Articles tagués : roman policier

H-H Kirst, Il n’y a plus de patrie

Kirst est un journaliste allemand né en 1914 et décédé en 1989 à 74 ans, avant la chute du Mur. Fils d’un agent de police et élevé en Prusse-Orientale, il s’engage dans la Reichswehr où il deviendra adjudant-chef. La Seconde guerre mondiale le promeut lieutenant et « officier instructeur national-socialiste. » Il est dénoncé aux Américains par Franz Josef Strauss, motocycliste nazi, chef du parti conservateur de Bavière et futur ministre de la Défense de la RFA. Interné, il passe neuf mois de camp avant d’être relâché sans charges. Il deviendra célèbre avec sa trilogie 08/15 qui raconte la vie de caserne, la guerre et le retour à la vie civile de l’adjudant Ash (ou H comme Hans ou Hellmut, autrement dit lui-même).

Kirst se dit « individualiste par conviction, réaliste par expérience, socialiste sans romantisme » – donc sans plus le « national » du nazisme. Il s’opposera vigoureusement dès 1950 au réarmement de l’Allemagne voulu par les Américains car, pense-t-il, le nazisme n’est pas éradiqué dans le pays, ni par le nombre des anciens toujours en poste, ni dans les façons de penser.

Ce roman, à la fois policier et politique, nous plonge dans l’Allemagne de l’Ouest vingt ans après la guerre. Il est à la fois obsolète et inactuel. Obsolète parce que l’Allemagne n’a plus grand-chose à voir quarante ans après, avec ce qu’elle était à peine relevée de ses ruines ; inactuel parce que les manipulations politiques restent le quotidien de tous les États, y compris de Schröder l’ancien Chancelier pro-russe et de Merkel qui lui a succédé, qui a elle-même laissé son pays devenir dépendant à l’énergie de Poutine.

Industriels et politiciens s’entendent comme larrons en foire dès qu’il s’agit d’utiliser les crédits publics pour assurer leur pouvoir et leurs bénéfices. Le héros, Karl Wander (le wanderer est le nomade sans attaches) a trouvé un emploi à Bonn, alors capitale de la RFA, auprès d’un conseiller politique qui sert un probable futur ministre. Il lui est demander d’enquêter et de servir d’intermédiaire pour servir les ambitions politiques – naturellement camouflées sous le vernis du renouveau démocratique allemand et de l’efficacité de la Bundeswehr.

Wander est un idéaliste, il sera broyé. Les politiciens réalistes et cyniques sauront le manipuler à loisir, usant pour cela de tous les « dossiers » constitués contre lui depuis des années. Heureusement, il était trop jeune sous le nazisme, mais il a connu charnellement Sabine W-W, maîtresse en titre d’un important industriel de l’armement, et accessoirement maîtresse occasionnelle de Krug, le patron de Wander.

Une jeune fille, Eva, est retrouvée tabassée à la porte de l’appartement alloué à Wander ; il la sauve, la met sur son lit, appelle un docteur des Urgences – mais le médecin traitant des stars de la politique et de l’industrie survient pour l’emmener, déclarant qu’elle est sa patiente. Eva est en effet la fille adoptive de l’industriel de l’armement Morgenrot (Matin rouge) qui fournit les renseignements à Wander sur ses concurrents et leurs échecs industriels – pour mieux bénéficier de la future manne gouvernementale.

Son demi-frère Martin, qui avait voulu la sauter enfant et reste jaloux de ses amants, tabasse Wander et voudra même le tuer à l’aide d’une de ces grosses « Mercedes coffre-fort » en projetant sa voiture d’un pont. Wander, à chaque fois, se laisse faire, comme si tout lui était égal depuis que son idéal ancien a disparu et que le nouveau n’est pas près de naître.

Karl Wander se fait aider par un médecin honnête, le Dr Bergner des Urgences, par un policier honnête à figure paternelle, Kohl, par un journaliste juif américain, Sandman. Lequel mandatera un agent des services secrets, Jérôme, pour démêler la pelote. Il agit comme un chœur antique lors de chapitres intercalaires d’analyses, un peu verbeuses mais qui donnent de l’air.

Ce thriller politique est un roman sans guère de saveur, non-engagé sauf en mots, pessimiste sur la démocratie, la politique et les Allemands. « Les Allemands n’ont pas la vie facile. Mais ils aiment bien se la rendre plus difficile encore. Ils n’auraient eu qu’à ouvrir les yeux et à réfléchir un peu : tirer un trait final, vraiment déterminant, eût été, sans aucun doute, possible. Mais c’est apparemment à cela que ce peuple ne pouvait se résoudre. C’est ainsi que les Allemands continuèrent à traîner avec eux, non seulement les officiers de Hitler, mais aussi leur soi-disant ‘esprit’, avec leurs ‘expériences’ et leurs ‘principes’ (ce qu’ils ont reconnu), donc toute l’étroitesse d’esprit de ces gens, leur obéissance de cadavres, leur incurable entêtement » p.268.

Juste un jalon de l’histoire écrit assez lourdement avec le formalisme des relations et les explications décortiquées. Un roman publié en collection de poche populaire, aujourd’hui oublié et qui gagne à le rester, sauf pour les spécialistes de la mentalité allemande.

Hans-Hellmut Kirst, Il n’y a plus de patrie, 1968, J’ai lu 1971, 373 pages, €7,40

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Ruth Rendell, Rottweiler

Ruth Rendell a le chic pour créer des personnages et analyser la société britannique de son époque. Non sans une cruelle ironie. Inez, veuve de son second mari Martin dont elle est inconsolable regarde chaque soir les cassettes vidéo de la série où il jouait pour le voir bouger et l’entendre encore parler. Elle possède un immeuble dans Star Street à Londres dont elle habite le premier étage. Le rez-de-chaussée est sa boutique de Star Antiques, bric-à-brac victorien où des clients viennent chercher un cadeau pour un proche ou de quoi décorer leur intérieur et où travaille comme vendeuse la jeune Zeinab. Les autres étages sont loués à Jeremy, Will et Ludmila, laquelle vit après quatre ou cinq mariages avec Freddy.

L’ironie est que tout ce petit monde est un microcosme des minorités de l’ex-empire, enkystées dans Londres et désormais représentatives du britannique moyen. Dans tout l’immeuble, seules trois personnes sont d’origine : la tenancière, un débile léger prénommé Will, c’est-à-dire Guillaume (ô dérision) et qui ressemble à un David Beckham en plus massif mais avec plusieurs cases en moins, et un tueur en série. Zeinab est pakistanaise, Freddy Noir de la Barbade, Ludmila d’Europe centrale ou plus à l’est. Tout ce petit monde grenouille et s’entend comme larrons en foire. Sauf qu’il y a crimes.

Des jeunes filles sont étranglées régulièrement sans raison le soir dans les rues de Londres. A chaque fois le tueur emporte un petit objet en souvenir : un briquet gravé, un collier, des boucles d’oreille, un porte-clé en onyx. Comme la première victime avait une morsure au cou, la presse de caniveau à appelé le tueur Rottweiler, au grand dam des propriétaires de cette race de chien qui vantent à l’inverse leur sociabilité (trait d’humour tout britannique…). Et comme l’un de ces objets fétiches est retrouvé un peu plus tard dans la boutique d’Inez, les soupçons se portent sur les locataires et les clients réguliers.

Un certain Morton, la soixantaine, vient en effet faire la cour à Zeinab, qui l’éblouit par sa jeunesse et sa beauté ; il est riche, il offre des parures en diamant et en émeraude. Mais Zeinab argue toujours d’un père sévère et rigide sur ses principes pour éviter tout contact trop compromettant ; elle promet le mariage, les fiançailles, mais plus tard. D’autant qu’elle a promis la même chose à un certain Rowley, la trentaine costaud. Quant à Will le blond bien fait, il est atteint du syndrome de l’X fragile, une anomalie génétique du chromosome X qui induit un handicap intellectuel et des troubles du comportement. Il est routinier, asocial et anxieux. Seul sa tante Becky a ses faveurs et il vivrait bien avec elle. Mais elle est vieille fille et voudrait trouver un homme pour partager sa vie. La dépendance de Will, son neveu orphelin qui lui fait pitié, est un handicap : il fait fuir tous les amants.

Les policiers vont donc soupçonner tout le monde, à commencer par Will, trouvé un soir en train de creuser dans un chantier d’une maison avec une pelle. Est-ce pour enterrer une victime ? C’était seulement parce qu’il cherchait un trésor dans la Sixième rue, comme il l’avait vu au cinéma. L’absurdité de ces soupçons montre l’inanité de l’inspecteur et son incapacité à exercer sa profession correctement. Son adjoint Zuluela, issu d’une minorité orientale, est bien plus vif et plus ambitieux. Là encore, les vieux Anglais rassis sont remplacés par des immigrés jeunes et talentueux tandis que les vieux Blancs s’éteignent doucement dans leurs contradictions. Zuluela prendra la place de l’inspecteur Crippen et Becky sombrera dans la routine étriquée de garde-malade. Seule Inez trouvera client à son pied et bazardera sa boutique et son immeuble pour vivre en maison. Quant au tueur en série, le lecteur apprendra des choses étonnantes sur l’origine de ses pulsions et sur la fin qu’il veut se donner.

Mais le crime n’est que le sel de l’aventure  Elle consiste en ce roman à pénétrer les dessous de la petite-bourgeoisie londonienne, ses ambiguïtés, ses ambitions et son progressif remplacement. On soupçonne assez vite qui pourrait être le psychopathe mais ce n’est pas l’essentiel. A lire plus comme un roman de mœurs que comme un roman policier.

Ruth Rendell, Rottweiler (The Rottweiler), 2003, Livre de poche 2007, 479 pages, occasion €1,08 , e-book Kindle €7,99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Le limier de Joseph Mankiewicz

Un long et curieux film britannique adapté d’une pièce de théâtre d’Anthony Shaffer, créée en 1970 au Music Box Theatre de Broadway sous le nom de Sleuth (le sleuth-hound est un chien limier). Il s’agit d’une double histoire policière avec retournement, suivies d’un final doublement retourné. Difficile d’en dire plus sans violer la fleur vulnérable de l’histoire.

Au départ Andrew (Laurence Olivier), un aristocrate anglais dans son manoir, auteur de roman policiers traditionnels, convoque Milo (Michael Caine), un coiffeur pour dame londonien qui est l’amant de sa femme. Il veut le convaincre de la prendre pour qu’il puisse s’en débarrasser et divorcer mais, pour la garder, il devra assumer. La femme est frivole et dépensière, il lui faut de la fortune. Milo est à l’aise, mais sans plus. Andrew lui propose alors de voler chez lui les bijoux qu’il garde en coffre et d’aller les revendre chez un receleur de ses relations, lui assurant ainsi une somme suffisante, en espèces et net d’impôts. L’impôt est en effet la plaie du Royaume-Uni sous les Travaillistes avant Margaret Thatcher. Lui sera indemnisé par l’assurance et tout le monde sera content.

Sauf que, dans sa tête, il s’agit d’un jeu, figuré par la première scène du labyrinthe. Andrew est en effet l’un de ces nobliaux suffisants, sans activité productive autre que de dicter au magnétophone des énigmes policières snobs, lues par son milieu d’initiés. Il est resté en enfance, n’ayant jamais travaillé, entouré d’automates comme le Jolly Jack, marin qui rigole d’une voix grinçante, et de divers jeux comme le billard, les échecs, le puzzle. Il aurait été enchanté des jeux vidéos si cela avait existé à son époque révolue, une manière radicale pour lui de se couper du monde et d’ignorer les béotiens et les immigrés.

Car Milo, s’il est né au Royaume-Uni, est fils d’immigré italien parvenu dans les années 1930 à quitter le fascisme mussolinien. Milo n’a pas été dans les collèges huppés ni n’a fréquenté la haute société fermée, ni ne manie l’humour subtil aux références culturelles de l’entre-soi, mais a fondé sa propre entreprise, ouvrant un second salon de coiffure à Bristol après Londres. Mieux, c’est un latin lover, un charmeur empathique, loin de la froideur méprisante acquise entre garçons de 9 à 19 ans dans les collèges anglais. Il est plus jeune, plus moderne, plus séduisant que le vieil aristo conservateur confit.

Le « jeu » est donc pipé puisque c’est l’aristo qui fixe les règles. Il n’a pour but que d’humilier et de se venger de la perte de sa femme, laquelle préfère un amant vigoureux et affectif à un mari quasi impuissant et dédaigneux. Ce pourquoi Andrew entraîne Milo à la cave pour le faire se déguiser. Il choisira un costume de clown, après avoir hésité entre une robe de femme et une veste de bouffon. Il le fera grimper à une échelle pour découper un carreau afin de pénétrer dans le bureau où se situe le coffre-fort, lequel est malhabilement camouflé en cible pour fléchettes, le seul jeu de la pièce que Milo trouve immédiatement. L’auteur de detective novels se trouve pris en défaut, son intelligence logique pour tout maîtriser n’embrassera jamais tous les possibles réels.

Il faut simuler une bagarre, casser des vases et renverser des meubles pour faire « vrai » devant la police et l’assurance, mais l’auteur du jeu manipule sa marionnette pour un but bien précis : tuer l’amant de sa femme – mobile classique des romans policiers. Effectivement il tire, Milo à genoux le suppliant de ne pas le faire, suprêmement humilié.

Alors débute la seconde histoire. Un inspecteur se présente à la porte du manoir pour enquêter sur une disparition, celle de Milo. Andrew nie le connaître puis, devant les indices accumulés, avoue qu’il l’a rencontré pour un jeu, puis qu’il a voulu lui faire peur et le soumettre, mais qu’il ne l’a pas tué. Un monticule de terre fraîche au jardin, plus des impacts de vraies balles dans les murs et des traces de sang dans l’escalier sont autant d’indice graves et concordants pour accuser Andrew. Lequel est déstabilisé et veut s’échapper. L’inspecteur le maîtrise, et…

Mais c’est là qu’il faut s’arrêter, contrairement aux gros pieds dans le plat des auteurs et censeurs Wikipédia que je vous conseille de surtout NE PAS lire avant d’avoir vu le film, sous peine de violer le suspense. Or le viol est de plus en plus mal vu dans la société – sauf chez les,intellos pour les matières d’intellos semble-t-il. Contradictions habituelles des gens de bureau sur les gens sur le terrain. Prix Edgar-Allan-Poe du meilleur scénario, le film n’est joué qu’avec deux comédiens, les autres cités au générique sont fictifs, destinés à dérouter le spectateur avant le film – ce pourquoi il importe de ne pas déflorer l’intrigue.

Sorti en 1972, le film n’avait jamais paru en DVD (seulement en VHS), ce qui est désormais fait en septembre 2023. Une première ! C’était le dernier film de Mankiewicz. Deux heures sans jamais s’ennuyer, les chats sur les genoux adorent.

DVD Le limier (Sleuth), Joseph Mankiewicz, 1972, avec Laurence Olivier, Michael Caine, Alec Cawthorne, John Matthews, Eve Channing, Colored Films 2023, 2h12, €14,99 Blu-ray €19,99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

P. D. James, A visage couvert

Il s’agit du premier roman policier de celle qui va devenir une « reine du crime » en Angleterre. Elle met en scène l’inspecteur Adam Dalgliesh, calme, méthodique et tenace. Qualités que l’on peut prêter à cette mécanique de précision du whodunit (qui l’a fait?) – en bref, à qui profite le crime.

Cet opus est remonté comme une montre et fonctionne par engrenages binaires, à chaque fois deux personnages opposés : Eleanor et Simon, maîtres du domaine, la première soignant par devoir le second qui se meurt ; son décès définitif marquera d’ailleurs la fin de l’intrigue. Stephen et Deborah, frère et sœur, enfants des premiers, Stephen médecin à l’hôpital sans affect ni amour pour quiconque, et Deborah en recherche de l’âme sœur sans jamais la trouver. Stephen a baisé Catherine mais ne l’aime pas ; celle-ci, infirmière, aide aux soins de Simon mais ne sait pas trop ce qu’elle fait encore au manoir. Deborah est courtisée par Hearn, demi-français et commando de la Résistance, mais elle ne l’aime pas. Enfin Martha la fidèle cuisinière servante et son aide qu’elle trouve prétentieuse et lève-tard, imposée par sa maîtresse, la jeune Sally, fille-mère d’un bambin de 3 ans, Jimmy, dont nul ne sait qui est le père. Les autres sont des comparses, nombreux, Proctor l’oncle de Sally, Derek un jeune homme timide et boutonneux qui aide Sally, John un gamin de 12 ans qui surprend Sally en conversation avec un Monsieur, le révérend Hinks, etc.

