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Jack le tueur de géants de Nathan Juran

C’est un conte anglais magnifié par le cinéma avec les effets spéciaux des années soixante. Le prince diabolique Pendragon (Torin Thatcher), entouré de sorcières et d’âmes damnées, veut devenir roi de Cornouailles à la place du roi régnant, le roi Marc (Dayton Lummis). Mais aussi sauvegarder les apparences, tant le Démon se dissimule toujours, tel le serpent biblique. Donc épouser la fille du roi, la princesse Elaine (Judi Meredith).

Il s’invite à son anniversaire et lui offre un présent : une boite à musique dans laquelle un gnome marche et danse pour la plus grande joie des spectateurs. Mais Elaine se refuse à Pendragon, qu’elle trouve trop vieux et trop inquiétant. Qu’à cela ne tienne, Pendragon revient de nuit, alors que la princesse dort avec, dans sa chambre, tous les présents apportés, dont la boite à musique. Il use de ses pouvoirs magiques pour tourner la clé et faire sortir le gnome. Une fois dehors, celui-ci s’enfle pour devenir ce qu’il était au fond : un géant.

Son ombre redoutable plane sur le lit d’Elaine qui s’éveille et hurle, hystérique. Ses cris réveillent la cour et font accourir les gardes, mais ceux-ci sont bien impuissants face au géant cornu qui grogne et balaye l’air de ses bras, faisant tomber les hommes comme des quilles. Seuls les javelots le blessent, mais sans gravité. Nul n’a pensé aux flèches, semble-t-il. La cour s’agite en tous sens et caquette comme un poulailler affolé par le renard. Il faut avouer que c’est un brin ridicule.

Le géant emporte la belle dans ses griffes et rejoint un bateau dans lequel l’âme damnée contrefaite de Pendragon enferme la jeune fille, toujours criante et hystérique. Mais le bateau est ancré près d’un moulin où Jack, un beau jeune homme (Kerwin Mathews) vigoureux et courageux – en bref anglais – entend le vacarme et s’empresse de sauver la fille. Le valet gringalet est jeté à l’eau et Elaine suit Jack comme elle peut, tout embarrassée de ses robes et jupons jusqu’à terre. Évidemment elle s’étale par terre, évidemment Jack est obligée de la relever, évidemment elle crie, évidemment elle tombe amoureuse de son sauveur grand et fort – ce sont les conventions ciné en ce qui concerne les femmes dans les années soixante.

Le géant est appelé à la rescousse et vient démolir le moulin dans lequel les tourtereaux se sont enfermés. Jack, qui n’a pas froid aux yeux, lui écrase tout d’abord une main baladeuse avec sa meule, puis jette un nœud coulant autour de son cou pour le relier à la roue qui tourne, entraînée par l’eau de la rivière. Le géant s’en étrangle de rage et Jack lui saute dessus pour l’achever de quelques coups de serpe. Le monstre est à terre, le valet s’enfuit en bateau, et le roi arrive avec sa cour, en retard comme la cavalerie des western.

Il est heureux de retrouver sa fille et un paysan aussi courageux que Jack. Il le fait chevalier, avec le titre de comte, et lui promet sa fille. Mais la suivante dame Constance (Anna Lee), qui a été ensorcelée, les trahit. Elle envoie un message à Pendragon via un corbeau pour lui dire où et quand la princesse quittera le palais pour rejoindre un couvent outremer, en Normandie, déguisée en paysanne avec son Jack. Le sorcier ricane et envoie donc ses sorcières arraisonner le navire avant qu’il ne touche à l’autre bord. Pourquoi ne l’avait-il pas fait après l’enlèvement, au lieu de mandater son âme damnée incapable ?

Le navire est menée par le brave capitaine McFadden (Robert Gist) flanqué de son fils de 12 ans, Peter (Roger Mobley), déjà vigoureux et hardi. Mais que peuvent les hommes contre les sorcières ? Elles arrivent dans les airs et brandissant leurs fourches et balais, phosphorescentes comme les démons de l’enfer. D’un souffle elles rejettent les marins à un bout du bateau, comme un cantonnier le fait aujourd’hui des feuilles mortes (dans un barouf fort et une dépense d’énergie fossile très peu écologique). Elles tuent même le capitaine trop audacieux. Puis une litière venue des airs emporte Elaine au grand dam de Jack, qui tente vainement d’aller jusqu’à elle.

Les marins refusent d’aller plus loin et Jack, dans la bagarre pour les faire changer d’avis, tombe à l’eau. Peter, qui a perdu son père, se jette à sa suite et ils nagent jusqu’à un banc qui flotte, jeté aux sorcières sans résultat. Ils sont recueillis transis et ruisselants par un bateau viking où le vieux marin Sigurd (Barry Kelley) raconte qu’il a fait route avec Erik le Rouge vers l’Islande, jadis. Il est assez courageux, aidé de son tord-boyaux, pour conduire Jack jusqu’à l’île de Pendragon, au sommet de laquelle se dresse le château maléfique. Il lui confie un gnome enfermé dans une bouteille « depuis mille ans » (au Moyen Âge, où peu savaient compter, cela voulait dire « beaucoup d’années ». Ce gnome promet d’aider Jack en échange de sa liberté – mais il n’a que trois pièces à vœux dans son escarcelle, il faut donc en user à bon escient.

Le jeune homme escalade la falaise pour parvenir au pont-levis, mais la herse se referme derrière lui et il doit affronter six guerrier armurés et armés, que Pendragon jette sur son chemin en semant des dents de dragon. Jack n’a qu’une épée et un bouclier et ne sait trop que faire. Le premier vœux au gnome est donc de s’en tirer. Un fouet apparu dans sa main en fait office, à partir d’un bras de squelette qui pend à l’entrée pour dissuader les humains trop audacieux. Les guerriers s’évanouissent au premier coup magique. Jack pénètre alors dans le château, où Pendragon l’attend sur son trône, entouré de ses horreurs déguisées comme pour Halloween, ce qui est assez drôle.

Là, le prince maléfique le défie. S’il fait un pas, il lui poussera des cornes ; un deuxième et il aura des sabots ; un troisième et il sera revêtu d’une toison noire de mouton. Jack fait de nouveau appel à son gnome qui lui dit de placer son épée en avant, poignée vers le haut, figurant ainsi une croix chrétienne. Cela repoussera les maléfices. Ce qui est fait. Jack exige de voir la princesse enlevée. Pendragon promet, impressionné. Elle est attachée au petit temple grec à l’extérieur du château, il suffit que le jeune homme y aille. Ce qu’il ne sait pas, c’est que Pendragon, invoquant Isis (la déesse égyptienne des morts et grande magicienne), a ensorcelé Elaine, qui est désormais toute à lui, la grimace laide, le teint jaune et les yeux fendus comme les chats – tous les poncifs du diabolique selon les préjugés chrétiens.

Jack la détache, l’emporte vers le bateau, mais le marin et le mousse sont partis faire de l’eau. Elaine demande alors à trinquer avec son fiancé retrouvé, non sans verser une poudre soporifique dans le pot de Jack, qui s’endort très vite. Pendragon lui a demandé de trouver ce qui rend le jeune homme si puissant, et Jack lui a avoué que c’était le gnome dans sa bouteille. Elaine veut alors s’en emparer mais dans le mouvement, la bouteille tombe à l’eau. Échec. Elle retourne au château. Le marin et son mousse retrouvent Jack endormi dans le bateau.

Pendragon fait capturer et mettre en cage Sigurd et Peter, tandis que Jack est attaché pour lui faire dire où se trouve son gnome fétiche. Il ne sait pas. Pendragon change alors le Viking en chien, puis le gamin en singe. Lequel, profitant d’un moment où Pendragon est sorti avec sa suite diabolique pour laisser Elaine tenter de convaincre Jack, s’insinue entre les barreaux de la cage pour venir délivrer Jack. Celui-ci aperçoit Elaine dans le miroir et son image révèle qu’elle est devenue sorcière. Pour briser le maléfice, il faut briser le miroir. Ce qu’il parvient à faire, privant ainsi Pendragon de son alliée.

Le couple, accompagné des animaux, fuit alors vers la plage pour retrouver le bateau. Pendragon envoie un géant à deux têtes les poursuivre. Ils se réfugient dans une grotte qui va leur tomber dessus sous les coups du géant double. Jack fait alors appel au dernier vœu et un monstre marin verdâtre, aux tentacules de carton-pâte, surgit de la mer avec une bouche de grenouille pour s’en prendre au géant. Grosse bagarre incertaine, jusqu’à ce que les tentacules enserrent le cou d’une des têtes et les jambes du double, puis que la mâchoire morde les cous. Le bateau retrouvé, Jack s’empresse de fuir à toutes voiles.

Ce qui déplaît bien sûr à Pendragon qui se dit que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, tant ses diables et sorcières se révèlent incapables d’actions efficaces, sauf à faire peur. Il prend les traits d’une stryge, un dragon volant immonde aux ailes membraneuses (assez réussi), pour s’abattre sur le navire. Jack le défie, le blesse, parvient à sauter sur son dos, puis à lui couper le cou. Pendragon s’abîme dans la mer, avec Jack, qui est recueilli à bord par Sigurd et Peter, qui ont retrouvé leur apparence humaine avec la disparition du magicien, tandis que le château s’écroule tout seul, comme s’il n’était qu’une illusion.

Au fond, la « magie » n’est qu’apparences. Il suffit de « faire croire » : à sa force, à ses farces, à ses suggestions (Un vrai Trump, le Trompeur Pendragon ! ). Quiconque est capable de penser par lui-même, sans se laisser entraîner par la crainte ou la menace, ressort vainqueur. La vertu vainc le vice, le courage les maléfices. Telle est la leçon de ce conte, qui enthousiasme les enfants (et devrait faire réfléchir les adultes). Évidemment Elaine retrouve son père et la cour, et Jack l’épouse avant de prendre la succession du roi Marc.

DVD Jack le tueur de géants (Jack the Giant Killer), Nathan Juran, 1962, avec Kerwin Mathews, Judi Meredith, Torin Thatcher, Arcades vidéo 2006, 1h48, €32,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Un autre film de Nathan Juran déjà chroniqué sur ce blog :

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Le 7ème voyage de Sinbad de Nathan Juran

Sinbad le marin est un héros persan de l’Orient. Ses voyages aventureux sous la dynastie des Abbassides, au début du IXe siècle de notre ère, sont contés dans les Mille et une nuits, de la 69ème à la 90ème. Sinbad (Kerwin Mathews) revient cette fois-ci en son septième et dernier voyage d’un royaume ennemi de l’océan Indien, où il a été négocier la princesse Parisa (Kathryn Grant) en mariage. Ainsi la guerre sera évitée. Mais la route maritime est pleine de dangers, dont le premier est la faim. Obligé de s’arrêter dans une île du parcours, Colossa, les marins emplissent les canots de fruits et d’eau douce quand un gigantesque cyclope les entreprend. Il n’a qu’un œil, comme il se doit dans le mythe, et des pieds de bouc. C’est donc une créature infernale pour l’imaginaire chrétien américain.

