
Ce célèbre film sorti en 1978 tiré du célèbre roman policier d’Agatha Christie paru en 1937, met en scène une enquête difficile menée par le gros détective belge Hercule Poirot à la moustache en crocs. Même si l’on se souvient vaguement de la fin, l’intrigue est suffisamment tordue pour que l’on en ait oublié une grande partie, ce qui ne gâche pas le plaisir de revoir (ou de relire). Il est d’ailleurs dit dans le film que ce qui compte est le voyage, pas le but. Ce pourquoi je ne comprends pas cette déception de gamin de deux ans frustré de sa sucrerie envers les « spoilers » comme on dit en étranger. C’est un concept qui n’est pas français : on peut très bien connaître la fin sans déprécier le chemin. Il n’y a que les Yankees pour se moquer des moyens et pour courir avidement à la gagne.

Pour ma part, j’ai bien vu Mort sur le Nil cinq ou six fois et lu au moins trois fois le roman depuis mes 11 ans ; cela n’a jamais été avec ennui. Surtout que le décor du Nil reconstitué fin des années trente à la fin des années soixante-dix, et la brochette d’acteurs et d’actrices au mieux de leur forme professionnelle, sont un enchantement. Avec ces scènes d’humour telles l’accueil du capitaine égyptien qui croit deviner qui est qui, ces gamins qui montrent leur cul nu à la vieille anglaise collet monté et gantée en train de prendre le thé sur le pont, et cette succession de cadavres que l’on descend en brancard en arrière-plan de Poirot et du colonel qui philosophent sur la vie.

Peter Ustinov est moins bon que David Suchet en Poirot imbu de lui-même, snob jusqu’au bout des ongles et à l’intellect acéré, mais David Niven est parfait en colonel resté Intelligence Service et devenu avocat (ce qui est la même chose dans les affaires). Quant aux veuves emperlousées, Dame Christie n’a jamais été aussi féroce avec ses congénères oisives britanniques. Angela Lansbury en écri(vaine) hantée par le sexe a l’attitude ondulante et le maquillage outré d’un serpent obsédé de sa proie, voyant dans le temple de Karnak des béliers « priapiques, lascifs et lubriques », tandis que Bette Davis en vieille riche portée sur les perles fait un duo de charme avec une Maggie Smith desséchée sur pied en infirmière gouvernante. La fille Ridgeway (Lois Chiles, 30 ans quand même au tournage) en est la version moderne avec Jane Birkin en soubrette folle dingue d’un mec marié tandis que Mia Farrow joue la folle couronnée de cheveux roux.

L’enjeu des jeunes dames est le magnifique mâle anglais Simon (Simon MacCorkindale, 26 ans au tournage) lisse, blond, sportif, intelligent – mais qui n’a pas le sou. Il aimait Jakie de Bellefort (Mia Farrow) mais a épousé pour son fric la fille Ridgeway lorsqu’il l’a rencontrée dans son château anglais où Jakie voulait le faire nommer intendant. D’où jalousie et poursuite de harpie harcelant partout où il va le nouveau couple, jusqu’au sommet d’une pyramide.


Mais la trop riche et trop gâtée fille Ridgeway, qui n’est qu’une héritière « parasite social » comme le dit l’étudiant marxiste du bord (Jon Finch), a l’art de se faire des ennemis de tout le monde. Elle est trop arrogante, provocante, trop sûre du pouvoir de son argent, trop pressée pour se préoccuper des autres, sauf peut-être de Simon – en bref trop américaine. On sent là le ressentiment des vieux Anglais après la guerre fratricide de 14 pour les nouveaux riches d’Outre-Atlantique, vulgaires et parlant haut. Ridgeway a piqué son mec à sa meilleure amie et désormais la déteste ; elle a insulté le docteur de clinique allemand Bessner parce qu’une vague connaissance à elle a été prise de pelade sous son traitement ; elle s’est découverte insultée par l’obsédée sexuelle auteur de romans « passionnés » qui l’a décrite sans guère de gants ; elle a refusé la dot promise à sa soubrette lorsqu’elle se marierait… Elle va crever c’est fatal et le lecteur comme le spectateur s’y attendent : haine accumulée et juste retour des choses sont les ressorts du roman policier.

