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John Maddox Roberts, La République en péril

Le titre américain est nettement plus clair que le titre français : La conjuration de Catilina. Mais qui connaît encore Cicéron et apprend le latin dans notre inéducation « nationale » ? L’auteur de Conan le valeureux, américain de l’Ohio qui est décédé en 2024 au Nouveau-Mexique, fait de l’histoire romaine des romans historiques, sous le sigle SPQR. Mais qui sait traduire encore ce sigle, comme le INRI au-dessus des croix ? Senatus Populusque Romanus est du latin et désigne Rome en son Sénat et son peuple. Mais qui sait encore que le Sénat romain est l’organe suprême de gouvernement de l’Urbs, conseil souverain de 300 à 600 hommes ayant déjà obtenu une charge élective au moins une fois dans leur vie, et chargé surtout de la politique étrangère et de nommer les généraux ? C’est dire combien on révise (ou on apprend) de choses utiles dans ce divertissement sous forme qu’enquête policière (il y a même un lexique des termes romains dans leur jus à la fin).

Car il y a meurtres. Des gens de l’ordre équestre, sont tués au poignard ; ce sont des « chevaliers », autrement dit des bourgeois assez riches pour se payer un cheval et des armes. Ils sont les aisés de la classe moyenne, ils sont banquiers, percepteurs, financiers : en bref tout ce que déteste le peuple durant toutes les époques, toujours porté à dépenser dans les « fêtes » avant même de « penser » à produire et gagner. Le jeune questeur Décius Cécilius Métellus le Jeune, en début de trentaine, enquête ; il a été élu pour un an questeur, chargé de la gestion des deniers publics. Nous sommes en -63 et Cicéron, l’avocat, est consul – magistrat suprême de la République. Il a battu Catilina aux élections, et ce dernier, un noble, tourne casaque, se posant – comme un socialiste de nos jours – en défenseur du peuple contre les élites. Toujours la démagogie…

Ce n’est pas difficile de profiter de la conjoncture pour imposer son pouvoir personnel au nom de l’intérêt « général ». « Bien que Rome et l’empire fussent de plus en plus riches, le nombre de pauvres n’avait jamais été si grand. Certains croulaient sous les dettes, sans espoir d’un avenir meilleur. Des esclaves à vil prix inondaient le marché du travail et même les bons artisans avaient du mal à joindre les deux bouts » p.240. Hier comme aujourd’hui, les pauvres ont été mal éduqués par la massification scolaire, peu poussés à travailler par le coût du travail et les diplômes sans cesse plus élevés exigés, endettés sous le prix des loyers et des maisons, et concurrencés sur les petits boulots par un flot ininterrompu d’immigrés à bas salaires. La tentation du recours à l’homme fort était et est encore toujours forte ; lui fera ce que les parlotes parlementaires et la petite cuisine des partis ne parvient pas à faire : appliquer brutalement les yakas qui paraissent aller de soi. D’où l’intérêt des livres : ils nous montrent en imagination ce qui peut arriver. Cela se passait ainsi, à Rome comme cela se passe aussi chez nous… sauf la massive redistribution sociale qui crée la Dette malgré les énormes prélèvements obligatoires.

Décius ne tarde pas à découvrir une cache d’armes sous le temple même de Saturne, puis des « barbus », jeunes de bonne famille et rebelles suspects. Tout en informant son chef de famille élargie (la gens), il informe aussi le consul Cicéron, qui le connaît pour avoir mis au jour d’autres complots. Il le charge de s’infiltrer parmi les conjurés pour connaître l’ampleur de la sédition. Catilina l’a à la bonne, il juge Décius plus intelligent que la tourbe émotive à courte-vue qui l’entoure. Il prépare une insurrection avec la fortune de Crassus (qui lui fait croire qu’il est avec lui en attendant de voir le vent tourner). Il ne s’agit pas moins que d’organiser la révolte en plusieurs province, dont la Gaule, et de provoquer des incendies à Rome même, la hantise des habitants aux maisons de bois trop serrées – le pire crime pour un Romain.

Pompée connaît peut-être le complot et attend son heure pour en profiter. Une fois l’insurrection déclenchée, les tribuns Népos et Bestia, acquis à sa cause, rédigeraient une loi pour que Pompée revienne d’Asie et que lui soit décernés les pouvoirs extraordinaires. Mais Cicéron veille, il divise les armées tout en prononçant ses (devenues) célèbres Catilinaires. Décius va s’engager, combattre, assister aux derniers instants de Catilina, « un homme qui n’accepta jamais son manque de grandeur et qui ne fut qu’un jouet entre les mains de plus puissant que lui » p.265.

John Maddox Roberts, La République en péril (The Catiline Conspiracy), 1991, 10-18 2005, 278 pages, occasion 2,15

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Robert van Gulik, Le squelette sous cloche

Le juge Ti est un mandarin chinois, juge de district dans la hiérarchie des fonctionnaires de l’empire T’ang. « Ti Jen-tsié » est devenu « Di Renjie » dans la nomenclature anglo-saxonne – donc évidemment internationale. Mais restons francophone : le juge Ti a réellement vécu de 630 à 700 de notre ère, sous nos derniers Mérovingiens, rois fainéants dont le fameux roi Dagobert « qui a mis sa culotte à l’envers ». En Chine, on est plus évolué et la Justice est déjà exercée à la façon de Sherlock Holmes par les juges flanqués de leurs assistants, avec des éléments de médecine légale du Contrôleur des décès. Rendu célèbre par les affaires résolues, Ti est devenu Ministre de la Cour impériale sous l’impératrice Wou, et les lettrés chinois en ont fait leur modèle pour les romans policiers. Robert van Gulik, diplomate néerlandais décédé à 57 ans d’un cancer du fumeur en 1967, parlait le javanais, le malais, le chinois, le japonais, l’anglais – en plus du néerlandais. Sinologue et affecté dans des missions en Asie, il a publié dès 1948 des romans policiers inspirés de la vaste littérature chinoise ancienne, reprenant le juge Ti comme personnage.

En 668, le juge Ti vient d’être nommé dans la petite ville (fictive) de Pou-yang, sur les bords du Grand canal de Chine qui relie Pékin à Hangzhou. Une voie commerciale qui permet la prospérité aux commerçants et des communications faciles aux trafiquants de sel (pour éviter la taxe impériale). Il n’est pas sitôt installé que trois affaires requièrent sa vigilante attention. Le viol suivi de meurtre de la jeune fille d’un boucher, le mystérieux enrichissement depuis deux ans du monastère bouddhiste, et une plainte pour meurtre et harcèlement de la part d’une femme qui cherche la justice depuis vingt ans.

Le juge Ti n’est pas religieux, et il se méfie des « croyances ». En bon confucéen, il est moral et rationnel ; il croit en la logique et en la justice. Fonctionnaire, il obéit à ses supérieurs, mais surtout à la Loi. De façon habile, on le verra. Ti est assisté de ses fidèles, qu’il a connu au fil des années et qui se sont attachés à lui : le sergent Hong Liang, conseiller qu’il connaît depuis l’enfance ; Tao Gan, ancien escroc sauvé par le juge et fin connaisseur des procédés de duperie, y compris le déguisement ; Ma Jong et Tsiao Taï, anciens bandits appelés « chevaliers des vertes forêts » selon la poétique chinoise, experts en boxe et arts martiaux et bons connaisseurs de la faune des bas-fonds. Il n’en faudra pas moins pour démêler les embrouilles et manipulations des uns et des autres.

Les trois affaires ne sont pas liées, mais simultanées, comme c’était le cas quotidien des juges dans l’ancienne Chine, dit l’auteur. Celui-ci se délecte à décrire les coutumes, vêtements, mangeaille et autres traditions d’époque, ce qui rend pittoresque ses enquêtes. Dans le cas de la fille Pureté-de-Jade violée, son petit ami Wang, étudiant candidat aux Examens littéraires, est accusé à tort, les traces d’ongles trouvés sur le cou de la victime nue et la corde de tissu ramenée dans la chambre au deuxième étage le prouvent ; dans le cas du monastère de l’abbé Vertu-Spirituelle, sa richesse vient des dons de femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants, qui viennent y prier la déesse Kouan-yin, déesse de la charité réincarnée 33 fois, et qui repartent souvent enceintes… de plusieurs jeunes moines surgis dans la même nuit malgré la porte scellée ; dans le cas de la femme Lin, à moitié folle, un rouleau de documents rappelle l’histoire de sa famille et les procès successifs intentés à la riche famille rivale, autrefois très amie, qui a réussi à ruiner et à tuer tous ses fils, filles et petit-enfants.

Le juge Ti fera la justice, aidé des sbires du tribunal, des notables de la cité, et des mendiants du cru, aidé aussi de jeunes putes de la campagne vendues par leurs parents à l’âge nubile, nommées Abricot et Jade-Bleu, qu’il aide à s’en sortir puisqu’elles l’aident à confondre les bouddhistes dépravés. Les vrais coupables seront confondus, attrapés et jugés, condamnés à mort selon les supplices prescrits par la loi. Le juge Ti n’hésite pas à lui-même se déguiser pour en savoir plus, et à manier les poings ou l’épée contre les malfrats dans le feu de l’action.

La cloche fait référence au piège que l’un des protagonistes a tendu au juge et à ses assistants dans un temple abandonné qui jouxte sa demeure près du grand canal. Lors d’une fermeture de monastère, on descend la cloche pour éviter qu’elle ne tombe. Sauf que, dans ce cas précis, le juge a découvert un squelette dessous, avant d’y être lui-même enfermé. Il ne devra qu’à son astuce et à l’aide de ses affidés, de s’en sortir et de confondre le puissant marchand fraudeur et criminel qui a voulu sa disparition après avoir intrigué dans les hautes sphères pour qu’il soit muté.

Du beau, du bon, du bonnet noir carré à ailes de soie, insigne des juges. Entre Sherlock Holmes et Agatha Christie, une détection juste qui réhabilite l’intelligence de la Chine. Malgré l’ancienneté de leur parution, il ne faut pas se priver des enquêtes du juge Ti. « L’homme est peu de choses, la justice est tout », résume la calligraphie offerte par le ministère des Cérémonies et des rites au juge pour son succès.

Robert van Gulik, Le squelette sous cloche – Les enquêtes du juge Ti (The Chine Belle Murders), 1958, 10-18 Grands détectives 1993, 322 pages, occasion €1,41, e-book Kindle €10,99

Ce livre est paru en 1969 au Livre de poche sous le titre Le mystère de la cloche.

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Agatha Christie, Les indiscrétions d’Hercule Poirot

Le vieux riche Abernethie ne se portait pas trop mal, malgré des problèmes de cœur ; son médecin lui avait donné encore deux ans vivre. Et voilà qu’il décède brutalement en pleine nuit, sans prévenir personne. Crise cardiaque, dit-on, et pourquoi pas le fameux arrêt du cœur, qui ne veut rien dire ? La famille aux funérailles joue les éplorés, mais l’héritage est ce qu’ils convoitent.

Après avoir délibéré s’il laissait les rênes de sa fortune à un héritier capable de la poursuivre, il s’est aperçu que non. Son frère Timothy est un nul, hypocondriaque et râleur ; ces deux sœurs ont fait des mariages idiots avec des imbéciles, et ses neveux et nièces sont dans la dèche par leurs propres fautes. Il a donc partagé l’héritage équitablement entre les six, avec une pension à vie pour la petite dernière, Cora, un peu demeurée.

Mais c’est Cora qui vend la mèche, disant tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « il a bien été assassiné, n’est-ce pas ? » C’est l’enfant du conte d’Andersen qui disait que le roi était nu, alors que les courtisans feignaient de ne rien voir. Ici, c’est la même chose, la petite dernière dit la vérité. Personne ne fait semblant de la croire, mais l’un au moins des protagonistes s’en inquiète. Cora est vite assassinée de quelques coups de hachette, puis sa demoiselle de compagnie par un gâteau de mariage arseniqué ; elle est soupçonnée d’avoir pu surprendre une conversation entre Cora et le défunt.

Si la crise cardiaque faisait l’unanimité, les crimes font intervenir la police. Mais l’avoué en charge de liquider l’héritage mandate également Hercule Poirot. À lui d’enquêter discrètement chez cette famille de la haute société. Finalement, Cora avait dit vrai. C’est un miroir qui va le révéler, mais n’allons pas plus loin.

L’auteur excelle, comme d’habitude, a planter le décor et les différentes personnes, leurs ridicules et leurs travers, leurs qualités et leurs défauts. L’une d’elle sera coupable, mais il faut bien chercher. Quant au crime, le mobile n’est pas évident et, comme les trains, l’un peut en cacher un autre.

Une bonne intrigue, ficelée sur une présentation des caractères un peu rapide, mais qui s’emboîtent aisément pour faire les 300 pages.

Agatha Christie, Les indiscrétions d’Hercule Poirot (After the Funeral), 1953, Le Masque (nouvelle traduction), 288 pages, €7,40, e-book Kindle €7,49

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Jodi Compton, La 37e heure

L’inspectrice au bureau du shérif de Minneapolis Sarah Pribek quitte sa maison pour aller voir sa collègue, en arrêt maladie après la mort de sa fille, tuée par un violeur qui s’en est sorti, faute de preuves. Son mari, Shiloh, doit rejoindre la base de Quantico en Virginie car il a postulé au FBI et a été accepté au centre de formation. Il a déjà les billets d’avion et a fait sa valise. De retour chez elle après le week-end passé avec son amie, Sarah s’aperçoit que son mari ne s’est pas rendu à Quantico, n’a pas pris l’avion, ni même sa valise ! Il a tout simplement disparu…

Sarah est inspectrice à la brigade des personnes disparues et elle sait que les premières 36 h sont cruciales en cas de disparition. Elle enquête donc selon les principes des cercles concentriques, du plus proche au plus lointain, de la famille et des voisins aux amis et connaissances, du quartier à l’État puis au niveau fédéral. Mais rien : aucune piste, aucun témoin. Tout allait bien, pas de message, pas de signalement. Juste un numéro de téléphone fixe, sans indicatif de zone, griffonné au dos d’un papier.

Inquiète, Sarah décide d’en savoir un peu plus sur la famille de Shiloh, et pourquoi il est parti à 17 ans faire sa vie sans jamais les revoir. Sauf une jeune sœur, sourde, de qui il a été très proche. Shiloh a-t-il été les rejoindre ? A-t-il renoncé au FBI ? A-t-il eu peur de n’être pas à la hauteur ? S’est-il jeté dans le fleuve, qui roule ses eaux puissantes pour échapper aux tourments de l’existence ? Sarah redoute la 37ème heure, la barre des 36 heures écoulées, et les découvertes que l’on peut faire alors.

Un policier original.

L’éditeur indique :« Jodi Compton vit en Californie. Son premier roman, La 37e Heure, a lancé la série mettant en scène le détective Sarah Pribek et a été salué par la critique, dont le New York Times. Lors de sa parution en France en 2008, le roman a figuré parmi les finalistes du Grand Prix des Lectrices de ELLE dans la catégorie roman policier. »

Jodi Compton, La 37e heure (The 37th Hour), 2004, Livre de poche 2008, 347 pages, €1,33, e-book Kindle €6,99

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Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes

Le jeune Arthur, 32 ans, marié à Louisa, exerce à Londres la profession de médecin dans le quartier de Bloomsbury. Il écrit assidûment : des romans historiques, des nouvelles. Celles sur Sherlock, publiées dans les magazines, ont un tel succès qu’elles sont publiées en volume. Et, après huit ans de pratique de la médecine, il décide, à la suite d’une grippe, de se livrer entièrement à l’écriture.

Le succès de ces douze nouvelles tient à ce qu’on peut les lire indépendamment. Elles ne se suivent pas, même si Watson le narrateur rappelle parfois certaines aventures passées. Les gens qui, déjà avant les réseaux sociaux, avaient du mal à fixer leur attention trop longtemps, sont ravis. La recette n’a pas changé : pour le succès, faites court !

Sherlock Holmes voit son personnage s’étoffer. Il apparaît moins ignorant qu’il ne s’était affirmé au départ ; il est moins méprisant envers les facultés d’observation médiocre de son compère Watson, encourageant même ses progrès ; il apprécie la contradiction et la candeur de son vis-à-vis, ce qui l’aide, dit-il à réfléchir.

Les enquêtes sont dans la banalité du quotidien : retrouver un bijou perdu, innocenter un présumé coupable, sauver une jeune femme des griffes d’un parent violent, un homme d’une arnaque, la société d’habiles malfrats… Les histoires sont dans la ville et la campagne, dans leur temps sous l’empire et le commerce mondial. Londres est la ville-monde de l’époque, là où tout se passe au final, le 221b Baker Street est le lieu de l’analyse sociale, et le cerveau de Holmes la raison qui explique au final le monde comme il va – avec logique.

