Articles tagués : mathématiques

Tout est nombre, rappelle Alain

Pythagore l’avait dit avant lui, il y a 2500 ans déjà. Et cela reste vrai. « Les hommes se taisent encore aujourd’hui dès qu’ils viennent à penser à cette puissance des nombres. Pourquoi de nouvelles planètes comme les nombres l’exigeaient ? Pourquoi la conservation de l’énergie ? Pourquoi des formules en toute chose et des formules qui prédisent ? (…) Tout est nombre, tout est selon les nombres ! »

Tout est nombre, mais tout est-il calculable ? Non pas. Les seuls calculs possibles sur le futur sont par exemple des probabilités – non des certitudes. De même ceux sur l’émotion, le tempérament, la psychologie humaine ; ce sont des « sciences » (dans le sens de savoirs) mais « humaines » (dans le sens où non pleinement mathématiques).

Quiconque a tâté de la bourse connaît bien ce dilemme : si tout est calculable, alors des algorithmes judicieusement choisis devraient gérer comme des dieux. Sauf que non : ce qui vrai aujourd’hui ne l’est plus demain, les formules sont vides dès que les données changent. Or elles changent avec les émotions des investisseurs, la psychologie de marché, les aléas de la géopolitique, faits d’egos de dirigeants en même temps que de contraintes nouvelles. Les délires de la finance ont montré, en 1637 lors du krach des tulipes, en 1929 comme en 2008, combien le soi-disant calculable n’a rien d’absolu, les fameuses « queues de distribution » dans les probabilités calculées sur le futur étant d’incertitude.

Tout est nombre, ce pourquoi nous existons. Mais si les individus sont souvent imprévisibles, les espèces obéissent à des lois aussi régulières que la course des astres. La démographie de demain est inscrite dans celle d’aujourd’hui, et chacun sait qu’il mourra un jour, même s’il ne sait pas quand. Est-ce pour cela que « tout est écrit » ? Certains le croient, les niais, alors que l’expérience même nous démontre que non. Tout est nécessité, mais tout est aussi hasard ; le programme génétique calcule tout, sauf l’épigénétique qui survient et infléchit, puis le milieu qui nourrit et éduque, puis l’époque qui impose ou libère. A chacun d’exercer sa liberté relative, à l’intérieur des contraintes qui lui sont imposées. A noter que les sociétés démocratiques sont moins contraignantes que les sociétés autoritaires, permettant donc plus d’innovation, de création, de production, d’échanges – de libertés de penser, de dire et de faire.

Les mathématiques sont au fondement des choses, leurs rapports et leur harmonie sont déterminés par des lois dans notre univers (pour d’autres univers, on peut tout imaginer, mais on ne sait pas). De là à penser à la dictature de l’IA et des algorithmes, il n’y a qu’un pas. Que je m’empresse de ne pas franchir : si la plupart des humains sont des moutons qui se laissent aller où on leur dit d’aller, que ce soit à la télé, sur les réseaux ou dans leur couple, il y en a qui résistent et résisteront encore et toujours à l’envahisseur. Les robots peuvent dérailler, et le réseau X de Musk a récemment livré la pensée profonde de son fondateur – sans le vouloir – lorsqu’il a ôté les filtres… Le réel échappe parfois à la raison.

Le rationnel, oui, le rationalisme, non. Les ingénieurs du chaos l’ont tenté, ils n’ont pas vraiment réussi.

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Alain, Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Certains hommes sont des fusées sur la mer, dit Alain

Prenant propos de l’inauguration d’une plaque à la mémoire d’Évariste Galois à Bourg-la-Reine, ville où il est né, le philosophe Alain se prend à moraliser sur son destin. Évariste est en effet mort à 20 ans, en mai 1832, des suites d’un duel au pistolet qu’il ne pouvait gagner. Stupidité de « l’honneur » guerrier, dévoyé en susceptibilité bourgeoise. Nous étions pourtant après Napoléon le Grand.

« Je livre sa biographie aux moralistes et aux fabricants d’images édifiantes », écrit Alain, peu porté lui-même aux génies et à ceux qui sortent de la norme. En effet, éduqué par sa mère jusqu’à 12 ans, porté à la bizarrerie affectée et à l’originalité dans ses classes, Galois n’est bon élève qu’un temps, avant de ne s’intéresser qu’aux mathématiques. Ce qui ne se faisait pas en ces années d’humanités. D’où son échec aux grandes écoles, rebutant les profs imbus de leur position et de leurs méthodes.

Mais toujours, les génies sont méconnus, et les surdoués méprisés. Quiconque sort de la norme est mis à l’écart. Évariste le Galois résiste, encore et toujours à l’envahisseur. « A 15 ans, il dévore la Géométrie de Legendre. Il rejette les traités élémentaires d’algèbre, qui l’ennuient, et apprend l’algèbre dans Lagrange ; à 16 ans il commence à inventer. » Mais les profs n’aiment pas cet original à l’oral, et à propos de ses écrits, « les académiciens n’y voient goutte », dit Alain. Seule l’École normale le reçoit.

Mais le jeune gars est révolutionnaire, révolté par les curés qui ont conduit son père au suicide en 1829 par une campagne de calomnies, et contre le roi, le gros Louis XVIII diabétique et goutteux, viré réactionnaire dès 1820. Evariste Galois est emprisonné, saoulé, tombe amoureux dès qu’il sort d’une « infâme coquette » qui le rejette, ainsi qu’il l’écrit à son frère. D’où son duel avec le rival, un quidam particulé insignifiant que l’histoire a oublié. Il se prend une balle dans le bide, meurt d’une péritonite.

La veille au soir, il a révisé « son grand mémoire sur les équations », comme dit Alain qui n’y comprend rien, en fait Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux, daté du 16 janvier 1831. Il y jette les bases de la théorie des groupes qui fera fureur en mathématiques « modernes ».

Cet exemple – édifiant – pousse Alain à se demander pourquoi cet homme ? « Car il n’est pas vraisemblable qu’il ne naisse qu’un homme de temps en temps. Je croirais plutôt que tous les hommes pensent et veulent une fois ce que celui-là a pensé et voulu ; mais ils n’ont pas seulement le temps de prendre la plume », analyse le philosophe. Autrement dit, tous les humains ont les possibilités de l’Évariste, tous sont, petits, des Mozart en puissance. Mais ils sont assassinés par la routine, les conventions, l’éducation, les règlements. « Flatteries, fiançailles, succès, intrigues, traitements, décorations, conversations. La justice et l’opinion sont lourdes » – une prison dont seuls les génies osent s’échapper.

Ou les petits besogneux qui parviennent à se faire des idées tout seuls, à penser par eux-mêmes après des années d’efforts d’apprentissage, de maturation et de préjugés surmontés. Comme Alain. Comme la plupart de ceux qui ont une personnalité. Ceux qu’il faut, sans pour autant négliger les rares génies, encourager.

