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Jean-Jacques Rousseau, Les confessions

Le 28 juin 1712 naissait à Genève Jean-Jacques Rousseau – il y a exactement trois siècles. Je n’aime pas le bonhomme, bien que célébré en France à l’égard de Victor Hugo et préféré à Diderot ou Voltaire, ses contemporains. Les Français se reconnaissent-ils dans les contradictions trop humaines de cet être infantile ? Il y a quelque chose de malsain à « aimer » ce misanthrope éperdu de reconnaissance sociale, ce paranoïaque fasciné par le grand monde, cet asocial qui se mêle de dire Le contrat social tel qu’il doit être, ce cœur saignant qui n’hésite jamais à abandonner ses amis qu’il soupçonne sans cesse de complot contre lui, cet éducateur qui rate le préceptorat de deux bambins Mably de 7 et 9 ans (p.267) mais n’en écrit pas moins L’Émile – traité d’éducation

Voltaire avait raison de dénoncer la fausseté de ce moraliste abstrait, chrétien du siècle passé du protestantisme au catholicisme avant d’y revenir, de ce narcissique immature qui n’a pas hésité à confier ses « cinq enfants » (avoue-t-il p.357) à l’assistance publique. Beaux discours et actes honteux, haute morale et bas égoïsme, grands mots et petits arrangements de conscience. Abandonner ses enfants à la naissance ? « Je me dis : puisque c’est l’usage du pays… » p.344. Lait aigri et dents gâtées, souffreteux complaisant, malade imaginaire, est-ce ainsi qu’on se veut exemplaire ?

Reste que Rousseau a préfiguré notre modernité.

Il n’était pas né protestant pour rien, individualiste avant les catholiques, républicain avant les révolutionnaires, psychotique avant les psys. On le verrait volontiers de nos jours se répandre dans les émissions de télé réalité, pleurant sur ces femmes qu’il a désirées sans oser les prendre, sur ses enfants perdus qu’il n’a jamais voulu élever, sur sa position sociale basse qu’il n’a jamais su élever, sur son talent musical ou littéraire qu’il a gâché.

Ses ‘Confessions’ se veulent la suite des ‘Essais’ de Montaigne comme des ‘Confessions’ de saint Augustin, la sagesse en moins. « Voici le seul portait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais » : ainsi commence le livre, complaisant avec lui-même et sans pudeur comme la confession protestante. Il développe des Mémoires toutes de sentiment, fâché avec les faits réels, les noms, les dates (d’où l’intérêt de le lire en édition Pléiade ou de multiples notes remettent les choses au point…).

Il veut la « transparence » pour se faire aimer, l’exposition de lui « tout nud » (selon son orthographe archaïque). Cela par sentiment d’égalité, modestie affichée, affectée par volonté démocratique. Alors qu’il est vaniteux au point de ne supporter aucune critique. Surtout apparaître « normal », dirait-on aujourd’hui, à la socialiste ; surtout ne pas s’élever, ne pas être « riche », ne pas dépasser ; vivre heureux, vivre caché, dans une campagne isolée à cultiver son jardin (Charmilles avec Warens, Ermitage avec d’Épinay, Montmorency avec le duc) ; rester indépendant pour ne dépendre de personne et ne susciter aucune jalousie alentour.

Jean-Jacques Rousseau est le précurseur de l’âme démocratique.

Infantile, irresponsable, humble. Comme un fils devant son père tonnant, ver de terre du Dieu créateur, assujetti d’État-providence, abeille de la ruche mère. Certes, Jean-Jacques a perdu sa mère deux semaines après être né. Mais son père l’a « toujours traité en enfant chéri » (p.10), lisant avec lui tout petit de nombreux livres, et sa tante l’a élevé de 10 à 13 ans conjointement avec son cousin Bernard, auquel il s’est uni d’étroite amitié : « Tous deux dans le même lit nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions » p.20. Mais cela ne suffit pas : dans son orgueil narcissique, le petit Jean-Jacques se veut nombril du monde : « Être aimé de tout ce qui m’approchoit était le plus vif de mes désirs » p.14.

Il a ses premiers émois sexuels par une fessée à 11 ans, mais reste niais jusqu’à ce que Madame de Warens – qu’il appelle « maman » alors qu’elle l’appelle « petit »… – le dépucelle volontairement à 22 ans, six ans après l’avoir pris sous tutelle, une fois majeur. Il a besoin de souffrir pour en jouir, coupable de naissance, souffrant du péché originel d’avoir tué sa mère. « Être aux genoux d’une maitresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étoient pour moi de très douces jouissances » p.17. Le fondement de sa sexualité est celui de son tempérament : l’abstrait plutôt que le concret : « J’ai donc fort peu possédé, mais je n’ai pas laissé de jouir beaucoup à ma manière ; c’est-à-dire par l’imagination » p.17. Il se masturbe régulièrement (p.109) car il est libre de toute ces images qu’il se crée, bien loin de la vilaine réalité qui le blesse, mais refuse de le faire avec d’autres. A demi violé par un Juif espagnol nommé Abraham lors de sa conversion catholique, il entend le prêtre lui assurer que lui-même en sa jeunesse a été « surpris hors d’état de faire résistance [et qu’il] n’avoit rien trouvé là de si cruel », affirmant même que sa « crainte de la douleur » d’être pénétré était vaine ! p.68. Les sentiments sont littéraires plus que concrets, la morale et la grandeur sont détachées du monde réel. ‘Les rêveries du promeneur solitaire’ sont préférées aux actions de l’entrepreneur social – tout l’écart de la France et du monde en ce début du XXIème siècle.

Côté face, le fumeux fumiste, romantique pleurard de la sensation directe, reste le fond de sauce d’un refus français du réel.