Un mage noir, Sokurah (Torin Thatcher), est prisonnier du cyclope et le capitaine Sinbad parvient à le faire embarquer. Le mage est possesseur d’une lampe à huile magique. En la frottant et en prononçant une formule rituelle, surgit un petit génie (Richard Eyer, 13 ans) qui réalise tous les souhaits, sauf ceux de tuer. Une barrière invisible sépare alors le cyclope à grandes pattes des humains qui s’enfuient sur leurs trop petites pattes. Mais le monstre a ses idées fixes : il veut les bouffer et envoie un énorme rocher qui fait se retourner la barque. Sokurah perd alors la lampe merveilleuse dans les flots. Tous rejoignent le navire et mettent les voiles, mais la lampe est perdue. Le cyclope la récupère parce qu’elle brille, en s’avançant dans la mer.

Sokurah n’aura alors qu’une idée fixe lui aussi : récupérer l’objet qui lui donne du pouvoir. Pour le reste, il n’est en effet qu’un charlatan, expert en illusions et en potions. Le mariage est programmé, le père de Parisa parvient à la cour, le mage ordonne la fête en magicien. Une foule d’esclaves mâles au torse nu porte de lourds coffres en osier desquels sortent une femme, puis un cobra. Une grande jarre est aussi apportée par les jeunes atlantes, tout à fait dans le style péplum hollywoodien de ces années d’après-guerre. La femme est jetée dedans, puis le serpent. Lorsque le mage casse la poterie, la femelle apparaît en femme-serpent, une Eve maléfique au teint bleu qui agite ses quatre bras et danse sur sa queue de reptile en dardant des yeux magnétiques. En fait, Sokurah n’aime pas les femmes, contrairement à Sinbad qui en est amoureux.

Ces deux pôles, l’un mauvais et l’autre bon, l’un orienté vers la vie et l’aventure, l’autre vers le pouvoir égoïste et personnel, vont s’affronter. Sinbad refuse de retourner sur l’île de Colossa et de mettre en péril un équipage pour récupérer la lampe, dont il n’a que faire. Sokurah use alors de ses pouvoirs magiques pour réduire Parisa à la taille d’une miniature – ce qu’elle est dans son esprit, un bel objet inutile qu’on renferme dans un écrin. La seule façon de lui redonner sa taille normale, énonce-t-il, est de lui faire avaler une potion dans laquelle il doit y avoir de la coquille d’oiseau roc à deux têtes – qui ne vit que sur l’île aux cyclopes.

Par ce moyen déloyal, le mage obtient de Sinbad qu’il se plie à ses désirs. Mais peu de marins sont prêts à le suivre, Sokurah leur fait peur et le souvenir du monstrueux cyclope reste à leur esprit. Ce sont donc des condamnés pour vols et meurtres qui sont embauchés, avec pour appât la grâce à la fin du voyage. Mais ces repris de justice n’ont évidemment ni foi ni loi ; ils se révoltent et, sous le nombre, parviennent à maîtriser Sinbad, le mage et le fidèle serviteur Karim (Danny Green). Ils veulent rallier les routes commerciales pour se livrer à la piraterie, l’envers de l’épopée de Sinbad orientée vers la découverte. Ces doubles négatifs vont cependant succomber aux diableries de Sokurah qui sait que les vents et les courants vont pousser le navire vers l’île et fait hurler les démons à son approche. Les mutins anesthésiés, beaucoup se noient ou s’écrasent du mât sur le pont, le navire peut enfin jeter l’ancre dans la passe qui le protège de la haute mer.

Sur les instructions du mage, Sinbad a fait construire une monstrueuse arbalète pour tuer le monstrueux cyclope, et elle est installée face à la grotte qui permet le passage vers la vallée où il gîte. Ce qui reste de l’équipage est alors séparé en deux groupes pour explorer les deux versants de la vallée, l’un sous les ordres de Sinbad, l’autre du mage. Lequel attend tout simplement que le cyclope fasse son affaire à Sinbad et à ses compagnons pour récupérer la lampe dans le trésor amassé par N’a-qu’un-oeil qui aime, comme tous les simples, ce qui reluit.

Commence alors la lutte pour la vie. Sinbad est pris par le cyclope avec ses hommes et enfermé dans une cage de bois tandis que le monstre commence à faire griller Karim au-dessus d’un feu en guise de déjeuner. Le mage se glisse incognito derrière les rochers et fouille le trésor caché là pour retrouver la lampe. Il a déclaré à ses compagnons qu’ils ne devaient pas boire l’eau rouge qui coule dans la rivière car elle les empoisonnerait. L’un d’eux n’y croit pas et, sur la provocation de ses compagnons, y goûte : c’est du vin ! L’islam interdit les substances qui égarent l’esprit, mais le vin est toléré à Bagdad et en Perse. Quand on le boit avec modération, l’esprit est aiguisé, pas égaré. Les hommes y trouvent donc le courage de rejoindre Sinbad et les siens au risque d’y perdre la vie.

Sinbad, jamais en peine d’imagination, sort Parisa de son écrin pour la faire passer au travers des barreaux et pousser le coin qui ferme la cage. Ce que, faible femme mais obstinée, elle parvient à faire malgré ses falbalas. Sinbad délivre Karim, se saisit d’une bûche enflammée et parvient, comme Ulysse, à aveugler le cyclope, tandis qu’il aide Sokurah à se tirer du recoin où il s’était caché. Les deux parviennent à trouver un œuf d’oiseau roc sur le point d’éclore. Les marins aident à fendre la coquille mais le jeune oiseau est agressif et ils le tuent à coups de lance ; ils font ensuite rôtir une cuisse sur la broche du cyclope qui erre sans vue. Sinbad a pris dans son giron un morceau de coquille salvatrice et garde la lampe merveilleuse en gage à sa ceinture, pour que le mage concocte la potion. Il porte toujours sur sa poitrine nue l’écrin où se tient Parisa, afin de ne pas la perdre mais, dans la lutte avec le cyclope, a laissé un instant la princesse – dont Sokurah s’empare.

Sinbad va le suivre à son repaire, une grotte gardée par un dragon crachant le feu, autre monstre que le mage a enchaîné. Une roue permet de raccourcir ou de rallonger la chaîne, permettant tout juste de passer sans se faire dévorer après s’être fait rôtir par la gueule enflammée. Les monstres, cyclopes ou dragons, adorent la viande grillée, celle que l’on sert avant le monothéisme en offrande aux dieux, dont ils n’ont que le fumet. Combat, menace, potion, Parisa est rétablie dans sa taille humaine. Baiser langoureux, projet de retour au navire mais Sinbad ne lâche pas la lampe par laquelle il tient Sokurah. Lequel va tout faire pour se la réapproprier. Il anime ainsi un squelette pour qu’il perce Sinbad, lequel se défend au yatagan avant de faire chuter le tas d’os qui se brise en mille éclats. Le mage regarde dans sa boule de cristal rougie les amants fuir dans la grotte et il fait s’écrouler un fragile pont pour les isoler de la sortie. Vont-ils y rester, à jamais unis dans la mort ?

Que non point : cette fois-ci, c’est Parisa qui agit. Elle a exploré, avec sa petite taille, l’intérieur de la lampe et a fait la connaissance du gamin génie Barani. Lequel lui avoue qu’il en a assez de servir d’esclave au mage qui le convoque selon son bon plaisir. Parisa réussit à le convaincre, non sans réticence, à lui donner les codes : le mot de passe qui le fait sortir de la lampe et – promesse à tenir – la façon dont il pourra être délivré. Elle l’évoque donc dans le péril où ils sont et il surgit, leur donnant une corde qui permet à Sinbad et à Parisa de s’évader. La princesse, au vu de la terre de feu qui glisse au fond de la faille, se souvient que Barani ne pourra être délivré que si la lampe est jetée dedans. Ce qui est aussitôt fait : on ne s’embarrasse pas de scrupules et de tergiversations, dans l’aventure. Le feu régénère, c’est connu, et le Phénix lui-même en ressort comme neuf.

Mais il faut tout d’abord regagner le bateau. Sinbad raccourcit le dragon et va sortir avec Parisa lorsque surgit le cyclope. Le couple rentre donc et Sinbad a l’idée de faire combattre le mal par le mal, les deux monstres affrontés. Il déchaîne alors le dragon aux quatre pattes et une queue, qui se jette aussitôt sur N’a-qu’un-oeil à deux pattes. Durant la lutte bestiale, Sinbad et Parisa s’échappent et courent vers l’entrée de la vallée, gardée par l’arbalète géante. Laquelle a juste le temps d’être bandée pour transpercer le dragon, qui a égorgé le cyclope, et que le mage traîne derrière lui comme un gros chien d’attaque. La flèche remplit son office et le monstre serpentiforme est terrassé, écrasant Sokurah par une heureuse occurrence. Mais le dragon n’est pas mort. C’est alors la course au bateau avant qu’il ne finisse par expirer sur la grève.

Sinbad a donc gagné sa princesse par toutes ces épreuves initiatiques, destinées à faire d’un jeune homme un homme accompli. Il peut se marier. Et le garçon génie Barani est là qui l’invite et qui l’aime, ayant entassé le trésor du cyclope dans la cabine du capitaine comme un cadeau de noce. Il sera son premier mousse et le suivra dans ses expéditions. Happy end merveilleux du conte, amplifié par Hollywood.

Les effets spéciaux sont spectaculaires pour l’époque et assez bons à nos yeux d’aujourd’hui. Ray Harryhausen a utilisé la technique d’animation en volume Dynamation. Le film a eu un grand succès d’époque et mérite d’être vu.

DVD Le 7ème voyage de Sinbad, Nathan Juran, 1958, avec Kerwin Mathews, Kathryn Grant, Richard Eyer, Torin Thatcher, Alec Mango, Sidonis Calysta 2019, 1h29, Blu-ray €10,78

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Parc des monstres

Nous sortons de Viterbe vers Orte pour joindre le Parc des monstres ou Sacro bosco – le bois sacré – à Bomarzo. Il a été créé en 1552 par Vicino Orsini dont on voit la forteresse dominer le site, dans une grande propriété. Son architecte napolitain Pirro Ligorio a dessiné un labyrinthe de symboles où dames et paladins pouvaient flâner et suivre leurs rêves de troubadours.

Ce jardin empli d’arbres de divers essences est peuplé de sculptures directement sur la roche native : une sphinge, un Protée, des cerbères, une tortue, Pégase le cheval ailé, un temple, un obélisque, des nymphes, une Vénus endormie, seins nus et sexe à peine couvert, des dragons, et une statue d’Hercule gigantesque terrassant Cacus. Ses muscles de roc sont impressionnants.

Sous l’éléphant d’Hannibal, un père fait poser sa jeune fille : elle enveloppe de la main gauche les burnes rebondies du pachyderme mâle comme pour apprécier sa virilité et opérer ainsi une invocation à la fertilité de son futur époux. Quand on voit qu’elle n’a guère que 14 ou 15 ans, on ne peut s’empêcher de constater que le papa la prostitue déjà aux conventions machos.

Le lieu appelle l’érotisme d’ailleurs, outre l’Hercule musculeux, une tritonne les jambes écartées sur un sexe enfoui dans les replis de sa queue bifide serpentiforme s’offre au spectateur.

Un bain romain, une grande bouche de la vérité dans laquelle chacun peut entrer sans avoir peur de se faire croquer (sauf tous les menteurs, trumpistes, poutiniens et autres zemmouriens), un temple funéraire, un portique à colonnes et une tour penchée comme à Pise agrémentent le décor.

