Romans policiers

Mary Higgings Clark, Avant de te dire adieu

Nell est une jeune femme belle et intelligente, comme il se doit pour les lectrices de MHC. Elle est orpheline depuis que ses parents sont morts dans un accident de voiture mais a été élevée par son grand-père, député de New York durant cinquante ans sans interruption. Bien que n’ayant pas besoin de travailler Nell écrit des chroniques dans un grand journal de la côte est. Elle s’est mariée très vite à Adam, un architecte bien fait de sa personne et avec un sourire irrésistible, comme il se doit pour les lectrices de MHC.

Mais voilà… Si tout commence dans le rose, le noir surgit brutalement. Sur les incitations pressantes de son grand-père, Nell va se décider à briguer le poste de député que celui-ci a lâché ; elle sera soutenue par le parti. Mais pas par son mari, Adam a en effet une étrange réticence à laisser aller sa femme aux élections. Les médias vont naturellement enquêter et scruter les moindres détails de la vie de Nell et d’Adam : y aurait-il une quelconque tache à dissimuler ? Ou n’est-ce que le souci bien légitime d’un mari qui ne veut pas que son épouse soit accaparée par la politique au point d’en oublier le foyer, et les éventuels enfants qu’ils voulaient ?

Une fois le décor planté, les personnages campés, la question principale posée, l’histoire peut commencer. Mary Higgings Clark a du métier et compose méthodiquement ses intrigues. Ses chapitres sont découpés comme dans les séries télé, prenant chaque personnage à un moment et faisant avancer l’histoire par ses facettes individuelles. Il y a Nell, Adam, le grand-père Mac, la grand-tante Gert férue de parapsychologie, la médium Bonnie, Jimmy le chef de chantier et son épouse Lisa, Jed Kaplan et sa mère qui a vendu un vieil immeuble sans l’en avertir, Lang le banquier qui finance la promotion du terrain, un petit garçon et son père. On peut se perdre au début dans les personnages, mais c’est la rançon de celles ou ceux qui ne lisent que trois pages à la fois. Les autres suivront le fil sans problème, vite captivés par les différents caractères.

Jed est aigri de voir le vieil immeuble inhabité en plein New York que sa mère possédait vendu par elle pour une bouchée de pain – son héritage – sans son avis ; mais Jed était parti en Australie pour échapper à une accusation de trafic de drogue et il en est revenu parce qu’il a replongé là-bas. Adam possède désormais l’immeuble, attenant à la parcelle de terrain que Lang a acquis pour en faire un centre commercial, résidentiel et de bureaux, avec une grande tour d’architecte. Adam veut donc négocier la vente de son terrain contre l’architecture du projet, ce qui lui permettra de se lancer en grand. Mais il semble que Lang ait d’autres vues…

La réunion convoquée par Adam sur son yacht ancré dans le port de New York, son seul luxe, doit réunir Lang, le constructeur Sam, le chef de chantier Jimmy, Winifred la secrète secrétaire d’Adam bien au fait des pratiques de l’immobilier, et lui-même. Mais Lang prévient au dernier moment qu’il ne pourra pas venir, il a embouti un camion avec sa voiture et doit aller à l’hôpital. Lorsque le bateau quitte le quai, il explose. Aucun survivant, deux corps déchiquetés repêchés, deux disparus : Adam et Winifred. Mais le sac à main de la secrétaire récupéré, à peine roussi. Dedans, une petite clé de coffre bancaire, sans indication.

Nell est effondrée, elle s’était disputée avec son mari juste avant qu’il ne parte, ayant oublié sa mallette et son blazer, que sa secrétaire est venue chercher sur sa demande peu après. Sauf que ce n’est pas le bon blazer, il y en avait deux identiques. L’enquête commence. Les suspects : Jed qui en voulait à Adam, Lang qui voulait ce terrain mais pas l’architecte, Jimmy peut-être, longtemps au chômage et pas très clair depuis. Ou d’autres. D’autant qu’un petit garçon de 8 ans, de retour d’une visite à la statue de la Liberté, a vu le bateau exploser et, comme il est hypermétrope, a distingué nettement « un serpent » qui plongeait en même temps dans les flots. Il fait des cauchemars depuis et sa mère l’emmène voir une psychologue qui le fait dessiner. Et « le serpent » s’affine au fil de la mémoire. Les flics sont très intéressés de savoir ce qu’il est vraiment.

Sa grand-tante Gert persuade Nell d’aller voir la médium, qui a reçu un message confus d’Adam depuis l’au-delà. Mac est sceptique mais Nell réceptive, ayant connu une expérience de ce genre avec sa grand-mère lorsqu’elle est morte (une caresse dans la nuit) et avec ses parents lorsqu’elle était prise dans un contre-courant marin et a manqué de se noyer. En fait, Nell est une fausse sceptique, sa raison doute mais elle veut y croire. Elle se sent coupable de s’être disputée avec Adam avant sa disparition et veut connaître la vérité – pour elle-même et pour sa carrière. En bonne Yankee s’adressant à des Yankees, MHC n’oublie jamais l’égoïsme fonceur de ses personnages fétiches. Et Bonnie la bluffe ; « Adam » depuis l’au-delà conseille à Nell de se méfier de Lang.

Mais que veut Lang ? Qui est Bonnie ? Et qui était vraiment Adam ? D’où vient l’argent de la fidèle Winifred, qui lui permet de financer une maison de retraite chère à sa vieille mère acariâtre ? Et pourquoi est-elle allée la voir religieusement tous les jeudis soir ? Nell va enquêter, aidée de Mac, Bonnie va la troubler, la mère de Winifred lui inoculer des doutes. Et puis… le drame évidemment. Mais Nell trouvera l’amour à nouveau en la personne d’un médecin pédiatre, orphelin comme elle, qui recherche sa mère devenue SDF.

Une intrigue convenue, dans les normes exigées des lectrices de MHC, mais qui est bien composée et au suspense soigneusement découpé. Bien qu’évoluant dans les milieux huppés de New York – sa ville, son milieu – ce qui peut agacer par moment, on ne s’ennuie pas. Un bon cru de vacances que j’ai relu avec plaisir.

Mary Higgings Clark, Avant de te dire adieu (Before I say Goodby), 2000, Livre de poche 2001, 439 pages, €9,20, e-book Kindle €7,99

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Sandrine Warêgne, Un crime couleur rubis en Birmanie

Un roman policier voyageur. Trois Suisses partent en Birmanie et échappent de peu à une tentative d’escroquerie internationale sur les rubis. Tout se dénoue dans les affres, et la naïveté – disons même la niaiserie – de la fille, Vanessa, éclate au grand jour. Comment être aussi bête et croire que le monde entier est un paradis à la suisse ? Que tout le monde il est beau et poli et gentil comme un Suisse ?

Mais commençons par les personnages. Vanessa Egger est une grande rousse à lunettes, garçon manqué ; elle doit rendre un mémoire littéraire, l’étude comparée des romans Une histoire birmane d’Orwell et La vallée des rubis de Kessel (chroniqués sur ce blog). Elle veut voyager en Birmanie pour sentir le pays qu’elle doit étudier dans les romans. Avisant une annonce sur les murs de la fac, elle rejoint deux garçons pour voyager ensemble. Matthias Chiu l’asiatique et Alex Baer le grand blond en espadrilles sont tous deux suisses. Ils ont fini de hautes études commerciales et veulent passer l’été sac au dos en Asie. Ils choisissent la Birmanie pour un prétexte candide : parce que c’est une dictature – non qu’ils soient portés aux régimes autoritaires mais parce que cela a préservé le pays du tourisme de masse. Un choix consommateur pour Occidentaux libres, aisés et égoïstes. Avec pour vague excuse de ne pas aller dans les hôtels de la junte au pouvoir et d’ouvrir les Birmans au monde.

Au restaurant de l’hôtel à Rangoon, capitale économique du pays, Vanessa reconnaît Ben Edwards, comptable anglais pour des sociétés offshores, accompagné de sa femme aux cheveux noirs prénommée Fiona. Ben est l’ex de Vanessa, consommé lui aussi lorsqu’elle était étudiante à Londres en Erasmus. Il faut dire que Vanessa, en adolescente écervelée typique du contemporain, a publié aussitôt sur Instagram tout ce qu’elle allait faire, où elle devait aller et ce qu’elle avait déjà accompli. La présence de Ben n’est peut-être pas due au seul hasard.

Samuel et Diane, autre couple français d’Annecy dont lui se dit dentiste, se joignent à eux le lendemain pour visiter le Rocher d’or. Au retour, la chambre de Ben et Fiona a été cambriolée ; ils se disputent et Fiona disparaît. Samuel et Diane sont les coupables : ils ont récupéré les rubis volés à une altesse d’émirat qui les avait acheté à Genève pour sa troisième future épouse. Le lecteur sait tout de suite qui a fait le coup, ce qui est dommage pour le suspense, d’autant que l’ensemble du scénario n’a pas encore été présenté.

Nous faisons en effet la connaissance de l’inspecteur Patrick Camino, de Genève, la quarantaine au petit bedon, divorcé, fan de Francis Cabrel et flanqué d’un père, José, en maison de retraite. Il est chargé de l’enquête sur le vol des rubis « sang de pigeon » – une variété rare et très chère – par le joaillier Van Arp & Co. Le joaillier a payé l’intermédiaire birman mais les rubis ne lui ont pas été livrés et l’altesse menace directement sa vie. Disons-le de suite, la vie personnelle de l’inspecteur n’a rien à voir avec l’intrigue, sauf si le roman n’est que le début d’une série où on le retrouvera.

Le trio des étudiants décide, sur l’initiative appuyée de Vanessa qui garde un faible pour Ben, de l’aider à retrouver Fiona, occasion de visiter les principaux monuments bouddhistes, la maison d’Aung Sang Suu Kyi (dont Luc Besson a fait The Lady) et surtout les restaurants. « Fraîcheur et délices » disait Kessel. Ils décident à quatre (parce que c’est moins cher) de faire le périple prévu par Fiona en montrant sa photo partout où ils passent. C’est Mandalay, « Orwell avait même parlé de ville aux cinq P : parias, pagodes, prêtres, porcs et prostituées » p.97. Puis c’est le fleuve Irrawaddy et la pagode Bagan réputée contenir un os frontal de Bouddha. Tout une série touristique abondamment commentée comme dans un récit de voyage. Curieusement, Diane et Samuel les ont précédés. Samuel, bourré, blague ou pas sur le trafic de rubis, à la grande perplexité des étudiants – et du lecteur.

Alex et Matt vont seuls faire le fameux tour en montgolfière de Bagan car Vanessa a le vertige. En montrant sa photo par réflexe, ils apprennent que Fiona a fait le même deux jours avant. En interrogeant le registre de la compagnie, ils retrouvent son hôtel mais elle n’est pas là. C’est alors que Ben apprend par un tabloïd anglais sur Internet que l’on a retrouvé son cadavre près d’un temple. La police birmane qui s’en fout classe l’affaire en accident. Effondrement : Ben retourne à Londres avec son cadavre incinéré, le trio décide de continuer et terminent au lac Inle, occasion d’un dernier coucher de soleil en technicolor, avant le retour à Genève.

A l’aéroport, ils croisent Samuel et Diane qui font semblant de ne pas les connaître et déclarent d’ailleurs s’appeler Rubinstein, avant de prendre leur vol pour Dubaï. Sauf que Rubinstein veut dire pierre de rubis en allemand. Alertée, la police de Genève qui agit plus vite qu’elle ne pense, s’aperçoit qu’ils ont un faux passeport et sont frère et sœur, recherchés par Interpol… Le collier de pierres rouges que chacun croyait de rubis, s’avère être de spinelles, une variété inférieure. Quant au joaillier genevois, son cadavre a été retrouvé dans le Rhône.

Quel rôle ont joué Samuel et Diane ? Qui sont vraiment Ben et Fiona ? Comment se fait-il que Vanessa se soit retrouvée un soir dans le lit de Ben au lieu de la jeune suisse-allemande Jennifer qui a bu le même cocktail au bar avec lui ? Qu’a donc ordonné l’altesse émiratie pour que les cadavres s’accumulent ? – Et où sont les fameux rubis ?

Dans cette énigme subtile à la forme un peu maladroite mais touchante, aux personnages parfois égarés dans l’histoire, le lecteur voyage dans un pays où il n’ira peut-être jamais au vu de la situation politico-militaire. Comme Ben (et comme moi) il emportera peut-être deux appareils photos, un gros pour les belles vues et un petit pour croquer sur le vif, tout en se récitant les sages maximes de Warren Buffet (l’un de mes maîtres en bourse) sur la façon de vivre bien tout en faisant fortune. Un bon délassement exotique.

Sandrine Warêgne, Un crime couleur rubis en Birmanie, 2023, éditions Spinelle, 205 pages, €18,00

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Bernard Lenteric, La guerre des cerveaux

Décédé en 2009 à 75 ans, Bernard Lenteric fut l’un des auteurs de bons thrillers français, au temps où le genre faisait florès. Il a surfé sur les modes. Autant aujourd’hui c’est la Chine qui focalise l’attention, autant dans les années 1980 c’était le Japon. La guerre froide subsistait et l’URSS faisait peur plus par ce qu’on imaginait de mystère que par la triste réalité des choses. Mais les Américains se devaient de considérer l’empire soviétique comme un égal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, au grand dam du tyran mongol national-xénophobe qui voudrait bien renverser le cours de l’histoire malgré son pays en déclin qui ne fait plus le poids face à des mastodontes démographiques et technologiques comme l’Inde, la Chine, les États-Unis, l’Union européenne ou le Japon…

Un prix Nobel américain pète les plombs après avoir reçu un coup de téléphone ; il massacre toute sa famille avant de s’éradiquer. Un peu plus tard, un neurochirurgien de renom saccage un cerveau blessé avant d’être interné. Encore plus tard, un Français au Muséum détruit ses bureaux et brûle toute sa recherche. Puis un Anglais élitiste va tuer d’un coup de canne-épée un savant qu’il ne connaît pas en lui transperçant le cerveau avant de se tirer une balle dans la tête. Mais cet Ashby n’est pas n’importe qui. Il appartient au club très fermé des intelligences de la planète qui se nomment entre eux les Titulaires. Ils se chargent de détecter les savants prometteurs pour les financer au travers de leur Fondation, avant de les coopter éventuellement pour leur succéder.

Ashby était l’un des quatre, il avait choisi son successeur : un Japonais de la trentaine suprêmement intelligent et descendant de samouraï. Travaillant pour la firme Mitsubishi, il étudiait le cerveau, ou plutôt comment détecter la pensée via l’électronique. L’intelligence artificielle en était à ses débuts et lui avançait par l’imagerie cérébrale tandis que l’Américaine Jessy Flanaghan mettait en conserve les connaissances des cerveaux qu’elle choisissait encore vivants. Les coups de folies répétés des vieux savants étaient une perte pour l’humanité comme pour cette science en devenir.

Peskov, un physicien américain d’origine russe, qui avait travaillé sur la Bombe, se pose des questions. Qu’est-ce qui peut bien relier ces morts successives ? Un sondage auprès d’un savant de ses amis, affilié au KGB à Leningrad, lui apprend que la même chose a eu lieu en URSS, mais évidemment tue par goût du secret. Un savant parti pêcher avec un jeune garçon l’a étranglé après l’avoir sodomisé puis s’est suicidé. Il n’avait jamais montré de tendances à la violence ni d’attirance pour son sexe.

Le point commun ? Si le lecteur observe que les premiers savants fous sont tous juifs, la piste s’arrête là. Il s’agit d’autre chose : tous ont en commun d’avoir séjourné au Japon et de s’être intéressés aux travaux sur le cerveau de la firme Mitsubishi. Difficile d’en dire plus sans déflorer la jeune histoire, mais il s’agit de complot mondial, de manipulation subtile, d’ambitions nationalistes. Qui joue avec qui ? Dans quel but ? S’agit-il d’une « guerre » des cerveaux ou n’est-ce qu’un propos de journaliste ?

Bien mené, ce thriller des années 80 nous conduit là où il faut. Il montre en tout cas que les passions humaines restent éternelles et que la curiosité scientifique peut déraper au service de la puissance.

Bernard Lenteric, La guerre des cerveaux, 1985, Livre de poche 1986, 315 pages, €3,87

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Kathy Reichs, Passage mortel

Kathy Reichs exerce la fonction d’anthropologue judiciaire et enseigne à l’université au Canada et aux États-Unis. Ses romans policiers sont directement tirés de ses expériences et la série Bones en a été tiré. Elle décrit avec un réalisme vécu Montréal glacial en hiver et son université Mac Gill aux murs gris, comme la Caroline du nord avec son soleil de printemps, ses îles luxuriantes de la côte où un ami, Sam, élève des singes pour les étudier.