Rien n’est plus agréable que de se retrouver avec Sherlock Holmes et John Watson dans le salon douillet de leur logeuse, un bon feu allumé dans la cheminée alors que le vent et la pluie frappent les vitres lors d’une tempête d’automne, ou que la neige recouvre les trottoirs, ou encore que le brouillard jaune des foyers au charbon s’insinue dans les rues et ne permet plus de voir à trois mètres. L’intérieur est un cocon protecteur des vrais dangers extérieurs, un nid propice à la réflexion dégagée de toutes contingences et stimulée par le whisky et le tabac, un havre hors des émotions pour qui vient consulter. Sherlock Holmes est le médecin des malades sociaux, ceux qui craignent le scandale, ceux qui se sont fait avoir, ceux qui se demandent s’ils doivent accepter une place trop bonne pour être honnête.

La suite des aventures est plaisante à lire, sans descriptions inutiles, avec la raison pour reine. Chaque lecteur se sent apte à user du même instrument offert à l’humain par la nature : ses sens pour observer et sentir, son cerveau pour analyser et résoudre. Les dessins de Sydney Paget à l’époque ont fixé une fois pour toutes l’image-type du détective : casquette de chasseur de daim qui couvre le précieux encéphale et les oreilles, pipe pour stimuler l’esprit, loupe pour voir au plus près. Tout fait sens.

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes (intégrale des 12 nouvelles), éditions Mystérium 2021, 154 pages, €7,99

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes – 1ère nouvelle : Un scandale en Bohême, 1892, Livre de poche 1996, 187 pages, €4,90

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Arthur Conan Doyle, Étude en rouge

Arthur Doyle, qui ajoute le nom de son grand-père maternel Conan pour se différencier de son propre père, et devient « sir » par anoblissement du roi Édouard VII en 1902, après ses loyaux services sanitaires et historiques durant la guerre des Boers, accouche à 27 ans de son fils spirituel : Sherlock Holmes. Il apparaît pour la première fois dans cette « étude en rouge », où le sang autour de la victime égare l’enquête, alors que la vengeance du sang en est le mobile profond.

Ce court roman permet en quelques pages de faire la connaissance du Docteur Watson, le fidèle ami et associé, narrateur des exploits du « détective consultant », comme Holmes se fait appeler. Watson est médecin, retour d’Afghanistan où il a été sévèrement blessé, et en convalescence sans le sous à Londres. Il saute sur l’occasion que lui présente un ancien collègue de partager un appartement avec un excentrique, au 221b Baker Street, un salon et deux chambres à l’étage, cuisine et ménage faits par Mrs Hudson, la logeuse.

Quant à Sherlock, c’est un grand personnage émacié, 1m83, dont la raison est hypertrophiée, étouffant l’émotion. Laquelle affleure parfois, mais rarement, et sous contrôle. La fin XIXe est en effet à la Science et à ses excès rationnels du scientisme. Tout doit être explicable, il suffit de remonter aux causes pour en déduire les effets. Holmes a une méthode originale : faire l’inverse. Ce « raisonnement analytique », comme dit le détective, consiste à partir des faits bien observés, pour remonter leurs causes. C’est ainsi qu’il déduit que le Dr Watson est médecin, à cause du titre de docteur, ancien militaire blessé revenu d’Afghanistan par son maintien un peu raide, son bronzage des mains et du cou, son bras gauche maladroit et son teint émacié. Conan Doyle, lui-même docteur en médecine dès 1885, a gardé le souvenir de son maître de chirurgie à l’université d’Édimbourg le Dr Joseph Bell, qui prônait l’observation aiguë des indices et des symptômes.

Holmes est appelé par les détectives de Scotland Yard Lestrade et Gregson, qui sèchent sur un meurtre mystérieux commis sur un personnage bien mis dans une maison vide d’un sordide quartier de Londres, et pour lequel ils n’ont aucune piste. Le cadavre d’un Américain d’origine allemande, Enoch Drebber, est retrouvé mort sans blessure apparente, mais du sang autour de lui, avec le mot RACHE écrit au sang en capitales sur un mur. Querelle d’amour avec une certaine Rachel pour enjeu ? C’est ce que pense la police, avide de sauter sur la piste la plus simple. Pas du tout, raisonne Holmes, Rache veut dire en allemand « vengeance ». C’est donc un peu plus compliqué que cela.

Bien que peu lettré – il dit ne pas vouloir encombrer son cerveau, forcément limité, de connaissances qui ne lui sont pas utiles – Sherlock Holmes sait ouvrir son esprit à la culture et au monde. C’est ainsi que la seconde partie nous propulse en Amérique, où les Mormons commencent à faire parler d’eux. C’est une secte chrétienne guidée par un gourou machiste qui a un fil direct avec Dieu le Père (ainsi le fait-il croire à ses adeptes). Il prône la polygamie pour croître et multiplier, et ainsi affirmer sa puissance. Les femmes ne sont pour lui que des « génisses », et elles doivent prendre mari dès leur puberté. Une pièce rapportée à la tribu, découvert affamé et assoiffé dans le désert du Lac Salé, n’est pas de cet avis. Bien que réussissant en ses cultures, et respectant le culte, il n’envisage pas de confier sa fille adoptive Lucy, sauvée par lui tout enfant, à n’importe quel godelureau issu du patriarche. D’où rébellion, fuite et châtiment, mariage forcé, mort et vengeance. L’amoureux extérieur, Jefferson Hope que Lucy voulait épouser, mineur vigoureux et obstiné, traquera Drebber et son acolyte Strangerson dans les forêts et les villes de l’Amérique, les suivant jusqu’en Europe et à cet abouti du monde qu’est à cette époque la cité de Londres.

Au final, le criminel est un vengeur, justifié par Dieu lui-même qui fera sa propre justice. Holmes n’a fait que débrouiller l’écheveau. Quant aux Mormons, ils sont la préfiguration du monde futur de 1984 d’Orwell, ou de la Russie et de la Chine d’aujourd’hui, par leurs mœurs de surveillance généralisée et d’obéissance aveugle à la Norme, énoncée par un seul gourou. L’intolérance masque l’appétit de jouissance et de pouvoir. Staline, Xi, Poutine : même ligne. Ce pourquoi ce roman policier va bien au-delà de son intrigue : il met en scène une sociologie des hommes et les prémisses d’une police scientifique.

Sir Arthur Conan Doyle, Étude en rouge (A Study in Scarlet), 1886, Livre de poche 1995, 147 pages, €5,30, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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Hervé Jourdain, Le sang de la trahison

Un policier qui écrit sur la police, c’est peu courant. Hervé Jourdain est capitaine à Paris et écrit des romans policiers. Celui-ci se passe au mythique « 36 » quai des Orfèvres sur l’île de la Cité, attenant au Palais de Justice et à la Sainte-Chapelle. Ce bâtiment mal foutu et obsolète parce que reconstruit de bric et de broc après son incendie par la Commune, a été transféré en septembre 2017 au « 36 » rue du Bastion, Porte de Clichy. La Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris a déménagé dans ses nouveaux locaux ; seule la BRI reste Quai des Orfèvres, au centre de la capitale, pour intervenir plus rapidement.

C’est donc une sorte de chant du cygne que ce polar situé dans cette unité de lieu encore opérationnelle en 2013. En effet, un juge est assassiné dans l’enceinte même du Palais. Les caméras de surveillance n’ont rien noté, le tueur savait où elles pouvaient se trouver. Même l’examen des entrées et sorties ne donne rien. Pire : un second meurtre a lieu dans le Palais, un journaliste judiciaire affilié à l’AFP. Encore pire : un troisième meurtre, dans un bâtiment de la Place Dauphine, tout proche du Palais, un avocat célèbre. Toujours le même mode opératoire, un tir au revolver de 8 mm, calibre peu courant d’une ancienne arme française de 24 cm de long en dotation avant-guerre, une balle dans le torse, une autre dans la tête. Et toujours des indices pour titiller les enquêteurs : trois morceaux de sucre de taille différente dans la main du mort, et deux cartes postales ou livres de poche. Enfin l’apothéose : le tir pour tuer contre le Directeur de la Police le soir de sa retraite, dans la cour même du Palais.

La brigade criminelle est chargée de l’enquête. Le commandant Bonnot dirige une équipe formée du capitaine Guillaume Desgranges aigri et absent, du lieutenant Jean-Noël Turnier le procédurier (qui surveille la procédure et archive les preuves) et de la nouvelle jeune femme Zoé Dechaume, mutée à sa demande (et sur piston) de la brigade des Stups. La vie n’est pas rose pour les flics… Ils sont confrontés chaque jour au pire de la cruauté et de la bêtise humaine, des amoureuses de 13 ans vite droguées et servant de putes dans les caves à la bande de dealers, des assassinats pour un regard ou un porte-monnaie peu rempli, des « accidents » de voiture qui sont des homicides, des viols, des meurtres, des fugues, des pétages de plomb. Le roman décrit bien les fêlures des flics. La motivation enthousiaste des débuts finit vite en routine, divorce, vie de famille à éclipse, révolte des enfants qui ne voient jamais leur père.

En compensation, il y a le boulot, la fièvre des enquêtes, les relations avec les témoins, les suspects, les avocats, les juges. Celui qui se présente dès le chapitre 6 comme un descendant de tueurs en séries depuis des générations met en avant son sens de l’honneur, toujours au service de l’État. Son but ? Éliminer les traîtres à la mémoire du Palais de Justice. D’où les multiples rebondissements, les pistes prometteuses qui s’avèrent fausses, les suspects successifs. Et même la demande de rançon pour Victor, le fils de 17 ans du capitaine Desgranges, déscolarisé depuis deux ans et déprimé parce que sa mère est partie lorsqu’il avait 10 ans sans explications et n’a jamais donné de nouvelles, et que son père est trop peu souvent là.

La psychologie des personnages est un brin sommaire, le flic désabusé, la jeune recrue accrocheuse, l’avocat brillant à particule, le commissaire autoritaire. Mais tout est fait pour l’action, trépidante, décrite en détail par un spécialiste – et en hommage au « 36 » de l’Île de la Cité. Ce bâtiment mythique aux dédales de couloirs, est orné de symboles accumulés par l’histoire. La fin est tout à l’honneur de la police, qui ne se venge pas mais laisse la justice opérer, bien que les deux institutions se regardent en chiens de faïence. Contrairement aux policiers, les juges, « indépendants » selon la théorie, sont souvent mus par leur idéologie et… contrôlés par personne.

Prix du Quai des Orfèvres 2014

Hervé Jourdain, Le sang de la trahison, 2013, Fayard poche 2013, 441 pages, €9,90, e-book Kindle €6,99

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John Buchan, Les trois otages

Sir Richard Hannay, apparu pour la première fois dansLes 39 marches, dont Hitchcock a fait un film célèbre, est devenu neuf ans plus tard général de division, et s’est retiré à 40 ans à Fosse Manor dans les Costwolds, à la campagne. Il est nanti depuis dix-huit mois d’un fils, Peter John, et passe son temps dans la nature et en famille, à se reposer de l’éprouvante guerre de 14.

Tout commence par la visite de son voisin, le Dr Greenslade, qui parcourt le pays pour soigner les gens et évoque les pouvoirs du subconscient. La société après la guerre est bouleversée, les anciennes mœurs brutalisées, les traditions remises en cause et les croyances chamboulées. Tout est possible, notamment le crime. La psychanalyse freudienne prend son essor et l’on commence à évoquer une « science juive » consistant à prendre le contrôle du mental. Greenslade s’amuse en décrivant comment bâtir un roman policier à partir de faits en apparence sans liens entre eux, comme « une vieille femme aveugle en train de filer dans les collines d’Écosse ; une étable dans une ferme norvégienne, et un petit magasin d’antiquités, dans le nord de Londres, tenu par un juif à la barbe teinte. » Hannay ne voit pas trop comment survient cette anecdote, mais s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas énoncée par hasard.

Son ami Macgillivray, qui œuvre dans les hautes sphères policières, lui annonce que trois otages ont été pris par une bande criminelle qui cherche à contrôler les esprits perturbés par les bouleversements sociaux et lui demande son aide. Leur but est assez confus, entre avidité pour l’argent, manipulation de cours, prévarication et domination du monde. Mais Adela fait partie des otages ; elle est la fille du riche banquier juif américain Victor, et fiancée du compagnon de guerre d’Hannay, le marquis de la Tour du Pin, dit « Turpin ». De même le jeune Lord Mercot, étudiant à Oxford de 19 ans, beau et athlétique. Enfin le jeune garçon de 10 ans Davie Warcliffe, fils unique et touchant enfant, peut-être l’otage le plus pathétique. C’est lui qui va finalement décider sir Richard Hannay, ancien militaire des services secrets de Sa Majesté, à tenter d’aider, même s’il ne voit pas bien comment. Au moins par un regard neuf.

Un poème énigmatique a été envoyé par les ravisseurs aux parents, qui évoque une aveugle filant, une grange norvégienne et « les Champs d’Éden »… Un effet du subconscient de Greenslade, qui l’aurait entendu quelque part avant que cela lui revienne comme « naturellement » ? De fil en aiguille, le conscient démêle par raison analytique ce que l’inconscient suggère par réminiscence sensorielle et affective. Hannay découvre que les Champs d’Eden » provient d’un cantique, Greenslade se souvient qu’un dénommé Dominick Medina lui en avait parlé et avait fredonné l’air. Medina est anglais mais son nom vient d’un lointain ancêtre espagnol. Il est, autrement dit entre ces années méfiantes entre-deux guerres, un métèque dont on doit se méfier. Le sieur est jeune, beau, charmeur, cultivé, impeccablement habillé et courtois, même si perce parfois chez lui un certain orgueil et une volonté froide. Hannay est sous le charme mais son ami le colonel Sandy Arbuthnot se méfie. Heureusement ! Car Hannay, invité chez Medina, se voit drogué et soumis à une séance d’hypnose. Prévenu, il parvient à s’en immuniser, jouant le jeu de l’esclave soumis alors qu’il n’en est rien.

Il en ressort cependant le lendemain avec un fort mal à la tête. Il va consulter le Dr Newhover, suggéré par Medina, qui l’oriente vers une masseuse nommée Madame Breda, flanquée d’une très jeune fille au regard vide, Gerda. Il est hypnotisé à nouveau par des passes effleurant le visage, mais reste une fois de plus réfractaire. Hannay est invité en boîte de nuit avec son ami Archie Roylance et aperçoit une jeune danseuse impassible et très maquillée, sous l’emprise du majordome de Medina, à la carrure d’ancien boxeur. Il est intrigué : que fait Odell ici ? La boite sert-elle de couverture à certaines activités de Medina ?

Convaincu que sir Hannay est à sa merci, Medina s’en fait un factotum et l’emmène partout pour se faire valoir en société. C’est ainsi qu’il rencontre Kharama, un Indien hypnotique et puissant que Medina, qui en a entendu parler sans l’avoir jamais vu, appelle « Maître ». Il lui dévoile ses projets et l’autre l’encourage. Le Dr Newhover doit de se rendre en Norvège et Hannay veut savoir pourquoi. Il informe Medina qu’il est malade et a besoin d’une semaine de repos chez lui. Il suit le docteur en avion et canot jusqu’à une ferme norvégienne isolée où il se rend compte que Lord Mercot est détenu. Le jeune homme parvient à fuir, Hannay le recueille, le retape et lui rend son esprit, avant de lui demander de retourner dans sa geôle pour quelque semaines seulement, en jouant le jeu, jusqu’à ce que l’on puisse localiser et délivrer en même temps les deux autres otages.

En consultant un vieux plan de Londres, Hannay trouve mention d’un lieu anciennement connu sous le nom de « Champs d’Éden ». C’est aujourd’hui un entrepôt de grossiste et une boutique d’antiquités. Là est le second otage, la chère Adela, hypnotisée elle aussi et qui danse chaque soir surveillée par Odell, le majordome boxeur. La police, aidé de l’épouse de Hannay, Mary, est soustraite au gang. Reste le jeune garçon. Mary le découvre chez Madame Breda sous le déguisement d’une très jeune fille, les cheveux longs et une simple robe sur le corps. Le gamin reprendra difficilement vie après cette expérience. Il faut que Mary menace de défigurer à l’acide un Medina acculé, ce qui mettrait à mal sa vanité, pour qu’il consente à le déshypnotiser et lui rende sa raison. La police intervient alors simultanément dans plusieurs pays et les conspirateurs sont arrêtés.

Du fameux « complot », on ne saura pas grand-chose ; l’auteur préfère laisser l’imagination courir en restant dans le flou. Ce qui lui importe est moins le mobile que l’enquête, donc l’action. Le lecteur est bien servi, les chapitres coulent et progressent ; le roman se lit très bien, encore aujourd’hui. Ce roman est plus d’aventure que véritablement « policier » ; c’est un genre qui ne se pratique plus guère, la mode préférant le « thriller ». Mais le roman d’aventures prenait la suite des feuilletons qui avaient fait les délices des lecteurs dans la presse à grand tirage entre 1850 et 1950.