Le lecteur comprend vite que tout tourne autour de Sally, orpheline de guerre ayant perdu ses parents sous un bombardement de V1, élevée par son oncle mais vite émancipée. Et surtout engrossée et laissée avec un marmot sans père identifié, donc recueillie par le Refuge, institution privée du coin dirigée par une vieille fille, Miss Liddell. Au fond, dans cette Angleterre proche de Londres mais restée campagnarde, personne n’aime personne et la société ne tient que par les conventions. Qu’un fait inouï se produise et la fragilité de l’échafaudage des faux-semblants se révèle.

Or ce fait survient : le meurtre de Sally dans sa propre chambre, verrou tiré. Elle a été étranglée après avoir été droguée aux somnifères. Personne n’a rien entendu, bien entendu. Du moins au début. C’est tout le talent de Dalgliesh de faire accoucher les témoins.

Il va s’y employer, de façon méthodique et en prenant le temps qu’il faut. D’où ce vide un peu fastidieux d’une enquête qui n’a pas l’air de progresser, sinon dans l’esprit de l’inspecteur. Les petits détails s’ajoutent les uns aux autres et finissent quand même par dessiner un canevas. Peu à peu, le lecteur en vient à éliminer les coupables potentiels jusqu’à se restreindre à une courte liste.

Un coup de théâtre survient, qui la remet en cause. On apprend que Sally, autour de laquelle le monde devait tourner, aimait provoquer les gens et les tourner en bourriques. Puisque personne n’aime personne, elle les défiait de se révéler. Lorsqu’elle a annoncé tout à trac à l’heure du dîner qu’elle allait épouser Stephen, le fils de la maison, c’en fut trop. Elle a été tuée dans la nuit. Et pourtant… C’était un leurre, un de plus.

Une enquête à l’ancienne, agencée comme une montre, qui grignote le temps et engrène ses rouages pour aboutir à la conclusion. La perfection du huis-clos et du whodunit.

Phyllis Dorothy James, A visage couvert (Cover her face), 1962, Livre de poche 1992, 250 pages, €7,20

Les romans policiers de P. D. James déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Bernard Lenteric, Vol avec effraction douce

Bernard Bester, dit Lenteric, a écrit de superbes thrillers dans les années 1980 et 90 qui se lisent ou se relisent (c’est mon cas) encore aujourd’hui. Ils sont d’ailleurs toujours édités, en Livre de poche ou en format Kindle. L’étonnant avec cet auteur est qu’il a anticipé l’avenir, cette époque où nous vivons désormais. Il y a 35 ans, peu s’inquiétaient de l’IA, « l’intelligence » artificielle, car les ordinateurs n’étaient pas encore assez puissants et un joueur d’échecs parvenait à les battre. Lenteric, s’en est inquiété. Le socle de ce roman intermédiaire entre le policier et la science-fiction est l’IA.

Cette puissance technologique fait évidemment envie aux maîtres du monde, ces richissimes milliardaires texans du pétrole – qui ont dégorgé du Trump il y a quelques années pour faire coïncider la politique avec leurs intérêts. Et ils sont prêts à recommencer. D’où l’intérêt de ce thriller français d’anticipation aujourd’hui.

Juliette Langston-Bell est jeune, sexy et sans scrupules. Selon l’auteur, elle est « une véritable chienne, qui traverse le monde prête à déchiqueter de ses crocs le moindre obstacle » p.325. Elle a fondé Brain, une entreprise de captation des connaissances des cerveaux les plus aiguisés de la planète. Il s’agit de mettre leur savoir en machine pour créer des systèmes-experts (ancien nom – plus juste – de l’IA). Cela pour la meilleure efficacité économique évidemment, mais qui n’est que le prétexte à amasser encore plus d’argent pour avoir encore plus de puissance. Aller droit au but est louable et économise des ressources en main d’œuvre, en capital et en matières, mais ce capitalisme réel est le masque de la bonne vieille soif de pouvoir, d’argent et de sexe – dans cet ordre.

Tout est permis aux richissimes, puisqu’ils sont capables de tout acheter, y compris les consciences et jusqu’à la loi même. Les compagnies pétrolières ont leur propre police, leurs propres intérêts, leurs propres centres de recherches.

Mais il y a pire : les plus riches et les plus avides de puissance parmi les dirigeants (et les dirigeantes) aspirent à se libérer encore plus de toutes les contraintes. Ils veulent faire ce qu’ils veulent, au mépris des lois, règlements et déontologies des États. Au mépris de l’humain même.

Ce qui commence comme une compétition économique pour obtenir d’un géologue géophysicien expert la mise en machine de son savoir, devient un totalitarisme personnel. Le français Stewart est un séduisant trentenaire grand, fin et musclé, à l’intelligence déconcertante. Juliette est instrumentalisée pour prendre dans ses filets Stewart, mais il résiste. Il préfère lui aussi la liberté. Son entreprise de prospection indépendante est alors attaquée sans merci par un groupe de mercenaires sur ordre des cartels pétroliers ; le matériel est détruit et son adjoint et ami tué. Stewart se résigne donc à accepter la proposition de Juliette, en attendant de se venger.

La réalisation du système-expert avec ses connaissances et son expérience, le savoir-faire du Japonais Ishiguro en informatique prêt à inventer l’ordinateur interactif de 5ème génération, et la cogniticienne Juliette qui servira à l’interface homme-machine, est un travail d’équipe. Mais des intérêts plus puissants sont à l’œuvre. Tous trois sont enlevés par ceux qui tirent les ficelles et veulent les faire travailler pour eux comme des esclaves, dans un centre fermé, isolé de tout au fin fond du Chili. L’impitoyable Juliette, qui a eu la bêtise d’utiliser un radio-téléphone (ni le net ni le smartphone n’existaient en 1991), a été repérée et la famille innocente qui l’hébergeait est massacrée sans merci, enfants compris.

L’utopie de la science conduit à vendre son âme. Le camp de travail pour scientifiques qui veulent s’affranchir des Droits de l’Homme comme de toute déontologie est financé par les cartels… pétroliers – véritable mafia hors des lois et des États. Le professeur Dessambert qui le dirige a d’ailleurs d’autres projets que le minable système-expert pour trouver du pétrole : il veut carrément extraire les cerveaux pour les faire travailler hors corps (comme on dit hors sol) avec l’ordinateur. Il aura ainsi, croit-il, le meilleur du calcul machine avec le meilleur de l’intuition humaine.

On le voit, le transhumanisme des libertariens américains peut aboutir à de tels délires si aucun contre-pouvoir ne le contrecarre. C’est aussi le mérite de Lenteric, en cette fin des années 1980, de montrer tout cru ce mirage des méthodes et des mœurs américaines sur les cerveaux européens colonisés. Les petit-bourgeois arrivés au pouvoir en 1981 avec Mitterrand, qui ont submergé d’un coup l’ancienne génération politique en France, ont épousé cet égoïsme arriviste à un point jusqu’ici jamais connu (d’où les « affaires » multipliées). Le prétexte du « socialisme » a servi de paravent idéologique à cette soif de pouvoir, d’argent et de sexe qui ont déferlé sur la France à ce moment. « Un monde sans autre loi que celle du plus fort. Le plus fort, le plus malin, le plus riche… Le plus riche parce que le plus fort ou le plus malin. Tant pis pour les autres, les faibles, les pusillanimes, les pauvres, les mal nés » p.264. On inventera pour eux le clientélisme d’État, l’assistance sociale payée par la dette…

Le héros qu’est au fond Stewart, le non-américain, le géologue en phase avec la terre, l’homme à qui on ne la fait pas, notamment les femelles trop aguicheuses, se tirera seul de ce bourbier. Avec un gamin désormais orphelin, un cobaye de laboratoire chilien de 10 ans prénommé Jacinto, le nom espagnol de Hyacinthe, l’enfant préféré d’Apollon dont le cri de lamentation « AI » est l’anagramme de l’IA. Le centre de concentration sera détruit par l’un des siens, en répandant une épidémie tirée du génie génétique en laboratoire afin de faire du fric sur le vaccin antidote. Comme quoi Lenteric, une fois de plus, reste en plein dans l’actualité.

Bernard Lenteric, Vol avec effraction douce, 1991, Livre de poche 2002, 382 pages, €6,29 e-book Kindle €6,49

Bernard Lenteric déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

J.B. Livingstone (Christian Jacq), Meurtre au British Muséum

Étonnant Christian Jacq. Cet égyptologue passé à l’écriture a commis des romans policiers anonymement lorsqu’il n’était pas encore connu, sous le pseudonyme de J.B. Livingstone. Il a avoué cette œuvre mineure des années 1980 dans les années 2015 en la rééditant sous son nom. Meurtre au British Muséum, réintitulé Le crime de la momie et réactualisé à notre époque, est le premier opus de la série inspecteur Higgins.

Je préfère pour ma part la version d’origine, sans la technologie qui envahit tout. Higgins, détective inspecteur chef à la retraite, ne supporte même pas le téléphone ; dans son cottage, il l’a placé dans la cuisine et c’est sa gouvernante qui répond. Lui privilégie la bonne vieille psychologie à la Maigret et l’enquête humaine à tous les gadgets et prélèvements. Ce pourquoi il a obtenu des succès certains, au point que son ancien patron fait appel à lui comme consultant sur les affaires délicates où il en perd son latin.

Comme celle du British Muséum. Sir John Arthur Mortimer, l’égyptologue reconnu et autoritaire qui va bientôt être élu directeur du musée, grippé et ne pouvant sortir sur ordre de son médecin, a envoyé sa femme chercher un dossier rouge laissé dans son bureau. Frances convie le fils de son mari, un Philip de 17 ans émotif et entier, amoureux d’elle, à l’accompagner. Elle pénètre seule dans le bureau et y est assassinée par deux coups de feu. La porte est fermée et, lorsque le gardien trouve enfin le double de la clé, ceux qui font irruption la trouvent morte, une momie dans les bras comme si elle avait voulu l’assassiner.

Higgings, alerté par son supérieur, enquête. Pour lui, tous les protagonistes sont suspects et il va les interroger maintes fois pour recouper les informations, trouver des failles et détecter les mensonges ou omissions de chacun. La déduction s’impose comme moyen d’enquête. Évidemment, tous ont des choses à cacher, l’épouse, le mari, le fils, la gouvernante du couple, le chauffeur, le gardien – et même l’assistant du professeur qui est en conflit ouvert avec lui sur les fouilles à venir… En démêler les fils est un art.

Un bon roman de gare dans le sens noble du terme : il fait passer un bon moment de délassement. Je n’ai pas lu la version remaniée et modernisée, sans doute moins dans son jus que l’original qui a le charme du policier ancien.

J.B. Livingstone (Christian Jacq), Meurtre au British Muséum, 1984,Éditions Gérard de Villiers, collection Les Dossiers de Scotland Yard, 1996, €0,97 occasion

Réédité sous le Titre Christian Jacq, Le crime de la momie, les enquêtes de l’inspecteur Higgins tome 1, XO éditions 2016, 264 pages, €13,90 e-book Kindle 9,99

Christian Jacq sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , ,

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate

Jean-Louis Roos, le vrai nom de Jean « d’Aillon », se fait baron anglais pour écrire sur cette période médiévale qu’il aime tant. Son demi-frère d’époque est Edward Holmes, lui aussi ancêtre, mais du célèbre Sherlock. Il y rencontre son Watson, alors archer anglais réputé pour sa précision de tir.

Nous sommes à Paris en 1420 et la guerre de Cent ans va s’achever une génération plus tard, grâce notamment à Jeanne d’Arc. Le roi Henri V d’Angleterre, fils d’Henri IV arrivé par illégalité au trône (et dont Shakespeare a fait une tragédie), revendique le royaume de France car son père s’est marié avec Catherine de France et s’est allié aux Bourguignons du duc Philippe. L’histoire est compliquée.

Les Bouchers de Paris, vrais tueurs en corporation, ont aidé à prendre la ville et ont massacré tous les Armagnacs alliés au Dauphin, fils probable (mais pas certain) de Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI de France devenu fou. Dans ce carnage d’avril 1418, les bouchers ont enfoncé les portes de l’hôtel de Lusignan, défoncé les femelles et les petites filles, démembré le fils encore enfant et éventré les serviteurs et les gardes. Deux ans plus tard, Robert de Lusignan (personnage imaginaire), qui était absent de Paris lors du massacre pour aider le dauphin Charles (futur Charles VII) à fuir à Bourges, revient incognito pour se venger des bouchers.

La ville est misérable, soumise à la famine parce que le travail manque. Nombre de maisons sont vides, pillées et en ruines, dont l’hôtel de Lusignan à l’enseigne de Mélusine. Il attire la convoitise de Lady Mortimer, sœur d’Edmond Mortimer, troisième comte de March, qui a comploté contre l’usurpateur Henri IV d’Angleterre. Elle veut se venger de la dynastie régnante et assassiner Henri V et le duc de Bedford lorsqu’ils entreront prochainement dans Paris. Pour cela, la fenêtre de l’hôtel de Lusignan (actuel Conseil d’État) est propice, face à une entrée du Louvre.

Edward Holmes, chargé des affaires à Paris de son demi-frère le baron de Roos, est chassé par le fils de l’intendant d’Angleterre Langley, sur ordre des cadets de 13 et 15 ans qui ne le connaissent pas. Le baron de Roos et son frère William ont en effet été tués à la bataille de Baugé. Langley complote avec Lady Mortimer pour obtenir une meilleure place que celle d’intendant de baron. Edward part donc loger ailleurs et chercher du travail. Il n’est pas anodin que sa logeuse s’appelle Constance Bonacieux, c’est le nom que porte la logeuse de d’Artagnan dans Les trois mousquetaires. L’auteur aime bien plagier les grands auteurs. Autant dire qu’Edward Holmes est imaginaire, tout comme Gower Watson, malgré le livre ancien que l’auteur dit avoir trouvé chez un libraire à Londres.

Toujours est-il qu’Holmes enquête, flanqué de son Watson, et qu’il va démêler de fil en aiguille et comme par hasard le complot contre le roi. Lui, anglais, ne prend pas position pour ou contre le roi de France. Sera roi celui qui ramènera la paix. Cette première enquête d’une série est intitulée en plagiant Étude en rouge de Conan Doyle, mais sa méthode est la même : la déduction par réflexion. Watson ajoute le piment de l’action.

Une bonne façon de se plonger dans l’histoire navrante d’un royaume de France (déjà) déchiré en guerre civile par de fanatiques partisans qui en profitent (déjà) pour violer, massacrer et piller, chacun défendant (déjà) son petit intérêt égoïste dont le fric est (déjà) l’objectif suprême. La complexité de l’histoire de Paris à cette époque-là ralentit l’intrigue au début car il faut bien expliquer qui et quoi, mais le roman policier prend son rythme de croisière assez vite et captive.

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate – Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson, 2015, 10-18 2019, 500 pages, €9,20 e-book Kindle €7,33

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Mary Higgings Clark, La nuit est mon royaume

Vingt ans après… L’école privée de Stonecroft Academy veut réunir les anciens élèves les plus méritants, ceux qui ont réussi. Non sans arrière-pensée : celle de valoriser le collège et d’attirer des investisseurs pour faire bâtir une aile nouvelle. Jack Emerson est un ancien et il les a convoqués.

Ils, c’est-à-dire Jane Sheridan, devenue historienne en renom après une jeunesse douloureuse entre des parents qui ne cessaient de se chamailler et la mort de son petit ami de West Point, renversé par un chauffard qui a pris la fuite, mais la laissant enceinte sans ressources.

Laura était la plus belle fille de l’école et ne cessait de séduire ; encore aujourd’hui où, la quarantaine venue, elle chasse encore les rôles à la télé.

Gordie est justement producteur, parti de rien il a su arriver.

Carter l’ex-maigrelet débraillé, fils d’une mère maigrelette et débraillée, est devenu bel homme athlétique qui écrit des pièces de théâtre sombre qui plaisent aux intellos.

Il y a Mark, le gamin harcelé devenu psy pour ados.

Et Jenny la boulotte, Trish la maigre de l’équipe d’athlétisme, et Robby l’humoriste cruel.

Mais parmi les anciennes élèves, seules demeurent Laura et Jane. Catherine, Debra, Cindy, Gloria et Alison ne sont plus, la dernière noyée dans sa piscine quelques semaines avant. Mortes par accident ou peut-être tuées, qui sait ?

Celui qui le sait est le Hibou, un ancien élève brimé à l’époque, de qui les filles se moquaient depuis qu’à 9 ans, lors d’une représentation de théâtre, il n’avait su que bafouiller sa seule réplique : « Je suis le hibou et je vis dans un arbre ». Il avait déjà été éjecté de l’équipe de baseball.

Dans le huis clos de la réunion sur quelques jours, le jeune Jack Perkins, 16 ans, joue au journaliste pour la gazette du lycée. Il se demande pourquoi, sur la brochette de filles de la photo de classe d’il y a 20 ans, seules deux sont encore vivantes…

Sam est le flic du coin qui enquête sur les meurtres commis et à commettre. Jane va s’adresser à lui lorsqu’elle recevra une suite de fax menaçant sa fille, celle qu’elle a accouché à 18 ans et aussitôt abandonnée faute de pouvoir l’élever. Elle veut mettre en garde les parents adoptifs et, pourquoi pas, faire la connaissance du bébé devenue grande.

