Romans policiers

Elisabeth Kay, Sept mensonges

Le mensonge fascine l’époque. L’heure est à « la transparence », l’égalité de tous devant « la vérité », le tout savoir « démocratique ». Ce pourquoi le mensonge est la forme de Satan – celui qui séduit en disant le faux, celui qui tente par la « belle histoire ». Vieux remugles bibliques de la culture occidentale. Ce roman policier très récent est focalisé sur le mensonge – pas moins de sept. Dont la succession est une sorte d’engrenage fatal qui va aboutir au pire.

Jane et Marnie sont deux filles anglaises qui se se sont connues en sixième, à 11 ans, et ne se sont jamais séparées depuis. Elles font tout ensemble, pis que des jumelles. Elles co-louent, elles dorment dans le même lit, elles rient des mêmes choses, même si l’une est extravertie et solaire (Marnie) et l’autre repliée sur elle et maussade (Jane). Mais elles ne sont pas lesbiennes, elles ont chacune leurs peitts amis – qui changent. L’accord des tempéraments et les sentiments forme une sorte de sororité prête à la romance, sans rien de sexuel.

C’est Jane qui raconte. A qui ? A la fille Marnie lorsqu’elle est encore bébé et ne comprend pas encore. Mais devant le baby-phone qui répercute le son et l’image – donc renvoie la vérité. Jane avoue avoir menti une toute première fois à Marnie en ne raisonnant pas son ardeur pour Charles, qui va devenir son mari. Charles est associé d’un fonds d’investissement, riche, beau parleur, beau mec, bien musclé, bien habillé, content de lui. Et égoïste à faire peur – ce qui semble aller avec. Marnie ne voit rien, aveuglée par l’amour. Quand le vagin vous tient…

Oh, Jane sait ce qu’il en est : elle aussi a connu l’amour, sous la forme d’un Jonathan grand, sportif, musclé, seulement cameraman, mais gentil et attentif. Le contraire de Charles. Sauf qu’en sortant du métro, après un marathon, il a été écrabouillé par un chauffeur de taxi bourré en plein Londres – sous les yeux de sa femme. Dès lors, Jane va se réfugier dans les bras de son amie. Charles est vite lassé de ce ménage à trois et le fait savoir. Mais pas question pour Jane de voir s’éloigner Marnie. Elle n’aime pas Charles, elle ne va pas l’aider. Et il va disparaître.

Jane raconte sa vérité, tissée de sept mensonges, chiffre symbolique, dont le premier est le plus bénin. Qui aurait à cœur de doucher l’enthousiasme de son amie pour son nouvel amour ? Sauf que, si elle l’avait fait, Charles serait peut-être encore en vie… La suite des mensonges ne fait qu’enfoncer l’amitié dans les secrets toxiques qui la détruisent de l’intérieur. Jane, délaissée par sa mère qui lui a toujours préféré sa petite sœur fragile Emma, s’est reconstituée une sœur avec Marnie. Lorsque celle-ci s’éloigne, pour cause de couple avec Charles, elle ne le supporte pas et fera tout pour que cela change.

Plus : lorsque Marnie accouchera d’une petite fille, faisant famille par elle-même et excluant de fait sa meilleure amie en la faisant passer au second plan, Jane ne sait pas de quoi elle peut être capable. Surtout qu’une journaliste ambitieuse traque les témoignages de qui a fait quoi lors de la mort de Charles. Et celle de Jonathan. Et celle d’Emma. Et celle de la mère. Jane est toujours là, toute proche.

Mais s’il y a morts, il n’y a ni enquête, ni fausses pistes. Jane raconte linéairement à l’enfant de l’avenir les étapes de son amitié fusionnelle remise en cause, de sa résistance, de ses méfaits sans le vouloir, poussée par une force qui la possède.

Ce roman policier tente une approche originale, où la psychologie est une analyse en profondeur de la psyché. Une amitié trop fusionnelle, par réparation d’une enfance frustrée, ne peut donner que de l’envie obsessionnelle – et faire déraper les relations équilibrées. Quand les vérités ne sont pas égales, le mensonge les compense. Pour le pire.

L’auteur, éditrice anglaise, écrit là son premier roman, et il est réussi. J’ai beaucoup aimé ce décorticage honnête des ressorts psychologiques d‘une meurtrière malgré elle, qui ne sera jamais reconnue comme telle.

Elisabeth Kay, Sept mensonges (Seven Lies), 2020, Pocket 2024, 439 pages, €9,00, e-book Kindle €9,99

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Arthur Conan Doyle, Le signe des Quatre

Holmes et Watson s’affinent sous la plume de l’auteur ; ils en deviennent plus humains, plus étoffés. Sherlock commence, dans ce livre, par s’injecter de la cocaïne dans le bras, comme un vulgaire junkie. De quoi faire « interdire » le roman par les trompistes aux USA régressifs. Mais ce n’était pas une drogue interdite à l’époque, et il était de bon ton, parmi les milieux intellos, de tenter des « expériences » de décentrement de tous les sens (voir Charles Baudelaire, Thomas de Quincey, Théophile Gautier). Selon Holmes, la drogue aiguise son esprit, et surtout le désennuie. Il a besoin d’activité, et rester oisif n’est pas dans sa nature – il déprime.

Ce pourquoi, lorsqu’une jeune Mary se présente au 221b Baker Street et lui demande son aide, il saute sur l’occasion, sa raison en est avide ; Watson, quant à lui, saute sur la jeune fille, son cœur s’en éprend. Son père a disparu ! Bon, c’était il y a onze ans, mais une lettre mystérieuse vient de lui parvenir, avec en cadeau une perle de grand prix. La sixième perle depuis quelques années. Cette fois, est jointe une invitation pressante à venir à un rendez-vous, accompagnée si elle veut, mais surtout pas par la police. De quoi allécher Holmes et Watson, qui s’y rendent derechef avec elle.

Commence alors une invraisemblable histoire de corruption et d’exotisme, de trésor et de trahison. Même schéma que dans Étude en rouge, un meurtre au présent à Londres fait remonter tout un passé dans l’empire. Un homme est tué dans sa chambre, porte et fenêtre fermées de l’intérieur, sans blessure apparente. Il est le jumeau de celui qui a convoqué Mary, fils d’un major des Indes revenu avec un trésor volé. Les Quatre veulent se venger. Ce sont eux qui ont pris le trésor d’Agra, lors de la révolte des Cipayes, et ont juré de se le partager une fois libres. Mais ils ont été arrêtés pour meurtre (en temps de guerre…) et envoyés au bagne dans les îles Andaman, dont les indigènes sont des pygmées. Ils ont soudoyé deux officiers pour obtenir de quoi s’évader, mais l’un d’eux a trahi et a volé tout le butin, au mépris de sa parole : celui qui vient de mourir.

Holmes est aux anges, une bonne énigme à résoudre, avec peu d’indices ; Watson est aux anges, une bonne fille à aimer, malgré l’obstacle de sa subite richesse. Laquelle va s’évaporer en conclusion, le coffre étant vide et les pierres précieuses semées dans la Tamise. Mais c’est moral. L’atmosphère grise et brumeuse de Londres, le labyrinthe de ses ruelles mal famées, la respiration des bateaux sur le grand fleuve, le drame gothique de l’avarice, la vengeance et l’amour, rendent ce roman policier captivant.

Sherlock, véritable « machine arithmétique » comme le dit son compère, va-t-il perdre Watson, en passe de convoler en justes noces ? Le solitaire n’aime pas être isolé, sa raison a besoin de stimulants humains. La candeur de Watson, la bêtise des policiers, les yeux aigus et fureteurs des gamins des rues pieds nus et en loques qui lui servent d’espions pour quelques shillings, sa logeuse aux petits soins – tout cela lui est indispensable. Il n’est pas un robot, même s‘il a hypertrophié le cérébral. Au détriment du physique, mais qu’il a développé adolescent, en témoigne un ancien champion de boxe qui le reconnaît pour avoir combattu contre lui, et il se défendait vaillamment. L’idéal (issu des Grecs et des Romains) du « gentleman » harmonieusement cultivé par un esprit sain dans un corps sain est réaffirmé, pendant à la sportivité populaire. Même si Watson apparaît plus équilibré, malgré sa blessure de guerre qui le diminue, les deux se complètent.

Sir Arthur Conan Doyle, Le signe des Quatre, 1890, Livre de poche 2015, 150 pages, €4,90, e-book Kindle €0,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Arthur Conan Doyle, Étude en rouge

Arthur Doyle, qui ajoute le nom de son grand-père maternel Conan pour se différencier de son propre père, et devient « sir » par anoblissement du roi Édouard VII en 1902, après ses loyaux services sanitaires et historiques durant la guerre des Boers, accouche à 27 ans de son fils spirituel : Sherlock Holmes. Il apparaît pour la première fois dans cette « étude en rouge », où le sang autour de la victime égare l’enquête, alors que la vengeance du sang en est le mobile profond.

Ce court roman permet en quelques pages de faire la connaissance du Docteur Watson, le fidèle ami et associé, narrateur des exploits du « détective consultant », comme Holmes se fait appeler. Watson est médecin, retour d’Afghanistan où il a été sévèrement blessé, et en convalescence sans le sous à Londres. Il saute sur l’occasion que lui présente un ancien collègue de partager un appartement avec un excentrique, au 221b Baker Street, un salon et deux chambres à l’étage, cuisine et ménage faits par Mrs Hudson, la logeuse.

Quant à Sherlock, c’est un grand personnage émacié, 1m83, dont la raison est hypertrophiée, étouffant l’émotion. Laquelle affleure parfois, mais rarement, et sous contrôle. La fin XIXe est en effet à la Science et à ses excès rationnels du scientisme. Tout doit être explicable, il suffit de remonter aux causes pour en déduire les effets. Holmes a une méthode originale : faire l’inverse. Ce « raisonnement analytique », comme dit le détective, consiste à partir des faits bien observés, pour remonter leurs causes. C’est ainsi qu’il déduit que le Dr Watson est médecin, à cause du titre de docteur, ancien militaire blessé revenu d’Afghanistan par son maintien un peu raide, son bronzage des mains et du cou, son bras gauche maladroit et son teint émacié. Conan Doyle, lui-même docteur en médecine dès 1885, a gardé le souvenir de son maître de chirurgie à l’université d’Édimbourg le Dr Joseph Bell, qui prônait l’observation aiguë des indices et des symptômes.

Holmes est appelé par les détectives de Scotland Yard Lestrade et Gregson, qui sèchent sur un meurtre mystérieux commis sur un personnage bien mis dans une maison vide d’un sordide quartier de Londres, et pour lequel ils n’ont aucune piste. Le cadavre d’un Américain d’origine allemande, Enoch Drebber, est retrouvé mort sans blessure apparente, mais du sang autour de lui, avec le mot RACHE écrit au sang en capitales sur un mur. Querelle d’amour avec une certaine Rachel pour enjeu ? C’est ce que pense la police, avide de sauter sur la piste la plus simple. Pas du tout, raisonne Holmes, Rache veut dire en allemand « vengeance ». C’est donc un peu plus compliqué que cela.

Bien que peu lettré – il dit ne pas vouloir encombrer son cerveau, forcément limité, de connaissances qui ne lui sont pas utiles – Sherlock Holmes sait ouvrir son esprit à la culture et au monde. C’est ainsi que la seconde partie nous propulse en Amérique, où les Mormons commencent à faire parler d’eux. C’est une secte chrétienne guidée par un gourou machiste qui a un fil direct avec Dieu le Père (ainsi le fait-il croire à ses adeptes). Il prône la polygamie pour croître et multiplier, et ainsi affirmer sa puissance. Les femmes ne sont pour lui que des « génisses », et elles doivent prendre mari dès leur puberté. Une pièce rapportée à la tribu, découvert affamé et assoiffé dans le désert du Lac Salé, n’est pas de cet avis. Bien que réussissant en ses cultures, et respectant le culte, il n’envisage pas de confier sa fille adoptive Lucy, sauvée par lui tout enfant, à n’importe quel godelureau issu du patriarche. D’où rébellion, fuite et châtiment, mariage forcé, mort et vengeance. L’amoureux extérieur, Jefferson Hope que Lucy voulait épouser, mineur vigoureux et obstiné, traquera Drebber et son acolyte Strangerson dans les forêts et les villes de l’Amérique, les suivant jusqu’en Europe et à cet abouti du monde qu’est à cette époque la cité de Londres.

Au final, le criminel est un vengeur, justifié par Dieu lui-même qui fera sa propre justice. Holmes n’a fait que débrouiller l’écheveau. Quant aux Mormons, ils sont la préfiguration du monde futur de 1984 d’Orwell, ou de la Russie et de la Chine d’aujourd’hui, par leurs mœurs de surveillance généralisée et d’obéissance aveugle à la Norme, énoncée par un seul gourou. L’intolérance masque l’appétit de jouissance et de pouvoir. Staline, Xi, Poutine : même ligne. Ce pourquoi ce roman policier va bien au-delà de son intrigue : il met en scène une sociologie des hommes et les prémisses d’une police scientifique.

Sir Arthur Conan Doyle, Étude en rouge (A Study in Scarlet), 1886, Livre de poche 1995, 147 pages, €5,30, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Loup Durand, Le Caïd

Ils étaient quatre, mais un seul émerge : Louis Manza. Mieux vaut être Corse, clanique, dur, implacable. Savoir lire et écrire n’est pas indispensable, pas plus que savoir conduire, Louis Manza n’a jamais su. Être intelligent est plus utile, en tout cas savoir jauger les hommes et se constituer un réseau pour devenir intouchable.

Outre Louis Manza, opèrent aussi entre les années 20 et 60 Paul Venture Carbone, Jo Renoso et Michel Quasquara. Les Corses ont la faim des immigrés et la dureté des ambitieux formatés par des centaines d’années de vendetta et d’obéissance fidèle au clan. Ils s’implantent dans la ville portuaire de Marseille comme la teigne sur le bétail. Le port offre de multiples possibilités de trafics, avec les colonies d’Asie et d’Afrique du nord, les liaisons avec les Amériques, du nord et du sud, la prostitution appréciée des marins.

La richesse commence par le tapin, puis le bordel, se poursuit par les hôtels, restaurants et cercles de jeux, s’amplifie avec le trafic de cigarettes avec Tanger, d’or et de piastres, avant l’héroïne, raffinée dans la région par un chimiste renommé, base de la French Connection qui va inonder les États-Unis de came dans les années 60. Ce n’est pas une mafia mais un Milieu – le Mitan comme on dit dans le sud, ce qui signifie la même chose (on parle du mitan du jour).

« Louis Manza » a-t-il existé ? La quatrième de couverture dit : « Le Caïd est à la fois un document et un récit. Document par la rigoureuse authenticité des événements relatés, récit par une nécessaire transposition de certains noms, de certaines situations. » Il est probable que le personnage est calqué sur un vrai, mais rendu « type » par l’auteur. Il le saisit à 11 ans en son milieu, la montagne de l’Incudine en Corse, où le gamin illettré mais chasseur et bon connaisseur de la nature, garde les chèvres. L’Oncle vient le voir à Zicavo, et part avec le père dans la montagne couverte de sapins noirs. « Le gosse les attendait là, rigoureusement immobile, sa longue mèche noire tombant sur le front, ses diables d’yeux fixés sans ciller sur le nouveau venu. Assis sur un rocher, il tenait le fusil à plat sur ses genoux » p.13. Un ourson mal léché, mal aimé, qui s’est fait tout seul, en sauvage insensible – à l’égoïsme mortel.

« Monté » à Marseille à ses 20 ans, et flanqué d’une palanquée de frères, dont Dominique dit Doumé son cadet, il va faire rapidement sa place au soleil. Il séduit les filles, les met sur le trottoir, achète des maisons closes, s’entend avec le Milieu. L’Occupation et les compromissions des uns et des autres permettent de juteuses relations entre flic et voyous, entre pègre et politiciens. Les socialistes engagent du monde pour contrer les communistes, le FBI américain s’inquiète du danger soviétique dans la ville. Le Milieu est ravi, les protections affluent, contre quelques menus services de porte-flingues.

Au milieu des années cinquante, les Manza sont florissants. « Aux bars, restaurants, cabarets, hôtels, à l’immense chaîne de la prostitution, aux ‘services rendus’ au FBI, à la CIA, aux polices françaises plus ou moins officielles, et encore aux appuis accordés aux partis et mouvements politiques, venaient en outre s’ajouter d’autres activités, certaines peu légales, d’autres visant au contraire à un embourgeoisement, un accroissement de la respectabilité du clan » p.256. La valse des partis à l’Assemblée sous la IVe République était propice aux petits arrangements entre amis, à la corruption généralisée, aux trafics d’influence. Les débuts de la Ve poursuivront avec la guerre au FLN et ses réseaux, puis à l’OAS. Ce n’est qu’ensuite, avec un pouvoir fort et déterminé, et l’insistant appui des Américains agacés de voir la drogue déferler sur leur sol via la pègre marseillaise, que le Milieu sera mis au pas. Non sans règlements de compte.

Aujourd’hui, une nouvelle pègre maghrébine a remplacé les Corses, et certaines mafias italiennes ont investi sur la Côte. Mais le « récit » s’arrête à la fin des années soixante avec la mort – par balles – de Louis Manza et sa fin de son empire qui, au fond, ne tenait qu’à sa personne.

Un livre captivant, où tout est vrai et tout est masqué, les noms des politiciens soigneusement cachés (Georges Ribot, Henri Tasso, Michel Carlini, Gaston Deferre, tous maires de Marseille entre 1951 et 1958 ne sont jamais cités). Mais l’analyse de la corruption du haut en bas de la société, les femmes étant le gibier qui se monnaye et se refile entre mâles dominants, les flingues étant les juges de paix.