Côté pile, le sensitif écorché vif, l’amoureux des plantes et des bêtes qui se méfie des êtres, l’exalté de la nature se perdant dans de très longues randonnées, l’indépendant sire de soi qui veut penser par lui-même et contre l’opinion, sont aussi une aspiration française. Non collective, écologiste avant la lettre, nostalgique du sein de la mère, paradis chrétien ou utopie communiste.

Rousseau est un Protée, contradictoire, psychotique, éternel insatisfait. Agité et brouillon comme certain président, obsessionnel sans mémoire, faute d’attention (écrire la musique, jouer aux échecs). Sa paranoïa est celle d’aujourd’hui, d’une société atteinte dans son narcissisme parce qu’elle perd du terrain, inadaptée à la mondialisation après l’avoir généreusement prônée pour « aider les peuples exploités du tiers-monde ».

Repli sur soi, pleurnicheries, discours sur les inégalités, contrat social pour se garder de la société concrète, rêve de ferme champêtre isolée du monde : très actuel Jean-Jacques. Il écrit lui-même des Français : « Ils sont tout feu pour entreprendre et ne savent rien finir ni rien conserver » p.256 – tout comme lui-même.

Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, édition Bernard Gagnebin & Marcel Raymond, Gallimard Pléiade, Œuvres complètes tome 1, 1959 revue 1986, 589 pages sur 1969, €55.10 

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Le Clézio et le regard

Bien qu’il en aie, Jean, Marie, Gustave Le Clézio est un homme d’Occident. Il n’appartient pas à une civilisation manuelle ou musicale mais à la civilisation logique du regard, celle que les Grecs ont magnifié sous les traits d’Apollon. Sa beauté est la lumière, son étonnement le regard d’enfant, sa vertu la force vitale. Dans ‘L’inconnu sur la terre’ (1978), il a des pages admirables sur la puissance du regard. Celle qu’avait déjà notée Flaubert.

« Les visages ne sont pas libres. Autour d’eux, il y a toutes ces barrières, tous ces écrans : fausses sciences, fausses idées, faux désirs. Mais parfois, sans qu’on sache comment c’est possible, la lumière passe, traverse. Elle brille de son éclat très pur, lumière du soleil, l’unique vérité. Beaucoup d’enfants et certains hommes ont ce pouvoir naturel. Quand je les vois, et que je m’approche d’eux, c’est comme si je ressentais ce rayonnement, cette chaleur, et tout en moi vibre étrangement, car tout en moi avait besoin de cette lumière » p.269 Cette lumière est une force qui vient de l’intérieur, un pouvoir de vie qui s’épanouit. « Ce n’est pas une force physique, ni morale ; ce n’est pas une volonté, ni une idée intelligente. C’est tout cela à la fois, sans doute, et beaucoup plus encore. C’est un regard (…) absolu comme le bleu du ciel, qui va droit en moi et voit ce qu’il y a d’élémentaire, d’illimité » p.269.

Le regard est lumière, droiture, vertu, à la foi soif du réel et dignité qui éclaire, beauté de la vie telle qu’en elle-même, élan de grâce. « Leur regard contient la force même de la vie, à la fois spectacle et acte. (…) C’est comme si tout était inachevé et, en même temps, évident, tangible, pareil au destin écrit dans les livres » p.271.

Ce sont des regards sauvages, des regards de gens simples ou d’enfants, des regards bruts et directs, sans les afféteries mensongères de la civilisation ni les calculs du statut social. « Il y a tant de regards ternes, avides, arrêtés, il y a tant de visages brouillés, corrompus, engraissés, qui montrent ce qu’il y a d’inutile et d’imbécile dans l’espèce humaine ! Yeux morts, yeux gelés, yeux vides, visages marqués par la vie nulle. Il y a tant d’hommes, de femmes, partout, que l’on voit comme l’employé derrière son guichet, que l’on oublie aussitôt » p.272. Cette charge contre notre civilisation administrative, bourgeoise et prédatrice tient tant au cœur de l’auteur qu’il a placé dans cette citation le seul point d’exclamation de tout son livre de 317 pages ! Les yeux vides des bureaucrates de la vie nulle rappellent les ‘vaches multicolores’ qui ruminent dans les villes de Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra). Ces gens-là ont un regard de poisson mort, ils ne transmettent rien, ils sont nuls – néantisés par leurs routines, convenances et aliénations.

A l’inverse, « La vertu est dans son regard qui rend tout exact et fort. Quelle est cette acuité qui n’a besoin d’aucune science ? Est-ce la force d’une conscience extérieure, une conscience instinctive, qui va droit au but, sans prendre garde au brouillage du monde ? Est-ce une qualité, un don, à l’égal d’un regard divin ? Je ne peux le comprendre bien, et pourtant c’est ainsi : la vertu est simple, sans détour, sans mélange. Elle ne s’apprend pas, elle est l’expression pure qui découle de la vie, telle quelle… » p.272 Intransigeance, goût de la justice, désintéressement, droiture, haine du mensonge et génie des situations matérielles découlent pour Le Clézio de cette simplicité originelle.

Elle donne le pouvoir d’aller jusqu’à la réalité même. « Je reconnais ceux et celles qui ont cette vertu à la discrétion de leur regard, à leur élégance naturelle. Ils marchent au milieu des autres, si semblables aux autres qu’on ne saurait les distinguer d’abord. Pourtant, ils éclairent autour d’eux, ils donnent la paix. Leur pouvoir n’est pas fait pour combattre. C’est une force qui agit comme la conscience, à distance » p.273.

