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Tombes de la vallée des rois : Ramsès III

La tombe de Ramsès III a son corridor décoré de litanies de Rê et un autre avec le Livre des Portes et le Livre de l’Amdouat. Il conduit à l’arbre rituel et à la salle des piliers décorée également avec le Livre des Portes. Le quatrième corridor présente des scènes de la cérémonie de l’ouverture de la bouche et conduit au vestibule, décoré avec le Livre des morts, et à la chambre funéraire. C’est une salle à huit piliers dans laquelle se trouvait un sarcophage en quartzite rouge, conservé désormais au Louvre. La chambre est décorée avec le Livre des Portes, des scènes divines, le livre de la terre.

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Tombes de la vallée des rois : Mérenptah

La tombe KV8 de Mérenptah, treizième fils de Ramsès II, présente une rampe large, car le pharaon était obèse et son cercueil aussi. Les décors des couloirs reprennent les mêmes textes issus des litanies de Rê, du Livre des Portes, du Livre de l’Amdouat, mais aussi le premier exemplaire du Livre des cavernes. Les illustrations et scènes autour du rituel de l’ouverture de la bouche sont réputées les plus belles de la vallée.

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Tombes de la vallée des rois : Ramsès IX

C’est une véritable autoroute qui s’enfonce dans la montagne de Thèbes pour joindre la Vallée des rois. Nous longeons la vallée des nobles et des prêtres à flanc de colline. Le tourisme a désormais remplacé le pharaon dans la royauté et tout est fait pour contenter l’Occidental. Des minibus électriques de fabrication égyptienne, à la grande fierté de Mo (bien que les batteries soient probablement chinoises), conduisent du parking des bus à l’entrée du site. Occasion, bien évidemment, de faire payer un petit supplément à ceux qui ne veulent pas marcher sous le cagnard. Il y a la queue et tous les sacs sont passés aux rayons X, comme d’habitude. Il fait une chaleur à crever et il n’est pas encore 10 heures du matin.

Une fois passée la vente de tickets, Mo nous réunit pour des explications dehors, sous un auvent aménagé avec des plans de la Vallée des rois à destination des guides. Comme partout, ils ne doivent pas parler à l’intérieur des sites en raison du monde.

Le ticket nous permet de visiter trois tombes. Mo nous conseille celle de Ramsès IX, celle de Mérenptah et celle de Ramsès III. Elles sont très différentes, bien conservées et souvent remplies de couleurs. Il y a foule et le masque est obligatoire si l’on veut éviter la contamination. Des connes américaines se font des selfies, tout comme de jeunes machos arabes tout fiers d’eux-mêmes. Descendre et remonter les rampes n’est pas de tout repos et faire des photos sans un bras, une tête ou une ombre dessus l’est encore moins.

Les tombes commencent toujours par un long couloir qui descend, imitant le parcours du dieu-soleil vers la nuit souterraine. Il conduit à une ou plusieurs salles avant d’arriver dans la chambre funéraire où se trouve le sarcophage. En général, les tombes ont été ouvertes et les momies déplacées, les bijoux pillés. Ne restent que les décors sur les murs et les plafonds. Toutes ne sont pas ouvertes au tourisme, mais alternent selon les saisons pour éviter une trop grande dégradation due au gaz carbonique de la respiration. Il est bon de se renseigner sur les tombes ouvertes avant de faire son choix.

La tombe de Ramsès IX a une rampe d’entrée large qui conduit à trois corridors. Le premier couloir a quatre petites chambres latérales groupées sans décor. Au bout du couloir l’antichambre sans puits. Enfin une salle hypostyle à quatre piliers qui semble inachevée et qui amène par une rampe à la chambre funéraire. Le couloir porte des scènes du Livre des Portes, des litanies de Rê, du livre des cavernes, des heures du Livre de l’Amdouat du Livre des morts. La chambre funéraire est ornée de scènes du livre de la Terre, du livre du jour et de la nuit et du rituel de l’ouverture de la bouche. Le mur du fond présente Ramsès IX entouré par les dieux sur une barque solaire, ressuscité en tant qu’Osiris face à Horus.

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Colosses de Memnon à Louxor

Un minibus Toyota climatisé nous emmène aux colosses de Memnon, fort abîmés par les tremblements de terre et qui, dit-on, chantent au lever du soleil lorsque la pierre se réchauffe et que la brise venue du désert passe sur elle. Ce sont les derniers vestiges de l’ancien Temple des millions d’années d’Amenhotep III érigé en 1350 avant. Ils représentaient le pharaon et ont été reconstitués dans un terrain vague pas très attrayant, surmonté d’un très grand parking.

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Temple de Philae

Le temple d’Isis est peu encombré de groupes car nous sommes à l’heure du déjeuner. Seul un troupeau de Yankees narcissiques agace, se prenant en photo devant les ruines avec des poses de star comme à Disneyland. Les grandes juments blondes aux shorts très courts, et dont le haut sans soutien-gorge dégage toujours le nombril nu, cravachent les jeunes mâles bodybuildés par le sport universitaire, dont le cerveau semble réduit par compensation à un pois chiche. Le saut en l’air devant les ruines et au milieu du kiosque de Trajan semble le dernier must de la mode sur les réseaux sociaux.

Selon la légende égyptienne, le roi Osiris aurait été tué par son frère Seth, qui aurait dispersé son corps dans tout le pays. Son épouse Isis aurait récupéré les restes pour les rassembler ici, à Philae. Il aurait été érigé par les souverains lagides (dynastie hellénistique, 332-30 avant) sur un sanctuaire antérieur, qui serait l’œuvre d’Ahmôsis II (Amasis, 570-526 avant), pharaon de la XXVIe dynastie. La fermeture du temple est ordonnée vers 530 de notre ère sous Justinien.

Nous visitons les différents bâtiments, observons les gravures en hauts-reliefs souvent colorés, écoutons la énième description du pharaon faisant offrandes aux dieux en reculant devant les prêtres, goûtons le climat doux et léger de l’île sur laquelle le temple a été reconstitué. Je songe que si la mer doit monter en raison de la fonte des glaciers due au réchauffement climatique inévitable, alors le sauvetage des temples sera à refaire en Égypte. La trace noire de la crue du Nil arrive en effet à peine à 4 ou 5 m en dessous du niveau des bases. J’observe un marchand du temple musulman étaler son tapis pour faire sa prière en plein midi, en direction approximative de la Kaaba, mais sous un tamaris.

Nous reprenons la petite barcasse conduite par un grand Noir au visage riant, fan de Bob Marley (« c’est l’Afrique », me dit-il). Il est cette fois accompagné d’un mousse nubien d’une douzaine d’années qui se met à l’avant silencieusement pour faire la traversée. Il se place dos au mât de poupe et les bras écartés, comme offert en croix pour on ne sait quel sacrifice au tourisme. À mon avis, il joue à l’ankh. Il largue les amarres au départ puis les rattache à l’arrivée, ce qu’il lui vaut un petit bakchich, offrande traditionnelle entre Arabes. Il n’a pas dit un mot.

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Temples d’Abou Simbel 2

La façade, creusée dans la falaise, présentes quatre colosses à son effigie : le roi du Nord, le roi du Sud, le roi de l’Est et le roi de l’Ouest. L’un d’eux a été détruit par un tremblement de terre, le pharaon n’est donc plus le roi de l’un des points cardinaux. Les scènes célèbrent la bataille de Qadesh en 1275 avant, en l’an V du règne de Ramsès II, contre le roi hittite Muwatalli. Il a été découvert par hasard le 22 mars 1813 par l’historien suisse Johann Ludwig Burckhardt, car entièrement ensablé. Élevé en 1265 avant notre ère, le temple était à 200 m plus à l’est et 65 m plus bas à l’origine. Il a été haussé pour le sauver des eaux par un démontage en 1042 blocs de 20 tonnes chacun, « massacrés à la scie » disent les Égyptiens, selon Mo. Il a été remonté en 1968, cinq ans plus tard.

La première salle hypostyle, d’une hauteur de 10 mètres et profonde de 18 est soutenue par huit piliers osiriaques représentant le roi en dieu Osiris, bras croisés sur la poitrine et mains tenant les sceptres osiriens : le fouet nekhakha et le sceptre heka.

La seconde salle hypostyle présente les habituelles scènes d’offrandes, de guerre et de victoire.

Le roi Ramsès aimait beaucoup sa femme préférée Néfertari, ce pourquoi il lui a élevé un temple jumeau du sien. Entièrement creusé dans la roche, il comprend six colosses, quatre de Ramsès et deux de Néfertari. Les guides n’ont pas l’autorisation de parler à l’intérieur des temples, ce qui est heureux puisque la foule y est extrêmement dense. Aussi, Mo nous fait-il un exposé sur le parvis avant de nous laisser un long temps libre pour que nous puissions visiter et photographier à notre aise.

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Temples du lac Nasser

Nous visitons le temple Dakka consacré à Thot, le dieu lunaire à tête d’ibis. Habile au calcul, il est le maître des écrits et a donc la fonction de messager entre les dieux. Le temple était exceptionnellement orienté vers le Nord afin que la barque de Thot ramène la Déesse Lointaine dans l’île de Philae, où le grand pylône du temple est tourné vers le sud pour l’accueillir. Il a été érigé par le roi Ergamène, contemporain du pharaon lagide Ptolémée II. Il a régné de -295 à -275 comme roi de Meroë. La déesse Lointaine était la fille du Soleil. Elle personnifie Tefnout mais aussi Sekhmet et abandonne son père sous forme de lionne pour fuir dans le désert oriental en Nubie. C’est une référence à la morsure du soleil au désert. Râ envoie Thot sous forme de babouin pour l’apaiser et la faire revenir. Le dieu verse du vin dans le Nil et la lionne boit ce qu’elle croit du sang ; apaisée par le breuvage, elle se réveille en chatte. Le temple de Dakka a été déplacé dans les années 1960 de 50 km au sud-ouest.

Ce temple est simple et pédagogique, organisé de façon standard. Mo, qui se dit « égyptologue » pour avoir suivi quelques années d’études d’histoire de l’Égypte antique en plus de sa licence de langue française, nous expose le plan-type du temple égyptien. Il s’agit d’une pyramide renversée sur le côté, montrant la hiérarchie progressive du sacré. Au début, la base : les pylônes qui ouvrent sur la cour intérieure à ciel ouvert, le public est admis ; ensuite le pronaos ou salle à colonnes, plus restreinte, ou un public plus étroit peut tenir ; ensuite la salle hypostyle ou vestibule, réservée aux élites, encore plus petite et couverte d’un toit ; l’antichambre, réservée aux prêtres et aux nobles plus bref que la salle précédente, enfin le sanctuaire, strictement réservé aux prêtres et au pharaon, avec au centre le naos, l’endroit le plus secret, où le Dieu lui-même est enfermé pour protéger l’espace sacré. Dans la niche figure la statue du dieu qui est lavé et habillé chaque matin lorsque le soleil pointe à l’horizon, et nourri d’offrandes deux fois par jour. Les offrandes contiennent un message, un don humain qui doit entraîner un contre-don divin. Tout est purifié par l’eau du Nil, l’eau de vie. Chaque temple a sept portes, chiffre symbolique, et le saint des saints est réservé, tout comme le sommet de la pyramide qui touche le ciel, est réservé à pharaon comme lien le plus pointu avec le dieu soleil. Les quatre angles du temple sont fixés d’après la position des étoiles face à la Grande Ourse. Le temple est un espace clos et une réduction du monde, et le pharaon, héritier du démiurge solaire, agit dans ce lieu préservé pour lier les dieux à l’univers. L’offrande est un retour d’énergie des hommes aux dieux, un échange vital qui fonde une économie du monde. Elle renouvelle l’acte créateur.