Loup Durand, Le Caïd – récit, 1976, Livre de poche 1977, occasion €13,95

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Fredrick Brown, La nuit du Jabberwock

Le Jabberwocky est un poème du diacre Charles Lutwidge Dodgson, dit Lewis Carroll, qui conte le combat d’un jeune homme contre le Jabberwock, créature de cauchemar. Il est paru en 1871 dans son roman De l’autre côté du miroir qui fait suite à Alice. A cette occasion, il invente une langue, tord l’actuelle, anticipe le surréalisme. Tous les chapitres sont précédés d’un paragraphe de ce poème. Le premier commence ainsi :

« Il était reveneure; les slictueux toves

Sur l’allouinde gyraient et vriblaient;

Tout flivoreux vaguaient les borogoves;

Les verchons fourgus bourniflaient. »

La nuit est celle du directeur de journal local d’un bled paumé américain, Carmel City, où vont se précipiter d’un coup divers événements, alors qu’habituellement il ne se passe rien. Doc Stoeger (qui n’est pas docteur « en médecine ») a 53 ans ; il aime boire du whisky et ne s’en prive pas, rendant émoussées ses facultés et floues ses perceptions. Ce jeudi soir, l’hebdomadaire est bouclé avec trois heures d’avance ; il sera édité le lendemain. Rien de spécial à annoncer, et Doc rêve d’un bon scoop.

Il ne va pas être déçu. Lui sera le personnage principal de cette histoire qui, malgré ses péripéties variées, a une unité. Commencé comme un roman fantastique, avec l’irruption d’un petit personnage tout droit sorti de chez Alice au Pays des Merveilles, l’histoire va virer au roman policier, avec une intrigue bien tordue et de l’action en veux-tu, en voilà.

Le rédac-chef croit ce soir-là tenir in extremis avant bouclage des nouvelles fraîches à insérer dans son canard, le Carmel City Clarion (le Clairon de Carmel-ville), mais, à chaque fois, on l’empêche. « Je songeai, soudain, à tous les papiers que j’avais dû supprimer ce soir. Le cambriolage de la banque, pour des raisons évidentes autant qu’excellentes. L’accident de Carl, parce que c’était bien peu de chose et que si cela s’était ébruité ça aurait nui à sa réputation d’avocat. L’accident au département des chandelles romaines, parce que le mari de Mrs Carr aurait risqué de perdre son emploi. Le divorce de Ralph Bonney… enfin, celui-là n’était pas précisément supprimé, mais réduit à un entrefilet. L’évasion de l’asile de Mrs Griswald, parce qu’elle m’avait donné des biscuits autrefois et ne voulait pas faire de peine à sa fille. Et même la vente de charité à l’église baptiste, pour la simple raison qu’elle avait été annulée » p.106 (pagination J’ai lu 1975). Pas simple d’être journaliste dans une petite ville où tout le monde se connaît et réclame des faveurs ; on ne peut être un « salaud » et ne penser qu’à sa carrière en publiant malgré tout.

Aussi, lorsqu’un certain Yehudi Smith sonne à la porte – autrement dit personne, le prénom et le nom étant réputés à cette époque-là signifier Lambda Machin – Doc Stoeger est réceptif. Il doit disputer une énième partie d’échecs avec le jeune Al Gringer, 22 ou 23 ans, Homme mystère de la ville, mais qui joue bien aux échecs et connaît très bien Lewis Carroll. Doc a commis deux opuscules sur cet auteur jadis, et il est fan. Smith lui propose d’aller avec lui à une réunion de la société secrète des Sabres verzibafres, du nom d’un vers du poème Jabberwocky, dans le grenier d’une maison abandonnée. Doc la connaît bien, il y a joué enfant. Il a été « choisi » par l’assemblée au vu de ses références sur Carroll. Le petit gros au long nez siffle le whisky d’une façon originale, direct dans le gosier avec le verre à une dizaine de centimètres. Une performance ! Doc se promet d’essayer, avec une serviette sur lui pour éponger les erreurs.

Le polar est ainsi étoffé de traits d’humour de cette sorte tout au long. La soirée est déjà avancée, mais la nuit sera courte. Avisé de l’accident de son ami Carl, Doc va quitter un moment le petit homme, qui va faire un somme – en attendant son retour. Il va rencontrer deux malfrats en cavale qui vont l’obliger, avec son ami barman Smiley, à monter dans leur bagnole pour aller se faire zigouiller dans la forêt. Smiley va les en sortir et, aidé d’un revolver « de banquier » que Doc avait pris sans y penser (et sans savoir tirer), va faire exploser la tire des voyous. La police va mettre la main au collet du seul rescapé, blessé, et mettre le veto sur toute information avant que la bande soit serrée au complet.

Revenu chez lui après ces épreuves, Doc se ressert un whisky (de l’infâme bourbon yankee), et se prépare à écouter le fameux Yehudi Smith, qu’il le trouve désormais sympathique. Les voilà partis pour la réunion, où en fait ils seront seuls, même si le bruit d’une voiture est monté jusque dans le grenier où ils sont parvenus. Autant commencer sans les autres. Sur un guéridon comme dans Alice, un flacon à l’étiquette mentionnant BUVEZ-MOI, et une petite clé. Le Yehudi met la clé dans la poche de Doc et s’empare du flacon, qu’il avale. Il tombe raide mort… Doc prend la voiture qui les a amenés, mais ce n’est plus la même. Aurait-il bu trop de bourbon ? Il s’aperçoit que c’est la sienne, mais ne s’en formalise pas vraiment, bien que les deux pneus qu’il avait trouvé dégonflés le matin, ce pourquoi ils ont pris la voiture de Smith, sont regonflés à neuf.

Il se rend à la police, où le shérif Kates l’a toujours détesté comme fouille-merde, trop vigilant sur ses erreurs. Il surveille Doc et dit à son adjoint d’aller voir au grenier de la vieille maison. Évidemment, il ne trouve rien : ni bougie sur la rampe du grenier, ni guéridon, ni cadavre. Doc aurait-il rêvé, dans les brumes de l’alcool ? Pire : sa petite clé, fourrée dans sa poche par le Yehudi, est celle de son coffre de voiture… qui recèle deux cadavres baignant dans leur sang : celui d’un industriel parti chercher la paye, et celui du shérif-adjoint. Doc ne se souvient de rien : serait-il un tueur fou ?

En quelques heures jusqu’à l’aube, Doc Stoeger va être obligé de cogiter selon la logique formelle différente de la nôtre de Lewis Carroll (mathématicien à ses heures) pour comprendre le piège dans lequel il est tombé, rameuter ses amis et forcer les preuves qu’il s’agit bien d’une intention de nuire de quelqu’un avec un fameux mobile.

Littéraire, drôle, bien conçu, ce roman policier fantastique se lit très bien. Son auteur, Fredrik Brown, décédé en 1972 à 65 ans en Arizona (trop de bourbon) a commencé à travailler à 16 ans, au lieu de cogiter sur la planète à en devenir timbré, comme le tueur au couteau de Nantes.

Fredrick Brown, La nuit du Jabberwock – Échecs et malt au Pays des Merveilles (Night of the Jabberwock), 1951, Rivages noir 2021, 240 pages, €8,30

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Clare Mackintosh, Te laisser partir

L’autrice est une ancienne policière anglaise du début des années 2000 qui, après 12 ans de service, s’est mise à écrire. Ce livre est son premier roman, inspiré d’une enquête vécue. Les détails sont donc vécus. L’intrigue est à deux étages et garde le suspense jusqu’à la fin.

A Bristol, dans le sud-ouest de l’Angleterre, tout proche du Pays de Galles, une mère ramène son enfant de 5 ans de l’école. Pas de papa, il ne voulait pas d’enfant et il l’a quittée. Il pleut, il fait nuit, la maison toute chaude est proche. Mais voilà, maman ne fait pas attention, elle lâche la main du gamin parce qu’on est presque arrivé. Et ce qui devait arriver arrive, le petit garçon fait comme d’habitude, il court, il traverse la rue sans regarder – il ne regarde jamais, et maman le sait. Elle n’a pas fait attention. Et boum ! Le petit Jacob est percuté par une voiture, qui surgit tous phares allumés, au-dessus de la vitesse autorisée. Le corps est brisé, la mort instantanée. Désespoir… Il aurait fallu, mais on ne l’a pas fait.

L’enquête démarre mal. La mère n’a rien vu, ne sait même pas qui était au volant, homme ou femme, s’il y avait un passager, la couleur de la voiture, encore moins sa marque. Le véhicule a fait demi-tour, le conducteur n’est pas sorti pour aider ni appeler les secours, il a fait un délit de fuite. S’il a frotté un arbre, la police ne retrouve aucune trace. Sauf peut-être un fragment de phare, brisé à proximité. Il s’avérera qu’il n’a rien à voir. Aucun témoin, aucune piste, pas même une trace de freinage à cause de la pluie. Point mort ; au bout d’un an, on classe l’affaire, puisqu’on ne peut avancer.

Mais l’inspectrice stagiaire Kate en est bouleversée. Tout de même, un enfant ! Qui aurait pu agir ainsi ? Avec l’autorisation de Kay son capitaine, mais sans l’aval du préfet de police, elle continue à chercher sur ses heures de loisir : les caméras de surveillance, les témoignages de conduite dangereuse. Dernier appel à témoins avant le classement définitif… et crac ! Il permet de relancer la piste.

Pendant ce temps, en chapitres intercalés un peu déconcertants au début parce qu’ils sautent du coq à l’âne et d’une personne à une autre, Jenna, une femme, plaque tout. N’emportant qu’un petit bagage, son ordinateur portable et un coffret de souvenirs, elle jette son téléphone mobile et prend les transports jusque loin. Le petit village de Penfach est isolé, en bord de mer, avec de hautes falaises au-dessus de la plage. C’est là que Jenna s’installe, dans un cottage délabré, loué pour presque rien à un berger sur les conseils de la tenancière du camping. Les gens ne viennent que pour les vacances, la saison d’hiver est vide. Elle est bien, elle peut oublier.

Sauf que son passé la rattrape. Pour vivre, elle vend des photos sur le net et dans le village à la haute saison. Sa spécialité est l’inscription sur le sable, pris devant la mer au soleil rasant, ou couchant, ou sous les nuages. Un succès grandissant. Mais avec le net, quiconque est un peu avisé remonte l’adresse. La police aussi. Sa voiture a été retrouvée, un impact sur l’avant ; elle-même a été pistée, elle est arrêtée. Elle avoue tout.

Fin de l’histoire ? Non, seulement fin de la première partie… Car la seconde verra la situation se complexifier. Jenna a peur, mais de quoi ? Ou de qui ? Pourquoi veut-elle aller en prison ? Pourquoi ne dit-elle rien ? Son apparence est trompeuse et tout le monde se laisse prendre, mais pourquoi ? Ray et Kate font creuser, et trouver. Ce sera pire qu’imaginé.

Un peu de psychologie, sans vraiment insister ; une enquête qui s’enlise avant de se relancer ; des protagonistes qui agissent en parallèle. Ce n’est pas un grand roman policier, mais il se laisse lire avec assez d’appétit. Il est dans l’air du temps : l’autrice est femme et les femmes sont à l’honneur, victimes, forcément victimes. Même les plus sages comme Meg, l’épouse du capitaine Ray, qui a renoncé à sa carrière policière (comme l’autrice?) pour élever ses enfants, dont le garçon, Tom va mal. A 12 ans, il devient grognon, paresseux, sèche l’école. Il vole, en tant que chef de bande. L’adolescence ? Son père qui ne s’occupe pas assez de lui ? Faut-il devenir délinquant pour que papa policier se préoccupe de son enfant ? Les hommes sont des salauds, depuis tout petits. Il désobéissent à leur mère, se rebellent, prennent les filles en prédateurs, voire pire. Cette rengaine est un peu lourdingue et caricaturale, mais fournit la clé de l’énigme.

Si vous trouvez les débuts un peu longs, n’oubliez pas de tenir jusqu’à la seconde partie !

Theakston’s Old Peculier Crime Novel of the Year Award 2016

Prix du meilleur roman international au Festival Polar de Cognac 2016

Prix des lecteurs, sélection 2017

Clare Mackintosh, Te laisser partir (I Let You Go), 2014, Livre de poche 2017, 508 pages, €8,70, e-book Kindle €8,99

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Hervé Jourdain, Le sang de la trahison

Un policier qui écrit sur la police, c’est peu courant. Hervé Jourdain est capitaine à Paris et écrit des romans policiers. Celui-ci se passe au mythique « 36 » quai des Orfèvres sur l’île de la Cité, attenant au Palais de Justice et à la Sainte-Chapelle. Ce bâtiment mal foutu et obsolète parce que reconstruit de bric et de broc après son incendie par la Commune, a été transféré en septembre 2017 au « 36 » rue du Bastion, Porte de Clichy. La Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris a déménagé dans ses nouveaux locaux ; seule la BRI reste Quai des Orfèvres, au centre de la capitale, pour intervenir plus rapidement.

C’est donc une sorte de chant du cygne que ce polar situé dans cette unité de lieu encore opérationnelle en 2013. En effet, un juge est assassiné dans l’enceinte même du Palais. Les caméras de surveillance n’ont rien noté, le tueur savait où elles pouvaient se trouver. Même l’examen des entrées et sorties ne donne rien. Pire : un second meurtre a lieu dans le Palais, un journaliste judiciaire affilié à l’AFP. Encore pire : un troisième meurtre, dans un bâtiment de la Place Dauphine, tout proche du Palais, un avocat célèbre. Toujours le même mode opératoire, un tir au revolver de 8 mm, calibre peu courant d’une ancienne arme française de 24 cm de long en dotation avant-guerre, une balle dans le torse, une autre dans la tête. Et toujours des indices pour titiller les enquêteurs : trois morceaux de sucre de taille différente dans la main du mort, et deux cartes postales ou livres de poche. Enfin l’apothéose : le tir pour tuer contre le Directeur de la Police le soir de sa retraite, dans la cour même du Palais.

La brigade criminelle est chargée de l’enquête. Le commandant Bonnot dirige une équipe formée du capitaine Guillaume Desgranges aigri et absent, du lieutenant Jean-Noël Turnier le procédurier (qui surveille la procédure et archive les preuves) et de la nouvelle jeune femme Zoé Dechaume, mutée à sa demande (et sur piston) de la brigade des Stups. La vie n’est pas rose pour les flics… Ils sont confrontés chaque jour au pire de la cruauté et de la bêtise humaine, des amoureuses de 13 ans vite droguées et servant de putes dans les caves à la bande de dealers, des assassinats pour un regard ou un porte-monnaie peu rempli, des « accidents » de voiture qui sont des homicides, des viols, des meurtres, des fugues, des pétages de plomb. Le roman décrit bien les fêlures des flics. La motivation enthousiaste des débuts finit vite en routine, divorce, vie de famille à éclipse, révolte des enfants qui ne voient jamais leur père.

En compensation, il y a le boulot, la fièvre des enquêtes, les relations avec les témoins, les suspects, les avocats, les juges. Celui qui se présente dès le chapitre 6 comme un descendant de tueurs en séries depuis des générations met en avant son sens de l’honneur, toujours au service de l’État. Son but ? Éliminer les traîtres à la mémoire du Palais de Justice. D’où les multiples rebondissements, les pistes prometteuses qui s’avèrent fausses, les suspects successifs. Et même la demande de rançon pour Victor, le fils de 17 ans du capitaine Desgranges, déscolarisé depuis deux ans et déprimé parce que sa mère est partie lorsqu’il avait 10 ans sans explications et n’a jamais donné de nouvelles, et que son père est trop peu souvent là.

La psychologie des personnages est un brin sommaire, le flic désabusé, la jeune recrue accrocheuse, l’avocat brillant à particule, le commissaire autoritaire. Mais tout est fait pour l’action, trépidante, décrite en détail par un spécialiste – et en hommage au « 36 » de l’Île de la Cité. Ce bâtiment mythique aux dédales de couloirs, est orné de symboles accumulés par l’histoire. La fin est tout à l’honneur de la police, qui ne se venge pas mais laisse la justice opérer, bien que les deux institutions se regardent en chiens de faïence. Contrairement aux policiers, les juges, « indépendants » selon la théorie, sont souvent mus par leur idéologie et… contrôlés par personne.

Prix du Quai des Orfèvres 2014

Hervé Jourdain, Le sang de la trahison, 2013, Fayard poche 2013, 441 pages, €9,90, e-book Kindle €6,99

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Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes

Auguste, fils de clown breton de Lesneven né en 1913, a été tôt orphelin de père à cause de la « grande » guerre, puis délaissé par sa mère. Envoyé en orphelinat, il s’évade à 11 ans ; envoyé en maison de correction, il est adulte avant l’âge et fréquente le Milieu. C’était sa belle époque, avec ses codes, ses rites et surtout son argot.

Monfort, surnommé le Breton par les voyous de Saint-Ouen, adapte la langue verte des truands au roman – évidemment « policier ». Il s’agit de macs, de casses, de jeu. Ces hommes, des « vrais » selon la locution du temps, parlent sec, en phrases courtes, calibrées comme des coups de feu ou des coups de poing. Auguste Le Breton, il le dit, écrit comme on boxe. Et cela reste un délice, bien meilleur que San Antonio, avec 20 pages de glossaire d’argot à la fin, une page d’écarts entre le gitan (pur arabe) et le manouche, le louchebem comme le verlan. C’est l’auteur qui introduit ce mot en français, il signifie parler à l’envers (ver lan). Il introduit aussi rififi.

L’histoire est banale dans le Milieu. Tony le Stéphanois sort de taule après cinq piges et ne reconnaît plus les rites des malfrats. Aucun respect pour l’ancien caïd : de petits marlous à la manque essaient de le doubler au poker. Il en descend un sans plus de cérémonie pour faire peur à l’autre. Tony n’a plus guère de temps, il est tubard. Avant de calancher, il veut réaliser un dernier coup, tout en douceur, avec intelligence. Il a encore des amis, Jo le Suédois et Mario le Rital. Ce dernier connaît un Italien fortiche en percement de coffre, César, non repéré par les flics français, et le fait venir en dur depuis la péninsule. Une grande bijouterie rue de la Paix, de nuit, fera l’affaire. Les flics en planque en Citroën 15 dans les petites rues alentour n’y verront que du feu. Pas moins de 250 millions (d’anciens francs) de joncaille et pierres. De quoi en récupérer environ 120 millions en beaux billets de Banque de France avec un fourgue levantin discret à Londres.