Quand tout est fini, tout recommence. Dominick Medina a été épargné et veut se venger. Son orgueil a été blessé. Sandy, qui s’était déguisé en mage Kharama pour le tromper, prévient Hannay qu’il cherche à se venger. Richard Hannay se rend alors avec toute sa famille dans un pavillon de chasse au cerf qu’il possède, isolé dans les Highlands d’Écosse. Medina l’apprend et se fait inviter tout près de là. Il veut simuler l’accident de chasse et tuer Hannay, mais celui-ci parvient à le déjouer. Le serpent tentateur ne mordra plus, mais quelles péripéties !

Ce roman a été adapté en série télé BBC en 1952 puis en 1972, et en feuilleton radio BBC en 2003. L’auteur, décédé à 64 ans d’une hémorragie cérébrale comme gouverneur du Canada et baron, a été avocat, militaire, espion et écrivain.

John Buchan, Les trois otages (The Three Hostages), 1924, Livre de poche policier 1966, 447 pages, €7,15

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Arnaldur Indridason, Les parias

L’auteur de polars islandais vieillit ; il déprime. Il reprend ici son second héros, hélas pas Erlendur, bien meilleur, mais l’inspecteur Konrad, désormais à la retraite et obsédé par l’affaire non résolue du meurtre de son père dans les années 50. Il se souvient enfant de son père violent, ce pourquoi sa mère était partie en emmenant sa fille ; elle avait laissé le fils au papa policier. Konrad le craignait et l’aimait à la fois, car l’adulte savait être complice – lorsqu’il n’avait pas bu. Il lui avait montré le soir de ses neuf ans un revolver de la Seconde guerre mondiale, un Lüger allemand à neuf balles de neuf millimètres, dont une dans le canon.

Or, voici du neuf : une vieille dame arrive au commissariat pour donner à la police une arme qu’elle a trouvée sur une étagère du garage de son mari qui vient de décéder. C’est un Lüger et Konrad est intrigué. Il a gardé des liens avec ses anciens collègues et la balistique confirme bientôt que le revolver est celui qui a tiré une balle mystérieuse, des années auparavant, tuant le jeune Gardar. Serait-ce l’arme que son père lui avait montrée ? Son père pourrait-il être le meurtrier ?

L’enquête reprend des éléments livrés dans les tomes précédents. Elle poursuit la piste des violences sexuelles, usuelles dans les années 50 à 80, notamment sur les jeunes adolescents des deux sexes. Ce genre de comportement était « normal », au sens où les gens s’en souciaient peu. Une fille de 12 ans avait ainsi été tuée et jetée dans le lac, après des viols répétés et alors qu’elle s’était retrouvée enceinte. Des garçons de l’internat disciplinaire étaient abusés régulièrement par le directeur, surnommé Sucette, et les clients auxquels il les livraient pour de petits travaux de jardinage ou de lavage de voiture. Ainsi Tobbie, joli garçon, que le désespoir avait fait se suicider à 15 ans. Gardar était son frère ; il a été tué deux ans après. Tout cela a-t-il à voir avec son père ?

L’immonde Gustaf, médecin violeur, a été mis en prison, mais il se joue encore de Konrad en faisant tabasser sa sœur Elisabeth dite Beta, pas bien futée mais dont il a appris qu’elle a été abusée par son père, cause de la séparation du couple. Konrad n’est pas un héros policier, mais un homme qui a ses faiblesses. Il s’est laissé un temps corrompre par son collègue Leo, qui trafiquait avec les soldats de la base américaine ; il a délaissé son fils Hugo, qui ne lui parle plus guère ; il ne peut avoir une relation suivie avec sa maîtresse du moment. Il est et reste obsédé par lui-même, par sa propre histoire, par l’énigme de son père et de sa fin tragique.

Il vaut mieux se souvenir des volumes précédents pour lire ce livre sans se perdre. Les chapitres sont courts, sautent du coq à l’âne et bousculent les époques. Ils désorientent comme le personnage est désorienté, ce pourquoi ce polar se lit malgré tout assez bien, si l’on sait s’accrocher. Tout prend sens peu à peu, un réseau pédocriminel, organisé par des homosexuels réprimés durement par la loi et la réprobation publique jusque dans les années 80. L’idée sous-jacente est que la prohibition n’est jamais bonne, elle force à transgresser et forcément dans l’excès. La libération des mœurs aurait plutôt sauvé les mineurs des abus sexuels, en permettant aux adultes de même sexe d’avoir des relations officielles entre eux. Rejetés, les parias sont dangereux et « gardent le silence » – signification du titre islandais.

Un roman complexe et finalement attachant.

Arnaldur Indridason, Les parias, 2022, Points policier 2025, 357 pages, €8,95, e-book Kindle €5,99

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Jérémie Foa, Survivre

En quatre parties, une analyse de la situation des gens en cas de guerre de religion. Ne croyons pas que ce soit du passé, et que la querelle catholiques-protestants (1562-1598) soit de l’histoire ancienne. Nous l’avons revécue, cette querelle, avec les fascistes et les humanistes entre les deux guerres, puis avec les communistes et les libéraux après-guerre, jusqu’à la querelle entre « socialistes » et libéraux-démocrates juste avant Macron. Nous sommes, depuis Trump 2, dans une nouvelle guerre de religion, celle des universalistes et des souverainistes, autrement dit du droit contre la force.

C’est dire combien il importe de lire l’histoire et d’en prendre des leçons. Jérémie Foa cite Montaigne, aristocrate humaniste, adepte de la vie bonne à l’antique, qui a su nager entre les écueils des religions. Lui-même était-il croyant ? Peut-être. Il ne croyait pas en revanche aux dogmes assénés par l’Église, se contentant, sagement, de faire à Rome comme les Romains.

L’historien examine le « qui vive ? » de reconnaissance, qui est une allégeance à un parti. Tous ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi, il n’y a pas de nuances. Sauf que l’ennemi est invisible, il ressemble à vous et moi, d’où la nécessité de « dire », de donner le mot de passe, d’affirmer sa croyance. D’où, pour ceux qui gardent leur quant à soi, l’exigence du trompe-l’oeil, du déguisement, de l’apparence. C’est l’habit qui fait le moine, pas ce qu’il pense ou croit. Montaigne fait route un moment avec un « gentilhomme huguenot » qui contrefait le catholique, en affichant ostensiblement les marques. Le philosophe avoue avoir été dupé, il n’a rien vu. Donc un « art de la fugue », dit joliment l’auteur. « Réalisons, par expérience de pensée, un lent travelling sur la marche d’un passant à travers une ville sans nom, au hasard de l’été 1589 : à l’indifférence polie qui rythmait ses pas s’est substituée une vigilance accrue aux détails, à la physionomie des êtres, aux vêtements qu’ils enfilent ou tentent de masquer. Il interprète les marques sur les maisons ou les affiches des façades, tente autant que possible de faire bonne figure. Une hyper-correction imprime à sa posture quelque chose de rigide ou de gauche, tout occupé qu’il est à émettre les signaux appropriés (…) comme à dissimuler les indices néfastes » (introduction). Toutes routines « normales » sont questionnées pour survivre en temps de guerre civile. « Ce que disent la plupart des textes, catholiques ou réformés, c’est que, pour survivre en ces guerres, l’intelligence, l’astuce sont indispensables ».

Chacun marque son territoire, comme le matou qui pisse aux quatre coins. On affiche, on met en demeure, on perquisitionne pour être sûr, jusque dans le lit conjugal, intime de l’intime. Donc on se cache, telle est la guerre civile. On se méfie des voisins, des jaloux qui pourraient dénoncer pour en profiter. Les catholiques marquent hier d’une croix les maisons protestantes ; les communistes aujourd’hui peuplent les murs d’affiche pour affirmer leur présence (bien minoritaire). Les « communautés » se regroupent par quartiers, par immeuble. On débaptise les rues aujourd’hui au nom du « woke » pour marquer l’idéologie contemporaine. A l’inverse de ceux qui braillent, le tout venant se tait et s’invisibilise. Pour vivre heureux vivons caché.

Comme la situation est durable, le parti pris des choses s’impose. Le monde devient en poupées gigogne, l’extérieur ne présageant pas des intérieurs successifs. Ce qui induit, pour chacun « une hyper-vigilance », de calculer ses dires et ses actions, de dissimuler ses lectures non-admises, d’éviter d’écrire – les écrits restent – ou de garder des photos ou des vidéos dirait-on aujourd’hui. Elles sont éléments de preuve en cas d’accusation. « Comment s’orienter dans un monde où l’opinion, l’émotion et le mensonge ont plus d’influence que la vérité ? Quelle refuge à la sincérité espérée quand tous trompent sans vergogne ? » (introduction).Vaste question que l’actualité remet au goût du jour avec les vérités « alternatives » de Trump le trompeur et les approximations de Marine Le Pen, collabo du dictateur criminel de guerre Poutine…

La guerre civile de tous contre tous marque la langue, observe l’auteur, le prétendu ment : la religion réformée est « prétendue » réformée, le cheval de Troie n’est pas une statue votive mais une machine de guerre, la charrette de légumes et de farine dissimule de la poudre et des armes. Les éléments de langage sont repris en boucle, formant autojustification. « Les épreuves de force, qui caractérisent tout conflit de valeurs, impliquent sans cesse de grandir les uns ou de rabaisser les autres, de mentir, d’euphémiser, de disqualifier les gloires d’antan au profit des vedettes du jour, de dire l’indicible ou de taire l’insoutenable ». Il faut coder son discours pour le distinguer du standard. Une novlangue naît des troubles, les mots du pouvoirs ont un pouvoir. La paradiastole triomphe : « ce que vous appelez religion, je le nomme hérésie ». Le ministère de la Guerre est nommé ministère de la Paix et l’envahisseur Poutine le chantre de la fin des combats. Il s’agit « d’ébranler les évidences du donné », de donner le tournis pour qu’on ne puisse se fier à rien ni à personne, le mensonge côtoyant la presque vérité (comme sur les vaccins). « La dystopie d’Orwell dénonce une langue mécanique, forgée pour que ses récepteurs ne saisissent plus l’incompatibilité des mots prononcés, et puissent soutenir en même temps et avec la même conviction deux opinions antithétiques ».

D’où la nécessité, lorsque la guerre civile s’apaise, de recréer du lien par la langue : « enfin Malherbe vint » à l’issue des guerres de religions en France. « L’insécurité sémantique découle de l’ébranlement politique », écrit l’auteur. Une instance neutre pour poser les définitions communes des mots est nécessaire pour que chacun puisse se reparler en relative confiance, sans n’en penser pas moins. « La langue de Malherbe exige que le lexique ne puisse plus insulter ni trancher, que la colère du monde soit, en amont, corsetée par des mots froids – que la violence soit impossible à mettre en œuvre car impossible à mettre en mots. Malherbe ficelle ensemble modération politique, civilité sociale et sobriété littéraire. » Ce pourquoi il est nécessaire de toujours enseigner la langue, définir les mots, user du grammaticalement correct pour se faire bien comprendre. Qui n’a pas de vocabulaire parle avec ses poings, qui énonce n’importe quoi n’exprime rien que pour sa bande.

Les mots tuent, lorsqu’ils sont mal utilisés. Ainsi « les Hutus » – ethnie qui résulte d’une classification arbitraire du colonisateur, sans fondements historiques – ou « les Juifs » – qui sont aussi divers, pratiquants ou non, pro-Netanyahou ou non, que les autres citoyens. « Si la langue témoigne du dissensus ambiant, par un puissant effet retour, elle participe à l’identification, donc à la création des groupes qu’elle prétend observer. » Chacun est « assigné » à l’image que l’on se fait de son groupe, race, religion. La langue en devient « satanique ». « Entre métaphore animalière et litote, la langue fournit des armes assassines aux hommes. Mais, en même temps qu’elle s’attache à déréaliser les gestes du tuer, la langue des troubles perd en référentialité, (…) pour finir par ne plus dire exactement ce qu’elle souhaitait, oscillant des codes aux slogans… » On ne tue pas, on « dépêche », voire envoie à « la corvée de bois ». Et c’est « la commune humanité », dit l’auteur, qui expliquerait l’acharnement avec lequel les coups pleuvent, souvent au visage. « Le massacre est l’occasion d’enfin faire taire cette troublante similarité ».

La leçon des guerres de religion ? Elle est paradoxalement positive, écrit l’historien. « Si l’historiographie a beaucoup parlé, à juste titre, des massacres et de la brutalisation des mœurs, les affaires abordées en ces pages ébauchent une autre histoire, qui insiste davantage sur l’exigence de maîtrise de soi, sur le contrôle des émotions, le stoïcisme corporel indispensable pour surmonter l’épreuve. Loin d’être sanguin, l’homme des troubles est de sang-froid. » C’est la « force civilisatrice de l’hypocrisie », dit Jon Elster. Mensonges et secrets exigent argumentation, ruse et crédibilité. « Face aux fausses évidences, aux routines du paraître, les hommes des troubles bannissent la crédulité, promeuvent l’expérience, mènent l’enquête, pèsent, mesurent, comparent, accumulent les indices. L’arme la plus tranchante de ces guerres civiles, c’est la critique. » Ainsi l’individu s’affirme contre le collectif. Les personnes modulent leur propre image afin de ne montrer que ce qu’elles veulent. Pas de sincérité, mais du paraître, « le droit de ne pas tout dire sur soi ». Le montrer l’emporte sur le croire.

Aujourd’hui, nous sommes en plein dedans.

Jérémie Foa est ancien élève de l’école normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, agrégé d’histoire et maître de conférences HDR en histoire moderne à Aix-Marseille Université.

Jérémie Foa, Survivre – Une histoire des guerres de religion, 2024, Seuil, 352 pages, €23,00, e-book Kindle €14,99

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Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte

Les actes du perturbateur sont un mauvais titre en anglais, bien qu’il vienne d’un ancien hymne à Osiris ; mais la onzième plaie d’Égypte n’en est pas un meilleur, laissant rêver ce qui n’est pas. Les Emerson père, mère et fils, Radcliffe, Amelia et Ramsès, sont retournés à Londres l’été 1896, après une saison de fouilles. Mais l’Égypte les poursuit sous le climat brumeux et pollué de la capitale de l’empire. En cause, le British Museum, où une momie donnée par un mécène aristocratique, fait parler d’elle. Un prêtre d’Isis, masqué et déguisé comme il se doit, surgit parmi la foule et interdit par exclamation de la toucher. Panique chez les bourgeois du dimanche…

La presse à sensation en fait ses choux gras et n’hésite pas, pour faire vendre, à impliquer Amelia Peabody et son époux le professeur Emerson. A eux deux, à l’en croire, ils vont se mêler de l’enquête et résoudre l’affaire ! Ce n’était pas l’intention du couple, mais… Amelia est toujours éperdue de curiosité pour la quête policière et le mystère criminel, tandis que Radcliffe adore mettre hors d’état de nuire les pilleurs de tombe et autres mécréants de la science.

La momie d’une femme de la XIXe dynastie, même pas apparentée à la famille royale, a tué un gardien de nuit, retrouvé mort à ses pieds dans un monceau de débris. Un étudiant du directeur est ensuite trouvé mort au pied de l’obélisque de Londres, près de la Tamise. Comment ne pas évoquer la malédiction des pharaons ? Les aristos désœuvrés adorent les canulars, la presse adore les scoop mystère, le public adore les sensations fortes. Quant au directeur du Museum, c’est moins pour ses compétences (faibles) en égyptologie que pour ses pillages éhontés qu’il est parvenu par piston à ce poste. Tout cela concourt à la belle histoire.

C’est sans compter sur la rectitude scientifique du professeur Emerson, la foi morale de son épouse Amelia, et la sagacité du trop précoce fils surnommé Ramsès. Malgré la famille – un frère de Peabody, James, qui impose ses deux infects rejetons au couple durant « la cure » de leur mère, les époux et le gamin vont agir. Emerson en actionnant son réseau égyptien à Londres, Amelia en usant de ses relations orageuses avec deux journalistes, un Irlandais et une petite-fille de duchesse décatie, Ramsès en se déguisant fort adroitement en gamin des rues à la Dickens, pieds nus et chemise déchirée, pour espionner à loisir.

On veut la peau des Emerson, dans certains milieux aristos et peut-être familiaux. Heureusement qu’ils ne se laissent pas faire et qu’ils ont la tête dure. Radcliffe manie ses poings, Amelia son ombrelle d’acier et Ramsès son art d’écouter aux portes et de se déguiser pour mettre à mal les plans des tueurs. Jusqu’à un vieux manoir élisabéthain, où se déroulent d’étranges cérémonies sexuelles et sacrificielles pour guérir les maladies honteuses – et mortelles (la syphilis).

Ce cinquième opus de la série policière historique de l’écrivaine américaine Barbara Mertz, dite Elisabeth Peters, est toujours conté de façon enlevée et drôle, l’érudition ne pesant jamais, l’action ne manque pas, et les personnages restent hauts en couleur. Le complot familial double le crime de la momie.