Entrer dans la tour donne une impression étrange, comme dans la maison des fantômes à Disneyland : l’illusion d’optique fait que le cerveau prend le mal de mer à force de tenter de corriger la désorientation des surfaces et des murs. C’est une expérience à tenter ! Nous sommes au-delà du miroir, ce qui a fasciné les Surréalistes. Il s’agit d’un exemple de l’art du maniérisme qui a été restauré après des siècles d’abandon par le propriétaire actuel, la famille Bettini.

Ce parc curieux a inspiré Claude Lorrain, Wolfgang Goethe, Salvador Dali et d’autres artistes. Nous y passons près de deux heures.

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Tolkien, Bilbo le hobbit

Bilbo Baggings, appelé Bilbon Saquet dans les films, est un hobbit, un personnage imaginaire de fantaisie inventé pour les contes que l’auteur écrivait pour ses enfants. Le terme hobbit viendrait peut-être de hob qui, en anglais littéraire, signifie le coin du feu, l’endroit du foyer où une bouilloire reste à chauffer dans la cheminée. « Le son de sa bouilloire sur le foyer lui parut toujours par la suite encore plus mélodieux », dit le narrateur de Bilbo à la fin de ses aventures. Le hobbit est un personnage qu’on dirait pot-au-feu, aimant manger et fumer la pipe, heureux dans son trou de Cul-de-Sac (Bag End).

C’est ce personnage peu aventureux qui va vivre des aventures hors du commun, sortant de sa coquille comme de lui-même pour se révéler héroïque. C’est une leçon initiatique comme en délivrent tous les contes destinés aux enfants. Se remuer ne fait jamais envie mais procure de grandes satisfactions par la suite. Voir du pays permet de relativiser ses préjugés et d’apprendre des choses nouvelles. Se frotter aux autres fait admettre que l’égoïsme n’est pas payant et que trop convoiter mène à tout perdre. Quant au courage, ce n’est pas de n’avoir jamais peur mais de surmonter sa peur.

Un jour qu’il est en train de fumer sa pipe confortablement installé au soleil, devant son trou de hobbit si confortable, aux réserves bien garnies, Bilbo reçoit la visite d’un vieux à barbe blanche, Gandalf. Il ne sait pas encore qu’il est magicien et qu’il va lui jouer un tour à sa façon. Il l’invite pour le thé au lendemain, mais c’est une paire de nains qui se présente. Le hobbit n’est pas un homme, il est de la taille d’un enfant, les pieds nus et velus et les oreilles fines, mais les nains sont les nains : bourrus, ventrus, avides. Ils se présentent par vagues de deux à la porte, avec à la fin Gandalf. Ils sont jusqu’à treize avec à leur tête Thorin. Le hobbit est ahuri et les nourrit mais tout s’éclaire.

Il s’agit d’une mission : récupérer l’or ancestral du royaume perdu des nains, caché sous la Montagne solitaire et gardé par un dragon féroce crachant le feu, Smaug. Pour cela il faut y parvenir au travers de territoires hostiles peuplés de trolls, gobelins, wargs, ours, elfes et même des hommes qui habitent une île sur un lac au confluent des deux rivières des Terres sauvages. Il faut ensuite s’introduire par une porte dérobée dans la montagne, faire fuir le dragon et le tuer, enfin récupérer l’or et les objets précieux. Bilbo est réputé « cambrioleur », astucieux et plein d’initiative malgré son existence paisible et casanière.

Les voilà donc partis, ils passent le col des Monts brumeux où une grotte salvatrice aux tempêtes sert de piège aux gobelins qui vivent dans les cavernes. Quatorze sur les quinze se font prendre et se libèrent grâce aux tours du magicien qui a pu s’échapper in extremis. Bilbo perd les nains et rencontre le Gollum, être falot et aigri qui dévore ceux qui s’aventurent dans les tunnels mais a perdu son trésor, l’anneau qui rend invisible. Que Bilbo trouve et empoche sans y penser, jusqu’à ce qu’il découvre grâce aux marmonnements du Gollum qui lui pose des énigmes sa vertu et en use pour s’échapper et rejoindre les nains à la porte de la montagne. Ce sont alors les wargs qui les pourchassent, montés par les gobelins assoiffés de vengeance, des aigles qui les sauvent des arbres où ils se sont perchés mais que le feu bouté par les ennemis est sur le point d’abattre. Ils n’ont plus rien mais rejoignent Beorn, l’homme ours, qui les héberge, les nourrit et les rééquipe pour la traversée de la forêt Mirkwood, domaine des elfes et des forces maléfiques.

Gandalf les quitte à l’orée, ayant une mission dans le sud à remplir. Laissant malencontreusement le sentier qu’on leur a fait jurer de toujours suivre parce qu’ils sont affamés et perçoivent des bruits de festin, ils se retrouvent piégés par des araignées géantes et leurs toiles engluantes. Bilbo use de toute son astuce pour les en délivrer, mais ils sont pris par les elfes qui voient d’un mauvais œil ces envahisseurs qui sèment le trouble. C’est encore une fois le hobbit, grâce à son anneau qui rend invisible, qui sauve les nains en les cachant dans des tonneaux qui sont jetés en train à la rivière jusqu’au port des hommes sur le lac, qui les rempliront de marchandises.

La Désolation de Smaug n’est pas loin au nord, dévastée par le feu du dragon, et les treize nains plus le hobbit s’y aventurent pour trouver l’entrée cachée de la montagne. Une carte qui a été léguée au chef des nains, aux runes gravées en filigrane seulement visibles les jours de pleine lune, montre le plan de l’entrée et une clé, récupérée par Gandalf, sert à ouvrir la caverne. Bilbo s’y aventure seul, sans aucun bruit, et trouve le dragon assoupi sur son tas d’or, le ventre à l’air dont une partie de chair vulnérable sous le sein gauche. Il en prend note. Cela servira à l’archer Brandon, chez les hommes, pour ajuster sa dernière flèche et mettre à mort le dragon venu dévaster la ville. Car Smaug renifle l’odeur des nains et celle, inconnue pour lui, du hobbit. Il découvre en volant alentour les poneys de bât prêtés par les hommes et s’en repaît avant de s’envoler vers l’île des hommes qui ont aidé les nains, pour se venger.

Tout finira bien, c’est un conte accessible dès 8 ou 9 ans mais que les adultes ont plaisir à lire. Le livre plus que le film sollicite l’imagination et les rebondissements incessants conservent l’attention. Les personnages sont typés et certains sympathiques, le hobbit, le magicien, l’archer, parfois les elfes et les nains mais pas toujours.

Écrit dès les années 1920 et publié en 1937, le conte prend son inspiration dans les peuples d’Europe qui se déchirent : les hobbits seraient plutôt irlandais paisibles et neutres, les gobelins les Allemands nazis féroces et prédateurs, l’île des hommes l’Angleterre commerçante, les nains les Juifs industrieux et avares mais bons garçons quand on les connaît, les elfes les Américains souvent généreux et évolués en technique ; quant au dragon, ce peut-être le communisme rouge de l’URSS qui dévore et foudroie. Qui le sait ? Les métaphores font sens.

La suite sera le cycle du Seigneur des anneaux.

John Ronald Reuel Tolkien, Bilbo le hobbit, 1937, Livre de poche 2014, traduction Francis Ledoux, 480 pages, €6,90

DVD Le Hobbit – la trilogie : Un voyage inattendu (2012), de La Désolation de Smaug (2013) et de La Bataille des Cinq Armées (2014), version longue, Warner Bros Entertainment France 2015, 8h31, €29,84

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Sanctuaire Sant’Angelo

Dans ce sanctuaire est apparu Saint-Michel lors d’une épidémie de peste. Le campanile de 1273 signale puissamment sa présence aux pèlerins pour cette étape obligatoire vers la Terre sainte. Nous croisons d’autres pèlerins polonais.

Dans la grotte du culte, après 84 marches vers les sous-sols du sanctuaire, une cathèdre en pierre date du XIIe siècle. Une porte de bronze ramenée de Constantinople date de 1076. L’aménagement d’autel est du règne de Charles 1er d’Anjou.

Des statues de Saint-Michel terrassant son dragon sont disposées çà et là, dont une du XVIe. A gauche de l’autel, le puits qui recueille l’eau « miraculeuse ».

Pour cinq euros, nous accédons à la crypte où sont rassemblés des fragments de sculptures des édifices religieux de la ville. Il y a de belles choses dont un saint Sébastien tout troué, plusieurs saint Michel terrassant le dragon, un Christ au visage ovale et à barbiche très prenant.

Tout au fond serait apparu l’archange. Un son et lumière en plusieurs langues y fait référence.

Dans le musée de la dévotion, des ex-voto de membres en fer-blanc mais aussi des dessins et peintures en reconnaissance d’avoir été sauvé : de la noyade, d’être renversé par une charrette, d’être tombé dans un trou, d’une opération chirurgicale…

Nous trouvons depuis la crypte un ascenseur direct pour notre hôtel qui jouxte le bâtiment.

Nous dînons comme hier à 20 heures à l’hôtel, les tables voisines accueillent un autre groupe de Polonais à la conversation animée, alcool aidant. J’ai les jambes raides, je ne suis pas le seul.

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Franck Linol, Le souffle de la mandragore

Un roman policier régionaliste qui se passe dans une région mystérieuse au centre de la France, le Limousin, délaissée des grands vents de la mondialisation mais affectée par ses déchets. A Bussière, près de Saint-Junien la ville longtemps communiste, une jeune fille de 15 ans est enlevée puis massacrée, écartelée nue sur la butte de Frochet où courent depuis la nuit des temps d’étranges légendes. Dont celle de la mandragore, un dragon des marais avide de sang frais féminin.

Marion était rentrée du collège par le car puis était allée voir sa copine à dix minutes de chez elle pour lui porter les devoirs car elle était malade. Père ivrogne et violent, mère faible qui se laisse faire, a-t-elle décidé de fuguer ? On dit qu’elle a un petit ami, plus âgé qu’elle, et qu’elle serait bien partie avec lui ; elle a en tout cas couché et le pater est furax.

Surtout que ledit copain se révèle un marginal vivant en caravane près d’un terrain de yourtes où d’ex-hippies, des écolos mystiques et autres repris de nature ont décidé de s’installer pour vivre légalement. Les paysans tradis n’aiment pas trop ces bobos urbains qui jouent aux sauvages, volontiers voyants ou rebouteux, chiant en toilettes sèches, cuisinant au bois et prenant leur bain à poil dans l’eau froide dehors, enfants compris.

Il n’en faut pas plus pour que des rumeurs naissent, entre légende noire et boucs émissaires commodes. Le commissaire Dumontel est pour le moment suspendu et s’ennuie, goûtant divers petits vins qu’il décrit avec gourmandise. Son lieutenant Marval est chargé de l’enquête par le divisionnaire qui joue sa réputation auprès des gendarmes. Car le procureur a cosaisi les deux armes, la gendarmerie parce que Bussière est en territoire rural, et la police parce qu’elle est plus experte en criminalité. Mais Marval est peu sûr de lui et fait appel en privé à son patron sur la touche pour qu’il l’aide dans son enquête. Mais c’est chacun pour soi dans ce grand jeu des énigmes.

