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John Maddox Roberts, La République en péril

Le titre américain est nettement plus clair que le titre français : La conjuration de Catilina. Mais qui connaît encore Cicéron et apprend le latin dans notre inéducation « nationale » ? L’auteur de Conan le valeureux, américain de l’Ohio qui est décédé en 2024 au Nouveau-Mexique, fait de l’histoire romaine des romans historiques, sous le sigle SPQR. Mais qui sait traduire encore ce sigle, comme le INRI au-dessus des croix ? Senatus Populusque Romanus est du latin et désigne Rome en son Sénat et son peuple. Mais qui sait encore que le Sénat romain est l’organe suprême de gouvernement de l’Urbs, conseil souverain de 300 à 600 hommes ayant déjà obtenu une charge élective au moins une fois dans leur vie, et chargé surtout de la politique étrangère et de nommer les généraux ? C’est dire combien on révise (ou on apprend) de choses utiles dans ce divertissement sous forme qu’enquête policière (il y a même un lexique des termes romains dans leur jus à la fin).

Car il y a meurtres. Des gens de l’ordre équestre, sont tués au poignard ; ce sont des « chevaliers », autrement dit des bourgeois assez riches pour se payer un cheval et des armes. Ils sont les aisés de la classe moyenne, ils sont banquiers, percepteurs, financiers : en bref tout ce que déteste le peuple durant toutes les époques, toujours porté à dépenser dans les « fêtes » avant même de « penser » à produire et gagner. Le jeune questeur Décius Cécilius Métellus le Jeune, en début de trentaine, enquête ; il a été élu pour un an questeur, chargé de la gestion des deniers publics. Nous sommes en -63 et Cicéron, l’avocat, est consul – magistrat suprême de la République. Il a battu Catilina aux élections, et ce dernier, un noble, tourne casaque, se posant – comme un socialiste de nos jours – en défenseur du peuple contre les élites. Toujours la démagogie…

Ce n’est pas difficile de profiter de la conjoncture pour imposer son pouvoir personnel au nom de l’intérêt « général ». « Bien que Rome et l’empire fussent de plus en plus riches, le nombre de pauvres n’avait jamais été si grand. Certains croulaient sous les dettes, sans espoir d’un avenir meilleur. Des esclaves à vil prix inondaient le marché du travail et même les bons artisans avaient du mal à joindre les deux bouts » p.240. Hier comme aujourd’hui, les pauvres ont été mal éduqués par la massification scolaire, peu poussés à travailler par le coût du travail et les diplômes sans cesse plus élevés exigés, endettés sous le prix des loyers et des maisons, et concurrencés sur les petits boulots par un flot ininterrompu d’immigrés à bas salaires. La tentation du recours à l’homme fort était et est encore toujours forte ; lui fera ce que les parlotes parlementaires et la petite cuisine des partis ne parvient pas à faire : appliquer brutalement les yakas qui paraissent aller de soi. D’où l’intérêt des livres : ils nous montrent en imagination ce qui peut arriver. Cela se passait ainsi, à Rome comme cela se passe aussi chez nous… sauf la massive redistribution sociale qui crée la Dette malgré les énormes prélèvements obligatoires.

Décius ne tarde pas à découvrir une cache d’armes sous le temple même de Saturne, puis des « barbus », jeunes de bonne famille et rebelles suspects. Tout en informant son chef de famille élargie (la gens), il informe aussi le consul Cicéron, qui le connaît pour avoir mis au jour d’autres complots. Il le charge de s’infiltrer parmi les conjurés pour connaître l’ampleur de la sédition. Catilina l’a à la bonne, il juge Décius plus intelligent que la tourbe émotive à courte-vue qui l’entoure. Il prépare une insurrection avec la fortune de Crassus (qui lui fait croire qu’il est avec lui en attendant de voir le vent tourner). Il ne s’agit pas moins que d’organiser la révolte en plusieurs province, dont la Gaule, et de provoquer des incendies à Rome même, la hantise des habitants aux maisons de bois trop serrées – le pire crime pour un Romain.

Pompée connaît peut-être le complot et attend son heure pour en profiter. Une fois l’insurrection déclenchée, les tribuns Népos et Bestia, acquis à sa cause, rédigeraient une loi pour que Pompée revienne d’Asie et que lui soit décernés les pouvoirs extraordinaires. Mais Cicéron veille, il divise les armées tout en prononçant ses (devenues) célèbres Catilinaires. Décius va s’engager, combattre, assister aux derniers instants de Catilina, « un homme qui n’accepta jamais son manque de grandeur et qui ne fut qu’un jouet entre les mains de plus puissant que lui » p.265.

John Maddox Roberts, La République en péril (The Catiline Conspiracy), 1991, 10-18 2005, 278 pages, occasion 2,15

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Robert van Gulik, Le squelette sous cloche

Le juge Ti est un mandarin chinois, juge de district dans la hiérarchie des fonctionnaires de l’empire T’ang. « Ti Jen-tsié » est devenu « Di Renjie » dans la nomenclature anglo-saxonne – donc évidemment internationale. Mais restons francophone : le juge Ti a réellement vécu de 630 à 700 de notre ère, sous nos derniers Mérovingiens, rois fainéants dont le fameux roi Dagobert « qui a mis sa culotte à l’envers ». En Chine, on est plus évolué et la Justice est déjà exercée à la façon de Sherlock Holmes par les juges flanqués de leurs assistants, avec des éléments de médecine légale du Contrôleur des décès. Rendu célèbre par les affaires résolues, Ti est devenu Ministre de la Cour impériale sous l’impératrice Wou, et les lettrés chinois en ont fait leur modèle pour les romans policiers. Robert van Gulik, diplomate néerlandais décédé à 57 ans d’un cancer du fumeur en 1967, parlait le javanais, le malais, le chinois, le japonais, l’anglais – en plus du néerlandais. Sinologue et affecté dans des missions en Asie, il a publié dès 1948 des romans policiers inspirés de la vaste littérature chinoise ancienne, reprenant le juge Ti comme personnage.

En 668, le juge Ti vient d’être nommé dans la petite ville (fictive) de Pou-yang, sur les bords du Grand canal de Chine qui relie Pékin à Hangzhou. Une voie commerciale qui permet la prospérité aux commerçants et des communications faciles aux trafiquants de sel (pour éviter la taxe impériale). Il n’est pas sitôt installé que trois affaires requièrent sa vigilante attention. Le viol suivi de meurtre de la jeune fille d’un boucher, le mystérieux enrichissement depuis deux ans du monastère bouddhiste, et une plainte pour meurtre et harcèlement de la part d’une femme qui cherche la justice depuis vingt ans.

Le juge Ti n’est pas religieux, et il se méfie des « croyances ». En bon confucéen, il est moral et rationnel ; il croit en la logique et en la justice. Fonctionnaire, il obéit à ses supérieurs, mais surtout à la Loi. De façon habile, on le verra. Ti est assisté de ses fidèles, qu’il a connu au fil des années et qui se sont attachés à lui : le sergent Hong Liang, conseiller qu’il connaît depuis l’enfance ; Tao Gan, ancien escroc sauvé par le juge et fin connaisseur des procédés de duperie, y compris le déguisement ; Ma Jong et Tsiao Taï, anciens bandits appelés « chevaliers des vertes forêts » selon la poétique chinoise, experts en boxe et arts martiaux et bons connaisseurs de la faune des bas-fonds. Il n’en faudra pas moins pour démêler les embrouilles et manipulations des uns et des autres.

Les trois affaires ne sont pas liées, mais simultanées, comme c’était le cas quotidien des juges dans l’ancienne Chine, dit l’auteur. Celui-ci se délecte à décrire les coutumes, vêtements, mangeaille et autres traditions d’époque, ce qui rend pittoresque ses enquêtes. Dans le cas de la fille Pureté-de-Jade violée, son petit ami Wang, étudiant candidat aux Examens littéraires, est accusé à tort, les traces d’ongles trouvés sur le cou de la victime nue et la corde de tissu ramenée dans la chambre au deuxième étage le prouvent ; dans le cas du monastère de l’abbé Vertu-Spirituelle, sa richesse vient des dons de femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants, qui viennent y prier la déesse Kouan-yin, déesse de la charité réincarnée 33 fois, et qui repartent souvent enceintes… de plusieurs jeunes moines surgis dans la même nuit malgré la porte scellée ; dans le cas de la femme Lin, à moitié folle, un rouleau de documents rappelle l’histoire de sa famille et les procès successifs intentés à la riche famille rivale, autrefois très amie, qui a réussi à ruiner et à tuer tous ses fils, filles et petit-enfants.

Le juge Ti fera la justice, aidé des sbires du tribunal, des notables de la cité, et des mendiants du cru, aidé aussi de jeunes putes de la campagne vendues par leurs parents à l’âge nubile, nommées Abricot et Jade-Bleu, qu’il aide à s’en sortir puisqu’elles l’aident à confondre les bouddhistes dépravés. Les vrais coupables seront confondus, attrapés et jugés, condamnés à mort selon les supplices prescrits par la loi. Le juge Ti n’hésite pas à lui-même se déguiser pour en savoir plus, et à manier les poings ou l’épée contre les malfrats dans le feu de l’action.

La cloche fait référence au piège que l’un des protagonistes a tendu au juge et à ses assistants dans un temple abandonné qui jouxte sa demeure près du grand canal. Lors d’une fermeture de monastère, on descend la cloche pour éviter qu’elle ne tombe. Sauf que, dans ce cas précis, le juge a découvert un squelette dessous, avant d’y être lui-même enfermé. Il ne devra qu’à son astuce et à l’aide de ses affidés, de s’en sortir et de confondre le puissant marchand fraudeur et criminel qui a voulu sa disparition après avoir intrigué dans les hautes sphères pour qu’il soit muté.

Du beau, du bon, du bonnet noir carré à ailes de soie, insigne des juges. Entre Sherlock Holmes et Agatha Christie, une détection juste qui réhabilite l’intelligence de la Chine. Malgré l’ancienneté de leur parution, il ne faut pas se priver des enquêtes du juge Ti. « L’homme est peu de choses, la justice est tout », résume la calligraphie offerte par le ministère des Cérémonies et des rites au juge pour son succès.

Robert van Gulik, Le squelette sous cloche – Les enquêtes du juge Ti (The Chine Belle Murders), 1958, 10-18 Grands détectives 1993, 322 pages, occasion €1,41, e-book Kindle €10,99

Ce livre est paru en 1969 au Livre de poche sous le titre Le mystère de la cloche.

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Fabrice Bourland, Le diable du Crystal Palace

Un roman policier historique qui se passe à Londres en 1936, à la veille du grand incendie du Crystal Palace, ce grand hall d’exposition de 563 m de long en fonte et verre plat, construit pour l’Exposition universelle de 1851. L’intrigue commence par la visite d’une jeune femme chlorotique, Anne Grey, qui vient solliciter un duo de détectives pour retrouver son fiancé Frédéric, disparu depuis plusieurs jours. Ce duo est celui d’Andrew Singleton et de James Trelawney, garçons célibataires dans la trentaine, qui vivent en colocation chez une logeuse qui s’occupe du ménage et des repas. L’auteur s’est manifestement inspiré de Sherlock Holmes et de son compère Watson pour camper un Singleton cérébral et nul aux armes, flanqué d’un Trelawney athlétique et coureur de jupons. Mais les deux compères sont plus légers que les créatures de sir Arthur Conan Doyle.

Il n’empêche. L’exercice d’admiration de Bourland envers Conan Doyle ne s’arrête pas là. Il reprend en effet Le monde perdu, cette expédition de 1912 sur le haut plateau du Roraïma au Venezuela, où les savants découvrent des créatures préhistoriques conservées dans leur jus jusqu’à nos jours. Qu’à cela ne tienne, il faut que cela se passe à Londres en 1936. En effet, ledit Frédéric a été atterré, selon sa fiancée, par la lecture d’un entrefilet de journal sur la rencontre brutale d’un taxi avec un fauve qu’il croit échappé d’un zoo. Maigre indice, mais à creuser.

Le pigiste retrouvé, un Tintin en culotte de golf de 18 ans, a bien rencontré le chauffeur de taxi dans le bar où il a ses habitudes. Il a heurté l’animal, tombé du pont au-dessus, a vérifié qu’il était bien mort, et est allé téléphoner à la police. A son retour, la bête avait disparu, et une camionnette Morris Crowley a démarré en trombe. Il n’en sait pas plus. Non, il n’a pas rêvé, non il n’était pas saoul. Les détectives vont le voir, il confirme. Dès lors, énigme : sa description précise correspond à un tigre à dents de sabre, espèce disparue depuis 20 000 ans. Consulté, le Pr Rufus Winwood, zoologue du Museum d’histoire naturelle, avoue collecter des preuves d’animaux censés avoir disparu, mais attestés ici ou là sur la planète, à commencer par le « monstre » du Loch Ness. Mais c’est une impasse.

Jusqu’à ce qu’un autre article fasse état d’un « grand singe » aperçu dans Londres, près des voies de chemin de fer de la Southern Railway, qui relie le Crystal Palace à London Bridge. Il faut y aller voir. Trelawney doit écourter un rendez-vous galant dans un restau chic pour retrouver Singleton, aventuré dans les ruelles mal famées de l’East End. Un grognement, c’est la bête. Nue et velue, elle attaque. Trelawney, malgré sa force, est étranglé… jusqu’à ce que Singleton, tétanisé, trouve l’énergie enfin de tirer une balle avec le pistolet de son ami, tombé à terre. La bête est morte, vite l’emporter, la montrer au professeur.

Lequel déclare, enthousiaste, qu’il s’agit d’un Pithécanthrope Erectus (aujourd’hui on dit Homo Erectus), découvert par Eugène Dubois à Java en 1894. Mais en plein Londres, en plein XXe siècle ! En enquêtant au domicile de Frédéric, toujours pas reparu, un fragment de page de revue brûlé fait émerger alors une théorie farfelue et fantastique, mais bien dans l’imaginaire fin XIXe, celui de Jules Verne et d’Arthur Conan Doyle : la régression possible des êtres vivants à leur forme archaïque…

Singleton et Trelawney ne vont pas retrouver Frédéric, ni d’autres disparus, pas plus que le chat de la maison. Mais il vont mettre au jour le mécanisme d’une implacable vengeance qui utilise la science marginale pour un but dévoyé : la vengeance. Jusqu’à l’apparition du diable ! Un ptérodactyle d’il y a 150 millions d’années, haut d’1m50, au bec pointu muni de 90 dents, aux ailes membraneuses et aux griffes acérées – tout à fait la description des paranoïaques chrétiens médiévaux, reprise dans les films d’horreur yankees.

Il y a de l’action, un déroulement progressif de l’enquête, un thème original. Les personnages sont un peu falots, surtout si l’on a lu les aventures de Sherlock Holmes, mais avec une intrigue tirant plus sur le fantastique. Un bon roman de détective.

Fabrice Bourland, Le diable du Crystal Palace, 2010, 10-18 Grands détectives, 276 pages, €4,67, e-book Kindle €11,99

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Caroline Roe, Consolation pour un pécheur

Caroline Roe, née Medora Sale, est spécialiste d’histoire médiévale européenne, PhD de l’Université de Toronto. Elle a écrit depuis le Canada des histoires de détective, et est décédée en 2021 à 78 ans. Son principal héros est juif, Isaac de Gérone, le médecin aveugle de l’évêque de la ville Berenguer de Cruïlles (des personnages qui ont vraiment existé). Il est aidé de sa femme Judith, maîtresse de la maison dans le Call (le ghetto de l’époque), de sa fille Raquel, femme médecine amoureuse du jeune gantier juif Daniel, et d’un apprenti musulman berbère de 13 ans, Yusuf, qui a vu ses parents massacrés. Le gamin débrouillard, un temps mendiant en loques, est devenu pupille du roi Pedro IV d’Aragon. Ce melting de potes fait l’originalité de ces romans historiques.

En mai 1354, un curieux colporteur propose de façon confidentielle à plusieurs riches marchands de la ville un objet sacré contre une forte somme en or. Il ne s’agirait pas moins que du Graal, cette coupe où, selon la légende, soit le Christ aurait bu lors du dernier repas avec ses disciples (la Cène), soit aurait recueilli le sang coulant de ses plaies sur la croix. Caroline Roe choisit la première interprétation, celle de Robert de Boron au début du XIIIe siècle, contre la seconde, issue de Chrétien de Troyes au siècle précédent. Quoi qu’il en soit, c’est une mauvaise coupe cabossée en argent, volée dans une armoire d’église. Mais la crédulité des croyants est grande et la bêtise du peuple infinie. Les premiers se battent pour l’avoir (deux meurtres), et le second fait enfler rumeurs et ragots au point d’attiser la guerre civile entre classes, la guerre entre religions, et la guerre des passions personnelles. L’évêque, en charge des âmes de la cité, s’en inquiète. Le juif Isaac aussi, car il sait combien la haine a besoin de boucs émissaires commodes – donc non-chrétiens – pour s’évacuer.

Le thème du Graal est porteur, l’analyse des crédulités fine, le développement de la bêtise des « réseaux sociaux » d’époque (servantes, commerçants, marché, soldats, moines…) bien décrit, les personnages (nombreux, mais on s’y fait) attachants. L’idéalisme d’une autrice peut-être elle-même juive sur le « si tout le monde se donnait la main » touchant. Pourquoi cela ne prend-t-il pas vraiment ? Parce que l’intrigue est mal menée sur la fin.