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Alain, Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Nietzsche résume sa pensée

Dans les notes et aphorismes des Appendices d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche résume sa pensée en huit principes.

Un : Tous les anciens jugements de valeur sont fondés sur une connaissance fausse et illusoire des choses.

Deux : La foi n’est plus possible pour nous et nous devons placer au-dessus de nous une volonté forte qui retienne une série provisoire de valeurs fondamentales. « En réalité toute cette foi n’était pas autre chose, mais la discipline de l’esprit n’était pas alors suffisante pour qu’il eût pu supporter notre grandiose précaution »

Trois : « C’est la bravoure de la tête et du cœur qui nous distingue nous Européens ». Notamment le combat soutenu contre des religions devenues astucieuses et une rigueur cruelle.

Quatre : Les mathématiques ne sont exactes qu’en fonction de la justesse de la pensée logique mais on commence par arranger et par simplifier le réel, ce qui n’est pas le nec plus ultra de la connaissance.

Cinq : Ce n’est pas parce que nous croyons fortement quelque chose quelle est certaine, « cela résulte peut-être d’une condition d’existence de notre espèce ». D’autres êtres pourraient formuler d’autres hypothèses et c’est cela « l’absurdité fondamentale ».

Six : Nous voulons exécuter strictement notre mesure et tendre à la plus grande puissance sur les choses.

Sept : Comment voulons-nous que soit l’avenir de l’humanité ? De nouvelles tables de valeur sont nécessaires et la lutte contre les représentants des anciennes valeurs dites « éternelles » est la grande affaire.

Huit : Notre impératif n’est plus dans le ‘tu dois’ il n’y a que le ‘il faut que je’ du créateur, donc la volonté, indépendante de tout dogme.

Donc tout est illusion, la foi n’était qu’une volonté extérieure, les maths ne sont qu’une description logique simplifiée, et nous devons remplacer tout cela par le courage. L’absurdité fondamentale est que nos hypothèses ne sont qu’humaines et pas universelles (au sens de l’univers). Ce que nous devons, c’est être au maximum, autrement dit prendre toute notre mesure et chassant les anciennes valeurs inculquées par les traditions et religions. Seule notre volonté nous rend libres, donc créateurs.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Frédéric Nietzsche, Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les livres de Lawrence Simiane déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Thierry Paul Millemann, Ondes et énergies cérébrales dans la physique quantique

A tous ceux qui se passionnent pour la survie de l’âme et l’immortalité, ce livre tout récent apporte des éléments de réflexion. La physique quantique révolutionne les façons de penser et l’auteur, docteur ès sciences bien qu’ayant œuvré dans l’économie comme consultant – adepte de parascience.net et parfois complotiste -, sait en donner les perspectives dans une langue accessible à tous. C’est bien différent de ce qu’écrivait l’abbé Moreux, prêtre astronome et vulgarisateur scientifique en 1913 dans Que deviendrons-nous après la mort ?

Selon Millemann, notre « vraie vie » serait intrinsèque, matérielle et corporelle, composée de particules élémentaires immatérielles et intemporelles faite d’ondes et d’énergies instables. Nous serions donc en quelque sorte « immortels ». Quant à « Dieu », pas de problème, il existe comme un fait scientifique puisqu’il se confond avec « l’infini ». Il a même une expression mathématique, révélée p.187. Donc il n’a pas d’importance puisqu’il est « tout ». Creusons un peu.

« Les mathématiques démontrent bien l’existence d’un seul infini positif qui peut être aussi la notion de ‘Dieu’ pour l’éternité, que notre univers soit fini ou pas, que son expansion soit infinie ou pas, temporelle ou pas. Et si cet infini est forcément intemporel, l’homme en son sein serait alors également intemporel dans son immatérialité, et donc bien immortel » p.26. Cela ressemble fort à un syllogisme. L’explication ? En bas de la même page : « La mort ne serait en fait que le passage de la vie de son support matériel, le corps et plus particulièrement les neurones, dans un espace fini, à son état immatériel d’énergie ondulatoire, sa vraie ‘vie intrinsèque’ dans un espace infini » – dont l’équation mathématique est donnée p.290. La pensée s’accumulerait « dans une concentration d’ondes non régies par les particules, donc la matière » p.55. Tout est dit – mais ce ne sont qu’hypothèses.

Le terme de « scientifique » ne doit pas nous en faire accroire, « la science » n’est que l’accumulation des savoirs empiriques, validés par des théories qui expliquent les hypothèses via la méthode scientifique qui teste par essais et erreurs. Ce qui est validé l’est provisoirement, jusqu’à ce qu’une nouvelle découverte amène de nouvelles hypothèses, suscitant de nouvelles théories. Celle de M. Millemann n’est qu’une parmi d’autres, même si elle renouvelle le sujet au vu des connaissances actuelles. Mais la physique quantique (selon laquelle la matière est onde et corpuscule à la fois) n’est pas l’alpha et l’oméga de la physique. Elle complète et submerge la physique classique mais elle n’est pas encore la théorie qui inclut les quatre forces fondamentales (gravitation, électromagnétisme, interaction nucléaire forte, interaction nucléaire faible). La théorie des cordes qui a l’ambition d’unifier séduit l’auteur – mais elle n’est elle aussi qu’une théorie, pas encore démontrée.

Reste quand même une interrogation majeure : si toutes les ondes restent connectées ensemble, nous rendant « immortels », qu’est-ce donc que le « je » sinon un agrégat de forces éphémères qui disparaîtra avec la « mort » du sujet ? Mais si le « je » est « immortel », comment est-il advenu un jour et que devient-il après ? La réponse de la page 219 ne consiste qu’à dire que c’est « un paradoxe » – autrement dit il faut y croire, comme le vrai corps du Christ dans l’hostie… Y aurait-il donc un conscient matériel composé de corpuscules vibratoires durant la vie et un inconscient immatériel ondulatoire « par effet de miroir » infini ?

La logique n’est pas la vérité, ni le « scientifique » un Savoir dévoilé. La connaissance scientifique se construit pas à pas, avec des reculs et des impasses et nous sommes loin, nous humains, de penser universel. Même les mathématiques, qui semblent si bien décrire l’univers, ne sont que notre forme humaine de penser un univers humain, selon notre construction du cerveau humain. « L’infini » n’est lui-même qu’une hypothèse, une projection ultime des « toutes choses égales par ailleurs » dont la finance par exemple a fait ses choux gras pour « évaluer » les entreprises qui, elles, sont mortelles, avec les effets de spéculation qu’on sait…

Le livre s’enrichit d’une revue rapide des mythologies et religions, du matérialisme, de l’utopie de l’immortalité biologique – mais en quelques pages du début, tout est au fond dit. Jean d’Ormesson avait apprécié en son temps l’hypothèse et le Professeur François Gros, ancien Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences a apporté son soutien, tout comme Georges Courtès, astrophysicien honoraire de l’Observatoire de Marseille. Mais que chacun pense par soi-même et use de son esprit critique.