Enquêtes de voisinage et prélèvements de police scientifique ne disent pas grand-chose, sinon que la fille a été asphyxiée avant d’être déchirée et démembrée, et que les traces sur le corps ressemblent furieusement à des morsures. La Bête du Gévaudan aurait-elle refait surface ? La mandragore de légende ? Un psychopathe fantasmant sur les loups garous ? D’autant qu’une seconde jeune fille est enlevée, du même âge, la fille d’un marginal volontiers gourou qui parle à l’oreille des chevaux (on appelle ça un « chuchoteur ») et qui s’est installé en yourte il y a des années. Mais lui ne va pas se laisser faire.

Le roman commence lent et se termine brusquement, l’énigme est révélée sans transition. C’est tout le cœur qui est bon mais les extrémités à revoir. L’auteur, prof d’IUFM (si ça existe encore), n’a pas la technique du suspense jusqu’au bout qui est celle des maîtres en genre. Mais tel quel ce roman policier se lit bien. Il accumule les piques contre l’époque, la montée de la violence, les attentats islamistes, la perte des repères, les égarés des guerres balkaniques jusque dans nos campagnes, les thébaïdes écolos, les gens qui se cherchent. Et ses personnages sont crédibles.

Franck Linol, Le souffle de la mandragore, 2017, réédité 2020, éditions La Geste (79260 La Crèche), 325 pages, €12.90, e-book Kindle

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Phare de Carteret

Depuis la table d’orientation, nous pouvons contempler le panorama des dunes et de la mer que la marée fait reculer quelque peu. Nous descendons pique-niquer sur la plage immense par une coulée entre deux dunes. Des promeneurs erratiques ponctuent le paysage, parfois avec un chien ou un enfant.

Deux parapentistes en couple s’entraînent depuis la dune au-dessus en profitant du vent du large. Un voilier serre le vent d’un bord, puis de l’autre. Des cormorans sont regroupés en apostrophes noires sur l’estran, jacassant ou faisant sécher leurs ailes au soleil.

Seules deux filles vont se baigner. Elles trouvent l’eau froide mais entrent et y restent le temps que nous engloutissions notre pique-nique presque en entier. Nous déjeunons de salade de riz au thon, d’une demie boîte de maquereaux à la moutarde par personne, d’une part de pont-l’évêque de marque Graindorge (« une valeur sûre » selon la guide, qui est du coin), d’une banane, et de café en poudre avec de l’eau chaude apportée en thermos.

Nous reprenons la plage, toujours en marche nordique. La guide fait un test pour savoir si nous avons assimilé : nos traces doivent montrer que les pointes des bâtons sont exactement au milieu des pas que nous formons. Un grain visible au large depuis plusieurs minutes nous rattrape et nous tombe dessus. Ce n’est pas une forte pluie mais elle mouille.

C’est sous l’église de Saint-Germain le Scot, en ruines, que nous quittons la plage dit « de la vieille église » pour grimper sur le plateau par le sentier qui serpente. Venu d’Écosse, l’évangélisateur aurait maté un dragon. Selon la guide, la mer qui mugissait sourdement en se précipitant dans les grottes effrayait les villageois. Nul ne sait comment le saint a pu rendre inoffensif un bruit qui est resté le même après son intervention : le dragon, une fois mort, aurait dû cesser tout mugissement. L’église a été abandonnée parce que trop excentrée et n’offre plus que les trous béants des ouvertures et quelques murs dont ont été récupérées les meilleures pierres pour bâtir le village. Le grand corbeau et le faucon pèlerin nichent dans le coin.

Trois dates normandes à retenir selon la guide : 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte qui a fait donner le duché par le roi des Francs, Charles le Simple à Rollon ; 1066, où Guillaume le conquérant devient roi d’Angleterre en vainquant le roi anglo-saxon Harold ; 1204, le rattachement du duché de Normandie à la France par Philippe-Auguste. Miss M., toujours à en rajouter, évoque 1120 et la Blanche nef, avec le naufrage et la noyade dans le raz de Barfleur de Guillaume et Richard, héritiers directs du roi Henri 1er d’Angleterre, descendant de Guillaume. Ken Follett, dans Les Piliers de la terre, en fait un ressort de l’intrigue.

Nous suivons le sentier de falaise vers Carteret avec une vue sur les couleurs de l’herbe, des rochers, du sable et de l’eau. Je ne me lasse pas du paysage et de ses contrastes, le bleu de l’eau, le blanc du rivage, le jaune du sable, le brun du roc, le vert de l’herbe. Des silhouettes menues et quasi nues s’agitent sur une langue de sable qui s’avance dans la mer, dans l’écume des vagues ; je distingue deux mâles et une palanquée de petites filles avec un seul petit gars ; les femmes sont en avant à surveiller l’aîné avec sa planche de surf qui s’essaie tant bien que mal à tenir dessus.

Carteret se signale par l’alignement de ses cabines de bain blanches aux toits pointus de diverses nuances de gris. Au-dessus du cap de Carteret, le phare est une « maison-phare » construite en 1839 sur la falaise pour guider les bateaux jusqu’au port et leur éviter le « passage de la déroute ». A moitié détruit par les Allemands à la fin de la dernière guerre, il a été automatisé en 1976 mais reste avec un gardien jusqu’en 2012. Il se visite mais nous n’avons pas le temps de monter ses 58 marches pour contempler la mer de 85 m en surplomb.

Nous n’entrons pas dans le village mais prenons une côte goudronnée qui nous reconduit jusqu’au parking où nous effectuons cette fois les étirements requis au soleil brutalement revenu.

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L’anneau sacré d’Uli Edel

Découvrir la mythologie germanique est intéressant, d’autant qu’elle est peu connue. Mais Uli Eden a réalisé un téléfilm en deux parties plus qu’un film et cela se sent. La Chanson des Nibelungen, tirée des poèmes héroïques de l’Edda nordique, a inspiré Wagner pour son Ring et a été chérie par les nazis, ce qui explique peut-être pourquoi cette mythologie nordique est délaissée aujourd’hui. Un téléfilm américano-britanno-allemano-italien ne pouvait que rester fade et plat, malgré quelques moments de bravoure. La mystique dépasse en effet tellement les Yankees, tandis que les Teutons restent soumis au politiquement correct… Malgré une histoire qui se tient, nous sommes loin du Seigneur des anneaux !

Tout commence lorsque les envahisseurs saxons massacrent la garnison du royaume du Nord, permettant seulement au fils du roi, qui n’a pas encore 7 ans, de s’échapper sur un tronc d’arbre au fil de l’eau. Il est recueilli sur le fleuve par le forgeron du roi Gunther (Max von Sydow) qui arbore un marteau de Thor en sautoir pour marquer qu’il reste adepte des anciens dieux. Il l’adopte pour fils en lui apprenant son métier et le prénomme Erik (qui veut dire le Roi), mais son vrai prénom est Sigurd (Siegfried en allemand burgonde) qui signifie Gardien de la victoire. Il reprendra ce nom lorsqu’il se fera reconnaître en vainquant en combat singulier devant les armées réunies les rois jumeaux saxons qui ont massacré son père et son clan.

Mais auparavant Eric doit grandir et atteindre ses 18 ans. L’acteur Benno Fürmann, Allemand de 32 ans, est un peu vieux pour le rôle malgré son large décolleté qui se veut juvénile. Grand et fort, il aide son père adoptif à forger des épées et à se battre contre les pillards. Il voit passer un jour sur le fleuve « la reine d’Islande » Brunehilde (Kristanna Loken). Au VIe siècle, l’Islande quasi déserte ne connaissait ni roi ni reine mais seulement quelques moines irlandais ; la légende parle seulement d’un pays du nord et le film tord la réalité en « vérité alternative ». Restée païenne elle aussi, la « reine » consulte une devineresse qui lance les runes d’Odin et lit l’avenir ; elle lui a annoncé cette rencontre au moment où un astre tombera du ciel. La nuit qui suit les regards échangés sur le fleuve, le destin se réalise : une météorite tombe du ciel non loin de là. Érik le jeune homme au beau sourire et au corps lourd, tout comme Brunehilde la reine froide et passionnée, se précipitent en même temps au même endroit et en pleine nuit à l’endroit de l’impact, dans le cercle de feu, commencent par se combattre avant de se faire l’amour à poil sous les étoiles. C’est pour chacun la première fois. Ils se jurent fidélité et de se revoir pour s’épouser.

Erik se fait remarquer par la cour burgonde chrétienne lorsqu’il vient livrer le chargement d’épées au château du roi avec son père. Il se bat bien et livre un combat qui désarme le jeune frère du roi Giselher (Robert Pattinson) après que le faucon de celui-ci, nommé Arminius comme le héros germanique qui vainquit les Romains, ait délaissé son poing pour celui d’Erik, le consacrant en quelque sorte. C’est à ce moment qu’il se fait remarquer par la sœur du roi Gunther, la belle Kriemhild (Alicia Witt), qui le mettrait bien dans son lit. Mais, lors de la fête du solstice, Erik avoue au masque femelle qui l’interroge qu’il aime ailleurs et que son cœur est promis. Kriemhild n’aura alors de cesse qu’intriguer pour le faire changer d’avis.

Elle profite du ressentiment haineux de Hagen (Julian Sands), noble de la suite de Gunther, dont le père est le nain Albéric (Sean Higgs), laid et contrefait. Cette impureté de lignée rend Hagen jaloux et avide de puissance pour laver cette tache de naissance. Le nain était gardien de l’or des Nibelungen mais le dragon Fafnir a mis ses pattes dessus et dort sur le trésor. Lorsqu’il se réveille, il incendie quelques villages et piétine les villageois. C’en est trop pour le roi, qui part le combattre avec ses preux. Mais la troupe revient, piteuse, n’ayant pas réussi à entamer la cuirasse du dragon, et le roi Gunther est blessé.

Erik se dit qu’il pourrait vaincre le dragon avec la nouvelle épée qu’il s’est forgé avec le métal très dur de la météorite. Il s’y essaie et, après quelques péripéties hasardeuses, tue le monstre tout en crocs et queue. Une intuition (signe des dieux) lui enjoint de se baigner nu dans le sang du dragon, ce qui le rendra invulnérable. Mais une feuille d’automne se colle malencontreusement sur son épaule et cet endroit du corps restera sa faiblesse, tout comme le talon d’Achille. L’or est alors à lui, malgré les mises en garde des fantômes de Nibelungen qui lui disent qu’il rend fou. Il le confie au roi Gunther afin de le garder en ses caves, sous les yeux concupiscents de Hagen. Il ne prend pour lui qu’un anneau, l’anneau du Nibelung.

Erik devient Siegfried en accompagnant l’armée comme héros vainqueur du dragon, lorsqu’il défie en combat singulier et vainc à son tour les rois jumeaux qui l’ont fait orphelin. Il désire se rendre en Islande pour épouser la reine et emporter le trésor. Lorsque Hagen l’apprend, il décide de tout faire pour l’en empêcher et garder à sa main le trésor. L’avidité comme l’avarice rendent fou, tare héréditaire chez les nains qui ne savent rien de la noblesse ni de l’honneur. Comme il sait le roi Gunther amoureux de la reine Brunehilde, seule digne de son rang, il soudoie son père nain Albéric afin de lui concocter un filtre d’amour qu’il fera prendre à Siegfried via son amoureuse Kriemhild.