Les cadavres et les squelettes s’accumulent sur les tables d’étude. Une religieuse doit être canonisée et il faut s’assurer de retrouver sa tombe et que les restes soient bien les siens. Temperance fouille mais son étude montre qu’elle ne serait pas tout à fait comme son hagiographie le voudrait. Trop obsessionnelle, Temperance va-t-elle remettre en cause le processus au Vatican ? Brutalement, cinq autres morts dans un incendie suspect d’une ferme isolée : comme le feu a détruit la plupart des chairs, l’anthropologue doit déterminer qui est qui avec les squelettes. Il s’agit d’une vieille – tuée par balle -, d’un jeune couple assassiné au couteau et par morsures de gros chiens après avoir été drogués au Rohypnol, et de deux bébés jumeaux dont le cœur a été arraché vivant.

Qui a pu commettre une telle horreur ? Au nom de quoi ?

Comme d’habitude, Temperance s’investit dans sa mission. Perpétuellement agitée, angoissée, paniquée, elle va en somnambule, ne retrouvant un semblant de raison que devant son microscope et son ordinateur. Sa sœur Harry la fantasque a trouvé une nouvelle lubie en développement personnel : elle veut s’ouvrir à une autre vie. La sœur du couvent où la canonisable a été déterrée a une amie dont la fille, étudiante à Mac Gill, a disparu. Temperance enquête, fait la connaissance d’une inquiétante prof de mythologies et de deux assistantes sous emprise, pas mal perturbées.

Lorsqu’elle va se ressourcer en Caroline pour une semaine de vacances au soleil, une fois le boulot de détermination des restes accompli, elle ne peut que découvrir… deux nouveaux cadavres. Elle ne veut pas s’en occuper, c’est le boulot de l’anthropologue du comté, mais justement celui-ci a été requis pour une mission de l’ONU afin de déterrer les charniers de l’ex-Yougoslavie. Elle est donc requise pour se replonger dans le cadavre. Il s’agit de deux jeunes femmes, blanches, droguées au Rohypnol comme ceux de Montréal. Non loin de là, l’enquête révèle qu’une secte gentillette d’écolos se préservant du monde est ouverte.

Il s’avère que toutes les propriétés, celle qui a brûlé près de Montréal, celle de Caroline et même une autre au Texas où l’on a trouvé un lien, appartiennent un un riche Belge qui paye régulièrement les factures mais est introuvable. Temperance et son ami québécois l’enquêteur Ryan vont courir la montre afin d’éviter une prochaine catastrophe. Tous les morts pointent en effet vers une secte apocalyptique qui veut entreprendre un exorcisme satanique en sacrifiant des vies afin d’en sauver d’autres. Du délire paranoïaque sans aucun doute, mais des êtres de chair vulnérables comme les jeunes filles et les bébés. D’autant que Harry la sœur a disparu et pourrait être embringuée là-dedans !

Temperance est elle-même menacée, à demi étranglée dans une ruelle près de son domicile à Montréal parce qu’elle n’avait pas voulu, bravache, se faire raccompagner ; à demi incendiée dans sa cuisine de Charlotte avec un chat grillé balancé avec un parpaing au travers de sa fenêtre. Le sien ? Elle a confié Birdie à la voisine lorsqu’elle a dû aller en Caroline du nord et celui-ci s’est enfui.

Outre le suspense, un peu moins prenant que d’habitude, le lecteur (-trice et autres sexes) aura des cours détaillés sur insectes nécrophages et l’étude des squelettes, la procédure de fouille judiciaire et d’enquête sur les antécédents, l’inventaire des multiples sectes et autres façons d’alpaguer les gogos pour assurer son pouvoir absolu.

L’agaçant est surtout cette addiction forcenée à la Coke de ladite Temperance, cette boisson fétiche yankee de la firme d’Atlanta au 100 g de sucre par litre et à la pléthore d’additifs excitants tels que E150d, E210, E211, E220, E290, E330, E338, E414, E442 – en bref de la saloperie en bouteille ! Ryan préfère la bière, ce qui est plus sain.

Kathy Reichs, Passage mortel (Death du Jour), 1999, Pocket 2002, 475 pages, occasion €1,57

Un autre roman policier de Kathy Reichs déjà chroniqué sur ce blog

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R.J. Ellory, Les anonymes

Un roman policier écrit par un Anglais et qui se passe aux Etats-Unis. Il dénonce l’impérialisme américain alimenté par la CIA, elle-même manipulée par quelques rares Maîtres du monde ou qui se croient tels. D’où le financement du contre-terrorisme « communiste » par l’argent de la drogue… facilité par l’Agence pour éviter de passer par le Congrès ! Ce fut vrai sous Reagan, peut-être moins aujourd’hui, encore que : l’argent tout-puissant corrompt puissamment.

Cela est le message de l’ouvrage, roman policier lent qui découvre peu à peu les rouages du Système. Nous sommes à Washington, le siège de la puissance, près du triangle des agences fédérales de force, CIA, FBI, Cour suprême. Une femme est assassinée par étranglement avant (ou après) avoir été sauvagement battue. Son nom de Catherine Sheridan est un faux, elle n’existe pas, son numéro de Sécurité sociale (avec lequel on peut – ou pouvait – obtenir n’importe quel papier d’identité) fait référence à une femme décédée il y a longtemps. Dans le pays « le plus avancé du monde » pour la technique, l’Administration est un brin retardée : on paperasse à gogo mais les fichiers ne sont pas reliés et mal remplis.

Les flics chargés de l’enquête piétinent ; ils aboutissent à chaque piste à des impasses. Car ce n’est pas la première femme à avoir été éliminée de la sorte. Aucun indice, aucune arme, aucune trace. Sauf que l’inspecteur Miller, toujours obsédé, stressé et fatigué, va se voir mettre le nez sur une piste qu’il aura beaucoup de mal à suivre. Il est pourtant réputé « le meilleur » de la brigade selon son capitaine et « des moyens » lui sont attribués car les politiciens s’inquiètent de l’opinion que la presse agite à propos d’un tueur en série. Il signe ses crimes avec un ruban attaché au cou de ses victimes, portant une étiquette de la morgue.

Miller n’est pas intelligent, materné par une Juive dont on ne voit pas trop ce qu’elle vient faire ici. Il est trop perpétuellement fatigué pour avoir des intuitions. C’est ce qui fait la faiblesse du livre. A l’inverse, son criminel qui n’en est peut-être pas un, quoique, apparaît un maître suprême dans l’art de l’analyse comme de la dissimulation. Il a été entraîné pour cela et mène dorénavant la carrière d’un brillant universitaire. Est-il le tueur ? Miller le croit mais le prof sème des cailloux comme le petit Poucet afin de forcer l’inspecteur à aller dans la bonne direction. Celui-ci ne veut pas voir, c’est trop évident ; il ne veut pas comprendre, c’est trop gros ; il ne veut pas admettre, ce serait scandaleux. Et pourtant « cela » est.

Ces meurtres ne sont pas au hasard. Il ne s’agit pas d’un psychopathe qui massacre en série mais d’une action planifiée par un organisme d’État, ou par des dissidents de cet organisme qui ont fondé un Etat dans l’État, ou par des manipulateurs de dissidents qui agissent au nom de leur propre morale d’État. Jusqu’au bout.

En bref c’est embrouillé, lent à démarrer, paranoïaque. Mais l’on s’y attache si l’on s’accroche. Fondé sur des faits vrais des années 1980, l’intrigue poursuit la tendance au prétexte que le nerf de la guerre a supplanté la guerre même. La fin mélo ne dépare pas.

Roger Jon Ellory, Les anonymes (A Simple Act of Violence), 2008, Livre de poche 2012, 731 pages, €8,90

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Kathy Reichs, Meurtres en Acadie

Vous ne connaissez peut-être pas Kathy Reichs, anthropologue judiciaire parmi les 98 reconnues aux États-Unis, mais vous connaissez peut-être la série Bones, qui est tirée de ses romans policiers, dont celui chroniqué ici. Kathy Reichs, mère de trois enfants dont un fils, Brendan, avec qui elle écrit des romans pour ados, vit au Canada et partage son travail entre l’Office of the Chief Medical Examiner en Caroline du Nord et le Laboratoire des Sciences Judiciaires et de Médecine Légale de la province de Québec. Elle utilise cette expérience professionnelle pour, comme Patricia Cornwell, introduire le lecteur dans les arcanes spécialisées de la médecine légale. Son personnage de Temperance Brennan analyse les squelettes découverts par la police pour déterminer l’âge, le sexe, les causes de la mort, le milieu dans lequel le corps a séjourné, et ainsi de suite.

Nous sommes en Acadie, cette région de l’est du Canada ouverte sur l’Atlantique, au sud du Saint-Laurent, qui comprend l’île du New Brunswick. Terre française jusqu’à la conquête anglaise, elle a fait l’objet d’une épuration ethnique manu militari de la part des Rosbifs de 1755 à 1763 pour chasser tous les cultivateurs francophones et catholiques qui ne voulaient pas prêter allégeance à la couronne britannique. Familles expulsées, terres confisquées, la brutalité anglaise historique mêlée de ressentiment ethnique, le tout est chanté dans le poème Evangéline de l’Américain Henry Longfellow en 1847. C’est ce poème que se plaisaient à déclamer la narratrice Temperance, devenue anthropologue judiciaire, et sa copine Evangéline, avec qui elle jouait en vacances. Mais Evangéline a brusquement disparu l’année de ses 14 ans et sa jeune sœur Obéline a été placée. Malgré ses lettres et ses coups de téléphone, Temperance, aidée de sa sœur Harry, n’a jamais pu retrouver sa trace. La famille disait que c’était « dangereux ».

Adulte, Temperance s’intéresse aux restes d’un squelette d’adolescente trouvé par un policier dans le coffre de voiture de deux artistes punks qui déclarent l’avoir acheté chez un brocanteur, lequel l’aurait acquis auprès d’un homme des bois qui l’aurait découvert au bord d’un lac en Acadie. Non loin du lieu de vacances des filles jadis. Les os seraient-ils ceux d’Evangéline ?

En plus de ses autres tâches, dont la recherche de jeunes filles disparues, Temperance Brennan va se passionner pour cette quête. D’autant qu’elle semble recouper des enlèvements de fillettes et de prime adolescentes destinées à jouer nues dans des films pornos où elles se font attacher, torturer, violer. Ryan, l’officier de police du Québec chargé des cold cases en ce domaine est le grand amour de Temperance depuis qu’elle s’est séparée de son mari Peter, mais (mode d’époque déboussolée en tout) elle hésite et ne sait pas s’il faut aller plus loin ou non avec lui.

Tous deux et Hippo, un gros flic attaché à sa province où on parle le chiak plus que le joual, feront tout pour retrouver la trace des filles enlevées et réduites à leur image pédosexuelle, allant jusqu’à servir d’objets de fantasmes pervers. Ce ne sera pas simple, plutôt dangereux d’autant que la fantasque sœur Harry s’en mêle, et ne se résoudra pas aussi logiquement qu’on peut le croire. En effet, les disparues ne sont pas toutes mortes, certaines ont consenti plus ou moins à leur sort et s’en sont bien tirées. Evangéline sera retrouvée, après Obéline, et le mystère de sa disparition et de sa situation « dangereuse » à 14 ans sera éclairci. Le Canada avait créé un camp d’isolement pour une maladie rare qui faisait peur, alors que, dès les années 1960, un traitement efficace existait.

Outre l’intrigue, menée au galop avec un art du suspense en fin de chapitre tout à fait réjouissant, le lecteur découvrira ce pan du Canada francophone et ses particularités ultra-provinciales, ainsi que l’univers de la police scientifique. Il découvrira ainsi combien un simple bout d’os peut apprendre sur l’être humain. Un thème original et une histoire efficace.

Kathy Reichs, Meurtres en Acadie (Bones to Ashes), 2007, Pocket thriller 2012, 480 pages, occasion €3,26

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Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent

L’Islande est à la mode, peut-être parce qu’il y fait plus frais en été en notre période de réchauffement climatique et de canicules durables à répétition. Peut-être aussi à cause de la mode viking due à la série du même nom (excellente !) et au tropisme identitaire qui saisit les Européens face à la déferlante migratoire trop bronzée. Arnaldur Indridason reste l’auteur de polars inégalé (chroniqué sur ce blog), mais Eva Björg Aegisdottir (fille d’Aegis – le nom du bouclier d’Athéna) se lance. Elle est femme, ce qui devrait encore plus plaire à la mode d’époque… D’ailleurs ce polar a pour objet les filles – et leur principal défaut semble-t-il : le mensonge permanent. Tout le monde ment, tout le monde se veut autrement qu’il n’est, tout le monde réécrit ce qu’il a fait.

Son inspectrice est Elma, 33 ans, ex-enquêtrice de la brigade criminelle de Reykjavik qui revient dans la petite ville d’Akranes où elle a d’ailleurs passé son enfance (comme l’autrice). Tout est donc véridique dans les lieux et les gens. L’Islande est un pays étroit avec peu d’habitants et tout le monde se connaît dans les villages et les petites villes ; il n’y a guère qu’à la capitale que l’on peut retrouver un certain anonymat. Ce qui n’est pas anodin pour notre histoire.

Tout commence évidemment par un cadavre : celui d’une jeune femme découverte dans une faille de lave sur les pentes du volcan (éteint) Grabok, par deux gamins qui jouaient aux sauvages. Ils ont cru voir un gobelin mais ce n’était qu’un corps décomposé depuis quasi un an. On découvrira très vite qu’il s’agit de Marianna, mère célibataire un peu bizarre qui n’a guère aimé son enfant, une fille nommée Hekla qui a désormais 15 ans et qui préfère sa famille d’accueil à Akranes et ses copines de collège Dina et Tinna.

Qui en voulait donc à Marianna ? Les chapitres d’enquête, avec les inévitables problèmes de famille et de collègues pour faire humain, sont entrelacés avec de mystérieux chapitres qui relatent les relations d’une mère avec sa fille, depuis bébé jusqu’à ses 10 ans. Relations guère affectueuses et même carrément toxiques. Allez vous étonner après ça que… Mais aucun prénom n’est donné jusque fort tard dans le livre et le lecteur se sait pas de qui l’on parle. Il croit deviner, et puis pschitt !

Dans un pays aussi petit où la jeunesse n’a guère de loisirs autres que « faire la fête » en éclusant de l’alcool et en baisant à tout va dès la plus jeune adolescence, la rumeur peut enfler d’un coup et briser une vie. Unetelle est une pute trop facile ou Untel est un violeur. Ou briser plusieurs vies – jusque fort tard dans l’existence car il n’est nul lieu où vraiment se refaire une nouvelle vie.

Elma et son collègue Saevar ont pour patron un dénommé Hördur… Cocasse en français – mais ça se prononce oeurdur car le ö est un oeu. Ce n’est pas le seul exotisme, ce qui donne du sel à ces polars nordiques, plongés dans la nuit six mois par an, le frais et la brume tout le temps, avec les stations-services en guise de « dépanneurs » comme disent les Canadiens, les supermarchés locaux où l’on vend de tout, y compris du carburant, mais aussi de l’agneau séché à mettre dans un pain plat pour en faire un met à la Lord Sandwich. Entre autres.

Eva Björg Aegisdottir, Les filles qui mentent, 2019, Points policier 2023, 427 pages, €8,90 e-book Kindle €8,99

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Philpin et Sierra, Plumes de sang

Les auteurs sont psychologue auprès des tribunaux et écrivaine pour adolescents après avoir été enquêtrice. Il y a un peu de tout cela dans ce roman policier. Une détective ordinaire de la brigade criminelle dans le Connecticut traque un tueur en série. Diabolique, il aurait plus de quarante meurtres à son actif. Il se fait appeler John Wolf, mais ce n’est pas son vrai nom. Il en a plusieurs, une bonne vingtaine.

Mais s’il a plusieurs identités, il n’a qu’une idée fixe, tuer. Il a eu évidemment une enfance malheureuse, maltraité par son beau-père qui l’enfermait dans la soute à charbon. Il a désiré sa demi-sœur jusqu’à l’adolescence. Il a attaqué au couteau son bourreau lorsqu’il avait 14 ans et a été placé en institution. Très intelligent, il a passé son bac, et est entré à l’université avec une bourse. Il a commencé la médecine.

C’est là qu’il a commencé à tuer des filles seules et malheureuses qu’il a d’abord séduites. Comme tout psychopathe, massacré affectivement durant l’enfance, il n’a plus aucune empathie. Il tuait des daims tout nu au couteau et s’enduisait de leur sang, en sauvage. Adulte, il désire se venger de la société qui l’a rejetée. Sa demi-sœur Sarah est son modèle et il va chercher partout son double pour le détruire. Elle, il ne la jamais touchée, même s’il s’est masturbé en la regardant dormir et a fait fuir son amant de 16 ans en faisant exploser une bouteille de bière. En bref, les auteurs l’ont habillé pour l’hiver. Le psy et l’ex enquêtrice ne l’ont pas raté : c’est le pire produit de tueur en série jamais sorti de l’imagination. Comme le diable, il est beau, musclé, intelligent et il prend toutes les formes. Comment ne pas le trouver séduisant ? Sauf qu’il est redoutable.