Thierry Paul Millemann, Ondes et énergies cérébrales dans la physique quantique – L’immortalité dans un monde parallèle, mais bien réel, 2023, Vérone éditions, 305 pages, €21,50 e-book Kindle €13,99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Catégories : Livres, Religions, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Vide

Le vide n’est pas le rien, encore moins le néant. Il est en latin « l’inoccupé », propriété adjective en opposition à ce qui existe et occupe. Mais voilà… la langue permet de substantiver, de faire de l’adjectif un nom propre, donc un « être ». Nietzsche l’avait déjà pointé, la grammaire contraint. D’où « le » vide comme un état en soi, pas une modalité de l’espace et du temps. Les humains du Livre en viennent vite à opposer, selon leur mentalité binaire, le Diable à Dieu, le Négateur au Créateur.

Déraison que tout cela ! Le numéro 561-562 de juillet/août de la revue La Recherche consacre un dossier au Vide et nombre de ses articles font penser. Epicure le matérialiste disait que la nature est faite d’atomes et de vide, or Aristote le conteste puisque, si « vide » il y a, c’est donc qu’il y a « quelque chose » – donc pas rien entre les atomes. C’est toute la différence entre l’adjectif et le nom, la propriété relative ou le rien du tout – autrement dit l’être et le néant dont Sartre se délectera… dans le vide.

Un pur néant n’a ni structure, ni propriétés, ni durée, ni extension. Il est un « non-être » en soi, donc un pur concept né dans les esprits enfiévrés, que l’on ne peut jamais contester mais pas non plus constater. « Le néant néantise », disait Carnap en 1933 pour se moquer des hégéliens, heideggériens et autres futurs sartriens qui jargonnent entre eux sans faire avancer d’un pouce la connaissance. Seule la physique quantique avance, définissant son vide relatif comme l’état d’énergie minimum des champs dépourvus de particules réelles observables. Autrement dit, le vide n’est pas le rien, il est un état provisoire et relatif de la matière en énergie.

C’est donc que le rien ne peut donner quelque chose et qu’il y a toujours quelque chose plutôt que rien, même si cette chose n’est pas observable – elle semble simplement « gelée » aux énergies de l’observation. La matière, le temps, le vide, ne sont compréhensibles par nous, humains, que parce qu’ils sont numérisables, modélisables. Or tout ne se réduit peut-être pas aux nombres… La mathématique est un langage incomparable pour comprendre l’univers, mais un instrument à notre portée, qui n’est peut-être pas unique. Soyons donc humbles dans nos affirmations et ne « croyons » pas aveuglément les spécialistes. Ni ceux qui prospectent le savoir, ni les Livres soi-disant révélés où Dieu est tout et nous rien, nous sommant d’obéir sans exercer notre faculté de jugement ni notre relative liberté d’être. A quoi servirait-elle dans le Dessein intelligent, puisque nous avons été créés ainsi ?

Nous ne savons pas grand-chose mais nous progressons. Le vide semble n’être pas le néant mais un état provisoire dans lequel aucune énergie ne circule. Les particules sont dans un champ de forces, mais figées. Un détecteur accéléré révèle les vibrations élémentaires du champ que sont les particules, elles sont tapies dans le soi-disant « vide », et ce qui n’est pas rien. D’ailleurs, il reste toujours des fluctuations d’énergie dans le champ « vide ». Sauf que nous ne trouvons nulle part une cause directe de l’existence de ces particules. Les chercheurs savent seulement les faire apparaître en appliquant un champ électrique dans le vide, laissant penser que notre univers est une imbrication complexe de l’infiniment grand à l’infiniment petit et de l’énergie la plus haute à l’énergie la plus basse.

D’ailleurs, analogie humaine : notre cerveau ne pense jamais « à rien ». Même lorsqu’il est laissé à lui-même, il vagabonde, et pas seulement durant le sommeil. Son « mode par défaut » est rempli d’activité, comme s’il « défragmentait » les informations stockées jusque-là. La méditation bouddhiste permet de penser sur ses propres pensées, en évitant l’emballement du zapping, pathologie de plus en plus courante de ceux qui ont un « sentiment de vide » aujourd’hui faute de stabilité suffisante dans leur perception de soi et des autres, ce qui est pourtant la seule façon de nouer des relations humaines.

Nous existons dans le provisoire et l’incertain, mais entièrement. Ne nous prenons donc pas la tête avec ce que nous ne pourrons jamais connaître de part en part. La vie est ici et maintenant, dans un univers limité et durant notre existence limitée. Repousser nos limites est un défi humain sympathique que j’approuve, mais pas dans le délire intello des adjectifs substantivés, du jargon qui pose, ni des affirmations gratuites. Soyons déjà ce que nous sommes, ce sera le maximum du Bien que nous pourrons faire aux autres et à la nature – puisque nous en dépendons.

Catégories : Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Les figures de l’ombre de Theodore Melfi

Les mathématiques ne se trompent jamais ; elles permettent d’expliquer la structure de l’univers et restent un champ d’exploration sans limites pour l’esprit humain. Un esprit également attribué aux femmes et aux hommes, aux Noirs et aux Blancs, aux Russes et aux Américains. C’est le sens de ce film documentaire sur trois femmes noires de la NASA, mathématiciennes entrées dans le programme Mercury et Apollo au tout début des années 1960 par besoins pressants de compétences.

Comme quoi la démocratie invite à l’égalité des chances par l’efficacité des résultats. Dans l’histoire, le capitalisme aussi, jusqu’à une période récente où la spéculation avide a pris le pas sur la gestion économique.

Le documentaire est tiré directement d’un roman de Margot Lee Shetterly intitulé comme le film Hidden Figures et traduit en français sous le titre Les figures de l’ombre. Il évoque les calculatrices humaines afro-américaines Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. Le terme anglais hidden a la même origine que le mot français hideux, mais ce vocabulaire un brin excessif et démagogique du titre n’est pas la réalité. Les calculatrice humaines, noires comme blanches, ont été reconnues par la NASA depuis de longues années et racontées depuis 1990. Le prurit féministe et raciste victimaire pourrit l’esprit américain et fait dévier la vérité vers le mythe que l’on veut croire.

Malgré cet aspect déplaisant, le film retrace avec brio et un certain humour le destin professionnel de ces trois amies qui partent au travail dans une invraisemblable vieille guimbarde bleu turquoise typiquement américaine, aussi lourde qu’une péniche.

Dans les années 1950, l’apartheid règne en maître aux Etats-Unis et les Noirs, qui plus est les femmes, se voient reléguées aux tâches subalternes et sous-payées. Le domaine scientifique est peut-être le seul qui, comme en URSS à la même époque, échappe à l’idéologie. Les calculs sont en effet imparables et ne sauraient être biaisés par les idées ou les préjugés.