Mais le Hibou veut se venger de tous ceux et de toutes celles qui se sont moqués de lui petit. Il est implacable comme un rapace, cruel et oiseau de nuit comme lui. Personne ne le soupçonne, il ne laisse aucune trace. Par plaisir parfois, et pour brouiller les pistes, il tue une fille au hasard, qui passait par là. Avec à chaque fois sa signature, un minuscule hibou en fer blanc caché sur son corps.

Un bon roman psychologique où les indices s’accumulent alors que le lecteur sait que l’un des personnage est le tueur, mais égaré à chaque fois dans des fausses pistes.

Mary Higgings Clark, La nuit est mon royaume (Nighttime is my Time), 2004, Livre de poche 2006, 447 pages, €8,40 e-book Kindle €7,99

Mary Higgings Clark sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Ruth Rendell, On ne peut pas tout avoir

Ruth Rendell, née en 1930 et décédée en 2015 après avoir été faite baronne à vie en 1997, est l’une des « reines du crime » de la vieille Angleterre. Elle se délecte à traquer les particularités et les travers de la société anglaise en plongeant les lecteurs, à la manière de Simenon, dans la société même. Ses personnages sont plus vrais que nature, du député à la Chambre et futur ministre à la petite-bourgeoise volontiers pute, ou au chauffeur de maître et garagiste qui se fait des extras.

Une claire définition du type mâle anglais est donnée p.206 : « Le gentleman anglais est courageux jusqu’à la témérité, courtois avec les femmes de sa classe, bon soldat, arrogant, fier, généreux et intrépide. Il a un sens de l’humour démodé. Si extraordinaire que cela paraisse aux yeux de quantité de gens, il conserve cet état d’esprit qui constituait la matière des récits d’aventures de la première moitié du XXe siècle. » Les actions du personnage principal, le député fortuné Ivor, issu du meilleur collège (Eton) et de la meilleure université de droit (Oxford) sont comparées au modèle du gentleman anglais. L’autrice s’empresse de montrer la dégradation nette due à l’époque : la morale a disparu, l’éthique même est entamée. Au profit du « moi je » de rigueur, du narcissisme égoïste de l’individualisme croissant de ce début du XXIe siècle que Ruth Rendell situe dans les années 1980, à l’époque Thatcher (en même temps que Reagan et Mitterrand).

Le roman policier éclaire les facettes de la société avec plus d’acuité que les romans d’amour. Nous sommes dans ce roman dans l’après Thatcher, au moment où les Koweïtiens se font saddamiser à coup de canon par le macho à moustache qui adore caresser le petit otage anglais John de 7 ans avec un sourire inquiétant devant les caméras de télé du monde entier. Mais le propos n’est ni la guerre, ni la politique : il est la société. Ivor Tesham est en pleine ascension au parti Conservateur tout en courant les mini-jupes (les jupons ne se portent plus guère). La belle Hebe, blonde, fine, sèche, le séduit et il veut lui offrir un cadeau d’anniversaire érotique raffiné, une « sex aventure ». Pour cela, rien de plus simple : payer son garagiste pour qu’il loue une grosse voiture aux vitres teintées, qu’il enlève avec un complice encagoulé la belle en pleine rue et lui livre à domicile comme une vulgaire pizza la fille nue sous son manteau et ses bottes de cuir à lacet, menottée, ligotée, bâillonnée et pantelante. Là, ils vivront encore quelques instants torrides avant le verre de champagne – et de rigueur.

Las ! Tout ne se passe jamais comme prévu et, si l’enlèvement a bien lieu en temps et en heure, un camion innocent qui passait au feu vert emplafonne la grosse Mercedes (les Anglais ne produisent plus de voitures sous leurs marques nationales depuis longtemps). Le passager et la belle passent de vie à trépas, le chauffeur est grièvement blessé, dans le coma. Il a grillé le feu rouge. La presse à scandale se déchaîne sur ce cadavre ligoté et Ivor le Secrétaire d’État à la Défense tout juste nommé, ne peut s’empêcher de trembler. Si quelqu’un relie son nom à l’affaire…

Mais il n’arrive rien. Par coïncidence, l’épouse d’un milliardaire très connu qui vient d’acheter un club de foot, passait par là et elle ressemble fort à Hebe. L’époux a reçu des menaces car son rachat du club ne fait pas que des heureux ; c’est sans doute sa femme que l’on a voulu enlever. Surtout qu’un pistolet (non chargé) a été retrouvé dans la voiture or, comme les attentats de l’IRA contre les membres du gouvernement Thatcher continuent, tout cela peut être lié. Ivor est dans les affres lorsqu’il apprend ce détail : si jamais son nom est de quelconque manière relié à l’IRA, il peut dire adieu à sa carrière politique.

Cela ne l’empêche pas de jouer avec le feu, d’aller rôder autour du domicile du chauffeur qui le connaît et qui peut parler, de suivre son ex-maîtresse blonde et élancée elle aussi, et même de coucher avec. C’est que l’assouvissement du désir égoïste est plus fort que tout dans ces hautes sphères de la bonne société et du pouvoir : tout est permis et la morale a depuis longtemps été jetée aux orties avec le slip et le corset – rançon d’une société victorienne trop stricte qui a suscité par réaction son inverse absolu. Sauf qu’entre le corps et l’esprit, rien ne se passe jamais comme prévu. Ivor imagine, échafaude des scénarios, reste hanté par les souvenirs. Il va faire des erreurs, entraîner une cascade de conséquences – jusqu’à la fin, inattendue comme il se doit.

Malgré un premier chapitre brouillon où le lecteur ne sait pas qui parle et pourquoi (en fait un comptable, beauf du député), le diesel poussif réussit à démarrer et, dès le chapitre 3 (heureusement dès la page 41 sur 446), l’intrigue se met en place et se clarifie. Le ton décalé, au-dessus de la mêlée, des différents narrateurs/trices n’aide pas à s’identifier mais le charme de l’intrigue réussit à surgir avec les pages. Le lecteur se captive pour les mœurs des MP (Members of Parliament) surveillés par la presse de caniveau, lue avec délectation par toutes les classes de la société.

Ruth Rendell, On ne peut pas tout avoir (The Birthday Present), 2008, Livre de poche 2011, 446 pages, €7,60 e-book Kindle €7,99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mary Higgings Clark, Avant de te dire adieu

Nell est une jeune femme belle et intelligente, comme il se doit pour les lectrices de MHC. Elle est orpheline depuis que ses parents sont morts dans un accident de voiture mais a été élevée par son grand-père, député de New York durant cinquante ans sans interruption. Bien que n’ayant pas besoin de travailler Nell écrit des chroniques dans un grand journal de la côte est. Elle s’est mariée très vite à Adam, un architecte bien fait de sa personne et avec un sourire irrésistible, comme il se doit pour les lectrices de MHC.

Mais voilà… Si tout commence dans le rose, le noir surgit brutalement. Sur les incitations pressantes de son grand-père, Nell va se décider à briguer le poste de député que celui-ci a lâché ; elle sera soutenue par le parti. Mais pas par son mari, Adam a en effet une étrange réticence à laisser aller sa femme aux élections. Les médias vont naturellement enquêter et scruter les moindres détails de la vie de Nell et d’Adam : y aurait-il une quelconque tache à dissimuler ? Ou n’est-ce que le souci bien légitime d’un mari qui ne veut pas que son épouse soit accaparée par la politique au point d’en oublier le foyer, et les éventuels enfants qu’ils voulaient ?

Une fois le décor planté, les personnages campés, la question principale posée, l’histoire peut commencer. Mary Higgings Clark a du métier et compose méthodiquement ses intrigues. Ses chapitres sont découpés comme dans les séries télé, prenant chaque personnage à un moment et faisant avancer l’histoire par ses facettes individuelles. Il y a Nell, Adam, le grand-père Mac, la grand-tante Gert férue de parapsychologie, la médium Bonnie, Jimmy le chef de chantier et son épouse Lisa, Jed Kaplan et sa mère qui a vendu un vieil immeuble sans l’en avertir, Lang le banquier qui finance la promotion du terrain, un petit garçon et son père. On peut se perdre au début dans les personnages, mais c’est la rançon de celles ou ceux qui ne lisent que trois pages à la fois. Les autres suivront le fil sans problème, vite captivés par les différents caractères.

Jed est aigri de voir le vieil immeuble inhabité en plein New York que sa mère possédait vendu par elle pour une bouchée de pain – son héritage – sans son avis ; mais Jed était parti en Australie pour échapper à une accusation de trafic de drogue et il en est revenu parce qu’il a replongé là-bas. Adam possède désormais l’immeuble, attenant à la parcelle de terrain que Lang a acquis pour en faire un centre commercial, résidentiel et de bureaux, avec une grande tour d’architecte. Adam veut donc négocier la vente de son terrain contre l’architecture du projet, ce qui lui permettra de se lancer en grand. Mais il semble que Lang ait d’autres vues…

La réunion convoquée par Adam sur son yacht ancré dans le port de New York, son seul luxe, doit réunir Lang, le constructeur Sam, le chef de chantier Jimmy, Winifred la secrète secrétaire d’Adam bien au fait des pratiques de l’immobilier, et lui-même. Mais Lang prévient au dernier moment qu’il ne pourra pas venir, il a embouti un camion avec sa voiture et doit aller à l’hôpital. Lorsque le bateau quitte le quai, il explose. Aucun survivant, deux corps déchiquetés repêchés, deux disparus : Adam et Winifred. Mais le sac à main de la secrétaire récupéré, à peine roussi. Dedans, une petite clé de coffre bancaire, sans indication.

Nell est effondrée, elle s’était disputée avec son mari juste avant qu’il ne parte, ayant oublié sa mallette et son blazer, que sa secrétaire est venue chercher sur sa demande peu après. Sauf que ce n’est pas le bon blazer, il y en avait deux identiques. L’enquête commence. Les suspects : Jed qui en voulait à Adam, Lang qui voulait ce terrain mais pas l’architecte, Jimmy peut-être, longtemps au chômage et pas très clair depuis. Ou d’autres. D’autant qu’un petit garçon de 8 ans, de retour d’une visite à la statue de la Liberté, a vu le bateau exploser et, comme il est hypermétrope, a distingué nettement « un serpent » qui plongeait en même temps dans les flots. Il fait des cauchemars depuis et sa mère l’emmène voir une psychologue qui le fait dessiner. Et « le serpent » s’affine au fil de la mémoire. Les flics sont très intéressés de savoir ce qu’il est vraiment.

Sa grand-tante Gert persuade Nell d’aller voir la médium, qui a reçu un message confus d’Adam depuis l’au-delà. Mac est sceptique mais Nell réceptive, ayant connu une expérience de ce genre avec sa grand-mère lorsqu’elle est morte (une caresse dans la nuit) et avec ses parents lorsqu’elle était prise dans un contre-courant marin et a manqué de se noyer. En fait, Nell est une fausse sceptique, sa raison doute mais elle veut y croire. Elle se sent coupable de s’être disputée avec Adam avant sa disparition et veut connaître la vérité – pour elle-même et pour sa carrière. En bonne Yankee s’adressant à des Yankees, MHC n’oublie jamais l’égoïsme fonceur de ses personnages fétiches. Et Bonnie la bluffe ; « Adam » depuis l’au-delà conseille à Nell de se méfier de Lang.

Mais que veut Lang ? Qui est Bonnie ? Et qui était vraiment Adam ? D’où vient l’argent de la fidèle Winifred, qui lui permet de financer une maison de retraite chère à sa vieille mère acariâtre ? Et pourquoi est-elle allée la voir religieusement tous les jeudis soir ? Nell va enquêter, aidée de Mac, Bonnie va la troubler, la mère de Winifred lui inoculer des doutes. Et puis… le drame évidemment. Mais Nell trouvera l’amour à nouveau en la personne d’un médecin pédiatre, orphelin comme elle, qui recherche sa mère devenue SDF.

Une intrigue convenue, dans les normes exigées des lectrices de MHC, mais qui est bien composée et au suspense soigneusement découpé. Bien qu’évoluant dans les milieux huppés de New York – sa ville, son milieu – ce qui peut agacer par moment, on ne s’ennuie pas. Un bon cru de vacances que j’ai relu avec plaisir.

Mary Higgings Clark, Avant de te dire adieu (Before I say Goodby), 2000, Livre de poche 2001, 439 pages, €9,20, e-book Kindle €7,99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Sandrine Warêgne, Un crime couleur rubis en Birmanie

Un roman policier voyageur. Trois Suisses partent en Birmanie et échappent de peu à une tentative d’escroquerie internationale sur les rubis. Tout se dénoue dans les affres, et la naïveté – disons même la niaiserie – de la fille, Vanessa, éclate au grand jour. Comment être aussi bête et croire que le monde entier est un paradis à la suisse ? Que tout le monde il est beau et poli et gentil comme un Suisse ?

Mais commençons par les personnages. Vanessa Egger est une grande rousse à lunettes, garçon manqué ; elle doit rendre un mémoire littéraire, l’étude comparée des romans Une histoire birmane d’Orwell et La vallée des rubis de Kessel (chroniqués sur ce blog). Elle veut voyager en Birmanie pour sentir le pays qu’elle doit étudier dans les romans. Avisant une annonce sur les murs de la fac, elle rejoint deux garçons pour voyager ensemble. Matthias Chiu l’asiatique et Alex Baer le grand blond en espadrilles sont tous deux suisses. Ils ont fini de hautes études commerciales et veulent passer l’été sac au dos en Asie. Ils choisissent la Birmanie pour un prétexte candide : parce que c’est une dictature – non qu’ils soient portés aux régimes autoritaires mais parce que cela a préservé le pays du tourisme de masse. Un choix consommateur pour Occidentaux libres, aisés et égoïstes. Avec pour vague excuse de ne pas aller dans les hôtels de la junte au pouvoir et d’ouvrir les Birmans au monde.

Au restaurant de l’hôtel à Rangoon, capitale économique du pays, Vanessa reconnaît Ben Edwards, comptable anglais pour des sociétés offshores, accompagné de sa femme aux cheveux noirs prénommée Fiona. Ben est l’ex de Vanessa, consommé lui aussi lorsqu’elle était étudiante à Londres en Erasmus. Il faut dire que Vanessa, en adolescente écervelée typique du contemporain, a publié aussitôt sur Instagram tout ce qu’elle allait faire, où elle devait aller et ce qu’elle avait déjà accompli. La présence de Ben n’est peut-être pas due au seul hasard.

Samuel et Diane, autre couple français d’Annecy dont lui se dit dentiste, se joignent à eux le lendemain pour visiter le Rocher d’or. Au retour, la chambre de Ben et Fiona a été cambriolée ; ils se disputent et Fiona disparaît. Samuel et Diane sont les coupables : ils ont récupéré les rubis volés à une altesse d’émirat qui les avait acheté à Genève pour sa troisième future épouse. Le lecteur sait tout de suite qui a fait le coup, ce qui est dommage pour le suspense, d’autant que l’ensemble du scénario n’a pas encore été présenté.

Nous faisons en effet la connaissance de l’inspecteur Patrick Camino, de Genève, la quarantaine au petit bedon, divorcé, fan de Francis Cabrel et flanqué d’un père, José, en maison de retraite. Il est chargé de l’enquête sur le vol des rubis « sang de pigeon » – une variété rare et très chère – par le joaillier Van Arp & Co. Le joaillier a payé l’intermédiaire birman mais les rubis ne lui ont pas été livrés et l’altesse menace directement sa vie. Disons-le de suite, la vie personnelle de l’inspecteur n’a rien à voir avec l’intrigue, sauf si le roman n’est que le début d’une série où on le retrouvera.

Le trio des étudiants décide, sur l’initiative appuyée de Vanessa qui garde un faible pour Ben, de l’aider à retrouver Fiona, occasion de visiter les principaux monuments bouddhistes, la maison d’Aung Sang Suu Kyi (dont Luc Besson a fait The Lady) et surtout les restaurants. « Fraîcheur et délices » disait Kessel. Ils décident à quatre (parce que c’est moins cher) de faire le périple prévu par Fiona en montrant sa photo partout où ils passent. C’est Mandalay, « Orwell avait même parlé de ville aux cinq P : parias, pagodes, prêtres, porcs et prostituées » p.97. Puis c’est le fleuve Irrawaddy et la pagode Bagan réputée contenir un os frontal de Bouddha. Tout une série touristique abondamment commentée comme dans un récit de voyage. Curieusement, Diane et Samuel les ont précédés. Samuel, bourré, blague ou pas sur le trafic de rubis, à la grande perplexité des étudiants – et du lecteur.