Ramsès, né en juillet 1887, a 9 ans, parle couramment plusieurs langues, lit tout ce qui lui tombe sous la main, et n’hésite pas à corriger les erreurs de son père sur son manuscrit d’Histoire de l’Égypte antique. Son cousin Percy, du même âge, lui est mis dans les pattes et il ne l’aime pas. C’est un garçon anglais classique, gibier de pension, discipliné à être sournois ; sa petite sœur Violet est une gourde gourmande qui grossit en s’empiffrant de sucreries, elle est toujours du côté de son frère malgré les avances de son cousin. Percy fait faire à Ramsès de mauvaises choses en lui affirmant que l’autorisation en a été donnée par les adultes, tout en le dépouillant de ses biens (montre, couteau, argent de poche). Ramsès, qui a la rectitude de son père, subit sans rien dire, et sa mère ne s’aperçoit de rien avant longtemps. Mais le gamin est capable de se débrouiller tout seul, et il aime ses parents ; il fera tout pour les aider dans leurs aventures périlleuses, entraînant le majordome Gargery et le robuste valet Bob. Plus que les autres, il apparaît comme le héros de cette histoire.

Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte (The Deeds of the Disturber) suivi par Le secret d’Amon-Râ, 1988, Livre de poche illustré 2023, 960 pages, €15,90, e-book Kindle €10,99

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P.D. James, Mort d’un expert

Morte il y a dix ans à Oxford, P.D. James est l’une des maîtresses du roman policier anglais. Elle utilise son sens de l’observation et ses souvenirs biographiques pour croquer des personnages plus vrais que nature. Ainsi la jeune Brenda Pridmore, 18 ans, à l’accueil du laboratoire de médecine légale de l’East-Anglia, n’est pas poussée aux études par des parents qui considèrent que ce n’est pas le rôle d’une fille. Le père de Phyllis Dorothy en a fait de même pour elle. Mais elle a résisté, suivant des cours du soir, comme Brenda, pour s’élever dans la hiérarchie. P.D. James deviendra haut-fonctionnaire dans la médecine légale au Ministère de l’Intérieur.

Pour elle, il s’agit d’apprendre ce que c’est d’être humain. Aussi le crime n’est-il jamais simple, bien que mû par des passions bien classiques : le sexe, l’argent, la haine. Son détective, Adam Dalgliesh, est commissaire du Yard. Il est mandaté pour couvrir un meurtre inexpliqué d’un directeur de labo dans les Fens, ces marnières autour de Cambridge. Tel un sauveur, il arrive de la capitale en hélicoptère…

Mais ce n’était que le second meurtre en quelques jours. Une jeune femme a été retrouvée étranglée dans les marnières, prétexte à dérouler les procédures de médecine légale. Le Docteur Kerrison officie, tandis que le docteur Lorrimer chapeaute les études biologiques, notamment les groupes sanguins (l’ADN n’est pas encore usité en 1977, il ne le sera qu’en 1994). L’expert judiciaire Lorrimer du Laboratoire Hoggatt, fondé par un colonel retour des Indes, n’était aimé de personne – sauf de Brenda, qu’il encourageait à étudier. Solitaire après un mariage raté, sa maîtresse l’avait quittée pour un autre. Il avait refusé un prêt à sa cousine Angela pour acheter le manoir où elle logeait, que son propriétaire était pressé de vendre. Il venait de descendre en flammes un collaborateur un peu lent à qui il faisait peur dans un rapport d’évaluation. Il s’était juste battu la veille avec un autre directeur du labo, expert en papiers. Nombreux sont donc celles et ceux qui pouvaient lui en vouloir.

Mais est-ce une raison pour tuer ? Surtout que le crime a été prémédité : les portes du laboratoires étaient fermées et seuls trois trousseaux existaient, tous retrouvés à leurs places. Qui l’a fait ? Pourquoi l’avoir fait ? Comment l’avoir fait ? C’est à ces questions classiques d’une enquête que va s’atteler Adam Dalgliesh et son adjoint plus jeune, l’inspecteur Massingham. D’interrogatoires en mijotages psychologiques, chacun va dérouler, par bribes, des passions familiales, les rancœurs du labo, du village et de cette campagne isolée à l’atmosphère sombre.

Le roman débute lentement car il faut mettre en place les pièces du puzzle. Tous les indices sont livrés au lecteur – mais celui-ci n’est pas amené à trouver par lui-même, emporté par le récit. C’est du bon P.D. James.

Phyllis Dorothy James, Mort d’un expert (Dead of an Expert Witness), 1977, Livre de poche 1991, 347 pages, €7,90, e-book Kindle €6,99, livre audio €0,00 avec offre essai

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Henning Mankell, Le retour du professeur de danse

Les hantises du Millénaire : ce roman policier, écrit en 1999 et publié en 2000, ressasse le passé nazi de la Suède et ses réminiscences dans le présent. Il semble n’y avoir aucun futur, mais la répétition indéfinie d’un passé qui ne passera jamais. En décembre 1945, des tortionnaires nazis ont été pendus mais certains en ont réchappé ; en octobre 1999, cinquante quatre ans plus tard, un ancien policier suédois a été assassiné sauvagement. À sa retraite, il avait élu domicile en solitaire dans une région perdue comme pour se cacher, un chalet au milieu de la forêt dont le plus proche voisin était à une dizaine de kilomètres. C’est là que les ombres l’ont rattrapé, les ombres de son passé.

Son ancien adjoint à la police, Stefan Lindman, apprend l’assassinat de son collègue en même temps que son cancer à la langue. Tout s’écroule autour de lui, sa vie, sa fonction, son pays. Il voit la vie en noir mais n’a plus rien à perdre. Faute de mieux, pour oublier et s’étourdir, il décide de partir en voyage. Au lieu de Majorque initialement prévu, il décide au dernier moment de se rendre en voiture à l’autre bout de la Suède, dans le Härjedalen, pour voir la maison de son ex-partenaire de police, Herbert Molin.

Il n’est pas chargé de l’enquête, mais s’immisce dans celle en cours de la police locale. Lorsqu’il visite la maison du crime, en clandestin, une fois la police scientifique passée, il découvre des traces sanglantes sur le parquet. Elles dessinent un pas de tango. Quel rapport avec la victime, dénudée et fouettée à mort ?

De fil en aiguille, d’hésitations en faux départs puis en retours comme fasciné, Stefan va découvrir des traces de campement, interroger une mystérieuse femme solitaire elle aussi qui venait rendre visite à Herbert, découvrir le passé militaire, nazi dans la Waffen SS allemande, puis le changement de nom de son ancien collègue policier, ainsi que la face sombre de la Suède contemporaine. Y compris les idées de son propre père, qu’il n’avait jamais devinées. Il semble que le nazisme ait été florissant dans les années 1940. La fin de la guerre et la révélation des atrocités nazies n’ont fait que mettre un couvercle sur ce qui demeure le socle de convictions des gens dans les pays nordiques, pourtant présentés longtemps comme des modèles de social-démocratie. Le nationalisme raciste et xénophobe survit, non seulement dans les groupements néonazis de jeunes en déshérence, mais surtout dans une organisation secrète bien financée qui poursuit les buts hitlériens vers un Quatrième Reich.

Ce qui est intéressant, est que 25 ans plus tard, cette révélation d’auteur de roman policier paraît prémonitoire. Jamais le conservatisme xénophobe ne s’est mieux porté, en Europe comme dans le monde. Jamais le nazisme n’a resurgi aussi fort, surtout parmi les perdants de la Seconde guerre mondiale. C’est une ironie de l’histoire que les anciens « sous-hommes » slaves et juifs du nazisme, dans la Russie de Poutine et l’Israël de Netanyahou, aient pris « objectivement » (comme on disait chez les marxistes) des comportements de nazis, en Ukraine et à Gaza, au prétexte de sauver le pays, le lebensraum et la race.

C’est une longue enquête qui débute pour retrouver le meurtrier d’Herbert et celui de son voisin, tué lui aussi, mais par balles. Par le même tueur ? Il s’agit de découvrir les motifs, savoir s’il existe un ou plusieurs assassins. Le lecteur se plonge dans les affres des mauvais souvenirs de l’histoire, dans un paysage triste et gris d’hiver nordique où il semble que le futur de l’Europe s’abîme lentement.

Henning Mankell, Le retour du professeur de danse, 2000, Points policier 2007, 544 pages, €10,20, e-book Kindle €8,99

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William McGivern, Une question d’honneur

Si vous trouvez par hasard ce roman policier dans les bacs d’occasion ou les armoires à livres, n’hésitez pas à le prendre car c’est un bon livre. Il a été écrit soigneusement, à une époque où n’existait ni Internet, ni séries télévisées, ni téléphone mobile, ce qui oblige l’auteur (pour son dernier roman avant sa mort) à construire une intrigue et à la faire progresser de chapitre en chapitre sans tout mélanger pour désorienter et étonner.

Un jeune soldat noir est assassiné par balles à Chicago. Il venait de rentrer d’Allemagne où il servait parmi les troupes d’occupation face à l’Union soviétique à l’époque. Ce serait un crime banal si ce n’était le troisième meurtre en quelques mois du même genre. Tous des soldats noirs, tous deuxième classe seulement, tous jeunes et sans guère de moyens. Y a-t-il un lien ? Évidemment, mais toute l’enquête va devoir le prouver.

Le lieutenant de police Weir, à Chicago, est le fils unique du général Tarbert Weir, l’un des rares militaires à avoir obtenu la médaille de l’honneur et qui a pris sa retraite. Son fils, qu’il a laissé tomber après la mort de son épouse lorsque le gamin avait huit ans, ne lui a pas parlé depuis une décennie. Mais il renoue avec lui à titre professionnel pour en savoir un peu plus sur ces militaires qui se font descendre un à dans son secteur.

C’est le début d’un engrenage qui va mettre en branle une journaliste, la police locale, les services secrets et l’armée, afin de mettre au jour tout un système de corruption entre l’Allemagne de l’Ouest de l’Otan et les États-Unis où l’héroïne commence à faire des ravages.

Il y a de l’action et du suspense, des caractères bien trempés et de l’amour, et ce roman noir se lie admirablement. Il est reposant après les divagations mal écrites en scènes hachées des romanciers policiers d’aujourd’hui.

William McGivern, Une question d’honneur (A Matter of Honor), 1983, Livre de poche policier 1987, 381 pages, occasion €0,55 à €3,00 ou broché occasion €4,00

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Maurice Daccord, Le préleveur

On m’informe de la parution d’une nouvelle enquête du duo de Crevette et Baccardi. Je ne l’ai pas lue, contrairement aux autres fois. Contrairement aux autres fois, je n’ai eu qu’un faire-part – et je vous en fait part. Cela fait toujours une note en ces temps de vacances scolaires.

« Qu’arrive-t-il à Eddy Baccardi, ? il est à l’hôpital plongé dans une sorte de coma artificiel, entre la
vie et la mort. Colombe, Léon, et Valentina se relaient à son chevet. Les nerfs de Colombe sont à
vif, que va-t-elle devenir sans l’amour de sa vie ?
Heureusement, les secours de la thérapeutique vont tirer Eddy de ce mauvais pas, il va pouvoir
efficacement seconder son ami Léon, le Commandant Crevette, embarqué dans une enquête hors
norme dont il ne voit pas l’issue, et qui pour la première fois semble caler.
Eddy ne sera pas seul, un nouveau venu, le Lieutenant Merlu vient d’arriver dans le service de Léon
Crevette, et ils ne seront pas trop de trois pour trouver le responsable d’une nouvelle série de
meurtres.
Trois, pas tout à fait car une mystérieuse personne qui n’est ni une inconnue de Crevette, ni de
Baccardi, va les guider tout au long de cette enquête.
Après avoir résolu l’énigme de Tantum ergo, percé le Secret des mages du trident rouge, démasqué
le Docteur Tweed dans l’Affaire des flambeaux noirs, Crevette et Baccardi, dans la Lanterne des
morts, vont devoir débusquer celui que toute la presse a baptisé « Le Préleveur ».
Comme les précédents romans, la Lanterne des morts est un polar dans la tradition des romanciers
fétiches de Maurice DACCORD, les auteurs en « ar » : Michel Audiard, Alphonse Boudard,
Frédéric Dard…
Argot, parler caillera, verlan, mauvais jeux de mots, contrepèteries sont au rendez-vous de cette
nouvelle enquête, ainsi que les chansons, toujours présentes.
 » (Faire-part de parution)

Maurice Daccord, Le préleveur, 2024, éditions L’Harmattan avril 2024, 208 pages, €19,00 (lien amazon sponsorisé)

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Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses

Kerry McGrath est procureuse et son mentor, le sénateur Jonathan Hoover, envisage pour elle de la faire nommer juge. Elle est divorcée et mère d’une fille de 10 ans, Robin. Son ex-mari, Bob, ancien procureur, est devenu avocat des malfrats, notamment d’un certain Jimmy Weeks, affairiste sans scrupule qui n’hésite pas à commanditer des gros bras pour intimider ou tuer.

Robin a eu un accident de voiture avec son papa, qui conduit trop brutalement, et elle n’avait pas attachée vraiment sa ceinture. Blessée au visage, elle est soumise aux soins du docteur Charles Smith, chirurgien esthétique réputé. Il la soigne, elle n’aura aucune séquelle, sa beauté sera préservée. C’est que le docteur Smith attache une importance vitale à la beauté ; elle est pour lui comme une porcelaine fragile qu’il faut préserver. D’ailleurs passe, au sortir de son cabinet, une stupéfiante belle jeune femme, refaite du visage. Kerry se dit qu’elle l’a déjà vue quelque part, mais où ?

Cela la turlupine, et elle finira par faire l’association d’idée avec un crime commis jadis, dont elle a condamné le coupable selon la justice, celui de Suzanne Reardon, épouse de Skip l’entrepreneur. Suzanne était magnifique vivante, mais horrible en cadavre avec les yeux exorbités et la langue pendante. Elle a été étranglée et une brassée de rose de la race Sweetheart répandue sur elle (d’où le titre en américain). La fille que Kerry a vue chez le docteur Smith ressemblait trait pour trait à Suzanne. D’ailleurs, elle ne tarde pas a à apprendre que la Suzanne assassinée était sa fille…

Elle se penche alors sur l’accusé Skip Reardon, désormais en prison, et qui en a pour trente ans. Est-ce vraiment lui le coupable ? Il jure que non, les jurés ont été d’un avis opposé, mais l’enquête a-t-elle été au bout ? Kerry va donc la reprendre sur son temps libre. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que personne ne veut plus en entendre parler, ni son patron qui aspire au poste de gouverneur et voit d’un sale œil surgir le spectre d’une erreur judiciaire sous sa responsabilité, ni son mari Bob que son client malfrat presse de faire abandonner Kerry, ni son mentor le sénateur Hoover qui fait suspendre sa nomination comme juge, ni le docteur Smith qui commence à filer sa nouvelle réussite esthétique dans la rue.

D’ailleurs, Robin se fait poursuivre dans la rue par une voiture qui fonce sur elle après que son conducteur l’ait prise en photo… Il en faut plus pour impressionner la procureuse qui désire devenir juge. Elle prend toutes les précautions possibles pour sa fille et va de l’avant. Elle reprend les témoignages écartés, comme celui de la voisine en face de la maison du crime, qui a vu le soir une voiture noire arrêtée devant la maison. Et le petit garçon handicapé de 5 ans qu’elle gardait qui s’est exclamé : « c’est la voiture de grand-père », signifiant par là que c’était un vieux modèle. Aidée de Geoff, un avocat encore célibataire, devenu ami et qui se prend de béguin pour elle, et de son enquêteur Joe, elle va creuser l’affaire.

Et découvrir la vérité.

Le roman est bien ficelé mais les personnages surgissent à profusion, ce qui déroute au début. On se demande ce que viennent faire Grace, l’épouse du sénateur, Jason Arnott, le dandy richissime qui aime les belles choses, Haskell le comptable qui cherche à se dédouaner, et ainsi de suite. Les coupables potentiels du meurtre de Suzanne sont au moins quatre et le lecteur ne peut décider entre eux jusqu’à ce que cela s’éclaire sur la fin. Tous les fils se nouent pour un final imprévu. Un bon cru Clark des années 1990.

Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses (Let Me Call You Sweetheart), 1995, Livre de poche 1998, 316 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

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Elisabeth George, Une chose à cacher

Une bonne enquête (la 21ème) du trio bien connu Thomas Lynley, commissaire par intérim, et son équipe, les sergents Barbara Havers (grosse, laide et mal fagotée) et Winston Nkata (l’ex-racaille devenu flic et bien sapé). La série ronronne, sans aspérité, laissant les personnages figés dans leur caricature. Le lecteur n’apprend en effet rien de nouveau sur aucun d’entre eux – ils restent plus vrais que nature. Trop même, ce qui agace un brin, comme s’ils restaient dans l’ornière, gardant le même âge et la même vie.