Katherine devenue Johnson par second mariage (Taraji P. Henson) a été reconnue dès son lycée comme surdouée en maths. Entrée au Département de guidage et de navigation de la pré-NASA pour vérifier les calculs des ingénieurs à la main, elle est vite promue au Space Task Group après le lancement réussi de Spoutnik 1 pour préparer la course à l’espace. Les Soviétiques ont en effet de l’avance, ayant envoyé en orbite autour de la terre une chienne, Laïka, puis un homme, Youri Gagarine. Les Yankees ont peur que les Soviétiques ne mettent une bombe H en orbite ; il leur faut aller voir et surtout maîtriser les techniques.

Pour envoyer leur premier astronaute américain, John Glenn, il ne faut se priver d’aucun talent. Al Harrison, directeur du projet (Kevin Costner), ne voit que l’efficacité et intègre tous les génies qu’il peut malgré son ingénieur en chef Paul Stafford (Jim Parsons), imbu de sa science de bon élève et socialement blanc guindé. Ce qui donne quelques scènes cocasses où Katherine doit courir 800 m pour aller aux toilettes réservées aux gens de couleur et se voit attribuer une cafetière unique pour ne pas « souiller » celle des autres.

Le directeur Harrison joue le rôle que devrait jouer l’Etat en instance suprême et arbitre entre les talents : il abolit la ségrégation des toilettes (mais la maintient entre hommes et femmes, tout comme les féministes dont je ne crois pas qu’elles réclament leur abolition) et celle de la cafetière ; il introduit Katherine dans les briefings avec l’armée pour l’amerrissage des capsules afin qu’elle puisse calculer en temps réel les trajectoires. John Glenn (Glen Powell) demandera personnellement aux techniciens que ce soit Katherine Johnson qui vérifie elle-même les chiffres calculés par l’ordinateur IBM pour sa première mise en orbite : « Si elle dit qu’ils sont bons, alors je suis prêt à partir ».

Je suis effaré de me souvenir que tous les calculs se faisaient encore à la main et à la règle à calcul durant mon enfance et mon adolescence. L’informatique était balbutiante, très lourde et chère, centralisée et hiérarchiquement organisée, ce qui la réservait à quelques-uns, surtout les militaires. L’installation de l’IBM à la NASA dans le film est un morceau de folklore qu’il ne faut pas rater. Les installateurs de la machine pour les affaires à l’international (International Business Machine) ne savent pas trop comment la programmer pour l’espace et ont du mal avec les connexions. C’est Dorothy Vaughan (Octavia Spencer) qui apprend seule à l’aide d’un livre « emprunté » à la bibliothèque municipale pour Blancs le langage FORTRAN, créé par IBM en 1957, et bidouille l’ordinateur géant qui prend toute une salle, afin de lui faire cracher des données, 24 000 opérations par seconde. Elle pressent qu’avec le progrès technique, les jours des calculatrices humaines sont comptés et que toute son équipe doit se mettre au langage informatique pour s’élever au niveau et survivre. Comme quoi la technique promeut, le progrès matériel permet le progrès humain et social. Vaughan impose son sens de l’organisation et du management d’équipe.

Quant à Mary Jackson (Janelle Monáe), elle a été dans l’équipe de calculatrices Vaughan avant d’obtenir le droit de suivre un cours du soir en mathématiques et en physique pour devenir ingénieur. Elle a dû pour cela créer un précédent dans l’Etat ségrégationniste de Virginie en convainquant un juge de l’autoriser selon la loi fédérale. Elle a été aidée par l’ingénieur en soufflerie aéronautique polonais Kazimierz Czarnecki, qui travaillait avec elle. Lui est rescapé des camps nazis et ne voit pas comment on peut supposer a priori la supériorité d’une race sur une autre ou d’un homme sur une femme.

Au total, un hymne américain à la nation démocratique elle-même, consacrée par l’élection d’un Noir à la présidence. Jusqu’à l’élection du Clown vaniteux comme un paon, en réaction de petit-Blanc outré.

DVD Les figures de l’ombre (Hidden Figures), Theodore Melfi, 2016, avec Taraji P. Henson, Octavia Spencer, Janelle Monáe, Kevin Costner, Kirsten Dunst, Jim Parsons, Glen Powell, 2h01, 20th Century Fox 2017, €8.40 blu-ray €9.41

Catégories : Cinéma, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Macron face au délire de la raison

La France, ce pays qui se croit cartésien, se veut rationnel contre les brumes germaniques, planificateur contre le pragmatisme anglo-saxon et organisé contre le souk méditerranéen. Cette position est légitime. Sauf lorsqu’elle dérape et oublie la mesure.

Voltaire a eu raison de fustiger la superstition et l’arbitraire ; mais nos critiques du soupçon depuis les années 60 ne voient que domination de classe voire Complot mondialisé en tout exercice d’autorité ou tout recours à la tradition. Mélenchon est le porte-parole du Complot plus que tout autre, qui soupçonne toujours une domination des « riches » via… le suffrage universel (évidemment manipulé !)

Les savants ont eu raison d’imposer la méthode scientifique aux illusions et croyances des temps mal éduqués ; mais les savants emportés par la politique ont voulu imposer les départements carrés et les semaines de dix jours au détriment du naturel des reliefs comme des phases des astres, avant d’opter pour le communisme, cette Vérité révélée « scientifique », ou pour le scientisme où le savoir scientifique est considéré comme le guide naturel du peuple. Bien que la science soit un processus cumulatif d’essais et d’erreurs vers une vérité toujours approchée et jamais atteinte, certains affirment et essentialisent – comme si « la Vérité » absolue avait été « découverte » (car jusqu’ici cachée), et ne changera donc jamais plus.

Les économistes ont eu raison de décrire les mécanismes de l’épargne, de la consommation et de l’investissement, de montrer que l’Etat jouait un rôle ; mais les saint-simoniens ont voulu régenter hier la société par la technocratie et les économètres s’enlisent aujourd’hui dans les modèles. Ils font du calcul la seule valeur du réel et de la production intérieure brute (PIB) la seule mesure du bonheur.

Les banquiers ont eu raison d’introduire les mathématiques dans leurs activités, de la comptabilité en partie double dès la Renaissance jusqu’aux calculs de risques en Black & Scholes pour évaluer le coût d’assurance ; mais les traders français, renommés dans le monde entier pour leur formatage mathématique ès écoles, gèrent les hedge funds comme des jeux vidéo. Entièrement immergés dans le virtuel, ils inventent des « machins » sur des abstractions totales comme hier Fabrice Tourre chez Goldman Sachs, ou jonglent avec les milliards comme Jérôme Kerviel à la Société générale sans penser une seconde qu’il existe derrière l’argent des gens réels qui pâtissent des erreurs.

Les profs ont eu raison d’organiser l’éducation pour le citoyen dès la IIIe République (sur le modèle prussien), de vouloir l’égalité des chances et d’offrir dans les campagnes ou les banlieues les plus ignorées une formation égale pour tous ; mais l’école d’aujourd’hui, centralisée, égalitariste, offre le même nombre de cours à chaque élève, la même dotation horaire à chaque établissement, les mêmes profs interchangeables à n’importe quelle classe, en banlieue illettrée comme dans les beaux quartiers cultivés, le même programme inatteignable – sauf aux enfants sages… qui ne sont qu’idéaux platoniciens du ciel des idées.