Sa dernière victime est Sarah, séparée de son mari policier après la perte de leur bébé. Lane est une femme flic en tandem avec Robert le mari qui a une addiction à l’alcool – par solitude. Lane a aussi un père psychiatre qui a aidé le FBI dans la traque des tueurs en série. Elle fait appel à lui car le tueur la cherche ; il veut se la faire. Mais se mettre dans la tête d’un tueur n’est jamais anodin. Cela perturbe profondément la psyché et le dénouement sera terrible aux normes de la justice.

C’est un bon thriller, un peu plus intelligent que les autres pour un roman américain. Il a été écrit avant la mode de l’internet et des portables, ce qui est un signe sûr : il se lit toujours très bien, même si on ne le trouve que d’occasion.

John Philpin et Patricia Sierra, Plumes de sang (The Preattiest Feathers), 1997, Livre de poche 2001, 383 pages, €4,25

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Jean-Christophe Grangé, Les Promises

Il est curieux d’être psychiatre à l’époque nazie. Simon, petit homme dandy, se délecte dans son cabinet meublé avec goût des confidences des grandes dames qui viennent le voir. Elles sont toutes mariées à des pontes du Reich et déversnte devant lui leurs confidences. Il les enregistre sur des galettes de cire, évidemment. Ce qui lui permet de les faire doucement chanter, augmentant ainsi ses revenus. Mais cette façon de faire mercantile et bourgeoise ne peut pas durer. Simon le sait, mais il veut l’ignorer.

C’est alors que le régime le rattrape. L’une de ses patientes est retrouvée massacrée dans un parc, le ventre ouvert et les organes enlevés. S’agit-il d’un meurtrier sadique comme il en est malheureusement tant ? Lorsqu’une deuxième victime, de la même société, est tuée et éviscérée de la même façon, le doute n’est plus possible : il s’agit d’un tueur en série. C’est un SS de base, Franz, qui est chargé de l’enquête puisqu’elle devient politique. La police, en effet, n’a rien trouvé, et la position sociale des femmes proches du pouvoir fait que la Gestapo a repris le dossier. Mais Franz patine. Il n’a aucune notion d’une enquête de police et ne sait seulement qu’user de brutalité.

Une troisième personne va s’ajouter à l’enquête, une aristocrate, psychiatre comme Simon, Minna von Hassel. Elle dirige un asile de fous que les spécialistes du Reich vont s’empresser d’éradiquer. Il s’agit en effet de créer une race saine et d’éliminer tous les déviants et les mauvais gènes. C’est le rôle d’un médecin psychopathe laissé à lui-même, comme les régimes totalitaires savent en créer – et pas seulement le nazisme.

Comme une troisième puis une quatrième victime s’ajoute, tuée et éventrée de même, Simon, Franz et Minna vont se rencontrer. Ce trio improbable venu de trois pôles opposés de la société, finira par s’entendre et à découvrir le pot aux roses. Mais, à chaque fois qu’ils pensent tenir un coupable, ce n’est jamais le bon.

Jean-Christophe Grangé n’aime pas le nazisme. Il s’en moque : « comment reconnaître l’Aryen idéal ? Facile. Il est blond comme Hitler, grand comme Goebbels, svelte comme Göring » p.506. Mais le monde qu’il a créé le fascine, dans la mesure où il permet aux instincts les plus sauvages de se manifester sans entrave. Il est donc la période de l’histoire la plus propice à situer l’action et ficeler un roman policier labyrinthique, tout en révélant des types humains intéressants et contrastés.

Simon le psy gigolo est touchant, Franz le nazi de base est compréhensible, Minna l’aristo élevée dans la richesse est émouvante. Créer une psychologie convaincante des personnages est la deuxième clé qui fait un bon roman, après une histoire bien menée.

Mais il y a plus : une analyse contemporaine du délire nazi. Le conservatisme réactionnaire s’est mué en nationalisme exacerbé, allant jusqu’au racisme le plus dur. Comment l’amertume de la défaite de 1918 et la tentation complotiste du « coup de poignard dans le dos » des minorités intérieures (juifs, communistes, intellectuels de gauche, homosexuels progressistes, etc.) vont engendrer la croyance d’être au final supérieur, donc la haine pour tout ceux qui sont différents, « pas d’ma bande » dit la racaille. Il suffit alors de gueuler, d’entraîner la masse amorphe qui ne demande qu’à croire, et à faire d’un peintre raté névrosé du sexe un dictateur, d’un éleveur de poulet un dresseur de la race. S’ensuit la répression intérieure et la guerre extérieure – puis le chaos final, inévitable.

Les trois personnages du roman, qui ont laissé faire et s’en accommodaient jusque là, vont ouvrir les yeux. Le gigolo maître chanteur va choisir la justice, la brute haineuse va apprendre la vérité sur les mensonges du régime et la compassion pour les êtres, l’aristocrate va éprouver que l’argent et la position ne peuvent pas tout et que la solidarité est finalement la meilleure des choses humaines.

Jean-Christophe Grangé, Les Promises, 2021, Livre de poche 2023, 795 pages, €10.90, e-book Kindle €9.99

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Hitchcock, Histoires angoissantes

Vieilles histoires mais histoires éternelles de ruse pour obtenir plus de pouvoir, plus d’argent, plus d’amour. Histoires originales, où la ruse est reine, où l’inventivité prime, où parvenir à ses fins exige un plan… parfois déjoué par le destin ou par l’autre qui ne reste pas inerte.

Ce sont donc vingt nouvelles, tirées du Hitchcock Magazine, qui sont publiées sous le thème de l’angoisse.

C’est un couple de riches qui se jalousent et désirent tirer avantage de la mort de l’autre ; sauf que c’est réciproque et que leurs actes s’annulent jusqu’à s’inverser même. C’est un amnésique à l’hôpital qui se meurt de ne plus se souvenir de rien ; et un petit garçon blessé par une chute de son cheval survient et il découvre qu’il sait consoler. C’est un autre petit garçon qui appelle un soir la police, sa mère et son beau-père sont morts par balle au rez-de-chaussée ; lui voulait aller vivre avec son père mais on ne lui avait pas demandé son avis ; en pyjama, les pieds nus, son père appelé revient pour qu’il vive désormais avec lui ; le garçon n’emmène qu’une boite qui contient ses secrets. C’est une vieille dame abandonnée de tous, que ses enfants veulent mettre en maison de retraite, mais qui se prend de passion pour les violettes tropicales d’Afrique. C’est un jeune couple qui se fait agresser, la jeune épouse est violée, tuée, le jeune mari est menacé mais ne tente rien ; il reproche aux voisins dans ce lieu isolé qui n’ont ni arme, ni téléphone, mais une famille nombreuse, de ne pas les avoir aidés – mais à qui faut-il s’en prendre, sinon à lui-même ?

Ce sont deux chasseurs qui aiment la même serveuse dans les montagnes américaines ; un évadé dangereux rôde aux alentours et chacun se dit que, peut-être, son rival pourrait disparaître à cette occasion. C’est un mari qui prend par habitude des étudiants en stop ; justement en voilà un qui arbore le même logo que l’école dans laquelle il a fait ses études ; son couple va mal, et le crime est parfait. C’est un détenu pour faits mineurs qui croit s’évader en endossant les habits d’un autre, un témoin contre un mafieux ; sauf qu’il n’a pas songé aux conséquences, ni que la Mafia avait de l’imagination. C’est une vieille tante que son neveu voudrait voir disparaître pour claquer l’héritage ; il imagine un piège diabolique qui a pour centre la salle de bain, mais c’est sans compter l’amitié de la vieille avec les enfants du coin et leur savoir scout en matière de morse. C’est une petite fille qui veut se tuer parce qu’elle n’aime pas son beau-père et que sa mère en est emprise ; elle fugue incognito et lorsqu’elle revient, le beau-père est déjà arrêté sur la foi de la lettre laissée par la gamine disant qu’il avait l’intention de la tuer ; la mère en profite. C’est une épouse qui veut divorcer aux torts de son mari qui a une maîtresse ; mais le mari est plus subtil qu’elle et inverse les rôles, se débarrassant à la fois d’elle et d’une maîtresse chanteuse.

C’est un soldat durant la guerre de Corée qui reconnaît un autre homme qui avait agressé, des années auparavant, un vieillard dans un parc et l’avait tué ; il l’avait à peine vu mais l’a reconnu mais, imbécile comme un naïf, il croit qu’il suffit de révéler la vérité pour que tout rentre dans l’ordre moral. C’est un tueur qui vient déclarer ses revenus pour établir ses impôts ; le fonctionnaire lui dit qu’il est illégal d’être « tueur » et qu’il devrait le dénoncer ; commence alors une série de passes d’armes juridiques pour finir par un bel et bon chantage. C’est un malade à l’hôpital qui entend dans le sommeil de son voisin peu avenant une réminiscence d’un meurtre ; il a le tort d’en parler et doit être opéré… justement par le nom qui fut cité dans le rêve de l’autre. C’est encore un jeune flambeur qui voit de l’argent tomber du ciel, un portefeuille très garni du haut d’un immeuble ; il s’en empare mais une fille le retrouve et lui révèle qu’il appartient à un type dangereux, lequel va tenter de le tuer en effet, mais tout se termine bien – même mieux que prévu : aide-toi, le ciel t’aidera. C’est un ouvrier qui travaille de nuit et dont la bonne femme ne fout rien, il doit l’aider pour tout, les courses, les déjeuners, les enfants ; il s’épuise et décide d’en finir avec cette existence d’esclave pour – enfin – pouvoir dormir. C’est un avocat qui a durant deux ans été procureur dans un État sans peine de mort et a fait condamner un meurtrier qui le suit dans les montagnes et le retrouve ; il tire et le blesse au ventre, jouissant de le voir crever à petit feu ; mais l’avocat veut le voir puni et le dénoncer là où il faut, dans un État où la peine de mort existe ; il arrive par un effort surhumain à enfourcher un radeau construit par des scouts et à se laisser dériver jusqu’à la frontière requise où il dénoncera le crime. C’est un auteur qui se repose aux Caraïbes et qui rencontre un vieil indigène adepte de l’alectryomancie – la prévision d’avenir par les graines représentant des lettres que picore un coq attaché ; il ne croit pas à ces fariboles mais le coq, interrogé trois fois (comme Pierre devant le Christ arrêté), désigne par trois fois le mot « mort », cela ne peut que mal finir.

Hitchcock, Histoires angoissantes, 1961, Livre de poche 1988, 319 pages, occasion €1,20

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Sophie Hannah, Les monstres de Sally

Je ne sais s’il existe une « école de Manchester » pour les romans policiers, mais les écrivains et écrivaines de la ville livrent en général des œuvres de bonne facture, nettement plus élaborés psychologiquement que celles des Américains. Evidemment il y a moins d’action et le déroulé de l’enquête est passablement plus brouillon.

Sophie Hannah insiste sur ce que vivent les mères de famille ayant des enfants petits : c’est la galère ! Comme elle dédie ce livre à « Susan et Suzie » (deux suceuses, selon la consonnance de leur nom), on peut se dire qu’elle connait la façon dont les enfants sucent la moelle de leurs parents. Exigeants, butés, colériques, ils et elles ont tout pour se faire détester. Sauf qu’ils sont vulnérables, chair de la chair et de temps à autre adorables. Chacun et chacune réagit selon son tempérament.

Rien de plus opposé que Nick et Sally. Tous deux travaillent, mais autant lui est désordonné, optimiste, prenant tout à la légère et le temps venu, autant elle est maniaque, angoissée, courant toute la journée avec une liste interminable de choses à faire – qu’elle ne réussit pas à caser. Le trait est un peu gros pour la vraisemblance mais permet d’ancrer le crime dans son contexte. Car il y a crime, et même au pluriel, et plus encore en prévision. Les romans policiers ne font plus dans la dentelle (ni dans l’arsenic) depuis longtemps. C’est aujourd’hui du sanglant, du brutal et de la série. Pour motifs psychiatriques, c’est la mode.

Donc Sally Thorning vit l’une de ses journées harassantes habituelles – sans savoir décrocher ni tempérer. Obsessionnelle compulsive, ou presque, elle veut que tout soit en ordre, bien rangé dans des cases, et que chaque chose soit accomplie dans les temps. Hélas ! La nounou des enfants, Zoé 6 ans et Jake 3 ans, lui annonce ne pas pouvoir finalement les garder durant une semaine alors qu’elle l’avait promis, étant grassement payée. Mais elle ne peut, de par la loi (anglaise), garder plus de trois jeunes enfants à la fois et elle a hérité, outre de celui qu’elle garde habituellement, des jumeaux de son amie qui doit aller… se faire refaire les seins. Sally est furieuse de cette futilité et, quand elle quitte en pétard la nounou, s’aperçoit à peine de ce qui se passe dans la rue. Quand soudain, « on » la pousse sous les roues d’un bus, qu’elle ne parvient que par un miracle à éviter, non sans se meurtrir les jambes, la joue, le bras, et déchirer sa robe. Serait-ce la nounou qu’elle a quittée pleine de ressentiment ?

Son mari Nick qui ne s’en fait jamais est à la maison dans le désordre mis par deux enfants petits, tout simplement en train de regarder les infos à la télé. S’affiche le visage d’un homme désespéré qui vient de perdre sa femme et sa fille, toutes deux retrouvées nues dans la baignoire, mortes noyées. Probablement un suicide, mais… On le présente comme Mark Bretherick mais… cet homme ne saurait être Mark : Sally la rencontré fortuitement un Mark Bretherick dans un hôtel où elle se reposait, ayant obtenu une semaine de congés clandestins pour compenser le voyage professionnel impérieux à laquelle elle devait sacrifier. Ils ont fait connaissance au bar, ont échangé de menus propos sur la vie quotidienne, se sont aperçus qu’ils habitaient la même petite ville – et ont couché ensemble. Un séjour fortuit mais agréable, dont Nick ne doit rien savoir, évidemment. Sally n’a pas voulu le « tromper » mais cela s’est fait sans y penser, et elle ne va pas poursuivre la relation. D’ailleurs Mark Bretherick ne la rappelle pas.

Mais si Mark n’est pas Mark, alors qui est-il ?

C’est le début d’une enquête menée par la police sur les cadavres de la mère et la fille, de Sally sur le mystérieux Mark, des amis, relations et comparses des uns et des autres, sans oublier l’ingrédient obligatoire dans le standard des « thrillers » (qui ne thrillent plus autant qu’avant) : les amours compliquées des flics entre eux. Avec une fois, encore la caricature : l’amoureux transi qui a peur de franchir le pas ; l’amoureuse désespérée qui angoisse à l’idée de l’avouer ; le baiseur invétéré de tout ce qui porte jupe et pas de culotte ; le frigide qui s’en moque comme de son premier slip ; le nouveau capitaine au nom imprononçable (pour la « diversité »), le chef impavide mais qui exige (pour « l’autorité » qu’il faut réaffirmer dans la société) que l’enquête soit bouclée avant-hier…

Un début en fanfare qui s’étire, passionnant, sur les relations entre mère et fille, une enquête farfelue où les « intuitions » remplacent souvent les faits et rendent parfois elliptiques les révélations, une progression qui s’embourbe alors que se multiplient les chapitres décentrés, une fin glaçante tout grand ouverte sur les abîmes de la psyché. On ne savait pas le système de mœurs héritées de l’ère victorienne en Angleterre aussi apte à fabriquer des tordus et des tordues !

Sophie Hannah, Les monstres de Sally (The Point of Rescue), 2008, Livre de poche 2012, 503 pages, €4,84

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Carol Higgins Clark, Tempête sur Cape Cod

La mère avait inventé des romans policiers de frisson ; la fille écrit des romans policiers sur le mode du Club des Cinq pour adultes. Pas de frisson trop politiquement incorrect mais une mécanique bien réglée avec une multitude de personnages qui tous se connaissent et s’échangent des propos de salon. C’est bien monté, agréable à lire, mais oublié sitôt que refermé.

Nous sommes à Cape Cod sur la côte nord-est des États-Unis et les tempêtes y sont redoutables. Les villas secondaires, remplies en été, sont quasi désertes en hiver, ce pourquoi les rares habitants à demeure, en général retraités ou commerçants, connaissent tout le monde. Lorsqu’une femme vient louer une maison pour six mois et ne veut voir personne, c’est louche. Les voisines cancanières Fran et Ginny, vieilles filles qui n’ont que ça à faire après des amours déçus, soupçonnent une vie cachée à celle qui les remercie à peine pour la tourte aux myrtilles qu’elles lui apportent en guise de bienvenue – et pour reluquer son intérieur.

C’est cette période d’hiver que choisit le couple de Regan et Jack Reilly, elle détective privé et lui chef d’un service de police de New York, pour fêter leurs noces de coton – bien au chaud sous la couette. Sauf que la tempête brise une vitre des sœurs mêle-tout, ce qui les fait se réfugier chez eux car « leur mère a toujours été serviable » envers elles. Et que l’homme à tout faire du coin, un Répare-tout du nom de Skip (qui veut dire domestique), surgit affolé en criant qu’un corps ensanglanté gît au bas des marches, sur la plage, et qu’il s’agit de la voisine solitaire !

