
Un fils et sa mère, le père parti lorsqu’il avait 6 ans, divorcé, puis tué dans un accident de vélo. Étienne a désormais 18 ans et porte le nom de son père, Martin, tandis que sa mère a repris son nom de jeune fille pour sa petite entreprise de couture à façon. Elle connaît un certain succès, avec deux employées chez elle, dans la salle à manger, et un homme son âge, Maxime, s’intéresse à elle.
Étienne, qui vient de passer son bac et envisage le droit pour devenir avocat pénaliste, est un brin jaloux, mais se dit, en homme, que sa mère le mérite bien. Sauf que… Le destin le rattrape. Il reçoit une lettre à son nom où la seconde femme de son père lui écrit, à l’article de la mort, pour lui faire parvenir les derniers objets de son père : une montre, un portefeuille, des boutons de manchette. Étienne l’a à peine connu ; encore se souvient-il d’une main qui ébouriffe ses cheveux, d’être porté dans des bras puissants pour regarder une vitrine de Noël. Il veut en savoir plus.
Sa mère, qu’il appelle Marion, soupire. Elle veut bien lui dire… Son père n’a pas été tué dans un accident de vélo en 1945, il a été exécuté après jugement pour avoir tué ceux qu’il faisait passer la frontière espagnole durant l’Occupation. Le motif en serait l’argent. Étienne tombe de haut. Lui qui était l’instant d’avant l’orphelin innocent, se voit soudain accablé du poids de son hérédité : fils d’assassin. Il veut en savoir encore plus. Il se rend à la Bibliothèque nationale pour consulter les journaux du procès. Il découvre l’accusation, les plaidoirie, et une photo noir et blanc qu’il découpe en fraude. Il est le fils de ce père qui a tué, que le peuple a jugé, qui a été condamné à avoir la tête tranchée.
Même si son père s’est toujours défendu d’avoir voulu eu le vol comme motif, même s’il a invoqué une vengeance personnelle, ou une prise de bec d’un passé méprisant, il a bel et bien exécuté d’une balle dans la tête trois personnes. Il était violent, impulsif, aigri – et son fils doit en garder les traces héréditaires. Étienne ne sait plus où il en est. Il ne sait plus à qui parler.
Sa mère n’est pas la bonne interlocutrice de ses questions de garçon, de fils, elle qui a tiré un trait sur le passé et rayé son ex-mari de sa vie comme de ses souvenirs. Elle a brûlé toutes les lettres, les photos, les documents. Elle a refait sa vie en tentant de préserver l’enfant de la vérité jusqu’au bout. Les amis de son âge ne sont pas non plus indiqués, Étienne le fort en thème, souvent premier dans les travaux, leur apparaîtrait entaché ; il aurait honte de leurs regards. Le garçon est seul. Il songe même à se suicider avec le petit revolver que sa mère garde dans sa table de nuit. Le fils du guillotiné va-t-il perdre la tête ? Il échoue au dernier moment, faute de courage croit-il – faute de motif suffisant, sait-on.
Il récuse l’amitié en pédalant plus vite que son condisciple qui vient le chercher pour une promenade en vélo, car il le trouve insignifiant, vulgaire, sans considérations philosophiques sur les grandes questions. Le garçon aurait volontiers été son ami, mais Étienne en est dégoûté. Il récuse l’amour, ou plutôt le sexe, avec Yvonne, une fille de 24 ans avec qui il a été forcé à danser dans un cabaret du quartier latin, et qui a été pourtant séduite par sa force physique et par son décalage avec les autres. La fille aurait volontiers couché avec lui, mais Étienne en est dégoûté.
Reste le professeur de philosophie, M. Thuillier, rencontré par hasard à la Bibliothèque nationale. L’adulte invite son ancien élève à bavarder, l’écoute exposer ce qu’il vient d’apprendre, sa détresse. Il lui fait une réponse de philosophe, que chacun est soi, que selon Nietzsche il faut assumer sa violence instinctive pour la dominer, que selon Schopenhauer il importe d’accepter sa souffrance, qu’enfin, selon Sartre (très à la mode en ces années post-guerre), aucun destin ne pèse sur chacun. Le professeur lui fait surtout une réponse d’homme en le haussant à son niveau, lui lisant un passage du livre qu’il est en train d’écrire et qui s’applique à son cas. En bon existentialiste, la liberté existe et un homme doit faire ses choix. Étienne est rasséréné. Les livres ne sont pas la vie, mais ils aident à vivre. Il oublie le suicide, renoncement de lâche envers soi-même lorsqu’on est jeune et bien portant.