Tous ces exemples sont des dérives de la raison :

  • de la critique légitime au soupçon perpétuel ;
  • de la rationalité scientifique au scientisme ;
  • d’une science humaine à la comptabilité abstraite ;
  • de la gestion des capitaux aux instruments virtuels qu’on ne comprend même pas soi-même ;
  • de l’éducation à l’emboutissage égalitariste pour la seule convenance de la corporation.

Toutes ces dérives ont des conséquences humaines. De la paralysie à l’abstraction, du délire dans l’imaginaire à l’explosion des inégalités :

  • les intellectuels français ont rétréci en intello-médiatiques ;
  • les savants en spécialistes enfermés en tour d’ivoire ;
  • les économistes en communicants perpétuels de ce qu’il aurait fallu faire ;
  • les banquiers en spéculateurs hors contrôle pour leur propre compte ;
  • les profs en caste préoccupée de « moyens » à leur avantage, plus que des élèves tels qu’ils sont, de leurs rythmes et de leurs besoins différenciés…

Le rationnel est bénéfique, le rationalisme est un délire mental. Or tout est lié en mentalité.

La France a fait de la remise en cause du donné, dans les années soixante, sa croix et sa bannière : il fallait soupçonner pour rétablir la vérité. Mais le soupçon s’est infecté de social-politique et désormais tout ce qui est classique est connoté d’une valeur de classe. D’où l’abandon de la sélection par le latin, la dissertation, l’orthographe ou le vocabulaire : tout cela sent le bourgeois, le nanti, le blanc, le bien-pensant catholique ! Reste quoi ? Les mathématiques, bien sûr : abstraites, neutres, quantifiables, elles offrent le confort de notations vérifiables et d’évaluations incontestables (…quand les énoncés sont écrits en français correct, ce qui n’est pas toujours le cas, vu l’illettrisme de la profession et le filet très bas des notes aux concours de profs !).

La sélection par les maths forme des têtes raisonneuses, pas des têtes chercheuses. Si elles peuvent être bien pleines, elles se trouvent rarement rarement bien faites. Les bons élèves donnent des ego surdimensionnés, sûrs d’eux-mêmes et dominateurs… mais impuissants à réparer un évier bouché, à prévoir le temps demain, à écouter le subalterne ou – pire – à négocier pour agir avec les autres. Alors le citoyen, le salarié, l’élève, deviennent la « variable d’ajustement ». Cela donne des :

  • Alain Badiou, intello pour qui yaka supprimer la démocratie et instaurer la dictature des intellos. Beaucoup de technocrates pensent pareil sous le manteau.
  • Jack Lang qui, n’ayant jamais peur des mots, voyait en Mitterrand le passage de l’ombre à la lumière ; notez que le PS a récidivé en voulant créer une nouvelle civilisation – rien que ça.
  • Alain Minc pour qui yaka faire payer les malades sur leur patrimoine.
  • Alain Juppé, droit dans ses bottes, pour qui il n’y avait jamais qu’une seule solution – évidemment technique – à tous les problèmes.
  • Ségolène Royal, télévangéliste quaker du politiquement correct et du socialement acceptable, qui victimisait à tout va et sourit à la caméra sans que jamais le rire ne naisse derrière les dents.
  • Jérôme Kerviel, trader, pour qui yaka transgresser les règles puisque tout le monde le fait.
  • Fabrice Tourre qui invente des machins qu’il ne comprend pas lui-même (il l’avoue dans un mail) – mais qui rapportent gros (surtout quand lui-même spécule contre).
  • L’acharnement thérapeutique pour garder en « vie » des années un cadavre végétatif comme Vincent Lambert ;
  • L’acharnement médiatique à « retrouver » des boites noires d’Airbus plus d’un an plein après la catastrophe ;
  • L’acharnement judiciaire à refaire le progrès du petit Gregory, une génération après (à quand le procès du traître qui a vendu Vercingétorix ?) ;
  • L’acharnement mémoriel à ressasser encore et toujours les mêmes « péchés » de colonialisme, d’impérialisme, de pétainisme ;
  • L’acharnement théorique à construire le « plus grand » accélérateur de particules du monde pour un coût pharamineux, ou le réacteur expérimental ITER au prix d’une immobilisation de moyens et de dégâts environnementaux inouïs, ou l’EPR de Flamanville, jamais au point, affecté de normes toujours plus « sûres » – à quel prix ?
  • L’acharnement impérial à « intervenir » partout sur la planète – au Mali, en Syrie, en Libye, en Irak, en Centrafrique, en Somalie (et en France même !) – sans en avoir les moyens militaires et en budget de plus en plus contraint !
  • Les syndicats de profs pour qui yaka mettre toujours plus de moyens, payer plus de salaires, embaucher plus de personnel et traiter tout le monde pareil (SNES) – non pour des raisons raisonnables (démocratiques) mais pour qu’il n’y ait pas de jaloux… parmi la corporation fermée des profs ! Et les élèves ? quoi les élèves ? ils ont à subir l’éducation, non ? D’où le retour à la semaine de 4 jours pour bien fatiguer les petites têtes – mais donner un jour de vacances complètes aux instits et autres profs. Contrairement à ce que font les pays européens apaisés avec leur jeunesse.

Ce ne sont que quelques exemples dont les rapports de la Cour des comptes ou du Sénat sont remplis… Toujours plus, toujours plus pareil, toujours plus abstrait ! J’veux voir qu’une tête, scrogneugneu !… Formatage idem et portion congrue égalitaire forment l’identité française. Bonapartisme et caporal-socialisme forment le lait et le miel de la gent gauloise, volontiers bordélique. Et surtout ne changeons rien, on est tellement content de nous en France…

Il y a bien une exception française : le délire de la raison. Une maladie mentale, ne croyez-vous pas ?

Les électeurs ont viré le bonapartiste Sarkozy, puis le social-moraliste Hollande. Ils ont élu le ET droite ET gauche Macron, pour le meilleur et pour le pire – en tout cas pour 5 ans. Sera-t-il :

  • social-bonapartiste (mais ce serait plutôt le modèle Valls) ?
  • caporal-démocrate (à la Delors, mais un peu ancien) ?
  • paternaliste-démocrate (à la De Gaulle, mais avec les formes « participatives » de la nouvelle com’) ?
  • ou va-t-il inventer enfin la « présidence normale », celle qui est prévue par les textes de la Ve République et que les Français attendent ?

Il lui faudra alors dompter la raison en délire de ses fonctionnaires, éduquer les média pressés et peu lettrés qui ne retiennent qu’une seule phrase sur tout un discours, convoquer le bon sens citoyen, faire participer les civils aux expertises, ajuster les yeux diplomatiques au ventre de plus en plus plat militaire, remettre à leur place les technocrates – en bref faire comme tous les autres pays européens démocratiques, mais qui apparaît si étonnant en France !

