera Drebber et son acolyte Strangerson dans les forêts et les villes de l’Amérique, les suivant jusqu’en Europe et à cet abouti du monde qu’est à cette époque la cité de Londres.

Au final, le criminel est un vengeur, justifié par Dieu lui-même qui fera sa propre justice. Holmes n’a fait que débrouiller l’écheveau. Quant aux Mormons, ils sont la préfiguration du monde futur de 1984 d’Orwell, ou de la Russie et de la Chine d’aujourd’hui, par leurs mœurs de surveillance généralisée et d’obéissance aveugle à la Norme, énoncée par un seul gourou. L’intolérance masque l’appétit de jouissance et de pouvoir. Staline, Xi, Poutine : même ligne. Ce pourquoi ce roman policier va bien au-delà de son intrigue : il met en scène une sociologie des hommes et les prémisses d’une police scientifique.

Sir Arthur Conan Doyle, Étude en rouge (A Study in Scarlet), 1886, Livre de poche 1995, 147 pages, €5,30, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Les cadavres ne portent pas de costard de Carl Reiner

Un film expérimental et drôle, composé principalement de montages de scènes cultes des films noirs américains des années 40 et 50 ! Une parodie où l’on retrouve Lauren Bacall, Cary Grant, Humphrey Bogart, Ava Gardner, Burt Lancaster, Kirk Douglas et d’autres, qui se coule dans une nouvelle histoire. Juliette, une créature de rêve (Rachel Ward) charge le détective privé Rigby Reardon (Steve Martin) de retrouver comment et pourquoi son savant de père, fabricant de fromage a disparu. Son accident de voiture ai fait les gros titres du Los Angeles Times, mais…

Sa fille doute. S’agirait-il d’un meurtre ? Son père le savant avait trouvé une nouvelle moisissure dans son labo qui puait le fromage, établi dans un quartier périphérique où son odeur ne dérangeait pas. Mieux, elle a trouvé une liste de noms sur un fragment de billet de 1$, et voudrait savoir ce qu’elle signifie. Elle trouvera opportunément d’autres indices, clé, nouvelle liste, reste du dollar, qu’elle livrera au détective très mâle qui la subjugue, tout à fait dans le canon viriliste des années post-guerre. Deux listes, Friends of Carlotta (FOC) et Enemies of Carlotta (EOC), sont énigmatiques. Qui est Carlotta ? Une photo autographe de la chanteuse Kitty Collins, dont le nom figure sur l’une des listes, fournirait-elle des indices ?

Retrouvée, Kitty est réticente, mais convoque Rigby dans un restaurant où elle dîne avec des amis, et lâche sa broche papillon dans sa soupe. Le loufiat qui l’emporte est intercepté par le détective au prétexte sanitaire d’une plainte pour trop de bijoux dans les soupes – gag. Il trouve une liste dans le cœur de la broche. Tous les noms sont rayés – éliminés – sauf un, Swede Anderson, que Rigby retrouve, mais il est tué alors qu’il lui prépare un remède anti gueule de bois avec plus de café en poudre que d’eau et deux œufs avec leur coquille, le tout brassé – gag.

Les scènes raboutées des quelques 19 films noirs sont dans leur jus, le scénario du film de Reiner les raccorde immédiatement. Ainsi les dialogues se suivent, fluides, comme s’ils étaient vrais. Rigby appelle son mentor, Philip Marlowe, héros détective de Raymond Chandler, pour qu’il l’aide. Il y aura bagarre, autres gags, rebondissements, déguisement de Rigby en femme, inévitables nazis revanchards, prétexte fumeux de « nouvelle arme fatale ». Carl Reiner joue lui-même le rôle du maréchal Wilfried Von Kluck. Rigby appelle sa cliente Gueule d’ange (Angelface) et elle le suce lorsqu’il a pris une balle – toujours dans le bras gauche selon les conventions ; elle a appris cela au camp de jeunesse, sucer la plaie pour en extraire le venin, et elle ressort avec la balle entre les dents. Par trois fois, comique de répétition.

Quant au détective, il est amoureux mais ses principes l’empêchent de le déclarer à sa cliente. D’où gag lorsqu’il se tient devant elle avant de se laver les dents et presse le tube de dentifrice sans le vouloir, dans un jet spermatique évocateur de son désir… Mais sa faiblesse est surtout d’avoir perdu son père, parti lorsqu’il avait 7 ans avec la femme de ménage. Depuis, les mots même de « femme de ménage » le mettent dans une transe violente où il étrangle quiconque se trouve en face de lui.

DVD Les cadavres ne portent pas de costard (Dead Men Don’t Wear Plaid), Carl Reiner, 1982, avec‎ Steve Martin, Rachel Ward, Carl Reiner, Reni Santoni, Georges Gaynes, Elephant Films 2020, anglais, français, 1h25, €16,90, Blu-ray €14,88

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Agatha Christie, Poirot joue le jeu

Poirot le détective dicte tranquillement du courrier chez lui, méthodique et méticuleux comme toujours, lorsqu’il est dérangé par un appel téléphonique. C’est Ariadne Oliver, ine romancière fantasque à l’imagination débridée qui le sollicite. Elle imagine toujours d’invraisemblables scénarios de crimes, mais elle a de l’intuition.

Ce qu’elle dit ? Elle a été conviée dans une grande propriété du Devon sur la rivière Dart à organiser une course à l’assassin pour attirer du monde chez sir George Stubb, nouveau riche qui a racheté le domaine à la veuve Folliat. Elle a vu son mari et ses deux fils tués à la guerre, et les droits de succession en cascade l’ont obligée à vendre. Sir George a eu le bon goût d’épouser la filleule de Mme Folliat, une Hattie créole un peu demeurée mais très jolie.

En quoi cela concerne-t-il Monsieur Poirot ? C’est que la Oliver soupçonne un malheur prochain. Elle ne sait quoi, mais du grave. Le détective pourrait l’aider à prévenir l’événement ou, du moins, à résoudre l’énigme s’il survenait. Voilà sa curiosité piquée et, trente minutes plus tard, Hercule Poirot saute dans un train à Londres pour le Devon. Il sera présenté comme la célébrité qui remet le prix au gagnant dans ce jeu du crime.