Mais reste la position de sa mère. Comment peut-elle, ex-femme d’assassin guillotiné, penser à refaire sa vie ? Son futur fiancé sait-il qui elle est ? Alors qu’un dîner se prépare avec Maxime, auquel Étienne aurait voulu échapper, il décide de prendre les devants. Il trouve l’adresse de l’amant et se rend chez lui avec le revolver. Il veut le tuer, tout simplement, accomplir son destin sur les traces de son père. Mais tout ne tourne pas selon sa volonté…
« Ignorant la résistance que les choses, les hommes et les mots opposent à celui qui prétend ignorer l’ordre de l’univers, il avait cru être un sage parmi les sages et son incompétence avait failli se traduire par un désastre. Maintenant, ayant évité le pire il se détournait de ses illusions et n’espérait plus de l’existence qu’un peu de paix studieuse, d’amitié, de tendresse » p.241. Et le bonheur de sa mère.
Un roman d’initiation à la vie, au début des années cinquante du siècle dernier, mais sur des interrogations éternelles : qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Car, aléas de la vie, remugles du passé, préceptes théoriques – il importe avant tout, pour être un homme, de garder « la tête sur les épaules. »
Henri Troyat, La tête sur les épaules, 1951, Livre de poche 1966, 243 pages, occasion €2,20
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)



























20 ans de blog !
Le mercredi 08 décembre 2004, j’ai ouvert pour la première fois mon blog. Il s’intitulait Fugues et fougue et était hébergé par lemonde.fr. Ce quotidien parisien avait en effet décidé d’offrir gratuitement à ses abonnés la possibilité de créer un blog, hébergé par ses services, en développement avec la plateforme WordPress. L’exemple de l’élection présidentielle de George W. Bush avait montré l’intérêt démocratique de cette nouvelle forme d’expression (avant Facebook et Twitter), et la perspective des élections présidentielles 2007 en France alléchait tout Le Monde. L’anonymat du pseudo était au départ la règle du jeu, demandé par lemonde.fr – d’où « Argoul ». Il a servi ensuite à ne pas mêler la vie professionnelle et l’expression privée dans les métiers sensibles que j’ai pu exercer.
Genèse du blog
J’écrivais dans ma première note (j’étais un brin idéaliste) « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. Nous allons parler de tout, montrer beaucoup. Je suis curieux, attentif et grand voyageur. J’aime l’espace, celui des étendues comme celui de l’esprit ou du cœur. Explorons-le. Retenons ce qui fait vivre. »
J’en appelais au dialogue, aux commentaires, aux échanges. Et c’est bien ce qui est advenu un long moment. Surtout que les blogueurs du monde.fr étaient un peu l’élite intellectuelle du pays, aptes à se servir d’un ordinateur, bien avant le mouvement de masse entraîné par les smartphones.
J’écrivais donc : « Je ne conçois pas un blog comme un texte gravé dans le marbre, définitif comme une pierre tombale. Même pas comme un livre. Je ferai des erreurs, je me tromperai, mon expression ne sera pas toujours le reflet exact de ma pensée. Ce pour quoi le blog se doit d’être interactif pour corriger, nuancer, apprécier, compléter. »
Las ! L’euphorie n’a eu qu’un temps. Très vite, comme d’autres, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles. Nous avons affaire plus à des réactionnaires qui « réagissent » (en général par l’indignation), qu’à des lecteurs éclairés qui apportent des arguments pour ou contre. Giuliano di Empoli l’a bien montré !
Je croyais toute opinion recevable, j’ai désormais changé d’avis. Comme responsable (juridiquement « directeur de la publication« ), je dois être attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spam et physing etc.). Les seuls « commentaires » recevables sont ceux qui sont posés et argumentés, je le dis dans « A propos ».
J’ai été repris sur Agoravox, Naturavox, Medium4You, Paperblog et quelques autres. J’ai surtout fait, grâce aux blogs, plusieurs belles rencontres. Qui ont commencé par le texte et qui se sont poursuivies dans la vie. Certaines (pas toutes) durent encore. La plateforme du monde.fr a déçu : plantage intégral de tous les blogs deux jours entiers sans informations en 2010, perte des photos et illustrations, dérive gaucho-écolo-bobo devenue de moins en moins supportable, avec censure implicite par mots-clés, avertissements par mél de retirer une illustration ou un propos – en bref de la dérive autoritaire idéologique. Exit Le Monde, ses blogs et son journal. WordPress restait, facile d’usage, avec abonnement très abordable.