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Bernard Maris, Keynes ou l’économiste citoyen

bernard maris keynes
En hommage à Bernard Maris, assassiné par les cancres qui ont cru se grandir en tuant aussi le Grand Duduche.
Cette note est parue en décembre 2008 sur Le blog boursier (reprise avec autorisation).

Keynes revient à la mode après avoir été usé par les technocrates avides de régulation d’Etat. Sa ‘Théorie générale’ est d’un abord difficile, destinée aux spécialistes, et est dite « dépassée » par le triomphe des économistes monétaristes. Bernard Maris, professeur d’économie, prouve qu’il n’en est rien. En une rapide synthèse qui se veut ‘totale’, embrassant l’homme tout entier et pas seulement les œuvres mathématisées reconnues par les spécialistes, Maris brosse un portrait d’honnête homme qui est un monument de « civilisation ». Oui, Keynes était libéral ; il aimait si peu Marx et ses certitudes métaphysiques qu’il « comparait l’intérêt de ses écrits à celui du Coran » p.88 ; son vrai modèle était Montesquieu (p.80), phare libéral des Lumières.

Bernard Maris a un tempérament positif, truculent, joyeux ; il veut les hommes intelligents et heureux, orientés vers le bien collectif. Cette gaieté provocatrice est celle de Keynes et il sait nous la faire partager. En 5 chapitres, il déploie le personnage dans son œuvre de magistrale façon. On ne peut comprendre Keynes l’économiste sans se référer aux mathématiques probabilistes, mais aussi aux artistes de Bloomsbury et à la psychologie de Freud. Elève brillant, mathématicien hors pair, il est ‘immoraliste’ à la Gide, fraternel, libéré, non conformiste (homosexuel et féministe) ouvert aux idées neuves. Ami de Virginia Woolf, du peintre Duncan Grant, de l’écrivain Lytton Strachey, du philosophe George Edward Moore, il entre au Civil Service, fan de voyages, spéculateur en bourse pour son propre compte, et écrit un traité de probabilités, avant de se lancer dans le pamphlet sur ‘Les conséquences économiques de la paix’ (1919). Avec un brin de mauvaise foi mais conviction : tout comme Bernard Maris.

« Il voit les deux murs que la science économique ne saura jamais franchir : le temps (le futur, l’avenir, l’incertain) et la psychologie des hommes » p.16. Pour Keynes, « les motifs irrationnels et pulsionnels pour la détention d’argent appartiennent à une régression infantile : la monnaie est conservée pour elle-même, comme symbole. A cette régression des individus peut correspondre un état pathologique de la société, la dépression » p.29. Le désir d’argent pour l’argent « explique le caractère ‘inachevé’, insatiable, infantile, du capitalisme. Le capitalisme n’existe qu’en grandissant. Il est un système immature et transitoire » p.31 Keynes préférerait une société stationnaire, apaisée, à la population contrôlée, dont la préoccupation serait celle des arts et de la culture. Les adeptes de la ‘décroissance’ peuvent le récupérer pour passer d’une société ‘chaude’ à une société ‘froide’, selon la terminologie de Lévi-Strauss. « Pour Keynes, le taux d’intérêt (« la productivité de l’argent mesurée en termes d’argent ») est un indice de la peur du futur couplé avec le privilège rentier que donne la possession d’une liquidité rare. L’intérêt n’a aucune justification économique » p.35. Entreprendre, spéculer, ou accumuler le capital sont d’excellentes sublimations de la libido, dit-il « Ils aimeraient bien être des Apôtres… Ils ne peuvent pas. Il leur reste à être des hommes d’affaires » p.37 Tout le monde n’a pas les capacités à être artiste ou savant ; les autres entreprennent, ou se contentent, quand ils ne peuvent même pas, de spéculer ou, pire, de vivre assistés par des rentes – qu’elles soient monétaires ou de situation. Keynes, féru de cité antique, préférait avant tout les premiers aux derniers. Entrepreneurs et spéculateurs sont utiles, ils « jouent avec le futur, activité qui terrorise la majorité de la population, qui se situe plutôt du côté des rentiers, des prudents, de ceux qui n’ont pas (…) d’abondante libido » p.38. Mais les artistes et les savants poussent l’humain dans son incandescence.

L’incertitude sur le futur est à la racine de l’économie selon Keynes. Le risque est calculable par les probabilités (bien qu’à « long terme, nous soyons tous mort » avait-il coutume de persifler ceux qui actualisent « à l’infini ») ; l’incertitude, en revanche, n’est pas probabilisable : la roulette ou l’espérance de vie sont calculables, pas le prix du cuivre dans 20 ans ou l’essor d’internet. Les individus réagissent à cette incertitude radicale par diverses attitudes : la fuite, la confiance et la convention. La fuite est la thésaurisation par peur de manquer (« les Français des années 30 »). La confiance est matérialisée par la valeur de la monnaie. La convention est la croyance qu’aujourd’hui se poursuivra demain et que la foule aura toujours raison. « Il faut donc deviner ce que va faire la moyenne des boursiers et anticiper d’un cheveu avant que la moyenne n’agisse » p.53 Les comportements mimétiques sont rationnels en situation d’incertitude radicale : « que faire dans un groupe perdu dans la forêt amazonienne, sinon suivre le groupe ? » p.54 En cas de crise « qui peut rétablir la ‘confiance’ ou la ‘convention’ ? L’autorité. (…) Monétaire et bancaire notamment, qui doit soutenir l’activité ou la monnaie. (…) La politique économique keynésienne consiste à contenir le marché, ce marché-foule capable des pires excès ou, au contraire, des pires frilosités » p.56 Autrement dit rétablir la liquidité quand il n’y a plus aucun acheteur ni vendeur (comme en septembre 2008).

Ni Marx, ni Walras, « Keynes n’accepte ni l’hypothèse d’une fatalité historique ni celle d’un idéal marché de concurrence, car l’incertitude et les phénomènes collectifs enveloppent les décisions individuelles » p.62 Si la crainte d’accumuler par peur de l’avenir est enfin dépassée (et c’est là le rôle du politique, si faible en France depuis 1914, sauf durant la décennie gaulliste…) « alors on peut envisager une soumission de l’économie à la société, (…) au-delà (…) d’une croissance durable ou soutenable, une ‘croissance intelligente et civilisée’ où, les besoins vitaux étant largement satisfaits, l’humanité pourrait précisément se consacrer aux humanités… » p.62

Passons sur le chapitre L’économie de Keynes, qui n’est pas le meilleur de Bernard Maris, cédant trop facilement aux équations plus qu’aux explications, sans ajouter à la clarté. « Retenons », comme dit parfois l’auteur, sentant bien qu’il a erré : le multiplicateur permet à l’investissement de faire des petits et de se diffuser dans toute l’économie ; une politique keynésienne doit être globale et collective ; l’argent est fait pour circuler, faute de quoi il ne sert pas d’instrument d’activité ; donc l’épargne ne joue pas de rôle moteur ; une régulation mondiale de l’économie serait préférable à la concurrence déflationniste qui pousse la productivité vers le haut et les prix vers le bas, au bénéfice de personne. « Mais toute cette technique de la politique économique (la cuisine budgétaire, (…) monétaire) n’est que le petit bout de la lorgnette d’une grande vision » p.85. Le « maître en économie », dit Keynes, « doit être mathématicien, historien, homme d’Etat, philosophe à certain niveau. Il doit comprendre les symboles et parler en mots » p.87.