Alex et Matt vont seuls faire le fameux tour en montgolfière de Bagan car Vanessa a le vertige. En montrant sa photo par réflexe, ils apprennent que Fiona a fait le même deux jours avant. En interrogeant le registre de la compagnie, ils retrouvent son hôtel mais elle n’est pas là. C’est alors que Ben apprend par un tabloïd anglais sur Internet que l’on a retrouvé son cadavre près d’un temple. La police birmane qui s’en fout classe l’affaire en accident. Effondrement : Ben retourne à Londres avec son cadavre incinéré, le trio décide de continuer et terminent au lac Inle, occasion d’un dernier coucher de soleil en technicolor, avant le retour à Genève.

A l’aéroport, ils croisent Samuel et Diane qui font semblant de ne pas les connaître et déclarent d’ailleurs s’appeler Rubinstein, avant de prendre leur vol pour Dubaï. Sauf que Rubinstein veut dire pierre de rubis en allemand. Alertée, la police de Genève qui agit plus vite qu’elle ne pense, s’aperçoit qu’ils ont un faux passeport et sont frère et sœur, recherchés par Interpol… Le collier de pierres rouges que chacun croyait de rubis, s’avère être de spinelles, une variété inférieure. Quant au joaillier genevois, son cadavre a été retrouvé dans le Rhône.

Quel rôle ont joué Samuel et Diane ? Qui sont vraiment Ben et Fiona ? Comment se fait-il que Vanessa se soit retrouvée un soir dans le lit de Ben au lieu de la jeune suisse-allemande Jennifer qui a bu le même cocktail au bar avec lui ? Qu’a donc ordonné l’altesse émiratie pour que les cadavres s’accumulent ? – Et où sont les fameux rubis ?

Dans cette énigme subtile à la forme un peu maladroite mais touchante, aux personnages parfois égarés dans l’histoire, le lecteur voyage dans un pays où il n’ira peut-être jamais au vu de la situation politico-militaire. Comme Ben (et comme moi) il emportera peut-être deux appareils photos, un gros pour les belles vues et un petit pour croquer sur le vif, tout en se récitant les sages maximes de Warren Buffet (l’un de mes maîtres en bourse) sur la façon de vivre bien tout en faisant fortune. Un bon délassement exotique.

Sandrine Warêgne, Un crime couleur rubis en Birmanie, 2023, éditions Spinelle, 205 pages, €18,00

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Kathy Reichs, Passage mortel

Kathy Reichs exerce la fonction d’anthropologue judiciaire et enseigne à l’université au Canada et aux États-Unis. Ses romans policiers sont directement tirés de ses expériences et la série Bones en a été tiré. Elle décrit avec un réalisme vécu Montréal glacial en hiver et son université Mac Gill aux murs gris, comme la Caroline du nord avec son soleil de printemps, ses îles luxuriantes de la côte où un ami, Sam, élève des singes pour les étudier.

Les cadavres et les squelettes s’accumulent sur les tables d’étude. Une religieuse doit être canonisée et il faut s’assurer de retrouver sa tombe et que les restes soient bien les siens. Temperance fouille mais son étude montre qu’elle ne serait pas tout à fait comme son hagiographie le voudrait. Trop obsessionnelle, Temperance va-t-elle remettre en cause le processus au Vatican ? Brutalement, cinq autres morts dans un incendie suspect d’une ferme isolée : comme le feu a détruit la plupart des chairs, l’anthropologue doit déterminer qui est qui avec les squelettes. Il s’agit d’une vieille – tuée par balle -, d’un jeune couple assassiné au couteau et par morsures de gros chiens après avoir été drogués au Rohypnol, et de deux bébés jumeaux dont le cœur a été arraché vivant.

Qui a pu commettre une telle horreur ? Au nom de quoi ?

Comme d’habitude, Temperance s’investit dans sa mission. Perpétuellement agitée, angoissée, paniquée, elle va en somnambule, ne retrouvant un semblant de raison que devant son microscope et son ordinateur. Sa sœur Harry la fantasque a trouvé une nouvelle lubie en développement personnel : elle veut s’ouvrir à une autre vie. La sœur du couvent où la canonisable a été déterrée a une amie dont la fille, étudiante à Mac Gill, a disparu. Temperance enquête, fait la connaissance d’une inquiétante prof de mythologies et de deux assistantes sous emprise, pas mal perturbées.

Lorsqu’elle va se ressourcer en Caroline pour une semaine de vacances au soleil, une fois le boulot de détermination des restes accompli, elle ne peut que découvrir… deux nouveaux cadavres. Elle ne veut pas s’en occuper, c’est le boulot de l’anthropologue du comté, mais justement celui-ci a été requis pour une mission de l’ONU afin de déterrer les charniers de l’ex-Yougoslavie. Elle est donc requise pour se replonger dans le cadavre. Il s’agit de deux jeunes femmes, blanches, droguées au Rohypnol comme ceux de Montréal. Non loin de là, l’enquête révèle qu’une secte gentillette d’écolos se préservant du monde est ouverte.

Il s’avère que toutes les propriétés, celle qui a brûlé près de Montréal, celle de Caroline et même une autre au Texas où l’on a trouvé un lien, appartiennent un un riche Belge qui paye régulièrement les factures mais est introuvable. Temperance et son ami québécois l’enquêteur Ryan vont courir la montre afin d’éviter une prochaine catastrophe. Tous les morts pointent en effet vers une secte apocalyptique qui veut entreprendre un exorcisme satanique en sacrifiant des vies afin d’en sauver d’autres. Du délire paranoïaque sans aucun doute, mais des êtres de chair vulnérables comme les jeunes filles et les bébés. D’autant que Harry la sœur a disparu et pourrait être embringuée là-dedans !

Temperance est elle-même menacée, à demi étranglée dans une ruelle près de son domicile à Montréal parce qu’elle n’avait pas voulu, bravache, se faire raccompagner ; à demi incendiée dans sa cuisine de Charlotte avec un chat grillé balancé avec un parpaing au travers de sa fenêtre. Le sien ? Elle a confié Birdie à la voisine lorsqu’elle a dû aller en Caroline du nord et celui-ci s’est enfui.

Outre le suspense, un peu moins prenant que d’habitude, le lecteur (-trice et autres sexes) aura des cours détaillés sur insectes nécrophages et l’étude des squelettes, la procédure de fouille judiciaire et d’enquête sur les antécédents, l’inventaire des multiples sectes et autres façons d’alpaguer les gogos pour assurer son pouvoir absolu.

L’agaçant est surtout cette addiction forcenée à la Coke de ladite Temperance, cette boisson fétiche yankee de la firme d’Atlanta au 100 g de sucre par litre et à la pléthore d’additifs excitants tels que E150d, E210, E211, E220, E290, E330, E338, E414, E442 – en bref de la saloperie en bouteille ! Ryan préfère la bière, ce qui est plus sain.

Kathy Reichs, Passage mortel (Death du Jour), 1999, Pocket 2002, 475 pages, occasion €1,57

Un autre roman policier de Kathy Reichs déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

R.J. Ellory, Les anonymes

Un roman policier écrit par un Anglais et qui se passe aux Etats-Unis. Il dénonce l’impérialisme américain alimenté par la CIA, elle-même manipulée par quelques rares Maîtres du monde ou qui se croient tels. D’où le financement du contre-terrorisme « communiste » par l’argent de la drogue… facilité par l’Agence pour éviter de passer par le Congrès ! Ce fut vrai sous Reagan, peut-être moins aujourd’hui, encore que : l’argent tout-puissant corrompt puissamment.

Cela est le message de l’ouvrage, roman policier lent qui découvre peu à peu les rouages du Système. Nous sommes à Washington, le siège de la puissance, près du triangle des agences fédérales de force, CIA, FBI, Cour suprême. Une femme est assassinée par étranglement avant (ou après) avoir été sauvagement battue. Son nom de Catherine Sheridan est un faux, elle n’existe pas, son numéro de Sécurité sociale (avec lequel on peut – ou pouvait – obtenir n’importe quel papier d’identité) fait référence à une femme décédée il y a longtemps. Dans le pays « le plus avancé du monde » pour la technique, l’Administration est un brin retardée : on paperasse à gogo mais les fichiers ne sont pas reliés et mal remplis.

Les flics chargés de l’enquête piétinent ; ils aboutissent à chaque piste à des impasses. Car ce n’est pas la première femme à avoir été éliminée de la sorte. Aucun indice, aucune arme, aucune trace. Sauf que l’inspecteur Miller, toujours obsédé, stressé et fatigué, va se voir mettre le nez sur une piste qu’il aura beaucoup de mal à suivre. Il est pourtant réputé « le meilleur » de la brigade selon son capitaine et « des moyens » lui sont attribués car les politiciens s’inquiètent de l’opinion que la presse agite à propos d’un tueur en série. Il signe ses crimes avec un ruban attaché au cou de ses victimes, portant une étiquette de la morgue.

Miller n’est pas intelligent, materné par une Juive dont on ne voit pas trop ce qu’elle vient faire ici. Il est trop perpétuellement fatigué pour avoir des intuitions. C’est ce qui fait la faiblesse du livre. A l’inverse, son criminel qui n’en est peut-être pas un, quoique, apparaît un maître suprême dans l’art de l’analyse comme de la dissimulation. Il a été entraîné pour cela et mène dorénavant la carrière d’un brillant universitaire. Est-il le tueur ? Miller le croit mais le prof sème des cailloux comme le petit Poucet afin de forcer l’inspecteur à aller dans la bonne direction. Celui-ci ne veut pas voir, c’est trop évident ; il ne veut pas comprendre, c’est trop gros ; il ne veut pas admettre, ce serait scandaleux. Et pourtant « cela » est.

Ces meurtres ne sont pas au hasard. Il ne s’agit pas d’un psychopathe qui massacre en série mais d’une action planifiée par un organisme d’État, ou par des dissidents de cet organisme qui ont fondé un Etat dans l’État, ou par des manipulateurs de dissidents qui agissent au nom de leur propre morale d’État. Jusqu’au bout.

En bref c’est embrouillé, lent à démarrer, paranoïaque. Mais l’on s’y attache si l’on s’accroche. Fondé sur des faits vrais des années 1980, l’intrigue poursuit la tendance au prétexte que le nerf de la guerre a supplanté la guerre même. La fin mélo ne dépare pas.

Roger Jon Ellory, Les anonymes (A Simple Act of Violence), 2008, Livre de poche 2012, 731 pages, €8,90

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent

L’Islande est à la mode, peut-être parce qu’il y fait plus frais en été en notre période de réchauffement climatique et de canicules durables à répétition. Peut-être aussi à cause de la mode viking due à la série du même nom (excellente !) et au tropisme identitaire qui saisit les Européens face à la déferlante migratoire trop bronzée. Arnaldur Indridason reste l’auteur de polars inégalé (chroniqué sur ce blog), mais Eva Björg Aegisdottir (fille d’Aegis – le nom du bouclier d’Athéna) se lance. Elle est femme, ce qui devrait encore plus plaire à la mode d’époque… D’ailleurs ce polar a pour objet les filles – et leur principal défaut semble-t-il : le mensonge permanent. Tout le monde ment, tout le monde se veut autrement qu’il n’est, tout le monde réécrit ce qu’il a fait.

Son inspectrice est Elma, 33 ans, ex-enquêtrice de la brigade criminelle de Reykjavik qui revient dans la petite ville d’Akranes où elle a d’ailleurs passé son enfance (comme l’autrice). Tout est donc véridique dans les lieux et les gens. L’Islande est un pays étroit avec peu d’habitants et tout le monde se connaît dans les villages et les petites villes ; il n’y a guère qu’à la capitale que l’on peut retrouver un certain anonymat. Ce qui n’est pas anodin pour notre histoire.

Tout commence évidemment par un cadavre : celui d’une jeune femme découverte dans une faille de lave sur les pentes du volcan (éteint) Grabok, par deux gamins qui jouaient aux sauvages. Ils ont cru voir un gobelin mais ce n’était qu’un corps décomposé depuis quasi un an. On découvrira très vite qu’il s’agit de Marianna, mère célibataire un peu bizarre qui n’a guère aimé son enfant, une fille nommée Hekla qui a désormais 15 ans et qui préfère sa famille d’accueil à Akranes et ses copines de collège Dina et Tinna.

Qui en voulait donc à Marianna ? Les chapitres d’enquête, avec les inévitables problèmes de famille et de collègues pour faire humain, sont entrelacés avec de mystérieux chapitres qui relatent les relations d’une mère avec sa fille, depuis bébé jusqu’à ses 10 ans. Relations guère affectueuses et même carrément toxiques. Allez vous étonner après ça que… Mais aucun prénom n’est donné jusque fort tard dans le livre et le lecteur se sait pas de qui l’on parle. Il croit deviner, et puis pschitt !

Dans un pays aussi petit où la jeunesse n’a guère de loisirs autres que « faire la fête » en éclusant de l’alcool et en baisant à tout va dès la plus jeune adolescence, la rumeur peut enfler d’un coup et briser une vie. Unetelle est une pute trop facile ou Untel est un violeur. Ou briser plusieurs vies – jusque fort tard dans l’existence car il n’est nul lieu où vraiment se refaire une nouvelle vie.

Elma et son collègue Saevar ont pour patron un dénommé Hördur… Cocasse en français – mais ça se prononce oeurdur car le ö est un oeu. Ce n’est pas le seul exotisme, ce qui donne du sel à ces polars nordiques, plongés dans la nuit six mois par an, le frais et la brume tout le temps, avec les stations-services en guise de « dépanneurs » comme disent les Canadiens, les supermarchés locaux où l’on vend de tout, y compris du carburant, mais aussi de l’agneau séché à mettre dans un pain plat pour en faire un met à la Lord Sandwich. Entre autres.

Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent, 2019, Points policier 2023, 427 pages, €8,90 e-book Kindle €8,99

Catégories : Islande, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Jean-Christophe Grangé, Les Promises

Il est curieux d’être psychiatre à l’époque nazie. Simon, petit homme dandy, se délecte dans son cabinet meublé avec goût des confidences des grandes dames qui viennent le voir. Elles sont toutes mariées à des pontes du Reich et déversnte devant lui leurs confidences. Il les enregistre sur des galettes de cire, évidemment. Ce qui lui permet de les faire doucement chanter, augmentant ainsi ses revenus. Mais cette façon de faire mercantile et bourgeoise ne peut pas durer. Simon le sait, mais il veut l’ignorer.

C’est alors que le régime le rattrape. L’une de ses patientes est retrouvée massacrée dans un parc, le ventre ouvert et les organes enlevés. S’agit-il d’un meurtrier sadique comme il en est malheureusement tant ? Lorsqu’une deuxième victime, de la même société, est tuée et éviscérée de la même façon, le doute n’est plus possible : il s’agit d’un tueur en série. C’est un SS de base, Franz, qui est chargé de l’enquête puisqu’elle devient politique. La police, en effet, n’a rien trouvé, et la position sociale des femmes proches du pouvoir fait que la Gestapo a repris le dossier. Mais Franz patine. Il n’a aucune notion d’une enquête de police et ne sait seulement qu’user de brutalité.

Une troisième personne va s’ajouter à l’enquête, une aristocrate, psychiatre comme Simon, Minna von Hassel. Elle dirige un asile de fous que les spécialistes du Reich vont s’empresser d’éradiquer. Il s’agit en effet de créer une race saine et d’éliminer tous les déviants et les mauvais gènes. C’est le rôle d’un médecin psychopathe laissé à lui-même, comme les régimes totalitaires savent en créer – et pas seulement le nazisme.

Comme une troisième puis une quatrième victime s’ajoute, tuée et éventrée de même, Simon, Franz et Minna vont se rencontrer. Ce trio improbable venu de trois pôles opposés de la société, finira par s’entendre et à découvrir le pot aux roses. Mais, à chaque fois qu’ils pensent tenir un coupable, ce n’est jamais le bon.

Jean-Christophe Grangé n’aime pas le nazisme. Il s’en moque : « comment reconnaître l’Aryen idéal ? Facile. Il est blond comme Hitler, grand comme Goebbels, svelte comme Göring » p.506. Mais le monde qu’il a créé le fascine, dans la mesure où il permet aux instincts les plus sauvages de se manifester sans entrave. Il est donc la période de l’histoire la plus propice à situer l’action et ficeler un roman policier labyrinthique, tout en révélant des types humains intéressants et contrastés.

Simon le psy gigolo est touchant, Franz le nazi de base est compréhensible, Minna l’aristo élevée dans la richesse est émouvante. Créer une psychologie convaincante des personnages est la deuxième clé qui fait un bon roman, après une histoire bien menée.

