
Une histoire de fille, une ado bourge à la fin du siècle précédent – il y a une génération. Manuella se sent mal dans sa peau, trop grosse, trop moche, trop frivole – trop nulle. Elle a 17 ans mais n’a encore jamais baisé alors que tout le monde autour d’elle en parle, des adultes qui semblent obsédés à ses copines qui « l’ont » fait et aux garçons qui ont regardé des pornos à 12 ans et qui voudraient bien reproduire. Un David, vers ses 15 ans, a tenté mais elle n’a pas compris, le connaissant depuis l’enfance ; elle a refusé, indignée. Elle reste hors des statistiques qui observent qu’en France « la première fois » se situe vers 17 ans (à cette époque).
Et Manuella réussit le bac ; elle a mal travaillé, trop zappé, incapable de se concentrer – mais elle l’a eu, et avec mention assez-bien. Comme quoi le fameux bac n’est depuis trente ans qu’un chiffon de papier qui ne sanctionne guère qu’une présence au lycée, pas l’acquisition d’un savoir. La chute en première année de n’importe quoi ensuite n’en est que plus dure !
Mais cette initiation réussie la pose enfin comme une pré-adulte. Elle n’est plus l’ado infantile qu’on doit surveiller, tanner pour qu’elle bosse, discipliner. Ce qui lui permet enfin d’abandonner son narcissisme de bourgeoise immature et d’expérimenter ailleurs : en vacances, au travail l’été. D’observer les autres avec moins de critique revancharde et plus d’indulgence. Cet épanouissement progressif fait beaucoup pour l’attrait du livre, écrit comme d’habitude au galop et captivant. L’auteur sait conter.
Et Manuella entre enfin dans les statistiques ; elle baise. Avec le trop beau Pietro, un garçon de peut-être 25 ans parfait, gracieux, séduisant, les muscles longs et les épaules vigoureuses, « athlète et ballerine » (p.108) qui sait parler. Il a le charme et l’énergie de la jeunesse et envoûte littéralement le monde autour de lui. Il a surgi brusquement des eaux au mouillage en Corse après un crawl souple, ruisselant, en slip sur le pont tel un jeune dieu. Femmes et hommes en ont été éblouis et il n’a de cesse de les enchanter de son bagout. Très sensible à l’impression qu’il donne et aux changements d’atmosphère, il s’adapte et ensorcelle de formules et de citations, avec toujours le sourire et le mot qu’il faut. Manuella a été subjuguée comme les autres.
Il l’a reconnue comme une égale car elle n’est pas dupe de son rôle bouffon et sent la fragilité derrière la comédie. Elle est « pure », Manuella. Il l’appelle Ella et pas Manu comme les autres, « pour contrer les vieux » – et leurs préjugés. Invité à un dîner de pâtes carbonara avec les dix-huit de la résidence de vacances (construite par le père de Manuella et son associé Chuck), le garçon vient pieds nus en pantalon blanc et veste rouge à boutons dorés de Sargent Pepper. Il ne porte rien dessous et les femmes n’auront de cesse de le déshabiller pour « essayer la veste » afin qu’il reste torse nu entre elles, « poitrine et muscles dehors ». Pietro est de suite surnommé « le haricot » par un Chuck trop épais et velu pour l’égaler en délicatesse physique et prestance de conversation.
Après ce moment de sensualité exacerbée auquel les hommes eux-mêmes ne sont pas restés insensibles, les commentaires et les ragots vont bon train : un vrai réseau social, cette résidence ! Pietro est accusé à demi-mots par les femmes de baiser plusieurs filles, en don Juan de plage éphémère qui aime ça, fier de son corps et de son éclat. Ce qui n’est pas vrai, mais les fantasmes explosent. Chuck, jaloux, suggère qu’il est probablement gay ou au moins bi, trop beau pour un vrai mâle, et qu’il se tape peut-être et le vieux et la vieille, riches Italiens qui l’accueillent sur leur bateau de grand luxe, d’où il est venu à la nage. Ce qui est faux là encore mais titille Manuella.
Lorsque le navire de croisière va partir, emportant Pietro sans qu’il ait dit qui il est ni ce qu’il fait dans la vie, Manuella n’y tient plus. Spontanée comme une ado, décidée comme une adulte, elle provoque le destin en se rendant en dinghy directement sur le bateau le soir, pour y rencontrer le jeune homme. Elle lui déboutonnera sa veste à boutons dorés pour toucher sa poitrine, il lui retirera son débardeur sous lequel elle ne porte rien, tous deux retireront d’un coup leur jean porté à cru et ils se retrouveront nus pour faire l’amour. Doucement elle sera pénétrée, progressivement ravie ; lui impressionné et ému, graduellement amoureux.