Phrases critiques en échos au culte de la grève, ancré dans les mœurs françaises, comme si « la politique » se résumait à brailler en chœur plutôt qu’à affiner ses arguments et à se mettre tous ensemble pour négocier des compromis. Le Clézio montre que le refus n’est pas la révolte. « La révolte est un sentiment destructeur, avilissant. Ceux qui s’y installent rejoignent les autres menteurs, car ils se complaisent à faire durer cette colère morte. Agressifs contre tout ce qu’ils voient, contre tout ce qu’ils approchent, ils ont transformé sans s’en rendre compte leur colère ancienne en méchanceté et en aigreur. (…) Je reconnais la beauté de ceux et celles qui refusent ; la continence, le contrôle de soi-même font leur visage pareil à la pierre, et leur regard est plein de cette lumière libérée. Ils refusent la facilité des systèmes, les jugements, la facilité de l’amoralisme, l’argent. Ils refusent, non par orgueil, mais par nécessité, parce que la vie est pure et sans compromis. Solitaires, donc, car ceux qui refusent ne sont pas aimés. Leur visage effraie les autres hommes, leur regard les trouble et les gêne, comme ce regard trop sombre des jeunes enfants. Comment ne peut-on pas aimer l’argent, la gloire, les plaisirs, l’intelligence, le pouvoir ? Comment peut-on être autrement ? Mais eux ne cèdent pas. Ils ne veulent pas. Ils ne le disent pas, ils n’expliquent rien, ne proclament rien. Simplement, leurs visages sont beaux, et ils regardent le monde silencieusement, sans mépris, sans crainte, avec la transparence et la lumière de ce qui est vrai, de ce qui ne se trompe jamais » p.298.

Refuser la facilité des systèmes… en ces temps d’élections où l’extrémisme pousse à brailler par ressentiment, une bonne leçon aux Français !

Le Clézio, L’inconnu sur la terre, 1978, Gallimard L’Imaginaire, 317 pages, 9.5€

Les livres de Le Clézio chroniqués sur ce blog

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Le malentendu Mélenchon

La France vaniteuse et légère encense un mouton noir parmi une pléthore de moutons blancs en costume-cravate. L’inverse de l’Italie où la population comme la classe politique ont pris conscience de la gravité de la crise, après des années d’illusionnisme Berlusconi. Jean-Luc Mélenchon veut tout et son contraire ; il le tonitrue en brandissant le drapeau rouge des traditions. Dans ce folklore, beaucoup se reconnaissent… mais ils sont trop différents pour jamais s’amalgamer. Mélenchon pratique la politique « à l’ancienne », comme on le dit de l’andouillette ; mais ses partisans sont pour la plupart des jeunes, libertaires anarchistes – uniquement dans le présent.

La raison du bouffon

Les protestataires ne manquent pas dans les pays occidentaux depuis que sévit la crise. Les États-Unis de Bush et de Goldman Sachs ne sont décidément plus un modèle, aussi stupides dans la confrontation des cultures que dans la gestion de l’économie. L’Europe de l’Union est un gros « machin » impuissant qui doit prendre la moindre décision à 27 sans qu’il y ait une quelconque homogénéité. L’Eurozone est une union pratique plus efficace, mais dont le volet de convergence économique et fiscale a été laissé en déshérence par les politiciens de droite comme de gauche depuis Maastricht (1992). Les populations, dopées à l’endettement cigale, se sont trouvées fort dépourvue lorsque la bise fut venue. Elles se croyaient maîtresses du monde, plus avancées moralement, mieux expertes en gestion économique et en innovations… et patatras ! Voilà que l’Inde et la Chine, le Brésil et l’Afrique du sud, commencent à leur tailler des croupières. Certains s’en sortent, avec patience et discipline, conduisant des réformes pour s’adapter dans la durée : la Suède, le Danemark, le Canada, l’Allemagne… D’autres s’effondrent, comme feu l’empire romain : tous les pays riverains de la Méditerranée, dont peut-être la France.

Il y a donc partout des protestataires de l’austérité, du ressentiment contre la finance internationale, les banques, les politiciens en place. Ce sont les Grecs en résistance, les Indignés, les Pirates… et les Mélenchoniens. Car la gauche radicale a régulièrement échoué à rassembler les revendications populaires depuis des décennies. Trop intello, trop hédoniste, trop alter, trop écolo… Mélenchon a le talent de faire croire qu’il gagne, alors qu’il rassemble à peine plus que le total des voix de gauche extrême à chaque élection. Mais il remplit la fonction tribunicienne hier tenue par Georges Marchais puis par Jean-Marie Le Pen. Les proximités sont plus proches que l’on croit. Jean-Luc, comme Jean-Marie, fait haine ; les deux sont des enfants élevés sans père, comme Merah. La crise exacerbe les tensions, pousse donc les partis à la radicalité, ce pourquoi Sarkozy assume la droite, le centre avec Bayrou implose et Hollande flageole. Arrive qui ? La grande gueule « de gauche », franc-maçon que « tout le monde » attend, des bobos intellos aux profs stakhanovistes, et des fonctionnaires moyens aux jeunes en rupture, souvent ouvriers non qualifiés « grâce » à notre merveilleux système scolaire : sénateur socialiste, ex-ministre de Jospin et député européen Mélenchon !

Dans sa bio soigneusement repeignée sur Wikipedia, on apprend que le politicien du peuple a peut-être travailloté comme ouvrier durant ses études (arrêtées à la licence, juste avant les années recherche personnelle), mais qu’il a surtout été élu depuis 1983. A-t-il jamais effectué son service militaire, année « citoyenne » s’il en était ? Silence sur le sujet… Il vit de la politique, est payé par la politique, ne produit que de la politique depuis 30 ans. Que connaît-il du « vrai » monde du travail, de l’entreprise, de la production ? Affectif au point de prendre les expressions des masques nô, licencié de philo, un temps prof, vaguement journaliste, il préfère les grands mots. La révolution, le peuple, l’avenir, la dignité, le citoyen, ça fait bien. Ça chante dans les manifs et les meetings.