Une fois sur place, il s’imprègne de l’atmosphère, hume l’ambiance, observe la faune haute en couleur du lieu. Il y a le gentil sir George Stubbs et son épouse Hattie avec une case en moins, préoccupée surtout de paraître et de parader en robe de grand couturier, tous ses diamants et émeraudes dehors. Il y a la veuve Folliat, l’ancienne propriétaire, qui n’occupe désormais plus que le logement du gardien, pour lequel elle paye un loyer. Et puis la secrétaire de sir George, véritable gouvernante de la maison, Mrs Brownster. Gravitent autour d’eux un architecte intello-citadin qui doit construire un nouveau pavillon, un couple urbain qui loue un cottage sur le domaine, le député Masterton et sa femme qui porte la culotte. Sans parler des jeunes de l’auberge de jeunesse, qui se trompent tous les jours en traversant la propriété au prétexte de prendre le bac sur la rivière. Lequel est tenu par le vieux Mervel, trop âgé pour avoir toute sa tête. Poirot rencontre notamment deux jeunes filles en short et sac à dos dont il n’aime pas le spectacle des fesses serrées dans leur toile. Il croise aussi à plusieurs reprises un très jeune homme à chemise ornée bizarrement de tortues. Sans compter Marlène, 14 ans, curieuse du sexe, éclaireuse choisie pour jouer le cadavre dans le hangar à bateaux pour le jeu de Madame Oliver.

J’ai vu de mes yeux le fameux hangar à bateau à Greenway House, la propriété de vacances d’Agatha Christie dans le Devon, qui a servi de modèle au roman. Il est éloigné de tout, au bord de la rivière, caché par les arbres et la végétation. On peut assassiner là sans crainte de se faire voir (nous ne l’avons pas fait).

La kermesse attire du monde, tout va bien, il fait beau, les gens s’amusent. C’est vers la page 100 que se produit le premier crime. Sans mobile apparent. La police enquête, interroge, recoupe, elle n’y voit rien. Hercule Poirot suit son bonhomme de chemin par des voies détournées, mais n’aboutit à rien. Ce crime est un puzzle dont il ne saisit pas l’assemblage.

Surtout que Lady Stubbs a disparu. Un lointain cousin venu des îles sur son yacht lui a écrit pour la rencontrer. Elle dit qu’elle ne l’aime pas, qu’il est malfaisant, et fait tout pour l’éviter. On ne la retrouvera pas. Mais on retrouvera le vieux Mervel, plus de 90 ans, noyé. Après avoir trop bu ? C’est ce que tout le monde dit.

Alors : qu’il l’a fait ? Et pourquoi ? C’est un peu compliqué et les petites cellules grises auront quelques mal. Mais vous saurez tout dans l’ultime chapitre, les dernières pages, et ce sera inattendu.

Agatha Christie, Poirot joue le jeu (Dead Man’s Folly), 1956, Editions du Masque 2025 (nouvelle traduction révisée), 285 pages, €7,40, e-book Kindle €6,99
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Boileau-Narcejac, Le serment d’Arsène Lupin

Dernier roman policier de la série Arsène Lupin, détective de Maurice Leblanc (1864-1941), repris par les auteurs. Dans 813, Leblanc fait mourir Arsène en 1910, mais le ressuscite un peu plus tard. Son gentleman cambrioleur, expert en déguisements, agit dans la France de la Belle Époque et des Années folles. Nous sommes chez Boileau-Narcejac avant la Grande guerre, sous la IIIe République. Déjà les politiciens craignent d’être renversés par les scandales et la politique se résume aux polémiques parlementaires.

D’où leur effroi lorsque l’on retrouve le député Aubertet, chef de l’opposition nationale-radicale, assassiné par balles dans l’ascenseur de son immeuble un matin. Mais qu’allait-il faire chez lui en pleine matinée ? Le chef de la Sûreté Lenormand – qui n’est autre qu’Arsène Lupin reconverti et déguisé en vieux – est chargé de l’enquête. Celle-ci s’avère difficile.

Pas moins de quatre autres meurtres interviendront avant le dénouement. Le détective engagé par Aubertet qui avait constitué des dossiers, la secrétaire du député qui connaissait des secrets, un maître chanteur qui finit empoisonné, et un vieux comte à la fortune établie. Évidemment, tout est lié – mais comment ?

Lenormand se transforme en Lupin lorsqu’il le faut, pour aller droit au but en contournant la loi pour la bonne cause, ou en baron Raoul de Limésy, sémillant clubman qui joue dans les cercles chics, lorsqu’il s’agit de sauver et séduire une belle femme.

C’est que l’assassin du député a été arrêté ! Il s’agirait du présumé coupable Olivier Vaucelle, beau jeune homme blond et vigoureux de 20 ans qui courtisait la femme du député, ce dont elle était flattée. N’allait-il pas prendre le train pour Lausanne le lendemain du meurtre ? Sa mère, Hélène, est effondrée. Il n’est pas coupable, ce n’est pas possible. Lenormand-Limésy-Lupin va tout faire pour innocenter l’éphèbe et rassurer sa mère. Mais alors, qui l’a fait ?

Bien mené, dans une langue simple et des actions directes, avec rebondissements. Un bon roman policier à la française, classique.

Pierre Boileau & Thomas Narcejac, Le serment d’Arsène Lupin, 1979,Editions Le masque 2014, 180 pages, €6,60, e-book Kindle, €6,49

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René Masson, Les jeux dangereux – Les gamins du Roi-de-Sicile

Qui se souvient de René Masson ? Il a connu le succès, puisque que publié en collection de poche. Né en 1922, il fut récompensé en 1955 par le Prix Eugène-Dabit du roman populiste après avoir coscénariste Les Diaboliques de Clouzot (où Johnny Hallyday apparaît, à 14 ans). Ses romans évoquent le Paris populaire des immigrés d’Europe centrale après-guerre, la misère des taudis, les gamins livrés à eux-mêmes sous la coupe d’une fille de 14 ans qui monte les coups et organise la bande.

Ne voilà-t-il pas qu’elle a remarqué qu’une splendide Cadillac vient régulièrement à la lisière de son quartier parisien mal famé livrer un jeune garçon de la haute société, vêtu d’un complet veston avec cravate de soie et chaussures sur mesure ? Le garçon prend des leçons particulières avec un agrégé d’université réduit à compléter sa maigre pension (car « la retraite », confort d’aujourd’hui qui semble naturel, n’a pas existé avant les lois de 1945 en France, et ceux qui avaient travaillé avant n’avaient pas cotisé).

L’élève a 14 ans et se nomme Cric Stein, Cric étant le surnom pour Christian. Un prénom catholique, qui marque l’abandon de la religion juive par ses parents, dont quelques allusions permettent de penser qu’ils ont immigré depuis la Bessarabie avant ou après la guerre. Fleur a le même âge et ses seins n’ont guère encore poussé sous sa robe déchirée, mais elle mène sa bande d’une main de fer car elle est cohérente et sait ce qu’elle veut. Il y a les grands de 16 ou 17 ans, qui travaillent parfois aux Halles comme débardeurs, repérant ainsi les camions où chaparder, et les petits de 12 ou 13 ans qui font le guet, détournent l’attention et planquent la came. La bande se réunit dans la cave de l’immeuble de la rue du Roi-de-Sicile, dans le 4ème arrondissement, parallère à la rue des Rosiers. Fleur y croupit avec sa mère infirme, et la photo de son frère aîné Gyuri. Il s’est fait poisser pour le meurtre de deux cognes et qu’on va guillotiner.

