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Prieur, Malgras, Hervieux, Les guerres napoléoniennes 2

Suite du tome 1, chroniqué sur ce blog, les auteurs content avec humour de nouvelles histoire vraies à l’époque de l’empereur. « Tout est vrai », mais tout est revisité XXIe siècle. Cela plaît aux ados, qui ont plébiscité le tome 1, et l’un d’eux, en sweat à capuche orange comme le veut la dernière mode teenage, apparaît même à la page 33 pour dire que la charge des cavaliers de Rohan dans Le seigneur des anneaux ne vaut pas la charge de Murat à Eylau !

Ce sont treize anecdotes ainsi rappelées, passées souvent sous le radar de la grande histoire. Jean-Marie Cochet, corsaire fait prisonnier des Anglais, a pris la frégate où il croupissait à lui tout seul, ou presque, principalement par des mots. Comment ? Par la revendication révolutionnaire qui a un petit air d’actualité : « Je suis Français, mon gars, bloquer les transports, c’est une seconde nature ».

La bataille d’Auerstaedt a été gagnée sous le nom d’Iéna par Davout avec une avant-garde française, alors que le gros de l’armée autrichienne fonçait sur lui dans un mouvement de revers. Dans le même temps, Napoléon gagnait avec le gros de l’armée française à Eylau contre une avant-garde autrichienne. Chaque armée avait la même stratégie et fait le même mouvement.

La « méthode Masséna » est un truc de contrebandier : quand vous êtes acculé par l’ennemi sur un sommet avec une pente inaccessible, le truc est de glisser sur la cul de cette pente pour se dégager.

Claude-François de Malet, ex-général devenu fou, a fomenté un coup d’État alors que Napoléon était à Moscou en 1812. Les badernes de Paris n’y ont vu que du feu, sauf un, le gouverneur Hulin, qui a éventé le faux grossier annonçant la mort de l’empereur et les plein-pouvoirs au général félon. Comme si l’héritier naturel de l’empire n’était pas avant tout le fils, le roi de Naples.

En 1809, quand l’armée napoléonienne est en butte à la résistance des Espagnols et à l’armée des Anglais, Napoléon envoie la gendarmerie. Mais attention, les gendarmes ne sont pas des policiers, ce sont des militaires. Ils ont l’habitude des coups de main – et Espagnols comme Anglais s’en mordent les doigts. Le sujet est traité en anachronisme, en calquant les pratiques des pandores d’aujourd’hui : contrôle des fers des cheveux, jugés usés, des roues des charrettes, trop lisses, de conduite des carrioles en état d’ivresse, et ainsi de suite.

Lorsqu’on manque de boulet de canon,, quoi de mieux que d’en quémander à l’ennemi ? Il suffit de lui monter de loin ses fesses pour qu’il se mette à en envoyer. Il suffit ensuite des les ramasser pour les réutiliser. C’est ce que fis Daumesnil en 1799 au siège de Saint-Jean d’Acre.

En 1807 en Prusse-Orientale, à Eylau, l’armée française est mal barrée. Les fantassins russes avancent sans compter leurs pertes. Napoléon demande à Murat de composer une cavalerie avec tout ce qu’il trouve et de foncer dans le tas. Plus de 12 000 Français montés déferlent sur les Russes à pied, et repassent dans l’autre sens. Ils enfoncent tout. Ni subtilité, ni stratégie, mais la bonne grosse force, tant prisée des moujiks.

C’est tout le contraire pour le petit tambour d’Arcole en 1796. Lui joue la ruse : impressionner l’ennemi pour qu’il perde le moral. Le gamin traverse le fleuve à la nage pour aller battre la charge côté autrichien. Les soldats croient qu’ils sont encerclés et se débandent. Effrayer l’ennemi avec de la musique, cela se fait encore de nos jours : c’est l’horrovision.

Les femmes ne sont pas en reste, comme cette Agustina de Aragon, jeune espagnole qui a joué les Jeanne d’Arc en repoussant à elle seule les Français qui envahissent le village, à coup de pommes puis de canon. Il suffit d’oser et de surprendre.