Dons 6 ans de monde.fr plus 14 ans de WordPress, cela fait 20 ans.
Pourquoi j’aime le blog – plus que Facebook, Instagram ou X
Un blog oblige à écrire souvent, voire quotidiennement. Cet exercice a pour effet de préciser la pensée, de vérifier les sources et de choisir les mots, évitant de rester dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.
Écrire exige un autre regard sur ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Mettre en mots rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble.
Un blog offre l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie à chroniquer), de témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueurs et invités).
Il permet surtout de transmettre une expérience, une vision de l’existence, une perspective historique (je commence à accumuler les ans). Il vise à donner aux lecteurs ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées).
Bilan
2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans + 6 138 000 visites au 7 décembre sur Argoul.com en 14 ans = 8 584 040 visites. Ce blog est multimillionnaire.
Les meilleurs jours sont le dimanche ou le lundi, les meilleures heures le soir vers 18h.
Les requêtes via les moteurs de recherche ont évolué. Les moteurs ont établi une censure des images, donc des textes qui les contiennent, les associations de profs et autres éducateurs se méfient des blogs généralistes qui débordent les programmes et les opinions admises et déréférencent facilement « au cas où », le sectarisme croissant des citoyens sur la politique inhibe tout débat constructif. Et puis les images, les vidéos, les interjections en 140 signes sont tellement plus ludiques ! Lire ennuie, surtout sur le petit écran du téléphone. Injurier, agonir, ravit l’anonyme qui déverse sa haine ou son ego en direct sur les réseaux.
Je ne vais pas changer de personnalité pour suivre la foule. Mon blog reste élitiste, réservé à ceux qui aiment lire, qui savent lire, et qui lisent avec un œil critique, faisant leur miel de ce qu’ils trouvent. Le jeu de la performance et du nombre de clics, en vogue dans les débuts, n’a plus court.
Dans les catégories de notes, les livres arrivent en premier avec 2707 chroniques, suivis des voyages avec 1925 notes, puis le cinéma avec 605 compte-rendus de films, la politique (559), la philosophie (408) avec notamment une chronique chapitre après chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche (111 notes) et des Essais de Montaigne (109 notes, une lecture pas encore achevée) – et des thèmes de métiers exercés : l’économie (225), la géopolitique (196) et l’archéologie (61).
Mais les désirs des lecteurs ne sont pas représentatifs des articles publiés. Les statistiques du système « depuis le premier jour » donnent comme les articles les plus « vus » :
La vie est passée, les kids sont désormais adultes et l’adolescence est un thème moins présent aujourd’hui, je n’exerce plus de métier, ayant pris – au-delà de l’âge légal – ma retraite. Sur un an, les thèmes sont donc plus diversifiés :
Parmi les pays lecteurs, la France arrive évidemment en tête de façon écrasante 4 077 968 au 1er décembre, suivie des États-Unis 331 747, puis des pays francophones Belgique 226 623, Canada 206 649, Polynésie française 125 795, Suisse 114 189, Algérie 81 283, Maroc 51 353, Tunisie 33 133, La Réunion 25 273, Nouvelle-Calédonie 19 332, Guyane française 5 134.
Chez les Européens, ce sont dans l’ordre Allemagne 86 777, Italie 41 783, Royaume-Uni 40 254 (notons le peu d’intérêt de ce grand pays), Espagne 37 917, Pays-Bas 33 903, Pologne 15 228.
Dans le reste du monde, les plus peuplés : Brésil 27 858, Russie 20 738, Mexique 11 915, Australie 11 558, Japon 10 823, Turquie 7 722, Ukraine 6 637, Inde 6 527 (seulement), R.A.S. chinoise de Hong Kong 3 450, Arabie saoudite 3 207, Corée du Sud 3 064, Chine 2 120 – le plus probablement les expatriés.
Vais-je poursuivre ?
Probablement. Peut-être pas tous les jours, prenant une semi-retraite si nécessaire.
Et si la survenue d’une moraline intolérante ou d’un gouvernement traditionaliste autoritaire ne vient pas remettre en question la liberté de s’exprimer.
Donc, pour le moment, à demain !