Tout commence bien, avec du mystère sur l’objet, les secrets de certains personnages, un doute sur la politique de l’évêque et les manœuvres de ceux qui se verraient bien lui succéder. La présentation des caractères est séduisante, surtout ce gamin musulman apprenti d’un Juif et pupille d’un chrétien, qui semble rassembler en lui tout l’espoir d’une synthèse fructueuse des cultures (la science arabe, la sagesse morale juive, l’action de la noblesse chrétienne). Mais tout se perd en route par un final inabouti, mal ficelé, où le lecteur ne sait plus s’il y a piège, et de qui, ni pourquoi ce rendez-vous incongru hors les murs, potentiellement dangereux, dans lequel chacun va se fourrer volontairement.

Et « malheureusement », tout est bien qui finit trop bien, comme un roman d’aventure pour jeune garçon. Comme si la nature des choses n’était pas cruelle et le fil du hasard tranchant. L’histoire comme prétexte au roman policier, bravo ; mais l’intrigue trop faible par rapport aux personnages et au thème, c’est dommage. Il se dit que ce roman-là est « le meilleur et le plus abouti » de l’autrice.

Caroline Roe, Consolation pour un pécheur (Solace for a Sinner), 2000, 10-18 2002, 309 pages, occasion 2,33

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Jean d’Aillon, Le secret de l’enclos du Temple

1647 connaît la seconde des révolutions contre la royauté en France. Après la Ligue des Grands, le Parlement des Frondeurs – avant la prise de la Bastille et la décapitation du roi. Les Anglais sont déjà en train de réduire l’absolutisme en 1649 (deux ans plus tard…) en exécutant leur roi Charles 1er. Mais, en France, et surtout à Paris, ce ne sont que vaniteux et couards, poses théâtrales et négociations en coulisses – les promesses n’engageant jamais que ceux qui les croient. Mazarin est expert en cet art de dire oui en pensant non, et de louvoyer sans cesse.

Le petit roi Louis XIV est encore trop jeune pour s’imposer (9 ans en 1647), et c’est sa mère, la rigide et butée Anne d’Autriche, qui gouverne jusqu’en 1651. Elle a fait casser le testament de Louis XIII qui instituait un conseil de Régence avec Monsieur, Gaston de France, et Henri de Condé en tant que premier prince de sang, en plus de Mazarin, et de quelques ministres dont le chancelier Séguier. La guerre civile des Princes et du Parlement durera jusqu’en 1652. Louis aura alors 14 ans et le pouvoir li sera donné par sa mère dès 13 ans (pas comme aujourd’hui où la minorité dure trop longtemps !).

C’est dans ce contexte historique, soigneusement documenté par les mémoires de Bussy-Rabutin et du cardinal de Retz, que l’auteur situe son intrigue policière. Dans une maison du Temple, à lui offerte par son oncle grand prieur, le comte de Bussy découvre une croix templière sur une pierre scellée ; derrière la pierre, un coffret contenant des pièces d’or et un rébus. Le rébus pourrait résoudre l’énigme du Trésor du Temple, jamais retrouvé.

Bussy, qui court les aventures à l’épée et au vit, fait appel à son ami d’enfance Louis Fronsac, marquis de Vivonne, connu au collège de Clermont. Fils de notaire, Louis adore résoudre les énigmes et a déjà débrouillé quelques affaires policières, l’une faisant même échapper le Mazarin à une mort certaine.

Dans ce Paris crasseux, nombreux, agité de gueux, nos nobliaus vont se débattre comme diables en bénitier. Les ménagères crédules croient au diable et à la damnation ; elles se font circonvenir par des prêtres confesseurs peu éthiques qui leur soutirent des pistoles et sautent leur vertu. Un mari monte même une cabale fort bien imaginée pour faire condamner sa femme pour sorcellerie après avoir épuisé tout le bien du ménage pour payer son exorciste. Durant les troubles, ce ne sont que pillages et viols de femmes et d’enfants, massacres de ceux qui résistent ou ne pensent pas comme la foule – un vrai réseau social de l’époque, la foule, la même bêtise Mitou, la même veulerie à « être d’accord », les mêmes hurlements avec les loups. Mais il suffit d’un bretteur un peu habile ou d’un homme qui résiste en cassant quelques têtes pour que tous fuient, la queue entre les jambes. Gueulards mais pas courageux, les bourgeois parisiens…

Durant les troubles, Louis, aidé de son spadassin fidèle Bauer, rempare son manoir de Mercy, non loin de Chantilly, contre les bandes de reîtres appelées – mais non payées – par le Mazarin qui les fait approcher de Paris. Il organise sa défense avec ses paysans, et même les enfants déjà grands s’y mettent. Si plusieurs paysans sont tués, aucune femme ni fille ne sont violées et les reîtres ont beaucoup de morts.

Malgré l’avalanche des noms assénés au lecteur, avec un index en début de volume pour s’y retrouver (Charles de Baatz seigneur d’Artagnan, Louis et Armand de Bourbon princes de Condé et de Conti, Basile et Nicolas Fouquet, Jean et Mathieu Molé, Marie de Rabutin marquise de Sévigné Vincent Voiture poète…) – l’action ne tarde pas à prendre le pas sur l’exposé, et les chapitres avancent allègrement. Une façon de relire son histoire en s’amusant, et, avec l’auteur, nous y sommes. La Fronde est mal connue de nos jours, éclipsée par le « Grand » siècle absolutiste. Elle a eu pourtant les mêmes causes qu’en Angleterre, et aurait pu aboutir comme là-bas à une monarchie tempérée par une constitution, ce qui ne sera opéré qu’au XIXe siècle – mais sans succès car c’était déjà trop tard.

Un ministre qui n’écoute pas et se rempare derrière l’Église, une reine qui n’écoute pas et veut tout garder comme avant, un Parlement manipulé et des Grands dont l’ego est surdimensionné – tous ces personnages classiques rejouent sans cesse la même scène politique – hier comme aujourd’hui !

Jean d’Aillon, Le secret de l’enclos du TempleLes enquêtes de Louis Fronsac, 2011, J’ai lu 2012, 704 pages, €2,80, e-book Kindle €8,19

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Serge Brussolo, Le château des poisons

Serge Brussolo est un conteur d’histoires, un aventurier de l’imagination. Il nous transporte ici au Moyen Âge, sous le règne de Louis IX (qui deviendra saint). L’hiver rude, la misère, la lèpre et les superstitions savamment entretenues par les clercs d’Église, qui se haussent ainsi du col et assurent leur pouvoir, sont le décor. L’amour et les machinations en sont le sel.

Jehan le bûcheron, défendant son seigneur à la hache, est distingué sur le champ de bataille et fait chevalier in extremis avant que le baron ne meure. Le chapelain est témoin et le consigne sur parchemin. Jehan est devenu Montpéril, chevalier errant, sans terre ni fortune. Il se loue à un gros moine qui transporte une somme d’argent pour quérir une relique de saint Jôme, réputée guérir de la lèpre. Les forêts ne sont pas sûres, domaine des loups en bande et des malandrins qui vous détroussent pour une paire de bottes ou un morceau de lard. Cette mission lui a été ordonnée par le riche seigneur Ornan de Guy, revenu de la Croisade. L’homme fait se croit atteint de la lèpre et veut épouser au plus vite la jeune Aude, 15 ans et un corps de gamine. La relique doit le guérir, il suffit d’y croire et de prier. Quant au moine Dorius, qui aime citer le latin, il doit être fait chapelain du fief.

Jehan rencontre une trobaritz, Irana, une trouvère, baladine allant chantant de cours en marchés les aubades des chevaliers et de la fine amor. La femme a une personnalité, sait lire et écrire, ce n’est pas une vulgaire femelle qu’on prend au débotté sur une botte de foin. Il en tombe plus ou moins amoureux, ce qui semble plus ou moins partagé. Ce flou fait beaucoup pour tendre les relations entre les personnages.

En effet, chacun se révèle peu à peu jouer un rôle – sauf Jehan, naïf car brut de décoffrage. La relique est menée à bon port, mais le baron décède empoisonné. Par qui ? Le goûteur officiel fait office de coupable idéal, car seul à même de saupoudrer le rôti de marcassin entre sa bouche et celle du baron. Il est brûlé pour cela comme sorcier, mais est-ce vraiment lui ? Les deux frères et la sœur du condamné, marchands drapiers bien fournis de pécunes, mandatent Jehan pour enquêter. Dans le même temps, Dorius a pris les choses en main au château en déshérence, et somme Jehan accompagné d’Irana de veiller sur la pucelle. Aude a en effet reçu la visite, en pleine nuit, d’un monstre bossu et contrefait qui lui a raconté des horreurs.

Cette machination pour empêcher les noces du baron et de la pucelle ne serait-elle pas le fait de l’amant éconduit, le jouvenceau Robert de Saint-Rémy, amoureux dès l’enfance de la belle Aude ? Ou du père de la jeune fille, que l’avarice de son épouse a poussé dans les bras du riche baron, mais que lui réprouve après que Jehan lui ait fait part des rumeurs de lèpre ? Ou d’Aude elle-même, qui susurre le mot de lèpre pour faire croire au baron qu’il va mourir ? Ou du chevalier Ogier, jaloux du succès du baron alors qu’il a fait moins que lui aux Croisades ? Ou du moine loui-même, ambitieux et prêt à tout suggérer pour assouvir son besoin de s’élever dans la hiérarchie ecclésiastique ?

De meurtres en rebondissements, Jehan trouvera tour à tour tout le monde coupable, avant de s’apercevoir qu’il a été joué de bout en bout. Au point que son épée rouillée lui tombe des mains lorsqu’il veut se venger. Mais il a réussi sa mission : il a trouvé qui, par un concours de circonstances, a conduit le goûteur au bûcher.

Roman policier historique et thriller fantastique, ce livre est une belle aventure pour adultes et adolescents. J’ai eu plaisir à la lire.

Serge Brussolo, Le château des poisons, 1997, Livre de poche 2001, 255 pages, €7,70

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Christian Jacq, La pyramide assassinée et la suite

Christian Jacq, docteur en Sorbonne en 1979 sur les rites funéraires égyptiens sous la direction de Jean Leclant, a été séduit – comme moi – à 13 ans par le pays des Pharaons. Son voyage de noces, à 17 ans, fut pour ce pays dont il était tombé amoureux. Écrivain un temps de romans policiers, il décide de lier ses deux passions en donnant naissance au juge Pazair, 21 ans, dont le nom et l’obstination sonnent comme panzer, et qui connaîtra une ascension fulgurante dans sa charge jusqu’à devenir, dans le dernier tome, vizir d’Égypte.

Les critiques (qui n’ont en général rien écrit) ont beau gloser sur le style pauvre, le vocabulaire limité et l’aspect feuilleton des livres de Christian Jacq, le succès est venu – donc la jalousie des impuissants. Pour ma part, j’aime ces romans délassants où l’auteur vous emmène dans un autre monde. Non, ce n’était « pas mieux avant », c’était différent. L’humanité reste régie par les mêmes vices et les mêmes vertus, quelles que soient les civilisations et les âges : l’argent, le pouvoir, le sexe. La vanité n’a jamais de limites, mais la conscience de soi non plus. Pazair est un « petit juge » (comme on disait dans les années 90 de parution, en Italie anti-mafia comme en France Mitterrand). Il est intègre, rigoureux, fervent serviteur de la Loi.

En Égypte antique, c’est la loi de Maât, la déesse de l’harmonie cosmique, de la rectitude (ou conduite morale), de l’ordre et de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Fille de Rê le dieu solaire, elle rectifie le chaos toujours possible et assure l’équilibre du monde et des humains. C’est une femme. Elle veut que le monde soit en concorde. Christian Jacq nous fait vivre in vivo cette foi dans la raison et l’ordre neutre de la loi. Il incarne les personnages et nous les rend vivants. Même s’il ne s’agit pas de reconstitution scientifique mais d’une transposition romanesque, tout lecteur pourra sentir l’Égypte ancienne, sa vie quotidienne, ses maladies et ses remèdes, la façon de concevoir le monde. Ce n’est déjà pas si mal. La science s’étiole de trop rester dans la froideur des labos. Pour faire aimer la discipline, rien de mieux que de solliciter les imaginations – en sachant bien qu’il s’agit de roman.

Tout commence dans le premier tome par le viol de la pyramide de Khéops, proche du Sphinx. Cinq conjurés, dont une femme, assassinent les gardes et pénètrent dans le passage secret qui mène à la Grande Pyramide. Là vient se régénérer le Pharaon, « en absorbant la puissance née de la pierre et de la forme de l’édifice. » Là se trouvent les objets symboles de la légitimité du roi : le masque d’or de la momie, le collier et le scarabée, l’herminette en fer céleste (de météorite), la coudée en or et – le principal – un petit étui contenant le testament des dieux. Un texte qu’il doit montrer au peuple lors de son jubilé.

Par leur vol délibéré, les conspirateurs font à Ramsès II la promesse du chaos. Le vieux médecin Banir est chargé par la Cour d’une mission : trouver le juge adéquat au tribunal de Memphis, la grande cité du nord où réside Pharaon. Il se rend dans son village près de Thèbes où officie le jeune juge Pazair qu’il connait et lui confie la charge. « Assez grand, plutôt mince, les cheveux châtains, le front large et haut, les yeux verts teintés de marron, le regard vif, Pazair impressionnait par son sérieux ; ni la colère, ni les pleurs, ni la séduction ne le troublaient. Il écoutait, scrutait, cherchait, et ne formulait sa pensée qu’au terme de longues et patientes investigations. Au village, on s’étonnait parfois de tant de rigueur, mais on se félicitait de son amour de la vérité et de son aptitude à régler les conflits. Beaucoup le craignaient, sachant qu’il excluait la compromission et se montrait peu enclin à l’indulgence ; mais aucune de ces décisions n’avait été remise en cause » tome 1 p.18.

Monté à la capitale, le petit juge va devoir signer une demande de non-lieu pour la disparition de cinq gardes, mais il ne trouve pas les causes des décès. Il va donc enquêter, et mettre le pied dans un nid de frelons où chacun se tient par la barbichette, ment à loisir et s’éclipse derrière la paperasse. Il révèle peu à peu un vaste complot qui unit des hommes de pouvoir et d’influence dont le général Asher, la princesse hittite Hattousa l’une des épouses de Pharaon, le chef de la police Mentmosé, le gros transporteur Dénès et sa femme ambitieuse Nénophar, le dentiste de la cour Qadash, le chimiste métallurgiste Chéchi qui cherche à fondre le fer céleste pour en faire des armes invincibles – et « l’avaleur d’ombre », un tueur mystérieux mandaté par eux, qui va tenter plusieurs fois d’éliminer le juge trop obstiné.

Comme aide, outre son maître Branir (qui finira assassiné), son ami aventureux et musclé Souti (qui tuera le général Asher), la belle Néféret qui apprend la médecine et devient son épouse puis médecin-chef de la Cour, le jardinier Kani qu’il a réhabilité et qui devient grand-prêtre du temple de Karnak, le policier nubien Kem et son babouin policier, et ses animaux, le chien Brave et l’âne Vent du Nord. Quant à l’entrepreneur Bel-Tran qui organise l’intendance du palais, est-il un vrai ami ?

Le juge Pazair sera déporté dans un bagne mais parviendra à s’enfuir. Innocenté, il poursuivra son enquête grâce au vieux vizir Bagey l’incorruptible, mettra en cause le général Asher qui fuira vers la Libye, et le chef de la police qui sera révoqué. A la fin du premier tome, il est réputé mort. Mais ce n’était qu’un faux. Meurtres, enlèvements et corruption se multiplient mais Pazair, devenu à la fin du second tome vizir d’Égypte, défie le ministre des Finances dont le but est de renverser Ramsès le Grand pour prendre le pouvoir et se gorger de richesses.

Une belle suite d’aventures à rebondissements, écrites sans temps mort et avec le découpage habituel des thrillers modernes, mais en ménageant des tranches de vie détaillées sur l’Égypte antique, ses maisons, sa cuisine, ses médicaments et ses techniques. De quoi passer de bons moments.

Christian Jacq, La pyramide assassinée – Le juge d’Égypte 1, 1993, Pocket 2001, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La loi du désert – Le juge d’Égypte 2, 2001, Pocket 1994, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La justice du vizir – Le juge d’Egypte 3, Pocket 2001, 384 pages, €7,70

Christian Jacq, Le juge d’Égypte – l’intégrale, coffret Pocket 2011, €24,99

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Alfred Neumann, Le diable

Ce livre n’est pas un exposé sur le mythe du diable, ni sur la démonologie chrétienne, mais un roman historique sur Louis XI et son âme damnée, Olivier Le Daim, dit « Le Mauvais », autrement dit le diable incarné aux yeux du peuple. Walter Scott et Victor Hugo en feront, avec l’enflure romantique de leur siècle et de leur talent de conteur, un personnage marqué dans Quentin Durward et Notre-Dame de Paris.

Olivier est né Necker, qui signifie « ondin », autrement dit un génie des eaux. De Ondin, Louis XI a fait Le Daim, puis l’a nommé comte de Meulan pour s’être entendu comme cul et chemise avec lui depuis qu’il l’a rencontré dauphin en Flandres lorsqu’Olivier avait 19 ans, et pour l’avoir bien conseillé dans les affaires politiques et diplomatiques. D’un fils de paysan devenu barbier (donc aussi chirurgien en ce temps), le roi l’a élevé au rang de noble titré et de conseiller intime.

Car la France, tout juste sortie de la guerre de Cent ans, doit se « reconstruire » comme on dit aujourd’hui, autrement dit retrouver son territoire, établir ses impôts, son armée, sa poste pour le courrier, sa paix avec ses puissants voisins allemand, bourguignon, savoyard, italien, anglais… « L’universelle aragne » tisse sa toile habile, jouant de la séduction, de l’argent et de la force pour établir le royaume. Olivier joue les espions, négocie.