L’engrenage se met en route : Jack se précipite avec Skip pour porter secours, mais plus de corps. Les vagues très fortes l’ont peut-être emporté ? Le policier prévient la police (locale) et cherche à en savoir plus sur la voisine qui se fait appeler Mrs Hopkins via son service de New York. Au fond, personne ne sait grand-chose, sinon qu’elle a récemment divorcé et qu’elle n’a ni enfant, ni amis. Mais on retrouve chez elle des sacs entiers de coussins brodés d’un slogan d’excuse et une pile de cartes à envoyer du même style. Tout a été acheté Au coussin bavard, une boutique récemment ouverte par deux amies au chômage, descendues depuis New York. L’une d’elles a raconté en ligne ses déboires avec son ex-patron, un dragueur au rouge à lèvre, qui l’a embauché avant que son restaurant mal situé, mal conçu et ruineux ait fait presque aussitôt faillite. Le chat s’est développé, le site de la boutique a enflé et les commandes ont afflué.

Il y a aussi, dans cet hiver désert de Cape Cod, toute une troupe de théâtre itinérant qui vient s’installer pour monter une pièce écrite par le directeur Devon et qui met en scène un grand-père irascible devant le cadeau de ses petits enfants, un long et gros couteau à découper. L’acteur principal, vieux beau revenu du cinéma, a exigé qu’une villa lui soit louée pour lui tout seul afin de ne pas avoir à subir les dortoirs de la troupe. Elle se situe justement pas très loin de celle des Reilly et de la divorcée Hopkins. Quant au couteau, il exige que ce soit un vrai pour forcer son jeu.

Avec tout cela, secouez un peu et vous aurez des inimitiés, des menaces, des crimes en puissance. Mais le danger sera plus fantasmé que réel, comme dans le Club des Cinq qui faisait mes délices lorsque je n’avais pas 12 ans. Un roman policier à l’eau de rose pour public très précis : les rombières de la haute société qu’affectionnait déjà Mary Higgings Clark, la mère de Carol, mais avec une noirceur et un talent du suspense nettement meilleur. En raison des vicissitudes de sa propre existence peut-être, moins rose que celle de sa fille.

Un roman qui se lit et s’oublie. Si m’en croyez, préférez Mary Higgins à Carol Higgins.

Carol Higgins Clark, Tempête sur Cape Cod (Wrecked), 2010, Livre de poche 2013, 303 pages, €6,90

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Lynda La Plante, Cœur de pierre

Une ancienne comédienne anglaise passée dans le script de séries télé se lance dans l’écriture de romans policiers – « à l’américaine » – c’est la mode. Celui-ci, qui met en scène une femme, ex-policière devenue détective privée, est de bonne facture. L’intrigue est tordue à souhait et le dénouement inattendu.

Nous sommes à Los Angeles, ghetto des stars. Harry Nathan a des talents de peintre mais surtout le sens des affaires, à moins que ce ne soit celui de sa première femme Sonja, une nordique froide du sexe mais aussi de la tête. Mais Harry s’en lasse, macho content de lui et de son corps cultivé aux appareils. Il s’entiche de l’assistante de sa femme à la galerie d’art, Kendall et l’épouse après divorce – il garde la villa et la galerie et c’est Kendall qui la gère, avec l’aide d’un jeune Noir qui a fait de la prison (toujours utile pour les coups tordus). Kendall est avisée mais avide, elle tient trop tête à Harry qui divorce à nouveau et se remarie avec une très jeune Cindy au corps de rêve mais au pois chiche dans la tête, sans parler des substances qu’elle prend. Mais Kendall a gardé la moitié des parts de la galerie et continue de faire des affaires avec Harry et son carnet d’adresses. Une vie bien compliquée pour Harry.

Surtout qu’on le retrouve tout nu dans sa piscine, flottant le ventre à l’air comme un poisson crevé, une seule balle lui ayant emporté le visage. Un coup de téléphone affolé de celle qui se présente comme Cindy demande à Lorraine Page, de Page Investigations, boite qu’elle vient de créer, d’enquêter pour savoir qui est le coupable. Lorraine vient juste de s’installer après divers déboires dans la police où elle était lieutenant. Devenue alcoolique, elle a un jour tiré sur un jeune Noir qui s’enfuyait, après les sommations d’usage mais que le jeune n’a pas entendu, obsédé par son baladeur à fond sur les oreilles. Non seulement il est mort, mais elle lui a surtout tiré six balles dans le dos, un acharnement sans objet. Chassée de la police, l’affaire étouffée en interne comme il se doit pour une flic méritante, le dealer de toutes façons éminemment suspect, elle est entrée en dépression et vient tout juste d’en sortir. Elle veut revivre.

Mais voilà que le destin s’en mêle. Son affaire démarre sur les chapeaux de roue avec ce crime bizarrement commis, on ne sait par qui car les coupables potentiels sont légion. Il y a les trois épouses, dont la dernière, dans les vapes au moment des faits, qui ne sait pas si elle « l’a » fait ou si elle l’a rêvé ; il y a l’ami suspect Vallance, un vieux beau qui fut acteur adulé avant la déchéance physique et qui est resté depuis sa jeunesse amoureux de Harry ; il y a le frère de Harry, peintre qui peine à percer ; et l’avocat Feinstein à qui il a vendu des toiles.

Se découvre une arnaque de grande ampleur, puis une affaire dans l’affaire qui va mettre en cause directement Lorraine Page et son assistant tout frais embauché, le beau jeune gay Decker.

Comme s’est la mode, les femmes sont ici mises en avant, mises à l’honneur. Les hommes sont « tous des… » ou pas vraiment « des hommes ». Harry est un obsédé sexuel égoïste et vaniteux, l’avocat un avorton avide de fric et vantard, le frère de Harry un raté vaguement hippie qui se croit, le jeune Decker n’est pas Black mais pédé… Seul réchappe à ce dégommage en règle l’ancien patron de Lorraine dans la police, Rooney, qui vient de vivre une lune de miel en Europe avec son épouse Rosie, et le nouveau capitaine de police Jack Burton. Il est le rêve mâle de toutes les femelles : viril, protecteur, délicat, amoureux. Un vrai fantasme qui, comme tous les fantasmes, ne pourra se réaliser.

Mais je ne veux pas en dire trop. Se lit avec une certaine délectation, malgré (et surtout) dans les méandres d’une intrigue compliquée.

Lynda La Plante, Cœur de pierre (Cold Heart), 1998, Livre de poche 2000, 511 pages, occasion €1,20

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Mary Higgins Clark, La maison du guet

C’est un thriller efficace des années 70 que nous offre, un demi-siècle après encore, Mary Higgins Clark. Elle était toute fraîche autrice et cet opus est un bon.

Il y a bien sûr ses thèmes qui deviendront habituels, la jeune femme un peu niaise que le destin va frapper, des enfants innocents qui trinquent, des hommes ambivalents aux extrêmes, du psychopathe au prince charmant, un milieu aisé et conformiste dans une demeure confortable. Avec ces ingrédients, Clark agite l’action pour en créer du mouvement. Le style est direct, la psychologie sommaire, mais le lecteur progresse sans cesse.

Nancy est une femme de 30 ans qui vit depuis sept ans une seconde existence avec un mari de rêve et de beaux enfants, le garçon et la fille du rêve américain, comme il se doit. Mais un jour… elle laisse ses enfants de 5 et 2 ans jouer dehors à la balançoire, s’absente une dizaine de minutes pour faire le lit et mettre les draps à la machine, et lorsqu’elle veut les faire rentrer par ce qu’il fait froid et que la tempête se lève, elle ne les retrouve pas. Nous sommes à Cape Cod, un endroit chic de la bourgeoisie de Nouvelle-Angleterre et la grande maison proche de la mer est isolée par un bois de la route.

Affolée, Nancy court instinctivement vers le lac, croit apercevoir un objet rouge flottant dans l’eau, s’élance mais n’attrape qu’un reflet et s’écroule sur le sable de la rive. Elle est épuisée. N’a-t-elle pas justement, juste avant de laisser les enfants, parcouru le journal que le facteur vient d’apporter et qui contient un article détaillé sur un crime commis en Californie des années auparavant ? Une grande photo l’illustre, et elle s’y reconnaît.

Car la jeune femme a épousé à 19 ans, malgré les conseils de sa mère, un professeur de son université qui l’entourait de prévenance comme une petite fille. Elle a eu avec lui deux enfants, un garçon et une fille comme il se doit, et a vécu avec lui quelques années jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive, à petites touches, que son mari n’était pas l’homme qu’il paraissait et que ses enfants se plaignaient de jeux et d’attouchements. Un jour, elle est allée faire des courses au supermarché avec eux, les a laissés dans la voiture, et en revenant une dizaine de minutes plus tard, elle ne les retrouve pas. La police alertée en retrouvera les cadavres noyés. Plus tard son mari laissera une lettre disant qu’il veut les rejoindre et se noyer à son tour. Pourtant, il a toujours eu horreur de l’eau…

C’est donc un cauchemar que revit Nancy et, désormais, tout le monde la soupçonne. Elle a voulu se faire oublier et refaire entièrement sa vie, mais le destin la poursuit, à moins que ce ne soit un complot machiavélique de quelqu’un qui veut se venger, ou encore un psychopathe pédocriminel qui récidive. Qui croire ? Mais, comme toujours avec Clark, la femme de 30 ans a su se faire apprécier pour ses qualités propres et plusieurs personnes de son entourage vont l’aider à démêler l’écheveau des apparences et à contrer les inévitables préventions sociales et les rumeurs malveillantes.

Ce roman policier court d’une traite car l’action avance régulièrement de chapitre en chapitre, tout en manipulant les émotions par des malheurs renouvelés et la découverte progressive de l’horreur. S’y révèle aussi l’esprit pionnier américain qui, de la jeune femme au mari, de l’entourage aux petits enfants mêmes, réussit à faire effort de se prendre en main pour se dépêtrer du bourbier.

Mary Higgins Clark, La maison du guet (Where are the Children), 1975, Livre de poche 1987, 221 pages, €7.40 e-book Kindle €7.49

Les romans policiers de Mary Higgins Clark déjà chroniqués sur ce blog

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Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret

Cinq nouvelles policières dont la première, qui donne son titre au recueil, est à elle seule un petit roman. C’est à chaque fois un délice, le suspense est bien amené et la « chute » brutale. Difficile de commenter sans dévoiler, aussi n’en dirai-je que peu.

Le fantôme de Lady Margaret se passe pour une fois en Angleterre. Judith est une jeune veuve qui a déjà publié des romans historiques à succès (un double de l’autrice). Adoptée petite par un couple de diplomates américains en poste à Londres après qu’elle ait été retrouvée seule, errante, après un bombardement de V1 en 1944, et que quatre ans d’enquête n’aient pas permis de retrouver ni son nom, ni sa famille, elle revient à la capitale britannique pour se documenter sur la période de Charles 1er et de Charles II, sur laquelle elle écrit. Elle se passionne, s’oublie parfois des heures dans son récit, laissant passer le temps. Son nouvel amant Stephen Hallett, rencontré dans un cocktail, est Member of the Parliament, conservateur, et pressenti pour devenir le prochain Premier ministre lorsque la Dame en poste se résignera à partir, après dix ans de bons et loyaux services (je pense qu’il s’agit d’une Margaret). Judith est très amoureuse mais son prénom la prédestine à revivre ce qui se passait six siècles avant Jésus lorsque la belle juive a pris la tête du gros fendard Holopherne, envoyé par Nabucho. En voulant retrouver ses souvenirs d’enfance bloqués, Judith régresse au point d’être envahie par une personnalité historique, Lady Margaret Carew, ennemie de sir Stephen Hallett, sbire du roi Charles qui a tué son fils Vincent. Et d’étranges attentats en plein Londres surviennent à intervalles réguliers. On pressent que tout cela va mal finir.

Terreur sur le campus est l’histoire d’un enlèvement d’une jeune fille bien sous tous rapports par un loser du lycée, laid et niais, qui en pinçait pour elle mais était maintenu à l’écart, harcelé et moqué. En bref, il fantasme et se venge.

Un jour de chance est machiavélique : une jeune femme, comme toujours chez Clark, est très amoureuse de son mec mais celui-ci ne parvient jamais à garder un poste de vendeur d’obligations dans les grandes firmes de Wall Street, métier qui l’ennuie. Il vient d’être viré d’une boite – Merrill Lynch, pas moins – et n’ose guère l’annoncer à sa femme qui, elle, enchaîne les petits boulots. Elle croise chaque matin un vieux qui aide à la vente de journaux et qui lui annonce qu’aujourd’hui sera son jour de chance. Il joue à la loterie. Il annonce qu’il viendra dîner avec eux, car elle l’invite parfois, pour leur annoncer une nouvelle. Le soir venu, personne : ni mari, ni vieux. Le mari rentre très en retard, mouillé, crevé, et annonce qu’il doit lui dire quelque chose de très important, mais le vieux n’apparaît pas. Il prime : la jeune femme téléphone à la police, aux hôpitaux, part à sa recherche. De fait, le vieux a été agressé et dépouillé, emmené à l’hôpital, il se meurt. Avait-il gagné à la loterie ? Et que devait dire le mari de si important ? Le lecteur croit que… d’ailleurs la jeune femme découvre… mais pas du tout ! C’est pire et plus dérisoire. Du grand art de la nouvelle.

L’une pour l’autre est l’histoire d’une confusion entre jumelles. Le tueur est jaloux d’avoir été évincé d’un rôle de jeune premier à la pièce du lycée – qui a valu à son remplaçant un contrat d’acteur télévisé en or. Après des années de galère, il trouve la metteuse en scène qui l’a viré sur un magazine et la tue. Mais il zigouille l’une en croyant que c’est l’autre, puis s’en aperçoit trop tard et tente de bisser son acte. Sauf que tout ne se passe pas aussi bien que la première fois. Celle qu’il a tuée était-elle finalement la bonne ? Est-ce une ruse de celle qui reste pour gagner du temps ? Désorienté, déstabilisé, le tueur s’égare. Mais il est déterminé.

L’ange perdu est une petite fille de 4 ans. Elle a été enlevée par son père qui est un escroc et sa mère la cherche désespérément. Elle la retrouve brusquement en photo dans un magazine, jeune modèle qui joue un ange pour le numéro de Noël. De fil en aiguille, elle remonte la piste et trouve la ville, l’adresse, la description d’une femme qui l’accompagnait. Elle se rend sur les lieux, invite la police, et entreprend de traquer les kidnappeurs, dont son mari toujours escroc et sa nouvelle, qui s’apprêtaient à fuir aux Bahamas. Mais la petite est intelligente, aimant sa mère et a bonne mémoire. Elle prend des initiatives.

Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret (The Anastasia Syndrome and other stories), 1989, Livre de poche 1994, 313 pages, €7,30

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Christian Gernigon, Les yeux du soupçon

L’auteur, prof d’anglais après un bac 68, s’est mis à l’élaboration de thrillers soigneusement documentés. Il a obtenu le Grand prix de littérature policière 1986 pour La Queue du scorpion. A désormais 72 ans, il ne semble plus écrire, son dernier opus date de 2008.

Il semble obsédé dans ses œuvres par les pédophiles et Les yeux du soupçon n’échappent pas à ce travers, comme s’il voulait exorciser quelques fantasmes sadiques de la société. S’il choisit à chaque roman une ville, il s’agit ici de San Francisco et le lecteur saura tout sur cette ville mythique, saisie au tournant du siècle. Mais le principal de ce policier de frissons où l’action se mêle assez bien à la psychologie est le portrait de « LA » conne américaine.

Il s’agit d’un idéal-type que l’on retrouve souvent dans les romans policiers yankees, notamment chez Mary Higgins Clark, mais que Christian Gernigon utilise ici à la perfection. Mary est en effet une « conne » : niaise, paniquée, séduite par les apparences, croyant à l’Hâmour à l’eau de rose Disney, genre pétasse qu’un prince charmant viendrait dénicher pour en faire la Femme de sa vie.

Mary a connu son mari David, prof en collège, massacré avec quelques élèves par un serial killer adolescent, frustré d’être nul et détesté sans que nul ne s’en préoccupe. L’égoïsme forcené américain valorise la compétition à outrance, pas seulement virile, et méprise les loosers. Avec la vente libre d’armes et les trafics possibles, pas étonnant à ce qu’il y ait autant de massacres de masse aux Etats-Unis. Le fric et le droit du plus fort importent plus que la vie humaine et la solidarité.

Un an s’est à peine passé après sa mort que Mary, flanquée de sa fillette de 6 ans Kelly (un prénom niais), tombe raide dingue d’un client à la quarantaine portant beau, venu consulter dans sa compagnie d’assurances. Aussi sec, sans même n’avoir baisé ni ne l’avoir questionné ou s’être tout simplement renseignée sur son métier et ses collègues, elle consent à se marier tout de suite, à Las Vegas en 24 h comme il est possible de le faire dans ce pays qui produit des tarés en série. Le « mariage » est en effet le fantasme social de base plutôt que la simple vie à deux. Un mariage à la Daech, vite prononcé à la chaîne par un imam protestant devant lequel les couples font la queue.