Fleur a décidé d’enlever Cric et de lui faire écrire une lettre pour réclamer une rançon. Qui croira que ce sont des mômes qui ont enlevé un môme ? La police ne saura pas où chercher ; quant aux parents, ils s’empresseront de payer pour récupérer leur fils unique… Ce n’est pas vraiment ce qui va se passer. Fleur est trop naïve si elle croit que les parents aiment à ce point leurs enfants, et qu’il n’y a que des incapables de flics pour enquêter.

Au sortir d’une leçon, alors que la Cadillac avec chauffeur n’est pas encore arrivée au bas de l’immeuble du prof pour reprendre le garçon, Fleur aborde Cric pour lui vendre des allumettes, puisqu’elle voit qu’il sort un paquet de cigarettes qu’il a demandé au chauffeur en cachette de ses parents. Il n’en veut pas. Fleur lui montre alors un petit carnet rempli de photographies obscènes, ce qui attire derechef l’attention du prime adolescent. Lorsqu’il sort son portefeuille gravé à ses initiales pour la payer, un gamin le lui chipe avant de s’enfuir. Fleur l’encourage à le poursuive car il boite, et le rattraper sera aisé. Le gamin enfile les rues, est repris, le portefeuille rendu, mais un grand surgit qui dit qu’il est son frère et qu’il va le corriger, mais que Cric doit venir l’expliquer à sa mère pour lui faire la leçon. Le naïf se laisse faire.

Il lui en cuira bientôt. Amené, rue après rue, devant un immeuble crasseux de la rue du Roi-de-Sicile, il est poussé dans la cave et enfermé avec la bande. Là, chacun guigne un vêtement : qui la cravate, qui les grolles, qui le veston, qui le pantalon. Cric se rebelle mais est frappé au visage, il saigne. Il se retrouve bientôt pieds nus en caleçon – pauvre comme Job. Fleur, charitable, ordonne qu’on lui jette un pantalon troué et un vieux chandail. C’est ainsi misérablement vêtu, meurtri, sans pouvoir se laver, que Cric va vivre quelques jours.

Il avoue prendre quelque plaisir ambigu aux vêtements qui le grattent, à la saleté dans laquelle il se vautre, à l’argot parigot du ghetto, aux combines troubles des gamins. Un matin qu’il se trouve seul avec Fleur, il détourne son attention pour qu’elle découvre le vasistas afin de voir le jour, s’empare d’une bouteille et lui tape dessus. Elle est groggy, il s’évade. Mais il a le malheur de rencontrer, dès la porte de l’immeuble, le reste de la bande qui revient en retard d’une maraude. Il fuit dans les étages, se cache, est rattrapé…

Son père, plus prêt de ses intérêts et de sa réputation que de son fils, n’a pas appelé la police mais a mandaté un privé pour enquêter. Près de ses sous et, une fois encore de sa réputation, il a choisi la plus petite agence, inconnue, dans un mauvais quartier. Cric doit sa survie qu’à l’astuce de l’ancien flic de la PJ qui a monté seul son agence d’enquêtes en tous genres. La police a repéré des faux-monnayeurs et l’homme aux cheveux blancs devenu détective a repéré une très jeune fille qui en écoule. Il la suit, note son adresse. C’est pourquoi il revient dans l’immeuble, accompagné de deux flics. Ils veulent poisser la bande de voleurs à la tire, de complices de faux-monnayeurs et de commerce d’image pornographiques.

Cric est mal en point, récupéré tabassé dans la cave in extremis, soigné à la hâte, et ramené en famille. Il retrouve sa chambre, ses parents. Lesquels n’ont pas porté à son affaire toute l’attention qu’elle méritait: son père, financier, n’a pu se libérer « d’une réunion d’actionnaires » pour le voir sauvé, sa mère « s’est alitée » sous le choc et se contente de geindre.

Sous cette fable écrite quasiment pour le jeune âge, l’auteur contraste les classes sociales. Bien que de même milieu juif échappé des enfers de la Seconde guerre mondiale, la famille Stein et la bande de voleurs rue du Roi-de-Sicile n’ont rien en commun. L’argent fait la différence. D’où la vie entre soi : enfance unique solitaire pour Cric, enfance grouillante de frères et sœurs et de copains de bande pour Fleur et les autres. École privée ou école de la rue ; avenir tout tracé ou débrouille au jour le jour. Venir d’ailleurs exige de s’intégrer, mais comment y parvenir sans aide, dans la pauvreté ? Une fois intégré, l’immigré récuse les nouveaux immigrés par réflexe de classe. Il poursuit l’argent dans la finance, la considération dans un quartier chic, la discrétion en ne faisant surtout pas appel à la police.

Une curiosité de roman, qui nécessite parfois le Dictionnaire de l’argot pour entraver la jactance des années cinquante qui a beaucoup vieilli.

D‘après le roman Les Gamins du Roi-de-Sicile, Pierre Chenal a tiré un film intitulé Les Jeux dangereux en 1958.

René Masson, Les jeux dangereux – Les gamins du Roi-de-Sicile, 1950, J’ai lu 1971, 250 pages, €7,00

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Deborah Crombie, Meurtres en copropriété

Comme Elisabeth George, Deborah Crombie est américaine mais situe ses histoires policière en Angleterre. Ici le Yorkshire où elle met en scène son personnage fétiche, le superintendant (commissaire) Duncan Kinkaid et son sergent Gemma James. Il en vacances dans une multipropriété dont son cousin lui a cédé sa semaine faute de pouvoir s’y rendre. Tourisme des vieilles églises en style perpendiculaire, randonnées vers les cascades parmi les feux de l’automne, tennis, enfin le calme pour décompresser des affaires criminelles et de la grande ville ! Las, dès son arrivée, un crime est commis.

Maquillé en suicide, mais bel et bien un crime : un grille-pain branché a été jeté dans la piscine où s’ébattait après son travail le directeur-adjoint de la multipropriété, Sebastian. Ce sont les deux seuls enfants présents, 7 et 5 ans, qui l’ont trouvé. Duncan, qui s’était levé tôt, trouve les deux petits prostrés, effrayés. Heureusement, ils n’ont pas touché à l’eau ! Après avoir débranché la prise, Duncan sort le cadavre. Il est chaud mais mort. La police locale est prévenue et l’inspecteur Nash, aigri et brutal, conclut à un suicide. Ce n’est pas l’avis de Kincaid, ni d’ailleurs du sergent local, et le commissaire en vacances va intriguer pour se faire habiliter à intervenir dans l’enquête.