Il y a encore les faux roubles de Napoléon, les dents du bonheur qui faisaient réformer pour incapacité à mordre la cartouche, Gaspard Monge, savant et ministre, colosse intenable qui savait pointer le canon, et la frégate de pierre, invention des Anglais face à la Martinique. Faute de navire en nombre suffisant, En 1804, le lieutenant de marine Maurice a fortifié l’îlot rocheux juste devant le port de la Martinique, faisant office de navire interdisant ses eaux. Il a tenu 17 mois avant qu’une flotte franco-espagnole, nettement supérieure en nombre, ne parvienne à l’en déloger.

La grande histoire racontée sur ses marges et à la blague, bien dessinée avec profusion de détails. Un délice à déguster pour Noël et à offrir dès 12 ans.

Prieur, Malgras, Hervieux, Le petit théâtre des opérations : Les guerres napoléoniennes 2, 2025, Fluide glacial éditions, 56 pages, €15,90, e-book Kindle €6,99

Prieur, Malgras, Hervieux, Le Petit Théâtre présente : Les guerres napoléoniennes – écrin tomes 1 et 2, €31,80

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Craig Johnson, Dry bones

Étonnant yankee : l’auteur, Craig Johnson, a fait des études littéraires avant de devenir professeur d’université, mais aussi cowboy, pêcheur professionnels, charpentier et même policier. Il est devenu écrivain en inventant le comté fictif d’Absaroka dans le Wyoming, le long des montagnes Rocheuses. Il est l’auteur de la série best-seller des Walt Longmire, 13 titres à ce jour.

Le shérif blanc Walt Longmire et son adjointe Vic repêchent le cadavre du vieux cheyenne Danny Lone Elk dans l’étang de son ranch. Il est mort mais ne s’est pas noyé. Première surprise. L’autopsie montrera qu’il a été empoisonné. Par qui ? par quoi ? tout est là. Qui aurait intérêt à faire disparaître Danny ? Or vient d’être découvert un énorme dinosaure T-Rex parfaitement conservé nommé Jen, selon le prénom de sa découvreuse Jenny, une jeune femme qui filme tous ses entretiens avec sa caméra miniature. Dont celui où Danny lui vendait le droit de chercher et d’exploiter ses découvertes.

Or le dino vaut sur le marché au moins 8 millions de $. Dès lors, savoir qui est propriétaire des terres où il gît est primordial. Le FBI s’en mêle, sous la houlette du procureur adjoint « suppléant » du comté, qui veut se faire un nom pour se faire élire. Il saisit la bête fossilisée avant de savoir où l’on en est. Le juridique se mêle à l’indianité, dans un contexte de mort violente et de rupture familiale.

Taylor, 17 ans, petit-fils de Danny s’accuse d’avoir donné le whisky dans lequel le poison était. Il veut en finir avec la vie pour expier. Or, ce n’est pas lui qui a mis le poison, et il n’est coupable que d’avoir voulu faire plaisir à son grand-père en lui donnant de l’alcool. Son père Randy le traite avec brutalité, comme lui-même a été traité, ce qui n’arrange pas les choses pour un adolescent sensible et fugueur. Taylor, s’est amouraché de Jenny, pourtant blanche et plus âgée que lui. Il fuit avec elle dans les souterrains de la montagne. Son oncle Enic le protège, par la force s’il le faut.

Walt le shérif fait donc appel à toutes ses capacités de diplomatie pour contenir le procureur adjoint suppléant, le vieil Enic et le jeune Taylor. Il est aidé de ses fidèles, le vieux shérif Lucian Connally et l’Indien Henry Standing Bear. Jenny a disparu et, surprise, Taylor aussi ; iI faut les retrouver avant le coupable du meurtre de Danny. La poursuite sera longue, emplie de scènes cocasses et d’action.