Mais l’enquête est intéressante, plongeant à pieds joints dans le choc des cultures et le politiquement correct. Nous sommes à Londres, ce qui permet à l’autrice américaine d’oser son propos en l’attribuant à l’exotisme européen. Manière de ne pas froisser les susceptibilités exacerbées par les réseaux des Noirs woke en butte aux lois et aux mœurs des Blancs.

Car il s’agit d’un meurtre d’une policière noire, Téo Bontempi, d’origine nigériane, dont l’autopsie révèle qu’elle a été excisée dans son enfance. Une brigade spéciale de la Met, la police de Londres, a été créée pour endiguer ce fléau contraire aux Droits de l’Homme et à l’égalité entre homme et femme. Mais les coutumes ancestrales ont la vie dure et l’immigration s’en moque. Ce n’est qu’à la troisième génération, peut-être, que la raison et le droit peuvent l’emporter. L’intégration dans la communauté nationale plutôt que dans la communauté tribale est à ce prix.

Il est curieux d’ailleurs que les Offensés, qui s’effarouchent de tout manque de « respect » pour les coutumes particulières ou ethniques, combattent quand même le machisme africain et les mutilations génitales des femmes. Ne devraient-ils pas, dans leur théorie, respecter ces façons de vivre non-blanches ? Pourquoi les Blancs leur feraient-ils la morale ? Elisabeth George n’évoque pas ce dilemme, se contentant d’affirmer la loi et l’égalité au-dessus de tout.

Ce qui ne va pas de soi, évidemment. Abeo, le macho nigérien aux deux familles pour avoir le plus d’enfants possibles, signe selon lui de sa virilité, soumet sa femme Monifa et la roue de coups si elle n’obéit pas. Celle-ci, malgré les aides sociales qui lui permettraient d’échapper à son sort, est contente comme ça, pour ne pas mécontenter ni la coutume ni sa mère. Ce qui fait bouillir le fils, Tani, tout frais émoulu de ses 18 ans, qui veut protéger mère et petite sœur. Car son père veut « préparer » Simi, 8 ans, pour la marier à un Nigérian au pays, ce qui veut dire excision du clitoris au rasoir dans une arrière-cuisine, jambes et bras tenus par des tantes, et infibulation du vagin sans anesthésie pour l’empêcher d’avoir des relations avant mariage.

Tani va se battre avec son père, obliger sa mère, entraîner sa copine noire comme lui mais « évoluée », s’adjoindre la force de la police, pour sauver Simi de la mutilation afin de lui permettre d’avoir du plaisir plus tard. Quant à la victime, Teo, le traumatisme de la mutilation a été à l’origine de sa vocation. Elle a fait la connaissance d’une association de lutte qui aide les femmes nigériane et somaliennes à éviter l’excision. Est-ce pour cela qu’elle a été tuée ?

L’enquête est longue et tordue, bien menée, longuement pour faire durer le plaisir (notamment en voyage), les coupables potentiels multiples, et la fin n’est pas devinée.

Le dernier roman policier de l’Américaine, tout à fait dans l’air du temps.

Elisabeth George, Une chose à cacher (Something to Hide), 2022, Pocket 2023, 863 pages, €10,80,e-book Kindle €13,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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JFK d’Oliver Stone et Enquête

John Fitzgerald Kennedy, le 35ème président des États-Unis, a été assassiné à Dallas le 22 novembre 1963 – cela fait soixante ans. Il y a trente ans, et quasi trente ans après les faits, Oliver Stone remet en cause les conclusions de la commission sénatoriale Warren, semble-t-il inféodée aux intérêts « d’État », autrement dit aux services secrets CIA et FBI comme aux Renseignements militaires et plus généralement au lobby militaro-industriel, si puissant dans la première puissance de la planète qui entend le rester.

Le film met en scène l’étonnement puis la mission du procureur général de la Nouvelle-Orléans Jim Garrisson qui décide de porter devant un tribunal les complicités d’un mafieux utilisé par la CIA, Clay Shaw. Moins pour gagner que pour remettre en cause la version officielle et inciter les citoyens américains à utiliser leur raison et leur bulletin de vote pour contrer ce qui devient, insidieusement, « le fascisme » (le terme est prononcé). Au moment où la violence fait irruption en politique en Europe et en France, et pas seulement à l’extrême-gauche comme d’habitude, où l’on brûle la maison d’un maire, où l’on tabasse un neveu par alliance d’un président, où l’on caillasse des permanences d’élus cette incitation au sursaut civique nous parle toujours.

C’est ça, le fascisme : la libération des pulsions primaires, le permis de casser, de torturer, de violer, de tuer impunément ; dans la démocratie, seul l’État a le monopole de la violence légitime, il ne la délègue pas à des nervis privés. Mussolini a commencé par l’huile de ricin introduite de force dans la gorge des opposants avant de carrément les assassiner ; Hitler a lancé ses Sections d’assaut bourrées à la bière contre les magasins juifs et contre les « pédés communistes » avant de les enfourner en camps, destinés à l’extermination ; Poutine a accusé ses opposants politiques des pires turpitudes sexuelles ou fiscales avant de les empoisonner ou de les « suicider » par pendaison. Dans l’Amérique de Lyndon Johnson, devenu président sur un tarmac d’aéroport, – selon Oliver Stone – le lobby des puissants se servait des « services » comme Poutine et usait de la mafia comme Poutine, pour leurs intérêts : inciter à la guerre, vendre des armes, faire la grande gueule contre l’URSS, parquer les Noirs revendicatifs. Robert Kennedy, ministre de la Justice, puis Martin Luther King seront assassinés à la suite de JFK, pour les mêmes raisons.

Le film d’Oliver Stone est trop long, son montage trop haché et fébrile, notamment au début, faisant tourner la tête – ce qui est peut-être voulu. L’histoire de couple si conventionnelle de l’épouse cherchant à retenir son cher mari à la maison « avec les enfants » (cinq en 8 ans dans ces années baby-boom), opposée au mari en chevalier combattant les moulins comme un preux à l’extérieur, est bien niaise. Les méchants sont clairement identifiés et marqués comme gros, machos ou pédés, en tout cas véreux. Les bons doutent mais ne renoncent jamais. C’est un peu Stone comme conte.

Mais le fond du propos reste un point d’histoire non encore véritablement élucidé, et une réflexion sur le pouvoir, ses limites et ses abus. L’Enquête, sur un DVD séparé (en version originale sous-titrée en français), issue des travaux de la Commission de révision des dossiers d’assassinat en 1994 et 1998, offre quelques documents et témoignages qui n’apprennent pas grand-chose de plus mais confirment en 2021 ce qui est dit dans le film de 1991. Comme quoi on « savait » malgré les précautions, il manquait seulement les « preuves » juridiques concrètes des implications des uns et des autres, notamment l’accès au film de Zapruder qui dure 26 secondes et qui a tourné en direct la mort de John Kennedy. Il y aurait eu trois tireurs et au moins quatre balles en tir croisé, dont deux mortelles ; Oswald était un bouc émissaire facile, préparé pour cela à son insu ; d’autres complots avaient été préparés selon les mêmes modalités, à Chicago et à Tampa, avec à chaque fois un bouc émissaire plausible pour masquer l’équipe d’une douzaine de personnes autour ; l’autopsie a été falsifiée et « la balle magique » retrouvée pas la bonne.

Selon cette thèse, les assassins ne seraient ni l’URSS, ni Cuba, ni la Mafia américaine, mais bel et bien une partie réactionnaire des « services », aigris du refus de Kennedy d’assurer la couverture aérienne de la désastreuse tentative d’invasion de Cuba par les anti-castristes préparés par la CIA, puis par son désir d’arrêter l’escalade au Vietnam tout en promouvant une politique de détente internationale. Ils auraient été aidés par l’ambiance de droite radicale du Texas à tous les échelons, de l’administration à la police, qui n’offre qu’une protection très laxiste au cortège présidentiel à Dallas, « cité de la haine ».

A noter que le Texas reste un bastion de l’extrême-droite réactionnaire aux États-Unis encore aujourd’hui. Oliver Stone met de la cohérence dans le flot de documents et témoignages contradictoires. Il a l’avantage de proposer une « belle histoire » qui oppose progressistes et conservateurs ; elle séduit par sa logique mais sélectionne ses preuves. Est-ce vrai ou seulement véridique ? Tout est là.

Les complotistes plongeront à pieds joints dans l’histoire telle qu’ainsi racontée, les citoyens moyens soupçonneront que les politiciens leurs cachent des choses et se méfieront d’eux (ils vireront Nixon par Impeachment une dizaine d’années plus tard), les historiens douteront – c’est leur métier – d’autant que l’ensemble des documents ne sera pas déclassifié avant 2029, notamment le témoignage de Jacqueline Kennedy elle-même !

Mais ce beau moment de cinéma remet l’ouvrage sur le métier et incite à réfléchir sur la communication, la présentation des faits par les officiels, les médias et l’opinion commune, toutes entités manipulables à merci.

DVD JFK, Oliver Stone, 1991 + JFK L’enquête (JFK Revisited – Through the Looking Glass), 2021, 2 DVD, édition 60ème anniversaire – Version longue Director’s Cut, avec ‎ Kevin Costner, Tommy Lee Jones, Kevin Bacon, Donald Sutherland, Jay O. Sanders, L’Atelier d’images 2023, 3h17, €19,99 Blu-ray €24,99

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Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout

Pour une reine d’Égypte d’il y a plus de 3500 ans, dont les effigies ont été martelées et dont les historiens savent très peu l’autrice, Conservateur général du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre décédée en 2011 à 97 ans, a réussi à en parler sur plus de 500 pages. Il faut dire qu’il y a de multiples illustrations, en noir et blanc et en couleurs, cinquante pages de notes, dix pages d’index et quatre pages de chronologie.

Il s’agit d’une enquête archéologique minutieuse parmi les sources, les papyrus, les inscriptions, les monuments, les statues. Assez passionnante, il faut le dire, pour qui s’intéresse à l’Égypte antique. La vie quotidienne royale et religieuse est bien reconstituée et illustrée par des peintures sur les temples.

La reine Hatshepsout, héroïne du roman La dame du Nil de Pauline Gedge, serait née vers 1495 avant notre ère et morte vers 1457, ce qui lui ferait moins de quarante années de vie, dont quelques 22 ans de règne comme reine consort. Elle est la fille de Thoutmosis 1er et la demi-sœur de Thoutmosis II, né de la première épouse, lequel se mariera avec la première fille d’Hatshepsout Neférourê. Lequel engendrera Thoutmosis III, le neveu, qui épousera la deuxième fille d’Hatshepsout Mérytrê-Hatshepsout. Comme le II était un brin débile et que le III était trop petit à son avènement, c’est la douairière Hatshepsout qui assura la régence comme « reine ».

Elle était intelligente et voyait loin pour garder le royaume de ses ennemis hyksos ou nomades, subtile pour déjouer les pièges et les machinations de la cour et des prêtres, d’esprit aventureux pour aller explorer le pays de Pount au-delà de la 5ème cataracte du Nil et en rapporter des olibans (arbres à encens), des guépards et autres produits exotiques à Thèbes, d’esprit créateur aussi pour modifier les relations aux dieux et faire bâtir des temples. C’est elle qui ouvrit la Vallée des rois aux tombeaux et mit en usage le terme « pharaon » pour désigner les souverains d’Égypte.

Si elle a entretenu probablement une relation avec Senenmout, le Grand intendant nubien, et en a sans doute eu un fils, Maïerpéra, ce n’est pas pour cela qu’elle a été effacée des mémoires de la pierre des temples. Cela s’est produit plusieurs années après sa mort, une hypothèse avancée par l’autrice veut qu’elle avait osé bouleverser les rites religieux d’Osiris et que le clergé, toujours réactionnaire comme tout gardien du Dogme, ait voulu effacer sa mémoire.

L’archéologue fait la part des faits avérés et des supputations probables ; elle rend cette enquête riche de ses doutes et de ses observations.

Christiane Desroches Noblecourt, La reine mystérieuse Hatshepsout, 2002, Pygmalion Gérard Watelet, 503 pages, €22,90 ou J’ai lu 2003, occasion €2,69

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Jean d’Aillon, Une étude en écarlate

Jean-Louis Roos, le vrai nom de Jean « d’Aillon », se fait baron anglais pour écrire sur cette période médiévale qu’il aime tant. Son demi-frère d’époque est Edward Holmes, lui aussi ancêtre, mais du célèbre Sherlock. Il y rencontre son Watson, alors archer anglais réputé pour sa précision de tir.

Nous sommes à Paris en 1420 et la guerre de Cent ans va s’achever une génération plus tard, grâce notamment à Jeanne d’Arc. Le roi Henri V d’Angleterre, fils d’Henri IV arrivé par illégalité au trône (et dont Shakespeare a fait une tragédie), revendique le royaume de France car son père s’est marié avec Catherine de France et s’est allié aux Bourguignons du duc Philippe. L’histoire est compliquée.

Les Bouchers de Paris, vrais tueurs en corporation, ont aidé à prendre la ville et ont massacré tous les Armagnacs alliés au Dauphin, fils probable (mais pas certain) de Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI de France devenu fou. Dans ce carnage d’avril 1418, les bouchers ont enfoncé les portes de l’hôtel de Lusignan, défoncé les femelles et les petites filles, démembré le fils encore enfant et éventré les serviteurs et les gardes. Deux ans plus tard, Robert de Lusignan (personnage imaginaire), qui était absent de Paris lors du massacre pour aider le dauphin Charles (futur Charles VII) à fuir à Bourges, revient incognito pour se venger des bouchers.

La ville est misérable, soumise à la famine parce que le travail manque. Nombre de maisons sont vides, pillées et en ruines, dont l’hôtel de Lusignan à l’enseigne de Mélusine. Il attire la convoitise de Lady Mortimer, sœur d’Edmond Mortimer, troisième comte de March, qui a comploté contre l’usurpateur Henri IV d’Angleterre. Elle veut se venger de la dynastie régnante et assassiner Henri V et le duc de Bedford lorsqu’ils entreront prochainement dans Paris. Pour cela, la fenêtre de l’hôtel de Lusignan (actuel Conseil d’État) est propice, face à une entrée du Louvre.

Edward Holmes, chargé des affaires à Paris de son demi-frère le baron de Roos, est chassé par le fils de l’intendant d’Angleterre Langley, sur ordre des cadets de 13 et 15 ans qui ne le connaissent pas. Le baron de Roos et son frère William ont en effet été tués à la bataille de Baugé. Langley complote avec Lady Mortimer pour obtenir une meilleure place que celle d’intendant de baron. Edward part donc loger ailleurs et chercher du travail. Il n’est pas anodin que sa logeuse s’appelle Constance Bonacieux, c’est le nom que porte la logeuse de d’Artagnan dans Les trois mousquetaires. L’auteur aime bien plagier les grands auteurs. Autant dire qu’Edward Holmes est imaginaire, tout comme Gower Watson, malgré le livre ancien que l’auteur dit avoir trouvé chez un libraire à Londres.

Toujours est-il qu’Holmes enquête, flanqué de son Watson, et qu’il va démêler de fil en aiguille et comme par hasard le complot contre le roi. Lui, anglais, ne prend pas position pour ou contre le roi de France. Sera roi celui qui ramènera la paix. Cette première enquête d’une série est intitulée en plagiant Étude en rouge de Conan Doyle, mais sa méthode est la même : la déduction par réflexion. Watson ajoute le piment de l’action.

Une bonne façon de se plonger dans l’histoire navrante d’un royaume de France (déjà) déchiré en guerre civile par de fanatiques partisans qui en profitent (déjà) pour violer, massacrer et piller, chacun défendant (déjà) son petit intérêt égoïste dont le fric est (déjà) l’objectif suprême. La complexité de l’histoire de Paris à cette époque-là ralentit l’intrigue au début car il faut bien expliquer qui et quoi, mais le roman policier prend son rythme de croisière assez vite et captive.

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate – Les chroniques d’Edward Holmes et Gower Watson, 2015, 10-18 2019, 500 pages, €9,20 e-book Kindle €7,33

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Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles

L’amour, la mort, la quête éperdue de vérité, l’absolu du romantisme – voilà un beau roman (comme on n’en fait plus) qui utilise la matière historique pour évoquer l’essentiel. La guerre de 14, vraiment la plus con, « commémorée » comme un moment national par le moins bon des présidents de la Ve République, a été déclenchée par vanité et entretenue par bêtise. Elle a soumis des hommes quatre ans durant à la merde des tranchées, sans avancer ni reculer, se faisant hacher de façon industrielle par les obus ou par les offensives ratées de généraux. Quoi d’étonnant à ce que « le peuple », qui se révolte déjà pour une hausse du prix de l’essence ou l’allongement progressif de l’âge de la retraite, se soit mutiné ?