Les parois du temple montrent le pharaon aux deux couronnes enchâssées l’une dans l’autre, celle de haute et celle de basse Égypte. Le pharaon jeune est représenté mettant le doigt dans sa bouche ou avec une mèche qui lui pend le long du visage comme c’est la mode chez certains pré-ados aujourd’hui. Nous distinguons la déesse lionne Sekhmet incarnant l’œil du soleil qui grille les ennemis du créateur, le dieu faucon Horus jeune homme triomphant comme le soleil et fils d’Isis, le dieu chacal Anubis gardien des nécropoles, le dieu bélier Amon le caché totem de la ville de Thèbes. Le pharaon brûle de l’encens de la main droite et verse du vin de la main gauche, tout en reculant face aux prêtres qui s’avancent en portant la barque des dieux. Cette scène d’offrande se retrouve pratiquement dans tous les temples. Dans le pronaos subsistent quelques traces de peintures chrétiennes, lorsque le lieu fut transformé en église. Une scène intéressante montre l’arbre sacré sous lequel se trouve le babouin de Toth tandis que le dieu du Nil verse de l’eau sur ses feuilles.

Le temple Meharraka est d’époque gréco-romaine, entre -30 et plus 14 de notre ère. Il est inachevé et ses chapiteaux sont originaux, en rondelles accolées dites « papyriformes ». L’un des gardiens profite de notre présence pour balayer une merde d’âne qui gît sur le sol, le temple étant ouvert à tous les vents. Temple Dakka

Temple Meharraka

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Théophile Gautier, Le roman de la momie

Théophile Gautier, né en 1811, copain de Gérard de Nerval, est l’auteur de récitations et de romans d’aventures, dont Le capitaine Fracasse. Romantique, il participe à la bataille d’Hernani auprès de Victor Hugo. Egyptomane après Volney et Bonaparte, il livre un roman sur la momie d’après la Description de l’Égypte, une encyclopédie de savants issue de la campagne de Bonaparte de 1798 à 1801.

Gautier orne une trame simple d’une multitude d’émaux antiques, profusion de détails archéologiques et artistiques tirés des publications savantes. En le lisant, vous saurez tout sur Pharaon, la vie quotidienne, les décors et le mobilier, la moisson, les soldats et les femmes. Une excellente introduction à tout voyage en Égypte sur les traces de l’antiquité.

Evandale, un jeune lord anglais beau comme l’antique et riche comme un noble héréditaire, finance une expédition de fouilles d’un tombeau inviolé avec l’aide du docteur Rumphius, égyptologue allemand, et de la découverte de la lecture des hiéroglyphe par le français Champollion en 1824. La tombe, qui s’enfonce dans le sol calcaire de la vallée des Rois, sur la rive gauche du Nil en face de Louxor (écrit Louqsor à l’époque), reprend celle de Séthi 1er mais s’avère, dans le roman, celle d’une femme : Tahoser. « La seule femme a avoir été Pharaon », écrit l’auteur. En fait, il en eut cinq, dont Cléopâtre et Hatcheptsout. Taousert, grande épouse royale de Séthi II, a assuré deux ans la régence à partir de -1188. Elle est la première à être enterrée dans la vallée des Rois (KV14) et non des Reines. Son nom signifie « la Puissante ».

Le lord tombe amoureux de cette jeune femme dans sa fleur, d’une beauté sans égale, révélée sous les bandelettes. Il l’emporte dans son domaine anglais telle la Belle au bois dormant et n’épousera nulle autre de son vivant. Destin tragique du romantisme échevelé. Mais l’occasion de « découvrir » un papyrus sous son épaule, qui raconte son histoire.

Une histoire simple, banale au fond, d’un amour non partagé. Mais cela se situe au sommet de l’État, dans cette étroite élite de fille de grand prêtre, de Pharaon et d’intendant royal. Tahoser a 16 ans et brûle de désirs comme à cet âge : « seize est le nombre emblématique de la volupté », énonce le vieux Souhem qui en a vu. Elle est éperdument amoureuse de Poëri, intendant royal mais esclave hébreu, tandis que Pharaon, qui revient d’une guerre victorieuse, tombe raide dingue de la jeune fille qu’il aperçoit d’un œil lors du défilé des troupes dans Thèbes, appelée Oph à l’égyptienne dans le roman. Il n’a de cesse de la faire quérir, tandis que Tahoser file hors les murs, déguisée en pauvresse, pour aller se proposer à Poëri comme servante ; elle n’aspire qu’à être à ses côtés et le le voir tout le jour.

Mais, à la nuit, le jeune homme bien sous tous rapports, beau, gentil, lumineux (en bref, un Juif), quitte la maison d’intendance où la récolte est rentrée pour passer en solitaire le Nil et s’enfoncer dans le quartier misérable où les Hébreux sont parqués, forcés de travailler aux briques pour les palais de Pharaon. Tahoser le suit, s’épuisant à passer nue le Nil à la nage, en portant sa robe en boule au-dessus de sa tête. Il va rejoindre la belle Ra’hel dont il est amoureux, couple idéal beau, gentil, lumineux (en bref, romantique). Tahoser est effondrée, elle s’évanouit autant du choc de ses amours brisés que de fatigue d’avoir lutté contre le courant, et de froid d’être nue.

Ra’hel la recueille, la soigne, elle avoue son amour le soir suivant à Poëri, qui l’accepte, Ra’hel consentant elle-même généreusement à ce qu’il ait une seconde épouse. Mais la servante Thamar, vieille aigrie qui déteste les jeunes amoureuses et surtout les non-juives, la dénonce au palais et Pharaon vient lui-même la chercher dans la cahute. Il l’enlève et la mène dans son antre somptueuse, où elle est désormais physiquement sa prisonnière. Le faste, le luxe, le prestige, vont détourner son amour de Poëri vers Pharaon. Thamar peut prendre tout l’or qu’elle peut porter, et ses griffes rapaces (en bref, juives, selon les préjugés du temps) s’empressent d’en remplir un plein sac, qu’elle a beaucoup de mal à porter.

C’est à ce moment de l’histoire que Moïse intervient, vieux juif de 80 ans à la coiffure en cornes, flanqué de son frère Aaron magicien. Il veut que Pharaon autorise le peuple juif à aller au désert honorer le seul Dieu, YHWH. Pharaon, par orgueil du pouvoir, refuse ; ce sont alors les dix plaies d’Égypte citées dans la Bible, dont Gautier oublie la vermine. Lorsque son premier-né meurt, Pharaon lassé laisse les Hébreux fuir. Puis, pris d’un sursaut d’orgueil, les poursuit avec ses chars. La « mer des Algues » dit Gautier, s’ouvre sous le souffle de Dieu pour laisser passer son peuple élu, puis se referme sur les mécréants, noyant Pharaon et ses engins. Tahoser devient alors Pharaonne, mais pour quelques mois seulement, avant de mourir à à peine plus de 16 ans.

Théophile Gautier mélange l’histoire et la légende pour en faire un roman romantique. Nul n’est sûr qu’un personnage nommé Moïse ait vraiment existé, il pourrait être une image reconstruite à partir de plusieurs, dont un majordome de Séthi II (1200-1194) nommé Beya devenu chancelier d’Égypte, qui a intrigué avec Taousert. Quant à la tombe de la reine, si elle est bien dans la vallée des Rois, elle a été vidée avant le XIXe siècle, la momie ayant été reléguée ailleurs. Reste un éblouissement de bijoux, de fleurs et de corps féminins à peine voilés de gaze, un pays de cocagne à la civilisation avancée il y a plus de trois mille ans – en bref un mythe romantique agréable à lire malgré l’ampleur et la minutie des descriptions. Mais vous enrichirez votre vocabulaire : vous saurez ce qu’est un hypogée, une psychostasie, un calasiris, un thuriféraire, un dromos, un amshir, un basilico-grammate, la dourah, l’harpé, le népenthès, l’hypostyle, le psylle…

Théophile Gautier, Le roman de la momie, 1858, Livre de poche 2007, 192 pages, €5,90, e-book Kindle €1,99

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Christian Jacq, La pyramide assassinée et la suite

Christian Jacq, docteur en Sorbonne en 1979 sur les rites funéraires égyptiens sous la direction de Jean Leclant, a été séduit – comme moi – à 13 ans par le pays des Pharaons. Son voyage de noces, à 17 ans, fut pour ce pays dont il était tombé amoureux. Écrivain un temps de romans policiers, il décide de lier ses deux passions en donnant naissance au juge Pazair, 21 ans, dont le nom et l’obstination sonnent comme panzer, et qui connaîtra une ascension fulgurante dans sa charge jusqu’à devenir, dans le dernier tome, vizir d’Égypte.

Les critiques (qui n’ont en général rien écrit) ont beau gloser sur le style pauvre, le vocabulaire limité et l’aspect feuilleton des livres de Christian Jacq, le succès est venu – donc la jalousie des impuissants. Pour ma part, j’aime ces romans délassants où l’auteur vous emmène dans un autre monde. Non, ce n’était « pas mieux avant », c’était différent. L’humanité reste régie par les mêmes vices et les mêmes vertus, quelles que soient les civilisations et les âges : l’argent, le pouvoir, le sexe. La vanité n’a jamais de limites, mais la conscience de soi non plus. Pazair est un « petit juge » (comme on disait dans les années 90 de parution, en Italie anti-mafia comme en France Mitterrand). Il est intègre, rigoureux, fervent serviteur de la Loi.

En Égypte antique, c’est la loi de Maât, la déesse de l’harmonie cosmique, de la rectitude (ou conduite morale), de l’ordre et de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Fille de Rê le dieu solaire, elle rectifie le chaos toujours possible et assure l’équilibre du monde et des humains. C’est une femme. Elle veut que le monde soit en concorde. Christian Jacq nous fait vivre in vivo cette foi dans la raison et l’ordre neutre de la loi. Il incarne les personnages et nous les rend vivants. Même s’il ne s’agit pas de reconstitution scientifique mais d’une transposition romanesque, tout lecteur pourra sentir l’Égypte ancienne, sa vie quotidienne, ses maladies et ses remèdes, la façon de concevoir le monde. Ce n’est déjà pas si mal. La science s’étiole de trop rester dans la froideur des labos. Pour faire aimer la discipline, rien de mieux que de solliciter les imaginations – en sachant bien qu’il s’agit de roman.

Tout commence dans le premier tome par le viol de la pyramide de Khéops, proche du Sphinx. Cinq conjurés, dont une femme, assassinent les gardes et pénètrent dans le passage secret qui mène à la Grande Pyramide. Là vient se régénérer le Pharaon, « en absorbant la puissance née de la pierre et de la forme de l’édifice. » Là se trouvent les objets symboles de la légitimité du roi : le masque d’or de la momie, le collier et le scarabée, l’herminette en fer céleste (de météorite), la coudée en or et – le principal – un petit étui contenant le testament des dieux. Un texte qu’il doit montrer au peuple lors de son jubilé.

Par leur vol délibéré, les conspirateurs font à Ramsès II la promesse du chaos. Le vieux médecin Banir est chargé par la Cour d’une mission : trouver le juge adéquat au tribunal de Memphis, la grande cité du nord où réside Pharaon. Il se rend dans son village près de Thèbes où officie le jeune juge Pazair qu’il connait et lui confie la charge. « Assez grand, plutôt mince, les cheveux châtains, le front large et haut, les yeux verts teintés de marron, le regard vif, Pazair impressionnait par son sérieux ; ni la colère, ni les pleurs, ni la séduction ne le troublaient. Il écoutait, scrutait, cherchait, et ne formulait sa pensée qu’au terme de longues et patientes investigations. Au village, on s’étonnait parfois de tant de rigueur, mais on se félicitait de son amour de la vérité et de son aptitude à régler les conflits. Beaucoup le craignaient, sachant qu’il excluait la compromission et se montrait peu enclin à l’indulgence ; mais aucune de ces décisions n’avait été remise en cause » tome 1 p.18.