Sauf que, si le casse se déroule sans accroc et dans les temps, le petit Italien va commettre une erreur. Il sabre une pute macquées aux Sora, le trio de Bics qui tiennent le rade chic ; César est amoureux, il donne un diam d’une brique à la gonzesse qui l’a épongé. Ce qui attire l’attention des Sora. Cette erreur sera fatale au groupe et entraînera le petit garçon de Jo, Tonio, 5 ans, dans les griffes des Crouilles qui tiennent le haut du pavé dans certains quartiers. Ça va défourailler dans tous les coins au boukala et à la sten, les sulfateuses seront de sortie, il y aura des mises en carante, du raisiné par terre et des maravés, des tortures au razif. La Salmson S4E de Mario (2 300 cm³) va rugir. Les Troncs auront le taffe.

Entre temps, on va goder et fourrer, les lloumis à loilpé sont faites pour ça. Les femmes, en effet, dans cet univers, ne sont pas des hommes. Le rififi ne les concerne pas, sauf transgression des règles. Pire quand on s’attaque aux mouflets : dans le Milieu, ça ne se fait tout simplement pas. Balancer l’erreur est donc salubre, et le plus jeune des Crouilles, nerveux, drogué et alcoolique s’est condamné.

En 1955, Du rififi chez les hommes est adapté au cinéma par Jules Dassin. Prix de la mise en scène (ex-æquo) au Festival de Cannes 1955, Prix Méliès la même année. On n’y parle plus de Crouilles (à cause de la guerre d’Algérie) mais l’histoire est très proche.

Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes, 1953, Folio policier 1999, 280 pages, €9,50

DVD Jules Dassin, Du rififi chez les hommes, 1955, avec Jean Servais, Carl Möhner, Marie Sabouret, Robert Manuel, Janine Darcey, Gaumont 2009, 1h56, €12,35

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John Buchan, Les trois otages

Sir Richard Hannay, apparu pour la première fois dansLes 39 marches, dont Hitchcock a fait un film célèbre, est devenu neuf ans plus tard général de division, et s’est retiré à 40 ans à Fosse Manor dans les Costwolds, à la campagne. Il est nanti depuis dix-huit mois d’un fils, Peter John, et passe son temps dans la nature et en famille, à se reposer de l’éprouvante guerre de 14.

Tout commence par la visite de son voisin, le Dr Greenslade, qui parcourt le pays pour soigner les gens et évoque les pouvoirs du subconscient. La société après la guerre est bouleversée, les anciennes mœurs brutalisées, les traditions remises en cause et les croyances chamboulées. Tout est possible, notamment le crime. La psychanalyse freudienne prend son essor et l’on commence à évoquer une « science juive » consistant à prendre le contrôle du mental. Greenslade s’amuse en décrivant comment bâtir un roman policier à partir de faits en apparence sans liens entre eux, comme « une vieille femme aveugle en train de filer dans les collines d’Écosse ; une étable dans une ferme norvégienne, et un petit magasin d’antiquités, dans le nord de Londres, tenu par un juif à la barbe teinte. » Hannay ne voit pas trop comment survient cette anecdote, mais s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas énoncée par hasard.

Son ami Macgillivray, qui œuvre dans les hautes sphères policières, lui annonce que trois otages ont été pris par une bande criminelle qui cherche à contrôler les esprits perturbés par les bouleversements sociaux et lui demande son aide. Leur but est assez confus, entre avidité pour l’argent, manipulation de cours, prévarication et domination du monde. Mais Adela fait partie des otages ; elle est la fille du riche banquier juif américain Victor, et fiancée du compagnon de guerre d’Hannay, le marquis de la Tour du Pin, dit « Turpin ». De même le jeune Lord Mercot, étudiant à Oxford de 19 ans, beau et athlétique. Enfin le jeune garçon de 10 ans Davie Warcliffe, fils unique et touchant enfant, peut-être l’otage le plus pathétique. C’est lui qui va finalement décider sir Richard Hannay, ancien militaire des services secrets de Sa Majesté, à tenter d’aider, même s’il ne voit pas bien comment. Au moins par un regard neuf.

Un poème énigmatique a été envoyé par les ravisseurs aux parents, qui évoque une aveugle filant, une grange norvégienne et « les Champs d’Éden »… Un effet du subconscient de Greenslade, qui l’aurait entendu quelque part avant que cela lui revienne comme « naturellement » ? De fil en aiguille, le conscient démêle par raison analytique ce que l’inconscient suggère par réminiscence sensorielle et affective. Hannay découvre que les Champs d’Eden » provient d’un cantique, Greenslade se souvient qu’un dénommé Dominick Medina lui en avait parlé et avait fredonné l’air. Medina est anglais mais son nom vient d’un lointain ancêtre espagnol. Il est, autrement dit entre ces années méfiantes entre-deux guerres, un métèque dont on doit se méfier. Le sieur est jeune, beau, charmeur, cultivé, impeccablement habillé et courtois, même si perce parfois chez lui un certain orgueil et une volonté froide. Hannay est sous le charme mais son ami le colonel Sandy Arbuthnot se méfie. Heureusement ! Car Hannay, invité chez Medina, se voit drogué et soumis à une séance d’hypnose. Prévenu, il parvient à s’en immuniser, jouant le jeu de l’esclave soumis alors qu’il n’en est rien.

Il en ressort cependant le lendemain avec un fort mal à la tête. Il va consulter le Dr Newhover, suggéré par Medina, qui l’oriente vers une masseuse nommée Madame Breda, flanquée d’une très jeune fille au regard vide, Gerda. Il est hypnotisé à nouveau par des passes effleurant le visage, mais reste une fois de plus réfractaire. Hannay est invité en boîte de nuit avec son ami Archie Roylance et aperçoit une jeune danseuse impassible et très maquillée, sous l’emprise du majordome de Medina, à la carrure d’ancien boxeur. Il est intrigué : que fait Odell ici ? La boite sert-elle de couverture à certaines activités de Medina ?

Convaincu que sir Hannay est à sa merci, Medina s’en fait un factotum et l’emmène partout pour se faire valoir en société. C’est ainsi qu’il rencontre Kharama, un Indien hypnotique et puissant que Medina, qui en a entendu parler sans l’avoir jamais vu, appelle « Maître ». Il lui dévoile ses projets et l’autre l’encourage. Le Dr Newhover doit de se rendre en Norvège et Hannay veut savoir pourquoi. Il informe Medina qu’il est malade et a besoin d’une semaine de repos chez lui. Il suit le docteur en avion et canot jusqu’à une ferme norvégienne isolée où il se rend compte que Lord Mercot est détenu. Le jeune homme parvient à fuir, Hannay le recueille, le retape et lui rend son esprit, avant de lui demander de retourner dans sa geôle pour quelque semaines seulement, en jouant le jeu, jusqu’à ce que l’on puisse localiser et délivrer en même temps les deux autres otages.

En consultant un vieux plan de Londres, Hannay trouve mention d’un lieu anciennement connu sous le nom de « Champs d’Éden ». C’est aujourd’hui un entrepôt de grossiste et une boutique d’antiquités. Là est le second otage, la chère Adela, hypnotisée elle aussi et qui danse chaque soir surveillée par Odell, le majordome boxeur. La police, aidé de l’épouse de Hannay, Mary, est soustraite au gang. Reste le jeune garçon. Mary le découvre chez Madame Breda sous le déguisement d’une très jeune fille, les cheveux longs et une simple robe sur le corps. Le gamin reprendra difficilement vie après cette expérience. Il faut que Mary menace de défigurer à l’acide un Medina acculé, ce qui mettrait à mal sa vanité, pour qu’il consente à le déshypnotiser et lui rende sa raison. La police intervient alors simultanément dans plusieurs pays et les conspirateurs sont arrêtés.

Du fameux « complot », on ne saura pas grand-chose ; l’auteur préfère laisser l’imagination courir en restant dans le flou. Ce qui lui importe est moins le mobile que l’enquête, donc l’action. Le lecteur est bien servi, les chapitres coulent et progressent ; le roman se lit très bien, encore aujourd’hui. Ce roman est plus d’aventure que véritablement « policier » ; c’est un genre qui ne se pratique plus guère, la mode préférant le « thriller ». Mais le roman d’aventures prenait la suite des feuilletons qui avaient fait les délices des lecteurs dans la presse à grand tirage entre 1850 et 1950.

Quand tout est fini, tout recommence. Dominick Medina a été épargné et veut se venger. Son orgueil a été blessé. Sandy, qui s’était déguisé en mage Kharama pour le tromper, prévient Hannay qu’il cherche à se venger. Richard Hannay se rend alors avec toute sa famille dans un pavillon de chasse au cerf qu’il possède, isolé dans les Highlands d’Écosse. Medina l’apprend et se fait inviter tout près de là. Il veut simuler l’accident de chasse et tuer Hannay, mais celui-ci parvient à le déjouer. Le serpent tentateur ne mordra plus, mais quelles péripéties !

Ce roman a été adapté en série télé BBC en 1952 puis en 1972, et en feuilleton radio BBC en 2003. L’auteur, décédé à 64 ans d’une hémorragie cérébrale comme gouverneur du Canada et baron, a été avocat, militaire, espion et écrivain.

John Buchan, Les trois otages (The Three Hostages), 1924, Livre de poche policier 1966, 447 pages, €7,15

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Sylvie M. Jema, Les sarments d’Hippocrate

Un roman policier qui se passe quelque part, dans une région sans nom et dans une ville sans nom avec banlieue, qu’on soupçonne quelque part autour de Paris, mais ce n’est jamais dit. Nous sommes dans une maternité, l’auteur est médecin spécialiste en gynécologie obstétrique et les termes sont précis. C’est là que se produit l’envoi répété, tous les deux jours, d’une lettre anonyme aux lettres découpées dans Ouest France et collées sur un papier gaufré standard Carrefour, postée à la Poste centrale. Difficile de savoir qui les envoie.

Le médecin-chef à qui ces missives sont envoyées, Cyprien Desseaume, est un brillant gynécologue, adjoint au maire et père de six enfants déjà grands, sauf les dernières, des jumelles de 12 ans. Il aime sa femme mais commet quelques écarts, dus au stress et au pouvoir. Rien que de bien « naturel », direz-vous. Sauf que sa secrétaire, dernière amante en titre, est enceinte et veut divorcer pour vivre avec lui. Il n’en est pas question : réputation, métier, fortune… Le lendemain, elle est morte et retrouvée dans les archives de l’hôpital, au sous-sol par Cécile, l’une des filles Desseaume, elle aussi médecin. C’est sa sœur au curieux prénom masculin, Stéphane, motarde et flic, qui va mener l’enquête.

« Les Sarments » est le nom de la propriété bourgeoise des Desseaume, et la famille joue un grand rôle dans ce roman. Famille que l’on crée, dont on se détache, où l’on revient ; famille que l’on n’a pas eue, qui se délite ou se fracasse. On tuerait pour moins que ça. Second meurtre, celui de Desseaume lui-même, dans son bureau, à l’aide d’une statuette en bronze d’un accoucheur du siècle avant-dernier (le 19ème). Justement, le fils aîné Pierre est sculpteur, au grand dam de son père qui aurait préféré le voir suivre ses traces. Et c’est encore Cécile qui retrouve le cadavre de son père, alors qu’elle force la porte du bureau, gardée par le cerbère femelle qui a remplacée la secrétaire défunte, parce qu’on le demande d’urgence en salle d’accouchement et qu’il ne répond pas au biper.

Indices, interrogatoires, enquête, la secrétaire est bien morte empoisonnée et le docteur bel et bien assassiné. Pujol et Stéphane sont chargés des investigations, bien que Stéphane doit d’abord disculper sa sœur de toute culpabilité afin de ne pas être juge et partie. Mais finalement on tient l’assassin, le mari bafoué, un grand classique. Sauf qu’il dit que ce n’est pas lui, même si tout l’accable. Et qu’un autre se présente au commissariat pour avouer le meurtre du docteur, exalté et précis. Tout serait donc réglé ?

Des vacances bien méritées ? Même pas… C’est encore plus compliqué que cela. Il y a eu un troisième meurtre, celui de Marc, médecin du même hôpital qui a vu quelqu’un ou quelque chose, égorgé proprement par un droitier au scalpel. De quoi devenir fou. Stéphane craque, enfilant vodka sur vodka, suivies de clopes mauvaises pour sa santé. En outre, sa petite chatte siamoise est atteinte d’une tumeur cancéreuse et elle va mourir après treize ans. Le petit ami de sa sœur Cécile, Salvador, n’est pas souvent disponible ; il est lui aussi dans le même hôpital, stagiaire étranger en gynécologie. Et Clara, l’autre sœur, étudiante en médecine, s’est retrouvée enceinte de son petit ami et vient de faire une fausse couche. Quant à Geneviève, la mère, elle a fait un écart avec un beau jeune homme pour compenser ceux de son mari.

Lorsque tout se conclut – très vite – nul n’en revient : ni le lecteur, ni les protagonistes. C’était lui ?!

Une psychologie plutôt sommaire, des lieux incertains, mais une intrigue bien cousue qui laisse le suspense entier jusqu’au bouquet final. Mérite d’être lu.

Prix du Quai des Orfèvres 2004

Sylvie M. Jema, Les sarments d’Hippocrate, 2003, Fayard poche 2003, 343 pages, €16,00 , e-book Kindle €6,99

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Tardi et Léo Malet, Du rififi à Ménilmontant !

Léon Malet dit Léo est orphelin très tôt à cause de la tuberculose ; anarchiste à 14 ans, il devient chansonnier de cabaret à Montmartre à 16 ans, puis journaliste, proche des surréalistes et des trotskistes, puis vendeur de journaux avant d’écrire des polars à la française. Son kiosque existe toujours, à l’angle des rues Sainte-Anne et des Petits-Champs à Paris. Son détective privé Nestor Burma, créé en 1943, a les bureaux de son agence Fiat Lux, au-dessus de ce magasin, un immeuble à cariatides que Tardi dessine aujourd’hui.

Burma est un parigot cynique et gouailleur comme son temps d’après-deux guerres. Le Rififi conté ici a lieu en 1957. Mon siècle avait deux ans et connaissait les automobiles Ford Vedette, les Peugeot 203 et la fort laide Dyna X Panhard à deux temps dont l’avant ressemblait à un nombril mal cicatrisé. Nestor n’aime pas les flics, en général ignorants et imbus de leur uniforme, mais il aime les bistrots et s’écluse régulièrement un ballon de blanc sec durant ses périples. D’ailleurs la secrétaire de son cabinet ressemble à Adèle (Blanc-Sec, un personnage de Tardi). Nestor Burma frise avec la ligne jaune de la morale, n’hésitant pas à la franchir lorsque c’est pour sa bonne cause.

Ici, une bourgeoise au manteau fourré et accessoires en or l’attend à son bureau pour lui avouer qu’elle a tué son mari – il est sous le piano – et qu’elle a mis assez de fric dans une enveloppe pour que le détective fasse ce qu’il faut. Et elle se tue au revolver sous ses yeux. Burma planque l’enveloppe et le fric dans les chiottes avant de prévenir son flic préféré, Faroux, chef de la Section centrale criminelle à la Police Judiciaire. Nous sommes près de Noël et le flic n’a pas encore terminé son sapin que, déjà, la bourgeoisie sent le sapin. Le mari de la Manchol est mort, sa mère est morte, son père est mort, tous assassinés.

Pourquoi ? Burma, qui s’enrhume, se soigne aux produits Manchol, dont les hommes-sandwiches vantent les vertus pharmaceutiques dans les rues grises de Paris. Ils sont déguisés en pères Noël rouges et semblent suivre ou poursuivre le détective qui fouille trop à leur gré. Il s’agit des trois frères Grappin, issus de l’Assistance. Une Vedette verte manque aussi de l’écraser plusieurs fois, et un pochard qui pue, La Biture, lui fait payer force coups de blancs secs pour le rencarder sur les Manchol. Il a travaillé des années dans la société et en connaît un bout ; on parlait librement devant lui, qui n’était rien. Il vit aujourd’hui en sous-sol avec ses greffiers (pour les analphabètes, voir la définition ici).

Est-ce la ronde des bistrots ? Les ballons de vin répétés ? Le radotage de la Biture et des flics ? Nestor Burma le détective tourne en rond, et les dessins de Tardi s’étirent, montrant Paris en hiver. Il y a peu de gens et de voitures, avec de la neige encore – avec l’explosion démographique, l’immigration sauvage et le réchauffement, tout cela a disparu. Un dessin clair et une graphie en gros caractères pour cette édition « roman » réjouissent l’œil. Tout va se résoudre en eau de boudin, la sordide affaire de famille, le marché noir de cochonnerie durant l’Occupation, l’expérimentation animale et les médocs inefficaces. Nestor va garder ses biftons et devoir adopter les greffiers de la Biture. Il y en a bien une trentaine, tous affamés, livrés en camionnette à son bureau par le bistrotier favori du pochard.

BD Tardi et Léo Malet, Du rififi à Ménilmontant ! – Nestor Burma dans le 20e arrondissement, 2024, Casterman, 192 pages, €25,00

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Arnaldur Indridason, Les parias

L’auteur de polars islandais vieillit ; il déprime. Il reprend ici son second héros, hélas pas Erlendur, bien meilleur, mais l’inspecteur Konrad, désormais à la retraite et obsédé par l’affaire non résolue du meurtre de son père dans les années 50. Il se souvient enfant de son père violent, ce pourquoi sa mère était partie en emmenant sa fille ; elle avait laissé le fils au papa policier. Konrad le craignait et l’aimait à la fois, car l’adulte savait être complice – lorsqu’il n’avait pas bu. Il lui avait montré le soir de ses neuf ans un revolver de la Seconde guerre mondiale, un Lüger allemand à neuf balles de neuf millimètres, dont une dans le canon.

Or, voici du neuf : une vieille dame arrive au commissariat pour donner à la police une arme qu’elle a trouvée sur une étagère du garage de son mari qui vient de décéder. C’est un Lüger et Konrad est intrigué. Il a gardé des liens avec ses anciens collègues et la balistique confirme bientôt que le revolver est celui qui a tiré une balle mystérieuse, des années auparavant, tuant le jeune Gardar. Serait-ce l’arme que son père lui avait montrée ? Son père pourrait-il être le meurtrier ?