De retour à Paris, elle voudra l’oublier ; ils n’ont pas même échangé un numéro de téléphone. Son amie Daph, victime d’un accident de voiture avec le moniteur de colo Cédric surnommé Cèdre, accaparera son cœur ; un projet en Australie pour l’année post-bac monopolisera son attention. Puis elle reverra Pietro la veille du départ à Paris, dans la grisaille de l’automne, vêtu d’un pull et d’un imper, entouré de mômes qu’il surveille. Il lui avouera être prof de français et remplacer un collègue. Il voudra la revoir et elle dira peut-être.
Le frimeur a fait le bidon en vacances parce qu’il était dans un milieu de frimeurs, mais il est autre dans la vraie vie, plus profond. Elle l’a percé à jour et il l’aime pour cela car elle estime l’homme vrai et pas l’histrion. Se sentant inculte après sept années de collège et lycée (on le serait à moins!), elle lui demandera de lui envoyer en Australie un livre à lire tous les quinze jours durant ses huit mois passés là-bas. Après… c’est une autre histoire qui commencera peut-être.
Philippe Labro, Manuella, 1999, Folio 2001, 256 pages, €7,50 e-book Kindle €7,49




















20 ans de blog !
Le mercredi 08 décembre 2004, j’ai ouvert pour la première fois mon blog. Il s’intitulait Fugues et fougue et était hébergé par lemonde.fr. Ce quotidien parisien avait en effet décidé d’offrir gratuitement à ses abonnés la possibilité de créer un blog, hébergé par ses services, en développement avec la plateforme WordPress. L’exemple de l’élection présidentielle de George W. Bush avait montré l’intérêt démocratique de cette nouvelle forme d’expression (avant Facebook et Twitter), et la perspective des élections présidentielles 2007 en France alléchait tout Le Monde. L’anonymat du pseudo était au départ la règle du jeu, demandé par lemonde.fr – d’où « Argoul ». Il a servi ensuite à ne pas mêler la vie professionnelle et l’expression privée dans les métiers sensibles que j’ai pu exercer.
Genèse du blog
J’écrivais dans ma première note (j’étais un brin idéaliste) « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. Nous allons parler de tout, montrer beaucoup. Je suis curieux, attentif et grand voyageur. J’aime l’espace, celui des étendues comme celui de l’esprit ou du cœur. Explorons-le. Retenons ce qui fait vivre. »
J’en appelais au dialogue, aux commentaires, aux échanges. Et c’est bien ce qui est advenu un long moment. Surtout que les blogueurs du monde.fr étaient un peu l’élite intellectuelle du pays, aptes à se servir d’un ordinateur, bien avant le mouvement de masse entraîné par les smartphones.
J’écrivais donc : « Je ne conçois pas un blog comme un texte gravé dans le marbre, définitif comme une pierre tombale. Même pas comme un livre. Je ferai des erreurs, je me tromperai, mon expression ne sera pas toujours le reflet exact de ma pensée. Ce pour quoi le blog se doit d’être interactif pour corriger, nuancer, apprécier, compléter. »
Las ! L’euphorie n’a eu qu’un temps. Très vite, comme d’autres, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles. Nous avons affaire plus à des réactionnaires qui « réagissent » (en général par l’indignation), qu’à des lecteurs éclairés qui apportent des arguments pour ou contre. Giuliano di Empoli l’a bien montré !
Je croyais toute opinion recevable, j’ai désormais changé d’avis. Comme responsable (juridiquement « directeur de la publication« ), je dois être attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spam et physing etc.). Les seuls « commentaires » recevables sont ceux qui sont posés et argumentés, je le dis dans « A propos ».
J’ai été repris sur Agoravox, Naturavox, Medium4You, Paperblog et quelques autres. J’ai surtout fait, grâce aux blogs, plusieurs belles rencontres. Qui ont commencé par le texte et qui se sont poursuivies dans la vie. Certaines (pas toutes) durent encore. La plateforme du monde.fr a déçu : plantage intégral de tous les blogs deux jours entiers sans informations en 2010, perte des photos et illustrations, dérive gaucho-écolo-bobo devenue de moins en moins supportable, avec censure implicite par mots-clés, avertissements par mél de retirer une illustration ou un propos – en bref de la dérive autoritaire idéologique. Exit Le Monde, ses blogs et son journal. WordPress restait, facile d’usage, avec abonnement très abordable.