Monté à la capitale, le petit juge va devoir signer une demande de non-lieu pour la disparition de cinq gardes, mais il ne trouve pas les causes des décès. Il va donc enquêter, et mettre le pied dans un nid de frelons où chacun se tient par la barbichette, ment à loisir et s’éclipse derrière la paperasse. Il révèle peu à peu un vaste complot qui unit des hommes de pouvoir et d’influence dont le général Asher, la princesse hittite Hattousa l’une des épouses de Pharaon, le chef de la police Mentmosé, le gros transporteur Dénès et sa femme ambitieuse Nénophar, le dentiste de la cour Qadash, le chimiste métallurgiste Chéchi qui cherche à fondre le fer céleste pour en faire des armes invincibles – et « l’avaleur d’ombre », un tueur mystérieux mandaté par eux, qui va tenter plusieurs fois d’éliminer le juge trop obstiné.

Comme aide, outre son maître Branir (qui finira assassiné), son ami aventureux et musclé Souti (qui tuera le général Asher), la belle Néféret qui apprend la médecine et devient son épouse puis médecin-chef de la Cour, le jardinier Kani qu’il a réhabilité et qui devient grand-prêtre du temple de Karnak, le policier nubien Kem et son babouin policier, et ses animaux, le chien Brave et l’âne Vent du Nord. Quant à l’entrepreneur Bel-Tran qui organise l’intendance du palais, est-il un vrai ami ?

Le juge Pazair sera déporté dans un bagne mais parviendra à s’enfuir. Innocenté, il poursuivra son enquête grâce au vieux vizir Bagey l’incorruptible, mettra en cause le général Asher qui fuira vers la Libye, et le chef de la police qui sera révoqué. A la fin du premier tome, il est réputé mort. Mais ce n’était qu’un faux. Meurtres, enlèvements et corruption se multiplient mais Pazair, devenu à la fin du second tome vizir d’Égypte, défie le ministre des Finances dont le but est de renverser Ramsès le Grand pour prendre le pouvoir et se gorger de richesses.

Une belle suite d’aventures à rebondissements, écrites sans temps mort et avec le découpage habituel des thrillers modernes, mais en ménageant des tranches de vie détaillées sur l’Égypte antique, ses maisons, sa cuisine, ses médicaments et ses techniques. De quoi passer de bons moments.

Christian Jacq, La pyramide assassinée – Le juge d’Égypte 1, 1993, Pocket 2001, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La loi du désert – Le juge d’Égypte 2, 2001, Pocket 1994, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La justice du vizir – Le juge d’Egypte 3, Pocket 2001, 384 pages, €7,70

Christian Jacq, Le juge d’Égypte – l’intégrale, coffret Pocket 2011, €24,99

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Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout

Pour une reine d’Égypte d’il y a plus de 3500 ans, dont les effigies ont été martelées et dont les historiens savent très peu l’autrice, Conservateur général du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre décédée en 2011 à 97 ans, a réussi à en parler sur plus de 500 pages. Il faut dire qu’il y a de multiples illustrations, en noir et blanc et en couleurs, cinquante pages de notes, dix pages d’index et quatre pages de chronologie.

Il s’agit d’une enquête archéologique minutieuse parmi les sources, les papyrus, les inscriptions, les monuments, les statues. Assez passionnante, il faut le dire, pour qui s’intéresse à l’Égypte antique. La vie quotidienne royale et religieuse est bien reconstituée et illustrée par des peintures sur les temples.

La reine Hatshepsout, héroïne du roman La dame du Nil de Pauline Gedge, serait née vers 1495 avant notre ère et morte vers 1457, ce qui lui ferait moins de quarante années de vie, dont quelques 22 ans de règne comme reine consort. Elle est la fille de Thoutmosis 1er et la demi-sœur de Thoutmosis II, né de la première épouse, lequel se mariera avec la première fille d’Hatshepsout Neférourê. Lequel engendrera Thoutmosis III, le neveu, qui épousera la deuxième fille d’Hatshepsout Mérytrê-Hatshepsout. Comme le II était un brin débile et que le III était trop petit à son avènement, c’est la douairière Hatshepsout qui assura la régence comme « reine ».

Elle était intelligente et voyait loin pour garder le royaume de ses ennemis hyksos ou nomades, subtile pour déjouer les pièges et les machinations de la cour et des prêtres, d’esprit aventureux pour aller explorer le pays de Pount au-delà de la 5ème cataracte du Nil et en rapporter des olibans (arbres à encens), des guépards et autres produits exotiques à Thèbes, d’esprit créateur aussi pour modifier les relations aux dieux et faire bâtir des temples. C’est elle qui ouvrit la Vallée des rois aux tombeaux et mit en usage le terme « pharaon » pour désigner les souverains d’Égypte.

Si elle a entretenu probablement une relation avec Senenmout, le Grand intendant nubien, et en a sans doute eu un fils, Maïerpéra, ce n’est pas pour cela qu’elle a été effacée des mémoires de la pierre des temples. Cela s’est produit plusieurs années après sa mort, une hypothèse avancée par l’autrice veut qu’elle avait osé bouleverser les rites religieux d’Osiris et que le clergé, toujours réactionnaire comme tout gardien du Dogme, ait voulu effacer sa mémoire.

L’archéologue fait la part des faits avérés et des supputations probables ; elle rend cette enquête riche de ses doutes et de ses observations.

Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout, 2002, Pygmalion Gérard Watelet, 503 pages, €22,90 ou J’ai lu 2003, occasion €2,69

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Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage

La suite des aventures des artisans d’élite de la Place de Vérité entre vallée des rois et vallée des reines à Thèbes, en Égypte antique. L’ambitieux général Méhy, gouverneur militaire et trésorier de Haute-Egypte poursuit son ascension, aidé de son épouse lascive et sadique Serkéta, qui aime assassiner les indics une fois leur mission accomplie. Méhy, poussé par le savant Daktair qui prépare pour lui de nouvelles armes plus puissantes, voudrait bien voler la pierre de lumière, cet objet mystérieux du village interdit des artisans, sorti dans les grandes occasion pour sanctifier de vie les tombeaux et les temples.

Un traître parmi les artisans le renseigne, les chefs du village s’en rendent compte mais il reste insaisissable. Il communique par lettres codées via sa femme lorsqu’elle part au marché, avec substitution de paniers comme dans les films d’espionnage. Le chef de la police Sobek, qui protège la cité interdite sur ordre direct du pharaon, a beau multiplier les espions et faire suivre tout artisan qui sort, il ne découvre rien. Deux sont tour à tour soupçonnés, mais blanchis. Nefer le Silencieux est accusé pour déstabiliser son pouvoir sur son équipe, mais en vain. Paneb l’Ardent son garde du corps et ami, désormais père d’un gamin robuste qui lui ressemble, est accusé de vol pour affaiblir sa protection, mais à tort. Entre le scribe de la Tombe et la Femme sage, l’équipe est bien tenue et protégée des maladies comme des mauvais sorts. Méhy se heurte à un mur.

Ce tome deux se passe sous le règne du nouveau pharaon Merenptah, après la mort de Ramsès le grand. Lorsqu’il meurt à son tour en fin de volume, son tombeau est prêt, creusé et décoré à marche forcée par les travailleurs artisans, ce qui permet à Paneb, désormais la trentaine, de parfaire son art et d’égaler son maître peintre Cheb, qui perd la vue. Un nouveau pharaon va monter sur le trône, peut-être le fils de Merenptah, Sethi II, mais il est contesté par son propre fils Amenmnès, la vingtaine dévorée d’ambition. Méhy l’encourage, tout en assurant de sa fidélité le pharaon. Deux fers au feu sont le bon moyen d’être toujours du bon côté lorsque penche la balance.

Paneb s’occupe d’enseigner tout ce qu’il sait à son fils Aperti, tout d’abord à se battre, mais pas seulement ; il doit aussi exercer son esprit par les hiéroglyphes et les calculs, tout en affinant sa main par de menus travaux. « A six ans, Aperti avait déjà la stature d’un adolescent », écrit avec quelque exagération l’auteur au chapitre 67. Il aime à faire de son héros Paneb et de son rejeton des surhommes bourrés d’énergie et de libido. Paneb n’a-t-il pas assommé une centaine de Libyens venus attaquer l’Égypte alors qu’il était allé à Memphis pour être initié aux proportions des pyramides ?

Ce second tome est à mes yeux meilleur que le premier car inscrit dans la cité interdite, lieu clos où la secte des artisans d’élite déploie son art, protégée du monde autant que faire se peut. Une sorte de franc-maçonnerie avant la lettre qu’affectionne l’auteur.

Christian Jacq, La pierre de lumière 2 La femme sage, 2000, Pocket 2002, 480 pages, €7,95

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Christian Jacq, La reine soleil

Tout le monde connait Toutankhamon « l’image vivante d’Aton », le pharaon adolescent dont le masque d’or a ébloui les expositions. Mais qui connait sa tendre épouse, la reine Akhésa (Ankhes-en-pa-Aton de son nom complet, parfois écrit Ânkhésenpaaton) ? C’est pourtant elle qui a initié le tout jeune prince, son demi-frère né d’Akhenaton et de la « Young Lady » des fouilles, vers 12 ans (né vers 1345 avant) alors qu’elle en avait elle-même deux de plus. Femme forte, troisième fille d’Akhenaton (Amenhotep IV) et de Néfertiti, elle est descendante royale, celle qui désigne le pharaon qui sera son époux. Car la lignée se transmet par les femmes, sauf rupture brutale, comme le fera le général Horemheb à la fin de l’histoire.

Akhésa est cueillie toute fraîche par le romancier historien à ses 14 ans, devenue femme depuis peu, avec de « petits seins arrogants » qui pointent sous la tunique de lin transparente tout comme le triangle de ses cuisses. Akhésa est une belle fille, élancée, svelte, dorée. Le jeune Toutankhaton en est ébloui, séduit, amoureux, lui qui porte encore le nom voué au dieu soleil Aton imposé par le pharaon Akhenaton son père malgré l’ire des grands prêtres d’Amon à Karnak. Comme partout, le clergé d’une religion totalitaire est une plaie civique. Ces intermédiaires entre les hommes et les dieux qui captent une bonne partie des richesses du pays « au nom des dieux » se croient au-dessus du commun des mortels et veulent régenter l’humanité. Ils supportent mal le politique et n’hésitent pas à tuer, par le poison le plus souvent, en serpents qu’ils deviennent dans l’obscurité des temples et des intrigues entre soi. C’est ainsi que finira Toutankhamon, à 18 ans en 1327 avant notre ère, selon le scénario privilégié par l’auteur (mais pas historiquement établi – il aurait pu décéder d’une plaie au crâne, d’une plaie infectée à la jambe, d’un accident de char).

Entre temps les intrigues de la cour, le mysticisme d’Akhenaton en sa capitale isolée du pays, le retrait de la reine Néfertiti devenue aveugle et indifférente au monde, vont faire bouillir les ambitions. Le « divin père » Aÿ est vieux mais de bon conseil, il deviendra pharaon pour quelques mois avant de partir pour l’au-delà, choisi par Akésa à la mort de Toutankhamon. Le général scribe Horemheb est organisé mais trop ambitieux, encore heureux qu’il soit légitimiste et ne veuille pas attenter à la vie de Pharaon. Il n’obtiendra la double couronne d’Egypte que lorsque tous les autres recours seront épuisés, faisant condamner malgré lui à mort Akhésa (invention du romancier) pour avoir comploté un mariage avec un prince hittite pour contrer son ambition. Akhésa mourra à 20 ans, une année à peine après son amour Toutankhamon.