L’écriture fluide, très en dialogues, l’humour distillé sur les relations avec les uns et les autres, les traditions cheyenne, le casse-tête juridique de la propriété entre celui qui habite le terrain, le comté, le statut de réserve indienne, les grands musées qui financent les recherches et l’État fédéral– tout cela fait un cocktail agréable à boire des yeux.

Craig Johnson, Dry bones – Une enquête de Walt Longmire, 2015, Points policier 2021, 378 pages, €8,95, e-book Kindle €6,99

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Jean-Charles, La foire aux cancres

Ce livre, publié en 1962 sous de Gaulle le Grand par Jean Louis Marcel Charles, licencié ès-lettres et prof un temps, prônait une réforme de l’Éducation nationale. Il était agrémenté de « perles » collectées dans les copies, les journaux et les bulletins professionnels pour faire rire et passer la pilule. Il ne s’agissait pas moins que de « payer plus » les profs, d’éliminer latin et grec au profit des maths, d’éviter la litanie des dates en histoire et des fleuves en géographie, d’apprendre les langues vivantes non plus ex-cathedra mais sur le terrain – avec la télé en aide pédagogique. En bref, des idées déjà modernes et toujours sur la table, même si les tablettes et Yousentube (cher au catho Bayrou, ex-ministre de l’éducation) ont remplacé la télé, trop vulgaire et trop privatisée.

Si ce petit pamphlet d’humeur reste dans les mémoires, est toujours réédité et lu aujourd’hui, c’est pour l’humour. Il a même inspiré un film en 1963, La Foire aux cancres de Louis Daquin, avec Jean Rochefort, Jean Carmet, Jean Bouise. Les « perles » des « cancres » sont retenues et citées comme des maximes d’école : les ancêtres vêtus de pauvres bêtes, le livre mes deux seins d’autrefois, les trois grandes époques de l’humanité que sont l’âge de pierre, l’âge du bronze et l’âge de la retraite… Les cancres en question se trouvaient évidemment dans le primaire (il est toujours facile de se moquer des primaires mal dégrossis, mal éduqués, mal comprenant, d’ailleurs ils sont cultivés dans le Midi de la France avec le vin et les tomates, écrit un cancre). Ils se trouvaient aussi dans les examens d’infirmières (« le nerf optique est celui qui amène les idées lumineuses au cerveau »), et même les thèses de médecine (« la médecine a ses limites : on n’a pas encore pu guérir le tropique du Cancer »). Bien-sûr chez nos ineffables politiciens (d’une criante actualité : « Il faut mettre un frein à l’immobilisme qui conduit en courant notre pays au gouffre » – un député), et chez les journalistes-donneurs-de-leçons (« Quatre jeunes soldats font le mur avec une voiture volée » – le Courrier de l’Ouest). Sans parler du fils de l’auteur, Jérôme (champion de France de Rubik’s cube en 1981), qui a raconté le naufrage du Titanic en disant « alors les requins arrivèrent et mangèrent les femmes et les enfants d’abord ». On notera la culture grammaticale et l’usage du passé simple, bien passé… de mode chez les faux-cultureux.

Donc on rit toujours. En Espagne, « sainte Thérèse Dalida » continue de susciter un culte, Henri IV d’être réputé « Vert Galant parce qu’il voulait que chaque Français eût sa poule le dimanche », avant « d’être tué dans un accident de voiture par un fou appelé Cadillac ». Idée reprise en URSS où « il y a des femmes collectives appelées kolkhozes. » Qui se souvient que Mahomet était « fils d’un chef de gare à Vannes », « chauffeur de chameaux », avant de se retirer dans le Coran de 622 ? Quant à l’Égypte, on connaît son histoire « par les fouillis que les savants ont fait » ; « du temps des fanfarons, les vivants embaumaient les morts pour qu’ils ne s’ennuient pas ». La Révolution a « voté la mort du roi Louis XVI à une demi-voix de majorité » avant de le raccourcir « sur l’échafaudage ». Pré-Mélenchonniste, « le Comité de Salut Public fut institué pour venir en aide aux malheureux. Il existe encore sous le nom d’Armée du Salut ». Pré-restrictions budgétaires ou pré-68, « les soldats de la République marchèrent tout nus en criant : ‘Vive la Liberté’ ! » Rassurons-nous sur le destin de Mélenchon : « Marat fut assassiné par Charlotte Brontë et Robespierre vit sa tête tomber sur l’échafaud. Son successeur qui s’appelait Thermidor fut remplacé par le Directoire ».