La conne américaine emménage donc avec son beau mari tout récent et il s’empresse de l’obliger – sans discussion – à démissionner de son emploi et à laisser tomber ses amies, selon le même schéma que le roman de Mary Higgins Clark publié en 1982, Un cri dans la nuit. Croyez-vous que cela lui aurait mis la puce à l’oreille ? Pas du tout ! L’illettrée ne l’a pas lu. Elle se dépêche de trouver mille excuses à ce comportement machiste et un brin paranoïaque, en rêvant de « la belle maison » (autre fantasme social de midinette) et de « la fortune » que son mari Peter est supposé avoir.

Sauf que le récit qu’il fait de son enfance malheureuse aurait dû la faire tiquer. Il n’en est évidemment rien, preuve que non seulement elle se complait aux fantasmes, mais qu’elle est en sus bête à pleurer. Son père dans l’armée a tué sa mère et Peter a été recueilli et élevé par son grand-père pasteur qui l’a élevé avec rigorisme ; une fois adulte, son épouse et sa fillette ont été massacrées à coups de marteau par un inconnu, Peter se trouvant soigneusement à distance pour qu’on ne puisse le soupçonner. Curieusement, il avait souscrit un fort contrat sur la vie au dernier survivant – et hérite donc de pas moins d’un million de dollars. De quoi voir venir et jouer au day trading.

Car la conne américaine, avec son petit diplôme de comptable et son boulot dans les assurances, ne s’est même pas préoccupée de savoir pourquoi son nouveau mari lui affirmait être gérant de portefeuilles boursier « chez Deloitte et Touche » alors que cette société n’a jamais géré aucun portefeuille boursier, ni fait de trading. Le site internet mentionne « Audit & Assurance, Consulting, Financial Advisory, Risk Advisory, et Juridique et Fiscal ». Mais croyez-vous que la future mariée, engagée à vie devant Dieu et devant les hommes, se soit préoccupée d’aller voir sur Internet ?

Son ami Mark, chargé d’enquêtes pour la compagnie d’assurance Briggs, dans laquelle ils travaillent tous les deux, a bien montré qu’un client douteux avait vu son épouse assassinée après un contrat sur la vie de 600 000 $ qu’il compte bien toucher, rien n’y a fait. Mary n’a pas effectué le rapprochement – pourtant évident – avec son propre cas.

Mark, aidé de son ami et collègue Willy, va démontrer que le mari a tué sa femme, terrorisé ses deux fils de 8 et 6 ans pour qu’ils la ferment et lui donnent un alibi, qu’il a été renvoyé de plusieurs métiers en rapport avec les enfants parce qu’il avait tendance à les faire mettre nus pour jouer au basket ou à la lutte. Peter ne semble pas atteint de cette perversité avec Kelly, mais…

Tout se résoudra dans le sang et la fureur, comme de bien entendu, non sans le venin dans la queue. Mark lui-même, qui aime Mary et voudrait bien l’épouser, a vu à l’âge de 10 ans son père fuir le domicile conjugal parce qu’il s’était découvert homo, et sa mère se suicider en essayant de l’entraîner avec elle. Il garde soigneusement le Colt .38 qui a servi et qui, curieusement, est le modèle par lequel son père a été tué au sortir d’une boite gay quelques années après.

La conne américaine va-t-elle répéter son schéma névrotique avec Mark comme avec Peter et David ?

Un bon thriller qui vous donne le portrait de la bêtise, côté US.

Christian Gernigon, Les yeux du soupçon, 2001, Livre de poche 2003, 383 pages, occasion €0.90, e-book Kindle €6.99

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Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs

Des vacances sur la Méditerranée pour le gendarme Léon Crevette et son ami retraité Eddy Baccardi, qui a vendu du pinard avant de se mettre « à l’écoute » des esseulé(e)es. Il aide sa réflexion : « l’étincelle, celle qui ne jaillit qu’au frottement de deux silex » p.74. Le crustacé au rhum fait plus que des étincelles : c’est un plat qui se déguste.

Un marin mort est retrouvé dans la grotte des Flambeaux noirs ; une vieille légende y mettait un pèlerinage avec des torches qu’on laissait s’éteindre avec ses vœux. Mais quel rapport avec la victime ? Peut-être aucun, si ce n’est qu’elle ne s’est pas noyée. Le Commandant Crevette, sitôt rentré de vacances, est renvoyé en mission sur le lieu de ses vacances – car c’est là que le mort fut découvert. Déjà Valentina, sa compagne russe qui est légiste, a été requise pour autopsier le cadavre, un homme de pas 40 ans, faute de médecin accrédité sur les lieux. Le lieutenant Flocon un brin gelé, en charge du coin, se liquéfie à l’idée de mener une enquête, lui qui sort à peine de l’école de gendarmerie après la charcuterie de ses parents. Les deux vont donc être priés par le proc de travailler ensemble.

Le mort était propriétaire de trois bateaux de pêche dont la Marie-Louise ; tous, curieusement, ont été immatriculés récemment aux îles Marshall, un paradis fiscal où l’on est en outre peu regardant sur le droit du travail. Son fils Victor, 9 ans, est enlevé peu après sa mort. Y aurait-il anguille sous roche ? Son grand-père est sénateur louche, de plus en plus tenté par l’extrême-droite. Une piste ? Mais rien. Il patauge, le Léon, entre « la veuve qui officiellement ne sait rien, le capitaine de la Marie-Louise qui ne dit rien, le dénommé Brahim et le blond barbu qui ont réponse à tout… (…) le sénateur qui a l’air faux comme un jeton » p.86. Les matelots marocain et norvégien ne disent pas ce qu’il savent, mais ils savent quelque chose. Le tout est de les amener à fissurer leur vérité en béton.

Léon laisse s’agiter ses petites cellules grises. Il les entretient aux petits plats d’un restaurant gastronomique non loin de son hôtel. Il déguste même des saint-jacques Rossini ! Une délicieuse recette adaptée par des Belges sur la Côte d’Azur dans le roman, mais qui vient de l’école du Ritz à Paris dans le vrai. Pas très diététique, mais goûteux.

Le gamin finira par s’évader tout seul en faisant un truc qu’il a vu dans une série télé (comme quoi la télé forme la jeunesse). Le sénateur sera pris la main dans le sac ou plutôt le revolver sur la tempe. Le commanditaire de tout le trafic ayant abouti à la mort du père et à l’enlèvement du fils, découvert et châtié. Il s’agissait d’un homme protégé, qui se fait appeler le Docteur T, et qui informe plus ou moins « les services » sur les djihadistes revendeurs de drogue avec qui il est en « affaires » ! Mais, si l’on sait dès le début que le sénateur n’est pas clair (dame, un politicien !), le lecteur ne trouve aucun fil pour le guider dans le labyrinthe. L’enquête est habilement menée par un auteur qui connaît bien les arcanes des Administrations, ayant passé sa carrière comme haut-fonctionnaire.

C’est léger, pétillant, l’auteur s’amuse et ne se prend jamais au sérieux. Comme cette remarque, en passant, sur le sénateur véreux, perquisitionné, qui « s’agite, mélenchonise. C’est un abus de pouvoir, une forfaiture, il est sénateur de la République, et la République, c’est lui ! » p.121. Le gendarme Crevette conduit ses enquêtes à la Maigret, avec le pif plus qu’avec les techniques modernes, et l’optimisme de l’auteur est contagieux. Il fait passer un très bon moment.

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs – Une enquête de Crevette et Baccardi, 2023, L’Harmattan noir, 219 pages, €20,00

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Contact et service presse : Emmanuelle Scordel-Anthonioz escordel@hotmail.com – 06 80 85 92 29

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Pierre Lemaitre, Le grand monde

L’auteur saisit la famille Pelletier, des Français du Liban propriétaires prospères d’une savonnerie, trente ans après 1918, jetés dans le grand monde. Ce sont les années glorieuses de l’après-guerre, du rationnement encore en cours, des grèves communistes de la CGT qui aspire à faire de la France un pays stalinien sur le modèle de l’URSS, du trafic de piastres en Indochine où les orgies, l’alcool et la prévarication montrent le laid visage des coloniaux.

De mars à novembre 1948, nous suivons les rebondissements des quatre enfants Jean, François, Étienne et Hélène. Il s’avère que l’un est tueur en série, l’autre faux normalien supérieur et journaliste à sensation, le troisième pédé malheureux pistonné à Saïgon et la quatrième, la seule fille, une suceuse cocaïnomane qui a commencé dès le lycée. Leurs amours sont tous malheureux, leurs ambitions immenses mais leurs capacités faiblardes. Le tourbillon de l’époque les entraîne malgré eux et ils surnagent, se débattent, tentent de garder la tête hors de l’eau. Le IVe République naissante est croquée dans ses travers, les ambitions minables pour se faire élire, l’argent de la corruption, l’entre-soi des intérêts bien compris – tout ce qu’une certaine frange de politiciens actuels (de gauche) voudrait voir revenir en VIe République avec le régime des partis, le duel des egos, la concussion, la valse des ministères où l’on prend les mêmes et l’on recommence les mêmes petits jeux sans aucun souci de l’intérêt général du pays.

Comme d’habitude avec Pierre Lemaitre, il y a du suspense, l’histoire se parcourt à grandes guides, on ne lâche pas un chapitre dès qu’il est commencé. Beaucoup d’ironie aussi, le portrait cruel de caractères bien tracés, représentatifs de Français moyens pas tous aussi falots ou brillants qu’ils le paraissent. De l’exotisme aussi, tant dans le Paris du fait divers à sensation qu’en Indochine en guerre civile contre le Viet Minh communiste, financé par les Chinois de Mao et aidés par l’URSS de Staline dans l’indifférence de la classe politicarde parisienne.

Le pays indochinois est vert, moite, beau et pourri – tout comme ce très jeune homme (15 ans ? 18 ans ? Sait-on jamais avec les Asiatiques) mandaté par le compradore chinois Quiào auprès d’Étienne, l’un des fils Pelletier qui agit depuis l’Agence des monnaies de Saïgon (Office indochinois des changes dans la réalité) où son père l’a fait entrer par relations afin qu’il rejoigne son légionnaire – Raymond. Lequel sera mort sous la torture à son arrivée, hersé par les buffles des petits hommes verts.

L’Agence est la seule instance administrative apte à autoriser les transferts d’argent entre la colonie et la métropole, au taux de change avantageux fixé par décret de 17 francs pour 1 piastre, alors que son cours de marché n’est guère que de 10 francs – de quoi doubler la mise à chaque transfert. La différence est payée par le Trésor français, autrement dit par les contribuables et citoyens de la République avariée. Militaires, fonctionnaires, affairistes et commerçants locaux en profitent et l’Agence ne fait que retarder vaguement le mouvement en demandant d’autres papiers justificatifs, car elle ne peut s’y opposer : c’est une décision politique typique d’un politicien IVe République. Fait officiellement pour aider au développement… mais aussi à la guérilla communiste ! Parce qu’il approchera trop cette corruption en forme de trahison, le jeune Étienne verra son amant annamite de 16 ans égorgé et lui-même terminera mal (sur le modèle réel du journaliste Jean-François Armorin). Qu’à cela ne tienne : dans le roman sa mère fera le voyage pour faire le ménage.

Ce n’est pas un livre d’histoire, ni une analyse de société mais un bon roman qui se lit au galop comme un policier historique. Le lecteur aura la surprise à la page 627 de le voir relié au tout premier roman Au revoir là-haut ! Un bon divertissement au coup de crayon acéré.

Pierre Lemaitre, Le grand monde – les années glorieuses, 2022, Livre de poche 2023, 767 pages, €,10,40 e-book Kindle €15,99

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Eric Bohème, Le Café du Centre

Mehun-sur-Yèvre est un bourg paisible du Berry qui existe vraiment, en plein milieu de la France, quelques 6000 habitants partagés entre ouvriers d’usines, agriculteurs et commerçants ou artisans. L’existence s’y coule, paisible, au début des années 1970. Jusqu’à ce qu’un inconnu surgisse de la ville et commence à dévisager les habitants, à les interroger sur la dernière guerre, à éplucher les vieux journaux du temps de l’Occupation. Que cherche cet homme, trop jeune pour avoir été actif à l’époque ?

Il cherche la vérité, mais personne ne sait laquelle, ni pourquoi, ni pour le compte de qui.

En tout cas, l’existence du bourg en est bouleversée. Un soûlard s’accuse d’un meurtre que personne ne lui connaît et veut sauter du donjon ; comme par hasard, c’est l’Inconnu qui l’en dissuade. Un ouvrier est arrêté et son four à la porcelainerie explose, faisant plusieurs blessés ; mais aurait-il été arrêté si l’Inconnu n’était pas venu ? Un « snack-bar » tout neuf s’ouvre dans un vieux caboulot en désuétude, apportant d’un coup la modernité agressive à l’américaine auprès de la jeunesse et drainant les mauvais garçons des alentours, mais qui a financé cet investissement énorme, justement alors que l’Inconnu est arrivé ? Une grève pour les salaires éclate à l’usine de câbles et le préfet nomme un médiateur, jeune homme tout frais sorti de l’École dont l’anagramme est « âne ». L’ancien régisseur du domaine d’un prince se pend, qu’a-t-il donc à se reprocher, sous l’œil inquisiteur de l’Inconnu ?

Ce sont autant d’événements minuscules suscités par cet individu dont nul ne sait rien, même si les notables cherchent à se renseigner. Des élections approchent et les gaullistes se sentent remis en cause par les giscardiens – n’y aurait-il pas quelques squelettes à sortir des placards ? Henri, propriétaire prospère depuis la Libération du Café du Centre dans lequel toutes les informations, toutes rumeurs, tous les commérages finissent par arriver s’en inquiète auprès de son frère Léon, très bien introduit à Paris. Mais comment Henri, simple barman dans un bouge de Pigalle dans sa jeunesse, a-t-il trouvé assez d’argent pour racheter le fonds à la veuve de l’ancien cafetier, fusillé pour Résistance par la Gestapo ? Et qui a dénoncé le patron ?

Il se passe toujours quelque chose à la campagne – et vous saurez tout sur le… mais oui, sur le zizi ! Car chacun rencontre sa chacune dans la clandestinité, si affriolante dans les villages où tout le monde se connaît et épie tout le monde. Les jeunes filles sages et les veuves joyeuses, tout comme les épouses qui s’ennuient et bovarysent continuent leur train-train avec les hommes, forts en gueule mais qui ont une réputation viriliste à soutenir.

Eric Bohème, écrivain de Bourges après avoir été ivoirien, écrit très agréablement et sa plume est précise pour évoquer ces années soixante-dix où la jeunesse encensait le Scopitone (un juke-box cinéma couleur), Danny Boy et Les Chats noirs tout en enfournant des hamburgers ou des choppers, les uns dans la gueule, les autres sous les cuisses. Les gamins en restaient aux Malabars et autres Carambars en jouant aux osselets et aux calots, à la barre (pour les garçons) ou à la marelle (pour les filles). Les adultes mangeaient encore traditionnel, blanquette de veau et daube, canard au miel et baies rouges, et même des « œufs en couilles d’âne » ; ils buvaient du vin rouge et pas du Coca et roulaient en R10-major, en Ami-8, en 404 commerciale ou carrément en Citroën SM tandis que les vieux réparent encore des tracteurs Vierzon, bien français mais pas toujours bien conçus. C’était notre « belle époque », celle de Pompidou juste avant Giscard, avant l’énième guerre contre Israël et l’usage terroriste de l’arme du pétrole.

La trame policière sur fond de rancœurs dues à la période trouble de l’Occupation est habilement tissée à la vie de tous les jours et compose un roman régional passionnant que j’ai dévoré sans vergogne. Je vous le conseille.

Eric Bohème, Le Café du Centre, 2023, Éditions de Borée, 281 pages, €19,50 e-book Kindle €9,99

Eric Bohème déjà chroniqué sur ce blog pour Réalités métissées et Le Monico

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Denise Mina, Résolution

Il y a quelque chose d’autobiographique dans ce thriller qui ne « thriller » pas beaucoup, n’ayant de « policier » qu’une accusation de meurtre et la menace de représailles sur personnes fragiles. Maureen est, comme son autrice, une fille paumée qui a quitté ses études avant d’entrer en dépression. Elle fait plusieurs petits boulots, dont le principal est la revente de cigarettes de contrebande sur le Paddy’s, le marché parallèle des bas quartiers de Glasgow. À la fin, comme Denise Mina, Maureen reprendra ses études, ayant accompli sa mission.

Celle-ci est avant tout de se dépatouiller de la domination masculine, puis de sortir les filles venues de Pologne de la prostitution. Vaste programme, comme dirait l’autre. Maureen a été soignée par Angus, un psychiatre « gentil », mais qui lui a suggéré qu’elle avait pu être violée dans son enfance par son père avant que lui-même tue par jalousie l’amant de Maureen, Douglas. Cela dans une crise de LSD – substance fournie par Maureen via son jeune frère Liam qui, souvent torse nu et souvent amoureux comme le dit avec délice l’autrice, a fini par se ranger des voitures et a repris des études.

