Le 28 juin 1712 naissait à Genève Jean-Jacques Rousseau – il y a exactement trois siècles. Je n’aime pas le bonhomme, bien que célébré en France à l’égard de Victor Hugo et préféré à Diderot ou Voltaire, ses contemporains. Les Français se reconnaissent-ils dans les contradictions trop humaines de cet être infantile ? Il y a quelque chose de malsain à « aimer » ce misanthrope éperdu de reconnaissance sociale, ce paranoïaque fasciné par le grand monde, cet asocial qui se mêle de dire Le contrat social tel qu’il doit être, ce cœur saignant qui n’hésite jamais à abandonner ses amis qu’il soupçonne sans cesse de complot contre lui, cet éducateur qui rate le préceptorat de deux bambins Mably de 7 et 9 ans (p.267) mais n’en écrit pas moins L’Émile – traité d’éducation…
Voltaire avait raison de dénoncer la fausseté de ce moraliste abstrait, chrétien du siècle passé du protestantisme au catholicisme avant d’y revenir, de ce narcissique immature qui n’a pas hésité à confier ses « cinq enfants » (avoue-t-il p.357) à l’assistance publique. Beaux discours et actes honteux, haute morale et bas égoïsme, grands mots et petits arrangements de conscience. Abandonner ses enfants à la naissance ? « Je me dis : puisque c’est l’usage du pays… » p.344. Lait aigri et dents gâtées, souffreteux complaisant, malade imaginaire, est-ce ainsi qu’on se veut exemplaire ?
Reste que Rousseau a préfiguré notre modernité.
Il n’était pas né protestant pour rien, individualiste avant les catholiques, républicain avant les révolutionnaires, psychotique avant les psys. On le verrait volontiers de nos jours se répandre dans les émissions de télé réalité, pleurant sur ces femmes qu’il a désirées sans oser les prendre, sur ses enfants perdus qu’il n’a jamais voulu élever, sur sa position sociale basse qu’il n’a jamais su élever, sur son talent musical ou littéraire qu’il a gâché.
Ses ‘Confessions’ se veulent la suite des ‘Essais’ de Montaigne comme des ‘Confessions’ de saint Augustin, la sagesse en moins. « Voici le seul portait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais » : ainsi commence le livre, complaisant avec lui-même et sans pudeur comme la confession protestante. Il développe des Mémoires toutes de sentiment, fâché avec les faits réels, les noms, les dates (d’où l’intérêt de le lire en édition Pléiade ou de multiples notes remettent les choses au point…).
Il veut la « transparence » pour se faire aimer, l’exposition de lui « tout nud » (selon son orthographe archaïque). Cela par sentiment d’égalité, modestie affichée, affectée par volonté démocratique. Alors qu’il est vaniteux au point de ne supporter aucune critique. Surtout apparaître « normal », dirait-on aujourd’hui, à la socialiste ; surtout ne pas s’élever, ne pas être « riche », ne pas dépasser ; vivre heureux, vivre caché, dans une campagne isolée à cultiver son jardin (Charmilles avec Warens, Ermitage avec d’Épinay, Montmorency avec le duc) ; rester indépendant pour ne dépendre de personne et ne susciter aucune jalousie alentour.
Jean-Jacques Rousseau est le précurseur de l’âme démocratique.
Infantile, irresponsable, humble. Comme un fils devant son père tonnant, ver de terre du Dieu créateur, assujetti d’État-providence, abeille de la ruche mère. Certes, Jean-Jacques a perdu sa mère deux semaines après être né. Mais son père l’a « toujours traité en enfant chéri » (p.10), lisant avec lui tout petit de nombreux livres, et sa tante l’a élevé de 10 à 13 ans conjointement avec son cousin Bernard, auquel il s’est uni d’étroite amitié : « Tous deux dans le même lit nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions » p.20. Mais cela ne suffit pas : dans son orgueil narcissique, le petit Jean-Jacques se veut nombril du monde : « Être aimé de tout ce qui m’approchoit était le plus vif de mes désirs » p.14.
Il a ses premiers émois sexuels par une fessée à 11 ans, mais reste niais jusqu’à ce que Madame de Warens – qu’il appelle « maman » alors qu’elle l’appelle « petit »… – le dépucelle volontairement à 22 ans, six ans après l’avoir pris sous tutelle, une fois majeur. Il a besoin de souffrir pour en jouir, coupable de naissance, souffrant du péché originel d’avoir tué sa mère. « Être aux genoux d’une maitresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étoient pour moi de très douces jouissances » p.17. Le fondement de sa sexualité est celui de son tempérament : l’abstrait plutôt que le concret : « J’ai donc fort peu possédé, mais je n’ai pas laissé de jouir beaucoup à ma manière ; c’est-à-dire par l’imagination » p.17. Il se masturbe régulièrement (p.109) car il est libre de toute ces images qu’il se crée, bien loin de la vilaine réalité qui le blesse, mais refuse de le faire avec d’autres. A demi violé par un Juif espagnol nommé Abraham lors de sa conversion catholique, il entend le prêtre lui assurer que lui-même en sa jeunesse a été « surpris hors d’état de faire résistance [et qu’il] n’avoit rien trouvé là de si cruel », affirmant même que sa « crainte de la douleur » d’être pénétré était vaine ! p.68. Les sentiments sont littéraires plus que concrets, la morale et la grandeur sont détachées du monde réel. ‘Les rêveries du promeneur solitaire’ sont préférées aux actions de l’entrepreneur social – tout l’écart de la France et du monde en ce début du XXIème siècle.