Nous sommes dans un huis-clos classique du roman policier anglais. Deborah Crombie, pour son premier opus de sa série Kincaid, joue l’Imitation d’Agatha Christie comme hier les clercs jouaient l’Imitation de Jésus-Christ. La psychologie joue un rôle majeur dans l’intrigue, la question est de trouver qui l’a fait dans la brochette de personnages en vacances. Il y a Cassie, a directrice ambitieuse, toujours impeccablement mise, qui se tape les meilleurs mâles parmi les clients ; le couple Hunsinger, rétro-hippies reconvertis dans les produits bios, parent des deux enfants en pleine santé qui ont trouvé le corps ; les Frazer père et fille, lui en instance de divorce, elle ado de 15 ans dépressive maquillée en vampire ; les sœurs MacKenzie, vieilles filles amoureuses des oiseaux dont le père pasteur vient de décéder ; Hannah Alcock, biogénéticienne dans un labo clinique à Oxford spécialisé dans la maladie à prions de Creutzfeld-Jacob ; le député Patrick et sa femme alcoolique ; les Lyle, lui ancien militaire tatillon et « parfait crétin ».

Sebastian portait un regard amusé sur la faune de sa résidence et tenait des notes sur chacun. Fils unique resté célibataire, on ne lui connaissait aucune petite amie ni aucun petit-ami, même si le militaire le croyait pédé. Il était surtout sensible et portait attention à ceux qui le méritent : Angela l’ado paumée, les enfants rétro-hippies, Penny, la vieille demoiselle qui perdait la boule, Kincaid lui-même pour ses dons d’observation.

L’enquête piétine jusqu’à ce qu’un deuxième meurtre survienne, celui de Penny sur un banc du jardin, le crâne défoncé par une raquette de tennis. Pas vu, pas pris. Qui avait intérêt ? Aucune idée. Duncan Kincaid demande à sa sergente Gemma à Londres de faire des recherches sur les personnages du drame, ce que l’inspecteur Nash, trop bête et imbu de lui-même n’a pas eu l’idée de faire. Il va découvrir in extremis le mobile… mais non sans quelques frayeurs supplémentaires ; Hannah a été violemment poussée dans l’escalier, où elle aurait pu y rester si elle ne s’était protégée des mains. Qui en veut à qui et pourquoi ?

Le roman est assez bien mené, avec quelques maladresses et caricatures dues à l’inexpérience. Mais l’intrigue se dévore littéralement.

Deborah Crombie, Meurtres en copropriété (A Share in Death), 1993, Livre de poche 2005, 318 pages, occasion €1,24, e-book Kindle €5,99

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Sarah Dars, La morte du Bombay-Express

Ce livre est au croisement d’une fan de romans policiers et d’une spécialiste des langues orientales qui a beaucoup voyagé en Mongolie et en Inde entre autres. Sarah Dars, française, écrit sur la mentalité et les mœurs indienne comme si elle y était née. C’est ce qui fait son charme et ravira ceux qui sont allés en Inde du sud et connaissent ses paysages et ses habitants.

Bien sûr, son brahmane médecin détective amateur, expert en art complet du Kerala, art martial et art médical en même temps – le Kalarippayatt qui apprend à tuer et à soigner – est un peu « trop », comme disent encore les ados, trop parfait, séduisant, souple, invincible, intuitif. Mais c’est un plaisir de lire ses déductions et de suivre ses aventures. Une sorte de Sherlock Holmes en plus convivial, bien que végétarien et abstinent de tout alcool. A l’anglaise, il ne se promène jamais sans parapluie, moins contre la pluie ou le soleil que comme bâton de combat.

Doc – il ne porte que ce surnom – est flanqué d’un compère médecin à la Watson, le fidèle Arjun. Habitant Madras, ils prennent le train pour Bombay, Mumbai comme on dit aujourd’hui par nationalisme hindou anti-anglais – bien que le nom de Mumbai vienne du portugais… Le Bombay-Express se traîne sur les plaines assommées de chaleur et se tortille sur les pentes des ghats qui traversent la péninsule indienne entre deux océans. C’est lors d’une nuit à bord que, dans le compartiment des premières, une femme en sari synthétique meurt d’un incendie, la porte verrouillée.

Qui l’a fait ? S’est-elle suicidée par le feu comme les veuves traditionnelles qui suivent leur mari dans la mort ? Mais le sien de mari, le jeune producteur de Bollywood Bijal, fils de la célèbre star Tâmrâ, tous deux dans le même train, est bien vivant. Il est fusionnel avec maman et dédaigne sa jeune Priyânka, fille d’un magnat de l’industrie probablement épousée pour sa dot – que son père a finement cantonnée pour éviter que le mari ne mette la main dessus. Alors, est-ce un meurtre ? Mais quid de la porte verrouillée ? Et que vient faire le trop beau secrétaire de Bijal dans cette affaire, lui qui a tiré le signal d’alarme mais est retourné dans son compartiment immédiatement après ?

A Bombay, aux 18 millions d’habitants sous la mousson, l’enquête policière piétine et Doc joue les intermédiaires entre la famille du mari, dont il soigne la star éprouvée par ces événements, la famille de la morte, qui soupçonne fortement l’époux bollywoodien Bijal, et la police, dont l’inspectrice névrosée irascible ne sait comment avancer. Il en profite pour établir un régime pour Kaustubh son beau-frère, dont l’épouse Kamalâ cuisine trop bien pour son tour de taille. En se promenant, il est pris à partie par un malfrat à qui il fait son affaire – sans le tuer. Raghunâth le jeune secrétaire bengali disparaît, il se sent menacé, Doc le recherche. Est-il coupable de quelque chose ?

Doc le brahmane expert en arts du Kerala, se veut un homme complet, un sage qui déverse sa bienveillance sur ses semblables trop accrochés par leurs émotions. « Il devait être en plus ferré sur la philosophie, la morale, la stratégie, et capable, par conséquent, de participer à des joutes verbales comme à toutes sortes d’affrontements purement doctrinaux » p.200. Mais si cette mort n’était au fond qu’une sinistre plaisanterie ? Un rire du destin ? Un karma qui se gondole ?