Mais on rit jaune. Car ces bourdes crient le manque d’instruction, les profs qui articulent mal, qui ne font pas répéter, qui n’écrivent pas le nom au tableau. Je me souviens en sixième d’une prof remplaçante en français qui nous fit faire une dictée. Elle avait l’accent du sud-ouest et parlait donc mal le français académique. « Une grand-mère entièrement coloriée posée sur le fauteuil », énonçait-elle. Cela nous avait interloqués ; nous avions été plusieurs à lui demander de répéter la phrase : « une grand-mère entièrement… » C’était insolite, surtout le mot « entièrement » (était-elle très maquillée ?), mais plausible : après tout, une grand-mère posée sur un fauteuil avait du sens, ce qui n’aurait pas été le cas si cela avait été un buffet ou un guéridon. Donc « grand-mère ». Et paf ! Grosse faute ! C’était « grammaire » qu’il fallait écrire. Faute injuste, car due au parler régional de la prof émigrée en Île-de-France, hors de ses élèves natifs. Depuis, je n’ai jamais pu saquer les profs-qui-savent-tout-et-qui-notent s’ils avaient un accent déformant le français standard. On dit gram’maire et pas grand-mère, méd’cin et pas mes deux seins – c’est écrit en phonétique dans les dictionnaires.

Ce qu’il faut tirer de ce recueil de perles est surtout cette façon stéréotypée de réagir à ce qu’on connaît mal ou pas du tout : on brode, on invente, on déforme. Mais jamais par hasard. Je l’ai montré en son temps dans ma thèse sur l’URSS dans la presse française : on n’invente qu’à partir de ce qu’on connaît, un vrai biais cognitif. Après tout, Ravaillac ressemble à Cadillac, et c’était effectivement lors d’un accident de la circulation qu’il a pu être tué. Les fouilles archéologiques font en effet assez fouillis à qui n’y connaît rien. Et les femmes et les enfants d’abord est la scie qu’on crie à chaque naufrage. Les cancres las ont hélas fini de rire.

Jean-Charles, La foire aux cancres, 1962, J’ai lu 1999, 122 pages, €1,66, e-book Kindle (édition revue et augmentée) €8,49

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Complot de famille d’Alfred Hitchcock

Pour son 52ème et dernier film, Alfred Hitchcock fait interagir deux couples opposés et dissemblables. Le premier est celui de branquignols, une « voyante » tête à claques et son benêt de chauffeur de taxi qu’on dirait échappé d’un collège – et le second celui d’escrocs sans scrupules qui préparent, enlèvent et demandent une rançon en diamants pour de grands personnages. Comment vont-ils se télescoper ? Parce qu’une vieille dame de 78 ans, au bord du néant, a des remords d’avoir jadis forcé sa sœur à abandonner son enfant illégitime pour préserver la réputation de la famille.