L’enquête reprend des éléments livrés dans les tomes précédents. Elle poursuit la piste des violences sexuelles, usuelles dans les années 50 à 80, notamment sur les jeunes adolescents des deux sexes. Ce genre de comportement était « normal », au sens où les gens s’en souciaient peu. Une fille de 12 ans avait ainsi été tuée et jetée dans le lac, après des viols répétés et alors qu’elle s’était retrouvée enceinte. Des garçons de l’internat disciplinaire étaient abusés régulièrement par le directeur, surnommé Sucette, et les clients auxquels il les livraient pour de petits travaux de jardinage ou de lavage de voiture. Ainsi Tobbie, joli garçon, que le désespoir avait fait se suicider à 15 ans. Gardar était son frère ; il a été tué deux ans après. Tout cela a-t-il à voir avec son père ?

L’immonde Gustaf, médecin violeur, a été mis en prison, mais il se joue encore de Konrad en faisant tabasser sa sœur Elisabeth dite Beta, pas bien futée mais dont il a appris qu’elle a été abusée par son père, cause de la séparation du couple. Konrad n’est pas un héros policier, mais un homme qui a ses faiblesses. Il s’est laissé un temps corrompre par son collègue Leo, qui trafiquait avec les soldats de la base américaine ; il a délaissé son fils Hugo, qui ne lui parle plus guère ; il ne peut avoir une relation suivie avec sa maîtresse du moment. Il est et reste obsédé par lui-même, par sa propre histoire, par l’énigme de son père et de sa fin tragique.

Il vaut mieux se souvenir des volumes précédents pour lire ce livre sans se perdre. Les chapitres sont courts, sautent du coq à l’âne et bousculent les époques. Ils désorientent comme le personnage est désorienté, ce pourquoi ce polar se lit malgré tout assez bien, si l’on sait s’accrocher. Tout prend sens peu à peu, un réseau pédocriminel, organisé par des homosexuels réprimés durement par la loi et la réprobation publique jusque dans les années 80. L’idée sous-jacente est que la prohibition n’est jamais bonne, elle force à transgresser et forcément dans l’excès. La libération des mœurs aurait plutôt sauvé les mineurs des abus sexuels, en permettant aux adultes de même sexe d’avoir des relations officielles entre eux. Rejetés, les parias sont dangereux et « gardent le silence » – signification du titre islandais.

Un roman complexe et finalement attachant.

Arnaldur Indridason, Les parias, 2022, Points policier 2025, 357 pages, €8,95, e-book Kindle €5,99

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Les romans policiers islandais d’Arnaldur Indridason déjà chroniqués sur ce blog

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Patrice Montagu-Williams, Le royaume sans frontière

Martin Decoud, présumé fils de pute et d’un commando français en Indochine, a été élevé sur la Butte. Après Science Po et Langues O, il est devenu contractuel pour la DGSE et est envoyé à Bangkok en 1996. Sa mission, s’il l’accepte ? Négocier la libération d’otages pris par les Khmers rouges. Mais la corruption du gouvernent cambodgien fait capoter l’opération et les otages sont tués dans un bombardement de l’armée.

Avant de rentrer, pause virile en assistant à un combat de boxe, puis pause féminine en allant au bordel. La Thaïlande est réputée pour la qualité de ses filles, certaines (à cette époque) très jeunes. « Elle avait commencé à treize ans à travailler dans un Ab Ob Nuat, un « bain et massage ». Elle devait frotter son corps nu contre celui du client, ce qu’on appelait le B2B, le body-to-body, et lui proposer des services complémentaires » (…) jusqu’au « happy ending, la finition heureuse. » Les termes anglo-saxons tirés du management font très chic pour évoquer ce métier comme un autre. Aucun scrupule moral : chacun sa vérité, l‘Occident n’a pas à imposer ses valeurs. « Toute petite, on m’avait appris que la polygamie était une valeur bouddhique à opposer à la monogamie, une valeur chrétienne et occidentale ».

Nouvelle mission immédiate : aller sauver depuis la Thaïlande le groupe pétrolier Total, accusé de soutenir le régime répressif birman. On voyage beaucoup dans les services. Condamner le quatrième groupe pétrolier mondial permet d’agréger contre le régime birman les ONG et les altermondialistes, donc de faire du buzz : une manipulation pure et simple. De la part de qui ? De la Chine ? De la Russie ? Des États-Unis ? Tous pays pétroliers qui auraient intérêt à descendre un concurrent.

Il est aidé de Winnie, une Thaï d’origine chinoise qui travaille pour les services secrets, le SBB. Ils prennent du plaisir, car ils en ont le désir. Pas d’obéissance à un code moral venu d‘ailleurs, en Thaïlande, « le Bouddha, lui, ne nous dit jamais ce qu’il faut faire ou ne pas faire », et c’est ce qui est sympathique en Orient. Martin apprend ce qu’il doit et en informe le groupe Total, lequel se propose pour redorer son image de financer une ONG qui sauve les Karens, un peuple à cheval sur plusieurs pays.

Martin fait la connaissance d’Isabel, Chilienne parlant français, qui l’invite dans son camp à la frontière. Ils font l’amour – on fait beaucoup l’amour dans les services, surtout lorsque l’on n’a que 30 ans. Isabel ne peut plus avoir d’enfant, le lecteur saura pourquoi. Elle décide d’adopter « une ravissante petite fille aux yeux bridés et à la peau mate » : Nina. C’est une Karen qui parle le thaï, et elle doit avoir dans les 3 ans. « Ces salauds de Birmans ont violé sa sœur devant elle avant de l’égorger et ses parents ont été abattus alors qu’ils tentaient de traverser la rivière Moei pour rejoindre Mae Sot. Elle a été sauvée par un Américain, David, un ancien Marine devenu missionnaire évangélique. » On est souvent confronté à l’horreur humaine, dans les services.

Martin a fini sa mission. Il apprend que des terroristes ont attaqué le camp, des commandos de la quatrième division d’infanterie de l’armée, ou des rebelles, c’est assez confus. Tout le monde est tué, Isabel égorgée. Winnie aide Martin à adopter la petite Nina et à la ramener en France. Il se fait muter dans un service administratif pour s’occuper de sa fille. Il lui lit Babar, un Trompe version sympathique comme Ganesh. Et puis, adulte, voilà Nina traumatisée par un viol ignoble dans une loge de l’opéra Garnier par un Russe brutal à la Poutine, ancien des spetsnaz. Elle s’est blessée grièvement en glissant dans le grand escalier et est restée handicapée. « Votre rôle de père consistera juste à lui tenir la main : c’est elle qui se reconstruira toute seule », dit le psy à Martin, désormais 55 ans.

Mais Martin ne veut pas en rester là. La justice ne fera rien, sur ordre de la diplomatie, qui ne veut pas envenimer les choses avec un pays aussi redoutable par ses cyberattaques que la Russie de Poutine. Mais on a la mémoire longue, dans les services. Martin agira donc lui-même, aidé de Kurtz, son compagnon d’arme en Thaïlande, du temps de son service action. Et il découvre qu’il n’est finalement pas un fils de pute… On a de l’humour, dans les services.

De l’exotisme, de l’aventure, de l’action, de l’amour. C’est le journaliste suisse bien connu Richard Werly, conseiller de la rédaction du site francophone Gavroche basé à Bangkok, qui a commandé ce feuilleton devenu roman, dit l’auteur, petit-fils de deux agents des services secrets britanniques (MI6) et diplômé de l’ESC Paris.

DVD Patrice Montagu-Williams, Le royaume sans frontière – Le secret du Vieux, 2025, édition Liber Mirabilis, 214 pages, €20,00, e-book Kindle €5,95

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Pierre Rey, Palm Beach

Comment, en cinq jours seulement, passer de l’état de sous-chef de service contentieux brutalement licencié sans motif, à celui de PDG de la boite. C’est un thriller – français – ; il fait rêver. Bien construit, passionnant, il prouve combien l’argent appelle l’argent, et combien la jeunesse reste l’atout maître d’une carrière.

Alan Pope a 30 ans. Il a été marié mais cela n’a pas duré. Il est en couple épisodique avec Marina, une fille « libérée » (nous sommes à la fin des années 70), qui se pavane nue et fait des pompes en gants de chevreau noir et chapeau de paille. Elle habite chez qui veut la baiser et aime bien Alan, gentil garçon un peu inhibé. Alan travaille à la Hackett Chemical Company, une société pharmaceutique fondée et dirigée d’une main sans pitié par Arnold Hackett, vieux bougon cardiaque flanqué d’une femelle usée et qui se console avec Poppie, une maîtresse qui le flatte. Une fois l’an, Hackett procède à « l’élagage » de dix pour cent de son personnel pour remotiver les troupes. Le redoutable chef du personnel Murray, espion de son maître et teneur de fichiers composés de rumeurs de cafétéria et de papiers reconstitués à partir des poubelles, est chargé de cette ingrate besogne.

C’est ainsi que, sans motif autre que de ne donner prise à aucun soupçon, Alan Pope, quatre ans de maison, est mis à la porte du jour au lendemain. Murray lui signifie son indemnité de licenciement selon son ancienneté, 11704 $ exactement. Ils seront virés directement sur son compte. Le jeune homme est catastrophé et s’en ouvre à son collègue et ami Bannister, chef du service contentieux plus âgé que lui, vingt-cinq ans de mariage et d’habitudes. Ils se soignent au whisky.

Lorsqu’Alan reçoit le relevé de sa banque, il n’en croit pas ses yeux : il est crédité de 1 170 400 $ ! Erreur de la Hackett ou erreur de la banque Burger ? Comme Bannister est viré peu après, sur un caprice Hackett, ils décident de se venger du patron qui considère ses salariés comme des kleenex. Pas question de signaler « l’erreur », il faut attendre de voir et, pendant se temps, jouir de la vie. De plus, se lancer dans les affaires n’est pas compliqué lorsqu’on dispose d’un capital de départ. C’est là la clé – et les Trompe qui se prennent pour des caïds du deal ne seraient que de pauvres cloches salariées s’ils n’avaient pas hérité de papa et côtoyé les relations qu’il fallait.

Bannister convainc Pope qu’il faut tenter le coup. Pour cela, se rendre dans un palace de la Côte d’Azur qui, bien mieux que la Floride à l’époque, rassemble les milliardaires en fausses vacances. Dont Arnold Hackett, parti avec son épouse, et le banquier Ham Burger, flanqué de sa femme dominatrice et de sa belle-fille Sarah. C’est au Majestic et au casino du Palm Beach de Cannes que se nouent les affaires. Bannister fait acheter à Alan des costumes convenables, louer une Rolls Corniche avec chauffeur à son arrivée, réserver une suite au septième ciel du Majestic, changer 500 000 $ en plaques du casino. Et voilà le jeune homme embarqué. Bien qu’il en ait, Bannister lui dit que l’argent peut tout : « N’ayant aucun souci matériel, les riches n’ont pas d’inquiétude métaphysique. Leur compte en banque leur permet de se sortir d’à peu près toutes les situations délicates. Les riches n’ont pas à élever la voix, on les écoute. Ils ne se pressent jamais, on les attend. S’ils sont stupides, on leur trouve de la profondeur. S’ils se taisent, du mystère. S’ils parlent, de l’esprit. Quand ils s’enrhument, les autres toussent et il leur suffit d’émettre calmement un avis pour être exaucés sur-le-champ et en tout lieu » p.88 Imparable.

Cannes est exotique au new-yorkais fraîchement débarqué. C’était l’époque que les puritains coincés abhorrent, les filles se promenant seins nus sur les plages, les baigneurs traversant la Croisette en slip pour aller boire un verre, les accouplements le soir dans la simplicité et la camaraderie. Les cinq jours qui vont passer seront plus longs que toute une vie. Pris dans un tourbillon de mondanités, de jeu, de gains, de pertes, de reprises, de baise torride avec des femmes mûres, d’escapade à Rome en jet pour dîner de spaghettis divins, d’amitiés apparente avec un prince arabe, de promesse de mariage par Sarah l’héritière de la banque Burger qui le veut… Alan est saoulé, il a peu dormi, il ne sait plus où il en est.

Aussi part-il seul au volant de la Rolls jusqu’à Juan-les-Pins, où il fait la connaissance de Terry, une fille de 22 ans qui poursuit de vagues études de psycho en vivant l’été à la hippie avec sa bande de jeunes bourgeois en rupture provisoire de société. « Une faune passionnante où le fait d’avoir 20 ans tenait lieu de passeport, où l’identité de vêtements était un visa pour une entraide sans condition. On se refilait les adresses pour dormir, en fumer une, manger pas cher. Certains, comme Hans, étaient étudiants ou lycéens en rupture de famille et, d’autres, des traîne-patins professionnels qu‘unissaient la flemme, le refus de la société, la négation des valeurs bourgeoises pourries, l’amour de la moto, la jouissance de dire non. Il y avait aussi les indéfinissables, qu’on avait fini par baptiser les autonomes, friands de la barre de fer, de l’arme blanche, casseurs sans adresse et sans identité qui provoquaient la bagarre pour le plaisir de faire peur à ceux qui les dédaignaient » p.287. Les paumés ex-68 sont ainsi assez bien analysés. Alan et Terry tombent amoureux. Ce pourquoi Alan refusera les avances insistantes de l’héritière Burger, au grand dam de Bannister qui le voit déjà riche à la tête de la banque, et lui embauché comme fondé de pouvoir.

Mais là où Bannister a raison, c’est que le milieu et l’apparence font tout : Alan a de l’argent (qui ne lui appartient pas), il en gagne en spéculant une demi-journée sur l’or, puis au casino. Il en gagnera encore plus lorsqu’on le connaîtra dans les dîners et qu’on lui proposera deux affaires qui le rendront millionnaire (en attendant plus). La première est celle de prête-nom pour une vente d’avions militaires entre la Suède et un pays non autorisé par les États-Unis ; la seconde carrément une OPA sur la Hackett de la part du banquier Burger qui tient les refinancements. Ce n’est pas légal, d’où la nécessité, là aussi, d’un intermédiaire.

Alan, qui a vu comment les requins des affaires étaient impitoyables entre eux, et qui n’oublie pas de se venger de son licenciement sans motif, en a marre de se laisser manipuler. Il s’affirme et joue sa propre partie. Après avoir dans un premier refusé, par réflexe moral, il deale avec Arnold Hackett en personne, qui l’a fait foutre dehors sans jamais le connaître. Sa société sera déclaré en faillite s’il ne cède pas les 60 % qu’il possède en propre, car la banque Burger n’honorera pas la paye de 40 millions de $ des salariés, pas plus qu’elle ne refinancera les 42 millions de $ d’emprunts s’il ne passe pas la main. Le vieux cède, il est coincé. Il signe une cession au nom d’Alan Pope. Lequel va voir le banquier Burger qui l’a engagé, mais le fait chanter à son tour : il lui rend le chèque de 500 millions de $ qu’il a signé à l’ordre d’Alan pour lancer l’OPA, mais garde les titres Hackett pour son compte, avec une commission de 5 millions de $ pour le banquier.

Lequel, sans fortune propre, surveillé par sa femme et méprisé par sa belle-fille Sarah, achète ainsi sa liberté. Quant au contrat d’armes, il est honoré, mais l’intermédiaire américain qui a manipulé Alan Pope est assassiné par ceux-là mêmes qu’il avait chargé de liquider Alan pour préserver le secret des affaires, lorsqu’il avait dans un premier temps refusé. Il est tué parce qu’il n’a pas voulu payer aux sbires corses les émoluments prévus lorsqu’ils ont échoué.

Alan Pope rembourse les dollars indûment crédités à son compte, se retrouve riche, amoureux et PDG, nommant son ami Directeur général, retrouvant Terry miraculeusement à New York alors qu’elle avait disparu lorsqu’il avait dû s’absenter – et que tous s’étaient ingéniés à déchirer leurs messages de l’un à l’autre par jalousie.

Pierre Rey, Palm Beach, 1979, Livre de poche 1980, 447 pages, occasion €2,21

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Martha Grimes, Ce que savait le chat

Des chats et des pompes, voilà les accessoires du roman. Une jeune femme trop bien habillée est retrouvée tuée derrière un pub où vivent deux chats, dont l’un n’est pas le bon. Celui qui a vu le meurtrier a disparu. Le superintendant Jury, commissaire en français, est chargé de l’enquête par Scotland Yard, on ne sait trop pourquoi. Peut-être parce que deux riches excentriques donnaient une fête ce soir-là à deux pas et qu’il convient de marcher sur des œufs ?

Jury va au pub, à la terrasse arrière duquel a eu lieu du crime, une fois la nuit tombée. Il apprend d’une Dora de 7 ans, toute dépenaillée comme chez Dickens, que le chat noir qui donne son nom au pub (d’où le titre anglais du roman) a été substitué. Morris n’est plus là et un autre a pris sa place. Comme il est détective, et de la police, il doit le retrouver bien vite. Mais il n’existe pas qu’un chat de Chesham, même noir. L’enquête va le mener vers Harry, escroc méphistophélique accusé d’un meurtre de femme que Jury n’a jamais pu prouver, et de la séquestration de deux enfants dans sa propre maison, qu’un chien a retrouvés sans que Harry puisse être impliqué. Harry est riche et adore déguster le vieux vin français dans un pub spécialisé. C’est une niche à Jury qui explique le va-et-vient des chats noirs. Le chien Mungo, qui parle chat comme vous et moi, opère les intermèdes qui, avouons-le, ont peu à voir avec l’enquête pour meurtre mais donnent une satire désopilante des comportements humains.

Il y aura deux autres meurtres, toujours sur le même genre de personne, des jeunes femmes trop bien habillées qui se révéleront être toutes des escortes, et toujours tuées de deux balles dans la poitrine, la première pour faire mal, la seconde au cœur. Mais pas toujours avec la même arme. Attention, escorte n’est pas pute, bien qu’on puisse penser le contraire. Le client, en général chic et riche, paye, mais pour avoir de la compagnie dans une soirée, pas toujours pour finir au lit. Encore que ce ne soit pas exclu. C’est le métier qui veut ça. Du bon argent vite gagné pour aider une vieille marraine ou épargner pour la retraite. Sans parler des robes habillées, des bijoux, des chaussures, cadeaux des clients.