Sarah Dars, La morte du Bombay-Express – Une enquête du brahmane Doc, 2002, Picquier poche 2013, 245 pages, €7,10 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Le grand alibi d’Alfred Hitchcock

Tout est théâtre, même le meurtre. En flash-back, Jonathan Cooper (Richard Todd) raconte avoir reçu l’actrice Charlotte Inwood (Marlene Dietrich) qu’il admire et qu’il aime, un soir qu’elle survient affolée. Son mari a été tué – bien fait pour lui, ce violent – mais elle ne sait comment s’en sortir. Il lui conseille de faire comme si de rien n’était et d’aller jouer au théâtre dans le West End londonien, mais en changeant de robe, sa blanche étant tachée de sang. Lui ira chez elle en chercher une autre, une bleue. Mais il se fait repérer par la femme de ménage, revenue comme prévu, ce que la Inwood ne lui avait pas dit, et doit fuir la police qui, aussitôt le recherche. Ce pourquoi il se présente au domicile de sa petite amie Eve Gill (Jane Wyman), oie blanche qui rêve d’être actrice. Elle est amoureuse du garçon et, lorsqu’il lui raconte ainsi sa mésaventure, elle voit bien qu’il est amoureux d’une autre qu’elle mais veut quand même l’aider, par fidélité de camarade. Elle le mène en voiture jusqu’à la côte où son père – séparé de sa mère – possède une maison et un bateau.

Sauf que tout est théâtre, illusion, mensonge. Le récit est faux, le garçon menteur et l’amour incertain. Seul le crime est certains. Eve ne sait plus si elle aime Jonathan ; Charlotte Inwood sait qu’elle n’aime personne qu’elle-même mais fait croire à tout le monde qu’ils lui sont indispensables ; Jonathan ne sait pas se maîtriser lorsqu’il est en colère et danse sur la corde raide des apparences tout en rêvant d’aimer.

Sur ce fil conducteur, l’intrigue avance cahin-caha, entre cabaret berlinois et vaudeville à la Rouletabille. Eve se mue en détective amateur pour infiltrer la chanteuse veuve et voir ce qu’elle peut faire pour Jonathan qui ne l’aime pas et se laisse sortir de son mauvais pas comme un petit garçon. En même temps, l’amoureuse lie connaissance avec le détective inspecteur chargé de l’enquête, un Wilfred Smith (Michael Wilding) bien pâle qui se contente d’observer l’activité des insectes qu’il traque. Il regarde avec amusement Eve se démener et se fourvoyer avant de tirer les marrons du feu avec le père de la jeune fille, le commodore Gill (Alastair Sim), fantasque et contrebandier à ses heures mais bien plus subtil que sa progéniture. Il faut dire qu’Eve tient aussi de sa mère, une poivrote de salon pas très futée (Sybil Thorndike), ce qui offre quelques belles tranches d’humour anglais sur ce qu’il est séant de croire ou pas. Quant à la star Inwood, elle est femelle, araigne et manipulatrice, sans jamais un sourire, plus préoccupée de son visage et de son corps que de tout autre chose. Elle fait valser les hommes et les méprise. Elle a voulu se débarrasser de son mari encombrant et y a réussi.

En bref, rien n’est jamais ce qu’il paraît, ni les gens directement ce qu’on croie. Hitchcock met en scène trois couples, l’un ancien, et parmi les jeunes l’un délétère et l’autre qu’on espère plus normal : Jonathan et Charlotte ne sont pas faits l’un pour l’autre, l’une manipule l’un qui accomplit malgré lui les basses besognes de l’autre sans y trouver son compte ; Eve et Wilfred sont plus naïfs, plus vrais, et formeront peut-être un couple au-delà des apparences, chacun formé justement à en juger, lui comme détective, elle comme actrice débutante. Le troisième couple, celui du père et de la mère d’Eve, est d’ancien régime : chacun aime son enfant mais ils ne peuvent plus vivre ensemble, l’une trop bourgeoise cancanière, l’autre trop aventurier.

La vie est un théâtre où l’on doit juger au-delà des apparences.

DVD Le grand alibi (Stage Fright), Alfred Hitchcock, 1950, avec Jane Wyman, Marlene Dietrich, Michael Wilding, Richard Todd, Alastair Sim, Warner Bros Entertainment France 2005, 1h45, €8,65

DVD Alfred Hitchcock – La Collection 6 Films : Le Grand alibi, Le Crime était presque parfait, La Loi du silence, La Mort aux trousses, L’Inconnu du Nord-Express, Le Faux coupable, Warner Bros Entertainment France, 10h27, €29,99

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Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson

Sir Arthur Conan Doyle a commis Le signe des Quatre, roman policier mettant en scène le détective Sherlock Holmes et son second le docteur Watson. Une certaine Mary Morstan, orpheline de mère, sort du pensionnat pour jeunes filles en Écosse, dirigée par la rigide mais généreuse Mrs Mc Lamuir, où son père, capitaine de l’armée des Indes l’a placée pour qu’elle y reçoive une éducation anglaise digne de ce nom. Mais il a brusquement disparu et Mary s’est placée comme dame de compagnie auprès de la délicieuse et fort riche Mrs Forrester. Le plus mystérieux est qu’elle reçoit chaque année par la poste une perle de grande valeur…

Le romancier prolifique et satiriste patenté Dutourd fait cette fois un détour dans le Londres brumeux de Sherlock. Mais il n’est pas son personnage principal, même s’il reste le ressort de l’intrigue. Mrs Forrester fait certes appel à lui pour retrouver un coffret rempli de lettres de l’empereur Napoléon III, qu’elle a intimement connu lorsqu’elle évoluait à Paris, mais ce qui compte en ce roman est son second, le docteur Watson. Alors que Sherlock, qui se prénomme en fait Jeremy, est maigre, lèvres minces, froid comme un poisson, John est athlétique, souriant et lumineux. Mary en tombe immédiatement amoureuse, et c’est semble-t-il réciproque.

Comme sa patronne et amie reçoit tout le grand monde, Mary présente John Watson à Oscar Wilde, poète fameux et critique inverti de la société victorienne autour de 1900. Selon l’auteur, c’est Mary qui fait lire le premier detective novel relatant une enquête de Holmes à Oscar Wilde et celui-ci, enthousiaste, l’encourage à poursuivre et à lui trouver un éditeur. Ce serait donc Watson qui invente le personnage de Holmes et non Holmes qui domine le pâle Watson dans son ombre. Cela correspond à la théorie de Wilde qui affirme que c’est l’art qui crée la nature et non l’inverse. Il est vrai qu’au travers de l’art, on la voit autrement.

Le détective se trouve donc embringué dans l’histoire de Mary et l’énigme des perles ainsi que dans le mystère de la disparition inopinée de son père lorsqu’elle avait juste 18 ans. Son évoquées en passant l’Inde des maharadjahs, le fort d’Agra, la guerre des Cipayes, le démon du jeu et le bagne des îles Andaman. Le capitaine Morstan, naïf et perdu depuis la mort de sa femme, s’est laissé entraîner dans une sombre histoire de trésor que les protagonistes passent en Angleterre mais se refusent à partager. Sherlock Holmes retrouvera évidemment le coffre aux trésors, élucidera la disparition du capitaine, père de Mary, et mettra hors d’état de nuire pour un temps les malfrats. Et Mary Morstan deviendra Madame Mary Watson.