Elle le trouvait enfant lorsqu’elle a dû se marier avec lui qui avait 8 ou 10 ans pour assurer la succession d’Akhenaton, mort en 1338 ; mais il était touchant. La puberté l’a tourmenté de désir et rendu insatiable. Il aimait sa femme superbe et de plus en plus à mesure des années. Ils baisaient un peu partout, dans la chambre, dans les bosquets, sur la rive du Nil, dans les roseaux, dans une grotte au-dessus des tombeaux. Malgré ses innombrables coups de queue, l’adolescent ne lui a fait que deux filles, mortes-nées. Il y avait un défaut de santé chez le jeune prince. On suppose aujourd’hui par des études poussées sur sa momie qu’il était atteint de malaria et de la maladie de Khöler (une anomalie de la croissance des os). A la fin de son adolescence, il avait encore du mal à supporter longtemps sur la tête le poids de la double couronne, seule son épouse le réconfortait et lui donnait la force.

C’est du moins ainsi que romance Christian Jacq, centré avant tout sur la femme, à la mode de notre temps. C’était avant l’ère biblique (peut-être inspirée d’ailleurs par le culte du dieu unique Aton, imposé par Akhenaton en avance sur son temps) ; la femme était moins dévalorisée que par la suite. Hatchepsout, Téyé (ou Tiyi), Néfertiti, Akhésa, Cléopâtre, sont de grandes égyptiennes, réhabilitées par notre siècle – et par le souci commercial de plaire à un lectorat surtout féminin. Intrigues et eau de rose suffisent à faire de ce roman un plaisir de lecture. La sensualité des adolescents, leur beauté juvénile, l’ambition des adultes, le climat doux et l’aménagement luxuriant des jardins, le savoir-faire luxueux des objets, la majesté des temples de pierre et le grandiose des tombeaux, composent un décor qui ravit. L’Egypte des pharaons était alors « la » civilisation, peut-être la mère de toutes les occidentales, dont la nôtre mâtinée de grecque, de romaine, de juive et de germanique.

Christian Jacq, La reine soleil – L’aimée de Toutankhamon, 1988, Pocket 2018, 576 pages, €7.95

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Voyage en felouque sur le Nil par Argoul

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Christian Jacq, Néfertiti l’ombre du soleil

L’Egypte ne connaissait pas le machisme patriarcal des religions du Livre ; les femmes avaient du pouvoir, y compris en politique. C’est Tiyi, l’épouse d’Amenhotep III, qui règne sur la politique étrangère du pharaon, c’est Néfertiti, l’épouse du fils de Tiyi Amenhotep IV dit Akhenaton, qui surveille les peuples menaçants et soutient son roi mystique. Néfertiti signifie « la belle est venue », autrement dit d’incarnation d’Hator, la déesse des étoiles, donc de la bonne navigation et de l’amour.

Néfertiti, avant d’être épouse du prince héritier du pharaon, est adolescente rebelle, fille d’un administrateur d’une province de Haute-Egypte. Christian Jacq romance son histoire avec sa connaissance précise de l’Egypte antique. Ay est appelé à Thèbes pour servir l’administration du pharaon et sa fille aînée Néfertiti, à 17 ans, est remarquée par le prince Amenhotep lors de la soirée de présentation. Il a le coup de foudre et c’est réciproque. Tiyi va convoquer la jeune fille, la percer de son regard, puis consentir. Néfertiti se marie à 17 ans, comme Christian Jacq. Le couple restera amoureux jusqu’à la fin, se caressant nus, se baisant sous les yeux de la foule, copulant pour six filles successives en quinze ans. Cette païennerie mystique avant la Bible et surtout le Coran est très rafraîchissante et Christian Jacq l’évoque avec une pudeur admirative.

Amenhotep IV aime la vie et ce qui donne la vie : la lumière, le soleil, la fécondation, la femme. Son frère aîné était destiné au trône mais il est mort trop tôt. C’est donc à lui qu’échoit la tâche et il y répugne, préférant les papyrus et la méditation sur les choses éternelles. « Le pharaon n’était pas un tyran agissant selon son bon plaisir ; premier serviteur de Maât et soumis à sa loi, il composait avec les principaux corps de l’Etat, soucieux de l’équilibre et de la prospérité du pays » ch.27. Maât est la déesse de l’équilibre, de la vérité, de l’équité et de la justice. Néfertiti va l’aider, volontiers autoritaire et toute dévouée au projet du pharaon. Il est de contrer les prêtres d’Amon, le dieu principal d’une multitude qui ne s’adore que dans l’ombre et le secret. Lui préfère Aton, le dieu soleil, l’unique à donner la vie et à féconder humains, bêtes et plantes. Contre la tradition et le conservatisme de servants repus et trop enrichis qui complotent volontiers pour servir leurs intérêts au nom des dieux, Akhenaton va fonder une nouvelle religion, un nouveau temple, une nouvelle capitale.

Entre Thèbes et Memphis, entre le Nil et les collines, s’élèvera Amarna, la ville du désert fertilisée par les puits et par le soleil levant. Son temple à Aton sera entièrement ouvert au soleil et, de cette capitale utopique, naîtra une existence nouvelle. Tout est conçu, bâti et achevé en deux ans, prenant de court les réactionnaires et forçant les indécis à choisir le camp de pharaon et de l’avenir. Les filles naîtront, vivront nues dans la nature au cœur de la ville, assisteront leur père aux cérémonies. Akhenaton donnera l’image d’un père fécondateur heureux qui veut le bonheur de son peuple, offrant en exemple sa famille. Sa femme est à son ombre, en retrait mais accolée à lui et lui à elle.

Néfertiti meurt vers 1333 avant notre ère, vraisemblablement avant son mari. Son probable neveu Toutankhamon, né dans la douzième année du règne, deviendra pharaon vers sa dixième année et épousera la troisième fille de Néfertiti de cinq ans plus vieille, ce qui le légitime. Il quitte Amarna pour Thèbes et la terminaison Aton pour Amon. Amarna sera rasée et les prêtres tradi rétablis dans leurs privilèges gras. Le jeune pharaon mourra à 18 ans d’une blessure, laissant à la postérité une sépulture inviolée jusqu’en 1922, 3250 ans plus tard, et un masque d’or de toute beauté. Le général Horemheb deviendra pharaon et fondateur de la dynastie des Ramsès.

Malgré les hypothèses qui circulent sur le destin de Néfertiti, faute de documents probants, Christian Jacq privilégie celle qui rassemble le plus de faits établis. Ce pourquoi la forme du roman est à mon avis la meilleure pour rendre vivante cette reine exceptionnelle. Il est écrit en 77 courts chapitres qui font progresser l’action par de courtes phrases directes et beaucoup de dialogues, à la moderne, sans jamais ennuyer. Car son voyage de noce en Egypte à 17 ans en 1954 l’a ébloui. Il a poursuivi des recherches en égyptologie sous la direction de Jean Leclant jusqu’en 1979, année de soutenance de sa thèse de doctorat sur les rites funéraires égyptiens. Ecrivain prolifique (plus de 200 titres !) il connait le succès par ses sujets ésotériques ou égyptiens. Il dirige l’Institut Ramsès chargé de publier des transcriptions de textes anciens et crée un fonds photographique sur les monuments d’Égypte.

Ce bonheur de lecture ne dispense pas de lire des ouvrages de chercheurs sur l’Egypte antique, mais il nous fait vivre de l’intérieur la mentalité reconstituée du temps, ce qui est précieux pour entrer en empathie avec ceux du passé.

Christian Jacq, Néfertiti l’ombre du soleil, 2013, Pocket 2014, 448 pages, €7.95

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Andrée Chedid, Nefertiti

L’auteur est égyptienne d’origine libanaise de nationalité française, ce qui lui donne un regard à la fois cultivé et sensuel sur la vallée du Nil plus d’un millénaire avant notre ère. Sa reine de prédilection est Nefertiti, première femme traitée d’égal à égal par son pharaon Akhenaton (dont elle supprime le e dans le nom).

Nefertiti naît en 1388 avant, l’année qui précède la naissance d’Akhnaton, fils d’Aménophis III et de la puissante reine Tyi. Le garçon est malingre, les hanches plus larges que les épaules, le crâne allongé vers l’arrière. Il n’est pas le prototype du mâle guerrier qui tient en respect ses adversaires toujours prêts à fondre sur la riche vallée du Nil, mais plutôt porté à la paix, à la conciliation, aux éléments féminins du caractère.

Contre le pouvoir des prêtres qui règnent par la crainte des dieux et de l’au-delà, tout en accumulant grandes richesses et forte influence, le futur Aménophis IV choisit le dieu soleil Aton, au détriment d’Amon et de sa cohorte de dieux à têtes d’animaux. Cela le condamnera. Il mourra en 1354 avant, sur la barque qui remonte le Nil depuis sa nouvelle cité Horizon (Tell el Amarna) jusqu’à Thèbes, l’ancienne capitale. On ne sait pas de quoi il périt, peut-être de maladie, peut-être d’un empoisonnement commandité par les prêtres. Il avait 33 ans (tiens, comme le Christ !).

L’auteur évoque d’ailleurs Moïse, dont nul ne sait s’il a vraiment existé, comme fuyant l’Egypte (avec les Juifs) à la mort d’Akhnaton. Ce dernier, par le culte du seul dieu solaire, le même pour tous et égalitaire, aurait inspiré le Jéhovah unique au détriment du Veau d’or et autres divinités juives de l’époque. « Le mystère du soleil qui n’en finit pas de renaître, du sang qui nous maintient debout, de l’arbre qui s’élance… Voici le divin, voilà la vie ! » fait dire la reine Nefertiti à son mari pharaon Akhnaton : « Il en voit partout la marque : dans le bruissement des feuilles, dans un jeune veau qui gambade, le poussin qui heurte l’intérieur de sa coquille, la brise qui gonfle la voile (…) Si Dieu existe, il est mouvement, vigueur et turbulence de l’amour. Il est ce qui passe, il est ce qui demeure. Il est dans l’instant et dans l’ailleurs. Il se fait jour en nous » p.141. Ce n’est pas si mal dit, et autrement plus séduisant que le dieu tonnant du haut de sa montagne, secret, jaloux et autoritaire qu’aurait construit Moïse.

Sur le Nil, on vit nu jusqu’à 7 ans et vêtu d’un simple pagne au-delà. Le Pharaon s’affiche avec sa compagne presque nu en public, leurs quatre petites filles entièrement. Ils sont sensuels et affectueux, en phase avec le peuple qui les acclame. Ils se tiennent la main en plein soleil qui irradie, se caressent les reins et le torse, mignotent les corps nus gracieux et élastiques des fillettes qui grimpent sur eux. C’en est trop pour la morale cléricale qui préfère le sombre et le contraint, la discipline qui plie les âmes et le mystère qui donne le pouvoir par la crainte.

Lors de la publication du livre, en 1988, l’Occident était en pleine période de rébellion contre la Morale et la répression patriarcale-bourgeoise du sexe encouragée par les églises. L’insistance d’Andrée Chedid sur le corps et les sens, véritable re-ligion entre le terrestre charnel et le transcendant spirituel, ne serait plus de mise aujourd’hui où « la vertu » consiste à se voiler le corps, à se masquer la face, à maintenir les autres à distance et à n’autoriser « l’amitié » que virtuelle sur des réseaux loin de chez soi, à porter des gants prophylactiques et à se nettoyer névrotiquement les mains avec du gel pour alcoolique. Ces vingt ans de règne anticonformistes du printemps égyptien sont comme un rêve prémonitoire de 1968 et de ses suites – jusqu’au SIDA et à la réaction laborieuse et moraliste des années 90. Relire ce roman d’il y a plus de trente ans est une bouffée de chaleur solaire dans un monde où vient la nuit.

Nefertiti survivra dix ans à son roi, exilée dans un palais excentré de la cité d’Horizon. La ville sera rasée sur ordre du général Horemheb qui a pris le pouvoir après Nebkhéré, mort à 22 ans après sept ans de règne, appelé alors Toutankhaton (devenu Toutankhamon pour faire plaisir au clergé tradi).