Les fameuses études semblent l’alpha et l’oméga de ce milieu de jeunes égarés dans un monde trop dur pour eux, tous issus d’une famille dysfonctionnelle. Winnie, la mère de Maureen, Liam, Una et Marie, est une alcoolique notoire qui a divorcé de Michael, le père biologique des enfants, pour se mettre avec George. Maureen lui en veut de ne l’avoir pas protégée durant son enfance, bien que le soupçon de viol ait été probablement suggéré par le psy et non pas réalisé. Mais, au lycée, sa copine Pauline, qui a eu le même psy, a été réellement violée par son père et son frère, le second prenant à loisir des vidéos de la scène sodomite pour les revendre à des amateurs.

Le procès d’Angus le psy doit débuter incessamment, et Maureen redoute qu’il soit acquitté, les preuves de sa pleine conscience au moment du meurtre n’étant pas établies. Mais le sire est d’un pervers narcissique qui veut se distinguer de sa famille bigote et petite-bourgeoise austère et fermée, sans père, et il entreprend de déstabiliser la fragile Maureen en lui faisant envoyer sous enveloppe personnelle des photos mettant en scène de très jeunes filles et de très jeunes garçons nus et attachés, ainsi que la vidéo de Pauline pénétrée par l’anus à maintes reprises. Maureen se saoule mais ne faiblit pas et elle témoignera au procès. Angus sera acquitté, et il voudra se venger.

Mais il y a une fin et Maureen accomplira avec ses deux copines Leslie et Kilty son triple objectif, mettre hors d’état de nuire Michael, devenu malade et sénile, contrer Angus le psy pervers, et dénoncer un réseau de prostitution du fils d’une de ses connaissances du quartier, Ella la Flamme, mystérieusement décédée à l’hôpital d’une « crise cardiaque » après une « chute » chez elle, alors qu’elle venait de faire déposer plainte contre son fils par Maureen pour non-paiement des ménages qu’elle faisait à son bordel.

Ce roman policier est un roman de mœurs sur la jeunesse désemparée des années 2000 dans l’Ecosse provinciale de Glasgow, jadis centre commercial et industriel prospère, reconverti dans le culturel et la rénovation urbaine, ce qui a accentué les inégalités entre les beaux quartiers et les bas quartiers de l’East End que fréquente Maureen et ses copines. La trilogie traditionnelle anglaise des B (bite, bière et baston) se décline ici au féminin, mais il s’agit bien de la même chose. Le livre se lit bien malgré la profusion des personnages qui demande une certaine attention. Il est le troisième tome d’une série qui commence par Garnethill et Exil (sélection Marie-Claire), mais il peut se lire indépendamment.

Denise Mina, Résolution (Resolution), 2001, J’ai lu 2007, 512 pages, €10.50

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Mary Higgings Clark, Quand reviendras-tu ?

Un thriller classique de l’autrice avec jeune femme divorcée éprouvée par la vie, son entreprise de décoration d’intérieur, un petit garçon enlevé, un ex-mari volage, de vieux amis fidèles, un révérend bêta. Tout se passe à New York dans la bonne société. Dommage que le suspense soit inexistant, l’auteur composant son roman de façon à indiquer immédiatement ce qui s’est passé. Plus aucun mystère ou presque, seul le nom du kidnappeur reste inconnu, mais vite soupçonné.

Deux ans auparavant, Alexandra dite Zan a obtenu de son patron irascible de la boite de déco célèbre dans laquelle elle travaillait un congé pour aller voir ses parents à Rome. Mais ceux-ci ont eu un accident de voiture en allant la chercher, ils sont morts. Anéantie, elle se laisse protéger par Ted, un ami dans la communication, qui ne tarde pas à l’épouser. Mais au bout de six mois, Zan veut reprendre sa liberté. Le lecteur ne sait pas pourquoi, c’est ainsi. Les bonnes femmes font ce qu’elles veulent, c’est entendu.

Sauf que Zan est enceinte, sans le savoir (ça non plus, ce n’est pas courant de nos jours). Elle décide de garder le bébé, le prénomme Matthew, en informe son ex mais ne lui accorde rien, pas même de verser une pension alimentaire ou un droit de garde. « Je fais ce que je veux de mon corps », air connu. Oui, mais le petit garçon, à ses 3 ans, se fait enlever dans Central Park (toujours aussi mal famé). La nounou de 15 ans s’est endormie et une femme est venue prendre l’enfant dans sa poussette. Aucun indice, aucun témoin.

Sauf que deux ans plus tard, un Anglais (donc naïf) a pris des photos de son mariage dans le Park et, en agrandissant l’une d’elle, distingue celle qui a enlevé Matthew : c’est Zan elle-même ! Ou du moins c’est ce que l’on voit. Tout le monde le croit lorsque la police fait expertiser les clichés et prouvent qu’ils n’ont pas été trafiqués. Et un révérend d’une paroisse de New York a vu une femme qui ressemblait à Zan venir se confesser qu’elle se sentait coupable d’un crime qui allait être commis. Les vidéos surveillance sont formelles, on reconnaît sans peine Zan. Dès lors, quoi ? Zan a-t-elle une personnalité multiple ? Traumatisée par la mort de ses parents a-t-elle disjoncté comme cela se fait couramment dans la société américaine ? Son ancien patron, pervers narcissique, lui en veut-elle au point de commanditer un enlèvement juste pour la déstabiliser et lui faire du tort ? Ce coupable tout désigné est trop beau pour être le bon, évidemment.

Les amis confortent mais n’en pensent pas moins, les flics font leur boulot ingrat qui prend du temps, Ted fulmine contre Zan qui a laissé une nounou incompétente surveiller leur enfant et laisse entendre que Zan a peut-être tout manigancé parce que le gamin la gênait dans sa carrière ambitieuse.

Bon, il s’agit d’un fait banal, une substitution d’identité, ce que tout le monde s’accorde à penser s’il fait confiance à la jeune femme. Encore faut-il être introduit dans son intimité pour connaître son habillement du jour, le numéro de son compte bancaire et ses projets professionnels. Je ne révèle pas comment, mais là encore, rien que de plus banal au XXIe siècle et à New York quand on a de l’argent.

Tout finira bien, comme d’habitude, les méchants seront punis, les bons récompensés, Matthew retrouvera sa maman et Zan trouvera le bon mari pour la vie en assurant sa carrière.

Écrit plat comme un scénario mondain déroulé au fil de la conversation… Un mauvais roman de la Clark (décédée en 2020) qui nous avait habitué à plus de mystère et d’excitation de chapitre en chapitre. Il est vrai qu’à 84 ans on est plus dans la routine et moins dans le suspense. Se lit, mais sans l’attrait des précédents romans.

Mary Higgings Clark, Quand reviendras-tu (I’ll Walk Alone), 2011, Livre de poche 2013, 430 pages, €7,90

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Hervé Le Tellier, L’anomalie

Un roman original qui a eu le prix Goncourt il y a deux ans. Je lis rarement les prix Goncourt l’année même de leur sortie, j’attends plutôt quelques années, le temps de voir s’ils resteront dans la littérature ou s’ils rejoindront, comme beaucoup de Goncourt, l’oubli. L’anomalie, à mon avis, reste. Le roman est original, bien composé, écrit avec habileté en différents styles selon les personnages, et avec une certaine ironie.

Il se décompose en trois parties un peu scolaires mais indispensables : une première de présentation des personnages, une seconde sur l’anomalie qui se produit dans le monde, enfin une troisième sur les conséquences sur chacun. L’auteur ne manque pas, dans un ultime chapitre, de se moquer lui-même de ce qu’il écrit lui-même et d’analyser son livre. Il note ainsi commencer par une resucée de Mickey Spillane, le célèbre auteur de romans policiers mettant en scène un tueur nommé Hammer, le marteau. C’est le cas de son Blake, le seul personnage à s’en sortir sans dommage, car anonyme.

Il y a presque autant de femmes que d’hommes, mais l’auteur n’est pas tendre avec la partie femelle. Il les montre dans leur réalité égoïste, prêtes à baiser mais pas à s’engager, voulant un enfant pour elles toute seules, refusant la tendresse pour vivre leur vie comme elles disent. Ce qui étouffe Louis qui, à 10 ans, aimerait bien un peu d’air et un « papa » qui l’ouvre au reste du monde, pour briser enfin la coquille de l’œuf fusionnel dans lequel l’enferme sa mère Lucie (bien peu lumineuse). Ce qui navre l’architecte de la cinquantaine André, tout comme un certain Raphaël, tous deux amoureux de cette Lucie qui prend tout (notamment son pied) sans rien donner. Ce qui désole l’écrivain Miesel, auteur d’un roman posthume (enfin presque) intitulé L’anomalie, car son Anne le fuit manifestement. Il n’y a guère que le jeune nigérian Slimboy qui soit heureux – parce que justement il n’aime pas les femmes.

L’anomalie est quelque chose de physique qui se produit dans ce monde comme s’il était un gigantesque jeu vidéo dont les ficelles sont tirées par des intelligences extérieures. Un vol Paris-New York d’Air France atterrit en mars après un gigantesque orage, puis le même atterrit de nouveau en juin de la même année, après un même gigantesque orage, avec le même commandant de bord et les mêmes passagers. Affolement des officiels américains qui soupçonnent tout d’abord les Chinois, ensuite les extraterrestres, enfin une anomalie de la physique.

Nul ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé, d’autant que la CIA apprend que la Chine a eu elle-même son propre vol dupliqué – dont toute les traces d’ailleurs été effacées – ainsi que l’équipage et tous ses passagers. On ne badine pas avec la normalité dans la Chine de Xi Jin Ping : on éradique ce qui dérange. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où l’avion est dérouté sur un aérodrome militaire, tous ses passagers et son équipage confinés dans un hangar où des agents du FBI et des psys cherchent à en savoir plus. Car chaque individu présent dans l’avion de juin est le double exact de ceux dans celui posé en mars. Il faut savoir si ce sont des simulateurs, des clones, ou de parfaits jumeaux mystérieusement apparus.

Les observations, les interrogatoires et les enquêtes prouvent que chacun est bien celui qu’il dit être, ce qui fait qu’il existe désormais deux personnes identiques de par le monde. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants. Les physiciens évoquent la possibilité d’un repli du temps percé d’un trou de ver qui permettrait de passer d’un monde à l’autre ; ou une gigantesque simulation intergalactique qui ferait de notre monde humain une expérience in vivo de quelque intelligence incomparablement plus vaste que la nôtre (tout comme nos savants simulent leurs expériences à leurs petits niveaux).

Les conséquences ne se font pas attendre, elles sont personnelles à chacun des doubles et sociales avec ce poison de Dieu qui agite tous les ignorants et les fait croire en Satan. Le petit Louis a désormais deux mamans et, très intelligemment, il refuse de choisir et les tire au sort pour chaque jour de la semaine. Joanna l’avocate s’est trouvé un petit ami durant ces trois mois entre mars et juin et est tombée enceinte, tandis que sa duplication de juin ne l’est pas ; celle-ci va donc prendre une autre identité et disparaître. L’écrivain Miesel, qui s’est suicidé entre-temps après avoir écrit L’anomalie, renaît et découvre le monde après sa mort, quel était son « meilleur ami » qu’il connaissait à peine, et sa « fiancée éplorée » avec qui il avait rompu neuf mois auparavant ; il jouit désormais de sa réputation et de ses droits d’auteur mérités, et continue à écrire, soutenu par son éditrice Clémence, l’une des femmes sympathiques du roman. André décide, au vu de son expérience vécue par l’autre André durant trois mois, de tenter de renouer avec Lucie – l’une des deux Lucie seulement – en ne faisant pas les mêmes erreurs. Blake a résolu le problème de son double à sa manière, « chinoise ».

Il n’y a que Daniel, le pilote de l’avion, qui succombe une seconde fois au même cancer, malgré les trois mois de répit et l’expérience des traitements. Slimboy est heureux de se découvrir un jumeau, malgré la superstition africaine qui veut que ce soit un démon – sauf chez les yorubas ; ils vont pouvoir chanter ensemble. Quant à la jeune Adriana, qui voulait faire du théâtre, elle rencontre son double dans un show télévisé décrit avec une froide ironie par l’auteur en verve, et cela se termine mal à cause des chrétiens apocalyptiques qui voient en ces doubles soi-disant « non créés par Dieu » l’œuvre du diable. L’ignorance suscite toujours la peur, et la peur la violence fanatique.

Mieux vaut croire que penser, c’est plus rapide et plus facile, on se sent moins seul dans l’opinion commune et conforté dans tous ses actes par « Dieu ». L’auteur n’hésite pas à écrire : « Et au cœur de cet incendie sans fin qui de tout temps a dévoré l’Amérique, dans cette guerre que l’obscure mène à l’intelligence, ou la raison recule pas à pas devant l’ignorance et l’irrationnel, Jacob Evans [le baptiste ignare fanatisé par sa croyance] revêt la cuirasse d’ombre de son espérance primitive et absolue. La religion est un poisson carnivore des abysses. Elle émet une infime lumière, et pour attirer sa proie, il lui faut beaucoup de nuit » p.356.

Hervé Le Tellier n’est pas tendre avec les États-Unis, montrant leur bureaucratie en action, leurs décisions brutales, leur président en « mérou avec une perruque jaune » (un portrait irrésistible du précédent élu), et la décérébration de l’Internet : « la liberté de pensée sur Internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser » p.363.

En bref, ce n’est certes pas un roman à se prendre la tête, ni écrit avec grand style, ni frappé de formules à retenir, mais c’est un roman un peu policier, un peu science-fiction, lisible et divertissant. Il fait réfléchir sur soi et sur le monde, il rabaisse notre orgueil d’Homo sapiens maître et possesseur de la nature, et sa fin est un coup de théâtre en forme de coup de pied de l’âne. Un peu court, mais pas si mal.

Hervé Le Tellier, L’anomalie, 2020, Folio 2022, 404 pages, €8.90, e-book Kindle €8.49

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Denis Marquet, Colère

Le thriller d’un prof de philo écolo et thérapeute qui anticipe la fin de l’humanité par la révolte de la terre. L’idée est que l’homme biblique, fils de Dieu et érigé « maître et possesseur de la nature », est une diablerie. Condamner la chair, opposer la matière et l’esprit, est une ânerie. Tout au contraire, la terre est désir, depuis les atomes jusqu’aux organismes évolués. S’opposer au désir, vouloir tout contrôler, est une maladie mortelle.

Dans ce livre trop long, qui revient souvent à la ligne et ne sait pas finir, toute une première partie est consacrée aux catastrophes successives qui secouent la planète. Ce sont les animaux de compagnie, et notamment les chiens, qui se mettent brusquement à attaquer leurs maîtres. Ce sont des courants de fond, puis des tsunamis géants, qui emportent les nageurs frimeurs et les filles prêtes à baiser qui les provoquent sur les plages. Ce sont des virus mutant extrêmement dangereux qui naissent de divers foyers, en premier aux États-Unis, et contre lesquels aucune parade n’existe, seulement la cautérisation par le feu et la quarantaine par les armes.

En 2001, c’était assez bien vu sur les années Covid. « On ne se touche plus, on ne se parle plus. Le corps de l’autre, parce qu’il est en vie, est une menace. Ceux qui le peuvent fuient les grandes villes ; les autres y vivent terrés, évitant les contacts. Les grandes entreprises autorisent les cols blancs à travailler depuis leur domicile » p.193 Le SRAS cov-2 nous l’a prouvé. Mais il n’est, à côté, qu’un virus « normal » qui mute certes rapidement, mais pas suffisamment pour qu’un vaccin ne puisse être trouvé.

Les autorités américaines, évidemment paranoïaques et évidemment portées aux actions militaires, mandatent l’armée pour embaucher les « meilleurs » scientifiques de leur discipline afin de comprendre ce qui se passe. Avec les données binaires de la science occidentale, évidemment personne ne comprend rien. Sauf une anthropologue, Mary, en cours de mission en Amazonie où elle rencontre son maître en ethnologie Diego qui lui fait rencontrer à son tour un vieux chamane. Lors d’une initiation, sa vraie nature se révèle, on dirait aujourd’hui qu’elle « s’éveille ».

C’est là tout le woke qui n’existait pas encore : la femme sait mieux que l’homme car elle ne veut pas dominer, l’intuition est préférée à la raison, le savoir des minorités est valorisé. L’auteur oppose, de façon un peu systématique et facile à mon avis, l’Occident au reste du monde, la modernité prométhéenne aux sociétés froides, comme aurait dit Lévi-Strauss. Pour lui, comme pour les écologistes, la terre est un organisme total et vivant. Vouloir s’en séparer pour en contrôler une partie, c’est entraîner la révolte de tout le reste – cette relation de cause à effet est plus un mysticisme téléologique qu’une observation factuelle. Le thriller met en scène Mary la femme anthropologue qui se laisse être et le vieux général macho Merritt qui veut tout commander.

Les élites des États-Unis se réfugient dans les divers bunkers sous la Maison-Blanche afin de créer une bulle de survie pour un millier de personnes sévèrement sélectionnées et d’éviter toute contamination. Mais ce fantasme de pureté et de contrôle total ne peut se réaliser car les humains ne sont pas qu’esprit, ils sont faits de chair, et la chair est reliée à la terre. Il faut donc l’accepter pour se sortir de la grande catastrophe à éradiquer la quasi-totalité de la population du globe. La puissance n’est que l’envers de la peur, tous les faux héros, les « enflures » vilipendées par Nietzsche, le savent confusément. La véritable puissance est harmonie, qui profite des forces pour se couler entre elles comme de l’eau – le principe du judo.