Louis XI, pas beau mais intelligent, agit comme un notaire ou un soviétique : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable ». De son château d’Amboise puis, lorsque sa paranoïa deviendra galopante, de sa forteresse bien défendue de Plessis-lèz-Tours, il agira en personne ou en sous-main, aidé en cela par ses plus proches conseillers, dont Olivier Le Daim. Philippe de Commynes le raconte fort bien dans ses Mémoires sur Louis XI.

Mais ce roman n’est pas un livre d’histoire, et il ne mentionne même pas Commynes, il mise tout sur Le Daim. Il en fait le double du roi, sa part mauvaise, son bouc émissaire volontaire. Olivier sacrifie sa carrière, sa femme et sa vie à Louis. Il devient plus vrai que lui-même, sa part mauvaise si l’on veut, encore que le roi ne soit pas bien bon. Le cardinal La Balue, qui l’a trahi, est resté quatorze ans enfermé dans une cage de fer. Mais Olivier est surtout un symbole : Louis XI mort, tout ce qui lui est reproché de crimes et de bon plaisir sera attribué à Olivier Le Mauvais. Ainsi le voulût-il, et en persuada la reine une fois le roi défunt. Il fut donc jugé par le Parlement de Paris puis pendu sous le nouveau Charles VIII qu’il avait incité Louis XI à engendrer, alors qu’il s’était lassé de sa femme depuis quinze ans. Il a ainsi sauvegardé l’Image royale.

Olivier est le double maléfique, le révélateur de la part sombre de chacun. Ayant sacrifié sa femme Anne à son amour du roi, il prend sur lui le Mal pour en dégager le souverain. Sur cette terre, le Bien ne peut exister sans un Mal nécessaire : au roi le Bien, au Mauvais le Mal. C’est un peu simple, mais formaté pour les âmes niaises du temps. Olivier n’est pas le diable tentateur, mais le bouc du sacrifice, qui lave des péchés du monde. Il vivra une passion christique dans son cachot à la fin, se livrant volontairement, sur son ordre, aux sbires du Parlement, avant d’être exécuté. Il aurait pu fuir, mais il a accompli son destin de Christ de la Raison d’État.

Est-ce véridique ? Est-ce possible ? Cette fascination réciproque du roi pour son conseiller est plausible. Elle donne de la profondeur au personnage. Alfred Neumann était écrivain allemand né en 1895 en Prusse-Orientale et farouchement antinazi. Sa province natale fut abandonnée par Hitler aux Russes à cause de sa démesure. L’auteur aimait trop la liberté contre les pouvoirs, il a trop dénoncé l’État, le plus froid des monstres froids. Der Teufel – Le Diable – est son roman historique le plus célèbre, interdit par le régime nazi. Il est mort à Lugano en 1952, année de la traduction en français de son livre.

Est-ce la langue ? Est-ce la traduction d’Eugène Bestaux ? Toujours est-il que le récit est un peu lourd, et lourde aussi la psychologie insistante de chaque scène. L’auteur veut mettre les points sur les i, au détriment de l’action. Reste une fresque historique qui renouvelle le personnage controversé de Louis XI, dont Paul Murray Kendall a fait une remarquée biographie, passée chez Bernard Pivot.

Prix Kleist 1926, pour Der Teufel.

Alfred Neumann, Le diable (Der Teufel), 1926, Pocket 1987, 458 pages, occasion €1,23 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Jego & Lépée, La conspiration Bosch

Un bon roman historique qui se passe dans l’Europe du XVIe siècle, durant la Renaissance. La profusion et l’étroitesse de chacun des 64 chapitres donne un peu le tournis, d’autant que l’on passe d’un personnage à l’autre et d’un lieu à un lieu différent, mais la mayonnaise réussit à prendre.

Tout commence à Bois-le-duc, au nord du Saint-Empire romain germanique, sous le règne de Maximilien de Habsbourg. Des églises sont profanées par des cadavres découpés en morceaux et arrangés en singeant le calvaire du Christ. Ce sont des croix à l’envers, des torses affublés de têtes de cochon ou des troncs flanqués de pattes de bouc. Comme si le diable était revenu sur la terre et plantait sa griffe en cette année 1510, pour préfigurer l’Apocalypse prévue par les textes. D’autant que le chiffre de la Bête, 666, apparaît mystérieusement sur les restes de chair – ce qui est tu par l’Église…

La terreur monte dans les chaumières et le peuple des villes commence à gronder. Des émeutes éclatent, des incendies s’étendent. Le pape Jules II ne fait rien, hésitant à excommunier tout le Saint-Empire, d’autant qu’il n’a pas couronné encore l’empereur récemment élu. Les grandes puissances autour s’agitent, car il s’agit bel et bien de politique. La religion n’a que faire dans ces événements, elle ne sert (comme toujours) que de prétexte pour agiter les âmes simples.

Le jeune et bouillant Henri VIII d’Angleterre veut envahir la France avec l’aide de Maximilien du Saint-Empire ; la France veut faire excommunier ledit Saint-Empire pour éviter l’alliance des États allemands avec l’Espagne. Le Saint-Empire bouillonne de révolte contre l’Église de Rome, sa corruption et ses prévarications. Le pape vieillissant est au carrefour de ces intrigues et doit mesurer sa parole et ses actes.

Mais ne voilà-t-il pas que les artistes s’en mêlent, réunis en confrérie puissante pour défendre leurs propres intérêts, ou simplement la libre expression de leur art ? Léonard de Vinci reprend la peinture devant la fille de Ginevra, peinte sans les mains 25 ans plus tôt. Hiéronymus (Jérôme) Bosch poursuit ses figures hantées d’humains tentés par le vice et en parsème ses tableaux. Il semble curieusement inspirer certaines des compositions de chair humaine qui profanent les lieux sacrés. Le beau Raphaël, auprès du pape, intrigue avec un sourire cruel. Le vieux peintre Giorgione cherche à s’opposer aux malversations mais finit mal. L’Europe gronde, les peuples y voient la fin du monde, tandis que les hérétiques allemands relèvent la tête.

La belle Gabriela, noble florentine d’un père banquier très riche et fille de Ginevra, tombe amoureuse de Philippe le Beau, fils de Maximilien. Mais celui-ci est enlevé brutalement un soir à Milan alors que la jeune fille venait de le quitter. Elle n’aura de cesse de le retrouver, mettant au jour par son obstination un sombre complot dont les ramifications s’étendent à toute l’Europe, avant de disparaître. Philippe non plus ne reparaîtra jamais devant son père, soi-disant mort de la peste qui sévit à Venise, laissant l’éducation à la royauté de son fils Charles à son père. Le gamin de 10 ans deviendra quand même Charles Quint.

Léonard, vieillissant, diminué, cherche l’essence qui anime le corps humain en disséquant des cadavres, tout en s’appuyant sur l’épaule lisse du bel éphèbe blond Lorenzo qui le sert. Il lui caresse la tête, constamment ébouriffée comme s’il sortait du lit (ce qui est souvent le cas, suggère l’auteur), ou passe sa main le long de ses côtes pour une caresse tendre. Il est mandaté par le pape pour enquêter de façon scientifique et esthétique sur les compositions de morceaux humains que la crédulité populaire attribue au diable – mais que le pape, prudent, veut croire à la méchanceté humaine. Tandis que le chevalier Bayard, sous les ordres de Louis XII de France, cherche à modérer les forces qu’il a lancées en premier pour déstabiliser le Saint-Empire.

C’est une course échevelée pour mettre au jour la vérité, un faisceau d’intrigues croisées qui mêlent comme d’habitude la politique à la foi, la communication à la vérité, les manigances humaines au diable sous prétexte de stratégie chrétienne. Le roman est assez bien composé, un peu rapide malgré passion et aventure, mais le lecteur ne s’ennuie pas.

Yves Jego & Denis Lépée, La conspiration Bosch, 2006, Pocket thriller 2007, 410 pages, occasion €2,73 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Claude Rodhain, L’ombre du Roi-Soleil

Ce roman historique commence par une jeune Louyse de 13 ans qui rêve de conquérir le monde en regardant ses seins pousser. Sa mère la rabroue, qui a besoin d’elle pour l’aider à trier des herbes destinées à faire des potions. Elle connaît les simples, ceux qui guérissent et ceux qui sont dangereux, avec les doses à ne pas dépasser et les mélanges nécessaires. Elle fait de l’argent avec, de plus en plus d’argent, ce qui va entraîner des jalousies. Dénoncée comme empoisonneuse par une voisine, elle est arrêtée avec son mari par Nicolas Gabriel de La Reynie, lieutenant général de police du roi, soumise à la question et brûlée en place de Grève à Paris comme possédée par le démon.

Louyse se retrouve seule à 15 ans et décide de monter à la capitale. Elle n’a pas d’idée en tête, sinon de quitter son patelin. Elle entre dans Paris et est repérée lors d’une échauffourée où elle n’est que spectatrice par un adjoint du lieutenant de police, qui l’appréhende moins pour ce qu’elle a fait que pour ses beaux yeux. Car elle les a fort lumineux et perçants. Cette étrangeté n’est pas normale. Loin de la mettre dans son lit, l’homme la met au cachot, subjugué, ayant découvert qu’elle est la fille de l’empoisonneuse récemment partie en fumée et qu’elle emporte avec elle des fioles de potion. Mais la belle en avale une gorgée et dit que cela peut guérir sa femme, prise de coliques frénétiques. De fait, elle s’apaise en quelques jours.

L’adjoint évoque alors son cas avec le lieutenant général et La Reynie la prend sous sa protection. Lui va être séduit et la met sur sa couche – avec son consentement, l’auteur écrit après mitou. Défloration, plaisir partagé, philtre d’amour conseillé par un mystérieux masque noir, rien ne nous est épargné des détails croustillants dans ce Paris infecté d’odeurs nauséabondes, décrites par les mémoires du temps. Consentement car la mère de Louyse lui apparaît régulièrement, comme si sa fille était voyante. Elle la conseille et l’incite à voler de plus en plus haut.

Louyse, a désormais 18 ans – l’auteur écrit à l’ère du politiquement correct. Elle peut donc séduire pas moins que le roi Louis XIV, le fils inespéré de Louis XIII qui cherche à imposer sa volonté absolue aux Grands qui ne cessent de comploter contre son bon plaisir. Il fera de Louyse, sortie de rien, une marquise et la couchera dans son lit. Mais sans lui faire de bâtard, comme il en avait l’habitude. La jeune fille passera « dix ans » avec lui, ce qui est beaucoup pour l’appétit du jeune roi qui sautait d’un vagin à l’autre. Intelligente et pleine de bon sens, elle le conseille sur la politique, rabaissant Fouquet, intervenant sur l’esclavage… Une vision très XXIe siècle du rôle des femmes et des préoccupations « sociales » !

Las ! Complots et gambades sont les loisirs de la Cour, réduite à la figuration. Une obscure affaire de politique étrangère liée au roi Charles II d’Angleterre, lui-même à peine d’être renversé, va emporter Louyse dans ses méandres, malgré elle. Destin tragique, car elle ne l’a pas voulu ; elle aimait Louis-Dieudonné mais la justice est la même pour tous – l’auteur écrit en avocat du XXIe siècle, l’époque louisquatorzième était moins rationnelle. Il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéienne et Louyse le franchit sans le voir.

Une belle histoire de jadis, écrite avec allant, sur un siècle d’or de la France.

Mais prendre pour décor l’histoire n’est pas sans danger pour l’auteur inexpérimenté. Il est nécessaire de se documenter soigneusement pour ne pas commettre d’impairs. Le lecteur moyen n’y verra que du feu mais le lecteur cultivé sera gêné par les libertés prises avec la réalité.

C’est ainsi p.5 qu’il est fait mention d’Étampes et d’un bourg de Charronnes qui n’existe pas. Jusque-là, rien de grave, c’est licence d’imagination. Mais lorsque l’auteur situe p.10 le bourg en bord de Seine, rien ne va plus : Étampes est sur la Juine, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Paris et de son fleuve.

Page 7, il est indiqué aussi « le secret de la confession » de la part d’un… pasteur protestant, or les calvinistes récusent la confession obligatoire et personnelle, au rebours des catholiques.

Page 15, le vocabulaire employé est celui d’aujourd’hui (« féminisme », « construction sociale », « intégration sociopolitique »), complètement anachronique ; il fait tache pour évoquer le temps de Louis XIV.

Les fortifications à Paris de Louis XIII, dont l’auteur fait un rempart infranchissable, commencent à être rasées dès 1660, Louyse peut donc entrer à sa guise sans passer par « une porte dérobée » p.30.

Qu’à la rigueur une « mégère » cite Bossuet p.32 car ses sermons étaient publics, mais pas « les vers d’Hugo » p.129 : il n’est né qu’en 1802 !

De même p.25 « l’huile d’olive » dans la soupe de pois cassés est une vision XXe siècle de la cuisine, le lard était plus réaliste (nettement moins cher et moins étrange au goût d’alors) au nord des pays à huile.

Il y a sans doute erreur p.78 sur les « cinquante-cinq pieds » de la taille d’un bonhomme ! Un pied-du-roi mesure 32,484 de nos centimètres révolutionnaires en 1668, ce qui ferait un gaillard de pas moins de 1786 mètres de haut ! Cinq pieds et cinq pouces seraient plus réalistes, environ 1m75.

Une relecture s’impose pour la prochaine édition.

Claude Rodhain, L’ombre du Roi-Soleil, 2013, Editions La route de la soie, 267 pages, €18,00

Un autre ouvrage de Claude Rodhain déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Jean d’Aillon, Une étude en écarlate

Jean-Louis Roos, le vrai nom de Jean « d’Aillon », se fait baron anglais pour écrire sur cette période médiévale qu’il aime tant. Son demi-frère d’époque est Edward Holmes, lui aussi ancêtre, mais du célèbre Sherlock. Il y rencontre son Watson, alors archer anglais réputé pour sa précision de tir.

Nous sommes à Paris en 1420 et la guerre de Cent ans va s’achever une génération plus tard, grâce notamment à Jeanne d’Arc. Le roi Henri V d’Angleterre, fils d’Henri IV arrivé par illégalité au trône (et dont Shakespeare a fait une tragédie), revendique le royaume de France car son père s’est marié avec Catherine de France et s’est allié aux Bourguignons du duc Philippe. L’histoire est compliquée.

Les Bouchers de Paris, vrais tueurs en corporation, ont aidé à prendre la ville et ont massacré tous les Armagnacs alliés au Dauphin, fils probable (mais pas certain) de Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI de France devenu fou. Dans ce carnage d’avril 1418, les bouchers ont enfoncé les portes de l’hôtel de Lusignan, défoncé les femelles et les petites filles, démembré le fils encore enfant et éventré les serviteurs et les gardes. Deux ans plus tard, Robert de Lusignan (personnage imaginaire), qui était absent de Paris lors du massacre pour aider le dauphin Charles (futur Charles VII) à fuir à Bourges, revient incognito pour se venger des bouchers.

La ville est misérable, soumise à la famine parce que le travail manque. Nombre de maisons sont vides, pillées et en ruines, dont l’hôtel de Lusignan à l’enseigne de Mélusine. Il attire la convoitise de Lady Mortimer, sœur d’Edmond Mortimer, troisième comte de March, qui a comploté contre l’usurpateur Henri IV d’Angleterre. Elle veut se venger de la dynastie régnante et assassiner Henri V et le duc de Bedford lorsqu’ils entreront prochainement dans Paris. Pour cela, la fenêtre de l’hôtel de Lusignan (actuel Conseil d’État) est propice, face à une entrée du Louvre.

Edward Holmes, chargé des affaires à Paris de son demi-frère le baron de Roos, est chassé par le fils de l’intendant d’Angleterre Langley, sur ordre des cadets de 13 et 15 ans qui ne le connaissent pas. Le baron de Roos et son frère William ont en effet été tués à la bataille de Baugé. Langley complote avec Lady Mortimer pour obtenir une meilleure place que celle d’intendant de baron. Edward part donc loger ailleurs et chercher du travail. Il n’est pas anodin que sa logeuse s’appelle Constance Bonacieux, c’est le nom que porte la logeuse de d’Artagnan dans Les trois mousquetaires. L’auteur aime bien plagier les grands auteurs. Autant dire qu’Edward Holmes est imaginaire, tout comme Gower Watson, malgré le livre ancien que l’auteur dit avoir trouvé chez un libraire à Londres.

Toujours est-il qu’Holmes enquête, flanqué de son Watson, et qu’il va démêler de fil en aiguille et comme par hasard le complot contre le roi. Lui, anglais, ne prend pas position pour ou contre le roi de France. Sera roi celui qui ramènera la paix. Cette première enquête d’une série est intitulée en plagiant Étude en rouge de Conan Doyle, mais sa méthode est la même : la déduction par réflexion. Watson ajoute le piment de l’action.

Une bonne façon de se plonger dans l’histoire navrante d’un royaume de France (déjà) déchiré en guerre civile par de fanatiques partisans qui en profitent (déjà) pour violer, massacrer et piller, chacun défendant (déjà) son petit intérêt égoïste dont le fric est (déjà) l’objectif suprême. La complexité de l’histoire de Paris à cette époque-là ralentit l’intrigue au début car il faut bien expliquer qui et quoi, mais le roman policier prend son rythme de croisière assez vite et captive.

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate – Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson, 2015, 10-18 2019, 500 pages, €9,20 e-book Kindle €7,33

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Jean-Christophe Grangé, Les Promises

Il est curieux d’être psychiatre à l’époque nazie. Simon, petit homme dandy, se délecte dans son cabinet meublé avec goût des confidences des grandes dames qui viennent le voir. Elles sont toutes mariées à des pontes du Reich et déversnte devant lui leurs confidences. Il les enregistre sur des galettes de cire, évidemment. Ce qui lui permet de les faire doucement chanter, augmentant ainsi ses revenus. Mais cette façon de faire mercantile et bourgeoise ne peut pas durer. Simon le sait, mais il veut l’ignorer.