Car tout commence par l’histoire de cinq soldats qui se tirent ou se font tirer par les Boches une balle dans la main. Blessés, ils seraient envoyés hors du front ; sans la main, incapables de tirer. Sauf que cela ne se passe pas comme ça à l’armée. Pétain est généralissime et décide de faire un exemple. Les soldats doivent être fusillés pour désertion devant l’ennemi, et son ordre est de les jeter attachés entre les lignes pour qu’ils y crèvent lentement, pris entre deux feux, et même trois si l’on compte déjà les avions. Que Pétain soit une ordure, on le savait déjà, mais ce roman révèle un fait vrai de la Grande guerre : le « héros » de Verdun était un minable sadique.

Les cinq hommes jetés aux Boches ne sont pas des lâches et ont fait preuve de courage mais les badernes qui les gouvernent, de Pétain au caporal prévôt, en font des boucs émissaires. Ils sont des traîtres absolus parce qu’ils ont eu un moment de faiblesse, parce qu’ils n’ont pas voulu se planquer comme les autres, ou en faire le minimum comme beaucoup. Pétain ordonne, le tribunal militaire condamne, le président de la République gracie, le commandant du régiment garde sous le coude la grâce durant un jour et demi par vengeance mesquine envers son capitaine de secteur, le caporal chargé de lâcher les hommes entravés dans le no man’s land du secteur surnommé Bingo crépuscule (le lecteur saura pourquoi ce nom bizarre) descend d’une balle dans la nuque celui qui gueule le plus. Français contre Français, à vous dégoûter d’être Français.

Kléber dit l’Eskimo parce qu’il a vécu dans le Grand nord est menuisier ; son ami Benjamin dit Biscotte est très habile de ses mains à travailler le bois et ne peut avoir d’enfant, il a adopté les quatre de sa compagne devenue veuve ; Francis dit Six-Sous (franc x six) est soudeur et communiste idéaliste ; Benoît dit Cet-homme parce qu’il ne dit pas son nom est un enfant trouvé, paysan de Dordogne, aimant une femme dont il a eu un enfant, Baptistin dit Titou ; Ange dit Droit commun est un proxénète de Marseille condamné à la prison pour avoir tué un rival, tombé amoureux à 13 ans de Tina qui en avait 12, laquelle se prostitue et ferait tout pour lui. Tous ont la trentaine. Seul le cinquième des condamnés n’a que 19 ans. Il s’agit de Manech (Jean en basque, qui s’écrit Manex) dit le Bleuet parce qu’il est de la classe 17, la plus jeune. Il est intrépide et généreux jusqu’à ce qu’un copain lui explose en pleine gueule à cause d’un obus. Il en est couvert, il est terrorisé et aura désormais peur de toute explosion. Il est fiancé à Mathilde, tombé amoureux à 14 ans d’une fille de 11 ans handicapée des jambes et à qui il a appris tout nu à nager.

Laissés pour compte liés et sans armes devant l’ennemi, le sort des cinq est vite scellé. Si la tranchée d’en face, outrée de ce traitement, ne tire pas de suite et attend des ordres de l’arrière, c’est un avion allemand qui passe et les mitraille (avant d’être descendu à la grenade par l’un d’eux, qui a trouvé l’engin entre les lignes). L’un sera tué par un caporal français, dans la nuque par « le coup du boucher », les autres par les obus de la bataille qui reprend. La relève survient le jour d’après par des Canadiens ; ils voient trois corps, relèvent les plaques d’identité et enterrent sommairement les cadavres en attendant. Les cinq hommes sont réputés « tués à l’ennemi » et l’administration militaire avise les familles par lettre.

Mais deux ne veulent pas le croire : Tina qui connaît son Ange et a correspondu avec lui par lettres codées ; et Mathilde, enferrée dans son déni et qui, d’une famille riche des Landes, fera tout pour retrouver la piste des derniers moments et de leur suite. C’est cette enquête passionnante qui passionne, le roman est pour cela bien monté. Tina veut se venger des bourreaux qui ont jeté son homme et va les descendre un par un jusqu’au dernier ; elle ne passe pas par « la justice » mais on la comprend, elle sera rattrapée par ses actes mais gardera la tête haute d’Antigone face à Créon. Mathilde qui peint des fleurs d’espoir et expose prend des notes qu’elle garde avec les lettres dans un coffret. Elle écrit, passe une annonce dans les journaux de Poilus et dans L’Illustration, se renseigne auprès des militaires via l’avocat de son père qui connaît quelqu’un qui…, engage un détective privé, Germain Pire dont l’entreprise s’appelle Pire que la fouine. De fil en aiguille, de renseignements épars en pistes recoupées, elle découvrira la vérité. Une histoire de bottes est révélatrice, un caporal parlera de deux blessés venus du secteur au poste sanitaire, mais il ne faut pas en dire plus.

C’est une histoire d’amour entre adolescents devenus adultes par la guerre, mais les personnages secondaires sont tout aussi attachants : le sergent Esperanza qui a eu ordre malgré lui de convoyer les condamnés au secteur désigné et qui renseignera Mathilde sur les derniers moments avant de crever de la grippe espagnole ; l’orphelin Célestin Poux, dit la Terreur des armées par sa débrouille et son sens du « rab » qui racontera ce qu’il a vu et entendu sur place et alentour car il bougeait beaucoup ; le capitaine Favourier, chef du secteur, qui avait en horreur cette mission et traitait son colonel de vrai con qui se défile ; Sylvain qui assiste Mathilde dans sa villa de Cap-Breton (dans les Landes) et la conduit sur les lieux qu’elle veut voir ; Pierre-Marie Rouvière l’avocat admiratif de l’obstination et de la précision de Mathilde.

Malgré la guerre, l’amour surnage et se révèle le plus fort. Pas besoin d’en dire plus. Un film avec Audrey Tautou en Mathilde et Gaspard Ulliel en Manech a été tiré du livre, en modifiant certains lieux et le déroulement de l’histoire ; il peut être vu en complément mais le livre est premier, le plus prenant.

Prix Interallié 1991

Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles, 1991, Folio 19993, 375 pages, €9,20, e-book Kindle €8,99

DVD Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, 2004, avec Audrey Tautou, Gaspard Ulliel, Tchéky Karyo, Chantal Neuwirth, Dominique Bettenfeld, Clovis Cornillac, Warner Bros 2005, 2h08, €7,67

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Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs

Des vacances sur la Méditerranée pour le gendarme Léon Crevette et son ami retraité Eddy Baccardi, qui a vendu du pinard avant de se mettre « à l’écoute » des esseulé(e)es. Il aide sa réflexion : « l’étincelle, celle qui ne jaillit qu’au frottement de deux silex » p.74. Le crustacé au rhum fait plus que des étincelles : c’est un plat qui se déguste.

Un marin mort est retrouvé dans la grotte des Flambeaux noirs ; une vieille légende y mettait un pèlerinage avec des torches qu’on laissait s’éteindre avec ses vœux. Mais quel rapport avec la victime ? Peut-être aucun, si ce n’est qu’elle ne s’est pas noyée. Le Commandant Crevette, sitôt rentré de vacances, est renvoyé en mission sur le lieu de ses vacances – car c’est là que le mort fut découvert. Déjà Valentina, sa compagne russe qui est légiste, a été requise pour autopsier le cadavre, un homme de pas 40 ans, faute de médecin accrédité sur les lieux. Le lieutenant Flocon un brin gelé, en charge du coin, se liquéfie à l’idée de mener une enquête, lui qui sort à peine de l’école de gendarmerie après la charcuterie de ses parents. Les deux vont donc être priés par le proc de travailler ensemble.

Le mort était propriétaire de trois bateaux de pêche dont la Marie-Louise ; tous, curieusement, ont été immatriculés récemment aux îles Marshall, un paradis fiscal où l’on est en outre peu regardant sur le droit du travail. Son fils Victor, 9 ans, est enlevé peu après sa mort. Y aurait-il anguille sous roche ? Son grand-père est sénateur louche, de plus en plus tenté par l’extrême-droite. Une piste ? Mais rien. Il patauge, le Léon, entre « la veuve qui officiellement ne sait rien, le capitaine de la Marie-Louise qui ne dit rien, le dénommé Brahim et le blond barbu qui ont réponse à tout… (…) le sénateur qui a l’air faux comme un jeton » p.86. Les matelots marocain et norvégien ne disent pas ce qu’il savent, mais ils savent quelque chose. Le tout est de les amener à fissurer leur vérité en béton.

Léon laisse s’agiter ses petites cellules grises. Il les entretient aux petits plats d’un restaurant gastronomique non loin de son hôtel. Il déguste même des saint-jacques Rossini ! Une délicieuse recette adaptée par des Belges sur la Côte d’Azur dans le roman, mais qui vient de l’école du Ritz à Paris dans le vrai. Pas très diététique, mais goûteux.

Le gamin finira par s’évader tout seul en faisant un truc qu’il a vu dans une série télé (comme quoi la télé forme la jeunesse). Le sénateur sera pris la main dans le sac ou plutôt le revolver sur la tempe. Le commanditaire de tout le trafic ayant abouti à la mort du père et à l’enlèvement du fils, découvert et châtié. Il s’agissait d’un homme protégé, qui se fait appeler le Docteur T, et qui informe plus ou moins « les services » sur les djihadistes revendeurs de drogue avec qui il est en « affaires » ! Mais, si l’on sait dès le début que le sénateur n’est pas clair (dame, un politicien !), le lecteur ne trouve aucun fil pour le guider dans le labyrinthe. L’enquête est habilement menée par un auteur qui connaît bien les arcanes des Administrations, ayant passé sa carrière comme haut-fonctionnaire.

C’est léger, pétillant, l’auteur s’amuse et ne se prend jamais au sérieux. Comme cette remarque, en passant, sur le sénateur véreux, perquisitionné, qui « s’agite, mélenchonise. C’est un abus de pouvoir, une forfaiture, il est sénateur de la République, et la République, c’est lui ! » p.121. Le gendarme Crevette conduit ses enquêtes à la Maigret, avec le pif plus qu’avec les techniques modernes, et l’optimisme de l’auteur est contagieux. Il fait passer un très bon moment.

Maurice Daccord, L’affaire des flambeaux noirs – Une enquête de Crevette et Baccardi, 2023, L’Harmattan noir, 219 pages, €20,00

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La vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder

Le célèbre détective revisité bien après la mort de son fidèle Docteur Watson. Une malle retrouvée « à l’ouvrir que cinquante ans après » livre les secrets d’une affaire délicate qui met en cause les femmes et le gouvernement de Sa Majesté. Je veux parler de VR, Victoria Regina, la petite dame en noir.

Le récit est réjouissant et la réalisation emplie d’un humour tout britannique. Souffrons cependant que le factotum, quand même docteur en médecine, soit présenté comme un niais qui bafouille lorsqu’il croit voir des choses. Pour le reste, histoire tordue, monstre du Loch Ness, belles pépées, sept nains, six moines, Russes plus vrais que nature, Écossais bourrus à souhait, Allemands retors bien que dirigé par le petit-fils de Victoria la reine, le Kaiser Guillaume.

Sherlock (Robert Stephens) s’ennuie, aucune affaire ; il y a bien les sept nains qui ont disparus mais le directeur du cirque n’offre que 5 £ car il n’y en a que six. Sherlock se shoote à la cocaïne pour oublier, au grand dam de son médecin Watson (Colin Blakely) qui aimerait bien une nouvelle affaire pour que le maître agite ses petites cellules grises et que lui puisse suivre puis publier dans The Strand Magazine une nouvelle aventure qui fait les délices du public. Au courrier, une seule chose intrigue Sherlock : qu’on lui offre des billets en loge pour le Lac des cygnes des ballets impériaux russes qui passent à Londres et dont les inscriptions sont closes depuis longtemps.

La célèbre diva Petrova (Tamara Toumanova) effectue sa dernière danse. Sherlock baille ; autant il aime la musique, autant le ballet l’ennuie. Au baisser de rideau, le directeur Nikolaï Roghozin (Clive Revill) s’introduit dans leur loge afin de les convier à le suivre. Il laisse Watson aux mains des ballerines qui s’empressent de le faire danser sans parler un seul autre mot anglais que « yes » et pousse Sherlock dans la loge de la diva. C’est simple, elle lui offre un violon Stradivarius, un vrai du XVIIe siècle (une fortune), pour qu’il la baise une semaine à Venise et lui fasse un enfant. Elle veut en effet, à la russe, le meilleur : sa beauté à elle et son intelligence à lui. Sherlock Holmes n’a rien contre les femmes mais il les tient à distance, en bon Anglais dressé dans les collèges victoriens. Il déclarera avoir été fiancé à la fille de son prof de violon mais la fille a eu le mauvais goût de décéder d’influenza deux jours avant les noces. Depuis, il se méfie : les femmes sont imprévisibles, aptes à la trahison. Ne sachant comment décliner sans vexer, il laisse entendre qu’il est pédé – comme Tchaïkovski. La Petrova est outrée, le directeur aussi, mais Sherlock est sauvé. Il récupère un Watson échevelé qui badine fort avec les jolies ballerines et leurs « popotins ». Sauf que le directeur s’empresse de divulguer la chose aux filles et elles s’éloignent du docteur, laissant la place à leurs jeunes partenaires masculins – l’homosexualité est courante dans les ballets.

Lorsqu’il l’apprend, Watson est outré. Il accuse Holmes de l’avoir déconsidéré auprès de la société, de son régiment de fusiliers, de son club… Lui, homosexuel ? Quelle honte ! Sherlock élude, c’était la seule façon de se sortir de ce piège habilement tendu. C’est alors que surgit une autre affaire, encore une femme. La poule mouillée est déshabillée, quasi muette (Geneviève Page), repêchée dans la Tamise par un cocher qui réclame le prix de sa course ; pourquoi l’a-t-il amenée chez Holmes ? Parce qu’il a trouvé sa carte dans ses poches avec l’adresse, 221b Baker Street. Faut-il la renvoyer ? Watson s’empresse, lui fait donner du thé par sa logeuse, lui verse un somnifère, lui consent son lit – il couchera sur le divan. Quant à Holmes, il cogite. Ses chaussures indiquent une marque de Paris, elle parle donc français ; ses étiquettes de vêtements indiquent Bruxelles, elle est donc belge ; son anneau de mariage montre son prénom Gabrielle et celui de son mari, Émile. Quant à sa paume, elle a gardé la trace d’une étiquette de consigne avec le numéro 310 qu’Holmes aperçoit lorsqu’elle se réveille et sort nue pour se jeter dans ses bras ; il est suggéré qu’elle a couché avec lui dans la nuit. Il part donc chercher la valise au débarqué de la malle maritime de Belgique tandis que Watson dort toujours. Celle-ci révèle une pile de lettre de son mari Émile Valladon, ingénieur et son portrait.

Le mari ne répond plus et sa femme est venue aux nouvelles. L’adresse qu’il a donné est une boutique vide et la société Jonas qu’il indique comme son employeur n’existe pas. Gabrielle engage Sherlock à retrouver son mari. Ce dernier consent car il veut se débarrasser d’elle au plus vite, elle le gêne dans ses activités et les femmes engendrent des émotions embarrassantes qui font mauvais ménage avec la logique. Ils vont donc envoyer une lettre vide à l’adresse, s’y planquer et voir qui vient la chercher. Il y a dans la pièce tout un lot de canaris qu’une vieille en fauteuil roulant vient approvisionner tout en prenant le courrier. Des ouvriers viennent prendre un lot d’oiseaux en cage et la vieille laisse en partant une lettre… destinée à Holmes !

Celui-ci est convoqué au Diogène’s Club, un antique ramassis de vieillards compassés, qui semble servir de couverture au ministère des Affaires étrangères et où officie le frère de Sherlock, le haut-fonctionnaire Mycroft Holmes (Christopher Lee). L’affaire Valladon est un secret d’État et le détective privé est prié de s’effacer. Mais Sherlock a pu comprendre lors de la livraison d’un plis que l’Écosse, et même le Glenn quelque chose qui ouvre sur le Loch Ness, était l’endroit où devaient être livrées « trois boites ». Il embarque donc tout son petit monde par le train d’Inverness tandis que Gabrielle ouvre et ferme curieusement son ombrelle à la fenêtre comme si elle fonctionnait mal. Sherlock et Gabrielle sont Monsieur et Madame Ashdown tandis que Watson est leur valet. Ce qui donne des situations cocasses dans le train où le valet voyage en troisième classe et dort assis au milieu des moines trappistes qui lisent le livre de Jonas (tiens?) tandis que le couple dort en wagon-lit ; puis au château hôtel où ils ont une suite tandis que le valet est au grenier et les chiottes au sous-sol…

En visitant le pays, les trois vont d’abord au lieu mentionné par inadvertance par Mycroft. C’est un cimetière où, en effet « trois boites » sont livrées, trois cercueils dont deux petits : « un père et ses deux fils », disent le fossoyeurs ; ils se sont noyés dans le loch lorsque leur barque s’est renversée à cause de la houle – ou bien parce qu’ils ont vu le Monstre ! Juste après, plusieurs petits personnages viennent se recueillir sur les tombes : ce sont des nains et pas des enfants – probablement ceux du cirque – mais qui est l’adulte ? Dans la nuit, pour en avoir le cœur net, Sherlock ouvre le cercueil : il s’agit de Valladon, bel et bien mort avec trois canaris devenus blancs et son anneau de mariage devenu vert. Il n’y a qu’une seule explication : le chlore. La visite touristique se poursuit en vélo pour trouver le château. Un seul est « interdit au public » et le guide officiel n’y connaît rien en histoire tandis que les touristes évincés voient livrer deux cages de canaris et deux bidons d’acide sulfurique. En interagissant avec l’eau, cela donne… du chlore ! C’est donc le bon endroit.