Malgré sa lenteur, le final met en scène ceux qui veulent aller jusqu’au bout dans le projet Merritt et ceux qui veulent se réconcilier avec la planète, ce qui est évidemment le cas de Mary. Son compagnon Greg est entre les deux, scientifique tiraillé par le contrôle et homme attiré par l’amour. Merritt, à l’inverse, finira par s’autodétruire parce qu’il refuse le monde, le désir, la vie : « On était en train de nous fabriquer un monde de gonzesses. Un monde de pédés. Un monde où l’opinion d’une femme était écoutée avec une espèce de dévotion, un monde où les hommes devaient penser comme des femmes, ressentir comme des femmes, agir comme des femmes, pour avoir une petite chance d’être excusés de ne pas en être une ! » p.514. Le général Merritt en précurseur du foutraque Trump comme du froid serpent Poutine des décennies suivantes, il fallait y penser.

Tout finira comme cela doit se finir, par la naissance d’un enfant tel un nouveau Christ Sauveur. L’auteur ne fait que peu de références à la Bible mais le message biblique est tout entier contenu dans son histoire. C’est bien la Bible qui fait de l’homme le maître et possesseur de la nature, mission confiée par Dieu lui-même (ce macho dominateur sourd aux femmes et aux minorités qui ne lui font pas allégeance). Et c’est bien la Bible qui se trompe en récusant la chair comme l’harmonie avec la nature. La femme aurait fauté en chassant l’humain du paradis terrestre ; et c’est la femme qui fait la rédemption dans ce thriller post apocalyptique.

Le livre a vingt ans mais résume assez bien tout ce qui peut survenir et tout ce qui peut se penser d’ignorance et de faux savoir qui croit maîtriser la matière et expliquer les choses alors que tant reste à découvrir – humblement. Trop moraliste pour être honnête, trop dilué pour captiver jusqu’au bout, c’est un thriller intéressant qui prédit un avenir possible, mais surtout fantasmé. Un témoin de génération.

Denis Marquet, Colère, 2001 Livre de poche 2003, 605 pages, occasion €1.62 e-book Kindle €14.99

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Elizabeth Peters, Le maître des démons

Aventures et mystères au menu de ce nouvel opus de la série Emerson. Cette fois, la Première guerre mondiale sévit jusqu’en Égypte puisque les Turcs veulent remettre la main sur cette province perdue tandis que les Allemands, leurs alliés, verrait bien la route du canal de Suez fermée aux Anglais. Le couple Emerson aurait pu rester à Londres car Radcliffe est trop vieux pour l’armée, mais le pillage systématique des fouilles en Égypte les retient de rentrer.

Leur fille adoptive Nefret a poursuivi ses études de médecine en Angleterre et a ouvert une clinique pour les femmes au Caire ; leur fils Ramsès est désormais un beau jeune homme de 25 ans, intelligent, athlétique et charmeur, mais doté d’un pacifisme à tout crin. Ce pourquoi les vieilles pies de la « haute » société britannique du Caire le snobent et lui déposent une plume blanche de « chicken », ce qui signifie chapon ou lâche dans le langage victorien. Ces nanties emperlousées ont beau jeu d’être nationalistes et d’envoyer les jeunes hommes se faire tuer tandis qu’elles se contentent de commenter et d’alimenter les ragots devant leur tasse de thé.

Il se trouve cependant que Ramsès n’est pas un lâche et le roman consiste à le prouver. De « frère » des démons, il devient « maître » des démons pour les Egyptiens. Son père sait la part qu’il prend dans les intrigues d’espionnage, et sa mère le découvre tandis que Nefret a peur pour lui. Sans compter que Sethos, le demi-frère d’Emerson amoureux d’Amelia Peabody, continue d’intriguer en coulisse et de jouer les agents triples entre le trafic d’antiquités et le trafic d’armes, sans compter le trafic de renseignements.

Difficile d’en dire plus sans dévoiler le sel de l’histoire mais, cette fois-ci, l’autrice n’hésite pas à remettre en cause les protagonistes habituels de ses histoires pour passer un grand coup de balai. Ramsès et Nefret se trouvent, tandis qu’Emerson découvre une belle statue enfouie dans le sable d’une tombe déjà pillée. Les Turcs et les Allemands sont contenus loin du Canal et la guerre se poursuit.

C’est une historienne qui a commenté les aventures archéologiques des Emerson dans la revue L’Histoire qui m’a donné envie de lire la série. J’y retrouve mes plaisir d’enfance qui lient l’aventure, l’exotisme et le décentrement du passé. Un délassement subtil.

Elizabeth Peters, Le maître des démons (He shall Thunder in the Sky), 2000, Livre de poche 2002, 542 pages, €4.48

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Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan

C’était en 2020 à Créteil (Val-de-Marne) Marie-Hélène Dini, une coach d’entreprise, a échappé à une tentative d’assassinat de plusieurs barbouzes de la DGSE, qui ne les avait en rien mandatés pour cela. Ils agissaient dans les faits en milice privée pour arrondir leurs fins de mois et mettre un peu d’action dans leur vie terne. Vous pouvez écouter l’heure de la crème lorsque Jean défonce Richard tous les jours de 14h30 à 15h sur retélé (il faut bien rire un peu). Plus sérieusement, vous pouvez aussi le lire sur Capital.fr.

Alain Schmoll, repreneur d’entreprises, s’est lancé dans l’écriture et choisit ce fait divers pour imaginer un roman policier. Tous les personnages sont sortis de son imagination et pas du fait ci-dessus, mais c’est une belle histoire. L’intrigue encore jamais vue à ma connaissance est bien découpée en scènes qui alternent les années et hachent le temps pour composer une trame assez haletante.

Nathan Kaplan est juif, comme son nom l’indique, et il est pris dans les rets de sa culture et de ses traditions. Ce pourquoi, malgré son intelligence et sa capacité d’affection, il va trahir celle qu’il aime et qui l’aime, chacun étant pour l’autre la femme et l’homme « de sa vie » comme on dit.

Il est sorti de Polytechnique et est embauché dans une entreprise du bâtiment qui prend son essor à l’international. Doué et avec un carnet d’adresses fourni au Moyen-Orient, Nathan développe la société. La fille unique du patron, que son père veut voir reprendre l’entreprise sans qu’elle en ait le goût, tombe amoureuse de lui et ils baisent à satiété. Mais, au bout de sept ans (chiffre biblique symbolique) lorsqu’elle lui propose le mariage, il élude. Sa mère veut qu’il épouse une Juive pour faire naître de petits Juifs car « l’identité » ne se transmet que par la mère dans cette culture archaïque qui ne savait rien de l’ADN et dont la seule « preuve » était l’accouchement. Attaché à sa mère, puis à sa culture, Nathan s’éloigne : c’est sa « trahison ».

Dès lors, rien ne sera plus comme avant. Il se met à son compte et réussit dans un domaine parallèle, ce qui incitera un milliardaire américain à lui racheter pour un montant sans égal. Parallèlement, la société qu’il a quittée périclite lentement, le père disparu, les ingénieurs planplan, le commercial Sylvain Moreno plus frimeur qu’efficace. La fille renoue avec Nathan, désormais libre car divorcé de sa femme rigoureusement juive et de sa société cédée. Il consent à reprendre le flambeau du commercial, évinçant par son aura celui qui est dans la boite comme dans le lit de la fille.

Il imaginera donc de faire éliminer ce concurrent gênant en faisant croire qu’il est « un espion du Mossad (le service secret Action israélien) qui prépare un attentat pour faire accuser les islamistes ». Il s’arrangera donc avec une connaissance qui tient un club de tir privé dans une forêt discrète d’Île-de-France et qui met en relation des gens hauts placés avec qui peut les servir. Patrick Lhermit, le propriétaire de ce Club des Mille Feux, met donc en contact Sylvain Morino et Jean-Marc Démesseau, un instructeur DGSE qui se fait appeler Tiburce dans la meilleure tradition de pseudos des espions. Lequel Tiburce, qui se dit commandant alors qu’il n’est que juteux chef, engage comme comparse un jeune arabe de banlieue (donc hostile aux Juifs sionistes) fasciné par les armes (donc apte à l’action de menaces) et qui rêve d’intégrer la DGSE.

Nul ne sait pourquoi les deux hommes « planquent » toute une nuit devant le domicile de Kaplan sans savoir s’il est là ou non, au prétexte qu’il sort en vélo tous les matins. Pourquoi ne pas être venus au matin ? Ils veulent lui foncer dessus en Land Rover à pare-buffle pour faire croire à un accident. Mais, à rester pour rien la nuit durant, ils ne manquent pas de se faire repérer par un quidam qui passe pour faire pisser son clebs et les trouve suspect dans ce quartier cossu où tout ce qui est étrange se repère. Fatale erreur !

Le lieutenant Mehdi Mokhdane enquête, jusqu’à Cercottes, le centre d’entraînement du service Action de la DGSE. Il mettra vite hors de cause l’institution militaire mais pointera combien le menu fretin des soldats de maintenance et de garde, qui se nomment entre eux « les manants », est frustré de ne pas être reconnu tandis que les aristos de l’action ont tous les honneurs. D’où la tentation d’agir par soi-même et hors des clous.

C’est enlevé, bien construit, apprend beaucoup sur le monde interlope et sans pitié des affaires internationales – en bref se lit avec plaisir.

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan, 2022, éditions Ciga, 297 pages, €11.90 e-book Kindle €3.99

Un autre roman d’Alain Schmoll déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde

1903, la famille Emerson se retrouve en Egypte pour ses fouilles archéologiques annuelles des tombes antiques égyptiennes dans la Vallée des Rois.

Né en 1887, leur fils Ramsès a désormais 16 ans et est devenu un homme, ayant passé six mois dans le désert avec les bédouins en compagnie de son ami David, neveu du raïs Abdullah qui est le contremaître des fouilles depuis des années. Les deux garçons ont le même âge et sont devenus des « géants » comme le dit Amelia, la mère de Ramsès. Ce dernier, qui a été initié aux rites de virilité des bédouins, arbore désormais une moustache et s’est développé en force et en souplesse ; il a appris à se battre au couteau comme il se doit. Sa « sœur » adoptive Nefret a 19 ans, toujours trois ans de plus, et a effectué deux ans au service de santé à Londres pour apprendre la médecine. Le trio « des enfants » est soudé et prend son autonomie.

Mais la famille ne saurait passer ses mois en Egypte en effectuant paisiblement fouilles et relevés ; il faut que l’aventure s’en mêle, tout comme les gamins du Club des Cinq. Emerson, éructant et tonnant en Maître des imprécations, se voit forcé par le destin (et par sa femme Amelia) à s’intéresser à une tombe non répertoriée, la « 20-A », qui n’existe pas officiellement. Elle devrait se trouver sur le terrain entre les tombes 20 et 21. Un message enjoint les Emerson de se garder de la chercher ! Rien de mieux que de piquer la curiosité d’Amelia et celle d’Emerson, qui vont, bien-entendu, s’empresser de le faire.

Ils vont y découvrir une momie… un peu spéciale : blonde, récente, énigmatique. Une série de diversions viennent compliquer le tableau. Donald, homme mûr trop romantique, est embringué par une voyante habile dans la quête d’une princesse égyptienne dont il était amoureux dans les temps anciens. Un colonel américain sudiste, habitué à commander et à faire servir les femmes, est en quête de sa cinquième épouse disparue, « enlevée » par un certain Scudder – lequel est un as du déguisement. Sa fille Dolly, une pétasse à gifler qui prend tous les mâles pour des esclaves ou pour des sex-toys, « doit » être protégée des vues de Scudder qui cherche à l’enlever, on ne sait pourquoi. Ramsès se sent « obligé » de veiller sur elle, par les convenances bien-sûr, alors que ce n’est pas son type de fille et qu’il aime depuis toujours Nefret, laquelle est naturellement jalouse sans vouloir se l’avouer… De plus, la chatte Sekhmet s’est prise d’un amour félin pour Ramsès et grimpe sans cesse sur ses genoux, ce qui l’horripile car, s’il aime les chats, il ne supporte pas l’incruste baveuse.

C’est après une série d’actions et de réactions, de quiproquos mondains et de convenances piétinées, de bagarres mettant en danger la vie de chacun, que les liens entre tous ces éléments vont se nouer pour une fin assez convenue mais pas vraiment prévisible. Les fouilles vont enfin pouvoir débuter !

Elizabeth Peters, L’énigme de la momie blonde (Seeing a Large Cat), 1997, Livre de poche 2002, 472 pages, occasion €1.52

Les romans policiers historiques égyptiens d’Elizabeth Peters déjà chroniqués sur ce blog

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Frédéric Lenoir et Violette Cabesos, La promesse de l’ange

Un polar contemporain aux relents médiévaux mystiques, tel est le tour de force original d’un spécialiste des religions et d’une romancière. Johanna, jeune archéologue spécialiste de l’époque romane fouillant à Autun, se voit emmener par son amant marié François, sous-directeur de l’archéologie au Ministère de la culture dans un lieu surprise. C’est le Mont Saint-Michel. Elle y fait une crise.

A 7 ans en effet, emmenée visiter le Mont par ses parents, elle avait eu un songe où un moine noir sans tête l’interpellait dans une chapelle souterraine en lui assénant : « Il faut fouiller la terre pour accéder au ciel ! ». Elle en a fait des cauchemars durant des années et cette visite, pourtant à l’âge adulte, ravive ses souvenirs comme un viol. Elle n’a jamais surmonté son rêve.

Une fois de plus, le même moine noir vient la hanter, de la même façon, en lui répétant dans les mêmes termes son injonction. En archéologue, elle fouille bel et bien la terre ; elle y découvre parfois la tombe d’un haut dignitaire religieux, ou des bâtiments inconnus de Cluny. Mais le Mont Saint-Michel ? Une visite au mont Saint-Michel italien, le Gargano, décide la jeune femme reprise par l’hystérie. La maladie grave de l’épouse du chef de chantier libère son poste au Mont pour six mois. Johanna intrigue auprès de son amant François pour y être nommée. Un décret du Ministère l’y nomme en effet, au grand dam de Patrick, adjoint de chantier, qui aurait bien pris le poste.

Mais Johanna est une jeune femme moderne. Autrement dit, elle fonce, donc couche avec qui peut lui être utile ; son désir sexuel n’est que le prétexte à son désir professionnel. Après Paul, chef de chantier à Cluny, François, sous-directeur de l’archéologie, ce sera Simon, antiquaire passionné du Mont, voire Guillaume, celte mystique qui aide aux fouilles. Qui encore ? Dans l’équipe, Florence est une femme, Sébastien immature et Dimitri pédé. Ne reste que Christian Brard, conservateur en chef du Mont, mais il est opposé aux fouilles, donc un adversaire. Ces coucheries, qui font moderne, apparaissent comme des actes utilitaires menés par l’envie d’arriver à ses fins. L’amour, le fameux amour tant vanté, y a vraiment peu de place malgré les affirmations réitérées.

Car le « vrai » amour, celui sans conditions, est celui d’un moine bénédictin du XIe siècle, Roman, pour la belle druidesse égarée aux temps chrétiens, Moïra (qui veut dire Marie en celte). Les chapitres s’entremêlent car le moine noir apparu en rêve est Roman, qui cherche sa tête pour accéder au paradis (hum! Il faut y croire…). Et Roman, second architecte de la cathédrale après son maître Pierre de Nevers, rappelé à Cluny, est tombé amoureux de Moïra. Il a défendu une famille molestée par des coupe-jarrets et a été blessé au ventre ; Moïra l’a soigné à l’aide de décoctions et de cataplasmes de plantes, dont elle connaît les secrets par tradition ancestrale, aidé de son frère muet et vigoureux de 13 ans, Brewen. Roman a guéri et ses frères le ramènent au monastère.

Mais frère Almodius, expert au scriptorium pour recopier les manuscrits anciens, est férocement jaloux. Il est pris par la chair et désire Moïra, la jeune blonde au corps souple à la longue chevelure. Roman se défend de la chair et n’y succombe pas mais Almodius, qui espionne la fille, les voit s’étreindre dans l’obscurité, puis Moïra invoquer devant les marais Ogme, un dieu païen. Il croit le péché mortel accompli par lé démone et va les dénoncer à l’abbé. Lequel les convoque et les fait avouer, mais demande surtout à Moïra d’abjurer son culte au dieu celte, qu’elle assure conjointement à ses prières à la Vierge Marie. Elle se veut chrétienne et celte, dans la tradition syncrétique. Mais le christianisme, comme toute religion, est férocement intolérante et exige entière soumission. Moïra a sept jours pour réfléchir et abjurer.