En effet, Keynes voyait l’économie comme une science, mais humaine. « Keynes n’a jamais admis d’utiliser le concept de loi de la manière dont peuvent l’utiliser les physiciens : l’avenir économique (…) n’existe que dans le jugement actuel des hommes » p.91. Voilà un John Maynard Keynes ravivé et décidément moderne ! C’est le grand mérite de ce petit livre… toujours disponible !

Bernard Maris, Keynes ou l’économiste citoyen, 2007, Presses de Sciences Po, 102 pages, €10.50

Catégories : Economie, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Michel Onfray, Les sagesses antiques

michel onfray les sagesses antiques contre histoire 1
Égal à lui-même Michel Onfray, qui avait 9 ans en 1968, est de cette génération (la mienne) dont le nombre et l’énergie a bouleversé le vieux monde bien plus que les guerres stupides et revanchardes des vieux. Car, à l’origine de ces guerres et de leurs défaites successives était la pensée unique impérieuse, hiérarchique, machiste, venue de la Bible et de Platon, reprise avec avidité par les scolastiques chrétiens et les jacobins marxistes contre le paganisme et son hédonisme du bien vivre.

Michel Onfray est de sa génération, pour le meilleur et pour le pire.

  • Le meilleur est sa clarté de langage, à peine teintée du jargon obligatoire de la profession ; il est supérieur encore à l’oral, on peut le réécouter en CD durant des heures.
  • Le meilleur est sa curiosité pour les oubliés, les mineurs, les cachés sous le tapis par la doxa régnante.
  • Le meilleur est sa quête des fragments et des généalogies. Ce pourquoi il plaît tant à sa génération qui se presse à l’Université populaire de Caen et achète par milliers son abondante production livresque.

Mais comme nul n’est parfait en ce monde-ci, et que le monde idéal des idées pures n’est qu’une invention du ressentiment, Michel Onfray a aussi ses défauts – ceux de sa génération : il est parfois léger, souvent caricatural, adorateur des polémiques. Rien de tel pour faire passer une idée que de ridiculiser ses adversaires. Ce que fit Platon, puis les Chrétiens puritains pour les auteurs qui ne répondaient pas à leurs croyances, Onfray le fait avec les officiels : tous ceux qui ont pignon sur rue sont à déboulonner (Platon, Hegel, Freud, Sartre…). Mais l’assaut des Bastilles ne suffit pas en soi pour rétablir le vrai, le naturel, le bon.

Tout n’est pas à jeter chez Platon, ni dans le christianisme ou le marxisme, malgré tout. De même, tout n’est pas bon à prendre chez Démocrite, Aristippe, Diogène, Épicure ou Lucrèce, auteurs présentés entre autres dans cet opus 1 de la Contre-histoire. Il y a de l’excès soixantuitard chez ce philosophe sorti du peuple, élevé chez les curés, et qui a réussi une thèse dans le système universitaire sans jamais s’y sentir chez lui.

Il n’est pas encore Enfant, Michel Onfray, cet enfant de Nietzsche qui est « innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un ‘oui’ sacré (…) pour le jeu de la création ». Il a quitté la condition de chameau qui ploie sous l’obéissance, Onfray, pour acquérir celle du lion qui se révolte et rugit, se rend « libre pour des créations nouvelles », mais « créer des valeurs nouvelles – le lion ne le peut pas encore » (Ainsi parlait Zarathoustra – Des trois métamorphoses). Il reste dans l’assaut et la rébellion, Michel, adolescent soixantuitattardé, et cette Contre-histoire le manifeste pleinement. Ainsi sur Platon : « En interdisant aux hédonistes de défendre leur thèse, en leur prêtant une inconsistance théorique a priori, en les caricaturant, en les enfermant dans des pièges rhétoriques fabriqués sur mesure, en ne reconnaissant pas la grandeur, l’excellence et la qualité philosophique de ses interlocuteurs, en les réduisant à des personnages ridicules, en usant de sophistiqueries mises au point pour des combats falsifiés et gagnés d’avance, Platon montre un visage bien différent de ce que la tradition rapporte » p.161.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Avec la conscience de ses limites, découvrons ces auteurs oubliés, dissimulés par la philosophie dominante imposée par la religion dominante sur les siècles, dont le relai a été pris après Hegel par l’archipel marxisant ou heideggerien.

Le propos de Michel Onfray est d’opposer (facilité pédagogique un peu lourde) les tenants de l’au-delà à ceux d’ici-bas, ceux qui préfèrent le monde pur de l’âme et des idées abstraites et mathématiques à ceux qui préfèrent la pensée incarnée, incorporée, matérielle. Les premiers sont puritains par dégoût de leur existence et des gens qui les entourent, volontiers impérieux et aristocratiques, méprisant les jouisseurs et les humbles, dominateur tout entier tournés vers la pureté de l’ailleurs. Les seconds sont tout entier au présent, dans leur corps matériel, hédonistes sans êtres jouisseurs, amoureux sans être pourceaux, bien dans leur être et bien avec les autres, en harmonie avec le monde et philosophant sur le bien-vivre.

Ainsi Démocrite : « Il s’agit donc de ne pas désirer n’importe quoi ni n’importe comment et de ne pas viser n’importe quel type de plaisir. Ceux qui aliènent, momentanément ou durablement, sont à éviter. Pas d’intempérance, pas d’excès, pas de démesure, pas d’abandon aux pulsions animales, le plaisir ne se réduit pas à la trivialité d’une animalité débridée, mais à la sculpture de soi et à la construction de son autonomie. Seule et authentique jubilation : prendre plaisir à soi-même » p.72. Nous sommes loin du « tout, tout de suite » et de la baise frénétique en réponse à tout désir des aînés 1968. Tout n’est pas permis et il n’est pas interdit d’interdire. Les délires de l’orgie ou des drogues, comme ceux de la finance, sont autant exclus de cette sagesse tempérée – car son objectif est le bonheur.