C’est alors que le régime le rattrape. L’une de ses patientes est retrouvée massacrée dans un parc, le ventre ouvert et les organes enlevés. S’agit-il d’un meurtrier sadique comme il en est malheureusement tant ? Lorsqu’une deuxième victime, de la même société, est tuée et éviscérée de la même façon, le doute n’est plus possible : il s’agit d’un tueur en série. C’est un SS de base, Franz, qui est chargé de l’enquête puisqu’elle devient politique. La police, en effet, n’a rien trouvé, et la position sociale des femmes proches du pouvoir fait que la Gestapo a repris le dossier. Mais Franz patine. Il n’a aucune notion d’une enquête de police et ne sait seulement qu’user de brutalité.

Une troisième personne va s’ajouter à l’enquête, une aristocrate, psychiatre comme Simon, Minna von Hassel. Elle dirige un asile de fous que les spécialistes du Reich vont s’empresser d’éradiquer. Il s’agit en effet de créer une race saine et d’éliminer tous les déviants et les mauvais gènes. C’est le rôle d’un médecin psychopathe laissé à lui-même, comme les régimes totalitaires savent en créer – et pas seulement le nazisme.

Comme une troisième puis une quatrième victime s’ajoute, tuée et éventrée de même, Simon, Franz et Minna vont se rencontrer. Ce trio improbable venu de trois pôles opposés de la société, finira par s’entendre et à découvrir le pot aux roses. Mais, à chaque fois qu’ils pensent tenir un coupable, ce n’est jamais le bon.

Jean-Christophe Grangé n’aime pas le nazisme. Il s’en moque : « comment reconnaître l’Aryen idéal ? Facile. Il est blond comme Hitler, grand comme Goebbels, svelte comme Göring » p.506. Mais le monde qu’il a créé le fascine, dans la mesure où il permet aux instincts les plus sauvages de se manifester sans entrave. Il est donc la période de l’histoire la plus propice à situer l’action et ficeler un roman policier labyrinthique, tout en révélant des types humains intéressants et contrastés.

Simon le psy gigolo est touchant, Franz le nazi de base est compréhensible, Minna l’aristo élevée dans la richesse est émouvante. Créer une psychologie convaincante des personnages est la deuxième clé qui fait un bon roman, après une histoire bien menée.

Mais il y a plus : une analyse contemporaine du délire nazi. Le conservatisme réactionnaire s’est mué en nationalisme exacerbé, allant jusqu’au racisme le plus dur. Comment l’amertume de la défaite de 1918 et la tentation complotiste du « coup de poignard dans le dos » des minorités intérieures (juifs, communistes, intellectuels de gauche, homosexuels progressistes, etc.) vont engendrer la croyance d’être au final supérieur, donc la haine pour tout ceux qui sont différents, « pas d’ma bande » dit la racaille. Il suffit alors de gueuler, d’entraîner la masse amorphe qui ne demande qu’à croire, et à faire d’un peintre raté névrosé du sexe un dictateur, d’un éleveur de poulet un dresseur de la race. S’ensuit la répression intérieure et la guerre extérieure – puis le chaos final, inévitable.

Les trois personnages du roman, qui ont laissé faire et s’en accommodaient jusque là, vont ouvrir les yeux. Le gigolo maître chanteur va choisir la justice, la brute haineuse va apprendre la vérité sur les mensonges du régime et la compassion pour les êtres, l’aristocrate va éprouver que l’argent et la position ne peuvent pas tout et que la solidarité est finalement la meilleure des choses humaines.

Jean-Christophe Grangé, Les Promises, 2021, Livre de poche 2023, 795 pages, €10.90, e-book Kindle €9.99

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Elizabeth Peters, Le maître des démons

Aventures et mystères au menu de ce nouvel opus de la série Emerson. Cette fois, la Première guerre mondiale sévit jusqu’en Égypte puisque les Turcs veulent remettre la main sur cette province perdue tandis que les Allemands, leurs alliés, verrait bien la route du canal de Suez fermée aux Anglais. Le couple Emerson aurait pu rester à Londres car Radcliffe est trop vieux pour l’armée, mais le pillage systématique des fouilles en Égypte les retient de rentrer.

Leur fille adoptive Nefret a poursuivi ses études de médecine en Angleterre et a ouvert une clinique pour les femmes au Caire ; leur fils Ramsès est désormais un beau jeune homme de 25 ans, intelligent, athlétique et charmeur, mais doté d’un pacifisme à tout crin. Ce pourquoi les vieilles pies de la « haute » société britannique du Caire le snobent et lui déposent une plume blanche de « chicken », ce qui signifie chapon ou lâche dans le langage victorien. Ces nanties emperlousées ont beau jeu d’être nationalistes et d’envoyer les jeunes hommes se faire tuer tandis qu’elles se contentent de commenter et d’alimenter les ragots devant leur tasse de thé.

Il se trouve cependant que Ramsès n’est pas un lâche et le roman consiste à le prouver. De « frère » des démons, il devient « maître » des démons pour les Egyptiens. Son père sait la part qu’il prend dans les intrigues d’espionnage, et sa mère le découvre tandis que Nefret a peur pour lui. Sans compter que Sethos, le demi-frère d’Emerson amoureux d’Amelia Peabody, continue d’intriguer en coulisse et de jouer les agents triples entre le trafic d’antiquités et le trafic d’armes, sans compter le trafic de renseignements.

Difficile d’en dire plus sans dévoiler le sel de l’histoire mais, cette fois-ci, l’autrice n’hésite pas à remettre en cause les protagonistes habituels de ses histoires pour passer un grand coup de balai. Ramsès et Nefret se trouvent, tandis qu’Emerson découvre une belle statue enfouie dans le sable d’une tombe déjà pillée. Les Turcs et les Allemands sont contenus loin du Canal et la guerre se poursuit.

C’est une historienne qui a commenté les aventures archéologiques des Emerson dans la revue L’Histoire qui m’a donné envie de lire la série. J’y retrouve mes plaisir d’enfance qui lient l’aventure, l’exotisme et le décentrement du passé. Un délassement subtil.

Elizabeth Peters, Le maître des démons (He shall Thunder in the Sky), 2000, Livre de poche 2002, 542 pages, €4.48

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Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde

1903, la famille Emerson se retrouve en Egypte pour ses fouilles archéologiques annuelles des tombes antiques égyptiennes dans la Vallée des Rois.

Né en 1887, leur fils Ramsès a désormais 16 ans et est devenu un homme, ayant passé six mois dans le désert avec les bédouins en compagnie de son ami David, neveu du raïs Abdullah qui est le contremaître des fouilles depuis des années. Les deux garçons ont le même âge et sont devenus des « géants » comme le dit Amelia, la mère de Ramsès. Ce dernier, qui a été initié aux rites de virilité des bédouins, arbore désormais une moustache et s’est développé en force et en souplesse ; il a appris à se battre au couteau comme il se doit. Sa « sœur » adoptive Nefret a 19 ans, toujours trois ans de plus, et a effectué deux ans au service de santé à Londres pour apprendre la médecine. Le trio « des enfants » est soudé et prend son autonomie.

Mais la famille ne saurait passer ses mois en Egypte en effectuant paisiblement fouilles et relevés ; il faut que l’aventure s’en mêle, tout comme les gamins du Club des Cinq. Emerson, éructant et tonnant en Maître des imprécations, se voit forcé par le destin (et par sa femme Amelia) à s’intéresser à une tombe non répertoriée, la « 20-A », qui n’existe pas officiellement. Elle devrait se trouver sur le terrain entre les tombes 20 et 21. Un message enjoint les Emerson de se garder de la chercher ! Rien de mieux que de piquer la curiosité d’Amelia et celle d’Emerson, qui vont, bien-entendu, s’empresser de le faire.

Ils vont y découvrir une momie… un peu spéciale : blonde, récente, énigmatique. Une série de diversions viennent compliquer le tableau. Donald, homme mûr trop romantique, est embringué par une voyante habile dans la quête d’une princesse égyptienne dont il était amoureux dans les temps anciens. Un colonel américain sudiste, habitué à commander et à faire servir les femmes, est en quête de sa cinquième épouse disparue, « enlevée » par un certain Scudder – lequel est un as du déguisement. Sa fille Dolly, une pétasse à gifler qui prend tous les mâles pour des esclaves ou pour des sex-toys, « doit » être protégée des vues de Scudder qui cherche à l’enlever, on ne sait pourquoi. Ramsès se sent « obligé » de veiller sur elle, par les convenances bien-sûr, alors que ce n’est pas son type de fille et qu’il aime depuis toujours Nefret, laquelle est naturellement jalouse sans vouloir se l’avouer… De plus, la chatte Sekhmet s’est prise d’un amour félin pour Ramsès et grimpe sans cesse sur ses genoux, ce qui l’horripile car, s’il aime les chats, il ne supporte pas l’incruste baveuse.

C’est après une série d’actions et de réactions, de quiproquos mondains et de convenances piétinées, de bagarres mettant en danger la vie de chacun, que les liens entre tous ces éléments vont se nouer pour une fin assez convenue mais pas vraiment prévisible. Les fouilles vont enfin pouvoir débuter !

Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde (Seeing a Large Cat), 1997, Livre de poche 2002, 472 pages, occasion €1.52

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Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons

Un opus de la série aventures égyptiennes à la fin du XIXe siècle parfaitement réussi. Il allie avec bonheur égyptologie, enquête policière, scènes d’action, humour anglais et psychologie des personnages.

Amelia Peabody et Radcliffe Emerson ont eu un fils, surnommé Ramsès par son air impérieux et décidé, et ils le laissent grandir à l’abri du Kent en Angleterre. Le bébé est précoce et terrorise déjà cousines et nounou ; il dit maman et papa à 6 mois, crapahute à 8 mois, marche à 10 mois et parle couramment. Laissé à 3 mois pour des fouilles en Égypte à sa tante, ses parents ne le reconnaissent plus quand ils reviennent trois mois plus tard. Ils restent avec lui jusqu’à l’âge de 5 ans, son père lui lisant chaque soir un chapitre de son Histoire de l’Égypte ! Le gamin ne sait pas écrire méchant correctement mais ne fait aucune faute à hiéroglyphe. En bref, tout le portrait de son père, avec le côté cabochard de sa mère.

Mais il est encore trop petit pour aller en Égypte et les Emerson le quittent à regret pour six mois de fouilles lorsque lady Baskerville (qui se révélera une chienne, mais rien à voir avec le chien de Sherlock) assiège Emerson pour qu’il reprenne les fouilles entreprises par son mari dans une tombe de la Vallée des Rois à Thèbes (Louxor). Celui-ci résiste, ne voulant abandonner ni femme, ni enfant, mais sa tendre épouse le persuade de partir car il s’ennuie, elle ne le voit que trop. Elle-même n’est pas fâchée de laisser le bébé turbulent à quelqu’un d’autre pour un temps. Elle n’a guère la fibre maternelle, Amelia ; malgré les mamours constants avec son mari, qui pimentent le roman, elle n’aura qu’un seul enfant.

Sir Henry Baskerville est mort d’une façon étrange, après avoir ouvert la tombe et s’être couché en pleine santé. Les journalistes parlent de la malédiction des pharaons, d’autant que son adjoint Armadale a disparu. Mais la police britannique en Égypte, pressée d’étouffer un quelconque scandale s’il en était, conclut à une crise cardiaque. Il n’empêche que ces effacements suspects, un mort et un disparu, piquent la curiosité de l’entreprenante Peabody. Elle s’allèche d’une belle et bonne énigme à résoudre.

Les voilà donc partis, car Emerson accepte à la fin la mission de chef de l’expédition de la belle lady Baskerville, laquelle se pâme dès qu’une émotion trop forte l’atteint. Toujours à proximité des bras d’un gentleman, cela va de soi. Ce sera successivement Milverton, photographe et beau comme un jeune anglais blond, Vandergelt, riche américain tiré à quatre épingles, et Emerson bien-sûr, qui s’en agace. La tombe ouverte recèle un amas de débris qu’il faut lentement retirer et tamiser dans la chaleur et la poussière du désert d’Égypte. Le mollah du coin éructe ses imprécations contre cette profanation de tombe, mais Emerson, superbe, lui réplique en arabe en citant le Coran. Selon les dires du temps, « les Arabes » aiment les belles histoires et l’éloquence de théâtre ; Emerson y excelle – sans parler de ses bakchichs, qui sont généreux. L’autrice excelle à évoquer l’atmosphère des bords du Nil, la douceur des matins pépiants d’oiseaux, la chaleur sèche accablante des montagnes bordant le désert, les couchers de soleil très colorés sur le fleuve et qui rosissent les montagnes. Il faut être allé en Égypte pour le connaître.

Évidemment, une série d’incidents plus ou moins graves vont entacher le séjour : un poignard qui manque de blesser Emerson lorsqu’il ouvre la porte d’une armoire à l’hôtel, un fantôme de dame blanche qui effraie les ouvriers la nuit, une grosse pierre lancée avec force au travers de la fenêtre (ouverte) contre Emerson qui n’en est qu’effleuré, l’effondrement du plafond de la tombe, le pauvre Milverton dans le coma après avoir été sauvagement assommé, une tentative de pillage… D’ailleurs, Milverton ne s’appelle pas Milverton, tout comme lady Baskerville n’est pas ce qu’elle paraît, tandis que la grosse alcoolique Berengeria s’impose en falbalas informes par ses prédications de l’au-delà. Jusqu’à ce jeune allemand très rigide et correct qui tombe amoureux de la fille de la voyante, une Mary effacée et soumise mais qui a un vrai talent de dessinatrice.

Lorsque le couple retourne à Londres pour retrouver leur fils Ramsès, leur mission est accomplie et les assassins (car il y en a) sont sous les verrous. Ils ramènent une énorme chatte tigrée d’Égypte, qui appartenait à Armadale, et qu’Emerson destine au petit Ramsès…

Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons (The Curse of the Pharaohs), 1981, Livre de poche 1998, 382 pages, occasion €1,44

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Jean d’Aillon, Les rapines du duc de Guise

En 1585, le jeune Olivier Hauteville rentre chez lui dans la rue Saint-Martin à Paris, sur la rive droite de la Seine. Il devait présenter sa thèse au recteur de la Sorbonne, rive gauche, qui était absent malgré le rendez-vous donné. Sur la Seine, on massacre un huguenot. C’est que le royaume est divisé par la guerre des religions, le Christ étant le même pour tous mais pas l’Église. Les réformés réclament le droit pour chacun de se saisir du Livre pour le lire à leur gré, sans les interprétations et déformations intéressées des prêtres, obéissants à la puissance papale. Les cathos intégristes, en revanche, leur refusent, préférant l’ignorance et la bêtise – parce que de tradition – au libre examen, qui leur paraît du diable. Ainsi a-t-on refusé longtemps de voir que la terre était ronde et qu’elle n’était pas le centre du cosmos.

Olivier avait 9 ans lorsqu’on a massacré à la saint Barthélémy, sur ordre du roi ou du moins avec son plein consentement. Comme au Rwanda, les voisins ont égorgé, éventré et violé avec enthousiasme leurs voisins, avec un plaisir d’autant plus sadique qu’ils les connaissaient bien. Au début les protestants, considérés par l’Église comme hérétiques, donc au niveau des chiens (et même des « sous-chiens » comme disent les woke haineux d’aujourd’hui) ; ensuite indistinctement, même les catholiques comme eux, mais qui ne leurs plaisaient pas. Ils ont « naturellement » pillé leurs biens, revanche de l’envie, cette basse passion des foules que des manipulateurs avisés savent déchaîner pour arriver à leurs fins. C’est ainsi qu’agit Poutine avec les prisonniers qu’il envoie de force à l’armée en Ukraine. Non, la France n’était pas belle aux siècles précédents. A peine sortie de la guerre de Cent ans, elle a replongé dans les guerres de religion avant de se ruer dans les affres révolutionnaires puis dans les trois guerres imbéciles du XXe siècle, celle de 14, celle de 40, celle d’Indochine. L’Algérie n’était pas une guerre mais une « opération spéciale » intérieure, comme dit Poutine après Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954. Les périodes intermédiaires de paix et de prospérité ont été rares, si l’on regarde l’histoire. Nous vivons peut-être la fin de l’une d’elle…

Lorsqu’Olivier parvient chez lui, c’est pour constater que sa maison a été forcée, son père et sa gouvernante tués, des papiers volés ainsi que de l’argent. Par qui ? Pourquoi ? Le père n’ouvrait qu’à ceux qu’il connaissait et la herse intérieure ne permettait pas d’entrer sans la volonté du maître de maison, alors ? Justement, le commissaire Louchard, au Châtelet, affecte de soupçonner Olivier, qui avait selon lui un mobile, hériter de suite, et les moyens, la clé permettant d’ouvrir la herse, la seconde étant aux mains de son père. D’ailleurs, cette dernière a curieusement disparu…

Le jeune homme aura du mal à se dépêtrer de cette accusation absurde et finira par comprendre, avec la naïveté de la jeunesse, qu’il a été joué pour l’empêcher de découvrir une fraude massive sur la taille. Cet impôt, duquel les Parisiens et les nobles étaient exemptés, était assis sur les biens et versé au roi via des receveurs. La fraude habituelle jouait sur les rentrées ; la fraude actuelle sur l’assiette. Curieusement, le père Hauteville avait constaté en maniant des masses de papiers, quittances et reçus divers, que de plus en plus de nouveaux nobles, comme par hasard les plus riches des paroisses, parvenaient à échapper à l’impôt en exhibant un récent certificat d’anoblissement. A qui profite le crime ? Aux receveurs ? Aux banquiers ?