Mais il rencontre une fois de plus le calculateur aigri Moriarty, professeur de mathématiques immigré de Hongrie d’où il a été chassé et ruiné dans sa prime jeunesse pour avoir contesté les Habsbourg. Moriarty est devenu le parrain de la pègre, richissime parce qu’il prélève une dîme sur les casses, et calcule les meilleurs coups qu’il peut faire avec son cerveau logicien et démoniaque.

Après un début un peu laborieux sur la jeunesse de Mary, le roman prend enfin son envol avec l’énigme des perles puis la rencontre de Sherlock Holmes et de John Watson. Le lecteur est alors emporté dans un récit jubilatoire, énoncé d’un ton léger avec l’emballement d’un Stendhal et le style d’un Saint-Simon. Jean Dutourd manifeste une propension à admirer le Second empire, qui lui rappelle le XVIIIe siècle français. Pour lui, « le XIXe siècle industriel dans lequel nous avons le malheur de vivre est si abject, [parce que] la morale a tout envahi. Les riches sont devenus durs et les pauvres haineux » p.147. Le moralisme est né avec Victor Hugo « qui installe son chevalet sur le rocher de Guernesey et pendant 18 ans, peint [l’empereur Napoléon III] comme un monstre. Résultat : Napoléon III est un monstre. L’histoire est un toutou » p.164. Jean Dutourd conforte l’idée que j’ai en général de Victor Hugo. La fin du XXe siècle et le début du XXIe poursuivent cette déplorable tendance, accentuée encore par le panurgisme éhonté des réseaux sociaux.

Dutourd, moraliste lui-même côté conservateur, ne manque pas d’égratigner la bigoterie hypocrite de l’époque Victoria en Angleterre, égratignant au passage « la funeste éducation bourgeoise que reçoivent les demoiselles anglaises dans les pensions d’aujourd’hui. Sous couleur de faire d’elles des personnes bien élevées, on tue les vertus par lesquels se distinguaient jadis les filles de qualité : fierté, auteur, audace, conscience de ce qui vous est dû, et même esprit critique » p.96.

Un bon roman policier qui écume la culture au galop.

Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson, 1980, J’ai lu 2001, 286 pages, €4.18, e-book Kindle €6.49

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Patricia Wentworth, A travers le mur

Bas de laine et tasse de thé, l’Angleterre a connu la guerre mais reste l’Angleterre. En ce début des années 1950, un oncle riche décède et lègue par testament à une petite cousine l’essentiel de sa fortune. En revenant de Londres, où elle a été convoquée par le cabinet juridique qui s’occupe du testament, Marian Brand est pris dans un accident de train. Un jeune homme de la trentaine, Richard Cunningham, qui l’avait repérée dans son compartiment, est à ses côtés sous le wagon renversé. Ils sont indemnes, il tombe amoureux.

Lorsque Marian va prendre possession de son héritage, une grande maison au bord de la mer, elle découvre deux sœurs célibataires, venues vivre avec cet oncle et deux juvéniles, Félix le musicien et Penny son amie d’enfance. Félix est un enfant d’un premier mariage de son père avec sa nouvelle tante Florence, une grosse personne égoïste et désagréable qui ne l’a jamais aimé, pas plus que la sœur de cette dernière, la volubile et irascible Cassy. D’ailleurs, personne ne s’aime dans cette maison : « Envie, haine, malice et manque de charité. Lorsque ces quatre sentiments sont réunis, un meurtre n’est plus surprenant », cite doctement la détective amateur Maud Silver, fine observatrice de ses contemporains (p.174). Ina, sœur de Marian, mariée à ce beau merle de Cyril Fenton, acteur paresseux et dépensier qui n’aime pas travailler, est malheureuse. Elle aurait dû hériter si son oncle n’en n’avait pas décidé autrement et Cyril est furieux.

C’est l’intrusion d’une bimbo blonde évaporée, Helen Adrian, qui mandate la détective amateur Maud Silver parce que quelqu’un la connaissant bien la fait chanter, qui va nouer le drame. Tout se passe dans le huis clos de la maison divisée, où la nouvelle occupante Marian occupe un côté avec sa sœur Ina et le mari Cyril, le chat Mactavish et la servante Eliza, tandis que les deux sœurs et les deux jeunes occupent l’autre. Une porte de communication à chaque étage est verrouillée des deux côtés mais les gonds sont bien huilés.

Il se trouve qu’un matin Helen est retrouvée morte sur la plage, le crâne fracassé. Qui l’a fait ? Est-ce le maître-chanteur ? Le jeune Félix très amoureux ? Le mari Cyril toujours en quête d’argent ? Ou encore quelqu’un d’autre ? Notre détective Maud va évidemment enquêter, à sa manière tranquille, soutenant une conversation en apparence anodine tout en tricotant des chaussettes de laine grise pour son neveu écolier Derek. L’inspecteur Crisp est chargé de l’enquête, sous la supervision du commissaire March, ami de Miss Silver.

Le lecteur sera égaré par les coupables possibles et leurs mobiles, tandis que la conclusion se profilera fatalement, non sans quelques observations fines sur la société oisive de l’Angleterre comme sur les sentiments amoureux des jeunes personnes. Non sans, aussi une certaine touche de sensualité,: « Le jeune homme surgit sur le palier, la veste de pyjama entrouverte, une mèche rebelle dressée sur la tête comme le plumet d’un heaume. Il avait hâtivement passé un pantalon » p.300. Il s’agit de Félix, coléreux et fragile, que son amie Penny aime en secret depuis toujours.

Patricia Wentworth, A travers le mur (Through The Wall), 1952, 10-18 Grands détectives 1995, 318 pages, €1.85 occasion, e-book Kindle €9.99 

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Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit

Nous sommes le 31 décembre 1941 dans l’Angleterre en guerre. Sir James Paradine, qui dirige une société d’armement, a convoqué toute sa famille au réveillon pour une communication importante : l’un d’entre eux a trahi sa confiance et doit « venir se confesser » à son bureau avant les douze coups de minuit. S’il fait amende honorable, tout sera pardonné et ne sera pas dénoncé. Paradine invite également son ingénieur Elliot Wray l’auteur des plans volés. Il est marié à sa fille Phyllida mais séparé depuis un an par les intrigues de son épouse et mère adoptive Grace Paradine.