Avec un message utilitaire pour aujourd’hui : « Se changer plutôt que changer l’ordre du monde, l’idée deviendra formule sous la plume de Descartes : elle triomphe dans le projet épicurien. Quand le monde s’effondre, lorsque la culture ancienne disparaît, aux heures du crépuscule, les aurores s’annoncent : l’épicurisme s’épanouit dans une époque en ruine. La construction de soi comme seule et unique réponse à la désintégration d’un monde… » p.186. Michel Onfray se verrait bien aujourd’hui comme Épicure au déclin de l’empire romain : en guide hédoniste du chacun pour soi parmi les autres.

A moins que Lucrèce ne l’emporte, lui qui a mis au jour « une idée redoutable, simple et vraie : la religion, le religieux, naissent de l’inculture et du manque de savoir. Le croyant se satisfait de la foi car il ignore. Le sacrifice aux divinités, aux mythes, aux illusions, procède d’un défaut d’informations sur la véritable cause de ce qui advient (…) Quand le clergé domine, l’intelligence régresse » p.283. La génération 68 a méprisé le savoir, honni le travail, refusé d’apprendre – la conséquence aujourd’hui est le retour des religions et des croyances, l’âge venu, quand ceux qui avaient 20 ans en 68 en ont aujourd’hui 66 – le chiffre de la Bête – ayant peur de tout, des autres et du monde, et de la mort au bout. Ils quêtent névrotiquement protection, assistance, érigent en principe la précaution appliquée à toute chose. Quitte à renier la liberté et son individualisme pour se jeter dans les bras armés des imams et des curés, des fonctionnaires – et des politiciens qui prônent un État fort.

Intéressant Michel Onfray : facile à aborder, à écouter et à lire ; plus profond qu’il ne s’affiche, un rien secret. Et qui fait réfléchir sur notre époque du Tout et du N’importe quoi.

Michel Onfray, Les sagesses antiques – Contre-histoire de la philosophie t.1, 2006, Livre de poche 2007, 351 pages, €7.10
Michel Onfray, La contre-histoire de la philosophie, coffret 12 CD, Fremeaux et associés, €79.99, volume 1 L’archipel préchrétien

Catégories : Livres, Philosophie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Lorsque Flaubert vomit l’école

Encore une rentrée des classes… Blues d’automne.

La quête adolescente, l’incertitude sur soi, la peur de s’engager ne datent pas d’hier. Mais en quoi l’école y aide, qu’elle soit « instruction publique » ou « éducation nationale » ? Il suffit de lire la correspondance de nos grands auteurs pour mesurer son insignifiance. Flaubert tout particulièrement qui, voici presque deux siècles, avait le regard aigu sur lui-même et sur la société de son époque et son pays. La vanité sociale, la prison aride du collège, la petitesse française, l’évasion chez Homère et Montaigne – comme tout cela reste de notre temps !

Une société victorienne :

15 ans – Flaubert est amoureux platonique depuis ses 14 ans de la belle Élisa Schlesinger mais le collège contraint tous les désirs. Il les rabat vers les semblables quand la mixité n’existe pas à l’adolescence : « Continuité du désir sodomite, 1er prix (après moi) : Morel. » p.26

19 ans – « Je hais l’Europe, la France mon pays, ma succulente patrie que j’enverrai volontiers à tous les diables, maintenant que j’ai entrebâillé la porte des champs. Je crois que j’ai été transporté par les vents dans ce pays de boue, et que je suis né ailleurs, car j’ai toujours eu comme des souvenirs ou des instincts de rivages embaumés, de mers bleues. » p.76

Une société hypocrite :

16 ans – « Eh bien donc je suis parvenu à avoir la ferme conviction que la vanité est la base de tout, et enfin que ce qu’on appelle conscience n’est que la vanité intérieure. Oui, quand tu fais l’aumône il y a peut-être impulsion de sympathie, mouvement de pitié, horreur de la laideur et de la souffrance, égoïsme même, mais plus que tout cela tu le fais pour pouvoir te dire : je fais du bien, il y en a peu comme moi, je m’estime plus que les autres… » p.35

21 ans – « Être en habit noir du matin au soir, avoir des bottes, des bretelles, des gants, des livres, des opinions, se pousser, se faire pousser, se présenter, saluer, et faire son chemin, ah mon Dieu ! » p.98

Une éducation chiourme :

17 ans – « Ah nom de Dieu, quand serai-je quitte de ces bougres-là ? Heureux le jour où je foutrai le collège au diable. » p.48 Bougre et foutre sont des expressions de sexe. Le sexe est l’une des seules impulsions non contrôlées qui libère des carcans bourgeois et victoriens. Qui aurait dit que mai 68 était déjà contenu dans l’élan du jeune Flaubert ?

« A une heure je vais prendre ma fameuse répétition de mathématiques (…) mais n’entends rien à cette mécanique de l’abstrait et aime bien mieux d’une particulière inclination la poésie et l’histoire qui est ma droite balle. » p.54 La mathématique est exercice de raison pure. Flaubert, comme tous les gentlemen, est tout d’équilibre : raison oui, mais pas sans passions ni instincts. Le calcul seul aboutit à la neutralité inhumaine, aux délires de la raison pure et aux comportements administratifs dont on a vu l’ampleur dans la gestion des camps nazis et staliniens.

19 ans – « Il veut se faire recevoir agrégé de grammaire et il apprend les verbes composés et la syntaxe. J’aimerais mieux un lavement ! même quand on y aurait mis de la graine de lin. » p.65 Ou comment l’éducation nationale peut faire haïr la littérature en glosant à l’infini sur la seule logique des phrases et les subtilités lacaniennes de la « linguistique ». Comme s’il ne fallait pas d’abord goûter la lettre, apprécier la beauté des évocations… Misère du prof qui n’enseigne que parce qu’il est incapable de créer lui-même. Tous ne sont pas comme ceux-là mais il y en a tant !

Le refuge auprès des anciens :

17 ans – « Mais je me récrée à lire le sieur de Montaigne dont je suis plein, c’est là mon homme. » p.52 Montaigne, ou l’introspection sous la houlette des antiques, à sauts et gambades, dans l’exubérance d’une joyeuse nature tempérée.

21 ans – « Homère est beau comme la Méditerranée : ce sont les mêmes flots purs et bleus, c’est le même soleil et le même horizon. » p.94 Bien loin de la France morose où le ciel gris, par-dessus les toits, met sa chape de laideur bourgeoise, conventionnelle, contrainte.

A méditer pour les adjudants de vertu éducative et les adeptes experts du formatage scolaire. Pourquoi donc tous les grands Français ont-ils vomi le collège ? Et pourquoi tous ceux qui s’y sont senti bien, parfaitement adaptés, « excellents élèves » jugés par leurs maîtres, sont-ils devenus ces technocrates conformes et sans âme, ces machines fonctionnaires obéissantes et glacées, sûres d’elles-mêmes et de leur pouvoir de caste ?

Y aurait-il une « erreur » de programme dans le logiciel scolaire français ?

Gustave Flaubert, Correspondance 1830-1851, tome I, édition Jean Bruneau, La Pléiade, Gallimard 1973, 1232 pages. 

Catégories : Gustave Flaubert, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,