Tous les protagonistes se retrouvent à l’hôtel Old Cataract d’Assouan chère à Christie, puis embarquent sur le bateau à roue Karnak (en réalité le Memnon), réservé aux touristes de première classe avec ses cabines spacieuses et son bar-salle à manger en bois vernis. Il est l’unité de lieu propice aux coups de théâtre avec cour et jardin, bâbord et tribord. L’unité de temps est la remontée du Nil, durée déjà grosse des drames accumulés qui vont électrifier l’atmosphère jusqu’à l’éclatement de l’orage. L’unité d’action commence une fois le méfait accompli, la mort tragique de celle qui n’était qu’en sursis à cause de ses malveillances : l’enquête, les subtilités de l’intrigue, la maestria des déductions. Et tout se résout au salon, en dernier acte, devant les survivants réunis comme souvent chez Christie. Who done it ? – Qui l’a fait ?

Avec cette fin morale tirée de Molière assénée par Poirot au colonel : « La grande ambition des femmes est d’inspirer l’amour ». Jusqu’à la haine.
Une nouvelle version cinéma de Mort sur le Nil réalisée et jouée par Kenneth Branagh en Poirot est prévue pour 2021.
DVD Mort sur le Nil (Death on the Nile), John Guillermin, 1978, avec Peter Ustinov, David Niven, Lois Chiles, Mia Farrow, Jane Birkin, Maggie Smith, StudioCanal 2008, 2h20, €8.99 blu-ray €10.95
Coffret 3 DVD Hercule Poirot : Le Crime de l’Orient Express + Mort sur Le Nil + Meurtre au Soleil réalisés par Sidney Lumet, John Guillermin, Guy Hamilton, StudioCanal 2011, 6h21, €70.00



