Le discours de réveillon est un choc, chacun se regarde en chien de faïence, effaré. Irène, l’une des filles de James, est rentrée chez elle avec son mari, inquiète pour ses enfants, dès 20h45 ; les deux neveux Mark et Richard partent dans leurs appartements à peine plus tard. Les femmes qui restent passent au salon, les hommes les suivent pour le café un quart d’heure après. Sir James Paradine s’est alors retiré dans son bureau. Les uns et les autres y défilent, sous divers prétextes, mais certainement pas, affirment-ils, pour « se confesser ».

A minuit deux, un cri dans la nuit : le maître de maison est passé par-dessus le parapet haut de soixante centimètres de sa terrasse. Il est tombé et gît mort sur la pelouse. La police, alertée, conclut à un meurtre : les blessures sur ses jambes montrent qu’on l’a violemment poussé.

Dès lors, qui l’a fait ?

Dans ce huis-clos délicieusement suranné, Dora Amy Elles, née en 1878 en Inde et qui a pris par décence de rigueur le pseudonyme de Patricia Wentworth (« qui valait la peine »), va agiter les petites cellules grises. Des dix à table, un est coupable, peut-être deux, qui sait ? Commence alors l’enquête dans un fauteuil qui consiste à reconstituer minutieusement l’ambiance, les antagonismes et les emplois du temps afin d’éclairer les actions de chacun.

Miss Maud Silver, vieille fille sagace qui « ressemble à une institutrice en retraite » (p.128), détective amateur comme la future Miss Jane Marple de la concurrente Agatha Christie, se trouve par hasard dans la petite ville. Connue par une relation d’amis, elle est conviée par Mark Paradine, premier neveu et principal héritier, à conduire une enquête discrète qui ne mettra pas en danger la réputation de la famille. Avec son air de paisible tante et son tricot, elle inspire confiance et sait soutirer des renseignements sans le montrer.

Nous sommes dans l’entre-soi convenable et dans l’intelligence des situations. La raison va démêler les fils des actes et les émotions qui les ont produits. La fin sera une demi-surprise mais la toute fin une double surprise.

C’est délicat, simplement présenté, éminemment psychologique, et nous replonge dans les mœurs de la haute société anglaise où les relations entre gens du même milieu comptent bien plus que leurs talents à la ville.

Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit (The Clock Strikes Twelve), 1945, 10-18 Grands detectives, 1994, 253 pages, €1.99 occasion e-book Kindle €8.99

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Christian de Moliner est mort

Né fin 1956, Christian de Moliner est décédé d’un cancer génétique rare en ce début septembre 2021. Fils d’un chef de chantier dans le bâtiment et d’une femme de ménage, aimait-il à dire, il a fait ses études à Dijon jusqu’à l’agrégation de mathématiques. Marié et papa d’une fille, il a enseigné au lycée Henri-Wallon de Valenciennes, principalement en classe préparatoire, avant de prendre une retraite anticipée pour cause de maladie.

Il a publié deux livres d’informatique, plusieurs thrillers politique, un roman apocalyptique et un roman de science-fiction, ainsi que des romans d’anticipation politique sur fond d’émeutes ethniques, reflétant son pessimisme politique sur l’avenir de la société française.

Pour diffuser ses convictions alarmistes (cependant raisonnables), il n’a pas hésité à collaborer à des médias numériques plus enclins à l’idéologie et à la croyance qu’à la vérité des faits, tels Breizh-infos, Boulevard Voltaire du complotiste Thierry Meyssan qui nie que les attentats du 11-Septembre soient dus aux islamistes, Causeur, et Atlantico. Comme je l’écrivais dans la première note consacrée au roman envoyé alors par son attachée de presse, cette dispersion polémique n’est pas la meilleure façon de bâtir une œuvre d’écrivain.

J’ai connu Christian en septembre 2016 pour son livre Panégyrique de l’empire, un roman inabouti bien que d’une certaine profondeur. Il avait l’ambition d’être un auteur mais peinait à construire une histoire détachée de ses « fantasmes et obsessions » comme il aimait à le dire. Il était nettement meilleur dans le roman d’anticipation, surtout politique comme 4 heures et 52 minutes, son ultime roman qui vient de paraître fin août de cette année. Mais on peut citer aussi La croisade du mal-pensant, La guerre de France ou L’année du Front.

Plus ludiques et plus appréciées, ses nouvelles de la chatte détective Jasmine Catou – la fourrure intime de son attachée de presse parisienne – donne une autre face de son talent : l’inventivité logique des énigmes. Il fait mentir l’adage selon lequel s’il y a des chiens policiers, on ne connait aucun chat policier. Maintenant, vous pouvez en connaître un.

J’ai déjeuné plusieurs fois avec Christian de Moliner, il était de grande taille, de paroles douces et d’une urbanité choisie. Il racontait simplement ce qui lui arrivait et l’urgence pour lui de délivrer toutes les histoires que son imagination fertile créait, avant que le crabe ne mette un point final à sa plume. Il avait tout récemment publié en texto en même temps que sur un réseau social la chronique étape par étape de sa mort annoncée.

Je conserve de lui un souvenir ému tant la volonté de lutter pour écrire est un signe de vie. J’espère avoir été pour ses derniers jours un maigre réconfort en publiant un compte-rendu de son tout dernier livre. Pour le souvenir.

24 œuvres de Christian de Moliner chroniquées sur ce blog

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Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou

Cinq nouvelles neuves pour la chatte détective, assistante d’attachée de presse parisienne. Qui a dit qu’il n’y avait pas de chat policier ? Cocteau, qui affirmait que son nom n’était pas le pluriel de cocktail, en jugeait d’après les minets qui l’entouraient, tandis que les flics de son copain Genet étaient plutôt des chiens. Mais cette boutade est infirmée par Christian de Moliner lorsqu’il met en scène avec subtilité l’art et la manière, pour une chatte observatrice et aimante, de communiquer avec les humains.

Ce n’est pas simple mais lorsqu’un certain Pierre envoie chaque mois des roses rouges à sa maitresse sans dire qui il est, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout lorsque la dernière carte comporte deux points d’exclamation. Qui se cache derrière ce prénom anonyme ? Un auteur ? Un admirateur ? Un dragueur ? Un sérial killer ? Jasmine a une idée et si Catou est son nom – le chat en occitan – son prénom est bien le sien. Quant au lecteur averti, il apprend page 26 que Pierre Ména..rd « aime les hommes ». Chat alors !

Lorsque sa « maman » voyage, c’est un ami dans la dèche qui la garde à l’appartement de Saint-Germain-des-Prés : son parrain. Mais ne voilà-t-il pas que, de retour des Indes, ledit parrain s’effondre dans l’escalier cinq minutes après avoir bu un thé vert chez maman ? Le docteur du rez-de-chaussée constate un empoisonnement, mais qui l’a fait ? Maman ne va-t-elle pas être accusée ? A Jasmine de se démener crocs et griffes pour dire ce qu’elle a vu et supputé.