Les filles tuées ont toujours une profession officielle dans la société, comme bibliothécaire ou secrétaire. Elles sont alors insignifiantes, habillée gris, gagne-petit, passe-partout. Ce n’est que le week-end qu’elles se métamorphosent. Tous les cadavres portent des chaussures invraisemblables, des créations de grands chausseurs pour femme, Jimmy Choo, Louboutin, Manolo Blahnik. L’épouse handicapée d’un inspecteur en a même toute une collection de luxe que la fortune de sa famille lui a permis d’acquérir, sans jamais pouvoir les porter. Elle s’est fait renverser par une voiture sur un passage piéton, croyant bêtement que les automobilistes étaient obligés par le Code de s’arrêter. Certes, c’est la loi, mais un piéton ne fait pas le poids. Mieux vaut penser que la loi du plus fort reste meilleure que la loi votée pour éviter ce genre d’ennui.

Les meurtres semblent ceux d’un tueur en série, mais pourquoi être allé à Chesham alors que les autres ont eu lieu à Londres ? Mystère – s’il n’y avait le chat enlevé. Harry, ni vu ni connu, serait-il impliqué ? Jury ne rêve que de lui mettre le grappin dessus, mais le sire est habile. Et son chien Mungo fait des siennes. Quel est le lien commun entre toutes ces filles, si ce n’est leur profession bis ? Se connaissaient-elles ? Avaient-elles les mêmes clients ?

Le lecteur retrouvera avec plaisir le commissaire Jury, son sergent Wiggings, son supérieur Racer, Phyllis la légiste et Carol-Anne la voisine, l’ami Melrose Plant, ex-lord Ardry, et ses animaux dans le parc du château, le cheval Chagriné, le bouc Chaviré, le chien Chahut. Ce dernier, un berger de montagne trouvé par Jury déshydraté et affamé sur un pas de porte, soigné par un vétérinaire, a été laissé par Jury comme par hasard sur la propriété de Melrose, pour qu’il soit adopté. Bien qu’il ait déjà un nom sur son collier Joey, l’ex-lord Ardry a tenu à le rebaptiser pour qu’il commence lui aussi par ch…

Martha Grimes, Ce que savait le chat (The Black Cat) – Une enquête de Richard Jury, 2010, Pocket 2012, 478 pages, €9,00

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Les romans policiers de Martha Grimes déjà chroniqués sur ce blog

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Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent

L’un des premiers rom-pol de Vargas, avant son étrange commissaire Danglard et ses manies. Oh, les personnages de ce roman-ci ont aussi des manies. Notamment de se prendre chacun pour des empereurs romains : Néron, Tibère, Claude. Ce sont trois amis en fin de vingtaine, l’âge que l’auteur a connu durant ses années étudiantes prolongées (l’histoire de l’art et l’archéologie offrant très de peu de postes). Ils sont liés étroitement. « Il y avait une telle connivence entre eux, une affection si définitive qu’ils pouvaient tout se permettre » chap. 18. Néron s’exhibe souvent torse nu, s’oignant d’huile ou se bronzant devant les filles, faisant admirer son corps. L’histoire ne dit pas s’il avait la beauté de l’empereur. Le second est le plus intelligent, modérateur des deux autres, protecteur du dernier, un fils rabaissé par son père.

Tous trois sont à Rome, Claude à la Villa Médicis sur piston de son paternel, éditeur réputé de livres d’art à Paris (comme quoi il n’est pas si nul), ses amis sur une seule bourse universitaire pour y explorer la Bibliothèque vaticane. Justement, un crobard attribué à Michel-Ange a surgi dans une vente et l’éditeur d’art Valhubert soupçonne un vol au Vatican. De quoi se rendre sur place toutes affaires cessantes, lui qui ne met jamais les pieds à Rome en été à cause de la chaleur étouffante. Viendrait-il pour autre chose ? Notamment pour sa femme Laura, qui vient tous les mois dans la capitale italienne on ne sait pourquoi ? Laura est séduisante, elle en impose même aux garçons, amis de son fils, mais aussi à l’enquêteur italien Ruggieri. Flirte-t-elle avec la morale ? Avec la loi ?

Laura a été élevée avec Lorenzo dans une banlieue sordide, et Lorenzo, saisi tôt par la foi, est devenu évêque. Il s’occupe de Claude, le fils que Laura a eu avec Valhuret, donc de ses deux amis par la même occasion. L’évêque s’occupe aussi de Gabriella sa filleule, qu’il a quasiment élevée. Elle a à peu près l’âge des garçons. Toute cette jeune bande se passerait bien de la venue du paternel et Claude décide, au lieu d’aller accueillir son père à la gare, d’aller à une fête « décadente » dans Rome. Nous sommes au début des années 90 et l’humeur est encore aux fêtes alcoolisées, dénudées et sexualisées post-68.

Las ! Le père se fait assassiner… par un verre de ciguë. Qui l’a fait ? Les coupables potentiels ne manquent pas, à commence par la bande – mais aussi par les possibles voleurs des dessins du Vatican. Sauf que Valhuret est le frère d’un ministre français, qui s’empresse de faire jouer ses relations pour étouffer l’affaire. Que jamais son nom ne soit prononcé, même celui de Claude, son neveu. Il mandate pour cela un ancien flic devenu juriste, Richard Valence, pour enquêter avec la police italienne et s’efforcer d’éviter tout scandale.

Valence ne voulait pas de cette enquête, on lui a forcé la main. Il veut exposer la vérité, quelle qu’elle soit, et tant pis pour le ministre. Mais ce n’est pas si simple. Les garçons n’ont pas d’alibi, ils se trouvaient sur la place parmi la foule. Laura était en France, dans sa maison de campagne, témoigne sa gouvernante ; Gabriella chez des amis. Pire, un second crime a été commis, cette fois sur la personne de la bibliothécaire, depuis trente ans à la Vaticane ; elle a été égorgée le soir en pleine rue. Son appartement a été fouillé, pour rechercher on ne sait quoi.

Les enquêteurs italiens et le mandataire français ont deux hypothèses : le crime familial ou le crime pour masquer le vol. Mais rien ne colle. Peu à peu, des révélations vont avoir lieu. Il s’avère que tous étaient au courant de secrets, mais qu’ils n’en ont soufflé mot. Entre amis, entre parents, on se serre les coudes. Surtout lorsqu’on se rêve en empereur romain – personnage oblige.

C’est original, un brin potache, le lecteur est désorienté à souhait. Avec une fin inattendue, comme de bien entendu.

Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent, 1994, J’ai lu2005, 192 pages, €7,50, e-book Kindle €7,49

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Agatha Christie, Poirot joue le jeu

Poirot le détective dicte tranquillement du courrier chez lui, méthodique et méticuleux comme toujours, lorsqu’il est dérangé par un appel téléphonique. C’est Ariadne Oliver, ine romancière fantasque à l’imagination débridée qui le sollicite. Elle imagine toujours d’invraisemblables scénarios de crimes, mais elle a de l’intuition.

Ce qu’elle dit ? Elle a été conviée dans une grande propriété du Devon sur la rivière Dart à organiser une course à l’assassin pour attirer du monde chez sir George Stubb, nouveau riche qui a racheté le domaine à la veuve Folliat. Elle a vu son mari et ses deux fils tués à la guerre, et les droits de succession en cascade l’ont obligée à vendre. Sir George a eu le bon goût d’épouser la filleule de Mme Folliat, une Hattie créole un peu demeurée mais très jolie.

En quoi cela concerne-t-il Monsieur Poirot ? C’est que la Oliver soupçonne un malheur prochain. Elle ne sait quoi, mais du grave. Le détective pourrait l’aider à prévenir l’événement ou, du moins, à résoudre l’énigme s’il survenait. Voilà sa curiosité piquée et, trente minutes plus tard, Hercule Poirot saute dans un train à Londres pour le Devon. Il sera présenté comme la célébrité qui remet le prix au gagnant dans ce jeu du crime.

Une fois sur place, il s’imprègne de l’atmosphère, hume l’ambiance, observe la faune haute en couleur du lieu. Il y a le gentil sir George Stubbs et son épouse Hattie avec une case en moins, préoccupée surtout de paraître et de parader en robe de grand couturier, tous ses diamants et émeraudes dehors. Il y a la veuve Folliat, l’ancienne propriétaire, qui n’occupe désormais plus que le logement du gardien, pour lequel elle paye un loyer. Et puis la secrétaire de sir George, véritable gouvernante de la maison, Mrs Brownster. Gravitent autour d’eux un architecte intello-citadin qui doit construire un nouveau pavillon, un couple urbain qui loue un cottage sur le domaine, le député Masterton et sa femme qui porte la culotte. Sans parler des jeunes de l’auberge de jeunesse, qui se trompent tous les jours en traversant la propriété au prétexte de prendre le bac sur la rivière. Lequel est tenu par le vieux Mervel, trop âgé pour avoir toute sa tête. Poirot rencontre notamment deux jeunes filles en short et sac à dos dont il n’aime pas le spectacle des fesses serrées dans leur toile. Il croise aussi à plusieurs reprises un très jeune homme à chemise ornée bizarrement de tortues. Sans compter Marlène, 14 ans, curieuse du sexe, éclaireuse choisie pour jouer le cadavre dans le hangar à bateaux pour le jeu de Madame Oliver.

J’ai vu de mes yeux le fameux hangar à bateau à Greenway House, la propriété de vacances d’Agatha Christie dans le Devon, qui a servi de modèle au roman. Il est éloigné de tout, au bord de la rivière, caché par les arbres et la végétation. On peut assassiner là sans crainte de se faire voir (nous ne l’avons pas fait).

La kermesse attire du monde, tout va bien, il fait beau, les gens s’amusent. C’est vers la page 100 que se produit le premier crime. Sans mobile apparent. La police enquête, interroge, recoupe, elle n’y voit rien. Hercule Poirot suit son bonhomme de chemin par des voies détournées, mais n’aboutit à rien. Ce crime est un puzzle dont il ne saisit pas l’assemblage.

Surtout que Lady Stubbs a disparu. Un lointain cousin venu des îles sur son yacht lui a écrit pour la rencontrer. Elle dit qu’elle ne l’aime pas, qu’il est malfaisant, et fait tout pour l’éviter. On ne la retrouvera pas. Mais on retrouvera le vieux Mervel, plus de 90 ans, noyé. Après avoir trop bu ? C’est ce que tout le monde dit.

Alors : qu’il l’a fait ? Et pourquoi ? C’est un peu compliqué et les petites cellules grises auront quelques mal. Mais vous saurez tout dans l’ultime chapitre, les dernières pages, et ce sera inattendu.

Agatha Christie, Poirot joue le jeu (Dead Man’s Folly), 1956, Editions du Masque 2025 (nouvelle traduction révisée), 285 pages, €7,40, e-book Kindle €6,99
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Boileau-Narcejac, Le serment d’Arsène Lupin

Dernier roman policier de la série Arsène Lupin, détective de Maurice Leblanc (1864-1941), repris par les auteurs. Dans 813, Leblanc fait mourir Arsène en 1910, mais le ressuscite un peu plus tard. Son gentleman cambrioleur, expert en déguisements, agit dans la France de la Belle Époque et des Années folles. Nous sommes chez Boileau-Narcejac avant la Grande guerre, sous la IIIe République. Déjà les politiciens craignent d’être renversés par les scandales et la politique se résume aux polémiques parlementaires.

D’où leur effroi lorsque l’on retrouve le député Aubertet, chef de l’opposition nationale-radicale, assassiné par balles dans l’ascenseur de son immeuble un matin. Mais qu’allait-il faire chez lui en pleine matinée ? Le chef de la Sûreté Lenormand – qui n’est autre qu’Arsène Lupin reconverti et déguisé en vieux – est chargé de l’enquête. Celle-ci s’avère difficile.

Pas moins de quatre autres meurtres interviendront avant le dénouement. Le détective engagé par Aubertet qui avait constitué des dossiers, la secrétaire du député qui connaissait des secrets, un maître chanteur qui finit empoisonné, et un vieux comte à la fortune établie. Évidemment, tout est lié – mais comment ?

Lenormand se transforme en Lupin lorsqu’il le faut, pour aller droit au but en contournant la loi pour la bonne cause, ou en baron Raoul de Limésy, sémillant clubman qui joue dans les cercles chics, lorsqu’il s’agit de sauver et séduire une belle femme.

C’est que l’assassin du député a été arrêté ! Il s’agirait du présumé coupable Olivier Vaucelle, beau jeune homme blond et vigoureux de 20 ans qui courtisait la femme du député, ce dont elle était flattée. N’allait-il pas prendre le train pour Lausanne le lendemain du meurtre ? Sa mère, Hélène, est effondrée. Il n’est pas coupable, ce n’est pas possible. Lenormand-Limésy-Lupin va tout faire pour innocenter l’éphèbe et rassurer sa mère. Mais alors, qui l’a fait ?

Bien mené, dans une langue simple et des actions directes, avec rebondissements. Un bon roman policier à la française, classique.

Pierre Boileau & Thomas Narcejac, Le serment d’Arsène Lupin, 1979,Editions Le masque 2014, 180 pages, €6,60, e-book Kindle, €6,49

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Martha Grimes, Le collier miraculeux

Un collier qui est un pub dans l’East End londonien et un qui est volé à une soixantaine de kilomètres de Londres, dans un village à la mode. S’il est « anodin » en anglais, il se transmute en « miraculeux » en français – mystère du traducteur. De fait, il est d’émeraude de fine eau, presque bleue, gravée en Égypte. Mais ce n’est pas ce qui importe. Malédiction de l’argent ou pas, il a tué, par deux fois, deux jeunes filles. Une fois à Londres dans le métro, une autre fois à une soixantaine de kilomètres, dans le village. Un chien a retrouvé un doigt, qu’une vieille fille a pris pour un os, avant de hurler et de prévenir « la police ». Qui n’est, dans ce petit village de Littlebourne, que municipale en la personne d’un agent unique, Peter Gere.

Le divisionnaire du Yard Racer arrache le commissaire Jury à son projet de week-end à la campagne, dans la propriété de son ami le douzième comte Ardry, lequel a renoncé à ses titres pour se faire appeler simplement Melrose Plant. Scotland Yard se doit d’enquêter sur ce meurtre sanglant d’une jeune fille, ce cadavre aux doigts coupés à la hache dans la forêt marécageuse où ne vont que les ornithologues fanatiques. L’enquête sera longue et hachée entre Londres et Littlebourne, et suffisamment tordue pour que le lecteur soit content, mais seulement à la fin.

Le sel de ce roman policier est ailleurs. Il réside dans la caricature des bons Anglais vus par une Américaine de l’Ohio, docteur ès lettres. Tout le village y passe – tout le monde se connait, à commencer par l’irascible et insupportable famille de sir Miles Bodenheim, qui se prend pour un Trump de village, imposant ses vues, parlant haut et fort, injuriant tout le monde, à commencer par les fonctionnaires de la poste ou de la police, à se demander pourquoi on les paye. Seule Emily Louise Perk échappe à leur snobisme et à leur mépris, parce qu’elle a 10 ans, pas les yeux dans sa poche ni sa langue, et qu’elle soigne admirablement les chevaux et poneys de ces aristos. Il y a aussi les sœurs Craigie, la forte en gueule qui aime les oiseaux et traque à la jumelle dans la forêt tous les matins la marouette ponctuée, et l’effacée au museau de mulot qui joue les diseuses de bonne aventure lors de la fête du village. Miss Pettigrew tient un salon de thé où l’on cause, la place du village n’étant qu’un estomac de la Grand-Rue, spécialiste des muffins à la carotte ou aux aubergines (!). Polly Praed au regard violet, est autrice de romans policiers d’une banalité déconcertante, mais forte en imagination pour tuer de multiples façons littéraires les quatre Bodenheim.

Chacun a reçu sa lettre anonyme, écrite au crayon de couleur, chaque missive d’une couleur différente, les accusant de diverses incongruités. Est-ce le fait du tueur ? Ou de la tueuse ? Mais à qui profite le crime ? Il se trouve que le secrétaire de lord Kennington a disparu il y a quelques mois avec un collier d’émeraude de grande valeur ; il l’a sans doute volé, après avoir fait main basse sur plusieurs autres bijoux du collectionneur invétéré qui croyait les avoir égarés. Mais où est-il ? Nul ne sait rien, ni du voleur, ni du bijou. Ils se sont comme volatilisés.

Sauf que des indices concordant relient Londres et Littlebourne, et que Jury va enquêter aux deux endroits. Les filles tuées se connaissaient, l’assassinée du bois, pressentie nouvelle secrétaire de la veuve Kennington, vivait à deux pas de la station de métro où la fille de 16 ans a été frappée à mort alors qu’elle jouait du violon pour se payer un jean de marque. Le commissaire va faire la connaissance de la famille Cripps, sortie tout droit de Dickens, avec la mère éléphantesque, pondant un gosse tous les ans et en ayant déjà six, braillards et dépenaillés, jouant sans culotte dans la rue, et le père exhibitionniste que le fils aîné – dans les 8 ans – commence à imiter. Il fera la connaissance au pub Le collier miraculeux d’un maître-sorcier, expert en jeu de rôles, dont une carte dessinée pourrait donner la clé de l’énigme.

En bref, du plaisir ironique, une enquête qui erre un peu mais trouve sa cohérence, un bonheur de lecture. Rappelons, pour la bonne rigueur, que l’ironie est le fait de se mettre à distance pour critiquer les contradictions humaines, tandis que l’humour est un tempérament qui englobe ces contradictions dans une humanité commune. Ce roman policier n’est pas anglais, mais émricain ; il manie l’ironie, pas l’humour.

Martha Grimes, Le collier miraculeux (The Anodyne Necklace), 1983, Pocket policier 2005, 352 pages, occasion €1,82, e-book Kindle

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Patricia Cornwell, Traînée de poudre

Un pavé policier scientifique comme l’autrice en a le secret. Un bon tiers en trop de dialogues au début, dans le stress et la grippe, qui sont plutôt ennuyeux, peut-être « écrits » au dictaphone. Des détails techniques maniaques sur le sang et les traces, qui sont plutôt vomitifs mais qui plaisent à nombre de lecteurs, et enfin une intrigue – tordue comme à son habitude.