Mais il y a plus : une analyse contemporaine du délire nazi. Le conservatisme réactionnaire s’est mué en nationalisme exacerbé, allant jusqu’au racisme le plus dur. Comment l’amertume de la défaite de 1918 et la tentation complotiste du « coup de poignard dans le dos » des minorités intérieures (juifs, communistes, intellectuels de gauche, homosexuels progressistes, etc.) vont engendrer la croyance d’être au final supérieur, donc la haine pour tout ceux qui sont différents, « pas d’ma bande » dit la racaille. Il suffit alors de gueuler, d’entraîner la masse amorphe qui ne demande qu’à croire, et à faire d’un peintre raté névrosé du sexe un dictateur, d’un éleveur de poulet un dresseur de la race. S’ensuit la répression intérieure et la guerre extérieure – puis le chaos final, inévitable.

Les trois personnages du roman, qui ont laissé faire et s’en accommodaient jusque là, vont ouvrir les yeux. Le gigolo maître chanteur va choisir la justice, la brute haineuse va apprendre la vérité sur les mensonges du régime et la compassion pour les êtres, l’aristocrate va éprouver que l’argent et la position ne peuvent pas tout et que la solidarité est finalement la meilleure des choses humaines.

Jean-Christophe Grangé, Les Promises, 2021, Livre de poche 2023, 795 pages, €10.90, e-book Kindle €9.99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Sophie Hannah, Les monstres de Sally

Je ne sais s’il existe une « école de Manchester » pour les romans policiers, mais les écrivains et écrivaines de la ville livrent en général des œuvres de bonne facture, nettement plus élaborés psychologiquement que celles des Américains. Evidemment il y a moins d’action et le déroulé de l’enquête est passablement plus brouillon.

Sophie Hannah insiste sur ce que vivent les mères de famille ayant des enfants petits : c’est la galère ! Comme elle dédie ce livre à « Susan et Suzie » (deux suceuses, selon la consonnance de leur nom), on peut se dire qu’elle connait la façon dont les enfants sucent la moelle de leurs parents. Exigeants, butés, colériques, ils et elles ont tout pour se faire détester. Sauf qu’ils sont vulnérables, chair de la chair et de temps à autre adorables. Chacun et chacune réagit selon son tempérament.

Rien de plus opposé que Nick et Sally. Tous deux travaillent, mais autant lui est désordonné, optimiste, prenant tout à la légère et le temps venu, autant elle est maniaque, angoissée, courant toute la journée avec une liste interminable de choses à faire – qu’elle ne réussit pas à caser. Le trait est un peu gros pour la vraisemblance mais permet d’ancrer le crime dans son contexte. Car il y a crime, et même au pluriel, et plus encore en prévision. Les romans policiers ne font plus dans la dentelle (ni dans l’arsenic) depuis longtemps. C’est aujourd’hui du sanglant, du brutal et de la série. Pour motifs psychiatriques, c’est la mode.

Donc Sally Thorning vit l’une de ses journées harassantes habituelles – sans savoir décrocher ni tempérer. Obsessionnelle compulsive, ou presque, elle veut que tout soit en ordre, bien rangé dans des cases, et que chaque chose soit accomplie dans les temps. Hélas ! La nounou des enfants, Zoé 6 ans et Jake 3 ans, lui annonce ne pas pouvoir finalement les garder durant une semaine alors qu’elle l’avait promis, étant grassement payée. Mais elle ne peut, de par la loi (anglaise), garder plus de trois jeunes enfants à la fois et elle a hérité, outre de celui qu’elle garde habituellement, des jumeaux de son amie qui doit aller… se faire refaire les seins. Sally est furieuse de cette futilité et, quand elle quitte en pétard la nounou, s’aperçoit à peine de ce qui se passe dans la rue. Quand soudain, « on » la pousse sous les roues d’un bus, qu’elle ne parvient que par un miracle à éviter, non sans se meurtrir les jambes, la joue, le bras, et déchirer sa robe. Serait-ce la nounou qu’elle a quittée pleine de ressentiment ?

Son mari Nick qui ne s’en fait jamais est à la maison dans le désordre mis par deux enfants petits, tout simplement en train de regarder les infos à la télé. S’affiche le visage d’un homme désespéré qui vient de perdre sa femme et sa fille, toutes deux retrouvées nues dans la baignoire, mortes noyées. Probablement un suicide, mais… On le présente comme Mark Bretherick mais… cet homme ne saurait être Mark : Sally la rencontré fortuitement un Mark Bretherick dans un hôtel où elle se reposait, ayant obtenu une semaine de congés clandestins pour compenser le voyage professionnel impérieux à laquelle elle devait sacrifier. Ils ont fait connaissance au bar, ont échangé de menus propos sur la vie quotidienne, se sont aperçus qu’ils habitaient la même petite ville – et ont couché ensemble. Un séjour fortuit mais agréable, dont Nick ne doit rien savoir, évidemment. Sally n’a pas voulu le « tromper » mais cela s’est fait sans y penser, et elle ne va pas poursuivre la relation. D’ailleurs Mark Bretherick ne la rappelle pas.

Mais si Mark n’est pas Mark, alors qui est-il ?

C’est le début d’une enquête menée par la police sur les cadavres de la mère et la fille, de Sally sur le mystérieux Mark, des amis, relations et comparses des uns et des autres, sans oublier l’ingrédient obligatoire dans le standard des « thrillers » (qui ne thrillent plus autant qu’avant) : les amours compliquées des flics entre eux. Avec une fois, encore la caricature : l’amoureux transi qui a peur de franchir le pas ; l’amoureuse désespérée qui angoisse à l’idée de l’avouer ; le baiseur invétéré de tout ce qui porte jupe et pas de culotte ; le frigide qui s’en moque comme de son premier slip ; le nouveau capitaine au nom imprononçable (pour la « diversité »), le chef impavide mais qui exige (pour « l’autorité » qu’il faut réaffirmer dans la société) que l’enquête soit bouclée avant-hier…

Un début en fanfare qui s’étire, passionnant, sur les relations entre mère et fille, une enquête farfelue où les « intuitions » remplacent souvent les faits et rendent parfois elliptiques les révélations, une progression qui s’embourbe alors que se multiplient les chapitres décentrés, une fin glaçante tout grand ouverte sur les abîmes de la psyché. On ne savait pas le système de mœurs héritées de l’ère victorienne en Angleterre aussi apte à fabriquer des tordus et des tordues !

Sophie Hannah, Les monstres de Sally (The Point of Rescue), 2008, Livre de poche 2012, 503 pages, €4,84

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Carol Higgins Clark, Tempête sur Cape Cod

La mère avait inventé des romans policiers de frisson ; la fille écrit des romans policiers sur le mode du Club des Cinq pour adultes. Pas de frisson trop politiquement incorrect mais une mécanique bien réglée avec une multitude de personnages qui tous se connaissent et s’échangent des propos de salon. C’est bien monté, agréable à lire, mais oublié sitôt que refermé.

Nous sommes à Cape Cod sur la côte nord-est des États-Unis et les tempêtes y sont redoutables. Les villas secondaires, remplies en été, sont quasi désertes en hiver, ce pourquoi les rares habitants à demeure, en général retraités ou commerçants, connaissent tout le monde. Lorsqu’une femme vient louer une maison pour six mois et ne veut voir personne, c’est louche. Les voisines cancanières Fran et Ginny, vieilles filles qui n’ont que ça à faire après des amours déçus, soupçonnent une vie cachée à celle qui les remercie à peine pour la tourte aux myrtilles qu’elles lui apportent en guise de bienvenue – et pour reluquer son intérieur.

C’est cette période d’hiver que choisit le couple de Regan et Jack Reilly, elle détective privé et lui chef d’un service de police de New York, pour fêter leurs noces de coton – bien au chaud sous la couette. Sauf que la tempête brise une vitre des sœurs mêle-tout, ce qui les fait se réfugier chez eux car « leur mère a toujours été serviable » envers elles. Et que l’homme à tout faire du coin, un Répare-tout du nom de Skip (qui veut dire domestique), surgit affolé en criant qu’un corps ensanglanté gît au bas des marches, sur la plage, et qu’il s’agit de la voisine solitaire !

L’engrenage se met en route : Jack se précipite avec Skip pour porter secours, mais plus de corps. Les vagues très fortes l’ont peut-être emporté ? Le policier prévient la police (locale) et cherche à en savoir plus sur la voisine qui se fait appeler Mrs Hopkins via son service de New York. Au fond, personne ne sait grand-chose, sinon qu’elle a récemment divorcé et qu’elle n’a ni enfant, ni amis. Mais on retrouve chez elle des sacs entiers de coussins brodés d’un slogan d’excuse et une pile de cartes à envoyer du même style. Tout a été acheté Au coussin bavard, une boutique récemment ouverte par deux amies au chômage, descendues depuis New York. L’une d’elles a raconté en ligne ses déboires avec son ex-patron, un dragueur au rouge à lèvre, qui l’a embauché avant que son restaurant mal situé, mal conçu et ruineux ait fait presque aussitôt faillite. Le chat s’est développé, le site de la boutique a enflé et les commandes ont afflué.

Il y a aussi, dans cet hiver désert de Cape Cod, toute une troupe de théâtre itinérant qui vient s’installer pour monter une pièce écrite par le directeur Devon et qui met en scène un grand-père irascible devant le cadeau de ses petits enfants, un long et gros couteau à découper. L’acteur principal, vieux beau revenu du cinéma, a exigé qu’une villa lui soit louée pour lui tout seul afin de ne pas avoir à subir les dortoirs de la troupe. Elle se situe justement pas très loin de celle des Reilly et de la divorcée Hopkins. Quant au couteau, il exige que ce soit un vrai pour forcer son jeu.

Avec tout cela, secouez un peu et vous aurez des inimitiés, des menaces, des crimes en puissance. Mais le danger sera plus fantasmé que réel, comme dans le Club des Cinq qui faisait mes délices lorsque je n’avais pas 12 ans. Un roman policier à l’eau de rose pour public très précis : les rombières de la haute société qu’affectionnait déjà Mary Higgings Clark, la mère de Carol, mais avec une noirceur et un talent du suspense nettement meilleur. En raison des vicissitudes de sa propre existence peut-être, moins rose que celle de sa fille.

Un roman qui se lit et s’oublie. Si m’en croyez, préférez Mary Higgins à Carol Higgins.

Carol Higgins Clark, Tempête sur Cape Cod (Wrecked), 2010, Livre de poche 2013, 303 pages, €6,90

Les romans policiers de Mary Higgins Clark (la mère) chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , ,

Lynda La Plante, Cœur de pierre

Une ancienne comédienne anglaise passée dans le script de séries télé se lance dans l’écriture de romans policiers – « à l’américaine » – c’est la mode. Celui-ci, qui met en scène une femme, ex-policière devenue détective privée, est de bonne facture. L’intrigue est tordue à souhait et le dénouement inattendu.

Nous sommes à Los Angeles, ghetto des stars. Harry Nathan a des talents de peintre mais surtout le sens des affaires, à moins que ce ne soit celui de sa première femme Sonja, une nordique froide du sexe mais aussi de la tête. Mais Harry s’en lasse, macho content de lui et de son corps cultivé aux appareils. Il s’entiche de l’assistante de sa femme à la galerie d’art, Kendall et l’épouse après divorce – il garde la villa et la galerie et c’est Kendall qui la gère, avec l’aide d’un jeune Noir qui a fait de la prison (toujours utile pour les coups tordus). Kendall est avisée mais avide, elle tient trop tête à Harry qui divorce à nouveau et se remarie avec une très jeune Cindy au corps de rêve mais au pois chiche dans la tête, sans parler des substances qu’elle prend. Mais Kendall a gardé la moitié des parts de la galerie et continue de faire des affaires avec Harry et son carnet d’adresses. Une vie bien compliquée pour Harry.

Surtout qu’on le retrouve tout nu dans sa piscine, flottant le ventre à l’air comme un poisson crevé, une seule balle lui ayant emporté le visage. Un coup de téléphone affolé de celle qui se présente comme Cindy demande à Lorraine Page, de Page Investigations, boite qu’elle vient de créer, d’enquêter pour savoir qui est le coupable. Lorraine vient juste de s’installer après divers déboires dans la police où elle était lieutenant. Devenue alcoolique, elle a un jour tiré sur un jeune Noir qui s’enfuyait, après les sommations d’usage mais que le jeune n’a pas entendu, obsédé par son baladeur à fond sur les oreilles. Non seulement il est mort, mais elle lui a surtout tiré six balles dans le dos, un acharnement sans objet. Chassée de la police, l’affaire étouffée en interne comme il se doit pour une flic méritante, le dealer de toutes façons éminemment suspect, elle est entrée en dépression et vient tout juste d’en sortir. Elle veut revivre.

Mais voilà que le destin s’en mêle. Son affaire démarre sur les chapeaux de roue avec ce crime bizarrement commis, on ne sait par qui car les coupables potentiels sont légion. Il y a les trois épouses, dont la dernière, dans les vapes au moment des faits, qui ne sait pas si elle « l’a » fait ou si elle l’a rêvé ; il y a l’ami suspect Vallance, un vieux beau qui fut acteur adulé avant la déchéance physique et qui est resté depuis sa jeunesse amoureux de Harry ; il y a le frère de Harry, peintre qui peine à percer ; et l’avocat Feinstein à qui il a vendu des toiles.

Se découvre une arnaque de grande ampleur, puis une affaire dans l’affaire qui va mettre en cause directement Lorraine Page et son assistant tout frais embauché, le beau jeune gay Decker.

Comme s’est la mode, les femmes sont ici mises en avant, mises à l’honneur. Les hommes sont « tous des… » ou pas vraiment « des hommes ». Harry est un obsédé sexuel égoïste et vaniteux, l’avocat un avorton avide de fric et vantard, le frère de Harry un raté vaguement hippie qui se croit, le jeune Decker n’est pas Black mais pédé… Seul réchappe à ce dégommage en règle l’ancien patron de Lorraine dans la police, Rooney, qui vient de vivre une lune de miel en Europe avec son épouse Rosie, et le nouveau capitaine de police Jack Burton. Il est le rêve mâle de toutes les femelles : viril, protecteur, délicat, amoureux. Un vrai fantasme qui, comme tous les fantasmes, ne pourra se réaliser.

Mais je ne veux pas en dire trop. Se lit avec une certaine délectation, malgré (et surtout) dans les méandres d’une intrigue compliquée.

Lynda La Plante, Cœur de pierre (Cold Heart), 1998, Livre de poche 2000, 511 pages, occasion €1,20

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Mary Higgins Clark, La maison du guet

C’est un thriller efficace des années 70 que nous offre, un demi-siècle après encore, Mary Higgins Clark. Elle était toute fraîche autrice et cet opus est un bon.

Il y a bien sûr ses thèmes qui deviendront habituels, la jeune femme un peu niaise que le destin va frapper, des enfants innocents qui trinquent, des hommes ambivalents aux extrêmes, du psychopathe au prince charmant, un milieu aisé et conformiste dans une demeure confortable. Avec ces ingrédients, Clark agite l’action pour en créer du mouvement. Le style est direct, la psychologie sommaire, mais le lecteur progresse sans cesse.

Nancy est une femme de 30 ans qui vit depuis sept ans une seconde existence avec un mari de rêve et de beaux enfants, le garçon et la fille du rêve américain, comme il se doit. Mais un jour… elle laisse ses enfants de 5 et 2 ans jouer dehors à la balançoire, s’absente une dizaine de minutes pour faire le lit et mettre les draps à la machine, et lorsqu’elle veut les faire rentrer par ce qu’il fait froid et que la tempête se lève, elle ne les retrouve pas. Nous sommes à Cape Cod, un endroit chic de la bourgeoisie de Nouvelle-Angleterre et la grande maison proche de la mer est isolée par un bois de la route.

Affolée, Nancy court instinctivement vers le lac, croit apercevoir un objet rouge flottant dans l’eau, s’élance mais n’attrape qu’un reflet et s’écroule sur le sable de la rive. Elle est épuisée. N’a-t-elle pas justement, juste avant de laisser les enfants, parcouru le journal que le facteur vient d’apporter et qui contient un article détaillé sur un crime commis en Californie des années auparavant ? Une grande photo l’illustre, et elle s’y reconnaît.

Car la jeune femme a épousé à 19 ans, malgré les conseils de sa mère, un professeur de son université qui l’entourait de prévenance comme une petite fille. Elle a eu avec lui deux enfants, un garçon et une fille comme il se doit, et a vécu avec lui quelques années jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive, à petites touches, que son mari n’était pas l’homme qu’il paraissait et que ses enfants se plaignaient de jeux et d’attouchements. Un jour, elle est allée faire des courses au supermarché avec eux, les a laissés dans la voiture, et en revenant une dizaine de minutes plus tard, elle ne les retrouve pas. La police alertée en retrouvera les cadavres noyés. Plus tard son mari laissera une lettre disant qu’il veut les rejoindre et se noyer à son tour. Pourtant, il a toujours eu horreur de l’eau…

C’est donc un cauchemar que revit Nancy et, désormais, tout le monde la soupçonne. Elle a voulu se faire oublier et refaire entièrement sa vie, mais le destin la poursuit, à moins que ce ne soit un complot machiavélique de quelqu’un qui veut se venger, ou encore un psychopathe pédocriminel qui récidive. Qui croire ? Mais, comme toujours avec Clark, la femme de 30 ans a su se faire apprécier pour ses qualités propres et plusieurs personnes de son entourage vont l’aider à démêler l’écheveau des apparences et à contrer les inévitables préventions sociales et les rumeurs malveillantes.