Dès lors qu’il a bu le vin épicé du filtre, le valeureux jeune homme oublie promesse et promise malgré lui ; il ne désire plus qu’épouser la sœur du roi Gunther. Mais ce dernier, s’il a le champ libre, doit encore vaincre aux épreuves que la reine d’Islande a édictée pour se marier. Elle ne veut pas épouser un faible mais un égal et seul celui qui parviendra à la vaincre, ainsi que les runes l’ont prédit, deviendra son mari. Gunther presse donc Siegfried de prendre sa place et de concourir sous son apparence. Après avoir vaincu le dragon, le jeune homme a en effet surpris Albéric qui cherchait à le tuer pour reprendre le trésor, mais ses manières cauteleuses n’ont pas réussi. Siegfried lui a fait grâce de la vie (à tort) mais lui a ravi son heaume magique qui permet de prendre toutes les formes vivantes au prononcé d’une formule.

Cette fausseté fera que Brunehilde épousera Gunther malgré elle, Siegfried n’ayant plus pour elle aucun sentiment ; lui épousera sa Kriemhild le même jour. Tout le monde pourrait être heureux, le trésor restant chez les Burgondes, Gunther et Siegfried ayant chacun leur amour comme compagne. Mais Brunehilde ne se laisse pas faire et les runes, interrogées une fois de plus, révèlent qu’il y a mensonge. Elle se refuse donc à son roi et exige qu’il la vainque au lit comme il l’a vaincue au combat. Gunther fait alors preuve de faiblesse, une fois de plus, une fois de trop ; il demande à Siegfried de prendre à nouveau sa place sous son apparence pour défaire la ceinture et ouvrir les cuisses de la belle. Mais le prince Giselher, lutinant sa jeune promise dans les couloirs du château, aperçoit pour la seconde fois deux Gunther et soupçonne la substitution. Bêtement (il ne faut jamais se parjurer, ni révéler une vérité à une femme), Siegfried se résout à avouer à son épouse Kriemhild trop jalouse la supercherie de son frère. Elle en défiera Brunehilde sur les marches mêmes de la cathédrale, devant le peuple assemblé.

Dès lors que le secret devient public, tout est dit : Gunther ne peut rester roi légitime car tout fils qui lui naitra sera le fils de Siegfried. Le roi Gunther, humilié et perfidement conseillé par le traître Hagen qui ne pense qu’à l’or devant compenser son hérédité douteuse, se résoudra à l’assassinat. La perdition de l’argent marque la tare de la richesse : l’apparence se prend pour le vrai, l’habit pour le moine, l’or pour la vertu. On ne devient pas noble d’âme et de lignée en achetant sa fonction. C’est encore Hagen, l’antihéros du poème, qui va s’en charger. Il prend Siegfried par traitrise et lui plante sa lance à l’endroit vulnérable, entre les deux épaules, qu’il connait pour avoir espionné  une conversation. Le jeune homme, tout comme Achille, aura eu une vie brève mais glorieuse, tragique d’avoir été trompé par les mauvais. Lorsque son corps sera rapporté au château après la chasse, tous s’entretueront comme de vulgaires Atrides, la reine d’Islande elle-même mettra fin à ses jours sur la nef funéraire en feu de son amour, tandis que seul le jeune prince Giselher survit pour perpétrer la lignée burgonde. Siegfried était devenu son héros, son mentor ; il l’admirait.

Cette histoire est platement rendue, déroulée comme un script sans imagination ni relief, sauf peut-être la scène de baise torride dans le cercle de feu de la météorite. Siegfried a un beau sourire mais un corps plus massif qu’héroïque car l’acteur est trop vieux pour le rôle. Gunther est un minet mou plus que roi burgonde. Seules les femmes sont à la hauteur de leur rôle, ainsi que le forgeron qui meurt de vieillesse avant la fin. Evidemment, après le romantisme échevelé de Wagner, toute reprise peut paraître fade, mais ce film raté ne conte qu’une belle histoire – trop compliquée pour qu’elle soit bien comprise, et dite sans souligner les points forts, tout sur le même plan. C’est plus un divertissement en famille qu’un film culte ; il se regarde sans ennui, mais sans plus. Ne jamais confier une mythologie à un Yankee lorsque les Yankees n’en sont pas les héros : aussi bien pour Troie que pour les Nibelungen, les Américains se montrent des tâcherons à ras de terre ; ils ne s’élèvent aux étoiles que lorsqu’ils dominent le monde et s’en font gloire.

DVD L’anneau sacré, Uli Edel, 2004, avec Benno Fürmann, Kristanna Loken, Alicia Witt, Julian Sands, Samuel West, Sony Pictures 2006, 2h56, €6.56

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Hobbit, la trilogie de Peter Jackson

Le Hobbit est la suite qui précède la trilogie du Seigneur des anneaux et prépare la victoire sur les forces de la nuit. Bilbon Sacquet, le grand-père de Frodon, vit tranquillement dans son trou de hobbit de la Comté, plaine de collines verdoyantes où poussent les légumes et paissent les animaux. Il est heureux chez lui, dans ses pantoufles et son fauteuil, un livre à la main pour l’aventure.

Mais l’aventure réelle frappe à sa porte en la personne du magicien Gandalf le Gris qui le somme d’accompagner comme « expert cambrioleur » une bande de treize nains menés par Thorin Écu-de-Chêne. Ils veulent reprendre le Royaume perdu des nains d’Erebor, conquis par le dragon Smaug qui dort désormais sur l’or de la terre tandis que les nains chassés sans rien sont dispersés en diaspora.

Les trois films successifs montrent la quête. Le premier, un brin longuet, les conduit au cœur du Pays Sauvage où ils combattent avec plus ou moins de ruse et de courage Gobelins, Orques, Ouargues, araignées géantes, Métamorphes et sorciers. Effets spéciaux et spectaculaires garantis.

Le second film est à mon avis le meilleur, l’action y est rondement menée et bien découpée, le spectateur ne s’ennuie pas. L’objectif des nains est le Mont Solitaire dans les terres désertiques. Mais le chemin est semé d’ignobles et cauteleux Gobelins dans leurs tunnels. Bilbon y rencontre le Gollum et ramasse son anneau magique qui rend invisible. Mis entre toutes les mains c’est un instrument dangereux, mais Bilbon en fait un usage raisonnable. Lui qui ne se croyait pas courageux se révèle. Il compense sa faiblesse par son intelligence, ce que le magicien Gandalf avait prévu. Parvenu au pied de la montagne, c’est lui qui découvre la serrure cachée par l’énigme de la dernière lumière d’un jour précis alors que les nains, découragés, s’en allaient déjà. Ils pénètrent dans l’antre mais Ecu-de-Chêne envoie le hobbit en éclaireur, le dragon ne pouvant sentir l’odeur de nain. Mais celui-ci se réveille et, s’il épargne Saquet, se bat avec les treize nains qui réussissent à l’emprisonner dans de l’or fondu. Mais sa cuirasse le rend invincible et il ressurgit, furieux.

Dans le dernier film, il va incendier la ville des humains qui s’étend au pied de la montagne. Le petit-fils de l’archer qui a failli jadis descendre Smaug à l’aide de flèches noires spéciales, tente de combattre la bête et, à l’aide de son fils en support pour la dernière flèche, réussit à la loger juste dans l’écaille qui a sauté il y a longtemps. Smaug s’abîme dans les flots du lac. Mais l’or est monté à la tête d’Ecu-de-Chêne et il ne veut rien payer à ceux qui l’ont aidé, malgré sa parole donnée. Bilbon décide alors de ne pas lui remettre l’Arkenstone, la gemme lumineuse symbole du roi des nains qu’il a ramassée dans la grotte. Il la confie à ceux qu’Ecu a spolié. C’est alors la guerre, les treize nains contre une double armée d’elfes et d’humains. Mais Ecu a convié son frère, monté sur un cochon poilu, avec son armée naine et la bataille menace alors que surgissent les Orques et les autres bêtes immondes du mal. Tous font face. Grosse bagarre, effets extraordinaires, morts tragiques et héroïsme individuel. Le mal est vaincu – pour un temps.

Outre l’univers riche des populations crées par Tolkien, celles de la face sombre sont particulièrement bestiales, accentuant leur côté non-humain. Musculature épaisse et sans grâce, lourdeur d’esprit, réparties de banlieue, mufles et trognes de forbans, cicatrices, armes hérissées de pointes montrent tout l’inverse de l’honneur humain dont les elfes sont les spécimens les plus réussis : grands, blonds, élancés, froidement intelligents, experts à l’épée et à l’arc. Les Nains sont un peu comme les Juifs : exaspérants mais obstinés, méfiants mais chaleureux, avares mais industrieux. Bilbon le Hobbit, ni homme ni nain, sert d’intermédiaire de raison entre tous.

Je préfère pour ma part la trilogie filmée du Seigneur des anneaux, mais les fans verront avec plaisir ce prologue qui leur fournira, en près de huit heures, un spectacle onirique sans égal.

DVD Hobbit : la trilogie, Peter Jackson, Un voyage inattendu, 2012, 2h46 ; La désolation de Smaug, 2014, 2h35 ; La bataille des cinq armées, 2015, 2h18, avec Ian McKellen, Martin Freeman, John Callen, Peter Hambleton, Jed Brophy, Orlando Bloom, Warner Bros Entertainment France 2015, standard €19.00 en 3D €69.99

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Michel Crouzet, M. Myself ou la Vie de Stendhal

Henri Beyle le Grenoblois, né en 1783, est devenu par lui-même en 1817 baron Frédéric de Stendhal il Milanese, officier de cavalerie. C’est qu’il est né avec la Révolution (6 ans en 1789) et qu’il a admiré Bonaparte parti de rien pour arriver à égaler Alexandre et César (il a moins aimé Napoléon, empereur autoritaire installé). Comme les révolutionnaires qui voulaient faire table rase du vieux monde et des « Vieux », Beyle a haï son enfance (ayant perdu sa mère en couches à 7 ans) et son père, distant et désirant modeler le Fils en enfant modèle ; il a haï son précepteur jésuite Raillane « hypocrite » ; haï Grenoble, ville provinciale et bourgeoise, coincée et conservatrice. Il « n’a jamais joué, jamais couru ou nagé librement avec les autres enfants, jamais disposé de son corps, que l’on voulait domestiquer et non laisser se dépenser et jouer » p.25.

Pour cela, il a dû se révolter contre le Père (prénommé Chérubin !) et inventer sa vie d’individu, hors des liens de naissance, de famille (excepté Pauline, sœur et âme-sœur) comme de milieu, « un Moi audacieux et sans freins (…) l’image même du Moi absolu évoqué par les philosophes et les libertins : ils se référaient pour le définir à l’enfant incestueux, parricide, homicide, être de la nature dans toute sa force et sa première et irrésistible impulsion » p.13. Seul le désir est loi (le Rouge), tout le reste est éteignoir, clérical, humide, sombre, moralisateur, persécuté, esclave des conventions et de la famille (le Noir). Mais le ressentiment est encore esclavage, la haine empoisonne et emprisonne. Pour se libérer, seule l’imagination le peut si elle prend son essor et ouvre à la « beauté » (qui est œil de l’amour). Car l’érotisme romantique n’est pas l’érotisme freudien (encore moins celui des puritains d’aujourd’hui qui voient de la saleté dans tout désir) : « fidèle à l’éros platonicien, le Romantique fait du désir le révélateur de l’idéal, la voie d’accès aux transcendantaux du Bien et du Beau ; l’image, ou vision de l’homme meilleur, de l’homme tel qu’il est dans sa nature profonde, c’est l’autre nom du désir ; il y a un sens du désir, il unit les sens au désir suprême qui est celui de l’âme et du rêve, ou du ‘romanesque’, qui est le rêve de l’homme » p.47. Le prime adolescent Beyle trouve cet élan dans les romans de chevalerie du Tasse, de l’Arioste, de Cervantes où l’aventure héroïque est ironique et voluptueuse à la fois – avant de découvrir Félicia ou mes fredaines le roman libertin de Nerciat : « Je devins fou absolument ».