Mais pour réaliser quoi ?

Augmenter le SMIC, baisser l’âge de la retraite, distribuer du pouvoir d’achat… mais rester dans l’euro. Comment donc financer la dette abyssale sans les grands méchants marchés financiers ? « Je prends tout » aux riches est un slogan facile, qui ne se réalise qu’une fois s’il advient. Mais alors, plus d’entrepreneurs au-dessus de l’artisan, plus de financement extérieur, plus de convergence européenne – et certainement plus d’euro ! Il faut savoir ce qu’on veut : ou un programme coréen du nord (fermer les frontières et imposer l’égalité par la force) – ou un programme coréen du sud (ouvert au monde et compromis avec les forces mondiales, négociations avec les partenaires européens, et l’enrichissement personnel qui est la seule source du progrès – tous les pays du socialisme « réel » l’ont parfaitement montré).

L’insurrection civique, cela fait joli, mais concrètement ? Qui va canaliser ce vaste foutoir défouloir soixantuitard pour le traduire en intérêt collectif ? Un parti d’avant-garde ? Un leader maximo ? Un néo-Chavez ? Mélenchon se garde bien de trancher, lui qui admire tant Chavez que Morales, lui qui méprise les langues régionales et encense la politique du PC chinois colonisant le Tibet. Autoritaire, centralisateur, jacobin. Ses héros sont Robespierre et Saint-Just, grands humanistes français comme chacun sait. Quand la raison délire, elle n’atteint pas que la finance : sûre du Vrai, du Bon, du Bien, elle cherche à l’imposer à tous, malgré les résistances et les différences. Cela donne le rasoir républicain, la mission coloniale, le j’veux voir qu’une tête ! de l’administration à la française, le communisme léniniste, la Tcheka de Trostki, l’apanage Castro ou Kadhafi… Rien de ce que désire vraiment la base électorale du PDG, ce parti Mélenchon au sigle curieux pour des anticapitalistes.

Pour le comprendre, il faut aller voir ailleurs

Si l’on regarde aux États-Unis, la sociologie électorale montre un divorce croissant entre Boomers et Millenials. Les Boomers sont la génération baby-boom, nés entre 1946 et 1964, majoritairement Blancs anglo-saxons protestants et éduqués. Les Millenials sont la génération portable-mobile-internet-jeux vidéo, nés entre 1980 et 2000, beaucoup plus multiculturels, moins éduqués et racialement divers. Les premiers prennent leur retraite, les seconds entrent dans la vie active. La politique va en être changée. Les communicants agacent, puisqu’ils n’en savent pas plus que le citoyen lambda au vu des années Bush qui vont des attentats du 11-Septembre à la crise financière, en passant par l’occupation de l’Irak. L’Amérique, florissante sous Clinton, est en ruine lorsqu’arrive Obama. Que veulent les Millénials ? Revenir aux valeurs de l’Amérique, au self-made man et à l’esprit novateur. Mais avec plus d’État qui règle (et moins de politiciens). Cela donne à gauche Occupy Wall Street et à droite les Tea parties. Tout cela très libertarien…

Si l’on regarde en Allemagne, voici que monte le parti Pirate, qui entre aux parlements régionaux de Berlin et de Sarre. Il allie les alter, les Verts, les geeks et les protestataires. Tous militent pour la libéralisation d’Internet et leur seul programme est « méfiance » envers les politiciens. Leur insurrection civique consiste à prôner la transparence de tous les débats politiques et sociaux via le net. L’approfondissement du libéralisme vers l’anarchie plutôt que la centralisation bismarckienne…

Si l’on regarde en Espagne, Los Indignados pacifiques et vaguement hippies se radicalisent, aidés par les Black Blocs aux marteaux brise-vitrines. Anarchistes, antimondialistes, égalitaires et libertaires, ils sont contre la contrainte financière, les puissances anonymes et pour reconquérir la politique. Pas vraiment jacobins !…

En tout cela, un point commun : l’hyper individualisme postmoderne. Mélenchon, avec ses revendications collectivistes à l’ancienne fait vieux ringard face à ces courants. Le système politique doit se restructurer, la liberté personnelle est cruciale, l’exigence de participation citoyenne plus criante comme l’avait déjà montré en 2007 Pierre Rosanvallon. Les partis traditionnels échouent à convaincre. En cela Mélenchon a raison d’appeler à faire de la politique autrement… mais pas comme il la voudrait, pourtant.

Le malentendu

Quand on est né en 1951 on n’est plus vraiment jeune, bien qu’empli de ressentiment envers l’autorité parce que le père a divorcé quand il avait 11 ans, parce que le PS l’a « humilié » en donnant un faible score à son courant. Quand on a occupé depuis trente ans les fromages de la République, nanti d’un patrimoine frisant l’ISF et d’un revenu égal à cinq SMIC. Quand on a voté oui à Maastricht et qu’on reste député européen. Quand on se dit trotskiste lambertiste (dont une fraction a soutenu Marcel Déat en 1941, socialiste autoritaire devenu collabo parce qu’antilibéral et anti-anglais, ministre du Travail de Pétain). Quand on est pétri de toutes ces contradictions, comment convaincre dans la durée ? Le rassemblement des mélenchonistes apparaît bien hétéroclite : geeks du divertissement immédiat qui admirent le bouffon comme naguère Coluche ; bobos du « pas assez à gauche ma chère » de 2002 qui ont éjecté Jospin sans même y penser au profit de Le Pen pour le second tour ; nostalgiques de leur jeunesse gauchiste 68 bien enfuie ; volontaristes politiques qui croient encore qu’il suffit de dire « je décide » ; écolos militants qui prônent l’austérité morale ; cégétistes anars qui vivent la lutte des classes à ras d’usine ; militants organisés du parti communiste qui veulent recycler leur méthode…

Il y a une vraie interrogation sur la politique. Elle a été portée par Ségolène Royal en 2007, par les Verts de Cohn-Bendit aux dernières Européennes de 2009 et, hors de France, par le mouvement Occupy Wall Street, les Grecs en résistance, Los Indignados et les Pirates – sans parler de l’humoriste élu maire de Reykjavik en Islande. De la transparence, de la participation, du libertaire : loin, très loin, de Mélenchon ! Qu’il soit à la mode est-il un effet de la société du spectacle ? Son « message » une communication de plus ? Un malentendu ?