Pas du tout : à la Ligue. Ces parfaits catholiques usent de tous les moyens pour affaiblir le roi Henri III, trop modéré selon eux contre les protestants. Aidés de l’Espagne, qui leur promet sans leur donner beaucoup, les Guise guignent le trône de France et ravissent peu à peu les places fortes par ralliements. Cela ne se fait pas sans bon argent sonnant et trébuchant, d’où la fraude. Les imposés payent mais ils sont rayés des listes par les supérieurs des collecteurs qui enregistrent leur supposée récente noblesse : en fait un faux scellé du faux sceau de cire verte du Chancelier. L’argent est donc détourné des caisses du roi pour aller dans celle des Guise. C’est tout cela que le père d’Olivier découvrait et, lorsqu’il eut établi un mémoire sur la fraude, il fut aussitôt assassiné.

Aidé de Nicolas Poulain, lieutenant de police au Châtelet, Olivier Hauteville va reprendre l’enquête de son père et mettre au jour le complot. Il sera épaulé par une étrange jeune femme, Cassandre, habile à l’épée et aux mensonges. Rescapée de la saint Barthélémy et recueillie en chemise tout enfant par un protestant qui l’adopte, elle veut capter les créances volées au profit d’Henri de Navarre, futur héritier du trône après Henri de Guise si le roi Henri Troisième venait à mourir. Malingre, chafouin, efféminé (bien que fort porté sur les femmes), le roi n’a pas d‘enfant. Traumatisé par sa mère, la redoutable Catherine de Médicis, qui lui préfère manifestement Henri de Guise, effaré par la saint Barthélémy qu’il ne veut surtout pas voir renaître, c’est un roi faible, plus porté à composer et à dissimuler qu’à s’affirmer. Il finira par réagir, mais trop tard, poussé aux extrêmes par sa procrastination antérieure. Il sera lui-même assassiné par un moine dominicain fanatique nommé « Clément », ce qui était une ironie.

L’auteur, qui n’est pas historien, s’appuie cependant sur les mémoires de Nicolas Poulain qui a réellement existé. Il se veut Alexandre Dumas mais ne privilégie pas comme lui l’action aux détails historiques. C’est pourquoi son roman se lit bien mais n’emballe pas. A qui veut pénétrer les arcanes du temps, il sera utile ; à qui veut se divertir, il paraîtra trop long en digressions historiques. Le détail des vêtements est minutieusement pointé, la puanteur des hommes (mais pas celle des femmes, qui ne se lavaient pas plus), les encombrements de la rue, les spadassins qu’on achète pour presque rien, l’incroyable coexistence des monnaies de diverses valeurs qu’il faut changer en jetons pour en trouver l’équivalence en valeur, les relations féodales et les passe-droits, la morgue des grands et la bassesse des petits – qui se vengent dès lors, dès qu’ils peuvent, sur n’importe qui – c’est tout ce monde du XVIe siècle finissant que décrit Jean d’Aillon dans ce premier tome d’une trilogie sur la guerre de trois Henri. Comme chacun sait – ou devrait le savoir malgré l’ignorance cultivée à l’éducation « nationale » – c’est Henri de Navarre qui gagnera, né et baptisé catholique avant de choisir la religion de sa mère, calviniste. Avant de se voir assassiné à son tour par le catho fanatique Ravaillac, catéchisé par l’Église dûment catholique et romaine sous l’influence du pape qui protégeait l’Espagne, pas vraiment « chrétienne » si l’on se réfère aux Évangiles…

Jean d’Aillon, Les rapines du duc de Guise – La guerre des trois Henri 1, 2008, Livre de poche 2010, 572 pages, €8,70

La guerre des amoureuses – La guerre des trois Henri 2

La ville qui n’aimait pas son roi – La guerre des trois Henri 3

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Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens

Les chiens sont des barzoïs, les lévriers poilus russes ; l’homme est Ramon Mercader, l’assassin de Trotski au Mexique le 20 août 1940 sur ordre de Staline. Ce roman historique qui vise un « équilibre entre réalité historique et fiction » (p.804) reconstitue les causes et les conséquences de l’acte, tentant de pénétrer la psychologie des personnages dans leur contexte d’époque et de lieu. Si Trotski fut sûr de lui-même et dominateur, impitoyable d’orgueil et d’intelligence, Staline apparaît comme la véritable ordure coupable du pire péché humain : l’envie. Paranoïaque et assoiffé de pouvoir, il régnait moins par son intelligence – très moyenne – que par la peur qu’il savait inspirer. Jaloux de Trotski dès l’origine, considéré comme trop rigide par Lénine, il n’a eu de cesse de comploter pour éliminer tous les opposants, manipulant les uns contre les autres, la foi pure des révolutionnaires enthousiastes pour servir ses desseins vils d’accaparer le Kremlin pour lui tout seul.

Ce pavé monstrueux n’est pas sans bavardage. Qui est allé à Cuba sait combien les gens s’y gargarisent de mots ronflants, imbibés de slogans déclamatoires autant que creux, vu l’état du pays après trois générations de castrisme. L’auteur succombe trop volontiers à cette logorrhée, surtout au début, lorsqu’il tâtonne encore à commencer son histoire. Un bon quart du roman aurait ainsi pu être évité. Mais la suite vaut le détour, tant pour réviser son histoire que pour pénétrer les dessous psychologiques qui la meut.

Leonardo Padura publie ce qu’écrit Daniel Fonseca Ledesma d’un manuscrit laissé pour lui par Ivan Cardenas Maturell sur un récit que lui fit oralement Jaime Lopez, en réalité Jaime Ramon Mercader del Rio Hernandez, arrêté sous le nom de Jacques Mornard au faux passeport répondant au nom de Franck Jacson. C’est dire combien l’écrivain cubain prend de pincettes pour parler d’une période sensible de la croyance communiste, Staline ayant imposé par la force son mensonge que Trotski était un traître vendu aux nazis – exactement ce que reprend Poutine pour parler des Ukrainiens. Staline était antisémite, arguant sur sa fin d’un « complot juif » à propos de ses médecins. Il a toujours jalousé l’intelligence, la culture et la vivacité des juifs communistes qui ont fait la révolution avec lui et a repris les vieux préjugés des tsars sur le juif apatride vendu à qui le paie. La capacité à prendre toutes les formes, qui est l’apanage du diable chez tous les chrétiens, est ici attribué aux agents du service secret stalinien… beau renversement du celui-qui-le-dit-y-est cher aux méthodes soviétiques !

Ramon est un jeune homme à l’enfance malheureuse, ballotté entre plusieurs pays par une mère fanatique communiste, fille de gros exploiteurs cubains et victime du machisme de son mari. De ses trois fils, Maria Caridad fera trois révolutionnaires durant la guerre espagnole – « les enfants de la haine » (p.609). Ramon est le second et elle a pour lui des sentiments incestueux car c’est un beau jeune homme. Ce qui ne l’empêche pas de l’éprouver en lui mettant le marché en main : est-il prêt pour une mission de la plus haute importance ? Ou préfère-t-il végéter dans des combats républicains voués à l’échec dans l’anarchie catalane ? Ramon, sous le regard impérieux de sa mère qui n’aurait pas pardonné autre chose, choisit la mission. Il aime les chiens, comme Trotski, mais elle tue sous ses yeux le bâtard qu’il avait adopté : le communisme exige le sacrifice de tous les instants.

Tous deux sont manipulés par un juif du NKVD, Nahum Eitingon, amant de Caridad, qui se fait appeler Kotov en Espagne et a pris d’autres noms par la suite. Entré par foi communiste mais aussi parce que la Tcheka donnait des bottes, il est vite devenu cynique, observant que le mot « tromper » était le seul levier de l’utopie pervertie. « Et quand bien même ce serait un mensonge, nous le transformerions en vérité. Et c’est cela qui compte : ce que les gens croient » p.242. Quand la nature des choses résiste, il faut décréter qu’elle est nulle et non avenue et que la volonté d’un seul, mandaté par l’Histoire, est la vérité. Tout le reste est mensonge et tous les moyens sont bons pour imposer cette vérité falsifiée. « Cette trouble utilisation des idéaux, la manipulation et la dissimulation des vérités, le crime comme politique d’État, l’élaboration cynique d’un gigantesque mensonge » est-il résumé p.434. De Staline à Poutine en passant par Trump et Erdogan, Mélenchon ou Zemmour, c’est toujours la même chose : ce qu’ils disent n’est que mensonge, ce qu’ils veulent est le pouvoir, « le pouvoir de dégrader les gens, de les dominer, de faire qu’ils se traînent par terre et qu’ils aient peur, de les enculer parce que c’est ce qui fait bander ceux qui ont le pouvoir » p.609. Le type même de l’homme nouveau stalinien est André Marty, politicien communiste français brutal, inspecteur des Brigades internationales en Espagne, membre élevé du Komintern et lié au NKVD. Il est assaisonné ainsi par Padura : « un personnage vociférant, poilu et corpulent, avec une grosse tête, des yeux globuleux et des lèvres épaisses qui faisaient du bruit en se décollant quand il parlait » p.227.

Mais l’analyse va plus loin. « La première erreur du bolchevisme avait peut-être été l’élimination radicale des tendances politiques qui s’opposaient à lui : lorsque cette politique passa de l’extérieur de la société à l’intérieur du Parti, ce fut le commencement de la fin de l’utopie. Si on avait permis la liberté d’expression dans la société et au sein du Parti, la terreur n’aurait pas pu s’implanter. C’est pourquoi Staline avait entrepris l’épuration politique et intellectuelle, de façon que tout demeure sous le contrôle d’un État dévoré par le Parti, un Parti dévoré par son Secrétaire général » p.538. Tout est dit de la pente dangereuse. Notre époque devrait en prendre de la graine et c’est le mérite de ce roman de resituer l’ambiance générale de la croyance en l’utopie (comme aujourd’hui en islam, judaïsme ou christianisme fondamentaliste, en national socialisme zemmourien ou néosoviétique). « Le marxisme n’était-il qu’une simple ‘idéologie’ de plus, une sorte de fausse conscience qui menait les classes opprimées et leurs partis à croire qu’ils se battaient pour leurs propre objectifs, quand en réalité ils servaient les intérêts d’une nouvelle classe dirigeante ? » p.546. La réponse est « oui » – la « science » de l’Histoire n’est pas exacte mais une simple interprétation.

En « essayant de se glisser dans la peau d’un autre » (p.563), l’auteur raconte le destin croisé de Trotski en exil et de Mercader en mission, jusqu’au coup de piolet final dans le cerveau – le piolet étant « la fusion mortifère de la faucille et du marteau » (p.590). Avant le prison, le retour en URSS, l’exil à Cuba – où Mercader meurt à 65 ans d’un cancer bizarre, probablement dû à un empoisonnement au thallium… par les sbires du KGB. « C’était un soldat, il a obéi à des ordres. Il a fait ce qu’on lui avait ordonné de faire par obéissance, par conviction » p.792. Telle est l’éternelle excuse des criminels de guerre, qu’ils soient nazis avant-hier, serbes hier ou russes en Ukraine aujourd’hui : la soumission personnelle, la conscience robot, la paresse de penser par soi-même pour se réfugier dans l’obéissance servile qui évite la liberté, donc la responsabilité de ses propres actes.

Lisez ce livre, vous qui êtes curieux des engouements militants et du fanatisme des croyances. Vous y trouverez, dans un climat d’aventure vécue, l’analyse implacable des mécanismes psychologiques et sociaux qui transforment l’être humain en bête dressée et le jeune homme pur en criminel notoire condamné par l’histoire.

Merci à Youri de me l’avoir fait connaître.

Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens (El hombre que amaba a los perros), 2009, Points Seuil 2021, 808 pages, €9,90

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Elizabeth Peters, La pyramide oubliée

Je retrouve avec plaisir la famille Emerson, Amélia Peabody, Radcliffe Emerson, leur fils Ramsès et leur fille adoptive Nefret. Des années ont passé et les enfants ont grandi. Ramsès est désormais au début de sa vingtaine tandis que Nefret a toujours trois ans de plus. Lui n’a pas suivi l’université mais s’est formé tout seul aux langues de l’Égypte antique et a publié une grammaire égyptienne reconnue par les scientifiques de son temps. Il déchiffre aisément toutes les écritures hiéroglyphiques depuis les origines. Elle a suivi des études de médecine sans passer le diplôme, les femmes n’étant à cette époque pas admises.

Toute la famille se prépare au printemps à passer la saison en Égypte, comme d’habitude, pour fouiller une zone attribuée par le commissaire aux antiquités du pays. Ce sera cette fois une pyramide oubliée non loin du Caire, peu prestigieuse et peu connue. Mais, avant de partir, des objets égyptiens font leur apparition chez les antiquaires et Emerson en à vent. On lui propose notamment un gros scarabée de faïence bleue ouchebti gravé mais, lorsque Ramsès traduit le texte, il est incohérent, mêlant des fragments d’inscriptions hiéroglyphiques prises ici ou là à propos d’explorations maritimes. Il s’agit manifestement d’un faux, très bien imité, dont le scandale réside dans la provenance affichée : la soi-disant collection personnelle du pillage d’Abdullah, l’ancien raïs des Emerson, décédé il y a peu. Or Abdullah n’a jamais conservé des objets pour les vendre, il se serait attiré les foudres du Maître des imprécations qu’est Emerson. Quelqu’un en veut donc à la famille, surtout que David, le petit fils aîné d’Abdullah, s’apprête à se marier avec Lia, la nièce des Emerson, fille de son frère Walter.

Qui en veut donc à ce point aux Emerson ? Est-ce Percy, le neveu vil et lâche qui aimerait bien épouser Nefret et se fait mousser en publiant des livres d’aventures où il se donne le beau rôle ? Est-ce l’ennemi juré Sethos, déjà rencontré dans de précédents volumes ? Est-ce une jalousie de confrères qu’Emerson étrille trop souvent ? La famille est décidée à tirer cette histoire de faux au clair, laissant David en-dehors de tout cela durant son voyage de noces.

Une fois en Égypte, Peabody s’empresse d’aménager une maison confortable pour se reposer des fouilles, de leur poussière et de la chaleur infernale qui règne en été, tandis que Ramsès court les rues du Caire, déguisé comme il aime l’être, afin d’éviter à David, nationaliste égyptien, des mésaventures politiques. Un trafic de drogue est également établi qui aurait pour origine un Anglais et le chef de la police du Caire, anglais lui aussi, engage à l’insu de sa mère Ramsès comme espion pour en savoir plus. Le Frère des démons, ainsi est nommé en Egypte le garçon depuis son enfance turbulente, est à son affaire dans l’action et la ruse. Il n’a pas la carrure de son père mais le même teint brun et le corps svelte mais étonnamment musclé. Comme lui, il porte rarement une chemise sur les chantiers de fouilles ainsi qu’il est dit p.217, et dort torse nu comme tout garçon dès la préadolescence. Sa mère fait semblant d’enrager contre cette accroc aux convenances victoriennes mais est secrètement ravie d’avoir un mari aussi vigoureux et un fils aussi sain.

Ramsès est amoureux de sa sœur adoptive Nefret, laquelle est loin d’être insensible à cet ex-petit garçon devenu adulte. Mais les convenances, une fois encore, les empêchent de se déclarer leur désir, sauf une fois lors d’un danger pressant où Percy est mêlé. Un égarement passager car un proxénète du Caire connu vient proposer une fillette de deux ans qui ressemblent étonnamment à Amélia. Il suggère que Ramsès en est le père puisque la petite l’appelle papa, mais celui-ci dément ; il a connu la mère et l’enfant lors de ses pérégrinations déguisées dans les rues, les a mis hors du ruisseau, et croit qu’il s’agit de l’enfant bâtard de Percy, que celui-ci a rejeté comme un déchet de race. Il va donc s’occuper de la gamine avec l’aide de sa mère et du gros chat Horus, fasciné par l’enfant. Nefret, toujours absolue dans ses passions, ne réfléchit pas une seconde pour se sentir offensée et quitter la maison ; elle se marie aussitôt avec Geoffrey, un jeune anglais aimable et fluet qui aide aux fouilles et qui lui fait lui aussi la cour.

Des accidents mystérieux se produisent sur les fouilles, on tire sur Amélia, on fait s’écrouler une structure sur Ramsès, on précipite au bas d’un puits de plusieurs mètres l’amoureuse américaine du garçon, et ainsi de suite. Qui veut éloigner les Emerson du site de Zawaiet el-‘ Aryan ? Y aurait-il quelque chose à découvrir ? Une tombe royale peut-être ?

Tout se résoudra comme par magie à la fin, les petites cellules grises sollicitées et mises en commun, les émotions partagées et surmontées, les convenances mises à mal et courageusement rattrapées. Le lecteur sera surpris du coupable découvert, ce qui offre un plaisir supplémentaire à la lecture enlevée de ce récit d’aventure aux personnages bien typés, et toujours passionnant.