Almodius, outré de cette clémence et tenaillé par ses démons, dénonce alors l’hérésie à l’évêque, qui accourt aussitôt, bien content de faire pièce à l’abbé du Mont Saint-Michel qui en prend selon lui un peu trop à son aise. Il fait juger Moïra et la condamne aux quatre supplices de la croix celte : par l’air, par l’eau, par la terre, par le feu. A chaque fois, elle sera sommée d’abjurer mais, comme elle fait silence, son corps est brûlé en place publique après les trois autres jours où elle a été suspendue aux vents en cage de fer, puis ligotée à un pieu à marée montante, enfin jetée dans un trou boueux. Roman est atterré mais ne peut rien y faire. Il est épargné pour bâtir la cathédrale sur l’ancienne église des chanoines, elle-même bâtie sur la grotte d’Aubert, le saint évêque à qui l’archange saint Michel, chef des milices célestes contre l’ange déchu Lucifer, a enjoint par trois fois de bâtir un sanctuaire. Lequel sanctuaire est édifié au-dessus d’un lieu de culte des druides… La dernière fois, comme la tête dure du chrétien n’entendait toujours pas, il lui a enfoncé son doigt dans le crâne et le sanctuaire a enfin été bâti. Le crâne d’Aubert, célèbre relique du Mont, attire les pèlerins.

Mais Moïra a livré un secret à Roman : il ne faut en aucun cas détruire l’église des chanoines. Roman modifie donc les plans, arguant d’une révélation de Pierre de Nevers avant son départ. Puis il est pris de fièvres, déporté sur le continent, et disparaît. Johanna va découvrir, dans un parchemin opportunément découvert à Cluny dans un sarcophage de moine par son confrère Paul, que Roman n’est même pas mort mais a changé de nom. Qu’il est revenu des dizaines d’années plus tard au Mont avant de disparaître cette fois pour de bon. Il a été décapité par Almodius, toujours présent, ce pourquoi il erre dans les limbes en attendant qu’il retrouve toute sa tête. Il apparaît à divers personnages dans l’histoire pour qu’ils fouillent et l’enterrent entier, mais en vain. Jusqu’à la jeune Johanna – une femme. Et son injonction à fouiller la terre pour accéder au ciel a aussi une vertu purement pratique que le lecteur découvrira à la fin…

C’est bien écrit, haletant, bien construit, prenant. La mystique du XIe siècle se heurte au patrimoine du XXIe siècle, deux mentalités. Johanna (parce qu’elle est une femme ?), évolue entre deux, non-croyante aux dieux mais croyante aux humains. Elle couche, elle séduit, elle intrigue – névrosée obsessionnelle pour ce qui est sa seule passion : découvrir le secret du Mont, résoudre l’énigme du moine, réconcilier les âmes. Regardez d’emblée les deux coupes du Mont Saint-Michel éditée (malheureusement) à la fin du livre et non pas au début : vous comprendre mieux les explications parfois un peu alambiquées des auteurs sur l’architecture de ce lieu qui reste – quoi que l’on croie – magique.

Prix des Maisons de la presse 2004

Frédéric Lenoir et Violette Cabesos, La promesse de l’ange, 2004, Livre de poche 2011, 636 pages, €8,90 e-book Kindle €7,99

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Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons

Un opus de la série aventures égyptiennes à la fin du XIXe siècle parfaitement réussi. Il allie avec bonheur égyptologie, enquête policière, scènes d’action, humour anglais et psychologie des personnages.

Amelia Peabody et Radcliffe Emerson ont eu un fils, surnommé Ramsès par son air impérieux et décidé, et ils le laissent grandir à l’abri du Kent en Angleterre. Le bébé est précoce et terrorise déjà cousines et nounou ; il dit maman et papa à 6 mois, crapahute à 8 mois, marche à 10 mois et parle couramment. Laissé à 3 mois pour des fouilles en Égypte à sa tante, ses parents ne le reconnaissent plus quand ils reviennent trois mois plus tard. Ils restent avec lui jusqu’à l’âge de 5 ans, son père lui lisant chaque soir un chapitre de son Histoire de l’Égypte ! Le gamin ne sait pas écrire méchant correctement mais ne fait aucune faute à hiéroglyphe. En bref, tout le portrait de son père, avec le côté cabochard de sa mère.

Mais il est encore trop petit pour aller en Égypte et les Emerson le quittent à regret pour six mois de fouilles lorsque lady Baskerville (qui se révélera une chienne, mais rien à voir avec le chien de Sherlock) assiège Emerson pour qu’il reprenne les fouilles entreprises par son mari dans une tombe de la Vallée des Rois à Thèbes (Louxor). Celui-ci résiste, ne voulant abandonner ni femme, ni enfant, mais sa tendre épouse le persuade de partir car il s’ennuie, elle ne le voit que trop. Elle-même n’est pas fâchée de laisser le bébé turbulent à quelqu’un d’autre pour un temps. Elle n’a guère la fibre maternelle, Amelia ; malgré les mamours constants avec son mari, qui pimentent le roman, elle n’aura qu’un seul enfant.

Sir Henry Baskerville est mort d’une façon étrange, après avoir ouvert la tombe et s’être couché en pleine santé. Les journalistes parlent de la malédiction des pharaons, d’autant que son adjoint Armadale a disparu. Mais la police britannique en Égypte, pressée d’étouffer un quelconque scandale s’il en était, conclut à une crise cardiaque. Il n’empêche que ces effacements suspects, un mort et un disparu, piquent la curiosité de l’entreprenante Peabody. Elle s’allèche d’une belle et bonne énigme à résoudre.

Les voilà donc partis, car Emerson accepte à la fin la mission de chef de l’expédition de la belle lady Baskerville, laquelle se pâme dès qu’une émotion trop forte l’atteint. Toujours à proximité des bras d’un gentleman, cela va de soi. Ce sera successivement Milverton, photographe et beau comme un jeune anglais blond, Vandergelt, riche américain tiré à quatre épingles, et Emerson bien-sûr, qui s’en agace. La tombe ouverte recèle un amas de débris qu’il faut lentement retirer et tamiser dans la chaleur et la poussière du désert d’Égypte. Le mollah du coin éructe ses imprécations contre cette profanation de tombe, mais Emerson, superbe, lui réplique en arabe en citant le Coran. Selon les dires du temps, « les Arabes » aiment les belles histoires et l’éloquence de théâtre ; Emerson y excelle – sans parler de ses bakchichs, qui sont généreux. L’autrice excelle à évoquer l’atmosphère des bords du Nil, la douceur des matins pépiants d’oiseaux, la chaleur sèche accablante des montagnes bordant le désert, les couchers de soleil très colorés sur le fleuve et qui rosissent les montagnes. Il faut être allé en Égypte pour le connaître.

Évidemment, une série d’incidents plus ou moins graves vont entacher le séjour : un poignard qui manque de blesser Emerson lorsqu’il ouvre la porte d’une armoire à l’hôtel, un fantôme de dame blanche qui effraie les ouvriers la nuit, une grosse pierre lancée avec force au travers de la fenêtre (ouverte) contre Emerson qui n’en est qu’effleuré, l’effondrement du plafond de la tombe, le pauvre Milverton dans le coma après avoir été sauvagement assommé, une tentative de pillage… D’ailleurs, Milverton ne s’appelle pas Milverton, tout comme lady Baskerville n’est pas ce qu’elle paraît, tandis que la grosse alcoolique Berengeria s’impose en falbalas informes par ses prédications de l’au-delà. Jusqu’à ce jeune allemand très rigide et correct qui tombe amoureux de la fille de la voyante, une Mary effacée et soumise mais qui a un vrai talent de dessinatrice.

Lorsque le couple retourne à Londres pour retrouver leur fils Ramsès, leur mission est accomplie et les assassins (car il y en a) sont sous les verrous. Ils ramènent une énorme chatte tigrée d’Égypte, qui appartenait à Armadale, et qu’Emerson destine au petit Ramsès…

Elizabeth Peters, La malédiction des pharaons (The Curse of the Pharaohs), 1981, Livre de poche 1998, 382 pages, occasion €1,44

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Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson

Sir Arthur Conan Doyle a commis Le signe des Quatre, roman policier mettant en scène le détective Sherlock Holmes et son second le docteur Watson. Une certaine Mary Morstan, orpheline de mère, sort du pensionnat pour jeunes filles en Écosse, dirigée par la rigide mais généreuse Mrs Mc Lamuir, où son père, capitaine de l’armée des Indes l’a placée pour qu’elle y reçoive une éducation anglaise digne de ce nom. Mais il a brusquement disparu et Mary s’est placée comme dame de compagnie auprès de la délicieuse et fort riche Mrs Forrester. Le plus mystérieux est qu’elle reçoit chaque année par la poste une perle de grande valeur…

Le romancier prolifique et satiriste patenté Dutourd fait cette fois un détour dans le Londres brumeux de Sherlock. Mais il n’est pas son personnage principal, même s’il reste le ressort de l’intrigue. Mrs Forrester fait certes appel à lui pour retrouver un coffret rempli de lettres de l’empereur Napoléon III, qu’elle a intimement connu lorsqu’elle évoluait à Paris, mais ce qui compte en ce roman est son second, le docteur Watson. Alors que Sherlock, qui se prénomme en fait Jeremy, est maigre, lèvres minces, froid comme un poisson, John est athlétique, souriant et lumineux. Mary en tombe immédiatement amoureuse, et c’est semble-t-il réciproque.

Comme sa patronne et amie reçoit tout le grand monde, Mary présente John Watson à Oscar Wilde, poète fameux et critique inverti de la société victorienne autour de 1900. Selon l’auteur, c’est Mary qui fait lire le premier detective novel relatant une enquête de Holmes à Oscar Wilde et celui-ci, enthousiaste, l’encourage à poursuivre et à lui trouver un éditeur. Ce serait donc Watson qui invente le personnage de Holmes et non Holmes qui domine le pâle Watson dans son ombre. Cela correspond à la théorie de Wilde qui affirme que c’est l’art qui crée la nature et non l’inverse. Il est vrai qu’au travers de l’art, on la voit autrement.

Le détective se trouve donc embringué dans l’histoire de Mary et l’énigme des perles ainsi que dans le mystère de la disparition inopinée de son père lorsqu’elle avait juste 18 ans. Son évoquées en passant l’Inde des maharadjahs, le fort d’Agra, la guerre des Cipayes, le démon du jeu et le bagne des îles Andaman. Le capitaine Morstan, naïf et perdu depuis la mort de sa femme, s’est laissé entraîner dans une sombre histoire de trésor que les protagonistes passent en Angleterre mais se refusent à partager. Sherlock Holmes retrouvera évidemment le coffre aux trésors, élucidera la disparition du capitaine, père de Mary, et mettra hors d’état de nuire pour un temps les malfrats. Et Mary Morstan deviendra Madame Mary Watson.

Mais il rencontre une fois de plus le calculateur aigri Moriarty, professeur de mathématiques immigré de Hongrie d’où il a été chassé et ruiné dans sa prime jeunesse pour avoir contesté les Habsbourg. Moriarty est devenu le parrain de la pègre, richissime parce qu’il prélève une dîme sur les casses, et calcule les meilleurs coups qu’il peut faire avec son cerveau logicien et démoniaque.

Après un début un peu laborieux sur la jeunesse de Mary, le roman prend enfin son envol avec l’énigme des perles puis la rencontre de Sherlock Holmes et de John Watson. Le lecteur est alors emporté dans un récit jubilatoire, énoncé d’un ton léger avec l’emballement d’un Stendhal et le style d’un Saint-Simon. Jean Dutourd manifeste une propension à admirer le Second empire, qui lui rappelle le XVIIIe siècle français. Pour lui, « le XIXe siècle industriel dans lequel nous avons le malheur de vivre est si abject, [parce que] la morale a tout envahi. Les riches sont devenus durs et les pauvres haineux » p.147. Le moralisme est né avec Victor Hugo « qui installe son chevalet sur le rocher de Guernesey et pendant 18 ans, peint [l’empereur Napoléon III] comme un monstre. Résultat : Napoléon III est un monstre. L’histoire est un toutou » p.164. Jean Dutourd conforte l’idée que j’ai en général de Victor Hugo. La fin du XXe siècle et le début du XXIe poursuivent cette déplorable tendance, accentuée encore par le panurgisme éhonté des réseaux sociaux.

Dutourd, moraliste lui-même côté conservateur, ne manque pas d’égratigner la bigoterie hypocrite de l’époque Victoria en Angleterre, égratignant au passage « la funeste éducation bourgeoise que reçoivent les demoiselles anglaises dans les pensions d’aujourd’hui. Sous couleur de faire d’elles des personnes bien élevées, on tue les vertus par lesquels se distinguaient jadis les filles de qualité : fierté, auteur, audace, conscience de ce qui vous est dû, et même esprit critique » p.96.

Un bon roman policier qui écume la culture au galop.

Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson, 1980, J’ai lu 2001, 286 pages, €4.18, e-book Kindle €6.49

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Pierre Lemaitre, Le serpent majuscule

Un premier roman… de main de Lemaitre. Il a commencé policier et celui-ci, resté dans les tiroirs durant presque vingt ans, est ressorti relu et dédié à ses nièces. Il est un peu faible mais pas mauvais. Le lecteur se laisse emporter par le style léger et ironique de l’auteur, qui ne s’en laisse jamais conter par ses personnages.

Nous faisons la connaissance (provisoire) de Mathilde, une tueuse professionnelle ex-héroïne de la Résistance un brin décatie et empâtée, mais demeurée au fond psychopathe : le Serpent majuscule. Elle adore le sang et a torturé systématiquement un blond aryen sous-officier en lui coupant les doigts un par un, les oreilles, le nez et les couilles, pour le faire avouer les noms des dénonciateurs du réseau. Il est finalement mort mais elle a réussi. Elle a établi sa réputation. Si l’arme blanche était sa préférée dans sa jeunesse, elle est passée au gros calibre qui, malgré le silencieux, fait des ravages dans les corps. De plus en plus, elle s’aperçoit qu’elle tire dans le sexe avant d’achever dans la gorge.

C’est qu’elle commence à dérailler, la « grosse vioque maquillée », comme la décrit de façon imagée mais frappante un témoin de parking. Henri, son chef dans la Résistance qui l’a recrutée pour ces missions d’élimination (commanditées on ne sait par qui nommé « DRH »), commence à se poser des questions sur les dérapages de sa favorite. Hier elle tuait bien proprement d’une seule balle au milieu du front, jetait son arme dans la Seine et détruisait tout document où figuraient les noms et adresses ; aujourd’hui, elle se relâche, elle a utilisé deux fois la même arme et la police a repéré ce détail. Peut-être serait-il temps d’aviser.

Un PDG de grand groupe français qui promène son clebs, une fausse étudiante en droit et vraie pute de haut vol, une camée à peine sortie de prison, sont les cibles qu’elle doit traiter. Elle y réussit mais est repérée par le gardien de parking, ex-flic et observateur, où elle s’est engagée en voiture pour tirer la pute. Un inspecteur de police un peu con, René Vassiliev, vient recueillir son témoignage parmi les autres témoins relevés. Elle fantasme qu’il la soupçonne, elle déraille en complotisme, elle le file et le massacre, direct, non sans voir tué aussi l’infirmière cambodgienne qui prend soin du vieux préfet qui perd la boule, parrain de Vassiliev, qu’il était allé voir dans le XVIe.

Henri se dit qu’elle met en danger le boulot et qu’il faut la traiter. Il envoie deux tueurs, qu’elle repère et zigouille. Plus un jeune pompiste qui l’avait arnaquée de 50 francs. C’est qu’elle a du ressort, la vieille ! Elle décide d’aller voir Henri dans sa tanière près de Toulouse, son grand amour, d’ailleurs réciproque mais jamais avoué de part et d’autre. Puis d’arrêter et d’aller se mettre au vert au soleil – avec lui.

Mais rien ne va se passer comme fantasmé. Et la fin est imprévue malgré les minutieux préparatifs.

Le lecteur est pris par cette histoire contée comme si elle était naturelle, les clebs et les gamins n’ayant pas plus de poids émotionnel que les cibles, dommages collatéraux éventuels. Nul ne peut aimer Mathilde, ni peut-être la comprendre, mais l’observer est un plaisir (pervers). Certains échappent par hasard au gros calibre à silencieux car Mathilde les soupçonnait de lui chercher noise : un commissaire obèse et abruti bourré de cacahuètes et son jeune adjoint policier serviable, un voisin jardinier qui aurait décapité son dalmatien, l’ex-préfet Alzheimer, deux préados qui fument en cachette là où il ne faut pas…

Nous sommes en 1985, où tout était plus facile pour les libertés et pour les hors-la-loi. Mathilde n’a à craindre ni les caméras de surveillance, ni le pistage des téléphones mobiles, ni les traces ADN ; elle peut payer de grosses sommes en liquide et les passeports ne sont pas sécurisés. Plus facile aussi pour les auteurs de polars, qui n’avaient pas à se préoccuper de tout ça et s’attachaient donc en premier au ressort des personnages.

Pour un premier roman, c’est un bon moment à passer.

Pierre Lemaitre, Le serpent majuscule, écrit en 1985, 2021, Livre de poche 2022, 310 pages, €7,90 e-book Kindle €7,49

Pierre Lemaitre déjà chroniqué sur ce blog

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