L’auteur use de poésie pour un dialogue de Nefertiti avec son scribe inventé, le nain Boubastos, et les chapitres alternent entre les dits de la reine et la prose du scribe. Ce livre court se lit comme un enchantement, une imagination sur le réel. Le lecteur pourra sans dommage sauter la préface à prétention intello d’un doctorant littéraire qui accumule le naming pour accoucher d’une creuse paraphrase ampoulée : tel était le snobisme « de gauche » des années 80 lorsqu’on pondait une thèse sur la littérature et le social.

Andrée Chedid, Nefertiti et le rêve d’Akhnaton – Les mémoires d’un scribe, 1988, GF Garnier-Flammarion poche  1993, 224 pages, €1.68 e-book Kindle €5.49

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Philip Kayne, Les conquérants d’Aton 1

1358 ans avant notre ère chrétienne, le quatrième Amenhotep est fait pharaon avant de changer son nom en Akhenaton (Bénéfique à Aton) en l’an VI de son règne. Il s’est marié par amour à Néfertiti (La Belle est venue), malgré son père et malgré les traditions qui voulaient que la promise de son frère aîné lui soit dévolue. Or Thoutmosis est mort des suites de blessures d’un lion, lors d’une chasse au désert avec son frère. Les deux s’aimaient fort mais l’aîné n’était pas destiné à ceindre la double couronne. C’est donc Khétarâ, le cadet, plus spirituel, qui va prendre les rênes de l’empire avant ses 16 ans.

Il est disciple d’Aton, le dieu unique représenté par le soleil, et a pour adversaire résolu les prêtres du culte d’Amon, dieu traditionnel de l’Egypte et qui prend de multiples formes. Khétarâ va imposer le culte d’Aton et devenir Akhenaton, transmettant à sa mort la double couronne au fils qu’il a eu d’une sixième concubine : Toutânkhaton, 9 ans. L’auteur fait du futur Toutankhamon le fils même tant désiré de Néfertiti, mais la reine n’a semble-il eu que des filles. A 12 ans, le gamin déjà marié depuis trois ans, prendra le nom de Toutankhamon par retour aux traditions. Son père Amenhotep IV est en effet mort vers 33 ans nul ne sait de quoi ; l’auteur évoque une crise cardiaque. C’est bien solliciter l’histoire.

Philip Kayne, Belge et éclectique, a fait des études d’histoire classique avant d’aborder les civilisations du Moyen-Orient. Il se passionne pour l’Egypte dans laquelle il découvre les Origines du monothéisme, à la suite d’un certains nombres d’égyptologues et de Freud lui-même, sans compter les ésotéristes. C’est pourquoi le roman est « préfacé par Roger Sabbah », dont l’auteur me pardonnera de n’avoir pas su qui il est. Disons pour résumer que Roger Sabbah s’intéresse à l’histoire du Proche-Orient ancien et qu’il épouse une vision particulière de la Bible et des Juifs. Ces derniers seraient des Egyptiens chassés de la vallée du Nil lors de l’Exode sous l’égide d’un prince juif, Moïse, et partis s’établir en Palestine. Tout cela parce qu’ils pratiquaient le culte du dieu unique et non le polythéisme traditionnel. Abraham serait même l’autre nom d’Akhenaton, AbRâAmon et Israël AïSaRâAï… Ce ne sont que des hypothèses, déclinées sous des titres à sensation tels que Le secret des Juifs, Les secrets de l’Exode, Le pharaon juif, Les secrets de la Bible, Le secret du 3ème millénaire – la terre des pharaons était la terre d’Israël… Les éléments archéologiques ou les textes égyptiens n’apportent aucune preuve tangible de ce rêve unificateur juif, des religions à la psychanalyse, en passant par une obscure ésotériste nazie, Savitri Devi. Les pensées totalisantes ramènent à elles tout le progrès humain, les chrétiens avant-hier, les Aryens hier comme les communistes interprétés par Marx et Engels, les Juifs avec Sabbah.

Malgré ce biais un brin fantasque et son parti-pris idéologique, le roman de Philip Kayne s’attache à évoquer la vie quotidienne de pharaon, sa jeunesse et son amour pour Néfertiti, son accession au trône. Il donne de la chair et du cœur au récit historique, nous rendant les personnages attachants. Il s’ingénie surtout à nous montrer la sensualité très naturelle des Egyptiens antiques, baignés par un climat doux dans une nature soumise au rythme saisonnier du fleuve. Les amoureux sont « toujours main dans la main, à [se] bécoter, à échanger des serments ou de secrets, peut-être ? Et tout cela, souvent peu vêtus (… voire à) se balader entièrement nus » p.114. L’initiation sexuelle commençait tôt en Egypte ancienne et Khétarâ a déjà un enfant d’une union avec une concubine avant ses 13 ou 14 ans, le prince Sémenkarâ. Néfertiti l’affole, caressant sa peau nue, frottant son pubis contre le sien, plaquant ses seins durcis par le désir sur sa poitrine. Il défait vite son pagne et la robe quasi transparente de sa compagne avant de rouler derrière un buisson pour l’étreindre, à même la terre, et faire jaillir la vie comme l’eau du Nil féconde les champs.

C’est donc un bonheur de lecture, pimenté par les intrigues de cour du grand prêtre d’Amon appelé ironiquement Aânen et la perpétuelle adversité des tenants des anciens cultes qui essaient de tuer le pharaon hérétique tout en détournant à leur profit clérical une partie de l’impôt royal.

Mais une question vient : comment un tel naturalisme du plaisir, qui se manifestera dans l’art amarnien, se transformera-t-il du tout au tout en rigorisme puritain, physique, affectif et moral une fois la Bible établie ? Le monothéisme conduit-il au fanatisme par croyance de détenir la seule Vérité ? Tant la religion juive sous Moïse que la chrétienne avec Paul et la musulmane avec Mahomet récusent la chair au profit de la prière, et l’amour physique au profit du seul digne : l’amour éthéré du Dieu unique et jaloux qui commande tout.

Philip Kayne, Les conquérants d’Aton – tome 1 : La part de vérité, 2019, éditions Baudelaire, 429 pages, €22.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Temple de Karnak

Nous joignons Thèbes, le temple est immense, 123 hectares, pas encore dégagés du sable dans sa totalité ; seuls 14 hectares sont fouillés jusqu’au sol antique. Nous sommes devant le gigantesque temple d’Amon, « le Caché », construit et remanié plusieurs fois par les pharaons du Nouvel Empire, de 1580 à 1085 BC. Les conceptions différentes, les vengeances et le souci d’effacer les traces des schismatiques ont fait construire et détruire les bâtiments. Il en reste un gigantesque chaos qu’il est difficile de comprendre aujourd’hui.

karnak architraves

Faisons plutôt comme Flaubert, laissons-nous impressionner : « la première impression de Karnak est celle d’un palais de géant. » Sous Ramsès III, 81 322 personnes servaient le temple dans toute l’Égypte, car son clergé possédait 2393 kilomètres carrés de champs le long du Nil. Le dieu Amon forme ici une triade avec Mout, déesse du ciel, son épouse, et Khonsou, dieu lunaire représenté en enfant porteur d’un croissant de lune, leur fils. Toute la famille était réunie, augmentant la puissance du lieu. On a comparé le temple à une centrale nucléaire où quelques techniciens, les prêtres, canalisaient des flux énormes d’énergie. Les multiples enceintes, les cours, les couloirs, les cachettes contenant des statues secrètes, accréditent cette idée de puissance formidable. Les prêtres rendaient des oracles par la barque d’Amon.

karnak horus pharaon

Une rangée de sphinx protège l’entrée, côté Nil. Ils ont des corps de lions gardiens (puissance agressive) et des têtes de bélier à cornes recourbées (image d’Amon). Le grand pylône d’entrée date des Ptolémée (III° siècle BC) et protège le temple des forces impures. Sa forme évoque le hiéroglyphe de l’horizon et signale la fonction cosmique du site. De hauts mâts en bois de plus de trente mètres étaient jadis encastrés dans les rainures verticales du pylône ; ils représentaient les piliers sur lesquels repose la voûte céleste. La surface du pylône elle-même est gravée de reliefs représentant la puissance et montrant la défaite définitive du chaos grâce à l’action du pharaon. Cinq pylônes de plus en plus petits se succèdent ensuite dans l’enceinte.

karnak colonnes

Dans la grande cour, une statue colossale de Ramsès II (1290 BC) se dresse. Ce pharaon a fait terminer la grande salle hypostyle que nous verrons après. Le roi se tient dans une attitude osirienne, les bras croisés sur la poitrine tenant la crosse et le fouet, symboles respectifs du pouvoir et d’Osiris. Sa reine, Nofretari, est représentée à ses pieds, toute petite. L’immense salle hypostyle de 134 colonnes a été construite entre les règnes d’Horemheb et de Ramsès II. Cette colonnade massive enserre, bien qu’aujourd’hui on voie le ciel. C’est du Monumenthâl à la germanique, du massif, du carré Kolossal ! Le temple est la version totalitaire de l’État, la première image du « roi-soleil » si chère aux nostalgies françaises d’où, peut-être, leur fascination actuelle pour ces vestiges ! Dans l’Égypte ancienne, le pouvoir royal était un attribut du créateur du monde, le dieu soleil Rê, dont le pharaon était le fils. D’essence divine, ce pouvoir était absolu, il ne pouvait se partager. Pharaon était acteur unique de l’histoire ; il combattait perpétuellement pour la sauvegarde de l’ordre idéal du monde et de la société, selon les Lois établies par le créateur contre le désordre de la réalité et les faiblesses humaines. Le politique était religieux, servi par la machine administrative des scribes fonctionnaires.

karnak pharaon

C’est peut-être ce symbolisme qui séduisait si fort Mitterrand, probable dernier roi-républicain, soucieux de l’équilibre du monde, de la place de la France et du progressisme scientiste. L’axe du temple figurait la course du soleil du jour à la nuit. Le passage graduel de la lumière à l’obscurité, des cours ouvertes aux salles obscures, conduisait au sanctuaire qui contenait la statue du dieu. Ce point figurait l’extrémité du monde, où terre et ciel se rejoignent dans les ténèbres du crépuscule. Résidence terrestre du dieu, microcosme sacré entouré de murs qui le protégeaient du profane, chaque journée voyait se rejouer le mystère de la création renouvelée. Chaque jour les prêtres réveillaient la statue de la divinité, l’habillaient et la promenaient ; au soir on la recouchait dans ses bandelettes, pour son séjour dans la nuit et dans le royaume des morts. Le Soleil était la vie, le dieu, l’espoir d’un monde après la mort, comme il resurgit de l’horizon à chaque aurore. Sur la statue d’un prêtre de la XXIIème dynastie à Karnak était gravée cette formule : « le fugitif instant où l’on perçoit les rayons du soleil vaut plus qu’une éternité passée à régner sur l’empire des morts. »

karnak bulle personnage

L’allée centrale rassemble une foule si grande que l’on se croirait à Lourdes ou au Vatican. Il n’en est rien. Ici, les touristes vont au temple comme au supermarché en Europe : le site se consomme allée par allée, il « faut tout voir ». Et les groupes ignares boivent les explications de guides incultes, en mitraillant de photos ineptes bobonne et les mioches devant les sphinx ou les colonnes. Remarquent-ils – mais il faut lever les yeux jusqu’à 22,40 mètres au-dessus du sol et se poser la question – que les fûts des colonnes sont comme des tiges énormes, et que le chapiteau est une fleur ouverte de papyrus ? Que les douze colonnes de la nef centrale sont plus hautes que la centaine d’autres qui les bordent (14,74 mètres) dont les chapiteaux ne sont que des fleurs de papyrus en boutons ?