Elizabeth Peters, La pyramide oubliée (The Falcon at the Portal), 1999, Livre de poche 2008, 543 pages, occasion €3.11

Les romans policiers historiques d’Elizabeth Peters chroniqués sur ce blog

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Elizabeth Peters, Le maître d’Anubis

Inutile de lire dans l’ordre les opus de la série Peabody, les événements sont resitués à chaque fois. Les histoires se passent à la toute fin du XIXe siècle lorsque les Anglais, impériaux et maîtres du monde, occupent l’Egypte et laissent leurs archéologues fouiller pour trouver de beaux objets. Le professeur Radcliffe Emerson et son épouse Amelia Peabody sont en avance sur leur temps puisqu’ils cherchent moins les objets que leur contexte pour comprendre enfin la vie des Egyptiens de l’antiquité à travers les millénaires. Chaque année ils partent six mois en expédition pour revenir se ressourcer dans la verte Albion le reste du temps, sacrifier aux mondanités des relations, éduquer leur fils Walter dit Ramsès ainsi que la sœur adoptée d’un précédent voyage Nefret, fille d’un lord disparu dans l’oasis secrète.

L’expédition de l’année a lieu à Amarna, ville neuve du pharaon Akhenaton, dans laquelle serait enterrée Néfertiti sa reine. Peabody trouve bien un oushebti à l’effigie de Néfertiti pour la servir dans l’autre monde, mais l’expédition est surtout un leurre. L’ennemi juré du couple, Sethos, tente par tous les moyens de connaître l’emplacement de cette fameuse oasis cachée dans les confins du désert sud égyptien afin de piller ses trésors. Il veut pour cela la carte sommaire dessinée par Forth, le père de Nefret, avant de disparaître. Il devine que les Emerson l’ont trouvée et que Nefret en vient. Ce pourquoi il cherche à enlever Peabody pour faire parler Emerson, puis Emerson pour le droguer et le faire révéler les secrets, dans le même temps qu’il tente de découvrir la cache de la carte originale qui devrait être restée dans le Kent, et cherche à faire enlever Ramsès. Dans la lutte, Emerson perd la mémoire et Peabody, qui finit par le délivrer avec l’aide d’Abdullah le fidèle contremaître des fouilles et du riche américain Cyrus qu’elle n’a pas revue depuis des années, prend les choses en main. Elle garde toujours avec elle son ombrelle en acier trempé, fabriquée selon ses désirs, une arme redoutable.

Amarna, idéalement située pas trop loin du Caire mais désertique à souhait pour voir qui entre et qui sort, est le piège rêvé pour faire venir l’ennemi et le forcer à se découvrir. Sauf que rien ne se passe jamais comme prévu et que l’ennemi est peut-être double… ou déjà dans la place. Dans le même temps, les lettres de Ramsès informent les parents de ce qui se passe en Angleterre. La mère feint de se scandaliser de la précocité, de l’audace et de l’imagination de son fils de 11 ans alors que le lecteur un peu avisé des enfants est ravi des initiatives et du tempérament du gamin. Il cumule les qualités et les défauts de ses deux parents, ce qui le rend redoutable et impressionnant. Il va jusqu’à lâcher un lion (apprivoisé par lui) dans le parc pour garder les abords de la demeure dans laquelle des bandits cherchent à s’introduire ; il se bat avec Nefret contre une tentative d’enlèvement sur sa personne ; il invente avec sa tante et sa gouvernante un piège machiavélique pour faire découvrir la fameuse carte par une espionne introduite dans la maison et faire ainsi cesser momentanément les attaques – car il va sans dire que la carte ainsi « volée » est fausse. Le ton ampoulé et un brin verbeux de ses lettres est un trait d’humour de l’autrice qui ajoute au plaisir. Le lecteur (et peut-être aussi la lectrice) serait heureux de rencontrer ce surdoué qui n’a pas froid aux yeux s’il existait ailleurs que sur le papier.

Le titre français fait référence à Anubis, qui est un gros chat égyptien confié par une connaissance peu recommandable mais qui cherche à s’amender alors qu’il doit se déplacer à Damas. Emerson qui, comme son fils Ramsès, a l’oreille des animaux, est vite adopté par le félin qui le suit partout et se transporte lors des longues distances sur son épaule. Le titre anglais fait référence plutôt à un conte égyptien traduit par Peabody, qui dit comment un prince soit surmonter les épreuves de trois animaux pour conquérir la princesse. Et c’est bien ce qui va se passer pour Emerson et elle-même. Le redoutable Sethos, à moins qu’il ne s’agisse du rusé autre ennemi inconnu, va s’efforcer de tuer l’un ou l’autre pour assouvir sa vengeance et faire parler le survivant quel qu’il soit.

Aventure et archéologie plus histoires de couple font un mélange détonnant, très agréable à suivre bien que parfois un peu échevelé étant donné les caractères de chacun. Emerson est fonceur mais diablement intelligent ; Peabody dévouée mais absurdement obstinée ; Ramsès cumule tous les critères du sale gamin adorable. Qui accepte ainsi ces personnalités hors des normes, comme c’est mon cas, aime beaucoup le récit sans cesse renouvelé de leurs aventures.

Elizabeth Peters, Le maître d’Anubis (The Snake, the Crocodile and the Dog), 1992, Livre de poche 2000, 446 pages, occasion €0,97

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Christian Jacq, La pierre de lumière 1 Néfer le Silencieux

Ardent a 16 ans en Haute-Egypte il y a 3500 ans. Il est grand et musclé, empli d’une énergie que la baise des filles depuis quelques années ne parvient jamais à épuiser. Il en veut plus : savoir, créer, faire. Au lieu de garder les vaches comme paysan auprès de son père, il veut dessiner dans les temples.

Il existe pour cela, sous le règne de Ramsès le Grand, un village interdit de la vallée des Rois près de Thèbes (ville qui n’est pas seulement américaine ou grecque, comme le croient les ignares). En cet endroit vivent une trentaine d’artisans voués à leur art, chargés de bâtir et de décorer les tombeaux des pharaons, des reines et des enfants royaux. Il se nomme la Place de la Vérité parce que placé sous le signe de Mâat, la déesse du juste et du vrai, de l’harmonie du cosmos comme de la rectitude morale.

Ce haut lieu secret du savoir suscite des convoitises des ambitieux de la cour, notamment de Méhy, simple lieutenant de chars au début du volume, devenu chef de l’armée de Thèbes et trésorier de la ville à la fin. Le général Méhy, proche du pharaon Séthi 1er, est attesté comme conspirateur contre Ramsès II dans l’archéologie. Il est avide, cruel, rusé et sans scrupules ; il assassine volontiers ceux qui en savent trop et ne lui servent plus à rien, comme son beau-père, non sans l’avoir préalablement fait soupçonner de démence sénile et de violences sexuelles sur de très jeunes filles. Son portrait édifiant nous est brossé chapitre 52 : « Le vieux monde des pharaons ne tarderait pas à disparaître pour être remplacé par un Etat conquérant, doué d’une foi inaltérable dans le progrès, et capable de s’imposer aux civilisations décadentes. Pour parvenir à en prendre la tête, Méhy utiliserait les talents de son ami Daktair qu’aucun scrupule moral n’embarrasserait. Grâce à un clan d’hommes neufs dans son genre, sans aucune attache avec la tradition, l’Egypte se transformerait rapidement en un pays moderne où régnerait la seule loi que respectait Méhy : celle du plus fort. Un habile maquillage juridique et quelques déclarations publiques bien senties apaiseraient les consciences réticentes de certains hauts dignitaires, vite conquis par le bénéfice personnel qu’ils retireraient de la situation nouvelle. Quant au peuple, il était fait pour être soumis, et nul ne se révoltait longtemps face à une police et à une armée bien organisée ». Ecrit en 2000, ce paragraphe sonne étrangement familier : le lecteur reconnaît sans peine le tyran Poutine et ses siloviki, ces dignitaires des organes de force ! Comme quoi la déchéance humaine dans le mal et l’ordure sont inscrits dans les âmes. Seule la civilisation permet une autre voie, celle de la justice et de la vérité.

Elle est celle que propose la cité de l’élite des artisans et du savoir d’Egypte, au plus près des mystères des mathématiques et des proportions, de la mort et de l’éternité. Une mystérieuse « pierre de lumière » éclaire les âmes et les cœurs et fait chanter les corps. Méhy donnerait cher pour s’en emparer. Surpris alors qu’il n’est encore que simple lieutenant à espionner le village fermé du haut des collines qui l’entourent, il tue le garde. Sobek le Nubien, chef de la police qui protège le lieu dont Pharaon est le suprême protecteur, enquête sans résultat. Il soupçonne successivement un postulant évincé, un artisan de l’intérieur aigri ou, pire, un haut dignitaire avide…

Après de multiples épreuves mais grâce à son courage et à son obstination, Ardent parviendra à se faire reconnaître comme dessinateur de la Place de la Vérité ; il prendre alors le nom de Paneb, « le maître ». Son énergie qui défonce tous les obstacles devra être domptée et canalisée, mais elle sera une force incomparable pour la communauté. La jeune Ouâbet la Pure décide qu’il sera son mari et s’installe chez lui, même si sa maîtresse insatiable est Turquoise – mais celle-ci ne veut surtout pas se marier et s’est dédiée comme prêtresse à Hathor. Paneb l’Ardent a bien assez de forces pour contenter les deux filles, qui trouvent chacune leur intérêt comme leur plaisir à ce partage du garçon.

Outre l’intrigue policière du roman et le récit d’initiation d’un jeune en homme accompli, l’auteur, en égyptologue averti, s’étend complaisamment sur les mœurs et façons de vivre de l’Égypte antique, beau complément aux voyages que l’on peut y faire en touriste aujourd’hui. Il ouvre surtout les clés de la spiritualité égyptienne . Au chapitre 70 sont ainsi détaillées les valeurs de tout créateur : « La prise de conscience de la vie sous toutes ses formes, la largeur du cœur, la cohérence de l’être, la capacité de maîtrise et la puissance de concrétisation. Mais elles n’ont de valeur que si elles mènent à la plénitude et à la paix, et nul artisan n’a jamais atteint les limites de l’art ». Ce qui ne va pas parfois sans phrases intellos assez drôles, comme au chapitre 72 : « Souviens-toi que grand est le grand dont les grands sont grands ». Il faut lire à deux fois avant de saisir le sens et d’acquiescer.

Reste que le roman se lit bien, même si l’intérêt surgit surtout lorsqu’Ardent est admis à l’intérieur de la Place de la Vérité, les chapitres d’exposition précédents et la mise en place des personnages au début étant parfois maladroits.

Christian Jacq, La pierre de lumière 1 Néfer le Silencieux, 2000, Pocket 2001, 415 pages, €7,95

Les 4 tomes de La pierre de lumière

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Elizabeth Peters, Le secret d’Amon-Râ

A la fin du XIXe siècle, un couple de riches archéologues anglais, Emerson et Peabody, flanqué de leur fils de 10 ans Walter dit « Ramsès », se prépare à une nouvelle campagne de fouilles dans le sud de l’Égypte. Tous deux sont férus d’antiquités égyptiennes, moins pour les objets et l’argent que pour la connaissance historique de cette période millénaire qui fascine toujours. Le Soudan révolté des partisans du Mahdi vient tout juste d’être pacifié par l’armée anglaise venue du Caire, mais il est difficile et dangereux d’aller trop au sud. C’est donc bien au-dessus de Khartoum, près de la cité de Merowe (qu’il ne faut pas confondre avec Méroé), que le couple va s’efforcer de lire un site de pyramides en ruines, en plein désert.

Il a été question de placer le gamin dans un collège anglais mais le père a refusé tout net, ne voulant pas que son rejeton soit timide avec les filles, voire inverti par les mœurs et la discipline. La mère a décidé de le placer dans une académie pour jeunes gens du Caire, mais l’institution a refusé. Ramsès accompagne donc ses parents malgré les péripéties et le danger. C’est un « smart kid », un gamin débrouillard qui parle plusieurs langues et apprend les dialectes du Soudan avec aisance auprès des chameliers. Il est féru lui aussi d’égyptologie et en connaît un rayon, assez pour diriger son propre groupe de fouilles. À 10 ans, ce n’est pas rien. Si ses parents ne le traitent pas comme un adulte qu’il ne saurait être, ils le laissent assez libre pour qu’il explore et s’éduque tout seul à leur exemple.

Avant de partir pour l’Égypte, un jeune aristocrate force les portes du manoir et vient s’écrouler au pied d’Amelia Peabody au salon. S’agit de Reggie, jeune vicomte Blacktower, dont l’oncle et la tante Forthwright se sont perdus au Soudan il y a une dizaine d’années. Le grand-père a reçu une carte manuscrite de l’endroit où ils pourraient se trouver et Reggie supplie le couple d’archéologues de les accompagner. Il cherchera tout seul mais connaît mal le pays et voudrait profiter de leur expérience du pays. Mais ceux-ci refusent, ils ne croient pas à la carte sommaire, ni que les explorateurs puissent être encore vivants. Le plus curieux est que des coups de feu éclatent juste après le départ de Reggie à la porte même de la propriété, et qu’une large tache de sang s’y étale sans néanmoins qu’aucun cadavre ne puisse être retrouvé.

Une fois au nord Soudan, le campement est établi avec une main-d’œuvre locale et les fouilles commencent. Et c’est à nouveau Reggie qui vient un beau jour s’écrouler d’un chameau au pied de Peabody en bis repetita placent… le jeune homme veut se lancer tout seul dans le désert mais il court à sa perte et les Emerson l’aident à trouver des chameaux, un guide et des porteurs pour qu’il parte quelques jours en expédition voir s’il peut trouver les premiers relais indiqués sur la carte sommaire.

C’est le début d’une aventure pour tous car Reggie ne revient évidemment pas et Emerson, Peabody et Ramsès doivent se lancer sur ses traces par solidarité anglaise, sinon humaine. Ils trouvent les premiers piliers mentionnés par la carte manuscrite mais leurs porteurs sont de plus en plus effrayés de se lancer ainsi dans le désert alors que des sauvages errent dans les étendues pour faire prisonniers ceux qu’ils trouvent, selon ce qui se dit, et que l’eau risque de manquer. Les chameaux meurent d’ailleurs un à un, peut-être de chaleur ou de fatigue, peut-être pas. Peabody soigne leurs blessures avec des onguents empruntés à l’armée britannique mais ils décèdent successivement. Un matin, tous les porteurs ont disparu avec les provisions, les outres d’eau et les derniers chameaux survivants tandis que leur chef Kemit, un bel homme du désert, a été assommé. Il faut donc continuer à pied trouver le prochain puits, vaguement indiqué sur la carte à deux ou trois jours de marche.

Mais la déshydratation et la fatigue ont bientôt raison des voyageurs. Seul Kemit, jeune homme sec et musclé de 18 ans, est encore valide. Il se propose d’aller en courant joindre le point d’eau le plus proche et ramener du secours. Ce qu’il fait, in extremis. Le couple et leur gamin sont sauvés, hissés sur des chameaux et conduits jusque dans une oasis secrète, cernée de hautes falaises, inconnue du reste du monde. En cet endroit resté tel qu’il était il y a des millénaires, survit une population d’Égyptiens de l’Antiquité en autarcie quasi complète. C’est un bonheur pour les  archéologues que de vivre dans leur période favorite. Ramsès se met d’ailleurs immédiatement au goût du jour en ne portant plus qu’un pagne et des sandales comme tous les mâles du lieu. Sa mère avait déjà noté son empressement d’ôter souvent ses vêtements au maximum, tout comme son père Emerson, grand et musclé baroudeur. L’autrice donne très souvent des signes de l’amour que se portent Emerson et Peabody, par des remarques à la fois pudiques et sensuelles comme l’époque victorienne pouvait en provoquer – c’est un plaisir supplémentaire de lecture qui pimente les dialogues.

Seul inconvénient : nul ne peut quitter l’oasis sous peine de mort. Dès lors, il faut soit rester parmi les indigènes et vivre comme eux, ainsi que l’ont fait le couple Forthwright que Reggie recherche, soit tenter une sortie avec plus de chances d’y rester que de réussir. L’oncle est mort et l’on peut visiter son tombeau à l’égyptienne dans la cité, son épouse a disparu et l’on apprend assez vite qu’elle a donné naissance à une fille qui doit avoir dans les 13 ans. Mais les Emerson ne veulent pas s’enterrer dans le désert, même au milieu des merveilles égyptiennes qu’ils ont passé leur vie à étudier. Ce ne serait pas bien pour Ramsès.

Ils se retrouvent donc pris dans une lutte de pouvoir entre les deux fils du roi qui vient de décéder, le prince Tarek qui n’est autre que Kemit et son demi-frère le prince Nastasen à peu près du même âge. C’est le dieu Amon qui doit désigner le successeur du roi lors d’une cérémonie grandiose au temple. Nul doute que le grand prêtre décidera au nom du Dieu, comme tous les clergés du monde qui manipulent le sacré à leur propre profit. Emerson, Peabody et Ramsès vont vivre des aventures palpitantes en essayant d’explorer au maximum la cité, d’apprendre le plus de mots de la langue locale et des coutumes antiques, tout en se préoccupant de pouvoir fuir dès que l’occasion s’en présentera.

Chacun sera soumis à rude épreuve, près d’être sacrifié ou emprisonné jusqu’à mourir de soif dans les souterrains emplis de poussière et d’araignées, avant d’émerger à la lumière grâce au chat sacré dont Ramsès s’est enamouré, et de pouvoir partir avec une nouvelle compagne pour le jeune garçon qui n’est autre que la fille de 13 ans considérée en ce lieu comme une déesse aux cheveux d’or.

C’est une suite d’aventures palpitantes dans un décor à la Henry Rider Haggard (Les ruines du roi Salomon) que Steven Spielberg mènera à la gloire avec ses films d’Indiana Jones. Décédée en 2013 à 85 ans, Elizabeth Peters, née Barbara Michael épouse Mertz, a suivi des études d’égyptologie à Chicago jusqu’au doctorat en 1952, avant de se lancer dans le roman policier thriller en 1975 avec la série Amélia Peabody qui compte jusqu’à 19 volumes dont Le secret d’Amon Râ est le sixième. Aventures palpitantes, couple uni d’érudits amoureux, gamin étonnant et courageux, le tout raconté dans un style enthousiaste – voilà un cocktail pétillant qui passionne les adultes épris de merveilleux et d’action tout comme des adolescents. J’en ai été captivé.