Dons 6 ans de monde.fr plus 14 ans de WordPress, cela fait 20 ans.
Pourquoi j’aime le blog – plus que Facebook, Instagram ou X
Un blog oblige à écrire souvent, voire quotidiennement. Cet exercice a pour effet de préciser la pensée, de vérifier les sources et de choisir les mots, évitant de rester dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.
Écrire exige un autre regard sur ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Mettre en mots rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble.
Un blog offre l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie à chroniquer), de témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueurs et invités).
Il permet surtout de transmettre une expérience, une vision de l’existence, une perspective historique (je commence à accumuler les ans). Il vise à donner aux lecteurs ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées).
Bilan
2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans + 6 138 000 visites au 7 décembre sur Argoul.com en 14 ans = 8 584 040 visites. Ce blog est multimillionnaire.
Les meilleurs jours sont le dimanche ou le lundi, les meilleures heures le soir vers 18h.
Les requêtes via les moteurs de recherche ont évolué. Les moteurs ont établi une censure des images, donc des textes qui les contiennent, les associations de profs et autres éducateurs se méfient des blogs généralistes qui débordent les programmes et les opinions admises et déréférencent facilement « au cas où », le sectarisme croissant des citoyens sur la politique inhibe tout débat constructif. Et puis les images, les vidéos, les interjections en 140 signes sont tellement plus ludiques ! Lire ennuie, surtout sur le petit écran du téléphone. Injurier, agonir, ravit l’anonyme qui déverse sa haine ou son ego en direct sur les réseaux.
Je ne vais pas changer de personnalité pour suivre la foule. Mon blog reste élitiste, réservé à ceux qui aiment lire, qui savent lire, et qui lisent avec un œil critique, faisant leur miel de ce qu’ils trouvent. Le jeu de la performance et du nombre de clics, en vogue dans les débuts, n’a plus court.
Dans les catégories de notes, les livres arrivent en premier avec 2707 chroniques, suivis des voyages avec 1925 notes, puis le cinéma avec 605 compte-rendus de films, la politique (559), la philosophie (408) avec notamment une chronique chapitre après chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche (111 notes) et des Essais de Montaigne (109 notes, une lecture pas encore achevée) – et des thèmes de métiers exercés : l’économie (225), la géopolitique (196) et l’archéologie (61).
Mais les désirs des lecteurs ne sont pas représentatifs des articles publiés. Les statistiques du système « depuis le premier jour » donnent comme les articles les plus « vus » :
La vie est passée, les kids sont désormais adultes et l’adolescence est un thème moins présent aujourd’hui, je n’exerce plus de métier, ayant pris – au-delà de l’âge légal – ma retraite. Sur un an, les thèmes sont donc plus diversifiés :
Parmi les pays lecteurs, la France arrive évidemment en tête de façon écrasante 4 077 968 au 1er décembre, suivie des États-Unis 331 747, puis des pays francophones Belgique 226 623, Canada 206 649, Polynésie française 125 795, Suisse 114 189, Algérie 81 283, Maroc 51 353, Tunisie 33 133, La Réunion 25 273, Nouvelle-Calédonie 19 332, Guyane française 5 134.
Chez les Européens, ce sont dans l’ordre Allemagne 86 777, Italie 41 783, Royaume-Uni 40 254 (notons le peu d’intérêt de ce grand pays), Espagne 37 917, Pays-Bas 33 903, Pologne 15 228.
Dans le reste du monde, les plus peuplés : Brésil 27 858, Russie 20 738, Mexique 11 915, Australie 11 558, Japon 10 823, Turquie 7 722, Ukraine 6 637, Inde 6 527 (seulement), R.A.S. chinoise de Hong Kong 3 450, Arabie saoudite 3 207, Corée du Sud 3 064, Chine 2 120 – le plus probablement les expatriés.
Vais-je poursuivre ?
Probablement. Peut-être pas tous les jours, prenant une semi-retraite si nécessaire.
Et si la survenue d’une moraline intolérante ou d’un gouvernement traditionaliste autoritaire ne vient pas remettre en question la liberté de s’exprimer.
Donc, pour le moment, à demain !