C’est que la Cornwell, en bonne américaine fille de prêcheur, divorcée et dépressive, s’est aperçue au fond qu’elle est lesbienne ; elle a affublé de cet écart à la norme la nièce Lucy. De même, devenue paranoïaque dans la vraie vie, sa maison de Richmond ressemble à celle de son personnage, le docteur Kay Scarpetta, un camp retranché muni de diverses armes et alarmes. Patricia Cornwell est devenue riche, a eu beaucoup de succès dans les années 1990, mais le 11-Septembre 2001 la détraquée – comme la plupart des Américains. Cornwell (Daniels sur ses papiers) voit depuis la vie en noir, les étrangers comme des ennemis, les mâles comme des dangers publics, et les désaxés que produit son pays à la chaîne comme des « dysfonctionnements » humains. Quoi d’étonnant à ce qu’elle invente la pire sorte de psychopathes qu’on puisse imaginer ?

Elle prend celui du roman à 13 ans lorsqu’il regarde la mère d’un ami de collège se couler nue dans sa baignoire, après avoir eu des relations incestueuses avec son fils de 15 ans depuis ses 6 ans. Pas de quoi rendre un gamin normal. Mais ce n’est pas le fils, le psychopathe ; c’est son ami de 13 ans prénommé Daniel, qui restera petit et musclé toute sa vie, adorant jouer avec les jeunes femmes jusqu’à les voir mortes. Et reconstituer ainsi la scène primitive de ses fantasmes, celle de la mère dans sa baignoire. Il l’a tuée en la noyant.

Nul ne sait qui est le père de Daniel (on saura à la fin), et sa mère n’a plus de liens avec lui depuis ses 21 ans perturbés. Il est dans la nature et c’est peut-être lui le « Meurtrier Capital » que traque le FBI et Benton, le mari profileur de Scarpetta. Sauf que Benton est progressivement mis sur la touche par son supérieur, Ed Granby, qui semble entretenir une relation trouble avec le fonds d’investissement Double S, dirigé par Dominic Lombardi. Lequel escroque largement ses victimes, dont la dernière trouvée morte, Gail Shipton. Tout comme le fonds d’investissement Anchin a escroqué de plusieurs millions de dollars à l’autrice, si l’on en croit les informations. Shipton vient d’être découverte à 4 h du matin sur un terrain du MIT, ficelée dans un linceul, probablement asphyxiée, avec une mystérieuse poudre colorée répandue sur son corps. Cette Shipton était en relations avec Double S pour un litige de 100 millions de $ et venait de tenter d’escroquer la nièce Lucy, experte en informatique et développement technologique. Laquelle a aspiré tout le contenu de son téléphone avant que la police ne mette la main dessus.

Scarpetta est chef de l’institut médico-légal du Massachusetts et se charge des investigations scientifiques, tandis que le sergent Marino se charge de l’enquête de police. Le meurtre de Gail ressemble tant à trois autres meurtres récents, instruits par le FBI, que Benton s’en mêle, malgré son chef qui le voit d’un mauvais œil. Ses hypothèses fondées sur des observations, et ses théories constituées à partir de cas similaires, ne sont pas prises en considération. Il faudra de solides preuves matérielles, prélèvements, mails, appels téléphoniques, manipulations, pour que la vérité éclate enfin.

L’ADN, « reine des preuves », ne suffit pas, surtout si la banque de données du pays a été falsifiée… Mais qui a intérêt à camoufler un criminel sous l’identité d’un décédé ? Qui veut qu’il tue encore, sur ordre ? Et pour quels intérêts puissants ? La politique ? Les affaires ? Le délire de puissance ? Le meurtrier ressemble à un adolescent, fin et souple. Sportif et excité sexuellement, il court en survêtement moulant Lycra comme s’il était nu, malgré le froid de l’hiver, et est chaussé de « gants de pied » qui épousent le terrain. La police n’a rien vu, mais Benton en retrouve des traces. Kay croit l’avoir aperçu qui la regardait lorsqu’elle venait de sortir son vieux lévrier, avant de se rendre au MIT dans le SUV de Marino qui venait la prendre.

Ce thriller de police scientifique ne laisse pas un souvenir marquant. Il se lit, dans la lignée des Scarpetta tous un peu dans le même schéma : l’esseulement, les malades psychiques, les délires sexuels, le goût de faire le mal, les complots, la méfiance viscérale envers les institutions. En bref, la misère de l’Amérique, qui se croit encore le phare du monde. La première présidence de Tromp était en germe lors de l’écriture du roman, et nul ne doute que Cornwell vote républicain. Les ratés des Etats-Unis, décrits par elle avec dégoût, et auxquels elle n’oppose toujours qu’encore plus de technologie, devaient appeler un mâle fort et surpuissant – un fantasme de Sauveur. C’est cela qui est intéressant dans la lecture de ces romans populaires : voir comment évolue la mentalité du grand pays à peine encore démocratique, qui ne fait que dériver, depuis deux décennies, vers un néo-fascisme impérial et technologique.

Patricia Cornwell, Traînée de poudre (Dust), 2013, Livre de poche 2015, 618 pages, €9,90, e-book Kindle €8,49

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Laird Koenig, Labyrinth Hotel

Laird Koenig, décédé en 2023 à 95 ans, était un maître du thriller à l’américaine, au temps où les séries télé n’avaient pas dévasté la profession. Le thriller, à sa grande époque, était « écrit » ; il était découpé en séquences comme au cinéma ; il maintenait le suspense comme dans les romans policiers. Surtout, il faisait la part belle à la psychologie, au caractère des personnages. Le décor n’était qu’un prétexte pour mettre en avant les sentiments, les grandes questions humaines. L’auteur a fait des études de lettre et de psychologie, pas de cinéma ni de marketing. Les fraîchement retraités s’en souviennent, il a été coscénariste de Flipper le dauphin, série ado animale de 1964 à 1967.

Dans cet opus, nous sommes à New York en 1980. La ville est une Babylone soupçonnée de tous les péchés, la ville satanique par excellence où, en particulier à la fin des années 70, toute la faune marginale et désaxée se retrouve pour des crimes sans nom. Crise économique, irruption du Sida, prostitution, enlèvements, pauvreté. La police est débordée, corrompue, fonctionnaire. Elle touche, elle ramasse, elle ne fout rien. La ville se désagrège, la drogue fait des ravages et la violence est permanente. Comme le dit une journaliste dans le roman, une jeune femme seule le soir sur un trottoir a de grandes chances de se faire voler, violer, trucider – dans cet ordre.

Susannah Bartok, tout fraîchement débarquée de sa Californie, où elle a couvé un beau bébé blond aux yeux bleus de désormais 2 ans, l’apprend à ses dépens : tout peut arriver. Par exemple, son gamin vaut 100 000 $ sur le marché de l’adoption illégale. Elle a quitté le doux soleil californien qui a doré son bébé à cause de Scott, le géniteur qui l’a quittée pour une plus jeune. C’était l’époque décérébrée du Californien-type, trop magnifiée par ceux qui pensaient y voir la liberté : aucune lecture, baise à tout va, surf, et drogue en stimulant. Susannah a pris son enfant et des vêtements légers pour s’envoler voir son père, dans le nord-est des États-Unis. Elle n’avait pas prévu le retard d’avion, le froid polaire, la grande ville anonyme et dangereuse. C’est qu’une femme agit par impulsion, sans réflexion : nombreux sont les romans policiers américains à mettre ce genre de comportement en évidence, bon ressort d’intrigue. Les personnages doivent ressembler à leurs lectrices.

Au lieu de rester à son hôtel, voilà la gourde qui, en pleine soirée de fin décembre, à déjà 22 h, cherche à « aller faire des courses ». Elle emmène le petit dans les rues passantes où les passants passent indifférents. Sauf ceux qui vous zieutent, soupèsent votre bon poids en fric – et passent à l’action. Un tour de bonneteau, une giclée de macis ou d’ammoniaque dans les yeux, et hop ! Le bébé est subtilisé à la main de sa mère, qui ne voit plus rien et se débat comme une poule affolée. La foule s’en fout.

Un bébé flic vaguement noir s’émeut de sa détresse, mais n’a pas été « formé » pour y répondre ; il contacte son supérieur, qui embarque l’agitée dans le fourgon. Car Susannah se démène, veut rester sur place, chercher en tous sens, surtout ne pas quitter l’endroit, vite, vite, courir ici ou là. Hystérie sans effet. Elle est emmenée au poste, où un inspecteur lui assène des paroles lénifiantes, sans faire grand-chose que « signaler » la disparition et envoyer la photo du petit blond à tous les postes du quartier. Et de remplir un interminable questionnaire bureaucratique au lieu d’agir. La mère, amputée de son enfant, en devient folle.

Heureusement, Victoria, une journaliste underground, passait par là en quête de scoop. Elle la prend sous son aile. Solidarité de femme, peut-être désir de gouine, puisqu’elle l’est et vient de larguer sa mannequine blonde. Toujours est-il qu’elle met en branle sa connaissance intime de New York, son entregent de journaliste abonnée aux exclusivités, ses relations dans les milieux inavouables, pour tracer un plan de recherche. Elle liste les pistes à suivre : police, FBI, recherche de cas dans les journaux, voyant, bureaux d’adoption pour le marché noir des bébés, assistantes sociales, intuition…

Roy le drogué la renvoie pour 20 $ à Michelle, qui a vendu son bébé engendré lors d’une passe parce qu’elle ne voulait pas l’élever, laquelle pour 100 $ dit la marche qu’elle a suivie : un docteur, un avocat qui s’occupe de jouer les intermédiaires, et le bébé livré à l’adoption pour 500 $ avec faux papiers. Le célèbre voyant Zellner, être hypersensible assisté de son trop beau jeune Kurt, délivre ce qu’il voit pour avoir sa photo dans The Pressoù Victoria a décroché sa pige. La police n’aurait même pas eu l’idée d’enquêter dans ces milieux non respectables. Sauf que ça marche : le voyant voit le bébé dans une boite au milieu de nombreuses boites, il a froid. Est-ce la morgue ? Un saut audit lieu prouve que non. Alors où ? Un grand hôtel désaffecté est le bout de la piste, d’où le titre français. Là sont les malfrats qui, pour quelques piquouses, font tout ce que « la Chienne » leur dit de faire. Et justement, un couple de riches brésiliens leur a commandé via un avocat un exemplaire de petit garçon blond aux yeux bleus…

Tout va se jouer à la minute : trouver la planque, faire avouer les kidnappeurs, empêcher l’envol de l’avion, prévenir la police – mais quand tout est réglé, sinon les lenteurs de la procédure mettraient des bâtons dans les roues. Victoria va se sacrifier pour la cause du scoop et pour son amour naissant envers Susannah. Laquelle, en mère courage, va se révéler bien plus pugnace qu’elle ne croit elle-même, et le laisse paraître.

Un bon thriller qui vous agrippe par la bonne bouille du petit blond, espèce en voie de disparition avec le métissage, qui vous tient par la découpe haletante de l’action, qui vous inonde de joie au dénouement. A (re)lire : même si on l’a lu une fois et que l’on connaît la fin, on marche toujours. C’est la progression qui compte, pas le résultat.

Laird Koenig, Labyrinth Hotel (Rockabye), 1981, Livre de poche 1982, 381 pages, €3,21

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Laird Koenig, La petite fille au bout du chemin

Rynn, 13 ans, vit seule au bout d’une allée dans une petite ville côtière du Maine. Elle s’est installée quelques mois auparavant avec son père qui a payé un bail de trois ans, mais le père n’apparaît jamais, elle-même sort peu et ne fréquente pas l’école. Cela ne se fait pas dans les communautés américaines, férues de kermesses, matchs de foot et autres messes. L’agente immobilière Mrs. Hallet est intriguée. Cette femme autoritaire qui se croit propriétaire du coin puisque ses ancêtres s’y sont établis il y a deux siècles voudrait fourrer son nez dans la maison pour savoir. Lorsqu’elle va la voir en Bentley couleur foie de veau, elle trouve l’adolescente arrogante avec son accent anglais et son visage impassible. Elle la menace du conseil de discipline de la commune, qui peut envisager des mesures contraignantes d’assistance sociale.

Mais Rynn est futée : elle va consulter à la Mairie les dates dudit conseil, en prétextant un devoir à faire, et s’aperçoit que la vieille Hallet a menti sans vergogne, juste pour affirmer son emprise. Elle revient d’ailleurs pour voir son père et résilier le bail, mais il « est à New York ». Elle se contente en attendant de réclamer des bocaux à confiture, qui sont dans la cave, parce qu’elle veut faire de la gelée avec les coings qui mûrissent sur la propriété. Elle s’en empare sans vergogne, bien que la maison soit louée et que les fruits appartiennent en principe aux locataires. Rynn ne veut pas que la harpie aille dans la cave – on ne sait pourquoi mais on ne tardera pas à le savoir.

Pire est le fils détraqué sexuel de la Hallet. Franck a été pris plusieurs fois la main dans la culotte des petites filles et sa mère l’a mariée de force avec une bonniche flanquée de deux garçonnets pour faire taire les rumeurs. Franck Hallet profite d’Halloween pour venir tâter le terrain auprès de la jeune Rynn, heureusement que les deux gamins de 6 et 4 ans, déguisés en squelette et en monstre de Frankenstein, arrivent en courant du chemin…

La situation n’est guère tenable. Certes, Rynn affirme que son père traduit des œuvres et qu’il ne faut absolument pas le déranger, ou qu’il dort à l’étage, mais nul ne le voit jamais dans le village et les gens se posent des questions. Le policier municipal Miglioriti vient aux nouvelles ; il est sympathique et fait connaissance, impressionné par les livres de poèmes publiés par le papa. Mais il ne croit pas un mot de ce que lui dit l’adolescente. Comme il n’aime pas les Hallet (d’ailleurs, personne dans le coin ne les aime), il garde le silence mais surveille celle qu’il voit encore comme une enfant. Mais Rynn n’en est déjà plus une, ayant à se débrouiller seule après les événements familiaux qui l’ont conduite ici. Elle a un compte-joint avec son père à la banque, d’où elle peut retirer de l’argent pour vivre, ainsi qu’un paquet de travellers-chèques dans un coffre, qu’elle peut changer à sa guise sur sa propre signature.

Au début des années 1970, il n’y avait pas tous ces contrôles bancaires et l’anonymat existait encore. Aujourd’hui, il serait très difficile de vivre comme Rynn pouvait le faire. L’époque était aussi au sexe, et les tout juste pubères étaient incités au plaisir, c’était leur liberté. Ce pourquoi Rynn fait la connaissance de Mario le Magicien, un élève de deux ans plus âgé qu’elle, qui vient déplacer la Bentley de Mrs Hallet sur demande de son père garagiste. Il est d’une famille d’origine italienne nombreuse et a subi une attaque de polio qui le fait encore boiter mais, pour le reste, il a le ventre plat et musclé. Il va lier connaissance avec Rynn, fille unique d’origine juive, un contraste parfait. Ils feront l’amour, il l’aidera dans ses entreprises pour rester libre. Elle en tombera amoureuse.

Le parfum policier de cette œuvre (car il y a crimes) est accentué par l’atmosphère lugubre de ce bout de chemin isolé et de cette grande maison campagnarde dont les Hallet ont la clé. Ce sentiment de peur à la nuit, et d’inquiétude permanente pour le lendemain jusqu’à sa majorité, font de Rynn une adolescente attachante. Elle veut vivre à sa guise, selon les conseils de son père ; nul ne pourra l’en empêcher, même si Franck est séduit par ses pieds nus sur le paqruet ciré et sa silhouette gracile, et que Mario succombe à sa tunique marocaine blanche sous laquelle elle ne porte rien. Les personnages sont denses, ils ne sont pas des caricatures pour illustrer l’action, mais l’inverse : c’est l’action qui s’adapte à leurs caractères. Rynn joue tous les rôles, petite fille qu’on aimerait protéger, adolescente impertinente qu’on aimerait réduire, femme forte malgré sa solitude, maîtresse de maison bonne cuisinière, amoureuse transie.

Le dénouement est savoureux comme un financier au goût d’amande amère trempé dans un thé anglais infusé à la perfection.

Un film de Nicolas Gessner en a été tiré en 1976 avec l’inquiétant Martin Sheen en pervers et la délicieuse Jodie Foster, du même âge que l’héroïne, mais qui a fait doubler la scène nue par sa sœur de 20 ans (cela pour les esprits politiquement corrects). Je crains qu’il ne faille, comme souvent préférer le livre, plus dense, malgré le charme de la nymphette.

Laird Koenig, La petite fille au bout du chemin (The Little Girl Who Lives Down the Lane), 1973, Livre de poche 1987, 277 pages, occasion €2,70

Laird Koenig, Œuvres thriller Tome 1 : Attention les enfants regardent – La petite fille au bout du chemin – La porte en face – Les îles du refuge, éditions Le Masque 1995, 762 pages, occasion €4,45

DVD La petite fille au bout du chemin,‎ Nicolas Gessner, 1976, avec Jodie Foster, Martin Sheen, Alexis Smith, Mort Shuman, Scott Jacoby, LCJ Éditions & Productions 2013, français et anglais, 1h34, €12,90

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Ann Rule, Jusqu’à ton dernier souffle

Sheila s’est mariée en 1982 à Allen Van Houte, avec lequel elle a eu deux filles. L’homme s’est déjà marié deux fois. Treize ans plus tard, elle est assassinée sur la commandite de son mari, qui la poursuivit d’une haine sans faille. Non qu’il aimait les enfants qu’elle lui a pris lors de leur divorce en 1987, mais il ne supportait pas qu’on lui résiste ou qu’on lui dise non. C’est donc l’histoire vraie d’un féminicide à la fin des années 90 que nous conte l’auteur, journaliste spécialisée dans les enquêtes de justice qui passionnent l’Amérique.