L’ombre portée des colonnes est un havre de fraîcheur dans la touffeur du soleil impitoyable. Les scènes rituelles gravées sur les fûts sont parfois colorées comme des cases de bandes dessinées. J’apprécie quelques instants de solitude relative, loin du guide. Je visite aussi la suite seul. Une seconde cour recèle deux obélisques, pointus comme des broches à rôtir – c’est d’ailleurs ainsi que les ont nommé les grecs : obeliskos. Ils servaient de protection, tels des paratonnerres. Celui qui s’élève Place de la Concorde à Paris vient de Karnak ; il est celui de Ramsès II, offert par le gouvernement égyptien et ramené en 1833.

karnkar frise

Le lac sacré a été reconstitué. Des touristes idiots font sérieusement sept fois le tour du scarabée de granit « porte-bonheur » posé sur un bloc près de l’édifice du roi Taharqa. Quatre tas de chair affalés le long du mur des propylées du sud font rire les voyages scolaires indigènes. Ce sont trois femelles anglo-saxonnes rougeaudes aux épaules dénudées, et leur mâle qui a enlevé son tee-shirt sur sa chair pâle et tremblotante de poisson. Le ridicule non seulement ne tue plus mais n’affleure même plus à la conscience. L’Anglo-saxon, hors de chez lui, se sent tellement le représentant d’une haute civilisation qu’il s’imagine donner le ton au monde entier.

C’est ensuite une grosse allemande qui se fait prendre par son mec derrière une statue sans tête, sous les colonnes de la salle hypostyle. Rien de graveleux, rassurez-vous, mais une photo ringarde avec la grosse prenant le corps de déesse de la statue pour une photo en pied avec sa propre tête qui dépasse du corps de la statue. Un petit Blanc joue aux cailloux et ses parents le regardent, attendris, sans prêter aucunement attention aux bas-reliefs antiques. Une maman pose d’autorité sa petite blonde devant un colosse pour la photo – c’est déjà plus adapté, la petite devient la reine du pharaon ainsi statufié. Viendra-t-il un jour réclamer son dû ?

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Vallée des Rois

Ce matin, nous visitons la Vallée des Rois. Un guide verbeux et peu intéressant nous attend – le même nul déjà subi à Edfou. Parmi les guides qui nous ont fait visiter les sites, un seul s’est révélé cultivé ; les autres sont des bavards pour masse ignorante. Ce baratin pour touristes m’ennuie. Certains guides en français ou en anglais, entendus dans les tombes royales étaient plus concrets, décrivant et expliquant les illustrations peintes sur les parois. Pas le nôtre, il discourait sur l’histoire et la chronologie, en historien pour vieilles dames ; nous aurions pu être à l’extérieur tant ce qu’il disait avait peu à voir avec ce que nous avions sous les yeux. Nous visitons les tombes de Ramsès IV et de Menenthep.

vallee des rois

Les groupes se pressent et se suivent en rangs serrés. Il y a trop de monde pour voir bien et cela beugle dans toutes les langues. Les guides verbeux et creux les retiennent à mi-couloir et au fond, au grand dam d’une saine conservation des peintures sur les parois : le gaz carbonique dégagé par les respirations abîme les couleurs. Mais qui s’en soucie en Égypte ? Nous retrouvons une fois de plus le laxisme, la corruption, l’absence complète de vision de l’avenir, le goût du lucre immédiat de cette population. « Inch Allah ! » est le slogan facile – Dieu y pourvoira. Cette courte-vue me laisse pantois.

toutankhamon chambre du sarcophage vallee des rois

Ma stupéfaction est amplifiée par la fraîcheur et le riant des couleurs qui subsistent au travers des millénaires. Nous descendons dans la salle funéraire par de longs hypogées en pente dont les parois sont couvertes de peintures et de hiéroglyphes sur les murs et les plafonds. Les artisans antiques travaillaient pour éterniser le réel, c’est pourquoi sans doute leur art est si vivant ; ils ne figuraient pas une impression d’individu mais obéissaient à des canons fixés par la tradition. Les parois sont décorées d’inscriptions et de représentations religieuses qui illustrent les « livres funéraires ». Surtout le tombeau de Ramsès IV, qui fut désigné par les savants de l’expédition de Bonaparte comme « le triomphe de la métempsycose ». Ce sont des cosmographies qui décrivent la course du Soleil dans l’autre monde. La vertu magique des images peintes et des mots gravés devaient permettre la renaissance du roi, identifié à l’astre solaire dans sa barque après son triomphe sur les mille dangers terrifiants de l’obscurité et du royaume des morts. Les Égyptiens inventent « la magie imitative » en dessinant sur les parois des tombeaux tout ce dont le défunt aurait besoin dans l’au-delà. Car le corps momifié ne reprenait vie qu’à condition de recevoir la nourriture du culte funéraire afin d’entretenir son Ka – l’énergie vitale – près du corps. Au fond d’une paroi, une frise de prisonniers nus, sans tête, les mains liées derrière le dos, figurent les ennemis de l’Égypte démonisés.

toutankhamon

La tombe de Toutankhamon a été découverte par hasard par Howard Carter le 4 novembre 1922. C’est la plus petite tombe de la Vallée. Elle n’a jamais été pillée et a livré des trésors. Sa découverte est peut-être la plus extraordinaire aventure des annales de l’archéologie. Elle touche à la mort, à l’art, à la richesse, et remue ainsi beaucoup de pulsions puissantes en l’homme. Toutankhamon, « symbole vivant d’Amon » est ce tout jeune roi, amoureux et audacieux, rendu universellement célèbre par la presse. Il est figé ici dans sa tombe.

Le couloir s’enfonce profondément et raide. Il n’y a presque rien à voir, mais délicieusement personne en cette heure de déjeuner. Seul, je médite un long moment sur les mystères antiques. Je suis heureux d’être venu ici. L’antichambre ne contient rien, l’une des chambres ne se visite pas. La salle funéraire de peut-être quatre mètres sur six était emplie de mobilier, aujourd’hui au musée du Caire. Elle ne contient plus qu’une auge de grès rose dans laquelle la momie repose toujours, le visage recouvert d’une copie de ce masque fameux, exposé dans le monde entier. Le sarcophage est orné aux quatre angles de figures protectrices, Isis, Nephtys, Neith et Selkis aux ailes étendues autour du corps. Plusieurs des sarcophages successifs de la cuve se trouvent au musée du Caire.

Le décor des parois est vivant, très coloré, sur fond ocre, bien que d’un style banal. Je reconnais cinq babouins, ils sont responsables du décompte des Heures de la Nuit ; puis la barque d’Amon et le dieu représenté en scarabée ailé. Nous sommes dans le monde des morts décrit par le Livre de l’Am Douat. En face, la momie du pharaon de 18 ans, accompagnée de son Ka (reconnaissable à la clé de vie qui pend à sa ceinture) est accueillie par Nout, embrassé par Osiris, mis en présence d’Anubis. Puis le pharaon est représenté une fois encore, face à au roi Ay vêtu d’une peau de panthère qui pratique le rite de l’ouverture de la bouche, symbole de résurrection, avec cette curieuse pince. Et Toutankhamon, accompagné par Anubis, reçoit la vie d’Hathor à l’aide de la clé de vie dirigée vers son souffle. Sur le mur de droite, neuf amis du mort et trois prêtres tirent la barque funéraire qui contient le sarcophage. C’est peut-être là que tout commence… J’ai regardé la scène à l’envers.

La nonchalance et le laisser-aller des fonctionnaires préposés à la surveillance de chaque tombe me permettent d’en visiter une nouvelle. Nous avons droit à trois tombes pour chaque billet. A chaque entrée, le fonctionnaire arrache un coin du billet. Je n’ai que deux coins arrachés et je peux donc voir un nouveau site. Je choisis alors la tombe de Ramsès IX, vers 1156-1136 BC. Elle est bien conservée, très colorée et, pour une fois, ses parois sont protégées des frottements par des plaques de verre. Sont illustrées les offrandes du roi à Rê à Osiris et à la déesse de l’Ouest, Meretseger. Je reconnais un démon à tête de chien décrit dans le Livre des Morts. Les babouins sont présents là aussi, comme le Soleil et la résurrection, les serpents.

vallee des rois carte

Nous ressortons et, sur le parking où les cars se croisent dans une noria incessante, un petit Blanc a ce trait d’humour de parader habillé en pharaon d’opérette, chemisette de soie translucide et coiffe trapézoïdale en tissu à bandes noir et or sur la tête. Il m’arrache un sourire. C’est bien lui qui a raison de se moquer du « sérieux » culturel de ces Égyptiens qui exploitent le passé comme à Disneyland, sans que « le » passé ne soit « leur » passé. L’arabisme est passé par là, encouragé par Nasser, ce fellah ignare et bien trop musulman pour tolérer que l’antiquité égyptienne soit autre chose qu’une mine à exploiter le touriste. Jean-Philippe Lauer, qui a passé plus de 70 ans de sa vie au service de l’histoire de l’Égypte, décrit parfaitement dans ses mémoires cette subite indifférence culturelle des nouveaux dirigeants de l’après-Farouk. Seul l’appât du gain les a retenus de transformer à nouveau les temples en carrières et de miner les pyramides pour faire place aux nouveaux quartiers du Caire. Ils ont laissé se dégrader les statues grecques découvertes à Saqqarah, et ils auraient bien englouti Abou-Simbel et Philae définitivement si la communauté internationale ne s’en était pas émue et n’avait financé les travaux de déplacement.

Et quel guide local nous aurait fait remarquer, par exemple, que la vallée des Rois est un désert hostile, sans eau, ni verdure, ni oiseau ? Il devait être effrayant dans l’antiquité, hanté par les chacals et les chouettes, et préserver ainsi le territoire des morts des convoitises des pillards. Qui a noté le sommet naturel en forme de pyramide qui domine à cet endroit la montagne thébaine ? Si les pharaons ne construisaient plus de pyramides, mais simplement leur tombeau au creux de la montagne, ce n’était pourtant pas à n’importe quel endroit !

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Louxor

Nous reprenons le minibus avec des paniers repas. Nous sommes aujourd’hui vendredi, jour férié musulman, et le restaurant ne sert pas. Pendant que l’auto attend à la sortie de la ville le convoi de police qui se formera jusqu’aux limites de la province, nous dévorons les provisions. Poulet grillé, purée de sésame en barquette plastique, yaourt au concombre et ail, une salade de tomates et concombres, des galettes de pain et du riz pour ceux qui ont faim ! Un pot de gelée au lait vient terminer ce repas, avec une bouteille d’eau de marque Baraka, embouteillée en Égypte par Perrier-Vittel.

voiture de flics egypte

Le minibus roule déjà dans la campagne, le long du Nil. Nous voyons depuis la terre les rives vues jusqu’ici depuis le fleuve. Ce ne sont que champs – pas très grands – et villages de terre – aux aouleds pieds nus en galabieh, aux vieux en turbans blanc, et aux ânes. Bien que jour saint, tout ce monde ramasse quand même la canne à sucre ou le trèfle ou emmène au marché des cageots de tomates empilées dans les bétaillères. Nous longeons de temps à autre la voie ferrée. Quelques trains passent, presque vides.

A l’arrêt inter-région, où la voiture de police sensée nous accompagner prend la tête du convoi étiré sur plusieurs kilomètres, des gamins viennent nous proposer des boissons à vendre, ou des foulards. Adj en achète un « pour sa mère », pour 20 livres. Le vendeur, qui a à peu près son âge, embrasse le billet pour porter chance à son commerce. L’une de nous tente d’en acheter un pour le même prix, mais pas question : « ça, c’est le prix pour Égyptiens ; pour les étrangers c’est 25 livres ». Elle n’achète pas.

paysage egypte

Nous sommes de retour en fin de journée à Louxor, pour retrouver ses deux colosses et l’hôtel. Avant de dîner, nous décidons de passer le Nil pour aller voir Louxor. La barcasse qui nous fait passer est maniée par Omar, un autre jeune ami de Dji. Il a 14 ans, même s’il en paraît plus. Il l’avait pris comme aide-felouquier l’an dernier, mais une cliente a fait une remarque de bonne-conscience-repue sur « le travail des enfants » et il n’ose plus. Le grand rêve du gamin est quand même de quitter son petit boulot de passeur pour quelque chose qui lui fasse voir plus de pays et connaître plus de gens. Je reconnais bien là les aspirations constantes de la jeunesse. Ici, ils sont adultes bien plus tôt qu’ailleurs.

garcon égypte

En cherchant du change, nous passons devant l’hôtel Winter Palace. S’il est aujourd’hui noyé dans les constructions encore plus laides du monde moderne, Pierre Loti le dénigrait déjà en 1907 : « Winter Palace, un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. » Je ne sais comment il a été construit, mais il dure encore. Loti affectait parfois un snobisme qui faisait chic dans les salons parisiens.