Elizabeth Peters, Le secret d’Amon-Râ (The Last Camel Died at Noon), 1991, Livre de poche 1998, 447 pages, €7.45

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Michèle Barrière, Souper mortel aux étuves

Nous sommes en janvier 1393 et l’autrice, historienne et journaliste culinaire, nous précipite dans un roman noir médiéval. Certes, l’intrigue policière connaît des rebondissements inattendus mais reste plutôt mal ficelée tandis que l’histoire d’amour entre cuisiniers commence mal pour se terminer autour des marmites, mais le régal est la cuisine. Des recettes qu’il est possible de faire aujourd’hui sont données à la fin du volume, ce qui permet de prolonger l’histoire par ses goûts et ses parfums.

Jehan, marchand de draps d’un certain âge qui travaille pour le trésorier du roi Charles VI, celui qui est devenu fou après le bal des Ardents, est retrouvé égorgé dans une ruelle du vieux Paris autour de Notre-Dame. Il avait fréquenté, pour raisons professionnelles, un bordel déguisé en étuves où se réunissent probablement des faux-monnayeurs. Sa jeune femme de 19 ans nommée Constance, amie de Valentine, duchesse d’Orléans, décide de le venger et pour cela d’infiltrer le bordel.

Elle ne va pas faire putain ni servante dans ce milieu débauché, mais simplement proposer sa cuisine. Elle se heurte frontalement au cuisinier Guillaume, proche de Taillevent le cuisinier du roi, qui arrondit ses fins de mois en proposant des plats aux clients de l’étuve. Mais Isabelle la maquerelle, qui adore baiser comme manger, prend tout et les met en concurrence. C’est le début d’une histoire d’amour et non seulement pour la cuisine. Constance qui n’a qui n’a jamais fait cuire une soupe jusque-là se met aux fourneaux selon le ménagier écrit par son mari et, elle qui voulait finir au couvent après la mort de protecteur bien-aimé, se met à apprécier la chair jeune de l’homme qu’elle côtoie.

Il semble que la fausse monnaie soit frappée à Saint-Jacques-de-Compostelle, où l’or coule à flots grâce aux pèlerins, puis transporté jusqu’en France par des pèlerines naïves au-dessus de tout soupçon, le tout étant financé par des proches du duc de Bourgogne pour servir à ses desseins contre le roi de France. Constance et Guillaume vont donc suivre le chef de bande Gauvard jusqu’à Bruges, puis tomber dans un piège téléphoné auquel n’importe quel enfant de 5 ans aurait échappé. C’est ce moment qui est la faiblesse du livre, pour le reste assez bien construit et fort bien écrit.

Le récit est ponctué des manières préparer les huîtres, l’épaule d’agneau ou les tourtes, assaisonné d’un attachement filial pour le jeune Mathias de 12 ans, recueilli en haillons au cimetière des Innocents, et de la haute mission de servir l’État tout en vengeant un vertueux. Le lecteur passe un bon moment. Pour le prolonger, je vous conseille concocter le potage jaunet, recette issue directement du Ménagier de Paris, ou de tenter le civet d’huîtres.

Michèle Barrière, Souper mortel aux étuves, 2006, Livre de poche 2009, 345 pages, €7.90 e-book Kindle €7.49

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Vladimir Volkoff, Les hommes du tsar

Un mauvais titre pour un bon roman historique. En France, « les hommes du tsar » ne veut rien dire, Boris Godounov aurait mieux convenu car c’est lui le sujet du livre. Il est écrit à grands guide comme une mythologie du personnage, le romancier comblant par l’imagination les trous des historiens. C’est agréable et dans l’action comme Alexandre Dumas.

Boris Godounov est devenu le grand écuyer d’Ivan IV « le Terrible » qui fut orphelin très tôt, élevé comme un esclave par les boyards de la cour, connaissant la misère et la haine qui va avec. Comme Staline plus tard, parallèle intéressant, Ivan devenu tsar s’entourera de gens de rien pour qu’ils lui soient fidèles, plutôt que de nobles de cour aptes à le trahir à la première occasion. Il n’hésitera jamais, comme Staline, à exiler ou à couper des têtes.

C’est ainsi qu’au premier chapitre, le Terrible assistant à la messe entend lire l’Evangile où il est dit : « les premiers seront les derniers ». Qu’à cela ne tienne, il fait chercher le « psar », le valet au plus bas de l’échelle, qui s’occupe des chiens et dort avec eux. De ce Névéja crasseux et illettré, il fera un boyard fidèle comme un chien. Il sera son homme de main qui parle peu et agit vite, sans état d’âme, dans l’ombre. Marié sur ordre du tsar à une fille de boyard, il suscitera de l’amour et aura deux fils admirables.

Il fera sien aussi le neveu d’un intendant, Boris, arrivé à 16 ans à Moscou sur ordre de son oncle, avec sa jeune sœur Irina de 10 ans. Le jeune homme n’est pas un guerrier mais un politique intuitif. Il sauve la mise du tsar bourré qui a parié une ville contre un ambassadeur Tatar lors d’un concours à l’arc. Dans les intrigues, Boris Godounov est précieux car fidèle et intelligent. Il en fera un boyard et lui fera épouser une fille de boyard rustre.

Lorsque, pris de colère et de boisson, Ivan IV tuera son fils aîné Ivan à coup d’épieux alors qu’il voulait protéger sa femme enceinte (en tuant le bébé par la même occasion), c’est Godounov qui s’interposera. Lorsque le tsar mourra, d’apoplexie ou empoisonné, il conseillera son fils cadet Fédor 1er, époux de sa sœur Irina.

Le roman quitte Boris Godounov alors qu’il est encore conseiller en 1592, après qu’il ait fait assassiner par le psar le tsarévitch Dimitri, bâtard d’un septième lit d’Ivan le Terrible, épileptique et écarté de sa succession par Ivan lui-même. Mais les familles Chouïski et Nagoï complotaient pour se servir de l’enfant et monter sur le trône.

Un bon roman d’aventures basé sur des faits vrais et qui donne toute l’ampleur de la nature russe, de la dévotion populaire au tsar, seul lien du peuple avec l’ordre du monde. D’une monarchie élective, Ivan IV a fait une autocratie car les boyards sont trop diviseurs. Tout comme Staline le fera, avant Poutine avec les oligarques. Comme quoi les constantes historiques demeurent, malgré la modernité.

Vladimir Volkoff, Les hommes du tsar, 1989, Livre de poche 1998, 512 pages, €3,78

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Michelle Moran, Les soleils de Néfertari

Néfertari est la nièce de Néfertiti et l’épouse reine de Ramsès II. Michelle Moran, formée en littérature, se lance dans son second roman. Elle utilise les sources historiques et les mêle d’imagination lorsqu’elles font défaut. Elle écrit donc un roman « arrangé » comme on le dit d’un rhum, ce qui donne du liant et de la saveur à l’histoire. Bien que formé à la méthode scientifique, soucieux des sources et de n’en pas dévier, j’aime ces romans qui mettent de la couleur humaine sur la sécheresse des traces écrites ou archéologiques.

Tout commence en 1283 avant notre ère. L’Egypte est ce pays puissant fécondé par le Nil qui permet des récoltes abondantes et une population industrieuse. Mais Les Hittites menacent au nord comme les Nubiens au sud et il faut sans cesse à Pharaon guerroyer pour s’affirmer. Néfertari est de la famille des « hérétiques », cet Akhénaton qui a renié Amon au profit du dieu soleil unique, Aton. Curieusement, la famille de la princesse a brûlé dans un incendie déclenché par un prêtre, cette engeance qui fait des dieux un prétexte à sa propre puissance.

Mais la cour est un nœud d’intrigues pour le pouvoir et une princesse jolie et décidée se découvre très vite des alliés, notamment la tante cadette du futur pharaon et son amant le vizir Pasès. Le jeune Ramsès, fils de Ramsès 1er Séthi, a trois ans de plus que la princesse de sang royal Néfertari mais l’a pris sous sa protection affectueuse depuis sa tendre enfance. A l’adolescence, il l’aime comme on aime une femme même si, puisque la gamine n’a que 13 ans, le fils de Pharaon va devoir épouser à 16 ans Iset, une autre fille, pour assurer une descendance à son père vieillissant. Inet lui donnera un garçon, mais il mourra peu après sa naissance. Ramsès épousera donc Néfertari aussi lorsqu’elle a 14 ans et lui 17, et en fera sa première reine un an plus tard. Elle lui donnera deux garçons jumeaux, avant quatre autres enfants par la suite. Iset, manipulée par le grand prêtre d’Amon Rahotep et par la tante aînée du jeune Ramsès, est jolie mais bête et se résoudra à rester dans l’ombre.

Car Néfertari est emplie de curiosité et douée pour les langues. Elle aide son mari pharaon à décrypter les missives diplomatiques comme les messages des espions ; elle le sauvera de la déroute lorsque le jeune impétueux voudra reprendre Quadesh, bizarrement désertée par l’empereur hittite qui l’a conquise. C’est en écoutant à leur insu deux espions faits prisonniers que Néfertari va comprendre le piège et ordonner aux réserves de se lancer à l’aide de Pharaon.

Le roman ne manque pas de scènes sensuelles entre les deux jeunes gens qui vivent poitrine nue, en pagnes courts ou tunique transparente, ni de scènes parentales tendres et enjouées avec les deux bébés. Les scènes de conseil sont vives d’intelligence. L’auteur fait apparaître le personnage inventé d’Ahmosis, chef des Habirus incorporés dans l’armée égyptienne, dans lesquels – tropisme bien américain – elle voit volontiers les Juifs retenus avant l’Exode. Elle introduit aussi des Grecs troyens dans ces « pirates » Sherden tout en faisant accompagner Ramsès de Néfertari lorsqu’il part les combattre. Quoi de mieux qu’une réputation de « reine guerrière » pour effacer dans l’esprit frustre et impressionnable du peuple son image de reine « hérétique » ?

A lire ce roman, vous passerez un bon moment de magie égyptienne antique par ces temps de  troubles et d’anxiété existentielle.

Michelle Moran, Les soleils de Néfertari (The Heretic Queen), 2008, J’ail lu 2010, 441 pages, €4.17

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Pauline Gedge, La dame du Nil

La dame date du XVIe siècle avant notre ère, elle est égyptienne, elle est reine et un temps pharaonne. Elle se nomme Hatchepsout. La romancière canadienne en son premier roman d’histoire antique la cueille à 10 ans lorsqu’elle est déjà garçon manqué, déambulant en simple pagne dans le palais et ses jardins, rêvant de tirer à l’arc et de conduire les chars comme un adolescent. Ce qu’elle fera dès 12 ans, comme un garçon, car son père Touthmôsis 1er en est fière et son frère, le futur Touthmôsis II préfère la nourriture et la compagnie des femmes à l’exercice et au pouvoir.

C’est un beau roman historique que nous propose l’autrice préféministe, dans la lignée des grandes femelles qui ont fait l’Histoire d’Egypte bien avant l’islam, telles Néfertiti et Cléopâtre. Le pays autour du Nil séduit par son climat doux, ses monuments célèbres et la sensualité de ses corps quasi nus. Mais il n’est pas simple de gouverner un état rendu opulent par la crue annuelle et dont les richesses sont convoitées par les pillards des marges, moins chanceux par la nature mais aussi moins enclins à faire l’effort de travailler la terre.

Hatchepsout va assister à l’empoisonnement de sa grande sœur de 14 ans par le grand prêtre d’Amon pour raisons politiques. Les religions, partout sur la planète, sont de constantes plaies car elles profitent des peurs pour imposer la Croyance, donc le pouvoir des prêtres. Sonnée, la fillette qui va être mariée à son demi-frère de 16 ans, se précipite le soir dans les jardins, sème sa nounou et son gardien, et va nager dans le lac sacré… d’où elle est tirée d’une poigne de fer par un novice adolescent du temple d’Amon, Semnout, fils de paysans du Nil qui rêve de devenir architecte. Le garçon, qui a 14 ans et déjà de robustes épaules selon la romancière, la sèche et la console avant de savoir à qui il a affaire. Mais Hatchepsout lui est reconnaissante de s’être intéressée à sa personne plus qu’à son titre et elle lui voue une fidélité qui durera jusqu’à la fin de sa vie.

Entreprenant son papa pharaon qui ne peut rien lui refuser, elle fait de Semnout un apprenti architecte auprès du plus grand du temps, puis son vizir, le second du pouvoir après elle lorsqu’elle assure la régence après la mort de son époux Touthmôsis II. Elle aurait pu l’épouser, le faisant pharaon qu’on sort, mais elle reste fidèle aussi à la tradition qui veut que la détentrice du sang royal se marie de préférence avec un demi-sang royal, en l’occurrence son frère issu d’une autre mère puis, au décès de celui-ci par maladie, le fils, son neveu. Car elle-même n’a eu que deux filles de sa liaison avec Touthmôsis II et celui-ci a dû faire d’une danseuse sa seconde épouse officielle pour engendrer un fils.

Ledit neveu, futur Touthmôsis III qui ressemble à son grand-père Touthmôsis 1er, aurait bien épousé à 17 ans sa tante, à la mort de son père, mais Hatchepsout de vingt ans plus âgée a refusé. Elle voulait régner seule encore un petit peu de temps tout en admirant la force, la vitalité et le sens politique du garçon. Ce n’est que quelques années plus tard que, devenu jeune homme athlétique et bon guerrier, Touthmôsis s’est lassé d’attendre et a fait assassiner ses soutiens, à commencer par Semnout, avant de l’engager à se retirer du pouvoir. Elle a donc bu la coupe – empoisonnée comme il se doit.

Hatchepsout jeune a conduit les troupes à la guerre et a combattu elle-même sur un char lorsqu’elle n’était encore que princesse héritière. Son seul amour, hors son père, a été pour Semnout par qui elle a fait construire son tombeau, le complexe de temple de Deir-el-Bahari qui se fond avec la falaise, face à Louxor.

Un beau roman de rêve, de pouvoir et d’amour, dans lequel manque un peu de la sensualité du Nil – mais l’époque de sa parution était encore imbibée de la morale coincée évacuée par 1968 mais qui, malheureusement, revient.

Pauline Gedge, La dame du Nil (Child of the Morning), 1977, Balland 1980, 404 pages, occasion €1.68 ou J’ai lu 2 tomes, €19.00  

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Philip Kerr, Bleu de Prusse

Un thriller nazi, voilà ce que propose l’écrivain anglais Philip Kerr, mort d’un cancer en 2018 à 62 ans. Bernie est un social-démocrate qui a démissionné de la Kripo, la Kriminal Police de Berlin, à l’arrivée des nazis. Rappelé par Heydrich et forcé d’obéir (sinon, le camp…) il est envoyé en mission spéciale sur ordre du général SS pour enquêter sur un meurtre à Berchtesgaden, le nid du Führer. Dans cette véritable capitale de la nouvelle Allemagne règne Martin Bormann, le secrétaire particulier de Hitler.

Les nazis entre eux ne peuvent pas se sacquer, tous plus arrivistes les uns que les autres, et tout aussi vulgaires, brutaux et tordus. Une mauvaise resucée de Nietzsche, publiée par sa sœur ignare, fait de la « volonté de puissance » l’alpha et l’omega du nazi, autrement dit chacun pour soi et que le meilleur gagne. Une lutte pour l’existence sous la tutelle du Führer en dieu vivant, bien entendu. Quant au sens… s’il ne sert Aryen, il ne vaut rien. « La vie était devenue chose trop sérieuse pour se laisser détourner de son chemin par des bagatelles comme le bonheur. Le sens, voilà ce qui comptait, même si lui aussi se faisait rare » p.570.

Les néo nazillons qui hantent aujourd’hui les rues en braillant à la « dictature Macron » devraient lire ce livre qui donne les clés du système nazi : un arrivisme d’incultes qui se prennent pour la race supérieure et méprisent tous ceux qui n’ont pas piétinés leurs copains afin d’arriver aux étoiles de général SS et aux éclairs d’argent sur le col. Mais évidemment, ils ne lisent pas ; c’est pour les intellos, pas pour les petits cerveaux ; pour les aigles qui planent au-dessus de la basse humanité, pas pour les bovins qui défilent en troupeaux. « Les deux types envoyés pour m’arrêter étaient imperméables à toute raison : Emmanuel Kant lui-même n’aurait pas réussi à entamer leur carapace de pure ignorance et d’incrédulité catégorique » p.344, dit Bernie/Kerr avec une implacable ironie.

Le Komissar Gunther est emmené en Mercedes de luxe 770K jusqu’aux Alpes bavaroises où se situe le nid d’aigle. Il rencontre Bormann et enquête sur le meurtre par fusil à lunette d’un capitaine nazi nommé Flex sur la terrasse même de la « maison de thé » du Führer. A l’autopsie, forcée par lui auprès du médecin personnel de Hitler, il prend en photo la bite rouge de Flex. Pourquoi ? Parce qu’il a la chaude-pisse ; les putes du coin, maquées par Bormann lui-même, sont une piste. Mais chacun des dignitaires et officiers lui met des bâtons dans les roues car il est un flic à l’ancienne. Peu enclin à respecter la hiérarchie et les habitudes établies, il entrevoit l’amplitude de la corruption et on tente plusieurs fois de le tuer. Mais il est bon et opiniâtre et résoudra l’affaire… dont le Führer ne devra pas avoir vent.