Côté face, le fumeux fumiste, romantique pleurard de la sensation directe, reste le fond de sauce d’un refus français du réel.
Côté pile, le sensitif écorché vif, l’amoureux des plantes et des bêtes qui se méfie des êtres, l’exalté de la nature se perdant dans de très longues randonnées, l’indépendant sire de soi qui veut penser par lui-même et contre l’opinion, sont aussi une aspiration française. Non collective, écologiste avant la lettre, nostalgique du sein de la mère, paradis chrétien ou utopie communiste.
Rousseau est un Protée, contradictoire, psychotique, éternel insatisfait. Agité et brouillon comme certain président, obsessionnel sans mémoire, faute d’attention (écrire la musique, jouer aux échecs). Sa paranoïa est celle d’aujourd’hui, d’une société atteinte dans son narcissisme parce qu’elle perd du terrain, inadaptée à la mondialisation après l’avoir généreusement prônée pour « aider les peuples exploités du tiers-monde ».
Repli sur soi, pleurnicheries, discours sur les inégalités, contrat social pour se garder de la société concrète, rêve de ferme champêtre isolée du monde : très actuel Jean-Jacques. Il écrit lui-même des Français : « Ils sont tout feu pour entreprendre et ne savent rien finir ni rien conserver » p.256 – tout comme lui-même.
Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, édition Bernard Gagnebin & Marcel Raymond, Gallimard Pléiade, Œuvres complètes tome 1, 1959 revue 1986, 589 pages sur 1969, €55.10
















Argoul.com en trois mois
Hier était publié le 100ème post de ce blog.
En trois mois, ce nouveau blog Argoul a séduit 7200 visiteurs, soit environ 2500 par mois et une moyenne de 76 lecteurs par jour en décembre, 80 en janvier et 89 en février. Mais 12918 lecteurs ont lu les articles depuis novembre via Paperblog (dont 5272 en février) ! Les notes sur Céline, l’Australie, les cascades d’Islande, Descartes, Alcibiade et Montaigne y ont fait un tabac, entre 250 et 650 lecteurs. Mon ancien blog ‘Fugues & fougue’ garde encore dans les 700 visiteurs par jour malgré son arrêt, mais il a 6 ans de présence sur la toile et 1500 notes ! C’est à la mi-novembre que j’ai décidé de quitter le monde.fr et ses éternels déboires techniques (la perte brutale des photos de tous les blogs…), sa communication indigente (surtout ne rien dire et ne faire de plates excuses que des jours après) et sa censure automatique des commentaires (sur mots-clés décidés souverainement et sans question préalable).
Les critères de recherche depuis l’origine sur le nouveau blog pointent le nom ‘Argoul’, ‘Paris neige’, ‘bonne année’ (je me demande pourquoi) et ‘Marine Le Pen’. Les principaux blogs générateurs de visite sont mon ex ‘Fugues & fougue’ (238), Jean-Louis Actu (173), Facebook (155), Daniel Niduab (116), Blogger (84), OlivierSC (71), Quotiriens (34), Paperblog (21) et twitter… seulement 9. En retour, les sites les plus consultés depuis Argoul sont Daniel Niduab, Jean-Louis Actu, Martin découverte-USA, Benjamin, Terdav et Michel Santo.
M’ont référencé 5 sites et 4 visiteurs se sont abonnés. La page ‘A propos’ a été vue 69 fois, signe de curiosité pour l’auteur, qui ne dit volontairement pas grand-chose de lui-même : pourquoi afficher une étiquette ? Le débat démocratique exige qu’on considère les idées et le tempérament, pas le statut social ni l’autorité d’où l’on parle (vieux travers stalinien que de cataloguer selon qu’on est koulak ou prolo). 122 commentaires ont été publiés. Ce site n’invite pas particulièrement aux commentaires, les notes étant « fermées » plutôt qu’ouvertes et les thèmes trop variés pour qu’une communauté quelconque y trouve chaque jour un emplacement pour ses choses à dire. A ce titre, je suis l’inverse de Jean-Louis et de Martin qui sollicitent l’interaction. Mais la variété est ce qui compte à mon avis, dans les blogs comme dans la société.
Les notes les plus appréciées durant ces trois mois sont ‘Alix orphelin’ avec le record de 182 visites le 21 janvier, suivi de ‘Grosse neige à Paris’ (117), ‘La société multiculturelle est une utopie’ (116), ‘Stevenson, L’île au trésor’ (108) et ‘Islam et démocratie’ (102). Les quatre notes sur le Front national, Marine Le Pen et Céline antisémite totalisent 193 lectures (511 avec le multiculturel et l’islam), montrant bien où se situent les interrogations aujourd’hui ! Il s’agit du grand retour du refoulé, sur lequel la gôch à la mode avait cru poser un couvercle inamovible, fait de bienséance bourgeoise, de connivence médiatique et de terrorisme intellectuel. Malheureusement, ce n’est pas en cachant la poussière sous le tapis que la propreté règne. Au contraire, ça moisit.
Merci à tous ceux qui me lisent et me citent dans leurs blogs. Bienvenue à ceux qui me découvrent, souvent en passant, par les images.