Quant au musée, nous le cherchons, mais il est bien plus loin que l’on ne le croyait. Dji nous avait dit : « du Winter Palace, vous en avez pour 6 ou 7 minutes » ; en fait il en faut une vingtaine ! Il est bien présenté, très aéré, avec de jolies choses. Les explications sont fournies au moins en deux langues, parfois en quatre. La lionne Sekhmet se dresse, en granit taillé en 1403 avant, babines avides pleine de crocs. C’est elle qui envoie les maladies, mais elle aussi qui procure à ses prêtres (les médecins) la capacité de guérir. Sobek le dieu crocodile, apparaît redoutable, bien qu’en calcite datée de –1403. Amenhotep III serre les poings, on ne sait pourquoi ; il a les yeux en amande et la bouche régulière. Il s’agit en fait d’un autre nom d’Aménophis III, père d’Akhenaton ; il fut un monarque raffiné et voluptueux qui, déjà, s’est méfié du pouvoir trop grand des prêtres. Moubarak, aujourd’hui, pourrait bien s’en inspirer pour se défier des mollahs. Thutmosis III, vers –1490 offre un torse juvénile et un sourire indéfinissable aux visiteurs. Il succède à Hatshepsout, la reine redoutable, et conquiert le Soudan jusqu’à la quatrième cataracte ; c’était un fameux gaillard. Celui qui est indiqué « Amenhotep IV » est en fait Akhenaton. La statue colossale de son visage présente des traits adolescents accentués à dessein : un profil de poisson avec des lèvres et des narines gonflées avançant comme pour un baiser. Une acromégalie typique de la jeunesse où l’hypophyse travaille fort. On dit que la bouche charnue et les narines palpitantes traduisent le goût de la vie. Le mur des talatates est une paroi reconstituée d’un temple d’Aton érigé à Thèbes et détruit par les successeurs d’Akhénaton, acharnés à extirper son hérésie. Extraits du 9ème pylône de Karnak où ils avaient été réemployés comme de vulgaires blocs de construction, ces 283 blocs présentent sur 18 mètres de long et 3 mètres de haut le roi et la reine rendant hommage à Aton, le disque solaire.

2001 02 Egypte ticket Louxor

Des flèches de Toutankhamon sont présentées en vitrine ; elles sont en bois, en roseau, en plume, en bronze et en os. Le pharaon est présenté tout jeune sous les traits du dieu Amon. Dans la salle du sous-sol, Horemheb est statufié devant Amon. Le dieu est pour lui comme un père, les deux mains touchant ses épaules, les yeux au loin. Un Aménophis III de granit rose montre un visage aux traits ronds, un torse plat, carré, rigide comme une sculpture du Troisième Reich. Parfois, la grandeur dégénère en caricature. En revanche, est présentée une délicieuse Mout aux seins pommés qui tient par l’épaule Amon. Elle a un doux profil nubien et une petite bouche mignonne. De Ramsès II reste un torse en albâtre presque transparent qui accentue son air de jeunesse éternelle ; les muscles sont à peine dessinés, comme s’il sortait de l’enfance – ou renaissait aux regards.

Nous cherchons ensuite le restaurant Jamboree, près de la mosquée, recommandé à la fois par Dji et par le guide du Routard. De par sa proximité religieuse, l’établissement ne sert aucun alcool, et nous devrons attendre pour assouvir notre éventuelle soif de bière. Tenu par des Anglais, il sert plus de plats internationaux (poulet frites, spaghettis bolognaises, pizzas, glaces) que de cuisine « orientale ». Je réussis quand même à trouver de la purée de sésame tahina en entrée, suivie d’une aubergine farcie aux poivrons et au fromage (malheureusement du… chedar !). Il aurait fallu aller là où vont les Égyptiens du cru.

Nous reprenons le petit bateau pour traverser le Nil et rejoindre la rive ouest. Les jeunes se battent pour attraper des clients, à 1 livre chacun la traversée. Ils font vivre en partie leur famille avec ces gains. Pour cinq autres livres, une bétaillère trouvée à l’embarcadère nous ramène à l’hôtel, où nous avons encore la force – ou la volonté ? – de boire une bière. Elle est la première depuis des jours ! Et, comme nous sommes bien ensembles, nous cherchons à retrouver l’atmosphère intime de la felouque en nous installant sur la terrasse de toit de l’hôtel.

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Dans le wadi gravé au bord du Nil

Nous poursuivons la journée pétroglyphes : des vaches, des lions, des éléphants, des girafes. Nous longeons toujours le Nil, à pied, mais il fait plus chaud. Le soleil se réverbère sur les pierres.

gravure bouquetin bord du nil

Dans le wadi El Chott, Dji nous montre un bas-relief du pharaon Antef V de la XIème dynastie. Il porte la lance, symbole du pouvoir, et est surmonté d’un cartouche avec son nom écrit en hiéroglyphes. Son épouse, plus petite, le suit. Devant lui se tiennent un militaire (pagne court et coiffe d’armée) et un prêtre (pagne long et main sur le cœur). Le bas du relief est scié. Des voleurs ont tenté d’emporter la scène.

 gravure pharaon bord du nil

Dji nous dit l’avoir signalé aux autorités – mais seulement après avoir vérifié que la famille avec laquelle il est lié n’est pas en cause dans ce trafic. Cela choque une jeune fille moderne du groupe : le patrimoine historique est le patrimoine commun non seulement de tous les Égyptiens, mais aussi celui de toute l’humanité. Elle a raison, c’est ainsi que pensent nos contemporains et je pense comme eux. L’archaïsme est de dire que les locaux font ce qu’ils veulent des témoignages historiques à leur portée : ainsi des Bouddhas de Bamyan en Afghanistan. Mais je comprends aussi la position de Dji : il est intégré, fait partie de la famille élargie, il n’a pas à agir autrement que ce l’on attend de lui. C’est cela l’archaïsme, la loi du groupe mené par le patriarche. Dji, individualiste, ne peut s’y opposer s’il veut conserver ses bonnes relations et le confort moral qui est devenu le sien au fil des années.

gravure scene de guerre bord du nil

Le fonds du wadi est couvert de sable blond dans lequel les pieds s’enfoncent. Sur les roches qui le bordent s’étalent des graffitis effectués par les soldats de l’armée victorieuse du pharaon qui rentraient de guerroyer dans les oasis. On distingue des scribes, des personnages debout, des animaux et des hiéroglyphes.

gravure bord du nil

Adj marche devant nous sur le sable, hiératique et royal. Dji parle de lui. Il lui a fait faire un test de personnalité ; il s’agissait de symboles à compléter, dessiner une scène à partir d’un rond, par exemple, ou d’un signe serpentiforme. Ce test a révélé un adolescent bien dans sa peau, se voyant dans la vie hardi comme un footballeur, avec une sexualité jaillissante. Selon lui, « il est malin, plus que les autres, et il s’est débrouillé pour connaître une femme du village avant l’âge de 15 ans. Dans tous les villages il y a des femmes disposées à initier de jeunes garçons, des veuves ou des filles plus indépendantes. » Qu’est-il pour Adj ? « Je l’ai vu naître, je l’ai vu grandir, il m’a toujours connu dans sa famille. Quand il était petit, c’était un sale gosse, toujours à jouer des tours ; je lui ai foutu des claques. Ce que je suis pour lui ? Une sorte d’oncle, je suppose. » Dji m’apparaît comme abou el benat, « le frère des filles », il aime toutes les femmes comme des sœurs et se veut le père de tous les enfants.

bord du désert egypte

Nous montons une superbe dune dont le soleil caresse les flancs, suscitant des ombres multiples. Se dresse un amas rocheux au-dessus du désert. Ce lieu étrange recèle un creux, « la grotte des marins », couvert de dessins de bateaux antiques. Ainsi laissait-on la marque de son passage dans les endroits rendus « sacrés » par leur étrangeté. Signes propitiatoires, conservatoire du souvenir, apprivoisement de la force qui réside là ? Graffiter l’inconnu est bien humain. On distingue la barque d’Horus et celle de Seth, le faucon-soleil et le crocodile-Nil, deux puissances.

navires graves bord du nil

L’astre du jour descend sur le désert. Du haut de l’amas rocheux l’œil voit loin, jusqu’à l’horizon qui est frontière, inaccessible. Un lieu entre monde sensible et imaginaire céleste : le désert est le domaine de la déesse lointaine. Il a attiré depuis longtemps les ascètes, les anachorètes, les cénobites. Macaire, Pacôme, Antoine, furent célèbres aux temps de la christianisation. En hiéroglyphes, le désert s’écrit comme une vallée entourée de deux montagnes et signifie « endroit mauvais » ou « pays étranger ». Loin en contrebas, au-dessus du Nil qui coule comme un ruban d’étain, flotte une brume mauve. L’oasis verdoyant qui l’entoure surgit ainsi du vide désertique comme un long ruban d’espérance. Et l’on comprend que l’opposition du fleuve et du désert ait donné aux hommes d’ici une conscience contrastée du Bien et du Mal : l’eau est la vie, elle permet le végétal et le germinatif, le désert est la mort, il est minéral et stérile. Le Bien est le vivant, le mouvant, le fluide ; il est la naissance et la jeunesse, l’exubérance et le sexe. Le Mal est la solitude, le sec, le rigide ; il est la maladie et la vieillesse, la tristesse et l’égoïsme.

felouque sur le nil au crepuscule

Ce contraste entre la vie et la mort, l’eau qui fait surgir la verdure ou chanter les oiseaux, et la roche ou le sable, desséchants et stériles, donne l’intuition de ce qu’a pu être la religion des nilotiques. L’invisible est quotidien, capricieux, inquiétant. La crue gonfle le Nil chaque année, le soleil disparaît chaque jour, les grains germent sous la terre, la maladie saisit les hommes, ou l’amour, ou l’ivresse… Tout cela suscite une angoisse existentielle qui exige d’en parler. On invente des métaphores pour dire ce que l’on ne peut voir : comment suggérer l’éloignement infini du soleil mieux que par le vol du faucon, qui s’élève si haut qu’il se perd dans le ciel ? Et le lever, puis le coucher, du soleil représentent l’apparente certitude que l’on peut quitter le monde d’ici pour les profondeurs, et en renaître. Comment mieux suggérer qu’il y aurait une nouvelle existence après la mort ? Nommer et dessiner permet d’apprivoiser l’inconnu. La tentation d’agir sur les choses vient des signes objectivés par la main.

La forme humaine des dieux suggère qu’ils sont accessibles ; au contraire, le judaïsme comme l’islam interdiront toute représentation car Dieu leur paraît infini et irréductible. Osiris est plus proche de l’homme : assassiné par son frère Seth, puis reconstitué par l’amour de sa femme Isis, il engendre Horus, son fils qui représente l’éternel retour des choses, le triomphe rassurant de l’ordre cosmique et l’espoir de la survie après la mort. Toute la vie cosmique et sociale repose sur l’équilibre du monde – Maat – le concept du juste, du raisonnable, de l’harmonie en action, l’autre nom du vrai pour les Égyptiens antiques. Il ne suffit pas de s’insérer passivement dans un ordre existant, comme l’islam le préconise, mais de le rétablir, de le recréer constamment comme une musique, une poésie, une mesure du monde.