Parrain disparu, marraine prend la suite : Armelle, l’amie de maman. Mais lorsqu’elle doit s’absenter pour faire quand même quelques courses, des cambrioleurs percent la serrure pour voler l’appartement. Jasmine a fort à faire pour déplacer Gustave le gros chien bête et Mélodie la chatte rivale qui ne peut pas la sentir. Elle délivre gros bêta et réussit à sortir de l’appartement pour alerter une voisine. C’est qu’il n’est pas simple d’être chatte en charge des stupidités humaines !

P.A.V.E. sont les initiales (fictives, je vous rassure) d’un auteur bien connu de maman qui a eu du succès il y a une décennie (un tel auteur existe bien mais il n’a pas eu le prix Goncourt). Depuis, il est sec : les affres de la page blanche, le blocage sans remède, l’incapacité à placer un mot sur une page ou même une idée sur le fil. Il sollicite son ancienne maitresse pour qu’elle lui écrive un synopsis qu’il n’aura qu’à enrober de style afin de donner une suite à son roman d’amour à succès. Et surtout conserver la confortable avance de son éditeur sur cette suite qui ne passe pas. Encore une fois, Jasmine est à la manœuvre : elle a une idée. Un dé en ivoire et la télécommande pour afficher Amazon vont suffire à proposer un projet…

Que faire lorsqu’on est chatte seule à la maison, enfermée sans croquettes, et que maman ne revient toujours pas du cheval où elle va galoper un brin ? Un accident ? Un abandon ? Un amant subit ? Quelques coups de patte et un téléphone qui vibre, voilà juste assez pour que Jasmine se débrouille. L’amie de maman fait le reste pour elle. Ce n’était qu’un accident de trottinette, pas de quoi en faire un plat !

Primesautier, touchant, inventif, le style de ces nouvelles sans prétention fait passer un doux moment à ceux qui aiment les chats comme à ceux qui ne les connaissent pas encore. Car ces petites bêtes, réputées égoïstes et indépendantes, sont tout le contraire.

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou, 2021, éditions du Val, 89 pages, €10.50 e-book Kindle emprunt abonné

Les précédents exploits de Jasmine Catou sont rassemblés dans le volume Les enquêtes de Jasmine Catou, éditions du Val, 2020, €16.50 et même édités en anglais sous le titre Detective Jasmine Catou !

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jasmine Catou chroniquée sur ce blog

L’auteur et la chatte ont DEUX PAGES entières dans le magazine Matou Chat du mois de juin en vente en kiosque sur le net. Et peut-être bientôt sur PODCAT, chaîne YouTube !

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Maxime Chattam, Un(e) secte

Un thriller terrifiant qui se passe évidemment là où tout se passe : aux Etats-Unis. La colonisation française des esprits est un fait déconcertant qui fait mal augurer de l’avenir. A quand les « luttes décoloniales » des intellos franchouillards ? Chattam aime à faire peur en attisant les peurs intimes. Ici ce sont les insectes manipulés par une secte, qui n’est autre qu’un GAFAM de plus, une multinationale du numérique – évidemment yankee – dirigée par un juif au nom polonais comme certains autres GAFAM réels.

EneK est l’entreprise d’Edwin Kowalski, devenu milliardaire en dix ans dans le cloud et qui s’est diversifié en rachetant des entreprises de biotech. En injectant des milliards, toute recherche avance à grands pas, malgré les impasses et les limites techniques. D’autres milliards servent à acheter les politiciens, les juges, les flics, les autorités locales, pour qu’elles mettent la poussière sous le tapis lorsqu’il y en a. En bref, pas besoin du gros Q ânon pour voir qu’un Complot est aisé dès qu’on en a tout simplement les moyens.

Or Kowalski est un solitaire aigri, enfant malingre et ado méprisé. Il se venge. Adepte du Surhomme dans la version résumée wikipédé pour Américains ignares qui ne veulent pas se prendre la tête (donc très loin de la version de Nietzsche), il achète des meneurs pour recruter des hommes et des femmes de main pour son grand Dessein. Pas si intelligent que cela, même s’il se prend pour Dieu en mettant en œuvre le grand remplacement. Mais je ne peux vous en dire plus sans déflorer le sujet, ce qui serait dommage tant la sauce monte peu à peu, distillée savamment.

Tout commence par une énigme : une vieille femme qui lit beaucoup se fait bouffer de l’intérieur par araignée et scolopendre. L’histoire se poursuit par l’enquête d’un flic de Los Angeles sur un crime bizarre : un journaliste d’investigation dévoré jusqu’à l’os sans que ses vêtements soient dérangés. Elle se double d’une recherche dans l’intérêt des familles d’une détective privée de New York sur une jeune gothique suicidaire disparue. Les trois cas vont se rencontrer dans une campagne du Kansas où un camp de recherches en biotech, fermé de barbelés, montre une usine dont les cheminées crachent une grosse fumée noire. Le camp, les barbelés, la fumée… Chattam agite le mythe bien connu de l’Horreur, celui qui fait grimper aux rideaux la société, le point G des injures sur le net : le nazisme.

Car le solitaire aigri, enfant malingre et ado méprisé a beau avoir un nom juif, il est nazi ! CQFD. Bizarrement, il n’est pas pédophile alors que les deux vont de pair dans le mythe contemporain… Une erreur de casting dans la démago maximesque ? Ses SA sont des cloportes, une réduction bien connue de l’humain au bestial, sauf que les cloportes, myriapodes et autres arachnides sont ici bien réels et non pas des humains lobotomisés par la propagande. Les infects sont lobotomisés par les phéromones et obéissent à leurs dieux et maîtres pour faire disparaître sous leur venin et mandibules tous ceux qui en savent trop.

Le flic Atticus Gore au nom prédestiné, de la cité des anges, est homo et solitaire lui aussi, mais du côté du bien par la résilience de la musique métal dont il aime à s’assourdir. La détective Kat Kordell, de la grosse pomme, est célibataire et solitaire elle aussi, mais du côté du bien par la résilience de cet enfant que ses hormones désirent avant leur date de péremption. En bref, les deux vont se trouver… pour de nouvelles aventures ?

En attendant, les 550 pages sont bien troussées, captivantes, effrayantes. Et un post-scriptum indique que l’agence des projets de développement de l’armée américaine DARPA a financé dès 2007 des projets sur le contrôle à distance des insectes. Une guerre biologique en plus de la guerre bactériologique, de la guerre chimique et de la guerre atomique. La fiction pourrait donc être déjà en-deçà de la réalité.

Maxime Chattam, Un(e) secte, 2019, Pocket 2021, 550 pages, €8.70 e-book Kindle €8.49

Les thrillers de Maxime Chattam chroniqués sur ce blog

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