Au fond, à qui profite le crime ?

Mais à bon entendeur… La montée Mélenchon profite à Nicolas Sarkozy : tout comme François Mitterrand avait excité le Front national pour faire perdre la droite, tout comme la gauche caviar avait snobé Jospin pour faire advenir Le Pen en avril 2002, la surenchère Mélenchon repousse le centre vers Nicolas Sarkozy au détriment de François Hollande. Et qu’on ne vienne pas m’objecter qu’au second tour ce petit monde va se rallier : avez-vous jamais vu des têtes de linotte penser au-delà du présent immédiat ? C’est l’abstention à gauche qui va gagner, avec la surenchère ; à l’inverse la droite va se ressouder contre le gauchisme Robespierre. Sarkozy pourrait gagner : n’est-ce pas la stratégie du billard, encouragée en sous-main par les ex-UMP qui se disent « impressionnés » par le Mélenchon ?

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Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait

En ce très court essai littéraire de 155 pages, Monsieur le professeur de culture générale à Polytechnique et producteur de l’émission ‘Répliques’ à France-Culture parle de l’amour. Pour cela, rien de tel que la littérature, car la sociologie est décevante : elle ne décrit que le trivial qui survient au présent, pas la psychologie humaine. En revanche, malgré les profs dans le vent qui préfèrent les Skyblogs ou les pubs, malgré le courrier du cœur des magazines pour coiffeuses, malgré les présidents qui trouvent les classiques ringards, les romans français aident à comprendre et à penser l’amour.

Est-ce le « grand » amour romantique, éternel, platonicien, rêvé par les midinettes ? Pas vraiment… L’amour « durable » (comme l’énergie du même nom) doit être défriché dans la tradition et non pas comme si la génération pubère créait elle-même ce monde ex nihilo. Alain Finkielkraut, titillé par une commande de conférence à la BNF et excité par un séminaire sur le sujet devant ses étudiant(e)s de Polytechnique, s’est fait la douce violence de se pencher sur le sujet.

Il a pris pour cela des œuvres représentatives, à ses yeux, de cet amour « durable ». Madame de La Fayette écrit La Princesse de Clèves pour dire tout le mal qu’elle pense du donjuanisme de « galanterie » tant vanté par la vieille France, et tout le bien qu’elle pense de la fidélité morale, même après la mort. Ingmar Bergman, dès Les Meilleures Intentions, démontre combien l’exigence moderne de « vérité » totale, de transparence jusqu’à l’obscène, ne peut que tuer le sentiment d’amour car il n’est pas fait que de sexe, loin de là ! Philip Roth, dans Professeur de désir, passe étape par étape les stades de ce qu’on appelle « amour », mot-valise : le sexe, la passion, l’entente durable. Milan Kundera dans ce merveilleux roman qu’est L’insoutenable légèreté de l’être va définir la meilleure tempérance comme « amitié érotique », où le durable consiste dans le sentiment d’amitié – alors que l’érotisme torride du sexe ne résiste pas aux ans (usure des habitudes et fatigue physique de l’âge). C’est intelligent, bien frappé et littéraire.

L’amour ? Pour le comprendre, il faut se soustraire à l’alternative trop simple de l’idéalisme et du réalisme, celle qui court les magazines et la télé. Amour de convenances qui est alliance de patrimoines familiaux, bien oublié aujourd’hui (sauf dans les pays musulmans), amour coup de foudre qui ne dure que ce que durent les roses, l’espace d’un matin, idéal de notre temps qui rêve la répétition infinie du toujours jeune, aucun Hâmour (comme le persifflait Flaubert) ne tient dans la réalité des êtres. L’amour est autre et c’est Madame de La Fayette qui nous l’apprend il y a plusieurs siècles : « Il connaît la grâce de vivre pour quelqu’un et de s’aimer moins que l’être qu’il aime » p.20. Quel scandale pour la postmodernité adolescentrique du présent perpétuel ! Ce pourquoi le président Sarkozy a effectué plusieurs sorties contre ce roman mis au concours administratif d’un poste de cadre B.

Heureusement que Sarkozy en a parlé ! Car ce vieux texte bien oublié, dans une langue trop compliquée, n’était plus guère lu depuis 68 pour cause d’élitisme bourgeois… Finkielkraut se moque (p.34) du réflexe pavlovien des anti-Sarkozy (le plus souvent bobos de gauche branchée) qui prennent automatiquement la posture inverse de la sienne, comme des chiens de Pavlov. La Princesse de Clèves s’élève contre son impuissance à subjuguer le temps : l’amour n’est pas ce qu’il déclare, il n’est pas « éternel » mais hormonal, sauf à devenir durable par agapè au détriment de l’éros… C’est cela le scandale de notre temps, dont Sarkozy, amateur de séries télé populaires en son jeune temps, se fait l’écho amplifié.