Ce roman policier court d’une traite car l’action avance régulièrement de chapitre en chapitre, tout en manipulant les émotions par des malheurs renouvelés et la découverte progressive de l’horreur. S’y révèle aussi l’esprit pionnier américain qui, de la jeune femme au mari, de l’entourage aux petits enfants mêmes, réussit à faire effort de se prendre en main pour se dépêtrer du bourbier.

Mary Higgins Clark, La maison du guet (Where are the Children), 1975, Livre de poche 1987, 221 pages, €7.40 e-book Kindle €7.49

Les romans policiers de Mary Higgins Clark déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Christian Gernigon, Les yeux du soupçon

L’auteur, prof d’anglais après un bac 68, s’est mis à l’élaboration de thrillers soigneusement documentés. Il a obtenu le Grand prix de littérature policière 1986 pour La Queue du scorpion. A désormais 72 ans, il ne semble plus écrire, son dernier opus date de 2008.

Il semble obsédé dans ses œuvres par les pédophiles et Les yeux du soupçon n’échappent pas à ce travers, comme s’il voulait exorciser quelques fantasmes sadiques de la société. S’il choisit à chaque roman une ville, il s’agit ici de San Francisco et le lecteur saura tout sur cette ville mythique, saisie au tournant du siècle. Mais le principal de ce policier de frissons où l’action se mêle assez bien à la psychologie est le portrait de « LA » conne américaine.

Il s’agit d’un idéal-type que l’on retrouve souvent dans les romans policiers yankees, notamment chez Mary Higgins Clark, mais que Christian Gernigon utilise ici à la perfection. Mary est en effet une « conne » : niaise, paniquée, séduite par les apparences, croyant à l’Hâmour à l’eau de rose Disney, genre pétasse qu’un prince charmant viendrait dénicher pour en faire la Femme de sa vie.

Mary a connu son mari David, prof en collège, massacré avec quelques élèves par un serial killer adolescent, frustré d’être nul et détesté sans que nul ne s’en préoccupe. L’égoïsme forcené américain valorise la compétition à outrance, pas seulement virile, et méprise les loosers. Avec la vente libre d’armes et les trafics possibles, pas étonnant à ce qu’il y ait autant de massacres de masse aux Etats-Unis. Le fric et le droit du plus fort importent plus que la vie humaine et la solidarité.

Un an s’est à peine passé après sa mort que Mary, flanquée de sa fillette de 6 ans Kelly (un prénom niais), tombe raide dingue d’un client à la quarantaine portant beau, venu consulter dans sa compagnie d’assurances. Aussi sec, sans même n’avoir baisé ni ne l’avoir questionné ou s’être tout simplement renseignée sur son métier et ses collègues, elle consent à se marier tout de suite, à Las Vegas en 24 h comme il est possible de le faire dans ce pays qui produit des tarés en série. Le « mariage » est en effet le fantasme social de base plutôt que la simple vie à deux. Un mariage à la Daech, vite prononcé à la chaîne par un imam protestant devant lequel les couples font la queue.

La conne américaine emménage donc avec son beau mari tout récent et il s’empresse de l’obliger – sans discussion – à démissionner de son emploi et à laisser tomber ses amies, selon le même schéma que le roman de Mary Higgins Clark publié en 1982, Un cri dans la nuit. Croyez-vous que cela lui aurait mis la puce à l’oreille ? Pas du tout ! L’illettrée ne l’a pas lu. Elle se dépêche de trouver mille excuses à ce comportement machiste et un brin paranoïaque, en rêvant de « la belle maison » (autre fantasme social de midinette) et de « la fortune » que son mari Peter est supposé avoir.

Sauf que le récit qu’il fait de son enfance malheureuse aurait dû la faire tiquer. Il n’en est évidemment rien, preuve que non seulement elle se complait aux fantasmes, mais qu’elle est en sus bête à pleurer. Son père dans l’armée a tué sa mère et Peter a été recueilli et élevé par son grand-père pasteur qui l’a élevé avec rigorisme ; une fois adulte, son épouse et sa fillette ont été massacrées à coups de marteau par un inconnu, Peter se trouvant soigneusement à distance pour qu’on ne puisse le soupçonner. Curieusement, il avait souscrit un fort contrat sur la vie au dernier survivant – et hérite donc de pas moins d’un million de dollars. De quoi voir venir et jouer au day trading.

Car la conne américaine, avec son petit diplôme de comptable et son boulot dans les assurances, ne s’est même pas préoccupée de savoir pourquoi son nouveau mari lui affirmait être gérant de portefeuilles boursier « chez Deloitte et Touche » alors que cette société n’a jamais géré aucun portefeuille boursier, ni fait de trading. Le site internet mentionne « Audit & Assurance, Consulting, Financial Advisory, Risk Advisory, et Juridique et Fiscal ». Mais croyez-vous que la future mariée, engagée à vie devant Dieu et devant les hommes, se soit préoccupée d’aller voir sur Internet ?

Son ami Mark, chargé d’enquêtes pour la compagnie d’assurance Briggs, dans laquelle ils travaillent tous les deux, a bien montré qu’un client douteux avait vu son épouse assassinée après un contrat sur la vie de 600 000 $ qu’il compte bien toucher, rien n’y a fait. Mary n’a pas effectué le rapprochement – pourtant évident – avec son propre cas.

Mark, aidé de son ami et collègue Willy, va démontrer que le mari a tué sa femme, terrorisé ses deux fils de 8 et 6 ans pour qu’ils la ferment et lui donnent un alibi, qu’il a été renvoyé de plusieurs métiers en rapport avec les enfants parce qu’il avait tendance à les faire mettre nus pour jouer au basket ou à la lutte. Peter ne semble pas atteint de cette perversité avec Kelly, mais…

Tout se résoudra dans le sang et la fureur, comme de bien entendu, non sans le venin dans la queue. Mark lui-même, qui aime Mary et voudrait bien l’épouser, a vu à l’âge de 10 ans son père fuir le domicile conjugal parce qu’il s’était découvert homo, et sa mère se suicider en essayant de l’entraîner avec elle. Il garde soigneusement le Colt .38 qui a servi et qui, curieusement, est le modèle par lequel son père a été tué au sortir d’une boite gay quelques années après.

La conne américaine va-t-elle répéter son schéma névrotique avec Mark comme avec Peter et David ?

Un bon thriller qui vous donne le portrait de la bêtise, côté US.

Christian Gernigon, Les yeux du soupçon, 2001, Livre de poche 2003, 383 pages, occasion €0.90, e-book Kindle €6.99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs

Des vacances sur la Méditerranée pour le gendarme Léon Crevette et son ami retraité Eddy Baccardi, qui a vendu du pinard avant de se mettre « à l’écoute » des esseulé(e)es. Il aide sa réflexion : « l’étincelle, celle qui ne jaillit qu’au frottement de deux silex » p.74. Le crustacé au rhum fait plus que des étincelles : c’est un plat qui se déguste.

Un marin mort est retrouvé dans la grotte des Flambeaux noirs ; une vieille légende y mettait un pèlerinage avec des torches qu’on laissait s’éteindre avec ses vœux. Mais quel rapport avec la victime ? Peut-être aucun, si ce n’est qu’elle ne s’est pas noyée. Le Commandant Crevette, sitôt rentré de vacances, est renvoyé en mission sur le lieu de ses vacances – car c’est là que le mort fut découvert. Déjà Valentina, sa compagne russe qui est légiste, a été requise pour autopsier le cadavre, un homme de pas 40 ans, faute de médecin accrédité sur les lieux. Le lieutenant Flocon un brin gelé, en charge du coin, se liquéfie à l’idée de mener une enquête, lui qui sort à peine de l’école de gendarmerie après la charcuterie de ses parents. Les deux vont donc être priés par le proc de travailler ensemble.

Le mort était propriétaire de trois bateaux de pêche dont la Marie-Louise ; tous, curieusement, ont été immatriculés récemment aux îles Marshall, un paradis fiscal où l’on est en outre peu regardant sur le droit du travail. Son fils Victor, 9 ans, est enlevé peu après sa mort. Y aurait-il anguille sous roche ? Son grand-père est sénateur louche, de plus en plus tenté par l’extrême-droite. Une piste ? Mais rien. Il patauge, le Léon, entre « la veuve qui officiellement ne sait rien, le capitaine de la Marie-Louise qui ne dit rien, le dénommé Brahim et le blond barbu qui ont réponse à tout… (…) le sénateur qui a l’air faux comme un jeton » p.86. Les matelots marocain et norvégien ne disent pas ce qu’il savent, mais ils savent quelque chose. Le tout est de les amener à fissurer leur vérité en béton.

Léon laisse s’agiter ses petites cellules grises. Il les entretient aux petits plats d’un restaurant gastronomique non loin de son hôtel. Il déguste même des saint-jacques Rossini ! Une délicieuse recette adaptée par des Belges sur la Côte d’Azur dans le roman, mais qui vient de l’école du Ritz à Paris dans le vrai. Pas très diététique, mais goûteux.

Le gamin finira par s’évader tout seul en faisant un truc qu’il a vu dans une série télé (comme quoi la télé forme la jeunesse). Le sénateur sera pris la main dans le sac ou plutôt le revolver sur la tempe. Le commanditaire de tout le trafic ayant abouti à la mort du père et à l’enlèvement du fils, découvert et châtié. Il s’agissait d’un homme protégé, qui se fait appeler le Docteur T, et qui informe plus ou moins « les services » sur les djihadistes revendeurs de drogue avec qui il est en « affaires » ! Mais, si l’on sait dès le début que le sénateur n’est pas clair (dame, un politicien !), le lecteur ne trouve aucun fil pour le guider dans le labyrinthe. L’enquête est habilement menée par un auteur qui connaît bien les arcanes des Administrations, ayant passé sa carrière comme haut-fonctionnaire.

C’est léger, pétillant, l’auteur s’amuse et ne se prend jamais au sérieux. Comme cette remarque, en passant, sur le sénateur véreux, perquisitionné, qui « s’agite, mélenchonise. C’est un abus de pouvoir, une forfaiture, il est sénateur de la République, et la République, c’est lui ! » p.121. Le gendarme Crevette conduit ses enquêtes à la Maigret, avec le pif plus qu’avec les techniques modernes, et l’optimisme de l’auteur est contagieux. Il fait passer un très bon moment.

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs – Une enquête de Crevette et Baccardi, 2023, L’Harmattan noir, 219 pages, €20,00

Les romans policiers de Maurice Daccord déjà chroniqués sur ce blog

Contact et service presse : Emmanuelle Scordel-Anthonioz escordel@hotmail.com – 06 80 85 92 29

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Eric Bohème, Le Café du Centre

Mehun-sur-Yèvre est un bourg paisible du Berry qui existe vraiment, en plein milieu de la France, quelques 6000 habitants partagés entre ouvriers d’usines, agriculteurs et commerçants ou artisans. L’existence s’y coule, paisible, au début des années 1970. Jusqu’à ce qu’un inconnu surgisse de la ville et commence à dévisager les habitants, à les interroger sur la dernière guerre, à éplucher les vieux journaux du temps de l’Occupation. Que cherche cet homme, trop jeune pour avoir été actif à l’époque ?

Il cherche la vérité, mais personne ne sait laquelle, ni pourquoi, ni pour le compte de qui.

En tout cas, l’existence du bourg en est bouleversée. Un soûlard s’accuse d’un meurtre que personne ne lui connaît et veut sauter du donjon ; comme par hasard, c’est l’Inconnu qui l’en dissuade. Un ouvrier est arrêté et son four à la porcelainerie explose, faisant plusieurs blessés ; mais aurait-il été arrêté si l’Inconnu n’était pas venu ? Un « snack-bar » tout neuf s’ouvre dans un vieux caboulot en désuétude, apportant d’un coup la modernité agressive à l’américaine auprès de la jeunesse et drainant les mauvais garçons des alentours, mais qui a financé cet investissement énorme, justement alors que l’Inconnu est arrivé ? Une grève pour les salaires éclate à l’usine de câbles et le préfet nomme un médiateur, jeune homme tout frais sorti de l’École dont l’anagramme est « âne ». L’ancien régisseur du domaine d’un prince se pend, qu’a-t-il donc à se reprocher, sous l’œil inquisiteur de l’Inconnu ?

Ce sont autant d’événements minuscules suscités par cet individu dont nul ne sait rien, même si les notables cherchent à se renseigner. Des élections approchent et les gaullistes se sentent remis en cause par les giscardiens – n’y aurait-il pas quelques squelettes à sortir des placards ? Henri, propriétaire prospère depuis la Libération du Café du Centre dans lequel toutes les informations, toutes rumeurs, tous les commérages finissent par arriver s’en inquiète auprès de son frère Léon, très bien introduit à Paris. Mais comment Henri, simple barman dans un bouge de Pigalle dans sa jeunesse, a-t-il trouvé assez d’argent pour racheter le fonds à la veuve de l’ancien cafetier, fusillé pour Résistance par la Gestapo ? Et qui a dénoncé le patron ?

Il se passe toujours quelque chose à la campagne – et vous saurez tout sur le… mais oui, sur le zizi ! Car chacun rencontre sa chacune dans la clandestinité, si affriolante dans les villages où tout le monde se connaît et épie tout le monde. Les jeunes filles sages et les veuves joyeuses, tout comme les épouses qui s’ennuient et bovarysent continuent leur train-train avec les hommes, forts en gueule mais qui ont une réputation viriliste à soutenir.

Eric Bohème, écrivain de Bourges après avoir été ivoirien, écrit très agréablement et sa plume est précise pour évoquer ces années soixante-dix où la jeunesse encensait le Scopitone (un juke-box cinéma couleur), Danny Boy et Les Chats noirs tout en enfournant des hamburgers ou des choppers, les uns dans la gueule, les autres sous les cuisses. Les gamins en restaient aux Malabars et autres Carambars en jouant aux osselets et aux calots, à la barre (pour les garçons) ou à la marelle (pour les filles). Les adultes mangeaient encore traditionnel, blanquette de veau et daube, canard au miel et baies rouges, et même des « œufs en couilles d’âne » ; ils buvaient du vin rouge et pas du Coca et roulaient en R10-major, en Ami-8, en 404 commerciale ou carrément en Citroën SM tandis que les vieux réparent encore des tracteurs Vierzon, bien français mais pas toujours bien conçus. C’était notre « belle époque », celle de Pompidou juste avant Giscard, avant l’énième guerre contre Israël et l’usage terroriste de l’arme du pétrole.

La trame policière sur fond de rancœurs dues à la période trouble de l’Occupation est habilement tissée à la vie de tous les jours et compose un roman régional passionnant que j’ai dévoré sans vergogne. Je vous le conseille.

Eric Bohème, Le Café du Centre, 2023, Éditions de Borée, 281 pages, €19,50 e-book Kindle €9,99

Eric Bohème déjà chroniqué sur ce blog pour Réalités métissées et Le Monico

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Denise Mina, Résolution

Il y a quelque chose d’autobiographique dans ce thriller qui ne « thriller » pas beaucoup, n’ayant de « policier » qu’une accusation de meurtre et la menace de représailles sur personnes fragiles. Maureen est, comme son autrice, une fille paumée qui a quitté ses études avant d’entrer en dépression. Elle fait plusieurs petits boulots, dont le principal est la revente de cigarettes de contrebande sur le Paddy’s, le marché parallèle des bas quartiers de Glasgow. À la fin, comme Denise Mina, Maureen reprendra ses études, ayant accompli sa mission.

Celle-ci est avant tout de se dépatouiller de la domination masculine, puis de sortir les filles venues de Pologne de la prostitution. Vaste programme, comme dirait l’autre. Maureen a été soignée par Angus, un psychiatre « gentil », mais qui lui a suggéré qu’elle avait pu être violée dans son enfance par son père avant que lui-même tue par jalousie l’amant de Maureen, Douglas. Cela dans une crise de LSD – substance fournie par Maureen via son jeune frère Liam qui, souvent torse nu et souvent amoureux comme le dit avec délice l’autrice, a fini par se ranger des voitures et a repris des études.

Les fameuses études semblent l’alpha et l’oméga de ce milieu de jeunes égarés dans un monde trop dur pour eux, tous issus d’une famille dysfonctionnelle. Winnie, la mère de Maureen, Liam, Una et Marie, est une alcoolique notoire qui a divorcé de Michael, le père biologique des enfants, pour se mettre avec George. Maureen lui en veut de ne l’avoir pas protégée durant son enfance, bien que le soupçon de viol ait été probablement suggéré par le psy et non pas réalisé. Mais, au lycée, sa copine Pauline, qui a eu le même psy, a été réellement violée par son père et son frère, le second prenant à loisir des vidéos de la scène sodomite pour les revendre à des amateurs.