Allen est un pervers narcissique. Pas un psychopathe, au sens clinique du terme, mais quelqu’un dont l’enfance a été si massacrée qu’il n’a plus aucune empathie pour les autres. Il ne sait pas qui est son père, ce pourquoi il se choisira un nouveau nom, ce qui était très facile en Amérique. Il a choisi celui du personnage de Shogun, le roman populaire sur un samouraï blanc au Japon ; au XVIIIe siècle : Blackthorne. C’est sous ce nom qu’il a lancé une nouvelle société d’appareils médicaux, après avoir fait faillite à Hawaï à pillé le stock pour se relancer. Devenu millionnaire, tout lui semble possible, y compris son emprise sur son ex-femme et sur les deux filles, Stevie et Daryl qu’il a eues avec elle. Préférant les garçons, il leur a donné des prénoms de garçons. Cela ne l’empêche pas d’abuser sexuellement l’aînée avant qu’elle n’ait 7 ans. Ce fait n’a pas été condamné, ni clairement dénoncé, car, dans les années 1980 à 2000, la parole des enfants était sujette à caution et tout ce qui touchait la sexualité minimisé.

Allen croit que, puisqu’il a résisté aux mauvais traitements de sa mère et qu’il a finalement réussi une entreprise au Texas, tout lui est dû. C’est le syndrome du millionnaire arrivé, dont Trump est le dernier représentant. Les lois et le droit, il s’en fout. Seul compte son égoïsme sacré.

Il se remarie avec Maureen, avec laquelle il a deux petits garçons. Il aurait dû être content d’avoir divorcé et de vivre son bonheur dans cette nouvelle vie. Au lieu de cela, il ne cesse de harceler Sheila, son ancienne compagne, juste pour la tourmenter et la punir de l’avoir quitté pour mauvais traitements. Il va l’accuser de ses propres turpitudes, c’est-à-dire de fouetter ses filles sur les jambes, de leur donner des gifles, leur cogner la tête contre le mur. Cela n’empêche pas Sheila de cumuler courageusement deux emplois pour élever ses filles. Car leur père biologique refuse absolument de leur verser une pension alimentaire.

Mais la haine va plus loin. Il va commanditer « une bonne raclée » à sa femme, « et tant pis si elle meurt », déclare-t-il. Pour cela, il a demandé à un compagnon de golf qui, lui-même, va demander à un ami, qui contacte son cousin, un jeune assez benêt pour exécuter l’ordre sans réfléchir. Sheila, qui est partie vivre en Floride avec son nouveau mari Jamie et leurs quadruplés de deux ans, est tuée à son domicile en plein jour, devant les petits. Leur sœur aînée Stevie les retrouve tout nu et tout couverts de sang, pleurant auprès de leur mère morte.

Le procès va durer un certain temps, Allen s’entourant d’une brochette d’avocats très chers. Mais les procureurs de l’État comme les procureurs du FBI, puisque le crime s’est passé dans un autre État, vont s’acharner à dénoncer les manipulations d’Allen, ses mensonges et son implication dans le crime.

Allen Blackthorne sera finalement condamné deux fois à la perpétuité, ce qui n’a pas grand sens pour nous, mais qui en a un aux États-Unis, au cas où un vice de procédure annulerait la première condamnation. Il sera tué en prison par un gang à 59 ans, en 2014 (ce qui n’est pas dans le livre).

Ce fait divers a passionné l’Amérique et la journaliste Ann Rule en a fait un livre, selon son habitude et son talent. Ce n’est pas un thriller puisque l’on connaît la fin, mais, sauf quelques passages un peu longs sur les premiers temps d’Allen puis sur les détails du procès. Car tout est minutieusement détaillé dans ce livre de journaliste, de façon maniaque pourrait-on dire, car les Américains sont très pointilleux sur le droit. Soucieux de leur liberté, ils veulent d’infinies précisions quant à la pertinence de l’application d’une loi à leur encontre. Ce juridisme n’est pas toujours facile à rendre agréable à la lecture, mais ce récit dans l’ensemble se lit très bien.

Ann Rule, Jusqu’à ton dernier souffle (Every Breath you Take), 2001, Michel Lafon Poche 2022 ou occasion Livre de poche 2005, 441 pages, €7,60, e-book Kindle €7,99

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Eric Ambler, La croisière de l’angoisse

En janvier 1940, l’ingénieur en chef d’une usine d’armement britannique Graham est convié à Istanbul pour adapter de nouveaux canons à la flotte turque, face aux menaces de guerre. Contrairement à la Première guerre, la Turquie ne s’est pas mise aux côtés de l’Allemagne, devenue nazie. Elle reste neutre, mais d’une neutralité armée. Comme l’URSS contre le Japon, le pays déclarera la guerre à l’Allemagne… en 1945, par opportunisme, pour être du côté des vainqueurs. Cette neutralité permet aux Anglais de vendre des armes sans vergogne.

Il est curieux de faire voyager un si important personnage pour l’armement anglais, alors quela guerre est déjà déclarée depuis septembre 1939. D’ailleurs, des espions nazis vont tenter d’assassiner Graham, très naïf envers ces menaces. Après sa mission, alors qu’il a toutes ses notes dans la tête pour faire fabriquer ce qu’il faut, le représentant de sa firme en Turquie, un Russe du nom de Kopeikin, l’invite à dîner, puis au cabaret. Graham est fatigué et voudrait se retirer à l’hôtel, mais il n’en est pas question. Curieux aussi de s’afficher aussi ouvertement en public lorsqu’on est un personnage sensible. Au cabaret, il danse avec une entraîneuse qui lui fait remarquer un homme au complet froissé qui ne cesse de l’observer, puis est présenté à « Josette », une danseuse serbe qui fait sa tournée avec son mari José.

Au retour à l’hôtel, il n’a pas sitôt ouvert la porte de sa chambre qu’une balle lui frôle la joue, puis une seconde le blesse à la main droite. Il crie, tombe, et le tueur envoie une troisième balle qui se perd sur le mur, avant de s’enfuir par la fenêtre. Il faisait sombre, le couloir était mal éclairé, la silhouette de sa cible était peu distincte, d’où son ratage. Graham est sonné. Le directeur de l’hôtel lui suggère de ne pas appeler la police, de toutes façons il ne pourrait pas décrire son agresseur, il serait retardé par toute une paperasse, attirerait l’attention sur lui qui doit prendre un train le lendemain matin, et ce serait une mauvaise publicité pour l’hôtel. Graham se rend à ces raisons, mais téléphone à Kopeikin, qui vient le voir aussitôt.

Contrairement à ce que l’ingénieur croit, l’affaire est grave. Ce n’est pas un vulgaire cambrioleur surpris qui a tiré, puisque rien n’a été volé et que la valise, fermée à clé, n’a pas été ouverte : c’est un tueur qui veut supprimer l’ingénieur, conseiller de la marine turque. Kopeikin a prévenu le chef de la police secrète Haki, et le colonel les convie à venir le voir immédiatement en taxi. Un espion allemand, Moeller, a été vu à Sofia en compagnie d’un tueur à gage roumain bien connu des services, Banat. Sur les photos de divers espions qu’il lui montre, Graham reconnaît immédiatement l’homme au complet froissé qui l’observait au cabaret. C’est probablement lui, Banat, qui a voulu le tuer. Pas question que Graham prenne le train, lieu clos avec multiples arrêts qui permet d’assassiner quelqu’un avec facilité.

Il est aussitôt inscrit comme passager sur un bateau, le Sestri Levante, petit cargo italien qui assure la liaison entre Istanbul et Gênes pour le fret, acceptant une dizaine de passagers pour moins cher que les autres moyens de transport. Les avions sont exclus depuis la Turquie à cause de la guerre. Graham prendra en Italie le train jusqu’à Paris, puis obtiendra un visa pour Londres. Il faut se souvenir que l’Italie fasciste de Mussolini n’entrera en guerre contre la France qu’après la reddition de juin 1940. En janvier de cette même année, on pouvait encore voyager d’un pays à l’autre. Le service secret turc s’est assuré que les autres passagers du cargo ont tous pris leurs billets plus de deux jours avant la tentative de meurtre, et que leurs passeports ne sont pas fichés. Graham peut donc être tranquille, une fois le bateau sorti du port. Sauf qu’il n’en est rien, évidemment, et que Banat monte même comme nouveau passager lors d’une escale, sous un nom d’emprunt.

Tout le sel de l’histoire est concentré sur la croisière, les manigances, les intrigues et la peur qu’elles engendrent. Au fond, peu importe le décor et les pays belligérants, on s’en fout comme de l’an 40, cela pourrait se passer n’importe où et en dautres circonstances. Ce qui compte est le ressenti psychologique des personnages. Graham en perd sa raison froide puisque sa vie est menacée ; il lie amitié avec un vieil Allemand, le professeur Haller, qui lui raconte interminablement ses recherches sumériennes, et avec un commerçant en tabac turc, Kuvetli, puis avec un couple de Français, les Mathis. Il retrouve comme par hasard Josette et son José, et flirte avec la première, qui l’incite à « l’acheter » pour une semaine lorsqu’ils seront rendus à Paris.

Mais aucun personnage n’est ce qu’il paraît, et les confidences sont au risque et péril de celui qui les fait. Une mère italienne et son fils, beau jeune homme de 18 ans, raconte que son mari a péri lors du récent tremblement de terre turc, mais il a été en fait fusillé. N’est-ce pas louche ? Kuvetli dit n’avoir jamais mis les pieds à Athènes, qu’il veut visiter avec Graham en insistant bien, mais parle couramment grec. Etrange. José est un mari jaloux, mais consent à louer sa femme pour payer l’hôtel… Et pourquoi l’épouse du vieil allemand ne sort-elle presque jamais de sa cabine ?

Rien de probant ne peut se passer durant la croisière, il y a trop de monde présent et les cloisons sont minces, on entend tout. En revanche, une fois arrivé à Gênes… Les espions finissent par se dévoiler carrément et à proposer à Graham un marché : il aura la vie sauve s’il fait ce qu’ils disent. Il est prêt à accepter, mais un espion turc, qui se révèle lui aussi, le met en garde : ce marché est pour l’endormir, il sera bel et bien tué, façon la plus nette et la plus rapide de régler la question, qui reste d’empêcher la flotte turque d’obtenir ses nouveaux canons. Alors, que faire ? Tout est là. Tout est toujours là.

Graham, maladroitement, va se débrouiller pour déjouer tous les plans. La psychologie est reine dans ce thriller, l’action secondaire, même s’il y en a. Ce pourquoi ce roman a traversé le siècle, il se lit encore avec bonheur.

Eric Ambler, britannique devenu ingénieur avant d’être écrivain, puis lieutenant-colonel d’artillerie durant la Seconde guerre mondiale et producteur de cinéma, est décédé en 1998 à 89 ans. Il reste un maître de l’espionnage en version littéraire.

Ce roman a fait l’objet d’un film par Norman Foster et Orson Welles en 1943 sous le titre Voyage au pays de la peur.

Eric Ambler, La croisière de l’angoisse, 1940, Points Seuil 1985 (réédition 1997), 273 pages, occasion €1,92

DVD Voyage au pays de la peur (Journey into Fear),‎ Norman Foster et Orson Wellesavec Dolores Del Rio, Joseph Cotten, Orson Welles, Ruth Warrick, Everett Sloane, 1943, Éditions Montparnasse 2004, anglais sous-titré français, 1h08 €14,68

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Agatha Christie, Le flux et le reflux

« Il nous faut saisir le flot quand il nous est favorable », dit le poète (Brutus dans Jules César de Shakespeare). Agatha Christie en fait une intrigue que le subtil détective Hercule Poirot, un belge à guêtres et bottines pointues, aura du mal à élucider. C’est qu’il y a plusieurs meurtres, et peut-être pas du même meurtrier, bien qu’ils se rapportent à la même affaire…

La reine du crime nous propose un voyage dans le temps, le sien, celui du tout juste après-guerre, dans les clubs de gentlemen londoniens, des journaux qu’on lit à poignée le matin, des gros impôts des Travaillistes revenus au pouvoir qui laminent les classes laborieuses et moyennes, des femmes engagées durant la guerre et qui se retrouvent différentes, du personnel qu’on ne trouve plus, des petits villages perdus le long des trains à une cinquantaine de kilomètres seulement de la capitale.

Au Coronation club de Londres sous les bombes en 1944, le major Porter « retour des Indes » parle tout seul, en raseur de ces Messieurs. Poirot est le seul à l’écouter. Il évoque un ami à lui, Robert Underhay, peut-être mort des fièvres en Afrique, ou peut-être pas. Il avait fait un mariage malheureux avec une jeune Rosaleen de 20 ans. A cette époque, « se marier » était la seule façon de pénétrer une femme qui ne soit pas une pute ou une bonne. D’où la décision pressée – qui engage pour la vie. Disparaître, n’est-ce pas une façon de rendre sa liberté à l’épouse qui ne supporte pas la jungle, la chaleur, la poussière, les Noirs, et autres avantages de la vie en brousse ? Cet ami avait évoqué « Enoch Arden », le personnage qu’on croyait disparu et revenu des années plus tard – un poème d’Alfred Tennyson publié en 1864 que tous les collégiens connaissent.

C’est pourquoi en 1946, lorsqu’un fermier de Warmsley Vale vient trouver le célèbre détective qui a eu son portrait dans un magazine, il est intrigué. Un certain Enoch Arden vient de se faire assassiner dans l’une des deux auberges du village, et le fermier soupçonne qu’il serait peut-être ce frère soi-disant disparu au Nigeria. En question, l’héritage de leur oncle Gordon Cloade, décédé à 62 ans sous les bombes quinze jours après son mariage inespéré avec la veuve Rosaleen, jeunette de 24 ans. Laquelle a survécu au souffle, ainsi que son frère David – qui ne lui ressemble guère, dit-on. Le testament initial a été rendu caduc par le mariage, et un nouveau testament n’a semble-t-il pas été fait, à moins qu’il n’ait été détruit par le bombardement.

Toute la famille vivait plus ou moins au crochet de cet oncle Gordon, fort riche, qui avait promis à ses deux frères et à sa sœur de les aider leur vie durant. Or la fortune revient à l’épouse, en l’absence de dispositions formelles. Celle-ci est une petite jeune fille apeurée, veuve deux fois, assez bête et sans culture. Elle dépense en robes qui ne lui vont pas, faute de goût, et en manteau de loutre qui fait chic. La famille ne lui en veut pas, c’est le destin et la loi, mais soupçonne son frère David d’être avide. C’est un aventurier dans l’âme, ado attardé qui a fait merveille dans les commandos durant la guerre mais a du mal à se réadapter à la vie civile. Il est sans cesse aux limites de la loi et a semble-t-il peu de scrupules.

Est-ce lui qui a tué Enoch Arden à coups de pelle à charbon dans sa chambre d’auberge ? C’est bien son briquet en or qu’on a trouvé sous le cadavre, mais il ne portait aucune empreinte… La veuve, sans ciller, déclare ne pas reconnaître son ancien mari dans le cadavre qu’on lui présente, et même n’avoir jamais vu cet homme. Dit-elle la vérité ? Elle a fait du théâtre étant très jeune… Le commissaire Spence enquête, mais avance peu ; Hercule Poirot agite ses petites cellules grises, et l’intrigue prend forme peu à peu. Le coupable n’est évidemment pas celui qu’on peut soupçonner, encore que. Les horaires des trains et les subtilités techniques du téléphone de ces années-là fournissent matière à réflexion, tandis que les ressentiments des floués de l’héritage et les portraits de famille donnent matière à penser.

Revenir aux classiques fait du bien, parfois.

Ce roman a fait l’objet de plusieurs adaptations télévisées au Royaume-Uni et en France.

Agatha Christie, Le flux et le reflux (Taken at the Flood), 1948, Livre de poche policier 2023, 254 pages, €7,40

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Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte

Les actes du perturbateur sont un mauvais titre en anglais, bien qu’il vienne d’un ancien hymne à Osiris ; mais la onzième plaie d’Égypte n’en est pas un meilleur, laissant rêver ce qui n’est pas. Les Emerson père, mère et fils, Radcliffe, Amelia et Ramsès, sont retournés à Londres l’été 1896, après une saison de fouilles. Mais l’Égypte les poursuit sous le climat brumeux et pollué de la capitale de l’empire. En cause, le British Museum, où une momie donnée par un mécène aristocratique, fait parler d’elle. Un prêtre d’Isis, masqué et déguisé comme il se doit, surgit parmi la foule et interdit par exclamation de la toucher. Panique chez les bourgeois du dimanche…

La presse à sensation en fait ses choux gras et n’hésite pas, pour faire vendre, à impliquer Amelia Peabody et son époux le professeur Emerson. A eux deux, à l’en croire, ils vont se mêler de l’enquête et résoudre l’affaire ! Ce n’était pas l’intention du couple, mais… Amelia est toujours éperdue de curiosité pour la quête policière et le mystère criminel, tandis que Radcliffe adore mettre hors d’état de nuire les pilleurs de tombe et autres mécréants de la science.

La momie d’une femme de la XIXe dynastie, même pas apparentée à la famille royale, a tué un gardien de nuit, retrouvé mort à ses pieds dans un monceau de débris. Un étudiant du directeur est ensuite trouvé mort au pied de l’obélisque de Londres, près de la Tamise. Comment ne pas évoquer la malédiction des pharaons ? Les aristos désœuvrés adorent les canulars, la presse adore les scoop mystère, le public adore les sensations fortes. Quant au directeur du Museum, c’est moins pour ses compétences (faibles) en égyptologie que pour ses pillages éhontés qu’il est parvenu par piston à ce poste. Tout cela concourt à la belle histoire.

C’est sans compter sur la rectitude scientifique du professeur Emerson, la foi morale de son épouse Amelia, et la sagacité du trop précoce fils surnommé Ramsès. Malgré la famille – un frère de Peabody, James, qui impose ses deux infects rejetons au couple durant « la cure » de leur mère, les époux et le gamin vont agir. Emerson en actionnant son réseau égyptien à Londres, Amelia en usant de ses relations orageuses avec deux journalistes, un Irlandais et une petite-fille de duchesse décatie, Ramsès en se déguisant fort adroitement en gamin des rues à la Dickens, pieds nus et chemise déchirée, pour espionner à loisir.