Nous nous dirigeons vers le village de Nag El Hammam, construit tout en terre. Sur les murs d’une maison de hadj – un pèlerin – est peint le voyage à la Mecque. Sont naïvement reproduits la Kaaba et le mont Arafat, le pèlerin cheminant, les chevaux qu’il a pris. Les villageois ont dit leur foi sur les murs en attendant le retour du pèlerin.

egypte embleme pelerinage a la mecque

Nous rallions les bords du Nil alors que le soleil se cache. Des aouleds jouent au foot sur un terrain nu, dans un nuage de poussière. Ils sont maigres et vifs, très débraillés. Dans la palmeraie, les moustiques commencent à vrombir. Dans le ciel, Horus ferme un œil : la lune et l’étoile du berger sont ses yeux. En hiéroglyphes, la nuit est figurée par un ciel d’où pend, telle une araignée au bout de son fil, une étoile à cinq branches. Et un ciel étoilé s’écrit : un millier est son âme. Au bord de l’eau, à la nuit tombée, assis dans le sable chaud, nous attendons le bateau à moteur qui viendra nous chercher.

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Rêver d’Égypte

Il est midi, me voici en Égypte. Nous sommes avant les révoltes arabes. L’aéroport de Louxor austère et crasseux nous accueille. Les hommes sont vêtus de longues tuniques fendues au col et coiffés de turbans blancs. Certains font la prière, c’est l’heure pour l’une des cinq quotidiennes.

felouques a la voile sur le nil

Depuis longtemps je rêvais de l’Égypte. Depuis 1967 pour être précis, où je fus ébloui par l’exposition Toutankhamon et son temps au Petit Palais à Paris, à l’initiative d’André Malraux, Ministre de la culture du Général de Gaulle. 45 pièces du trésor funéraires y étaient exposées, dont le masque d’or du pharaon et un vase d’albâtre. Une statue colossale en quartzite jaune, représentaient son visage adolescent aux traits doux, les lèvres pleines, les yeux étirés vers les tempes. La vie quotidienne il y a plus de 3500 ans renaissait, en couleurs, sous mes yeux d’enfant subjugués. Un bas-relief sur calcaire représentait des princesses vêtues de robes transparentes. Ces jeunes filles sveltes comme des vases sous leur chevelure bouclée et dans leur longue tunique moulante étaient « la Femme » et le désir naissant.

cesarion joue par max baldry

En ces années de chape morale et de stricte vertu – il faut s’en souvenir – l’art était le seul moyen à disposition du grand public pour aborder la jeunesse, le désir et le sexe opposé. Toutankhamon a été pour moi un avant-goût de ce grand bouleversement qui allait surgir moins d’un an plus tard, en mai 1968. Mais je ne pouvais le savoir et la sublimation de l’art a continué d’agir à mon insu. Toutankhamon est devenu un grand frère, initiateur des mystères du rayonnement de la jeunesse, de la vie intense et brève, de la mort éternisée. Il a déterminé ma vocation d’archéologue, métier que j’ai pratiqué un temps. C’est au collège ensuite que j’ai dessiné Osiris officiant sur une fresque, et la reine Néfertiti en cours de dessin. Mon premier achat de copies en plâtre du musée du Louvre, lorsque j’y ai travaillé, fut justement pour son buste de reine en quartzite rose. Seul est conservé le torse, aux formes si féminines, drapé dans une robe plissée transparente, « aussi érotique qu’un tee-shirt mouillé », selon l’expression d’Olivier, 13 ans, l’un de mes compagnons de jeunesse. Curieusement, l’égyptologue Jean Yoyotte (il a fouillé Tanis) dit la même chose : « il est assez courant que ceux qui s’intéressent à l’Égypte se mettent à l’égyptologie vers l’âge de 11 ou 12 ans. Pourquoi ? Il y a un attrait visuel de l’art et de l’écriture égyptiens, qui sont incontestablement beaux, en quelque sorte intermédiaires entre les arts dits primitifs et les formes dérivées de l’art grec. » Lui-même s’est passionné à 10 ans. Mystères, luxe, orientalisme, magie « hermétique » (Hermès Trismégiste était assimilé au dieu Thot) – il énumère tous les attraits d’une civilisation morte.

archaeologia tintin faouziEgypte itinéraire

Je n’oublie pas l’Égypte contemporaine à mon âge. Je me souviens de Faouzi, le petit Égyptien de Dominique Darbois, photographié et raconté dans cet album de la collection Enfants du Monde chez Fernand Nathan, au début des années 60. Faouzi prend la felouque, va chercher de l’eau avec sa sœur, étudie la calligraphie arabe à l’école, écoute les musiciens, tourne la poterie avec son oncle, se promène dans les franges désertiques à dos d’âne… Il est un paysan de Haute-Égypte et porte la galabieh, la longue robe flottante traditionnelle ouverte au col. Il a le même âge que moi. La collection, avec cet optimisme de l’après-guerre et de la modernité, incitait au voyage.

Et pourtant : plus mûr, durant mes études d’archéologue, l’Égypte antique ne m’a pas attiré. Non parce que les égyptologues fussent réputés un peu timbrés, comme le Philémon Siclone des Cigares du pharaon, une aventure de Tintin des années 30, colorisée en 1955. L’Égypte ne m’a pas plus attiré à cette époque que l’empire inca, la Perse, ou la Chine ancienne. Ces systèmes trop organisés, hiérarchisés, presque totalitaires (mais attention à l’anachronisme), ne répondaient pas à mon aspiration au pragmatique, au bonheur personnel, à la vitalité concrète. Berlev, égyptologue soviétique, disait : « l’Égypte ancienne est le seul pays où les fonctionnaires aient servi à quelque chose, et je sais de quoi je parle. »

L’Égypte ancienne était une société stricte et hiérarchisée, reposant sur le système d’irrigation et de contrôle des crues et justifiée par une religion au bestiaire menaçant. J’ai toujours préféré la Grèce antique, si foisonnante, si vivante, enfance de notre propre civilisation – ou encore la préhistoire, ce temps si lointain où l’imagination reste la principale source de connaissance, avec cette intuition que ces petits groupes de chasseurs-cueilleurs étaient le bonheur humain parfait. Les hommes actuels, Homo sapiens sapiens, ont vécu en groupes restreints durant plusieurs centaines de milliers d’années, ils s’y sont adaptés, cette existence les a façonnés, sélectionnés. Leur évolution jusqu’au néolithique sédentaire, il y a seulement 6000 ans, les a conditionnés. Comment croire qu’une telle vie nomade, à quelques-uns, ne serait pas l’essence du bonheur humain – puisque le bonheur est l’accord de l’être avec la vie qu’il mène ? Nous retournons à une telle existence errante en petits groupes dès que nous le pouvons. N’est-ce pas ce que nous allons accomplir durant cette semaine de périple égyptien ?

Nous allons remonter le Nil en felouque, de Denderah à Assouan. Foin des bateaux-usines trop touristiques pour nous ! Nous préférons la vie au ras du fleuve, immergé dans la population des villages qui le bordent et qui cultivent la terre nourrie de limon comme il y a 5000 ans. Les pieds nus dans l’argile, l’éternité dans l’âme, ils regardent passer ces agités stressés qui remuent l’eau du Nil pour aller, vite, vite, transpirer parmi les pierres mortes.

(Suite du voyage mardi 7 janvier – l’Égypte est un pays qui se déguste lentement)

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Jean-Michel Riou, Le secret de Champollion

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Un Da Vinci Code français ? Du moins une tentative – fleurie, un rien bavarde, sans trop d’action. Mais les petites cellules grises sont enfiévrées par cette quête de l’écriture « sacrée ». Déchiffrer Pharaon va-t-il donner des pouvoirs d’éternité ? Une civilisation qui a duré plus de 3000 ans ne possédait-elle pas un secret ? Bonaparte le croit lorsqu’il part pour l’Égypte ; les savants des Lumières le croient lorsqu’ils le suivent avec enthousiasme ; le Vatican le craint, ce qui est bon signe. Et les Anglais espionnent, interviennent, confisquent ce qui pourrait bien devenir une arme imparable entre les mains de la France. C’est donc qu’il y a quelque chose plutôt que rien.

Nous sommes après Mozart et son opéra maçonnique de La flûte enchantée ; nous sommes après la Révolution de 1789 qui libère les esprits de tout obscurantisme ; nous sommes avec le Corse qui incarnera pour les siècles l’autoritarisme égalitaire qui plaît tant aux Français, du mythe gaulois au bonapartisme politique. L’époque est à percer les mystères, et le déchiffrement des hiéroglyphes en est un – de taille. L’écriture n’a-t-elle pas été interdite en 391 par un empereur chrétien, le Romain Théodose 1er et sa lecture « perdue » depuis lors ? Pourquoi ce tabou s’il n’y avait quelque redoutable secret de pouvoir à cacher ?

Trois amis d’âge inégal, Morgan, Orphée et Pharos, séduits déjà par l’égyptomanie Directoire, vont être entraînés à la suite de Bonaparte pour percer le secret des sources. La découverte de la pierre de Rosette, qui expose en trois écritures la même proclamation en -196, va permettre de résoudre l’énigme. Mais les Anglais veillent jalousement, les Français se chamaillent comme toujours, chaque détenteur d’un petit pouvoir toujours plus bureaucrate que le voisin même dans la lointaine Égypte sous le feu de l’ennemi. Les Anglais vont s’emparer en 1801 de la pierre de Rosette, du nom de la localité du delta où le creusement de fortifications par l’armée l’a mise au jour.

Dès lors, la course s’engage pour enfin savoir. C’est un gamin de 12 ans, Jean-François Champollion, né à Figeac et élevé jalousement par son grand frère qui va, une fois adulte, avoir la révélation. Il n’a jamais vu l’Égypte et ne connait rien aux intrigues politiques ni aux querelles d’érudits. Volontiers indiscipliné et d’une curiosité sans borne, il apporte un esprit neuf et parvient à lire l’écriture pharaonique qui n’est pas alphabétique mais véhicule « des idées et des sons ». La pierre de Rosette porte en effet trois écritures : égyptien en hiéroglyphes, égyptien en écriture démotique et alphabet grec ; en passant par la langue copte, le jeune homme trouve la clé en 1822, à 32 ans. Napoléon ne l’aura pas connue, mort en 1821.

Les trois amis se transmettent le flambeau de la quête sous forme d’un manuscrit qui doit être conservé en coffre-fort durant 150 ans. Le premier évoque la fièvre de la conquête d’Égypte et la quête du mystère ; le second la découverte et la formation de Séghir, « le petit » en arabe, surnom affectueux du surdoué Champollion ; le troisième aborde enfin « la » question qui taraude toute la quête : y a-t-il une révélation au-delà des mots ? Comprendre Pharaon est-ce accéder à l’au-delà où Dieu parle directement ? Ma foi… François Mitterrand avait lui aussi ce sentiment.

Les trois parties emboitées, le discours indirect, les fréquents retours de paragraphes qui bouclent sur eux-mêmes sont au premier abord un peu longs. Puis le lecteur de trouve comme envoûté par cet espoir mystique au-delà des faits, par ce « peut-être » en filigrane derrière le déchiffrement. Il découvre que les trois amis n’écrivent pas sous leurs vrais noms, que l’amour peut cacher une espionne, que la fièvre peut être due à un empoisonnement. Pourquoi ?

D’une idée originale, traitée à la façon des vieux grimoires, plongée dans l’histoire peu connue de Bonaparte en Égypte, Jean-Michel Riou a fait un roman classique qui tire vers le fantastique avec un zeste de Sherlock Holmes. Un abord neuf de l’égyptomanie, d’un pays très ancien qui ne cesse de fasciner, le pouvoir de l’imagination.

Jean-Michel Riou, Le secret de Champollion, 2005, Flammarion, 433 pages, €19.19

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