L’autre scandale, venu du protestantisme et appliqué avec systématique aux États-Unis, est la transparence, cette exigence de vérité absolue sur tout. C’est l’erreur du vieux Kant que se complaît à citer Finkielkraut selon Bergman : « la tête en avant, la bouche en cul de poule, l’haleine mauvaise, traversant la citadelle des connaissances ». Or la loi n’est pas absolue mais contingente aux êtres particuliers. Il arrive que la sincérité tue les êtres par le choc qu’elle donne et par la névrose de répétition qu’elle engendre. Ainsi, le mari bafoué (Heinrik, père du cinéaste suédois), ressasse sans cesse l’aveu de sa femme et exige toujours plus de détails, lesquels sont obscènes, donc empêchent tout pardon et toute résilience. Le mensonge par charité est parfois la seule voie du bien, celle qui permet de reconstruire…

Troisième scandale de notre temps qui empêche de saisir l’amour : le narcissisme. « Nous avons, nous autres Européens, redoublé l’amour par l’amour de l’amour au risque de substituer celui-ci à celui-là » p.127. On s’admire d’aimer, on se regarde être beau par amour, comme chez Flaubert dans L’éducation sentimentale : « Frédéric Moreau aime Mme Arnoux, mais plus que Mme Arnoux, il aime son amour, il aime l’image de lui-même que cet amour lui renvoie » p.128. Il faut briser les miroirs, surmonter la jeunesse, ce « stupide âge lyrique où l’on est à ses yeux une trop grande énigme pour pouvoir s’intéresser aux énigmes qui sont en dehors de soi et où les autres (fussent-ils les plus chers) ne sont que des miroirs mobiles dans lesquels on retrouve, étonné, l’image de son propre sentiment, son propre trouble, sa propre valeur » (Kundera cité p.132).

Sortir de soi, mûrir enfin, accepter le durable – tout cela est antinomique avec le jeunisme né après 68 et exacerbé par tout ce que la technologie offre de médias pour créer des liens, vivre dans l’instantané, zapper à tout moment. Non, l’amour n’est pas le papillonnage sexuel d’une fleur à l’autre ! Il faut économiser l’énergie pour devenir adulte. L’amour durable – « écologique » pourrait-on dire – est celui que le soleil éclaire, sans consommer ses propres ressources finies : amour de l’autre et non de soi, une bonne dose d’agapè dans son éros.

C’est drôle, j’apprécie Finkielkraut sur France Culture et j’aime ses livres. Mais pourquoi critique-t-il autant l’ère postmoderne (la nôtre) pour y emprunter les tics ? Ainsi fait-il un « livre » en 155 pages seulement (écrit gros), selon la mode qui fait qu’on ne lit plus que les opuscules entre deux stations (d’où le succès d’Indignez-vous ! d’Hessel). Ainsi ne met-il pas de point d’interrogation à son titre, commettant soit une faute de laisser-aller, soit un laisser-aller de « vocabulaire banlieue » où il n’y a jamais aucune interrogation, seulement des certitudes au présent.

Malgré ces petits travers, qui rendent humain malgré tout, Et si l’amour durait est un bon essai qui fait réfléchir. Il fait aimer encore plus la littérature, tout en montrant l’intérêt des livres malgré l’envahissement des écrans.

Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait, septembre 2011, Stock, 155 pages, €16.15

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La vraie question des présidentielles 2012

La campagne à l’élection présidentielle est partie. Moins avec les « universités » d’été qu’avec la primaire socialiste qui vise à faire élire un « président de gauche » avant de se présenter devant l’ensemble des Français. C’est alimenter l’usine à spectacle, faire agir le buzz des médias, focaliser en rose l’attention des gens. Au risque qu’ils se rendent compte de l’indigence fondamentale du projet politique… Certes, une présidentielle française est l’élection d’un personnage à la tête de l’État – pas celle d’un parti comme au Royaume-Uni ou d’une coalition comme en Allemagne ou en Scandinavie. La France se rapproche moins du modèle américain puisqu’elle n’a ni son fédéralisme ni ses contrepouvoirs, que du modèle russe où le parti ne sert qu’à rassembler les godillots autour du chef. Mais ce ne sont ni les minois altiers ni les petites phrases qui font une présidence. C’est le projet d’avenir, rassembleur des Français.

Où en est-il, ce projet ?

A droite il reste flou car les perspectives tracées en 2007 se sont diluées avec la crise financière mondiale et systémique. Le discours de Toulon était un bon discours, n’en déplaise à ceux qui considèrent que tout ce que fait Sarkozy ne peut qu’être entaché du péché originel. Toulon pointait bien que la France ne pouvait agir seule, qu’il fallait négocier pied à pied et dans la durée avec nos partenaires européens, occidentaux et internationaux pour imposer des règles communes à la finance, aux marchés, aux agences de notation. Il y a toujours un État qui a intérêt à conserver des paradis fiscaux, trous noirs où tout est possible et où les fortunes disparaissent. C’était avant-hier le Royaume-Uni, hier les États-Unis et la Russie, c’est aujourd’hui la Chine, le Brésil, le Mexique, les pays arabes… Sans transparence, pas de marché libre ; sans règles communes de sécurité, pas de libéralisme économique ; sans connaissance de qui investit dans quoi, pas de produits financiers sûrs. Or les trous noirs financiers continuent d’exister et les hedge funds de rester incontrôlés. La négociation Bâle III visant à renforcer les fonds propres des banques est un petit pas, mais pas avant 2019 et probablement insuffisant. Les contraintes des parlements de chaque pays de la zone euro font qu’avance très lentement le fédéralisme budgétaire indispensable à une monnaie unique. La Grèce fait ce qu’elle veut, sollicitant des fonds pour rester dans l’euro, menaçant en cas de faillite d’entraîner la faillite des banques allemandes qui lui ont beaucoup prêté, mais répugnant à toucher aux zacquis des richissimes, de l’église, des commerçants sans factures, des particuliers à piscine non déclarée, des cheminots payés 5000€ par mois pour faire rouler les rares trains.