Ce pourquoi il a dû inventer aussi un autre style littéraire – le romantisme, cette « maladie de l’azur » – où le réalisme du Moi en situation dérive vers l’imaginaire amplifié, où le mouvement fait confiance à l’expression libre de l’intériorité tout en mettant à distance de soi-même par l’objectivation de l’écriture. Car « toute sa famille est ‘cultivée’ : les lettres pour elle sont une œuvre de civilisation, de communication civile, un moyen d’approfondissement et d’amélioration de l’humanitas, qui met à parité le savoir et l’expression… » p.21 Ainsi l’Amour (dont Flaubert se moquera une génération après sous le vocable d’Hâmour) est-il moins inclination pour une personne réelle que pour la passion elle-même. Stendhal a l’amour de l’amour plus que « foutre » telle ou telle ; ou plutôt telle ou telle enflamme en lui l’imaginaire : il se fait du cinéma. « Avoir » ou pas la femme importe moins que les élans du cœur qui « cristallisent » sur une image, comme jadis l’image de Dieu. Il comptabilisera treize femmes « eues » qui ont compté dans sa vie (outre sa mère, Kubly, Angela, Victorine, Mélanie, Wilhelmine, Alexandrine, Angelina, Métilde, Clémentine, Alberte, Giulia I et II) et peut-être une quatorzième, sans parler des putes. Il aimera aussi beaucoup les enfants – ceux des autres – et leur racontera des histoires. Toujours l’imaginaire. Eugénie de Montijo, future impératrice, se souvient de Monsieur Beyle lorsqu’elle avait 9 ans et qu’il contait l’épopée de Napoléon, assise sur ses genoux ; adulte, elle apprendra qu’il s’agissait de ce « baron de Stendhal » devenu célèbre.

En tout cela il est « moderne » (ce qui signifie post-Ancien régime), donc plus ou moins « actuel » selon nos époques. Il a été peu connu de son vivant, adulé une génération après lui pour de mauvaises raisons (anti enflure hugolienne notamment), disséqué et délaissé début XXe siècle au profit de Proust, avant d’être réhabilité dans les années 1950 pour son style sec sans fioritures et qui va droit au but. Aujourd’hui ? La biographie date d’il y a vingt ans et c’était déjà une autre époque. Il semble que l’imagination revienne plus que l’action dans la sexualité de notre temps. Les femmes « ayables » comptent moins que les émotions qu’elles procurent par leur présence, même platonique. Mais à chacun de juger, Michel Crouzet se garde d’en parler.

D’autant que l’individualisme, s’il libère, exige de s’imposer : la liberté ne va jamais sans la responsabilité, ce qui répugne aux paresseux et met en face de leur veulerie les autres : « La mauvaise honte, la timidité, les tortures de l’amour-propre farouche et apeuré, c’est le calvaire du Moi moderne » p.68. Sous l’Ancien régime, la société exigeait le naturel (de naissance) ; la démocratie exige le convenable (socialement égalitaire). Stendhal s’en échappera par le voyage, étranger aux contraintes du civilisé français en Italie, manière d’être inconnu et amour du nouveau. Il s’en échappera par l’opéra, féérie sensuelle d’un soir par la musique et théâtre communautaire des regards. Mieux, il traitera dès lors la société comme un bal masqué pour s’en amuser et y trouver son plaisir, sans rien en attendre d’autre et surtout rien de durable. Et il se méfiera de ses intrusions au nom de la « transparence » égalitaire ; Stendhal chiffrera ses lettres, déguisera noms, lieux et dates dans son journal et sa correspondance. Être libre, c’est aussi rester masqué pour éviter de déplaire et écrire dégagé des contraintes sociales – d’où les quelques 350 pseudonymes que Henri Beyle prend au cours de sa carrière d’écrivain journaliste, une manière de rester aristocrate en démocratie.

Le pavé biographique de Michel Crouzet réjouira tous ceux qui aiment Stendhal, dont je suis. Laid et gros dès l’enfance, ses camarades se moquent de lui et l’appellent « la tour ambulante », il demeurera disgracieux et enveloppé toute sa vie, avec une « face de boucher ». Il compensera en se vêtant avec recherche et élégance selon l’adage que l’habit fait le moine. Mais il a les yeux vifs, un pli ironique à la bouche et sa conversation est toute de paradoxes et de moqueries. Il se taillera un succès dans les salons parisiens avec ses diableries – lui qui ne croit pas en Dieu – mais effraiera les bons bourgeois conventionnels et les bigotes. « Stendhal, c’est un style (de vie ou d’écriture indifféremment), né d’un immense travail sur soi dont les écrits intimes sont le dépositaire… » p.96.

Stendhal est né tard au roman, à 47 ans avec Le Rouge et le Noir (après l’échec d’Armance trois ans plus tôt). Son chef d’œuvre, il le publiera à l’extrême fin de sa vie (écourtée par le cœur, physiquement malade) : La Chartreuse de Parme fut écrite ou dictée à raison de 5 à 7 pages par heure. Le reste de l’œuvre romanesque est surtout inachevée ou composée de nouvelles. Mais Stendhal n’est pas que romanesque. Il compose un traité devenu célèbre, De l’amour, une Histoire de la peinture en Italie et des récits de voyages, en observateur incisif, qui eurent du succès : Mémoires d’un touriste, Rome, Naples et Florence, Promenades dans Rome. Il n’est pas un « intellectuel » (le terme n’a pas existé avant l’affaire Dreyfus) mais un « homme pensant » ; lui-même ne se dit pas littérateur ou écrivain mais « observateur du cœur humain » p.508. Faire de l’esprit c’est créer sa forme, entre l’énergie et la grâce, entre la vérité et le goût – en bref définir son propre style (« l’homme de gauche, toujours indigné, est sans esprit. Il lui manque le naturel de la pensée » p.526). Sa biographie (incomplète) La vie de Henry Brulard, informe plus ou moins sur ce qu’il a vécu (amplifié et déformé par la mémoire).

Pour le reste, élève à l’Ecole Centrale de Grenoble (fondée par son grand-père Gagnon), il aurait pu intégrer à Paris l’Ecole Polytechnique, récemment créée, mais s’est dégoûté. Bon en maths et en dessin, il a opté à 17 ans pour s’engager dans les dragons avec Bonaparte grâce à son cousin Daru. Arrivé souvent après les batailles, il romance son épopée adolescente dans La Chartreuse sous les traits du beau Fabrice del Dongo, son Moi idéalisé (emprunté aussi au réel Pierre Napoléon Bonaparte, cousin de Napoléon III, rencontré près de Civitavecchia). Car Stendhal se veut plus Milanais que Français, plus bonapartiste que Bourbon ou Juste-Milieu, plus Moi-Même que collectif.

Pour lui, chaque énergie doit faire son trou et inventer sa vie, jouant des « rôles » dans la comédie humaine sans investir son Moi profond. Il n’aura de cesse que d’appliquer cette maxime, faisant feu de tout bois pour obtenir un poste dans la foire aux vanités et réussissant assez bien dans la méritocratie napoléonienne comme auditeur au Conseil d’Etat à 27 ans puis Commissaire aux armées. Il fera même l’expérience de la défaite avec retraite de Russie en 1812. Hélas, les Bourbon reviennent et il devient demi-solde, courant après les louis pour vivre « décemment » (il suffisait à l’époque de 6000 francs par ans). Il obtiendra dans la douleur un consulat à Trieste, jamais rempli puisque refusé par les Autrichiens, puis à Civitavecchia dans les Etats du Pape, mais sera surveillé constamment par l’empire austro-hongrois et l’Eglise catholique comme subversif, « libéral » et athée. Ce n’est que lors de ses « congés » qu’il retrouvera l’élan pour écrire et que paraîtront les chefs d’œuvre. Sa maxime sociale était SFCDT : « se foutre carrément de tout » pour exister.

Il mourra le 22 mars 1842 à hauteur du 22 rue des Capucines à Paris, d’une attaque d’apoplexie, à 59 ans et trois mois, « esprit d’enfer et cœur angélique » comme conclut Michel Crouzet p.762. Il est inhumé à Montmartre sous une épitaphe composée par lui : « Arrigo Beyle Milanese, scrisse, amò, visse » (Henri Beyle Milanais, il écrivit, il aima, il vécut).

Ecrire contre son temps permet de durer ; dire le vrai de soi permet d’atteindre l’universel. « Tout livre écrit pour se plaire à soi-même, en pleine autarcie, pour trouver des semblables, un jour, en un lieu, est un acte de foi dans la chance du Moi » p.410. Mais l’état démocratique, en détruisant l’otium humaniste (le loisir de vivre pour soi) et en généralisant le negotium bourgeois (l’état constamment occupé et pressé), est-il compatible avec l’imagination, la littérature, le sens de la beauté ?

La pagination indiquée est celle de l’édition de 1999.

Michel Crouzet, M. Myself ou la Vie de Stendhal (nouvelle édition de Stendhal ou Monsieur Moi-Même, 1999), Kimé 2012, 728 pages, €30.00

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Ray Bradbury, Un remède à la mélancolie

Bradbury est un poète, il l’a montré dans ses Chroniques martiennes déjà présentées. Ce recueil-ci présente 22 nouvelles douces et amères où la tendresse pour les jeunes, les filles et les enfants se montre à chaque page.

Le remède à la mélancolie qui forme la trame de la première nouvelle, est une langueur d’amour. Une jeune fille se meurt au XVIIIe siècle et chaque médecin y va de sa saignée et chaque rebouteux de sa pilule. Les parents n’y comprennent rien, mais c’est normal : « femme, mari, enfants sont sourds les uns pour les autres » p.15. Et c’est une autre jeune fille qui la voit sur le pas de sa porte et surtout un balayeur juvénile aux yeux bleus, qui comprennent de quoi se meurt l’adolescente. La lune devient pleine et les hormones la dépriment. Il suffit que le désir s’assouvisse pour que le mal disparaisse. Ainsi fut fait.