Tout commence par le grand guignol de Madame Blanche (Barbara Harris), voyante extra-lucide, qui monte dans les aigus lorsqu’elle évoque la sœur disparue de Miss Rainbird (Cathleen Nesbitt, 88 ans) : « Hoo ! Hoo ! Hou ! Hou ! Hou ! » Qui donc, sinon une vieille bique travaillée de tourments, croirait à ces simagrées ? Mais la Blanche en rajoute, prenant une voix de rogomme pour évoquer « Harry » – et soutirer des renseignements inconscients à la Rainbird. Elle a fait enquêter George, son compagnon chauffeur de taxi et détective d’occasion (Bruce Dern), pour obtenir quelques informations auprès des relations de la trop riche vieille fille qui se repent et veut reconnaître son neveu afin de lui léguer sa fortune. C’est qu’il y a à la clé pour Blanche un beau gros chèque (the one big beautiful comme dirait Trompe en vulgaire yankee) : pas moins de 10 000 $ pour toute information venue de l’au-delà. Il s’agit de retrouver le fils bâtard, donné jadis à un couple qui ne pouvait avoir d’enfants via le chauffeur de la famille. La bique se souvient, maintenant que l’au-delà la sollicite : c’étaient les Shoebridge, et leur maison a brûlé lors d’un incendie, ils sont morts mais le corps du garçon, 17 ans alors, n’avait pas été retrouvé.

George enquête au cimetière. Il y a justement deux pierres, l’une avec le couple Shoebridge, l’autre avec Edward Shoebridge seul. Avec la même date de décès, 1950. Sauf que la plaque d’Edward est manifestement plus neuve que celle de ses parents adoptifs. Le graveur de pierres tombales retrouve la facture, elle date de 1964 et a été payée en liquide par un certain Jo (Joseph) Maloney (Ed Lauter). George enquête dans l’annuaire et trouve un garagiste à dépanneuse, comme décrit par le graveur. Mais le type se méfie des questions trop précises de « l’avocat » à la pipe à la tignasse en bataille et le corps dégingandé d’un étudiant attardé. Il a de quoi de faire du mouron : c’est lui qui a mis le feu à la maison Shoebridge !

Mais avec la complicité de son âme damnée de bâtard, Edward, qui a voulu se débarrasser des vieux pour être enfin libre d’épancher ses mauvais instincts. Il a changé de nom et se fait appeler désormais Arthur Adamson – fils d’Adam, autrement dit de lui-même – (William Devane) ; il est devenu joaillier et diamantaire, avec un commerce dans une rue chic. Il adore ce qui brille et entraîne sa compagne Fran (Karen Black) dans ses mauvais coups, préparés avec un soin maniaque : planque cachée dans la cave derrière un mur de briques dont l’une recèle la serrure, enlèvement rapide sous déguisements à l’aide d’une seringue qui injecte un soporifique et d’une voiture noire disposée tout près, demande de rançon et procédure sophistiquée pour être intraçable, planque des diamants (bien en évidence comme chez Edgar Poe) avant la revente retaillée sous forme de petites pierres plus facilement écoulées.

Fran va chercher la rançon sous la forme d’une grande blonde avec des bottes noires (allusion au film français d’Yves Robert sorti en 1972, avec un Pierre Richard qui ressemble à George, Le grand blond avec une chaussure noire). Mais tout est faux : la femme aux yeux rapprochés tels qu’on dirait qu’ils louchent, est brune et ne porte pas de talons. Si elle aime l’adrénaline du suspense, elle déteste qu’on tue, contrairement à Arthur/Edward qui a jusque-là laissé faire son ami d’enfance Maloney.

George et Blanche recherchent Edward Shoebridge reconverti en Arthur Adamson pour lui annoncer une bonne nouvelle : l’héritage Rainbird. Arthur et Fran veulent à tout pris éviter les détectives amateurs pour ne pas être sous le feu des projecteurs et rattrapés par leurs enlèvements. Deux couples opposés, deux situations incompatibles, voilà du beau cinéma. Tout ce qui est trop préparé échoue. La tentative de meurtre de George et Blanche en sabotant les freins de leur Ford sur une route de montagne – Maloney se fait prendre à son propre piège et quitte la route pour finir grillé en contrebas. La tentative de meurtre de Blanche après qu’elle ait découvert l’adresse d’Adamson, se soit plantée comme une gourde devant le garage du couple, ait découvert l’évêque enlevé dans l’auto, et se soit fait piquer et planquer – mais elle a laissé un renseignement au portier d’hôtel pour le taxi de George et un mot sur la porte d’Adamson que trouve son compagnon, ce qui lui permet de pénétrer dans la maison par un soupirail de cave. Là, il entend les Adamson rentrer et évoquer Blanche, que lui veut tuer en simulant un suicide par le tuyau d’échappement de sa propre voiture.