Il collecte en cours de route des documents compromettants sur Bormann, son racket des entreprises de construction, son chantage à l’appel aux armées, son compte en Suisse – mais ne pourra en faire état car l’habile secrétaire a mêlé les droits d’auteur de Hitler à l’argent sale qu’il dépose. Il est donc intouchable, c’est ce que lui démontre Albert, le frère version positive de Bormann.

Le roman se déroule entre 1956, où Bernie Gunther se retrouve traqué par d’anciens collègues nazis passés à la Stasi de la nouvelle Allemagne… de l’est, et 1939 où il enquête pour Heydrich et sa nouvelle Allemagne aryenne. Si la guerre de classes a remplacé la guerre de races, c’est bien la même tyrannie du « Bien » appliquée avec Fureur par un même aréopage réduit sous les ordres d’un Grand maître par des nervis aussi décérébrés et brutaux. A chaque fois, parce qu’il est un renard de métropole, Bernie s’en sortira, dans les mêmes décors et avec les mêmes façons. Comme quoi l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Le titre du roman est le mot de passe qui désigne le tueur.

Un très bon roman sur l’univers nazi, une solide enquête policière qui va de surprise en surprise, un livre épais qui vous promet de nombreuses heures de lecture – et une ironie glacée qui fait mouche. S’en sortir sous le nazisme quand on est Berlinois et antinazi est une performance ! Tous les résistants de l’intérieur devraient en prendre de la graine. Les prochaines années risquent d’en montrer l’utilité.

Philip Kerr, Bleu de Prusse (Prussian Blue) – une enquête de Bernie Gunther, 2017, Points policier, 664 pages, €8.80 e-book Kindle €2.99

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Christian Jacq, La reine soleil

Tout le monde connait Toutankhamon « l’image vivante d’Aton », le pharaon adolescent dont le masque d’or a ébloui les expositions. Mais qui connait sa tendre épouse, la reine Akhésa (Ankhes-en-pa-Aton de son nom complet, parfois écrit Ânkhésenpaaton) ? C’est pourtant elle qui a initié le tout jeune prince, son demi-frère né d’Akhenaton et de la « Young Lady » des fouilles, vers 12 ans (né vers 1345 avant) alors qu’elle en avait elle-même deux de plus. Femme forte, troisième fille d’Akhenaton (Amenhotep IV) et de Néfertiti, elle est descendante royale, celle qui désigne le pharaon qui sera son époux. Car la lignée se transmet par les femmes, sauf rupture brutale, comme le fera le général Horemheb à la fin de l’histoire.

Akhésa est cueillie toute fraîche par le romancier historien à ses 14 ans, devenue femme depuis peu, avec de « petits seins arrogants » qui pointent sous la tunique de lin transparente tout comme le triangle de ses cuisses. Akhésa est une belle fille, élancée, svelte, dorée. Le jeune Toutankhaton en est ébloui, séduit, amoureux, lui qui porte encore le nom voué au dieu soleil Aton imposé par le pharaon Akhenaton son père malgré l’ire des grands prêtres d’Amon à Karnak. Comme partout, le clergé d’une religion totalitaire est une plaie civique. Ces intermédiaires entre les hommes et les dieux qui captent une bonne partie des richesses du pays « au nom des dieux » se croient au-dessus du commun des mortels et veulent régenter l’humanité. Ils supportent mal le politique et n’hésitent pas à tuer, par le poison le plus souvent, en serpents qu’ils deviennent dans l’obscurité des temples et des intrigues entre soi. C’est ainsi que finira Toutankhamon, à 18 ans en 1327 avant notre ère, selon le scénario privilégié par l’auteur (mais pas historiquement établi – il aurait pu décéder d’une plaie au crâne, d’une plaie infectée à la jambe, d’un accident de char).

Entre temps les intrigues de la cour, le mysticisme d’Akhenaton en sa capitale isolée du pays, le retrait de la reine Néfertiti devenue aveugle et indifférente au monde, vont faire bouillir les ambitions. Le « divin père » Aÿ est vieux mais de bon conseil, il deviendra pharaon pour quelques mois avant de partir pour l’au-delà, choisi par Akésa à la mort de Toutankhamon. Le général scribe Horemheb est organisé mais trop ambitieux, encore heureux qu’il soit légitimiste et ne veuille pas attenter à la vie de Pharaon. Il n’obtiendra la double couronne d’Egypte que lorsque tous les autres recours seront épuisés, faisant condamner malgré lui à mort Akhésa (invention du romancier) pour avoir comploté un mariage avec un prince hittite pour contrer son ambition. Akhésa mourra à 20 ans, une année à peine après son amour Toutankhamon.

Elle le trouvait enfant lorsqu’elle a dû se marier avec lui qui avait 8 ou 10 ans pour assurer la succession d’Akhenaton, mort en 1338 ; mais il était touchant. La puberté l’a tourmenté de désir et rendu insatiable. Il aimait sa femme superbe et de plus en plus à mesure des années. Ils baisaient un peu partout, dans la chambre, dans les bosquets, sur la rive du Nil, dans les roseaux, dans une grotte au-dessus des tombeaux. Malgré ses innombrables coups de queue, l’adolescent ne lui a fait que deux filles, mortes-nées. Il y avait un défaut de santé chez le jeune prince. On suppose aujourd’hui par des études poussées sur sa momie qu’il était atteint de malaria et de la maladie de Khöler (une anomalie de la croissance des os). A la fin de son adolescence, il avait encore du mal à supporter longtemps sur la tête le poids de la double couronne, seule son épouse le réconfortait et lui donnait la force.

C’est du moins ainsi que romance Christian Jacq, centré avant tout sur la femme, à la mode de notre temps. C’était avant l’ère biblique (peut-être inspirée d’ailleurs par le culte du dieu unique Aton, imposé par Akhenaton en avance sur son temps) ; la femme était moins dévalorisée que par la suite. Hatchepsout, Téyé (ou Tiyi), Néfertiti, Akhésa, Cléopâtre, sont de grandes égyptiennes, réhabilitées par notre siècle – et par le souci commercial de plaire à un lectorat surtout féminin. Intrigues et eau de rose suffisent à faire de ce roman un plaisir de lecture. La sensualité des adolescents, leur beauté juvénile, l’ambition des adultes, le climat doux et l’aménagement luxuriant des jardins, le savoir-faire luxueux des objets, la majesté des temples de pierre et le grandiose des tombeaux, composent un décor qui ravit. L’Egypte des pharaons était alors « la » civilisation, peut-être la mère de toutes les occidentales, dont la nôtre mâtinée de grecque, de romaine, de juive et de germanique.

Christian Jacq, La reine soleil – L’aimée de Toutankhamon, 1988, Pocket 2018, 576 pages, €7.95

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C.L. Grace, Le temps des poisons

Kathryn Swinbrooke, apothicaire à Canterbury, vient de se marier avec son diable d’Irlandais, commissaire du roi Edouard IV. Nous sommes à Walmer dans le comté de Kent en 1472. Louis XI de France, universelle Aragne, tisse sa toile pour enfermer l’Angleterre et récupérer Calais. Il protège Henri Tudor, descendant du roi assassiné par Edouard. Ses espions diplomates et rusés intriguent. Chacun se tend des pièges. C’est dans cette atmosphère qu’une négociation doit avoir lieu entre Lord Henry, fidèle du roi Edouard, et les envoyés de Louis XI.

Mais c’est à ce moment que, dans le village au bas du manoir, un forgeron et sa femme sont empoisonnés en plein jour. Il y aura encore d’autres meurtres. Est-ce lié à la négociation ? Qui est ce prêcheur tout vêtu de noir, arrivé à ce moment au village, qui fulmine contre les mécréants ? Qui est cette grand-mère, deux fois veuve, qui vit seule à l’orée de la forêt avec ses chats et qui n’a ni l’œil ni l’oreille dans sa poche ? Pourquoi ressurgit cette histoire de naufrageurs, pendus haut et court par Lord Henry sur ordre du roi ? Et ces trois malheureux partisans des Lancastre, massacrés par les villageois alors qu’ils demandaient asile ?

Nous sommes dans un festival des poisons, dans un nœud d’intrigues, plus digne d’une cour italienne Renaissance que d’un village côtier de l’Angleterre médiévale. Superstitions, haines, démons, font la sarabande dans les esprits et les demeures. Kathryn, logicienne aristotélicienne, et Murtagh, militaire droit et fonceur, vont se mettre en quatre pour comprendre et offrir au jugement.

La fin n’est pas celle qu’on croit, ce qui est le meilleur compliment qu’on puisse faire à tout roman policier. Les personnages sont attachants, du tabellion avide à la jouvencelle échauffée, de la vieille impotente acariâtre au gamin orphelin, du diplomate trop subtil au sergent vaniteux de son tout petit pouvoir. Le décor médiéval et villageois en est presque écolo. Mais vivre proche de la nature n’a jamais rendu heureux en soi : les instincts et les passions supplantent trop souvent la raison dans ces animaux sociaux que sont les humains.

C.L. Grace (Paul Doherty), Le temps des poisons (A Feast of Poisons), 2004, 10-18 2008, 309 pages, occasion 3.38€

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C.L. Grace, Le Lacrima Christi

C.L. Grace est l’un des pseudonymes de l’universitaire anglais d’histoire médiévale Paul Doherty. Il est le père d’Hugh Corbett enquêteur du roi, de frère Athelstan, de Nicholas Segalla, d’un détective d’Alexandre le Grand et de Katryn Swinbrooke, apothicaire à Cantorbéry. A la manière de Chaucer, Grace-Doherty écrit ses ‘Tales of Canterbury’. ‘Le Lacrima Christi’ en est le sixième.

Nous sommes vers 1472, la ville de Constantinople est tombée aux mains des Turcs en 1453 et Edouard d’York est devenu roi après avoir battu les Lancastre et fait tuer le faible roi Henri VI. Le Lacrima Christi – larme du Christ – est un rubis gros comme un œuf de pigeon ramené de Constantinople en ruines par un guerrier anglais de la garde varègue. Il serait, croit-on, le sang de Jésus tourmenté durant la Passion et figé en pierre précieuse. Son donateur, sir Walter, l’a prêté au couvent franciscain pour l’afflux des pèlerins. Mais ne voilà-t-il pas que le Joyau bien gardé derrière de solides portes en chêne que seules deux clés ouvrent disparaît ? Quant à sir Walter, il est décapité en pleine pénitence dans le labyrinthe feuillu dans lequel il aime à se retirer ?

Colum Murtagh, Irlandais représentant du roi, et Katryn Swinbrooke, apothicaire amoureuse du premier, vont mener l’enquête. Il n’est pas rare, à cette époque, de voir les femmes occuper des fonctions actives dans la société. Elles sont probablement plus libres en 1400 qu’elles ne le seront en 1900. Katryn a une vie bien remplie, bien que n’ayant pas trente ans. Mariée à un soûlard qui la battait et qui est mort dans une rixe du temps, elle est gouvernée par la veuve Thomassina. Elle a recueilli la jeune servante Agnès, 14 ans, et l’enfant de troupe Wuf, 11 ans, dont le prénom évoque l’aboiement. Ce pourquoi le gamin avisé préfère se faire appeler Wulf, abréviation plus chrétienne des saints Wulphy ou Wulfran.

Colum est un soldat, Katryn un disciple d’Aristote. Le premier manie l’épée, la seconde la logique et les potions. Les deux se complètent donc admirablement pour faire la lumière sur les actes répréhensibles suscités par les passions humaines. Jalousie, vendetta, envie, goût des beaux atours, du prestige et de l’argent, les ressorts en sont toujours les mêmes. Les couvents abritent de gras moines, parfois revenus des choses terrestres et las des massacres du temps. La ville attire des filous qui n’hésitent jamais à couper les bourses ou à vendre de fausses reliques ou de ‘l’eau du Jourdain’ puisée dans la mare putride voisine. Les demeures seigneuriales recèlent tout un monde qui s’affaire et se jalouse, la beauté recelant souvent la haine et la prestance de bas instincts.

Comme toujours avec l’auteur, le lecteur sera soigneusement égaré durant les trois-quarts du livre avant que les derniers chapitres décisifs mettent place le puzzle de l’intrigue. Il faudra observer sans a priori, raisonner de mille façons, provoquer l’aveu bien souvent car les preuves sont maigres. Ce sixième roman de la série est l’un des meilleurs. Il fonctionne selon la méthode d’Agatha Christie, détaillant les personnages et présentant des situations impossibles avant d’éclairer le lecteur avec élégance. On ne s’ennuie jamais et, pour qui lit les volumes dans l’ordre, se déploie l’existence mouvementée de Katryn : va-t-elle enfin épouser Murtagh ?

C.L. Grace (Paul Doherty), Le Lacrima Christi (A Maze of Murders), 2003, 10-18 2005, 315 pages, occasion €4.84

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Philippe Olagnier, Les bras d’Odin

Philippe Olagnier est diplômé de l’Institut français de gestion en management stratégique et marketing ; il se veut désormais auteur prolifique qui touche à tout. Il se lance dans un roman historique sur un sujet qui semble lui tenir à cœur : les Vikings. Et il déclare en quatrième de couverture s’appuyer « sur une importante documentation historique ». Ceux qui me lisent savent que j’ai approfondi la question, non seulement en tant qu’archéologue mais aussi comme voyageur et lecteur. Je suis donc dubitatif sur la qualité de « la documentation » consultée autant que sur la capacité de l’auteur à en retenir les faits établis.

Quelques exemples : dès la page 14 les Vikings auraient à combattre « les Inuits » or, au nord de la Norvège comme de la Suède il n’y a guère que les Sami ; pour trouver des Inuits, il faut traverser l’océan et aborder aux rives glacées du Groenland. Page 22 apparaît le fameux « drakkar » qui serait « le » bateau viking par excellence mais, outre que ce peuple savait construire plusieurs types de bateaux adaptés au commerce, à la guerre ou aux explorations, le mot « drakkar » ne date que du XIXe siècle, quand les faux savants l’ont inventé parce qu’ils se figuraient qu’il y avait toujours « un dragon » à la proue ; le terme norrois était knorr, le terme normand esnèque pour snekkar. Page 51 on apprend que les Francs étaient « catholiques » alors qu’ils n’étaient que chrétiens jusqu’au schisme de Luther au XVIe siècle. Page 56 un prêtre est appelé un « ecclésiaste » qui est le nom d’un livre et pas d’un métier ; l’auteur confond avec ecclésiastique. Page 88 l’auteur justifie les Vikings de « ne pas utiliser le levain » pour le pain afin de le réserver à la bière – mais le levain n’est pas une céréale, il pousse tout seul sur toute farine mêlée d’eau qui se charge de levures. Page 89 encore, le second fils du chef viking est prénommé Isak, ce qui n’est guère norrois et en tout cas furieusement chrétien (Isaac) ! Pas mal pour un tradi qui veut en rester aux dieux nordiques.

Quant à l’aventure, vous ne la trouverez pas. Il y a bien une scène de bataille, mais elle est expédiée en une page et porte plus sur la stratégie d’entrée dans le fort que dans l’action même des protagonistes. Car ce roman est à thèse – ce qui est le pire pour un roman. L’auteur veut démontrer qu’il vaut mieux s’adapter dans l’histoire que se crisper sur ses coutumes et traditions. « Les peuples se lassent toujours de la guerre quand elle ne porte pas en elle l’espérance d’une issue vers des jours meilleurs. (…) Pas d’unité politique sans unité religieuse. Pas de paix solide garantie avec les autres territoires, sinon en embrassant la même religion qu’eux » p.61. Les Vikings l’y aident, aventuriers conquérants et commerçants hors pair mais, si l’on applique cette maxime à aujourd’hui, faudrait-il donc se convertir à l’islam pour avoir la paix avec les terroristes, comme hier il aurait mieux valu se convertir au communisme pour commercer avec Staline ? C’est un peu court à mon avis, et la conversion viking a d’autres causes que le seul intérêt économique bien compris. L’écartèlement binaire entre les deux fils du jarl Asgeir, Erling le commerçant stratège et Isak le guerrier tradi, est bien sommaire et se termine sans duel par le suicide de l’un d’eux. Drôle de façon de justifier l’Histoire et « le progrès » – comme si celui-ci était inéluctable et procédait d’une sorte de dessein intelligent à la Hegel. Drôle de morale pratique aussi : « corrompre et assimiler, plutôt que de combattre » p.62. C’est la stratégie utilisée par tous les empires, pour notre époque de l’américain au chinois en passant par le soviétique.

Reste le style, et là les bras m’en tombent ! Ce roman est écrit en jargon management années 80 de la plus belle langue de bois. Ce ne sont que « principes hautement novateurs », « garantie de son soutien », « qui mesurait son impact », « conjoncture (qui) dictait une nouvelle campagne », « un impact fort », « un soutien financier », « je recadre les valeurs » (p.32), « des projets structurants » (p.88), « travailler à la cohésion », « une écoute totale », « un recadrage », « plan de développement », « progrès social », « la tradition narrative », « le fédérateur structurant », les « projets collectifs novateurs »… Sans parler des tics de notre époque tels que : « les plus démunis », « protection des aléas climatiques », « la faim alimentaire », « échanger » mis pour discuter. Ou encore les idées reçues en mot-valise répétés à satiété : « mère nature », « religion du désert », « moines gras ».

En bref, je m’attendais à un roman historique sur l’époque viking et je suis très déçu de cet essai à thèse, écrit maladroitement dans une langue de marketing, mal documenté et sans réflexion sur ce que signifie « progrès ».

Si vous aimez le roman historique, lisez plutôt La route des cygnes de René Hardy sur l’épopée viking.

Philippe Olagnier, Les bras d’Odin, 2020, éditions de l’Onde, 132 pages, €14.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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