Tuer le rire ?
L’un des tueurs voulait massacrer du juif ; les deux autres faire rentrer le rire dans la gorge. Car pour ces raccourcis du cerveau, on ne peut rire de tout. Si le rire est le propre de l’homme (Rabelais), Dieu l’interdit – ou plutôt « leur » Dieu sectaire, passablement fouettard, Dieu impitoyable d’Ancien Testament ou de Coran, plus proche de Sheitan et de Satan. Ange comme l’islam, mais déchu comme l’intégrisme.
Comme le Prophète ne savait ni lire ni écrire, il a conté ; ceux qui savaient écrire ont plus ou moins transcrit, et parfois de bouche à oreille ; les siècles ont ajoutés leurs erreurs et leurs commentaires – ce qui fait que la parole d’Allah, susurrée par l’archange Djibril au Prophète qui n’a pas tout retenu, transcrite et retranscrite par les disciples durant des années, puis déformée par les politiques des temps, n’est pas une Parole à prendre au pied de la lettre. Le raisonnable serait de conserver le Message et de relativiser les mots ; mais la bêtise n’est pas raisonnable, elle préfère ânonner les mots par cœur que saisir le sens du Message.
La bêtise est croyante, l’intelligence est spirituelle. Les obéissants n’ont aucune autonomie, ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, ils ont peur de la liberté car ce serait être responsable de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Ils préfèrent « croire » sans se poser de questions et « obéir » sans état d’âme. Islam veut-il dire soumission ? Un philosophe musulman canadien interpelle ses coreligionnaires : « une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? »
Il ne faut pas rejeter la faute sur les autres mais s’interroger sur sa propre religion, distinguer sa pratique de la foi.
Mahomet s’est marié avec Aisha lorsqu’’elle avait 6 ans (et lui au-delà de la cinquantaine) ; il a attendu quand même qu’elle ait 9 ans pour user de ses droits d’époux : c’était l’usage du temps mais faut-il répéter cet usage aujourd’hui ? L’ayatollah Khomeiny a abaissé à 9 ans l’âge légal du mariage en Iran lorsqu’il est arrivé au pouvoir… Les plus malins manipulent aisément les crédules, ils leurs permettent d’assouvir leurs pulsions égoïstes, meurtrières ou pédophiles, en se servant d’Allah pour assurer ici-bas leur petit pouvoir : Khomeiny, Daech, mêmes ressorts. Trop d’intermédiaires ont passés entre les Mots divins et le texte imprimé pour qu’il soit à prendre tel quel. Croyons-nous par exemple que Jésus ait vraiment « marché sur les eaux » ?
Il ne faut pas croire que le Coran soit la Parole brute d’Allah. Que font les intellectuels de l’islam pour le dire à la multitude ?
Toute religion a une tendance totalitaire : n’est-elle pas par essence LA Vérité révélée ? Même le communisme avait ce tropisme : « peut-on contester le soleil qui se lève ? » disait à peu près Staline pour convaincre que les lois de l’Histoire sont « scientifiques ». Qui récuse la vérité est non seulement dans l’erreur, mais dans l’obscurantisme, préférant rester dans le Mal plutôt que se vouer au Bien. Il est donc « inférieur », stupide, malade ; on peut l’emprisonner, en faire son esclave, le tuer. Ce n’est qu’une sorte de bête qui n’a pas l’intelligence divine pour comprendre. Toutes les religions, toutes les idéologies, ont cette tendance implacable – y compris les socialistes français qui se disent démocrates (ne parlons pas des marinistes qui récusent même la démocratie…). Les incroyants, les apostats, les hérétiques, on peut les « éradiquer ». Démocratiquement lorsqu’on est civil, par les armes lorsqu’on est fruste.
Le croyant étant « bête » parce qu’il croit aveuglément, comme poussé par un programme génétique analogue à celui de la fourmi, ne supporte pas qu’on prenne ses idoles à la légère. Toutes les croyances ne peuvent accepter qu’on se moque de leurs simagrées ou de leurs totems : la chose est trop sérieuse pour que le pouvoir fétiche soit ainsi sapé. C’est ainsi que Moïse va seul au sommet de la montagne et que nul ne peut entrevoir l’Arche d’alliance ou le saint des saints du temple, que Mahomet est-il le seul à entendre la Parole transmise par l’ange et que nul infidèle ne peut voir la Kaaba. Dans Le nom de la rose, dont Jean-Jacques Annaud a tiré un grand film, Umberto Ecco croque le portrait d’un moine fanatique, Jorge, qui tue quiconque voudrait simplement « lire » le traité du Rire qu’aurait écrit Aristote. Ce serait saper la religion catholique et le « sérieux » qu’on doit à Dieu… Les geôles de l’Inquisition maniaient le grand guignol avec leurs tentures noires, leurs juges masqués, leurs bourreaux cagoulés devant des feux rougeoyants. Pas question de rire ! Même devant Louis XIV (sire de « l’État c’est moi »), Molière devait être inventif pour montrer le ridicule des médecins, des précieuses ou des bourgeois, sans offusquer les Grands ni Sa Majesté elle-même.
Il ne faut pas croire que le rire soit le propre de l’homme ; ce serait plutôt le sérieux de la bêtise. Que font nos intellectuels tous les jours ?
C’est cependant « le rire » qui libère. Il permet la légèreté de la pensée, le doute salutaire, l’œil critique. Rire déstresse, rend joyeux autour de soi, éradique peurs et angoisses – ce pourquoi toute croyance hait le rire car son pouvoir ne tient que par la crainte. Se moquer n’est pas forcément mépriser, c’est montrer l’autre en miroir pour qu’il ne se prenne pas trop au sérieux. C’est ce qu’a voulu la Révolution française, en même temps que l’américaine, libérer les humains des contraintes de race, de religion, de caste, de famille et d’opinions. Promotion de l’individu, droits de chaque humain, libertés de penser, de dire, de faire, d’entreprendre. Dès qu’un pouvoir tend à s’imposer, il restreint ces libertés-là.
Est-ce que l’on tue pour cela ? Sans doute quand on n’a pas les mots pour le dire, ni les convictions suffisamment solides pour opposer des arguments. Petite bite a toujours un gros flingue, en substitution. Surtout lorsque l’on a été abreuvé de jeux vidéos et de décapitations sans contraintes sur Internet : tout cela devient normal, « naturel ». C’est à l’école que revient de dire ce qui se fait et ce qui ne se fait en société : nous ne sommes pas dans la jungle, il existe des règles – y compris pour la diffamation et le blasphème. Il est effarant d’entendre certains collégiens (et collégiennes) dire simplement « c’est de leur faute ». Donc on les tue, comme ça ? C’est normal de tuer parce qu’un autre vous a « traité » ? Est-ce ainsi que cela se passe dans les cours de récré ? Si oui, c’est très grave…
L’écartèlement entre les cultures, celle de la France qui les a partiellement rejetés, celle de l’Algérie qu’ils n’ont connue que par les parents et cousins, ont rendu les frères Kouachi incertains d’eux-mêmes, fragiles, prêts à tout pour être enfin quelqu’un, reconnus par un groupe, assurés d’une conviction. La secte est l’armure externe des mollusques sans squelette interne. Ils se sont créé des personnages de héros-martyrs faute d’êtres eux-mêmes des personnes.
Il ne faut pas croire que la multiculture enrichit forcément. Que font les politiciens pour établir les valeurs du vivre-ensemble sans les fermer sur l’extérieur ; pour faire respecter les lois de la République sans faiblesse ni « synthèse » ?
Comment faire pour « déradicaliser » les individus ? Une piste de réflexion intérieure, européenne et géopolitique. Lire surtout la seconde partie.