On veut la peau des Emerson, dans certains milieux aristos et peut-être familiaux. Heureusement qu’ils ne se laissent pas faire et qu’ils ont la tête dure. Radcliffe manie ses poings, Amelia son ombrelle d’acier et Ramsès son art d’écouter aux portes et de se déguiser pour mettre à mal les plans des tueurs. Jusqu’à un vieux manoir élisabéthain, où se déroulent d’étranges cérémonies sexuelles et sacrificielles pour guérir les maladies honteuses – et mortelles (la syphilis).

Ce cinquième opus de la série policière historique de l’écrivaine américaine Barbara Mertz, dite Elisabeth Peters, est toujours conté de façon enlevée et drôle, l’érudition ne pesant jamais, l’action ne manque pas, et les personnages restent hauts en couleur. Le complot familial double le crime de la momie.

Ramsès, né en juillet 1887, a 9 ans, parle couramment plusieurs langues, lit tout ce qui lui tombe sous la main, et n’hésite pas à corriger les erreurs de son père sur son manuscrit d’Histoire de l’Égypte antique. Son cousin Percy, du même âge, lui est mis dans les pattes et il ne l’aime pas. C’est un garçon anglais classique, gibier de pension, discipliné à être sournois ; sa petite sœur Violet est une gourde gourmande qui grossit en s’empiffrant de sucreries, elle est toujours du côté de son frère malgré les avances de son cousin. Percy fait faire à Ramsès de mauvaises choses en lui affirmant que l’autorisation en a été donnée par les adultes, tout en le dépouillant de ses biens (montre, couteau, argent de poche). Ramsès, qui a la rectitude de son père, subit sans rien dire, et sa mère ne s’aperçoit de rien avant longtemps. Mais le gamin est capable de se débrouiller tout seul, et il aime ses parents ; il fera tout pour les aider dans leurs aventures périlleuses, entraînant le majordome Gargery et le robuste valet Bob. Plus que les autres, il apparaît comme le héros de cette histoire.

Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte (The Deeds of the Disturber) suivi par Le secret d’Amon-Râ, 1988, Livre de poche illustré 2023, 960 pages, €15,90, e-book Kindle €10,99

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Les romans de la série policière historique déjà chroniqués sur ce blog

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J. Van de Wetering, Un vautour dans la ville

L’auteur, néerlandais ayant vécu aux États-Unis, a écrit divers romans policiers et œuvres pour enfants. Il a été volontaire comme réserviste dans la police d’Amsterdam, Amsterdam Special Constabulary, devenant sergent puis inspecteur. Il connaît bien la ville. Ses deux personnages principaux sont l’adjudant Grijpstra et le sergent De Gier. Leur supérieur, le commissaire, est censé partir en cure de bain de boue pour sa hanche, en Autriche ; il délègue à Grijpstra le soin de mener l’enquête. Mais, à la Mitterrand, il garde deux fers au feu et travaille en sous-main pour comprendre.

L’affaire est en effet compliquée. Un jeune proxénète noir s’est fait descendre à deux pas du commissariat, en plein centre d’Amsterdam, ce qui ne se fait pas. De plus, c’était avec une mitraillette Schmeisser, une arme allemande datant de la Seconde guerre mondiale et affectionnée des SS. Crime raciste ? Règlement de compte du Milieu ? Vengeance personnelle ? Luka Obrian a pour concurrents Lennie et Gustav, propriétaires de bordels prospères et dealers de drogue en gros. La police ferme plus ou moins les yeux, avec ce laxisme caractéristique en Occident de la période post-68, où l’interdit d’interdire était dans les mentalités. Sauf s’il y a meurtre : alors, la morale revient et fait respecter les règles, ce qui surprend tout le monde.

L’auteur, fantasque, digresse très souvent et s’attache à des détails incongrus, tels ces trois jeunes hommes en costume, circulant en patins à roulette à trois heures du matin en pleine ville, un attaché-case à la main. Ou la présence d’un vautour, charognard exotique, au-dessus des maisons du XVIIe siècle hollandais. Ces façons ressemblent à celles de Fred Vargas, à se demander si elle ne s’en est pas inspirée pour créer son atmosphère Adamsberg, commissaire pelleteur de nuages, toujours à penser à autre chose, sans méthode, avant de synthétiser la solution d’un coup, comme un composé chimique.

Tandis que Grijpstra et De Gier vont rencontrer l’étrange Jacobs, employé de la morgue qui a toujours une peur bleue que les SS viennent le prendre, quarante ans après la fin de la guerre, le commissaire va s’installer chez Nellie, une ancienne pute qui a acheté un hôtel et qui est amie avec son voisin Wise, guérisseur noir venu tout droit du Surinam (l’ex-Guyane néerlandaise). Le vaudou n’est pas loin et le crime serait prémédité… C’est que Luka était brutal et impérieux. Tout lui réussissait, et il suffisait d’un regard noir en coin pour que la femme la plus indépendante tombe à genoux devant lui pour lui tailler illico une pipe, en plein jour, sur le pont à touristes du vieux quartier. Ainsi Madeleine. Un agent de police surnommé Karaté n’hésite pas à se maquiller en femme pour enquêter dans les bars à putes chics ; une fille de 15 ans sollicite les clients de la violer en arrachant ses vêtements avant de l’emboutir profond, tout cela en public, une fois le ticket d’entrée payé : filles et alcool à gogo.

De longues digressions en courtes actions, de psychologie des personnages en sociologie de la ville, l’enquête progresse – et le dénouement est inattendu, disant beaucoup sur la morale post-68 et le libéralisme tendant vers la liberté totale du plus fort de cette époque-là. Amsterdam permettait tout, et des charters entiers de touristes sexuels venaient y déguster les filles, souvent mineures, et jouer avec les garçons, pas plus majeurs, en fumant diverses substances interdites partout ailleurs. De quoi faire des affaires… juteuses. Et provoquer des crimes, en réaction.

Tous les sens sont sollicités, comme chez Vargas, le bien-manger, la boisson, le climat d’Amsterdam, les plantes, les bêtes, les gens. On ne s’ennuie pas, même si l’on se demande au début où l’auteur nous emmène. Ce « style Vargas » peut agacer (il m’agace), ceux qui aiment sont ravis.

Janwillem Van de Wetering, Un vautour dans la ville (The Streetbird), 1983, Rivages noir 1988, 348 pages, occasion €1,82

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James Cain, Assurance sur la mort

L’auteur immortel du roman policier Le facteur sonne toujours deux fois a fait l’objet de nombreuses adaptions au cinéma (Visconti, Rafelson, Garnett). James Cain a fait la guerre de 14 côté américain et est décédé en 1977 à 85 ans. Il livre ici trois longues nouvelles policières ou psychologiques dont la dernière, Assurance sur la mort, a fait l’objet elle aussi d’un film.

Il s’agit d’une escroquerie à l’assurance décès, perpétrée par une épouse qui n’en est pas à son premier meurtre en toute impunité pour arriver, et d’un agent d’assurance bêtement tombé amoureux de ses formes. C’est assez bien troussé pour être crédible, le spécialiste aidant la volonté meurtrière. La fin sera épique, faisant intervenir d’autres personnages, dont la belle-fille de l’épouse et son petit ami, mais aussi le directeur de la compagnie d’assurance et son détective en chef.

Les deux autres nouvelles sont sur une escroquerie à la banque, et sur la rivalité d’un couple où seul l’homme est amoureux. Toujours le même schéma, l’homme spécialiste et la femme séductrice qui le manipule.

Sauf que dans Carrière en do majeur, l’homme se rebelle. Ingénieur en ponts et chaussées, inactif à cause de la grande Dépression des années 30, l’époux laisse faire sa femme qui se croit une vocation de chanteuse d’opéra. Mais elle ne suit pas le rythme et déraille. Le mari rencontre à cette occasion Cecil, véritable chanteuse d’opéra, qui trouve que lui a une belle voix de baryton et qu’il peut aisément la seconder, d’autant qu’il apprend vite les rôles. Et les voilà embarqués dans une tournée. Cela ne se passe pas trop mal, sauf que le chanteur néophyte ne garde pas toujours les yeux fixés sur le chef d’orchestre, et passe parfois la mesure. Erreur fatale à l’opéra. Le flop de l’épouse est compensé par le flop de l’époux – et les voilà réconciliés, lui toujours amoureux, elle rassérénée dans son narcissisme.

Ancien, mais efficace, ce recueil de nouvelles est un moment du roman policier psychologique, volontiers porté au cinéma.

James Cain, Assurance sur la mort (nouvelles Career in C Major, The Embezzler et Double Indemnity), 1944, Folio policier 2003, 370 pages, occasion €24,99, e-book Kindle 2017, €6,99

Autre édition (introuvable), utilisée pour cette note : Livre de poche 1964, 432 pages

DVD Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944, avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Porter Hall, Jean Heather, Arcadès 2009, anglais doublé français, 1h47, €8,80, Blu-ray €9,90

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Serge Brussolo, Le château des poisons

Serge Brussolo est un conteur d’histoires, un aventurier de l’imagination. Il nous transporte ici au Moyen Âge, sous le règne de Louis IX (qui deviendra saint). L’hiver rude, la misère, la lèpre et les superstitions savamment entretenues par les clercs d’Église, qui se haussent ainsi du col et assurent leur pouvoir, sont le décor. L’amour et les machinations en sont le sel.

Jehan le bûcheron, défendant son seigneur à la hache, est distingué sur le champ de bataille et fait chevalier in extremis avant que le baron ne meure. Le chapelain est témoin et le consigne sur parchemin. Jehan est devenu Montpéril, chevalier errant, sans terre ni fortune. Il se loue à un gros moine qui transporte une somme d’argent pour quérir une relique de saint Jôme, réputée guérir de la lèpre. Les forêts ne sont pas sûres, domaine des loups en bande et des malandrins qui vous détroussent pour une paire de bottes ou un morceau de lard. Cette mission lui a été ordonnée par le riche seigneur Ornan de Guy, revenu de la Croisade. L’homme fait se croit atteint de la lèpre et veut épouser au plus vite la jeune Aude, 15 ans et un corps de gamine. La relique doit le guérir, il suffit d’y croire et de prier. Quant au moine Dorius, qui aime citer le latin, il doit être fait chapelain du fief.

Jehan rencontre une trobaritz, Irana, une trouvère, baladine allant chantant de cours en marchés les aubades des chevaliers et de la fine amor. La femme a une personnalité, sait lire et écrire, ce n’est pas une vulgaire femelle qu’on prend au débotté sur une botte de foin. Il en tombe plus ou moins amoureux, ce qui semble plus ou moins partagé. Ce flou fait beaucoup pour tendre les relations entre les personnages.

En effet, chacun se révèle peu à peu jouer un rôle – sauf Jehan, naïf car brut de décoffrage. La relique est menée à bon port, mais le baron décède empoisonné. Par qui ? Le goûteur officiel fait office de coupable idéal, car seul à même de saupoudrer le rôti de marcassin entre sa bouche et celle du baron. Il est brûlé pour cela comme sorcier, mais est-ce vraiment lui ? Les deux frères et la sœur du condamné, marchands drapiers bien fournis de pécunes, mandatent Jehan pour enquêter. Dans le même temps, Dorius a pris les choses en main au château en déshérence, et somme Jehan accompagné d’Irana de veiller sur la pucelle. Aude a en effet reçu la visite, en pleine nuit, d’un monstre bossu et contrefait qui lui a raconté des horreurs.

Cette machination pour empêcher les noces du baron et de la pucelle ne serait-elle pas le fait de l’amant éconduit, le jouvenceau Robert de Saint-Rémy, amoureux dès l’enfance de la belle Aude ? Ou du père de la jeune fille, que l’avarice de son épouse a poussé dans les bras du riche baron, mais que lui réprouve après que Jehan lui ait fait part des rumeurs de lèpre ? Ou d’Aude elle-même, qui susurre le mot de lèpre pour faire croire au baron qu’il va mourir ? Ou du chevalier Ogier, jaloux du succès du baron alors qu’il a fait moins que lui aux Croisades ? Ou du moine loui-même, ambitieux et prêt à tout suggérer pour assouvir son besoin de s’élever dans la hiérarchie ecclésiastique ?

De meurtres en rebondissements, Jehan trouvera tour à tour tout le monde coupable, avant de s’apercevoir qu’il a été joué de bout en bout. Au point que son épée rouillée lui tombe des mains lorsqu’il veut se venger. Mais il a réussi sa mission : il a trouvé qui, par un concours de circonstances, a conduit le goûteur au bûcher.

Roman policier historique et thriller fantastique, ce livre est une belle aventure pour adultes et adolescents. J’ai eu plaisir à la lire.

Serge Brussolo, Le château des poisons, 1997, Livre de poche 2001, 255 pages, €7,70

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William Diehl, Régner en enfer

Un très bon thriller de l’avant-Internet, donc bien écrit, bien construit, bien documenté. Cette fois-ci, pas un psychopathe individualiste (encore que) mais une plongée dans l’inconscient sociologique de l’Amérique : les tarés de la Bible, les prophètes d’Armageddon, les chrétiens intégristes. Ceux qui ont soutenu et voté Trump récemment, au bord de la guerre civile si leur dieu à mèche peroxydée ne l’avait pas emporté. Or, voici trente ans, on en parlait déjà, de ces fanatiques. Ils existaient à bas bruit, mais se préparaient en secret. Le FBI les avaient à l’œil, mais ils n’étaient pas populaires ; leurs outrances ne passaient pas. Et puis, après les attentats islamiques de Ben Laden, les immigrés musulmans devenus fous au volant de leur SUV, le virus chinois, la numérisation de tout et l’IA en espionnage généralisé, la montée des périls dans le monde, les tarés ont fait des émules ; ils sont devenus légion. Comme le Diable (« Mon nom est légion, car nous sommes beaucoup » Évangile de Marc). D’où l’intérêt de lire ou relire ce thriller haletant, bien au fait des groupes apocalyptiques et de leur psychologie.

L’efficacité du Sanctuaire allie le professionnalisme d’un général, ancien des opérations spéciales inavouables, et l’exaltation charismatique d’un prêcheur faux-aveugle, amateur de très jeunes filles (13-14 ans). Le second galvanise les foules et fait des adeptes prêts à se sacrifier pour la Cause de Dieu ; le premier organise les milices des églises et sélectionne les meilleurs éléments qu’il entraîne aux armes dans les conditions les plus rudes dès l’âge de 14 ans.

Le président des États-Unis est un ex-général issu de la haute société, que le général des opérations spéciales, parti de l’armée fédérale comme simple colonel avant de gagner ses étoiles dans la garde nationale du Montana, hait de toutes ses fibres. Haine sociale, haine personnelle, jalousie féroce. Il décide alors de déclencher l’Armageddon. Une nuit, un convoi transportant des explosifs militaires et des armes, est bloqué sur un col enneigé du Montana, l’escorte tuée (pas moins de douze citoyens américains), et le semi-remorque avec ses quatre tonnes d’explosif C4 dérobé. Le tout n’a duré que six minutes. Deux explosions ont enseveli des indices, seuls les corps des soldats tués ont été alignés dans des sacs militaires, comme un hommage dérisoire de combattants à combattants.

Le crime est signé ; le président y voit une déclaration de guerre, son attorney général (procureur général des États-Unis) un acte terroriste. C’est une femme, et on l’appelle général – non pour son grade, mais en raccourci de son titre. Elle est chargée de veiller au respect des lois et de la Constitution, et de conseiller le président. L’équipe de crise décide alors de constituer un « dossier RICO » – Racketeer Influenced and Corrupt Organizations (RICO) Act ou, en français, loi sur les organisations motivées par le racket et la corruption. Cette loi fédérale de 1970 prévoit des sanctions pénales étendues et une cause d’action civile pour les délits commis dans le cadre des activités d’une organisation criminelle. Dirigée initialement contre la Mafia, elle s’étend aux délits d’initiés en bourse, à la corruption organisée comme celle de la FIFA, et aux actes terroristes. Un procureur spécial est nommé, chargé d’enquêter et de monter le dossier juridique justifiant les poursuites fédérales.

L’attorney général Margaret Castaigne, portoricaine qui a gravi les échelons du droit jusqu’au sommet, propose le jeune procureur Martin Vail comme attorney général adjoint, chargé de monter un dossier RICO contre le Sanctuaire. Son équipe se met vite au travail, aidée par toute la machinerie policière et du renseignement intérieur, FBI, NSA, ATF (service fédéral chargé de la loi sur les armes, les explosifs, le tabac et l’alcool, créé en 1972). Au vu des indices concordants, un juge fédéral autorise la mise sur écoute, la surveillance publique et l’accès aux comptes bancaires de l’organisation et de ses filiales.

Martin Vail va interroger deux anciens militaires, ex-partisans du Sanctuaire et compagnons de son général, pour connaître un peu mieux les rouages. Mais le plus jeune, 27 ans, témoin protégé fédéral, est descendu dans sa ferme peu après sa visite. Un tueur mandaté avait suivi l’avion officiel, puis la voiture de location du procureur, et en avait déduit sur la carte l’endroit où devait se cacher le témoin. Il l’a descendu de deux balles tirées à 1200 m par un fusil à lunette, avant de filer par un itinéraire de repli jusqu’à son avion privé. Il était loin de la scène de crime au bout d’une heure, et n’avait laissé qu’un seul indice – volontaire – une suite de chiffres : 2-3-13. Une allusion nette à la Bible, lue littéralement.

L’enquête est bien menée et avance assez vite ; l’action est palpitante et bien décrite, les personnages puissants. La fin est du grand guignol, mais nous sommes aux États-Unis, et le spectacle est obligatoire. Sans explosions ni massacres, rien ne passe la rampe. Toujours est-il que le Diable est vaincu, lui qui se prenait pour Dieu, fanatisé plus par sa haine que par sa compréhension du texte religieux. Une citation de Pascal vient à propos : « Les hommes ne s’adonnent jamais au mal avec tant de joie et de démesure que lorsqu’ils y sont poussés par leurs convictions religieuses » (incipit du Livre III, p.235). Ce qui s’applique à l’islam djihadiste s’applique aussi au judaïsme extrémiste à Gaza et au christianisme dévoyé américain. Les fous de Dieu sont partout…

William Diehl, Régner en enfer (Reign in Hell), 1997, Livre de poche 2001, 511 pages, occasion 1,90

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