Ils y reviennent de nuit en barque à rames et voient survenir le Monstre au ras de l’eau qui se dirige droit vers le château. Watson est terrifié mais Holmes écoute au stéthoscope le bruit d’un moteur sous la surface. Il s’agit donc d’un bateau sous-marin dont le col de dragon est érigé pour effrayer les superstitieux (surtout dans le brouillard et après un whisky bien tassé). Mycroft, qui est plus malin qu’on ne croie, invite donc son frère qui persiste à visiter la base secrète et à rencontrer la reine Victoria qui vient inaugurer le nouveau fleuron de la Marine britannique. Sauf que la petite reine est outrée qu’on puisse tirer sournoisement et sans sommation sous la surface, en n’arborant pas fièrement les couleurs britanniques. Elle refuse l’engin, même si les Prussiens construisent un prototype et espionnent pour ça. Holmes suggère alors à Mycroft, qui lui apprend qui est « Gabrielle » – une belle espionne allemande qui a trucidé la vraie Gabrielle en Belgique pour prendre sa place – de laisser les moines espions allemands s’emparer du prototype mais de laisser une vanne ouverte afin qu’ils coulent en plein loch.

Puis il arrête la fausse Gabrielle, qui regrette son Sherlock qui lui a résisté plus que les autres, et qui sera échangée contre un espion britannique, avant d’être exécutée par les services japonais alors qu’elle était aller espionner là-bas – mais sous le nom de Madame Ashdown, un signe de plus qu’elle tenait à Sherlock. Lui aussi, amoureux sans le dire, part s’enfermer dans sa chambre avec la cocaïne.

Une belle histoire qui prolonge et renouvelle le genre, avec moins de brillantes déductions et plus d’action, baignant dans l’humour très british.

DVD La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes), Billy Wilder, 1970, avec Robert Stephens, Colin Blakely, Geneviève Page, Christopher Lee, Tamara Toumanova, L’Atelier d’images 2018, 2h07, €13,96 Blu-ray €19,67

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Donna Leon, En eaux dangereuses

Brunetti a bien changé : moins d’action, moins d’intérêt pour les personnages de la questure, l’accent mis sur la corruption à Venise et sur le dilemme de faire respecter la loi en sachant que le système juridique et pénal est inadapté. Nous sommes dans Les Euménides d’Eschyle plus que dans la Venise de Leon : il n’y a pas de bonne décision, seulement une moins mauvaise au regard de la morale du temps…

Une vieille femme encore jeune, mais rongée par la maladie, appelle la police pour faire des révélations : son mari, mort accidentellement dans un accident de moto a été tué ; il a touché de l’argent sale pour assurer son traitement à elle dans une clinique privée onéreuse. Elle veut que cela se sache car elle laisse deux filles dans leur prime adolescence.

Brunetti, de plus en plus flanqué de son alter ego la commissaire Griffoni (invasion du politiquement correct de la parité à Venise), mène l’enquête – évidemment aidée de l’indispensable hacqueuse Elettra Zorzi qui pénètre les systèmes officiels les mieux verrouillés en apparence. Mais tout est miné de l’intérieur dans la société italienne, à en croire l’américaine du New Jersey qui écrit ces polars – comme si l’honnêteté était plus du côté des Etats-Unis que de la vieille Europe.

En interrogeant sans se presser – il fait trop chaud à Venise – le commissario et la commisario (pas d’accord féminin politiquement correcte en italien officiel) avancent cahin-caha. Des mots directement en italien truffent désormais le récit, ce qui n’était jamais arrivé avant, sacrifiant à la mode du woke de faire parler indigène les indigènes. Le couple découvre que la mort du père à moto a tout pour être suspecte et serait liée à son emploi à la société chargée de contrôler la qualité des eaux potables. En creusant avec obstination, ils découvrent pourquoi. Mais le crime apparent couvre le crime caché ; l’un sera puni et l’autre pas – le court terme avec aveu l’emportant sur le long terme sans preuve directes.

Ce n’est pas le meilleur des enquêtes de Brunetti. L’autrice commence sérieusement à s’essouffler, à court d’idées et d’imagination pour les ressorts de l’intrigue, même si le lecteur familier de ses romans retrouve avec plaisir les personnages qu’il connaît. Les fausses pistes laissées de façon désinvoltes et incongrues ici ou là (les pickpockets Rom, les frasques du lieutenant sicilien, l’inamovibilité suspecte du vice-questeur Patta) ne servent qu’à faire du volume, ce qui est à mes yeux bien décevant.

Donna Leon, En eaux dangereuses (Traces Elements), 2020, Points Seuil 2022, 334 pages, €8.20 e-book Kindle €8.49

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Donna Leon, Brunetti entre les lignes

Une intrigue banale, le vol de livres et de gravures dans les bibliothèques, mais une plongée dans le cœur spirituel de Venise, ville-monde, centre de culture occidentale, diffusant le savoir depuis la Renaissance par ses presses à imprimer. La dégradation et le vol par cupidité, la manie compulsive de collectionner, le désir d’avoir pour soi tout seul un chef d’œuvre, montrent toute la décadence de la civilisation contemporaine obnubilée par les images et qui ne lit plus. Alors que les livres fixaient la pensée et permettaient de se faire un jugement par soi-même dans le silence des pages, la culture des flux agite les esprits et manipule les bas instincts des faibles. Lorsqu’on ne considère plus l’imprimé que comme objet marchand, la civilisation se perd, se dissolvant dans la monnaie. Et pour quoi faire ? S’acheter des pompes de luxe, des vestes chics, des chemises sur mesure ?

Sacrifier le temps à l’immédiat est bien le signe d’une dégradation humaine. En témoignent encore les paquebots de dix étages longeant les fragiles canaux de Venise, pour amuser les touristes. Donna Leon, vieillissante, est de plus en plus pessimiste sur l’humanité, notamment sur l’Occident. Venise en est pour elle le symptôme, les petits arrangements entre amis et relations sociales compensant la perte de l’Etat et de son contrôle, encourageant tous les vices.

Une bibliothécaire d’un lieu confidentiel mais très vénitien, la Merula, téléphone à la questure pour signaler un vol de livres antiques d’une valeur inestimable. Brunetti enquête. Le gardien n’a rien vu mais signale deux lecteurs assidus, un chercheur américain d’une université du Kansas et un ancien prêtre défroqué surnommé Tertullien parce qu’il vient lire tous les jours des écrits des Pères de l’Eglise en latin (le vrai Tertullien, berbère chrétien, n’a jamais été honoré de cette distinction de Père car il a été décrété un brin hérétique, soutenant une position que l’Eglise officielle n’a pas suivie).

La dottoressa (doctoresse en bon français et pas docteureueu) qui dirige la bibliothèque est effarée car elle n’a rien vu, parce que les puces de sécurité ne sont pas conformes au portique commandé en même temps et que tout traîne comme d’habitude en Italie bureaucratique et corrompue. Elle craint aussi que la généreuse donatrice, la comtesse Morosini-Albani, cesse son soutien de mécène, elle qui, d’origine sicilienne (mais quand même princesse), cherche à s’intégrer dans la bonne société très fermée des Vénitiens de souche.

Une enquête est un processus lent qui consiste à poser sans cesse de nouvelles questions et d’interroger plusieurs fois les mêmes protagonistes pour tenter d’avancer dans la compréhension des faits. Donna Leon délaie un peu trop cette sauce cette fois-ci pour assurer ses trois cents pages, au détriment de l’action. La psychologie des personnages est peut-être mieux abordée, encore faut-il qu’ils vaillent le coup. Or les voleurs et ceux qui laissent faire n’ont qu’une personnalité banale, lassés de tout et ratant leur vie, le sachant et ne faisant rien pour que cela change.

Non, le prêtre n’a pas été défroqué pour avoir manipulé certains organes de jeunes garçons à qui il enseignait le grec ancien, mais pour avoir dénoncé deux autres prêtres qui le faisaient – dont son directeur. Bénéficiant de protections dans la société, ce dernier a vu étouffée son affaire mais Tertullien a été licencié ; il subsiste désormais d’une pension mensuelle de 649 € mais reste logé dans l’appartement de ses parents, ce qui lui économise le loyer. Amer de ne plus avoir la foi, aigri de n’avoir pas vu ses ambitions dans l’Eglise se réaliser, déçu de constater que progressivement le latin et le grec n’intéressent plus les jeunes, il se réfugie dans les livres. Les plus anciens possibles, et en langue originale.

Pour fournir un peu plus son propos, Donna Leon se prête à citer en latin le vrai Tertullien lui-même p.194 : nihil non ratione tractari intelligique voluit (Text is CCL I, p.321. T « Il n’y a rien que Dieu veuille laisser incompris et non soumis à la raison ». L’idée est que la raison étant une propriété de Dieu puisque rien n’existe que par Lui, tout est prévu et arrangé par la raison, seule façon de comprendre sa Création. L’époque contemporaine justifie ainsi les mathématiques comme raison dans l’univers. Brunetti va s’employer à saisir par la raison, reléguant les instincts de lucre et la passion pour la collection ou le vol au second plan. Surtout que le Tertullien actuel est retrouvé mort à son domicile, frappé à coup de grosses bottes et cogné contre le mur.

Qui l’a fait ? Le faux chercheur américain, vrai voleur international dont la copie du faux passeport et l’attestation fausse d’université n’ont fait l’objet d’aucune vérification de la part de la bibliothécaire ? Un complice qui monnayait les livres auprès des collectionneurs ? Une histoire sentimentale avec une assistante un peu mûre de marquis fortuné dont l’ex-petit ami était un truand brutal ?

Vous saurez tout à la fin et ce n’est pas bien optimiste.

Donna Leon, Brunetti entre les lignes (By its Cover), 2014, Points policier 2017, 301 pages, €7.70 e-book Kindle €7.99

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Lilian Jackson Braun, Le chat qui parlait aux fantômes

Lilian de Caroline du nord, née en 1916 et décédée en 2011, a inventé un monde. Son Jim Qwilleran, au nom d’origine écossaise, est un ancien journaliste d’investigation qui vit retiré des affaires à 50 ans dans un pays imaginaire, le comté de Moose (l’orignal) « à 600 km au nord de partout ». Ancien pays minier au climat tempéré qui ressemble à l’Amérique profonde dont l’histoire n’a guère qu’un seul siècle.

Mr Q, appelé plus communément Qwill, est riche par héritage mais a confié sa fortune à une fondation pour être dégagé de tout souci. Célibataire sans enfant mais avec deux chats, il entretient une relation surtout intellectuelle avec la bibliothécaire du coin. Il est connu, respecté, pris dans un tissu de liens sociaux qui tiennent la démocratie américaine selon Tocqueville. Il est donc libre d’œuvrer pour la vérité quand cela lui chante et est volontiers porté à penser qu’un accident déguise un suicide, lequel pourrait être en fait un meurtre. Ses deux chats l’aident de leur intuition féline. Ce sont deux siamois, un mâle et une femelle, Kao K’o Kung (artiste chinois du 13ème) dit Koko et Yom Yom qui miaule « yao ! » comme seule une siamoise à voix grave sait le faire.

Les chats policiers sont rares et ceux-ci sont d’autant plus précieux. Ils flairent et mettent sur la piste ; ils dressent leurs oreilles et se tendent pour mettre en éveil ; ils courent direct au lieu à prospecter pour avertir. En bref ils sont des compagnons essentiels pour compléter les sens émoussés de l’homme et monter la garde.

La vieille Iris, gardienne du musée du coin Goodwinter, une ancienne ferme qui accumule les objets d’un siècle, téléphone un soir affolée à Qwill qu’elle connait bien. Elle a entendu des bruits bizarres ; ce n’est pas la première fois mais elle n’en peut plus. Le shérif venu la veille n’a rien entendu ni vu mais cette fois les lampes s’éteignent, le mur est tapé, des gémissements s’élèvent, des ombres sont à la fenêtre, aaahhh !

Qwill laisse ses chats et fonce dans la nuit depuis sa petite ville jusqu’à la ferme à 45 km de là. Lorsqu’il arrive, la porte n’est pas fermée, les lumières sont toutes éteintes, et Iris gît dans sa cuisine, morte d’une crise cardiaque avec une expression de terreur sur le visage. « Morte de peur », conclut le coroner le lendemain.

Le journaliste décide alors de s’installer dans l’appartement jouxtant le musée, chez Iris elle-même, jusqu’à ce qu’un nouveau conservateur soit nommé par le conseil d’administration. Il part faire une valise et emporter ses chats, qui n’aiment pas le dépaysement mais se font une raison. Qwill enquête, il découvre peu à peu les voisins, notamment Baby, une fillette de 2 ans intrusive – il n’aime pas les enfants. Sa mère Verona est gentille mais faible et son compagnon, Vince Boswell, un ancien aboyeur de commissaire-priseur a une voix très désagréable. Il furette dans la grange où sont les machines à imprimer anciennes, collectionnées par le donateur du musée décédé. Il se dit spécialiste et prépare un catalogue. Les chats ne l’aiment pas et Qwill se méfie.

Il préfère Kristi, jeune femme revenue de la ville où elle a divorcé d’un gigolo bon à rien devenu drogué. Elle a réinvesti la ferme manoir de ses parents et élève des chèvres dont elle fait un fromage que les siamois apprécient par-dessus tout. Comme le pâté d’Iris d’ailleurs, fine cuisinière qui a écrit un cahier de recettes personnelles d’une écriture hiéroglyphique qu’elle lègue par testament à Qwill en même temps qu’une armoire allemande de deux mètres trente de haut, une « shrank » dont les siamois investissent le haut pour régner en maître sur la chambre. Mais le cahier est volé. Par qui ? Pourquoi ?

C’est par la vieille bible de Kristi, qu’elle donne à Qwill pour le musée, qu’il va découvrir des renseignements intéressants sur la généalogie de la famille Goodwinter et sur le mystère du vieil Ephraïm, avaricieux propriétaire de la mine qui a tué 32 hommes en 1904. Il a été retrouvé pendu quelques mois plus tard, « suicidé » selon une lettre qui pourrait être un faux, certains disent « lynché ». Son fantôme hante la maison musée, dit-on ; certains jurent l’avoir vu traverser les murs. Qwill ne croit pas au surnaturel mais reste ouvert à toute expérience. Et ses chats vont l’aider !

Enquête d’une longue série sympathique où les minets ont le beau rôle, observés finement par l’autrice.

Lilian Jackson Braun, Le chat qui parlait aux fantômes (The Cat Who Talk to Ghosts), 1990, 10-18 2011, 287 pages, €3.91

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La Taupe de Tomas Alfredson

Ce film d’espionnage anglais adapté d’un roman de John le Carré qui porte le même nom a tous les ingrédients du genre. Il est plus sociologique et psychologique que d’action. D’où sa longueur, ses lenteurs parfois, mais son délice pour nous, Européens, qui préférons les relations humaines complexes aux coups de poing et de pistolet.

Il existe une taupe haut placée au sein des services (appelé le Cirque) que le précédent chef, Control (John Hurt), recherchait sans pouvoir mettre la main dessus. En 1973, son adjoint George Smiley (Gary Oldman) est mis à la retraite en même temps que lui après une opération désastreuse en Hongrie soviétique où Jim Prideaux (Mark Strong) l’un de leurs agents, qui devait faire passer à l’Ouest un général, a été blessé, pris et torturé par Karla, le « petit bonhomme » sadique et fanatique du NKVD que Smiley a un jour rencontré pour le retourner, mais en vain.

Le nouveau chef est Percy Alleline (Toby Jones), un nabot qui se prend pour « une grande personne » socialement puisqu’il a l’oreille du ministre et négocie directement avec les Américains. Son atout est une « source » soviétique, un diplomate qui livre chaque semaine des documents précieux via une maison anonyme louée par les services dans Londres. Cela permet des relations d’échange de renseignements avec la CIA. Sauf que les documents soviétiques sont à dessein livrés à cause de la taupe qui sévit toujours, donc de peu de valeur, alors que l’inverse est crucial pour le bloc de l’Est. Au fond, les Anglais ne sont que les petits télégraphistes entre l’URSS et les Etats-Unis.