La seconde nouvelle évoque la rencontre d’un artiste américain avec le fameux Picasso sur une plage du sud. Cela revigore en lui le désir de créer, comme une obsession. Une troisième nouvelle décrit un dragon… moderne pour les visiteurs. Une nouvelle dit les affres du départ de la première fusée depuis la terre et l’espèce de crainte superstitieuse que cela provoque en même temps qu’un désir d’infini. Le lecteur trouvera également comment un costume peut faire exister un jeune homme, même s’il est trop pauvre pour l’acheter et doit le partager avec six autres, chacun le portant un soir par semaine. Une certaine fièvre peut être mortelle, un lit matrimonial antique inconfortable générer un enfant, un grenier ouvrir réellement la porte au passé. Le meurtre parfait est décrit dans la nouvelle numéro huit. Le tempérament irlandais offre une drôle de scène de mœurs sur les routes, la nuit. Il vaut mieux conduire en voiture et pas en vélo, une casquette sur la tête contre les chocs, en fonçant pour faire du bruit et avertir, et tous phares éteints pour ne pas hypnotiser ceux qui viennent en face ! Et lorsqu’on découvre une véritable sirène sur la plage, corps de fille nue et queue de poisson ? Faut-il aller acheter 150 kg de glace pour en faire une attraction ou la rejeter à l’eau pour qu’elle vive et continue de faire rêver ? Toute l’Amérique est là dans ce dilemme.

Mars ressurgit par une nouvelle égarée. La planète, vue comme parcourue de canaux remplis d’eau et occupée jadis par une civilisation disparue qui a laissé ses ruines, semble changer les terriens qui l’ont colonisée. Est-ce l’atmosphère, la faible pesanteur, les minéraux de son sol qui alimentent les végétaux cultivés ? Toujours est-il que la peau s’assombrit, le squelette s’allonge et les yeux deviennent dorés. En quelques années, les terriens deviennent différents, martiens. N’est-ce pas ainsi que l’on s’adapte à son environnement ? Ou est-ce la subtile façon que les Martiens ont de se venger ? Car les enfants les premiers ont un irrésistible désir de changer leur prénom et d’appeler les choses par des mots inconnus.

La civilisation n’est pas toujours bénéfique. Elle se résout trop souvent par une guerre que la technologie rend totale. Ce pourquoi les survivants de l’an 2060, après la guerre atomique, détruisent systématiquement les automobiles, font exploser les usines d’avions, refusent de vivre dans des appartements. Une queue s’est formée qui va cracher sur la Joconde comme les musulmans dans le pèlerinage à la Mecque vont lapider Satan. Mais un décret vient de paraître, lu par un héraut à cheval : à cette heure de midi, la foule peut désormais lacérer le tableau afin que toute trace disparaisse. Tom, un jeune garçon ébloui par la beauté de la Joconde, lui arrache son sourire qu’il garde précieusement dans sa main.

Pourtant, la quête dans les étoiles est une nécessité vitale qui pousse l’humanité vers l’éternité. Se reproduire et essaimer est le But, pour survivre à l’infini. Il faut seulement s’adapter ; c’est ce que découvre un Terrien arrivé sur Mars et que sa femme tanne par nostalgie de la Terre.

Le plus beau cadeau de Noël, plus merveilleux que le sapin illuminé de bougies (que la fusée ne peut emporter car trop lourd), n’est-il pas le spectacle de myriades d’étoiles par le hublot ? Un père le croit, un fils le découvre.

Vénus est une planète où il pleut tous les jours. Des enfants de 7 ans n’ont jamais connu que la grisaille, sauf une fillette arrivée trois ans plus tôt de la Terre. Les autres la harcèlent car elle est différente. Lorsque les savants annoncent deux heures de soleil sur Vénus, ils lui disent que c’est un bobard, la saisissent et l’enferment. Elle ne verra pas le soleil sur Vénus, les autres si. Les enfants sont cruels et la maitresse stupide : elle n’a pas compté ses élèves.

Mort à 91 ans en 2012, Ray Bradbury a enchanté la science-fiction par sa fantaisie, sa tendresse, son attention aux êtres avant tout.

Ray Bradbury, Un remède à la mélancolie (nouvelles 1959), Folio 2012, 320 pages, €8.40

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Baie de Halong et Hué

Pagode au petit-déjeuner, pagodes à midi, pagodes le soir, un peu indigeste tout cela. Alors prenons le bateau et laissons-nous voguer dans la baie de Ha Long ou baie d’Along (chez les francophones).

Sur une étendue d’eau d’environ 1 500 km2 située dans le golfe du Tonkin on trouve 1 969 îles et îlots rocheux, avec des criques pour certains. D’autres sont creusés de grottes. C’est le plus grand karst marin du monde. Peu de végétation vu la faible épaisseur d’humus. Si l’on écoute les géologues, la formation de ce relief karstique se serait produite au Paléozoïque (entre 543 et 250 millions d’années), ce site était en haute mer. Une épaisse couche de sédiments s’était formée, les mouvements de la croûte terrestre l’ont ensuite fracturée, le retrait de la mer l’a alors exposé à l’érosion. La pluie, les rivières souterraines ont alors creusé de nombreuses grottes. La légende de Ha Long (descente du dragon) raconte que « ce paysage extraordinaire est dû à un dragon, être merveilleux et bénéfique au Viêt Nam, qui serait descendu dans la mer pour domestiquer les courants marins. Il aurait en se débattant entaillé la montagne avec sa queue. Le niveau de la mer serait monté et seuls les sommets les plus élevés auraient émergé ».

VIETNAM BAIE D HALONG

Les cavernes des îles sont habitées depuis 4 000 ans avant notre ère. Un tel labyrinthe est bénéfique à l’armée pour stopper les envahisseurs. Telle l’histoire du général Tran Hung Dao qui stoppa les Mongols en 1288 en coulant leur flotte. Des pieux ayant servi alors ont été retrouvés dans la grotte « des bouts de bois », à l’île des Merveilles et sont exposés au musée de Haiphong. La baie a abrité des pirates à la fin du 18e siècle.

VIETNAM CHARBONNIER

Les Français ont cartographié la baie durant la colonisation et baptisé certains îlots. Des gisements de houille à ciel ouvert ont été exploités par la Société française des charbonnages du Tonkin. Les barques typiques des habitants et pêcheurs de cette baie sont faites en bambou tressés. Mille six cents habitants vivent dans des maisons flottantes dans deux cents îlots de la baie. Il est temps de descendre vers le sud, nous prendrons le train de nuit.

VIETNAM BAIE D HALONG

Arrivée dans l’ancienne capitale impériale du Viet Nam, Hué (1802-1945), située au centre du pays, juste au sud du très fameux 17e parallèle, non loin de la mer. Le fleuve Sông Hu’ong (la rivière des Parfums) la traverse et sépare la ville ancienne au nord de la cité moderne au sud. Le fait d’avoir été capitale impériale du Viet Nam, appelée à l’époque empire d’Annam par les Occidentaux, lui confère un caractère particulier par la culture aristocratique des mandarins, la finesse des poésies de ses lettrés, la musique raffinée, la gastronomie, l’agilité intellectuelle de ses habitants, tout cela donne un charme particulier à cette ville. L’offensive du Têt le 29 janvier 1968 par les Nord-Vietnamiens massacra plus de 2500 habitants (« l’élite »). Puis les bombardements des Américains mirent à mal la cité. La ville ne sera reprise que le 25 mars 1975.

VIETNAM HUE

La cité impériale est construite dans l’enceinte de la citadelle royale, au bord de la rivière des parfums. On y accède grâce à dix portes fortifiées, chacune munie d’un pont au-dessus des douves. Les deux ensembles la Cité jaune impériale et la Cité pourpre interdite se trouvent à l’intérieur de l’enceinte. La Cité pourpre, où vivaient l’empereur et sa famille, a été anéantie par l’attaque américaine.

Le pont Trang Tien (ancien pont Clemenceau) enjambe la rivière des Parfums, il a été construit par Gustave Eiffel en six arches en acier de 67 m de longueur et 6 m de largeur.

Le long de la rivière, sur une colline de la rive droite se situe la pagode de la Dame céleste, tour octogonale de sept étages et 21 m de haut. Sur la rive ouest on trouve les tombeaux des empereurs Nguyen (1802-1845).

Hiata de Tahiti

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Pékin !

Arrivée à Yichang en traversant le plus grand barrage du monde, visite du barrage. Débarquement puis avion pour Beijing alias Pékin. Sur le chemin de l’aéroport, nous visitons une usine de broderie, travail très délicat entrepris par des doigts féminins et une grande patience. Arrivée à Pékin avec retard. A 1h30, nous sommes enfin au lit !

A nous la Grande Muraille… par télécabine. Mutianyu est un endroit plus calme pour la visite. Pour les empereurs chinois, la Grande Muraille était une défense contre les invasions barbares venues du Nord. Sous sa forme actuelle, cette défense est en grande partie une création des Ming. Chacun de nous a vu tellement de photos de cette muraille que j’avoue n’être que moyennement impressionnée. Cette construction est-elle démesurée ou est-ce un chef d’œuvre ? Elle mesure plus de 7000 km de long, et l’on raconte parfois que c’est la seule construction humaine visible de la lune. C’est en tout cas le symbole de la Chine. La muraille n’est pas l’œuvre d’une seule dynastie. Commencée au 7ème siècle avant JC, elle obtint une dimension grandiose sous le premier empereur des Qin, Shi Huangdi (221-210 av. J-C). Cet empereur relia entre eux les morceaux existants, érigea des tours de guet et installa un système de feux d’alarme. La construction progressa sous les Han mais cessa sous les Tang et les Song. Elle reprit au 15ème siècle sous les Ming. Aujourd’hui c’est devenu un site touristique. L’exploration aérienne permettrait, paraît-il, de découvrir encore quelques kilomètres supplémentaires.

PEKIN

Ne perdons pas de temps, déjeunons sur place. Il faut maintenant passer au lavage des pieds, non, pardon au massage des pieds. Chacun et chacune est installé, les pieds dans un petit baquet de bois garni d’un sac plastique rempli d’eau, un verre de thé à la main. Les élèves masseurs arrivent pour triturer les petons et tentent ensuite de vendre des médicaments chinois faisant des miracles. Je la regarde stupéfaite : le soir, à l’hôtel, TM est hors d’elle. Elle ne décolère pas. Une autre personne aurait osé prendre SA place dans la queue pour changer en « dollars chinois » ses dollars américains. – C’était moi la première ! Je n’en ai cure. Elle me donne des détails tels – son mari est Chinois, un grand. Je la regarde stupéfaite. – Mais TM, sur 32 personnes constituant ce groupe il n’y a que 5 Popa’a, vous êtes tous Chinois ou Demis. Comment pourrais-je reconnaitre ce Chinois avec aussi peu de détails… Le soir, rendez-vous dans un restaurant renommé pour déguster du canard laqué à la Pékinoise. Pour des appétits polynésiens, quelques petites crêpes ne suffiront pas !

PEKIN

Toujours dans la capitale, visite du Temple du Ciel situé dans un parc immense de 270 ha, le Parc Tiantan. Illustration de la cosmologie chinoise, il était destiné à offrir aux Empereurs de Chine, les Fils du Ciel, une passerelle vers le monde céleste. Les divers bâtiments en forme de cercle symbolisent le ciel, les autres carrés représentent la terre. La salle de la Prière pour de bonnes moissons (1420) symbolise la rencontre de la Terre et du Ciel. Les cérémonies orchestrées par l’Empereur avaient lieu à l’occasion des solstices d’hiver et d’été. En 1545 elle fut reconstruite et dotée de trois toits superposés et recouverts de tuiles bleues, jaunes et vertes. Le toit conique symbolise l’étendue du monde céleste. La voûte culmine à 36 m et a été assemblée sans un seul clou. La Cité interdite, résidence des empereurs Ming et Qing qui s’étend sur 72 ha est un lieu imposant et magnifique. Jadis interdit au peuple, ce lieu symbolisait la puissance inaccessible de l’Empereur. Les bâtiments actuels datent du 18ème siècle. Des symboles, le dragon représente l’Empereur, le phénix l’impératrice, le jaune étincelant des toits symbolise l’Empereur.