Quelle « solidarité » y aurait-il à faire financer les fraudeurs grecs par les smicards français et allemands ? Sur le sujet, la droite en appelle au contrôle européen et la gauche se tait, le « grand principe » de solidarité suffirait…

A gauche, le projet reste dans les limbes car ce qui est publié date trop et reste trop partisan. Le futur président élu ne pourra que s’asseoir dessus. Car la dépense publique c’est bien… tant qu’on a les moyens. En situation de pénurie, il faut gérer ce qui reste. Les socialistes devraient en avoir l’expérience, puisque les systèmes du socialisme « réel » avaient cette gestion : par les queues, les privilèges catégoriels, la récompense du bon petit militant répétant la voix d’en haut. Las ! les socialistes capitalistes ont pris goût à l’expansion ; ils sont passés experts de la redistribution du toujours plus ; ils ne savent que faire lorsqu’il y a chaque année moins. Il ne savent surtout pas comment on produit plus et mieux ! D’où cette incantation rituelle au yaka : yaka faire payer les riches, yaka faire une grrrââânde réforme fiscale, yaka réinstaller des frontières, yaka forcer Merkel, yaka nationaliser les banques, yaka créer que des emplois publics…

La fin des grandes espérances

Les Grandes espérances est un roman de Charles Dickens qui date de 1860 ; il a été repris brillamment en film par David Lean en 1946 (extrait vidéo sur Allociné). Le jeune Pip se trouve pris par des événements qui le dépassent ; il voit ses illusions s’évanouir en même temps que ses espérances financières et de statut lorsqu’il devient adulte. Tel est le cas de la France et, avec elle, de nombreux pays européens. 2012 verra des élections sans espérance. Ni changer la vie, ni travailler plus pour gagner plus ne résistent à la crise. On ne change pas la vie, on l’adapte ; on ne peut ni travailler plus en raison du chômage ou, si c’est le cas, on gagnera moins parce que les impôts augmentent et les retraites diminuent. La quinzaine Mitterrand a dépensé à tout va et la décennie Chirac n’a rien foutu. Conséquence : la France a pris une génération de retard dans les réformes nécessaires. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer mais d’adapter notre État providence (jamais en reste de dépenses) à notre démographie (pourtant moins mauvaise que d’autres). Les Suédois ont mis 15 ans à réviser leurs retraites ; nous n’avons pas encore commencé hors les mesurettes à la serpe (donc injustes) qui ne font que gagner du temps et augmentent la grogne sociale comme l’incertitude sur l’avenir.

Enterré papa protecteur et maman consolatrice dans le film de David Lean. Le jeune Pip est orphelin, mais courageux, et ce n’est pas sans quelque humour qu’il oppose à la poigne du forçat un résolu « si vous me remettiez droit, peut-être que j’aurais moins mal au cœur et peut-être serais-je plus attentif ». Exit le gaullisme de la reconstruction que Villepin rêve de voir revenir, anachronique ; les Français refusent la victimisation à la Royal et le care d’Aubry, mot incompréhensible fait pour les balader. Le problème est qu’ils sont tourneboulés et qu’ils devront voter en étant pris à la gorge par les marchés et avec mal au cœur. Ce n’est pas « la faute à » ce grand méchant marché : si les traders s’amusent, c’est bien parce que le terrain de jeu leur reste ouvert (où est la régulation ?) et que les acteurs sont minables (que foutent les politiques pour réduire les déficits indécents qui durent en France depuis… 1974 ? et pour contrôler les fonds européens alloués à la Grèce ?). Sans les marchés, les salaires des fonctionnaires et des retraités sont automatiquement amputés de 10% par an. Est-il normal d’emprunter non pas pour investir mais pour payer le déficit courant ?

Conséquences politiques

Le prochain quinquennat aura à gérer l’austérité et non les espérances. Dans ce contexte, la légitimité du sortant se trouve renforcée : lui connaît mieux que les autres les arcanes et les partenaires ; lui a réagi à temps et comme il fallait pour réunir les Européens et les instances internationales. On peut lui reprocher son entêtement à ne pas revenir sur les cadeaux fiscaux faits au CAC 40 et aux bistrotiers-restaurateurs, mais peut-on lui reprocher les abattements sur succession et assurance-vie plafonnés, destinés avant tout aux classes moyennes ? Ces oubliés des redistributions socialistes et pressurés favoris du fisc durant des décennies n’ont-elles pas droit à un geste même si l’effort doit être réparti sur tous ?

Mais son caractère, ses haines et son histrionisme médiatique ont lassé. Peut-être les Français choisiront-ils à gauche. Pour gérer l’austérité, François Hollande apparaît le mieux placé par son ton raisonnable, sa réforme fiscale déjà pensée, les ralliements des partisans DSK. Hollande incarne la fonction présidentielle dès avant l’élection alors que Royal reste opposante à tout prix et Aubry chef de parti. Martine Aubry est plus l’incarnation des valeurs de gauche, mais cette élection se jouera moins sur les valeurs cette fois (contrairement à 2007), et plus sur la capacité à gérer l’incertain. La propension dépensière, l’accent mis sur les bobos-intellos avec « la culture », une certaine rigidité de mère autoritaire, font que Martine Aubry apparaît plus comme la présidente de la fonction publique que comme celle de tous les Français. Car ce qui manque à gauche est bien là : où sont les encouragements à la production ? Est-ce un État exsangue qui va créer les 3 millions d’emplois pour les 4.5 millions de chômeurs ou travailleurs à éclipse ?