Le procès d’Angus le psy doit débuter incessamment, et Maureen redoute qu’il soit acquitté, les preuves de sa pleine conscience au moment du meurtre n’étant pas établies. Mais le sire est d’un pervers narcissique qui veut se distinguer de sa famille bigote et petite-bourgeoise austère et fermée, sans père, et il entreprend de déstabiliser la fragile Maureen en lui faisant envoyer sous enveloppe personnelle des photos mettant en scène de très jeunes filles et de très jeunes garçons nus et attachés, ainsi que la vidéo de Pauline pénétrée par l’anus à maintes reprises. Maureen se saoule mais ne faiblit pas et elle témoignera au procès. Angus sera acquitté, et il voudra se venger.

Mais il y a une fin et Maureen accomplira avec ses deux copines Leslie et Kilty son triple objectif, mettre hors d’état de nuire Michael, devenu malade et sénile, contrer Angus le psy pervers, et dénoncer un réseau de prostitution du fils d’une de ses connaissances du quartier, Ella la Flamme, mystérieusement décédée à l’hôpital d’une « crise cardiaque » après une « chute » chez elle, alors qu’elle venait de faire déposer plainte contre son fils par Maureen pour non-paiement des ménages qu’elle faisait à son bordel.

Ce roman policier est un roman de mœurs sur la jeunesse désemparée des années 2000 dans l’Ecosse provinciale de Glasgow, jadis centre commercial et industriel prospère, reconverti dans le culturel et la rénovation urbaine, ce qui a accentué les inégalités entre les beaux quartiers et les bas quartiers de l’East End que fréquente Maureen et ses copines. La trilogie traditionnelle anglaise des B (bite, bière et baston) se décline ici au féminin, mais il s’agit bien de la même chose. Le livre se lit bien malgré la profusion des personnages qui demande une certaine attention. Il est le troisième tome d’une série qui commence par Garnethill et Exil (sélection Marie-Claire), mais il peut se lire indépendamment.

Denise Mina, Résolution (Resolution), 2001, J’ai lu 2007, 512 pages, €10.50

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Mary Higgings Clark, Quand reviendras-tu ?

Un thriller classique de l’autrice avec jeune femme divorcée éprouvée par la vie, son entreprise de décoration d’intérieur, un petit garçon enlevé, un ex-mari volage, de vieux amis fidèles, un révérend bêta. Tout se passe à New York dans la bonne société. Dommage que le suspense soit inexistant, l’auteur composant son roman de façon à indiquer immédiatement ce qui s’est passé. Plus aucun mystère ou presque, seul le nom du kidnappeur reste inconnu, mais vite soupçonné.

Deux ans auparavant, Alexandra dite Zan a obtenu de son patron irascible de la boite de déco célèbre dans laquelle elle travaillait un congé pour aller voir ses parents à Rome. Mais ceux-ci ont eu un accident de voiture en allant la chercher, ils sont morts. Anéantie, elle se laisse protéger par Ted, un ami dans la communication, qui ne tarde pas à l’épouser. Mais au bout de six mois, Zan veut reprendre sa liberté. Le lecteur ne sait pas pourquoi, c’est ainsi. Les bonnes femmes font ce qu’elles veulent, c’est entendu.

Sauf que Zan est enceinte, sans le savoir (ça non plus, ce n’est pas courant de nos jours). Elle décide de garder le bébé, le prénomme Matthew, en informe son ex mais ne lui accorde rien, pas même de verser une pension alimentaire ou un droit de garde. « Je fais ce que je veux de mon corps », air connu. Oui, mais le petit garçon, à ses 3 ans, se fait enlever dans Central Park (toujours aussi mal famé). La nounou de 15 ans s’est endormie et une femme est venue prendre l’enfant dans sa poussette. Aucun indice, aucun témoin.

Sauf que deux ans plus tard, un Anglais (donc naïf) a pris des photos de son mariage dans le Park et, en agrandissant l’une d’elle, distingue celle qui a enlevé Matthew : c’est Zan elle-même ! Ou du moins c’est ce que l’on voit. Tout le monde le croit lorsque la police fait expertiser les clichés et prouvent qu’ils n’ont pas été trafiqués. Et un révérend d’une paroisse de New York a vu une femme qui ressemblait à Zan venir se confesser qu’elle se sentait coupable d’un crime qui allait être commis. Les vidéos surveillance sont formelles, on reconnaît sans peine Zan. Dès lors, quoi ? Zan a-t-elle une personnalité multiple ? Traumatisée par la mort de ses parents a-t-elle disjoncté comme cela se fait couramment dans la société américaine ? Son ancien patron, pervers narcissique, lui en veut-elle au point de commanditer un enlèvement juste pour la déstabiliser et lui faire du tort ? Ce coupable tout désigné est trop beau pour être le bon, évidemment.

Les amis confortent mais n’en pensent pas moins, les flics font leur boulot ingrat qui prend du temps, Ted fulmine contre Zan qui a laissé une nounou incompétente surveiller leur enfant et laisse entendre que Zan a peut-être tout manigancé parce que le gamin la gênait dans sa carrière ambitieuse.

Bon, il s’agit d’un fait banal, une substitution d’identité, ce que tout le monde s’accorde à penser s’il fait confiance à la jeune femme. Encore faut-il être introduit dans son intimité pour connaître son habillement du jour, le numéro de son compte bancaire et ses projets professionnels. Je ne révèle pas comment, mais là encore, rien que de plus banal au XXIe siècle et à New York quand on a de l’argent.

Tout finira bien, comme d’habitude, les méchants seront punis, les bons récompensés, Matthew retrouvera sa maman et Zan trouvera le bon mari pour la vie en assurant sa carrière.

Écrit plat comme un scénario mondain déroulé au fil de la conversation… Un mauvais roman de la Clark (décédée en 2020) qui nous avait habitué à plus de mystère et d’excitation de chapitre en chapitre. Il est vrai qu’à 84 ans on est plus dans la routine et moins dans le suspense. Se lit, mais sans l’attrait des précédents romans.

Mary Higgings Clark, Quand reviendras-tu (I’ll Walk Alone), 2011, Livre de poche 2013, 430 pages, €7,90

Mary Higgings Clark déjà chroniquée sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , ,

Hervé Le Tellier, L’anomalie

Un roman original qui a eu le prix Goncourt il y a deux ans. Je lis rarement les prix Goncourt l’année même de leur sortie, j’attends plutôt quelques années, le temps de voir s’ils resteront dans la littérature ou s’ils rejoindront, comme beaucoup de Goncourt, l’oubli. L’anomalie, à mon avis, reste. Le roman est original, bien composé, écrit avec habileté en différents styles selon les personnages, et avec une certaine ironie.

Il se décompose en trois parties un peu scolaires mais indispensables : une première de présentation des personnages, une seconde sur l’anomalie qui se produit dans le monde, enfin une troisième sur les conséquences sur chacun. L’auteur ne manque pas, dans un ultime chapitre, de se moquer lui-même de ce qu’il écrit lui-même et d’analyser son livre. Il note ainsi commencer par une resucée de Mickey Spillane, le célèbre auteur de romans policiers mettant en scène un tueur nommé Hammer, le marteau. C’est le cas de son Blake, le seul personnage à s’en sortir sans dommage, car anonyme.

Il y a presque autant de femmes que d’hommes, mais l’auteur n’est pas tendre avec la partie femelle. Il les montre dans leur réalité égoïste, prêtes à baiser mais pas à s’engager, voulant un enfant pour elles toute seules, refusant la tendresse pour vivre leur vie comme elles disent. Ce qui étouffe Louis qui, à 10 ans, aimerait bien un peu d’air et un « papa » qui l’ouvre au reste du monde, pour briser enfin la coquille de l’œuf fusionnel dans lequel l’enferme sa mère Lucie (bien peu lumineuse). Ce qui navre l’architecte de la cinquantaine André, tout comme un certain Raphaël, tous deux amoureux de cette Lucie qui prend tout (notamment son pied) sans rien donner. Ce qui désole l’écrivain Miesel, auteur d’un roman posthume (enfin presque) intitulé L’anomalie, car son Anne le fuit manifestement. Il n’y a guère que le jeune nigérian Slimboy qui soit heureux – parce que justement il n’aime pas les femmes.

L’anomalie est quelque chose de physique qui se produit dans ce monde comme s’il était un gigantesque jeu vidéo dont les ficelles sont tirées par des intelligences extérieures. Un vol Paris-New York d’Air France atterrit en mars après un gigantesque orage, puis le même atterrit de nouveau en juin de la même année, après un même gigantesque orage, avec le même commandant de bord et les mêmes passagers. Affolement des officiels américains qui soupçonnent tout d’abord les Chinois, ensuite les extraterrestres, enfin une anomalie de la physique.

Nul ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé, d’autant que la CIA apprend que la Chine a eu elle-même son propre vol dupliqué – dont toute les traces d’ailleurs été effacées – ainsi que l’équipage et tous ses passagers. On ne badine pas avec la normalité dans la Chine de Xi Jin Ping : on éradique ce qui dérange. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où l’avion est dérouté sur un aérodrome militaire, tous ses passagers et son équipage confinés dans un hangar où des agents du FBI et des psys cherchent à en savoir plus. Car chaque individu présent dans l’avion de juin est le double exact de ceux dans celui posé en mars. Il faut savoir si ce sont des simulateurs, des clones, ou de parfaits jumeaux mystérieusement apparus.

Les observations, les interrogatoires et les enquêtes prouvent que chacun est bien celui qu’il dit être, ce qui fait qu’il existe désormais deux personnes identiques de par le monde. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants. Les physiciens évoquent la possibilité d’un repli du temps percé d’un trou de ver qui permettrait de passer d’un monde à l’autre ; ou une gigantesque simulation intergalactique qui ferait de notre monde humain une expérience in vivo de quelque intelligence incomparablement plus vaste que la nôtre (tout comme nos savants simulent leurs expériences à leurs petits niveaux).

Les conséquences ne se font pas attendre, elles sont personnelles à chacun des doubles et sociales avec ce poison de Dieu qui agite tous les ignorants et les fait croire en Satan. Le petit Louis a désormais deux mamans et, très intelligemment, il refuse de choisir et les tire au sort pour chaque jour de la semaine. Joanna l’avocate s’est trouvé un petit ami durant ces trois mois entre mars et juin et est tombée enceinte, tandis que sa duplication de juin ne l’est pas ; celle-ci va donc prendre une autre identité et disparaître. L’écrivain Miesel, qui s’est suicidé entre-temps après avoir écrit L’anomalie, renaît et découvre le monde après sa mort, quel était son « meilleur ami » qu’il connaissait à peine, et sa « fiancée éplorée » avec qui il avait rompu neuf mois auparavant ; il jouit désormais de sa réputation et de ses droits d’auteur mérités, et continue à écrire, soutenu par son éditrice Clémence, l’une des femmes sympathiques du roman. André décide, au vu de son expérience vécue par l’autre André durant trois mois, de tenter de renouer avec Lucie – l’une des deux Lucie seulement – en ne faisant pas les mêmes erreurs. Blake a résolu le problème de son double à sa manière, « chinoise ».

Il n’y a que Daniel, le pilote de l’avion, qui succombe une seconde fois au même cancer, malgré les trois mois de répit et l’expérience des traitements. Slimboy est heureux de se découvrir un jumeau, malgré la superstition africaine qui veut que ce soit un démon – sauf chez les yorubas ; ils vont pouvoir chanter ensemble. Quant à la jeune Adriana, qui voulait faire du théâtre, elle rencontre son double dans un show télévisé décrit avec une froide ironie par l’auteur en verve, et cela se termine mal à cause des chrétiens apocalyptiques qui voient en ces doubles soi-disant « non créés par Dieu » l’œuvre du diable. L’ignorance suscite toujours la peur, et la peur la violence fanatique.

Mieux vaut croire que penser, c’est plus rapide et plus facile, on se sent moins seul dans l’opinion commune et conforté dans tous ses actes par « Dieu ». L’auteur n’hésite pas à écrire : « Et au cœur de cet incendie sans fin qui de tout temps a dévoré l’Amérique, dans cette guerre que l’obscure mène à l’intelligence, ou la raison recule pas à pas devant l’ignorance et l’irrationnel, Jacob Evans [le baptiste ignare fanatisé par sa croyance] revêt la cuirasse d’ombre de son espérance primitive et absolue. La religion est un poisson carnivore des abysses. Elle émet une infime lumière, et pour attirer sa proie, il lui faut beaucoup de nuit » p.356.

Hervé Le Tellier n’est pas tendre avec les États-Unis, montrant leur bureaucratie en action, leurs décisions brutales, leur président en « mérou avec une perruque jaune » (un portrait irrésistible du précédent élu), et la décérébration de l’Internet : « la liberté de pensée sur Internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser » p.363.

En bref, ce n’est certes pas un roman à se prendre la tête, ni écrit avec grand style, ni frappé de formules à retenir, mais c’est un roman un peu policier, un peu science-fiction, lisible et divertissant. Il fait réfléchir sur soi et sur le monde, il rabaisse notre orgueil d’Homo sapiens maître et possesseur de la nature, et sa fin est un coup de théâtre en forme de coup de pied de l’âne. Un peu court, mais pas si mal.

Hervé Le Tellier, L’anomalie, 2020, Folio 2022, 404 pages, €8.90, e-book Kindle €8.49

Catégories : Livres, Romans policiers, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Elizabeth Peters, Le maître des démons

Aventures et mystères au menu de ce nouvel opus de la série Emerson. Cette fois, la Première guerre mondiale sévit jusqu’en Égypte puisque les Turcs veulent remettre la main sur cette province perdue tandis que les Allemands, leurs alliés, verrait bien la route du canal de Suez fermée aux Anglais. Le couple Emerson aurait pu rester à Londres car Radcliffe est trop vieux pour l’armée, mais le pillage systématique des fouilles en Égypte les retient de rentrer.

Leur fille adoptive Nefret a poursuivi ses études de médecine en Angleterre et a ouvert une clinique pour les femmes au Caire ; leur fils Ramsès est désormais un beau jeune homme de 25 ans, intelligent, athlétique et charmeur, mais doté d’un pacifisme à tout crin. Ce pourquoi les vieilles pies de la « haute » société britannique du Caire le snobent et lui déposent une plume blanche de « chicken », ce qui signifie chapon ou lâche dans le langage victorien. Ces nanties emperlousées ont beau jeu d’être nationalistes et d’envoyer les jeunes hommes se faire tuer tandis qu’elles se contentent de commenter et d’alimenter les ragots devant leur tasse de thé.

Il se trouve cependant que Ramsès n’est pas un lâche et le roman consiste à le prouver. De « frère » des démons, il devient « maître » des démons pour les Egyptiens. Son père sait la part qu’il prend dans les intrigues d’espionnage, et sa mère le découvre tandis que Nefret a peur pour lui. Sans compter que Sethos, le demi-frère d’Emerson amoureux d’Amelia Peabody, continue d’intriguer en coulisse et de jouer les agents triples entre le trafic d’antiquités et le trafic d’armes, sans compter le trafic de renseignements.

Difficile d’en dire plus sans dévoiler le sel de l’histoire mais, cette fois-ci, l’autrice n’hésite pas à remettre en cause les protagonistes habituels de ses histoires pour passer un grand coup de balai. Ramsès et Nefret se trouvent, tandis qu’Emerson découvre une belle statue enfouie dans le sable d’une tombe déjà pillée. Les Turcs et les Allemands sont contenus loin du Canal et la guerre se poursuit.

C’est une historienne qui a commenté les aventures archéologiques des Emerson dans la revue L’Histoire qui m’a donné envie de lire la série. J’y retrouve mes plaisir d’enfance qui lient l’aventure, l’exotisme et le décentrement du passé. Un délassement subtil.

Elizabeth Peters, Le maître des démons (He shall Thunder in the Sky), 2000, Livre de poche 2002, 542 pages, €4.48

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan

C’était en 2020 à Créteil (Val-de-Marne) Marie-Hélène Dini, une coach d’entreprise, a échappé à une tentative d’assassinat de plusieurs barbouzes de la DGSE, qui ne les avait en rien mandatés pour cela. Ils agissaient dans les faits en milice privée pour arrondir leurs fins de mois et mettre un peu d’action dans leur vie terne. Vous pouvez écouter l’heure de la crème lorsque Jean défonce Richard tous les jours de 14h30 à 15h sur retélé (il faut bien rire un peu). Plus sérieusement, vous pouvez aussi le lire sur Capital.fr.

Alain Schmoll, repreneur d’entreprises, s’est lancé dans l’écriture et choisit ce fait divers pour imaginer un roman policier. Tous les personnages sont sortis de son imagination et pas du fait ci-dessus, mais c’est une belle histoire. L’intrigue encore jamais vue à ma connaissance est bien découpée en scènes qui alternent les années et hachent le temps pour composer une trame assez haletante.