Ce pourquoi le ministre, qui n’a pas la niaiserie de certains des nôtres sur le renseignement (qu’on pense au Rainbow Warrior où « le premier ministre de la France » déclarait ignorer tout !), convoque Smiley dans sa retraite pour le convaincre d’enquêter secrètement sur cette hypothèse persistante de la taupe, après la mort de Control. Il n’y a pas dix petits nègres comme chez Agatha mais la moitié. Smiley sait que ce n’est pas lui, en restent quatre. Il va remonter à l’échec de la mission hongroise pour examiner qui savait pour Jim Prideaux et comment, puis profiter de la réapparition de l’agent d’influence Ricki Tarr (Tom Hardy) pour piéger la taupe. Il n’a plus accès au MI6 mais engage Peter Guillam (Benedict Cumberbatch) qui est l’officier traitant de Ricki pour obtenir les dossiers ou les renseignements sur la maison. Il circule burlesquement en Citroën DS 23 à carrosserie dorée, ce qui ne passe pourtant pas inaperçu dans le Londres des voitures sombres – mais c’est un trait d’humour british, tout comme de chanter l’hymne soviétique déguisé en Lénine à la fête de Noël du service.

La hantise de la taupe est restée celle des Britanniques jusque dans les années 1990 à cause des Cinq de Cambridge, tous pédés et rêvant d’une Arcadie communiste dépénalisée et idéalisée en leur jeunesse folle (Philby, Burgess, Maclean, Blunt et Cairncross). Le fonctionnement du MI6, le service de renseignements du Royaume-Uni, est resté très « club » avec l’entre-soi de rigueur et la hiérarchie sociale qui va avec : qu’un fruit soit véreux et tout le groupe en est contaminé. Les femmes sont absentes (pas au collège, très peu à l’université, rares dans l’armée) et les hommes entre eux ont peu de contradicteurs ; ils ont tendance à agir en bande, pour le meilleur et trop souvent pour le pire. Expulser le mouton noir est une habitude ancrée dès le collège, comme le montre le gros à lunettes rejeté par les autres que Prideaux, reconverti en prof une fois grillé, encourage à observer. Dommage qu’il se prénomme Bill, un nom de traître.

Le titre anglais du film est curieux : tailleur bricoleur soldat espion, une sorte de dérision du métier peut-être, peu professionnel et foutraque ? Ou bien la description réelle de la quête de bribes d’informations à recouper et à coller pour en habiller correctement un fait ? Car le métier est gris, hors de toute reconnaissance civique, la tâche est besogneuse et lente, la pression psychologique forte. Le meilleur n’est pas le décideur mais l’enquêteur, pas le stratège mais l’employé qui met bout à bout les petits faits pour en extirper une intuition. Nous sommes loin de James Bond ; nous sommes dans le réel que David John Moore Cornwell alias John Le Carré, décédé en décembre 2020, a bien connu au MI5 et au MI6 lorsqu’il y exerçait dans les années 1950 et 60.

DVD La Taupe (Tinker Tailor Soldier Spy), Tomas Alfredson, 2011, avec Gary Oldman, Colin Firth, Tom Hardy, Benedict Cumberbatch, StudioCanal 2012, 2h02, €8.50 blu-ray €24.99

John Le Carré, La taupe, Points 2018, 432 pages, €8.30, e-book Kindle €7.99

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Marcus Malte, Garden of love

Malgré le titre, issu d’un poème de Shelley, il s’agit d’un roman policier français. Marcus Malte est né en 1967 à La Seyne-sur-Mer et sa bibliographie annonce qu’il a publié dix livres pour enfants dans le même temps qu’il écrivait neuf romans policiers pour adultes. ‘Garden of love’ – le jardin de l’amour – est une histoire très étrange. Il s’agit d’un mélange de fantastique allemand à la Novalis et du réalisme américain à la Faucon maltais. Nous sommes quelque part dans l’entre deux.

La scène se passe dans une ville côtière moyenne d’un pays moyen – la France – entre les années 1960 et les années 2000. Les acteurs sont des gens moyens, ni vraiment riches, ni vraiment populaires, poursuivant d’évanescentes études avant d’opter pour un métier intermédiaire… Cette indétermination n’est pas fade, au contraire ! Elle sert l’histoire car le propos du roman est de montrer que « nous sommes plusieurs ».

Nous sommes ange et démon, gentille et folle, étudiante et pute, amoureux et policier, lycéen et dandy, fasciné et meurtrier. Adultes, le flic et le psychopathe échangent leurs existences, entremêlent le récit. Nul ne sait plus qui écrit ou qui décrit. Le lecteur, jusqu’au premier tiers, en est désorienté. C’est à ce moment qu’il ne faut pas lâcher !

Car il y a le récit d’enquête et le manuscrit du psychopathe, chacun ayant des circonstances atténuantes pour ce qu’ils sont devenus. Eh oui, on ne naît pas flic, on le devient. Nul n’est bon s’il ne comprend son inverse criminel. Si les prénoms changent, de chapitre en chapitre, l’existence de l’un et de l’autre semble la même – ou presque.

C’est dans ce presque que s’engouffre l’intrigue. En chapitres courts, écrits direct mais sans sacrifier à la démagogie banlieue. Quelques envolées poétiques surnagent qui frappent le lecteur littéraire, ce qui fait aimer ce style policier « à la française ». Mais nous ne sommes pas dans l’introspection sociale à la Simenon, ni dans l’écolo-gauchisme brouillon qui constitue « l’atmosphère » propre à Fred Vargas. Nous sommes ailleurs. Dans le jardin de l’amour.

Celui qu’il faut cultiver sous peine de voir croître de vigoureuses plantes sauvages qui agrippent et étouffent quiconque s’aventure sur le terrain. L’amour absolu, l’amour déçu, l’amour perdu peuvent en un rien de temps faire basculer de l’autre côté. Dans ce qu’on appelle par crainte « la folie » ou, quand on défend la loi « le crime », mais qui est l’autre nom du « Cri » d’Edward Munch : l’effrayante solitude du mal aimé. A chacun son remède, ou l’alcool ou le meurtre selon qu’on est flic ou voyou. Cela pour oublier, anesthésier, préserver un semblant de soi qui s’effiloche. L’amour piège comme un jardin clos où l’on s’enfance. S’enfancer, c’est s’enfoncer en soi, régresser.

Nier le présent et le réel, c’est tuer. Régresser dans le vert paradis des amours fusionnelles. Enfantines entre frère et sœur, adolescentes entre ami et amie, adultes avec femmes et gamins. Qui ne grandit pas refuse, et qui refuse massacre pour ne plus voir. Parents absents ou indifférents rendent l’amour qui manque plus vital encore. Merci à l’égo-hédonisme mai 68 que l’auteur a semble-t-il subi ! Le vide aspire au plein et pulvérise tout ce qui se met sur son chemin.

Construit en labyrinthe, ce roman policier français contemporain est étrangement attachant. Déconcertant au premier abord, poétique en diable, couvert de prix. Il hante encore longtemps une fois refermé. Est-ce parce qu’il a une sensibilité à vif ? Qu’il écrit aussi pour les enfants ? Ce que Marcus Malte dit des « anges » et des « petits shérifs » ne peut laisser nulle personne saine indifférente. Un auteur à découvrir !

Marcus Malte, Garden of love (en français !), 2007, Folio policier 2015, 352 pages, €8.10 e-book Kindle €7.49

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Ann Rule, Si tu m’aimais vraiment

Ce thriller commence comme un roman policier. La nuit du 19 mars 1985, Linda, sixième épouse de David Brown, est assassinée de deux balles dans son lit. Son mari est absent, parti « faire un tour en voiture » et sa fille Cinnamon, 14 ans, est sortie dans le jardin ; elle ne se sentait pas très bien. Sa belle-sœur de 17 ans, Patti, s’occupe du bébé de Linda et David, Krystal. C’est le mari qui appelle la police mais, chose curieuse, il n’est pas entré dans la chambre de sa femme ; il ne sait pas si elle est morte.

Ecrit comme un rapport de police, le livre est en quatre parties : le crime, l’enquête, l’arrestation, le procès. Ce ton objectif et neutre, axé sur « les faits » précis, minutieux, maniaques, bien dans la mentalité américaine, ne fait pas du livre un roman mais plutôt un compte-rendu de chercheur ou de journaliste d’investigation.

Mais c’est que tout est vrai… Ann Rule, décédée en 2015 à 83 ans, outre ses cinq enfants a été inspecteur dans les forces de l’ordre de Seattle et a collaboré avec le FBI dans l’analyse des tueurs en série – dont le fameux Ted Bundy qu’elle a rencontré sur la Crisis Clinic Hotline de Seattle, sur lequel elle a fait un livre. Le personnage principal du livre chroniqué ici, David Arnold Brown, a réellement existé. Il est décédé en prison en 2014 à 61 ans.

Il a persuadé sa fille de tuer sa belle-mère, et la sœur de celle-ci de montrer comment faire à l’adolescente, lui se contentant du beau rôle de conseiller. Perturbé par une mère autoritaire et abusé sexuellement durant son enfance (a-t-il dit), ce pervers narcissique s’est déniaisé à 15 ans avant d’épouser successivement toutes les adolescentes qui lui passaient sous la main, la dernière en date étant Patti. Sœur de son épouse Linda, toutes deux issues d’une famille pauvre à la mère alcoolique, il a pu aisément les contrôler. Il a fait venir dans sa maison Patti dès l’âge de 11 ans et a aussitôt abusé sexuellement d’elle. Elle était en adoration devant lui et a fait tout ce qu’il a voulu. A 18 ans, elle aura une fille de lui, Heather, qu’il refusera d’assumer bien que marié secrètement avec Patti à Las Vegas après la mort de Linda.

David Brown a surtout touché plus de 830 000 $ des assurances sur la vie qu’il avait pris sur la tête de son épouse au cas où elle décèderait. Outre le sexe, compulsif, pas moins de trois rapports par jour, l’argent est le mobile. David Brown s’est fait tout seul contre son milieu dégénéré ; il a connu le succès avec son entreprise de récupération des données informatiques sur des supports endommagés, fondée au bon moment. Mais il lui fallait de l’emprise pour se faire reconnaître, et il n’hésitait pas à manipuler quiconque pouvait lui servir, les très jeunes filles qui le voyaient comme un protecteur (jusqu’à ce qu’elles deviennent mères et qu’il les jette), et les gros bras en prison, qu’il payait pour tenter d’assassiner les enquêteurs.

Cinnamon a tiré, mais le pistolet lui a été mis dans la main pas Patti sur l’incitation et les conseils de David. Tous trois sont solidairement meurtriers. Mais il faudra des années d’investigations obstinées par Jay Newell, enquêteur, et Jeof Robinson, substitut du procureur, pour que la vérité sorte entière et que David Arnold Brown soit rattrapé par la justice et enfermé pour la vie.

Pour ceux que les arcanes retors de l’âme humaine intéressent, ce livre assez long et détaillé qui se lit comme un roman policier en dépit de son style de procureur, fournit ample matière à réflexion.

Ann Rule, Si tu m’aimais vraiment (If You Really Loved me), 2000, Livre de poche 2001, 509 pages, €0.89 occasion

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Patricia Cornwell Scarpetta

J’aimais bien Kay Scarpetta, médecin expert de Virginie et grande professionnelle, humaine dans ses actes. Mais sa mère, la vieille Cornwell devenue ‘fat cat’, s’aigrit de plus en plus et voit le monde en noir. Elle parvient à nous faire détester ses aventures. J’avais déjà dit les dérives que je pointais dans ‘Sans raison’ : dans ‘Scarpetta’, elles sont pires ! Le thriller est mal foutu, l’histoire trop bien-pensante et les personnages sont comme ces peluches Duracell qui s’agitent frénétiquement sans raison. Beurk !

Toute la première moitié du livre est statique, emplie de dialogues lourdingues où les états d’âme sont évoqués bien plus que le décor. Arrivé vers la page 300, vous vous demandez ce que diable vous foutez à vous coltiner ce pavé insipide, pâle reflet de ceux des années 1990 ! Vous vous dites que l’Amérique accouche désormais d’une bande de tarés comme rarement vus. Non seulement les victimes sont toujours handicapées ou minoritaires, ou ratées. Non seulement les psychopathes qui prolifèrent sont sexuellement frustrés, jouant comme des fous à manipuler quiconque et à massacrer lentement, sadiquement, avec toute une mise en scène. Mais aussi les « héros » de la série, ceux que vous aviez appris à aimer ! Benton s’est marié avec Scarpetta mais il ne la voit que rarement, ayant décidé de travailler ailleurs (?). Lui, le pro, est incapable de dominer ses émotions dans le travail : à quoi sert donc tout ce qu’il a appris du profilage ? Le gros flic Marino a fait une cure et voit un psy, mais il est toujours aussi instable, vulgaire et frustré, bien que repentant. Lucy la nièce reste solitaire, trop intelligente pour les autres, richissime d’avoir vendu quelques logiciels. Elle vit entourée d’écrans géants, de moteurs de recherches automatiques et de gadgets ; elle n’a pas peur de transgresser la loi, qui n’est pas pour elle semble-t-il. La procureur Jaime Berger est frigide, divorcée n’ayant jamais compris son ex, d’une bêtise bureaucratique lorsqu’il s’agit de piéger un suspect. Scarpetta a déménagé quatre fois au moins depuis la Virginie, elle vieillit, indulgente aux gens mais supportant de moins en moins bien la procédure.

Tous sont des professionnels sans cause. Ils appliquent névrotiquement les techniques faute de savoir vraiment à quoi elles peuvent servir. Il y en a de plus en plus et, dans les âmes, la technique remplace la morale. « La prolifération des nouvelles techniques scientifiques d’investigation avait généré d’autres pressions, d’autres exigences, que personne n’aurait pu imaginer » p.580. Une puce GPS de la taille d’un grain de riz peut être implantée « dans le cul » (je cite, c’est vous dire le niveau où est tombé le style). Ça se fait tous les jours pour les animaux de compagnie : pourquoi diantre les diplomates, journalistes et autres sbires de la CIA ne le font-ils pas avant de se faire enlever dans les pays basanés ? On applique mais on perd le but ; l’excès de technique abêtit ; la machine tourne en rond faute de programme. Les héros sont fatigués, ils ne croient plus en l’avenir ; nous ne croyons plus en eux, ils sont de plus en plus cons et impuissants.

Le 11-Septembre est passé par là mais, sept ans après lors de la parution du livre, peut-être faudrait-il décrocher ! A lire Cornwell, l’ère Bush est frénétiquement préoccupée – mais nul ne sait exactement à quoi. Chacun fait son boulot comme il a appris, avec encore plus de technologies, mais dans son petit coin. Névrose obsessionnelle : Patricia C. devrait peut-être prendre un psy pour se renouveler un peu ?

Passé la moitié, enfin un peu d’action – un meurtre – enfin un peu d’enquête qui fait progresser l’histoire. Mais le coupable est téléguidé dès les premières pages et le lecteur l’a déjà découvert ! Aucun coup de théâtre à la fin ne vient donner de sel. C’est navrant.

Sans parler des pubs à peine déguisées pour les montres, les ordinateurs, les meubles, les peintures à la mode, les restaurants : combien Cornwell Enterprises Inc. s’est-elle fait payer pour ce ‘naming’ forcené ? Il n’y a que les fabricants de whisky qui aient décliné, les marques très chères proposées n’existent pas… Avec une ignorance toute américaine pour l’Europe : non, ce n’est pas en Irlande que l’on trouve « les meilleurs » whiskies mais en Écosse ! Ni les plus chers (prix et qualité étant allègrement confondus par l’arriviste devenu riche – alors que le prix ne prouve que la rareté). Non, la France n’est pas sans une marque de bière nationale repère : et la Kro alors ?

Avec ça, le larmoyant du politiquement correct, le juridisme poussé à l’absurde, l’incapacité de chacun à écouter les autres ou même à nouer une relation saine qui ne soit pas de dépendance doudou… On ne communique désormais que par Blackberry (combien de royalties pour cette marque ?), on transporte son MacBook partout (combien ?), on tire au Glock de poche à viseur laser (combien ?). Où l’on apprend qu’un Américain moyen a une centaine d’adresses mail et ne donne jamais qu’un pseudo sur le net. Internet est devenu la seule façon de travailler – et la base du scénario cette fois-ci. Qui met en scène le « petit peuple d’Amérique » – mais non, pas les gens de peu : les nains ! Cette façon de les qualifier par euphémisme, comme s’ils étaient de gentils lutins sortis de Walt Disney est d’un rare mépris, c’est dire si le socialement correct de là-bas dégouline de bêtise et de larmoyance de crocodile.

Si c’est ça, la nouvelle Amérique, attendons que la génération d’après donne envie d’y retourner ! En attendant, ne lisez Patricia Cornwell que si vous restez fan et que vous voulez connaître la suite des tribulations de la petite bande.

Patricia Cornwell, Scarpetta, 2008, Livre de poche avril 2010, 640 pages, €8.90 e-book Kindle €8.49

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