A droite comme à gauche, pas question de toucher aux filets sociaux, seuls à même de conserver une relative unité aux égoïsmes de caste dans une France restée très Ancien régime. L’Éducation nationale les produit dès le collège avec l’élitisme matheux et les redoublements méprisants. Les principales dépenses sociales concernent la santé et le chômage. Difficile de réformer en profondeur la santé car le vieillissement de la population en font un secteur très sensible. Pour le chômage, la seule façon d’améliorer les choses est d’encourager les emplois. Moins de chômeurs, cela fait moins de prestations sociales, plus de taxes qui rentrent et moins d’assistanat santé avec les cotisations prélevées sur les salaires et les mutuelles abondées par les employeurs.

La vraie question 2012 est donc l’emploi

Un emploi de croissance et pas ces palliatifs temporaires qui consistent à créer des services tant et plus là où ils ne sont pas indispensables. Un emploi d’entreprise donc et pas des précaires d’État ni des auto-entrepreneurs provisoires. Sur l’emploi, on attend Nicolas Sarkozy, mais il se réserve pour la campagne. On attend François Hollande, mais il attend d’avoir gagné les primaires. Elles ne se gagnent, probablement, qu’en caressant les militants archaïques et la fonction publique dans le sens du poil. Souhaitons que le sens des réalités et le sens de l’État l’emportent ensuite sur le sens du poil…

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Argoul.com en trois mois

Hier était publié le 100ème post de ce blog.

En trois mois, ce nouveau blog Argoul a séduit 7200 visiteurs, soit environ 2500 par mois et une moyenne de 76 lecteurs par jour en décembre, 80 en janvier et 89 en février. Mais 12918 lecteurs ont lu les articles depuis novembre via Paperblog (dont 5272 en février) ! Les notes sur Céline, l’Australie, les cascades d’Islande, Descartes, Alcibiade et Montaigne y ont fait un tabac, entre 250 et 650 lecteurs. Mon ancien blog ‘Fugues & fougue’ garde encore dans les 700 visiteurs par jour malgré son arrêt, mais il a 6 ans de présence sur la toile et 1500 notes ! C’est à la mi-novembre que j’ai décidé de quitter le monde.fr et ses éternels déboires techniques (la perte brutale des photos de tous les blogs…), sa communication indigente (surtout ne rien dire et ne faire de plates excuses que des jours après) et sa censure automatique des commentaires (sur mots-clés décidés souverainement et sans question préalable).

Les critères de recherche depuis l’origine sur le nouveau blog pointent le nom ‘Argoul’, ‘Paris neige’, ‘bonne année’ (je me demande pourquoi) et ‘Marine Le Pen’. Les principaux blogs générateurs de visite sont mon ex ‘Fugues & fougue’ (238), Jean-Louis Actu (173), Facebook (155), Daniel Niduab (116), Blogger (84), OlivierSC (71), Quotiriens (34), Paperblog (21) et twitter… seulement 9. En retour, les sites les plus consultés depuis Argoul sont Daniel Niduab, Jean-Louis Actu, Martin découverte-USA, Benjamin, Terdav et Michel Santo.

M’ont référencé 5 sites et 4 visiteurs se sont abonnés. La page ‘A propos’ a été vue 69 fois, signe de curiosité pour l’auteur, qui ne dit volontairement pas grand-chose de lui-même : pourquoi afficher une étiquette ? Le débat démocratique exige qu’on considère les idées et le tempérament, pas le statut social ni l’autorité d’où l’on parle (vieux travers stalinien que de cataloguer selon qu’on est koulak ou prolo). 122 commentaires ont été publiés. Ce site n’invite pas particulièrement aux commentaires, les notes étant « fermées » plutôt qu’ouvertes et les thèmes trop variés pour qu’une communauté quelconque y trouve chaque jour un emplacement pour ses choses à dire. A ce titre, je suis l’inverse de Jean-Louis et de Martin qui sollicitent l’interaction. Mais la variété est ce qui compte à mon avis, dans les blogs comme dans la société.

Les notes les plus appréciées durant ces trois mois sont ‘Alix orphelin’ avec le record de 182 visites le 21 janvier, suivi de ‘Grosse neige à Paris’ (117), ‘La société multiculturelle est une utopie’ (116), ‘Stevenson, L’île au trésor’ (108) et ‘Islam et démocratie’ (102). Les quatre notes sur le Front national, Marine Le Pen et Céline antisémite totalisent 193 lectures (511 avec le multiculturel et l’islam), montrant bien où se situent les interrogations aujourd’hui ! Il s’agit du grand retour du refoulé, sur lequel la gôch à la mode avait cru poser un couvercle inamovible, fait de bienséance bourgeoise, de connivence médiatique et de terrorisme intellectuel. Malheureusement, ce n’est pas en cachant la poussière sous le tapis que la propreté règne. Au contraire, ça moisit.

Ce blog est en faveur du lumineux, vous l’aurez compris, démocratie étant égale à éclairage, voire transparence. Dans la pudeur, certes, pas de déballage pipole ni d’accusations personnelles, mais je parle de tout et sans tabou (ou alors dites-le moi, qu’on en discute). Alix symbolise cette liberté fondée sur les valeurs : l’image qui le présente dans sa nudité démocratique et olympique face aux soldats cuirassés et corsetés du pouvoir est exemplaire. Ce pourquoi, peut-être, cette note a tant plu. Sur un forum, un commentateur a qualifié mon style de « Renaissance et Lumières », c’est exactement l’image que je veux donner : priorité à la maîtrise par la raison, canalisation de la volonté et sublimation des instincts. Platon, dans ‘Le Banquet’, a dit le meilleur sur le sujet.

Merci à tous ceux qui me lisent et me citent dans leurs blogs. Bienvenue à ceux qui me découvrent, souvent en passant, par les images.

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