Nathan Kaplan est juif, comme son nom l’indique, et il est pris dans les rets de sa culture et de ses traditions. Ce pourquoi, malgré son intelligence et sa capacité d’affection, il va trahir celle qu’il aime et qui l’aime, chacun étant pour l’autre la femme et l’homme « de sa vie » comme on dit.

Il est sorti de Polytechnique et est embauché dans une entreprise du bâtiment qui prend son essor à l’international. Doué et avec un carnet d’adresses fourni au Moyen-Orient, Nathan développe la société. La fille unique du patron, que son père veut voir reprendre l’entreprise sans qu’elle en ait le goût, tombe amoureuse de lui et ils baisent à satiété. Mais, au bout de sept ans (chiffre biblique symbolique) lorsqu’elle lui propose le mariage, il élude. Sa mère veut qu’il épouse une Juive pour faire naître de petits Juifs car « l’identité » ne se transmet que par la mère dans cette culture archaïque qui ne savait rien de l’ADN et dont la seule « preuve » était l’accouchement. Attaché à sa mère, puis à sa culture, Nathan s’éloigne : c’est sa « trahison ».

Dès lors, rien ne sera plus comme avant. Il se met à son compte et réussit dans un domaine parallèle, ce qui incitera un milliardaire américain à lui racheter pour un montant sans égal. Parallèlement, la société qu’il a quittée périclite lentement, le père disparu, les ingénieurs planplan, le commercial Sylvain Moreno plus frimeur qu’efficace. La fille renoue avec Nathan, désormais libre car divorcé de sa femme rigoureusement juive et de sa société cédée. Il consent à reprendre le flambeau du commercial, évinçant par son aura celui qui est dans la boite comme dans le lit de la fille.

Il imaginera donc de faire éliminer ce concurrent gênant en faisant croire qu’il est « un espion du Mossad (le service secret Action israélien) qui prépare un attentat pour faire accuser les islamistes ». Il s’arrangera donc avec une connaissance qui tient un club de tir privé dans une forêt discrète d’Île-de-France et qui met en relation des gens hauts placés avec qui peut les servir. Patrick Lhermit, le propriétaire de ce Club des Mille Feux, met donc en contact Sylvain Morino et Jean-Marc Démesseau, un instructeur DGSE qui se fait appeler Tiburce dans la meilleure tradition de pseudos des espions. Lequel Tiburce, qui se dit commandant alors qu’il n’est que juteux chef, engage comme comparse un jeune arabe de banlieue (donc hostile aux Juifs sionistes) fasciné par les armes (donc apte à l’action de menaces) et qui rêve d’intégrer la DGSE.

Nul ne sait pourquoi les deux hommes « planquent » toute une nuit devant le domicile de Kaplan sans savoir s’il est là ou non, au prétexte qu’il sort en vélo tous les matins. Pourquoi ne pas être venus au matin ? Ils veulent lui foncer dessus en Land Rover à pare-buffle pour faire croire à un accident. Mais, à rester pour rien la nuit durant, ils ne manquent pas de se faire repérer par un quidam qui passe pour faire pisser son clebs et les trouve suspect dans ce quartier cossu où tout ce qui est étrange se repère. Fatale erreur !

Le lieutenant Mehdi Mokhdane enquête, jusqu’à Cercottes, le centre d’entraînement du service Action de la DGSE. Il mettra vite hors de cause l’institution militaire mais pointera combien le menu fretin des soldats de maintenance et de garde, qui se nomment entre eux « les manants », est frustré de ne pas être reconnu tandis que les aristos de l’action ont tous les honneurs. D’où la tentation d’agir par soi-même et hors des clous.

C’est enlevé, bien construit, apprend beaucoup sur le monde interlope et sans pitié des affaires internationales – en bref se lit avec plaisir.

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan, 2022, éditions Ciga, 297 pages, €11.90 e-book Kindle €3.99

Un autre roman d’Alain Schmoll déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , ,

Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde

1903, la famille Emerson se retrouve en Egypte pour ses fouilles archéologiques annuelles des tombes antiques égyptiennes dans la Vallée des Rois.

Né en 1887, leur fils Ramsès a désormais 16 ans et est devenu un homme, ayant passé six mois dans le désert avec les bédouins en compagnie de son ami David, neveu du raïs Abdullah qui est le contremaître des fouilles depuis des années. Les deux garçons ont le même âge et sont devenus des « géants » comme le dit Amelia, la mère de Ramsès. Ce dernier, qui a été initié aux rites de virilité des bédouins, arbore désormais une moustache et s’est développé en force et en souplesse ; il a appris à se battre au couteau comme il se doit. Sa « sœur » adoptive Nefret a 19 ans, toujours trois ans de plus, et a effectué deux ans au service de santé à Londres pour apprendre la médecine. Le trio « des enfants » est soudé et prend son autonomie.

Mais la famille ne saurait passer ses mois en Egypte en effectuant paisiblement fouilles et relevés ; il faut que l’aventure s’en mêle, tout comme les gamins du Club des Cinq. Emerson, éructant et tonnant en Maître des imprécations, se voit forcé par le destin (et par sa femme Amelia) à s’intéresser à une tombe non répertoriée, la « 20-A », qui n’existe pas officiellement. Elle devrait se trouver sur le terrain entre les tombes 20 et 21. Un message enjoint les Emerson de se garder de la chercher ! Rien de mieux que de piquer la curiosité d’Amelia et celle d’Emerson, qui vont, bien-entendu, s’empresser de le faire.

Ils vont y découvrir une momie… un peu spéciale : blonde, récente, énigmatique. Une série de diversions viennent compliquer le tableau. Donald, homme mûr trop romantique, est embringué par une voyante habile dans la quête d’une princesse égyptienne dont il était amoureux dans les temps anciens. Un colonel américain sudiste, habitué à commander et à faire servir les femmes, est en quête de sa cinquième épouse disparue, « enlevée » par un certain Scudder – lequel est un as du déguisement. Sa fille Dolly, une pétasse à gifler qui prend tous les mâles pour des esclaves ou pour des sex-toys, « doit » être protégée des vues de Scudder qui cherche à l’enlever, on ne sait pourquoi. Ramsès se sent « obligé » de veiller sur elle, par les convenances bien-sûr, alors que ce n’est pas son type de fille et qu’il aime depuis toujours Nefret, laquelle est naturellement jalouse sans vouloir se l’avouer… De plus, la chatte Sekhmet s’est prise d’un amour félin pour Ramsès et grimpe sans cesse sur ses genoux, ce qui l’horripile car, s’il aime les chats, il ne supporte pas l’incruste baveuse.

C’est après une série d’actions et de réactions, de quiproquos mondains et de convenances piétinées, de bagarres mettant en danger la vie de chacun, que les liens entre tous ces éléments vont se nouer pour une fin assez convenue mais pas vraiment prévisible. Les fouilles vont enfin pouvoir débuter !

Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde (Seeing a Large Cat), 1997, Livre de poche 2002, 472 pages, occasion €1.52

Les romans policiers historiques égyptiens d’Elizabeth Peters déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons

Un opus de la série aventures égyptiennes à la fin du XIXe siècle parfaitement réussi. Il allie avec bonheur égyptologie, enquête policière, scènes d’action, humour anglais et psychologie des personnages.

Amelia Peabody et Radcliffe Emerson ont eu un fils, surnommé Ramsès par son air impérieux et décidé, et ils le laissent grandir à l’abri du Kent en Angleterre. Le bébé est précoce et terrorise déjà cousines et nounou ; il dit maman et papa à 6 mois, crapahute à 8 mois, marche à 10 mois et parle couramment. Laissé à 3 mois pour des fouilles en Égypte à sa tante, ses parents ne le reconnaissent plus quand ils reviennent trois mois plus tard. Ils restent avec lui jusqu’à l’âge de 5 ans, son père lui lisant chaque soir un chapitre de son Histoire de l’Égypte ! Le gamin ne sait pas écrire méchant correctement mais ne fait aucune faute à hiéroglyphe. En bref, tout le portrait de son père, avec le côté cabochard de sa mère.

Mais il est encore trop petit pour aller en Égypte et les Emerson le quittent à regret pour six mois de fouilles lorsque lady Baskerville (qui se révélera une chienne, mais rien à voir avec le chien de Sherlock) assiège Emerson pour qu’il reprenne les fouilles entreprises par son mari dans une tombe de la Vallée des Rois à Thèbes (Louxor). Celui-ci résiste, ne voulant abandonner ni femme, ni enfant, mais sa tendre épouse le persuade de partir car il s’ennuie, elle ne le voit que trop. Elle-même n’est pas fâchée de laisser le bébé turbulent à quelqu’un d’autre pour un temps. Elle n’a guère la fibre maternelle, Amelia ; malgré les mamours constants avec son mari, qui pimentent le roman, elle n’aura qu’un seul enfant.

Sir Henry Baskerville est mort d’une façon étrange, après avoir ouvert la tombe et s’être couché en pleine santé. Les journalistes parlent de la malédiction des pharaons, d’autant que son adjoint Armadale a disparu. Mais la police britannique en Égypte, pressée d’étouffer un quelconque scandale s’il en était, conclut à une crise cardiaque. Il n’empêche que ces effacements suspects, un mort et un disparu, piquent la curiosité de l’entreprenante Peabody. Elle s’allèche d’une belle et bonne énigme à résoudre.

Les voilà donc partis, car Emerson accepte à la fin la mission de chef de l’expédition de la belle lady Baskerville, laquelle se pâme dès qu’une émotion trop forte l’atteint. Toujours à proximité des bras d’un gentleman, cela va de soi. Ce sera successivement Milverton, photographe et beau comme un jeune anglais blond, Vandergelt, riche américain tiré à quatre épingles, et Emerson bien-sûr, qui s’en agace. La tombe ouverte recèle un amas de débris qu’il faut lentement retirer et tamiser dans la chaleur et la poussière du désert d’Égypte. Le mollah du coin éructe ses imprécations contre cette profanation de tombe, mais Emerson, superbe, lui réplique en arabe en citant le Coran. Selon les dires du temps, « les Arabes » aiment les belles histoires et l’éloquence de théâtre ; Emerson y excelle – sans parler de ses bakchichs, qui sont généreux. L’autrice excelle à évoquer l’atmosphère des bords du Nil, la douceur des matins pépiants d’oiseaux, la chaleur sèche accablante des montagnes bordant le désert, les couchers de soleil très colorés sur le fleuve et qui rosissent les montagnes. Il faut être allé en Égypte pour le connaître.

Évidemment, une série d’incidents plus ou moins graves vont entacher le séjour : un poignard qui manque de blesser Emerson lorsqu’il ouvre la porte d’une armoire à l’hôtel, un fantôme de dame blanche qui effraie les ouvriers la nuit, une grosse pierre lancée avec force au travers de la fenêtre (ouverte) contre Emerson qui n’en est qu’effleuré, l’effondrement du plafond de la tombe, le pauvre Milverton dans le coma après avoir été sauvagement assommé, une tentative de pillage… D’ailleurs, Milverton ne s’appelle pas Milverton, tout comme lady Baskerville n’est pas ce qu’elle paraît, tandis que la grosse alcoolique Berengeria s’impose en falbalas informes par ses prédications de l’au-delà. Jusqu’à ce jeune allemand très rigide et correct qui tombe amoureux de la fille de la voyante, une Mary effacée et soumise mais qui a un vrai talent de dessinatrice.

Lorsque le couple retourne à Londres pour retrouver leur fils Ramsès, leur mission est accomplie et les assassins (car il y en a) sont sous les verrous. Ils ramènent une énorme chatte tigrée d’Égypte, qui appartenait à Armadale, et qu’Emerson destine au petit Ramsès…

Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons (The Curse of the Pharaohs), 1981, Livre de poche 1998, 382 pages, occasion €1,44

Les romans policiers historiques d’Elizabeth Peters chroniqués sur ce blog

Catégories : Egypte, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , ,

Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson

Sir Arthur Conan Doyle a commis Le signe des Quatre, roman policier mettant en scène le détective Sherlock Holmes et son second le docteur Watson. Une certaine Mary Morstan, orpheline de mère, sort du pensionnat pour jeunes filles en Écosse, dirigée par la rigide mais généreuse Mrs Mc Lamuir, où son père, capitaine de l’armée des Indes l’a placée pour qu’elle y reçoive une éducation anglaise digne de ce nom. Mais il a brusquement disparu et Mary s’est placée comme dame de compagnie auprès de la délicieuse et fort riche Mrs Forrester. Le plus mystérieux est qu’elle reçoit chaque année par la poste une perle de grande valeur…

Le romancier prolifique et satiriste patenté Dutourd fait cette fois un détour dans le Londres brumeux de Sherlock. Mais il n’est pas son personnage principal, même s’il reste le ressort de l’intrigue. Mrs Forrester fait certes appel à lui pour retrouver un coffret rempli de lettres de l’empereur Napoléon III, qu’elle a intimement connu lorsqu’elle évoluait à Paris, mais ce qui compte en ce roman est son second, le docteur Watson. Alors que Sherlock, qui se prénomme en fait Jeremy, est maigre, lèvres minces, froid comme un poisson, John est athlétique, souriant et lumineux. Mary en tombe immédiatement amoureuse, et c’est semble-t-il réciproque.

Comme sa patronne et amie reçoit tout le grand monde, Mary présente John Watson à Oscar Wilde, poète fameux et critique inverti de la société victorienne autour de 1900. Selon l’auteur, c’est Mary qui fait lire le premier detective novel relatant une enquête de Holmes à Oscar Wilde et celui-ci, enthousiaste, l’encourage à poursuivre et à lui trouver un éditeur. Ce serait donc Watson qui invente le personnage de Holmes et non Holmes qui domine le pâle Watson dans son ombre. Cela correspond à la théorie de Wilde qui affirme que c’est l’art qui crée la nature et non l’inverse. Il est vrai qu’au travers de l’art, on la voit autrement.

Le détective se trouve donc embringué dans l’histoire de Mary et l’énigme des perles ainsi que dans le mystère de la disparition inopinée de son père lorsqu’elle avait juste 18 ans. Son évoquées en passant l’Inde des maharadjahs, le fort d’Agra, la guerre des Cipayes, le démon du jeu et le bagne des îles Andaman. Le capitaine Morstan, naïf et perdu depuis la mort de sa femme, s’est laissé entraîner dans une sombre histoire de trésor que les protagonistes passent en Angleterre mais se refusent à partager. Sherlock Holmes retrouvera évidemment le coffre aux trésors, élucidera la disparition du capitaine, père de Mary, et mettra hors d’état de nuire pour un temps les malfrats. Et Mary Morstan deviendra Madame Mary Watson.

Mais il rencontre une fois de plus le calculateur aigri Moriarty, professeur de mathématiques immigré de Hongrie d’où il a été chassé et ruiné dans sa prime jeunesse pour avoir contesté les Habsbourg. Moriarty est devenu le parrain de la pègre, richissime parce qu’il prélève une dîme sur les casses, et calcule les meilleurs coups qu’il peut faire avec son cerveau logicien et démoniaque.

Après un début un peu laborieux sur la jeunesse de Mary, le roman prend enfin son envol avec l’énigme des perles puis la rencontre de Sherlock Holmes et de John Watson. Le lecteur est alors emporté dans un récit jubilatoire, énoncé d’un ton léger avec l’emballement d’un Stendhal et le style d’un Saint-Simon. Jean Dutourd manifeste une propension à admirer le Second empire, qui lui rappelle le XVIIIe siècle français. Pour lui, « le XIXe siècle industriel dans lequel nous avons le malheur de vivre est si abject, [parce que] la morale a tout envahi. Les riches sont devenus durs et les pauvres haineux » p.147. Le moralisme est né avec Victor Hugo « qui installe son chevalet sur le rocher de Guernesey et pendant 18 ans, peint [l’empereur Napoléon III] comme un monstre. Résultat : Napoléon III est un monstre. L’histoire est un toutou » p.164. Jean Dutourd conforte l’idée que j’ai en général de Victor Hugo. La fin du XXe siècle et le début du XXIe poursuivent cette déplorable tendance, accentuée encore par le panurgisme éhonté des réseaux sociaux.

Dutourd, moraliste lui-même côté conservateur, ne manque pas d’égratigner la bigoterie hypocrite de l’époque Victoria en Angleterre, égratignant au passage « la funeste éducation bourgeoise que reçoivent les demoiselles anglaises dans les pensions d’aujourd’hui. Sous couleur de faire d’elles des personnes bien élevées, on tue les vertus par lesquels se distinguaient jadis les filles de qualité : fierté, auteur, audace, conscience de ce qui vous est dû, et même esprit critique » p.96.

Un bon roman policier qui écume la culture au galop.

Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson, 1980, J’ai lu 2001, 286 pages, €4.18, e-book Kindle €6.49

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,