En pénétrant par la porte du Midi, on arrive dans une cour où cinq petits ponts en marbre franchissent un ruisseau, à nouveau une porte celle de l’Harmonie suprême. Le plus grand bâtiment de la Cité interdite, Le Palais de l’Harmonie suprême, réservé aux évènements marquant tels l’intronisation d’un nouvel Empereur, la proclamation des noms des candidats reçus aux examens impériaux, le mariage, l’anniversaire de l’Empereur. Le palais de l’Harmonie suprême fut pendant longtemps l’édifice le plus élevé de Pékin. Un plus petit Palais, celui de l’Harmonie du Milieu où l’Empereur recevait ses ministres. Le Palais de l’Harmonie préservée juste avant la Porte de la Pureté céleste on y supervisait les épreuves des examens que devaient passer les serviteurs de l’État. La place Tian An Men, immense, est une création de Mao Zedong. Le palais de Heshen date de la dynastie Qing.

PEKIN

Déjeuner et dîner en ville. Soirée, merveilleux concert, au théâtre national. Là où certains ont ronflé, d’autres soupiré, d’autres pesté en l’absence de shopping, nous étions quelques-uns à apprécier ce cadeau. Mêlant les instruments typiquement chinois tels le luth pipa, la flûte dizi, le violon à 2 cordes erhu et la cithare à 7 cordes gukin, les orgues à bouche, aux instruments occidentaux violons, violoncelles, contrebasses, trombones, clarinettes, et autres, le concert était captivant, fort réussi, mené par un chef d’orchestre très connu. Une remarquable soirée.

Toujours pékinoise le lendemain, ce sera le Palais d’été ou Jardin pour cultiver l’harmonie. Le plus grand jardin impérial du monde comprenant le Palais de la Bienveillance et de la Longévité, le Jardin de l’Harmonie vertueuse, le Palais de la Joie et (toujours) de la Longévité, le Palais des Vagues de jade, le Gracieux pont aux 17 arches, le Bateau de marbre où l’impératrice donnait des festins, le Pavillon pour écouter le chant du rossignol, le Temple de l’océan de sagesse… Encore une après-midi consacrée au shopping.

Hiata de Tahiti

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Anatole France, L’île des pingouins

Drôle de pochade que cette histoire d’un peuple – le nôtre – qui prend prétexte de pingouins pour donner des leçons à la Rabelais ou Montesquieu. Comment peut-on être pingouin ? Ou plutôt Français ? Car les humains  de France ne sont que des pingouins convertis à la foi chrétienne par un moine sénile qui n’y voyait plus clair. Emporté par le diable dans son auge de pierre, il évangélisa ce qui se trouvait devant lui. Or c’était, sur les glaces antarctiques, une colonie de pingouins manchots.

Grave débat dans le Ciel entre Dieu et les sages : cette conversion est-elle valable ? Comment ne pas dédire le pouvoir du prêche tout en préservant l’homme comme seul « fils » de Dieu ? Le Seigneur se résigne à accorder la nationalité… euh, l’humanité, à ces bêtes que sont les pingouins. Dès lors ils prennent tous les travers des hommes : ils découvrent qu’ils sont nus et ne doivent plus copuler en public (exit le bon sauvage), ils découvrent la propriété et le pouvoir de la force (bonjour la féodalité), ils découvrent la jalousie des voisins et le plaisir de la bataille (guerre de 100 ans avec les Marsouins de l’île d’à-côté), ils découvrent la peur des forces obscures (et du « dragon » qui terrorise la contrée et enlève les jeunes garçons), ils découvrent les viols et le mélange des populations (tout en inventant l’idée de nation et la passion cocardière).

pingouins

Comme toujours, France mélange des contes déjà publiés dans les journaux avec des spéculations d’actualité pour ficeler un « roman » fait de bric et de broc. Comme toujours, nous n’avons pas été convaincu cent ans après. Trois parties : le passé mythique, le contemporain de l’auteur (1880-1907), puis le futur.

  1. La légende médiévale est bien troussée, à la manière des histoires qu’on raconte aux enfants.
  2. La matière contemporaine – qui prend un tiers du livre pour seulement vingt ans sur les millénaires – est une charge lourdement positiviste et pesamment socialiste contre le parti catholique, contre l’armée, pour Dreyfus. On croirait lire un discours d’Harlem Désir, l’ironie et la belle langue en plus.
  3. Le futur, vu depuis 1908, est une pochade anarcho-socialiste comme il en paraissait alors : exacerbation des inégalités où quelques milliardaires actifs exploitent la grande majorité de prolétaires abrutis et dégénérés, jusqu’au grand bouleversement anarchiste des attentats et explosions (dues aux vapeurs de radium), permettant à deux néo bon sauvages (un homme efféminé et une maitresse femme) de reconstituer l’espèce. Autrement dit Sodome détruite par deux anges pour que Dieu impose son règne.

Le lecteur pourra aimer l’une ou l’autre des périodes, certains le futur, d’autre le passé, plus rares le contemporain 1908. L’auteur, vexé que sa Vie de Jeanne d’Arc parue au même moment soit éreintée par les critiques, s’est défoulé dans la satire des historiens et dans la morale de l’instruction publique. L’éditrice Pléiade a beau aligner des pages et des pages pour dire combien cela est beau et original, ça ne passe pas. L’absurdité du monde est moins démontrée que l’outrecuidance d’auteur qui veut prendre le lecteur pour dupe. C’était peut-être habile il y a un siècle mais l’œuvre a mal vieilli. Sauf parmi certains utopistes qui y voient une inspiration sociale, ou certains socialistes qui peuvent y retrouver le bonheur de la langue de bois.

Vous me direz : pourquoi lire ces œuvres inintéressantes, pourquoi se faire du mal ? Parce que connaître un auteur, c’est aller jusqu’au bout. L’œuvre en Pléiade est composée de 4 tomes, que je lis un à un. Rien ne m’obligera en revanche à relire ce qui ne m’a pas plu. Quant à vous, lecteur, vous en saurez un peu plus pour faire ce que vous voudrez.

Anatole France, L’île des pingouins, 1908, dans Œuvres IV, édition Marie-Claire Banquart, Gallimard Pléiade 1994, 1684 pages, €65.08

Anatole France, L’île des pingouins, 1908, éditeur CreateSpace Independent Publishing Platform (10 juillet 2013), 128 pages, €6.57, format Kindle Amazon Whispernet €0.00 (gratuit)

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Thorgal 19 La forteresse invisible

Née en 1977, la bande dessinée Thorgal devait se renouveler. Seize ans plus tard, voici que l’enfant venu des étoiles, Thorgal, hésite entre suivre une vie d’aventures ou revenir vers les siens. Les grands espaces sont dans ses gènes, lui qui est né ailleurs ; mais l’amour l’attache, conquis de haute lutte.

Il aime sa femme Aaricia, son fils Jolan qui a dans les 7 ans, et Louve, sa dernière née encore bébé qu’il ne connait pas vraiment. Thorgal est comme Ulysse, parti en guerre qui veut revenir sur son île, mais que certains dieux veulent empêcher.

L’album s’ouvre sur un cauchemar, sa femme et ses enfants lui tendent les bras mais un gouffre les engloutit à deux pas de lui. Il se réveille aux côtés de son âme damnée, Kriss de Valnor, la Circé implacable amoureuse de lui.

Elle le provoque : pourquoi reste-t-il avec elle, la belle Kriss, s’il pense sans cesse à « cette petite dinde » d’Aaricia (dont elle est jalouse) ? Il préfère le souvenir enfui à la jeunesse offerte. La malédiction de Thorgal, elle n’y croit pas, toujours dans le présent, mue par ses seuls désirs. Elle ramène tout à ce qu’elle sent et juge son bel étalon brun aux instincts : la liberté plutôt que la soupe et la marmaille !

Suit une scène érotique où Kriss nue se trouve attaquée par deux ruffians d’une banlieue viking qui voient en elle une femme, donc une proie facile. Bonne à violer avant de l’égorger. Mais c’est qu’elle ne se laisse pas faire. Thorgal la tire de là au moment où elle va se noyer, maintenue par les bras puissants de l’un des hommes. Évidemment elle le nie, mais il l’a sauvée.

Il la sauve encore une fois d’elle-même en refusant qu’elle tue les deux fuyards d’une flèche, comme elle sait si bien le faire. Thorgal a tort de les laisser s’enfuir, mais il ne le sait pas encore. Ou plutôt, il a eu raison à long terme, car les dieux n’auraient pas apprécié, mais tort à court terme, car il sera capturé par le village, après avoir quitté Kriss, écœuré.

Condamné à mort et suspendu par les pieds sur chevalet jusqu’au lendemain matin, il aura tout le loisir de méditer ses erreurs. La première vient de ne pas écouter une vieille femme (encore une tentatrice !) qui lui prédit son avenir. Il la traite de sorcière alors qu’elle voit plus loin.

Après quelques péripéties où elle vient le délivrer, puis lui fait retrouver in extremis Kriss qui le sauve à son tour des ruffians qui voulaient lui faire la peau, elle s’entend enfin invoquer pour sauver le couple désassorti des flammes d’un vallon sans sortie. Chez les Vikings, le destin est écrit et l’être humain ne peut pas faire grand-chose, sinon tenir bravement son rôle. Thorgal a eu beau refuser l’errance, il y est condamné. A lui de combattre au mieux les monstres et les ennemis sur sa route, s’il veut retrouver sa famille.

Il va donc entrer au pays des sortilèges, où les êtres prennent des apparences aimées afin de l’empêcher d’agir. C’est ainsi qu’il retrouve Leif, son père adoptif, puis Tjall, le joyeux blond écervelé, toujours torse nu dans les tempêtes. Les blonds fluets en rajoutent toujours dans le comportement viril pour compenser leur apparence ; c’est vrai encore aujourd’hui, n’avez-vous pas remarqué ?

Après avoir combattu un dragon qui n’était qu’un petit garçon (qu’il a bel et bien égorgé d’un coup d’épée bien ajusté), il doit lutter contre trois belles femmes prêtes à le poignarder. Heureusement que ses sens sont retenus par Aaricia !

La sorcière se révèle une déesse, elle le guide dans la forteresse invisible jusque sur la pierre où les noms de tous les hommes ont été gravés par les dieux pour conserver la mémoire. Là, il peut appliquer sa propre main pour effacer son nom, ce qui le fera oublier des dieux. Il pourra alors rentrer chez lui, être libre des liens envers l’autre monde.

Mais en contrepartie, il perdra tous ses souvenirs, car les dieux ne donnent rien pour rien. Lorsqu’il se réveille – comme au début aux côtés de Kriss de Valnor – il se voit appeler Shaïgan-sans-merci et rappeler qu’il est l’amant de Kriss, compagne fidèle de tous ses combats…

Son avenir sera-t-il d’être roi du monde ? Grand guerrier sans pitié comme Kriss de Valnor ? Loup aventurier plutôt que mouton familial ?

Rosinski & Van Hamme, Thorgal 19 La forteresse invisible, 1993, éditions du Lombard, 48 pages, €11.40

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