Blanche joue l’inconsciente mais a bien capté les conversations. Profitant que le couple entre dans la planque pour la porter inconsciente dans la voiture, elle s’enfuit avec grands bruits d’au-delà et les enferme. Puis elle joue la transe devant son compagnon béat pour « trouver » le diamant caché en évidence – avec un clin d’œil au spectateur à la fin, tandis que George appelle triomphalement la police pour la bonne nouvelle – et Miss Rainbird pour la mauvaise.

Une bonne intrigue habilement menée, de l’action et de l’humour, des personnages bien typés, tout cela fait le succès du film que l’on peut voir et revoir. C’est moins le dénouement qui compte que la progression de l’histoire et les relations entre les protagonistes. Pour ma part, je l’ai déjà vu quatre fois au fil des années, avec autant de plaisir.

DVD Complot de famille (Family Plot), Alfred Hitchcock, 1976, avec Barbara Harris, Bruce Dern, Ed Lauter, Karen Black, William Devane, Universal Pictures Home Entertainment 2017, doublé anglais, français, 1h55, €6,55, Blu-ray €7,00

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Alfred Hitchcock déjà chroniqué sur ce blog

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Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi

La femme qui dit « je » est doctoresse en Angleterre avec 1200 patients ; elle se trouve « bonne » avec bonne conscience. Son mari David fait dans l’écriture à la maison, des brochures d’entreprise et la rubrique de l’Homme le plus en colère d’un journal local ; il s’en prend aux vieux qui n’ont jamais la monnaie dans le bus et qui ne s’assoient jamais aux places qui leurs sont réservées. Ils ont deux gosses, Tom, 10 ans et Molly, 8 ans. Un jour, alors qu’elle se trouve dans un parking à Leeds et qu’elle appelle pour que son mari fasse un mot pour Molly, elle lui annonce qu’elle ne veut plus être sa femme.

Ainsi commence le quatrième roman de l’humoriste le plus connu du Royaume-Uni, auteur de Haute fidélité, A propos d’un gamin et autres actualités dont on a fait des films. J’en ai parlé sur ce blog (voir à la fin de la note). Kate a un amant, Steven, mais c’est plus par hygiène que pour refaire sa vie ; elle ne tarde pas à le larguer, bien qu’il vienne carrément à la maison en discuter avec David et elle. Kate, épouse depuis vingt ans du même homme, en a tout simplement marre, la quarantaine venue, de cette vie. Aime-t-elle ses enfants ? Elle n’en a guère le temps et ne les apprécie pas plus que cela – avoir des enfants, « c’est ce qui se fait », c’est tout. David et Kate sont un couple banal des années 80, révolutionnaires dans leur jeunesse et de gauche depuis, lisant The Guardian et suivant les Grandes causes à la mode. Mais bon…

David, qui s’occupe de la maison et des enfants, décide d’évoluer. Avisant par hasard un guérisseur qui se fait nommer D.J. GoodNews (disc jockey Bonnes nouvelles), il se fait masser et ses douleurs au dos disparaissent ; pareil pour sa fille Molly qui a mal à la tête. Il décide alors de copiner avec le gourou, petit homme aux mains magnétiques qui arbore deux tortues « d’eau » en piercing dans ses sourcils. Cela le change radicalement. Avec GoodNews, il décide de voir la vie autrement : non plus comme un stressé en colère contre le monde entier (donc de cette gauche réactionnaire pleine de ressentiment qui sévit dans les années 80 à 2010 en Angleterre comme en France), mais de vivre à son niveau le bien qu’il peut faire aux autres (une gauche plus écolo et plus humaine, issue de la moraline chrétienne, mais aussi de sa niaiserie).

C’est la révolution permanente. David décrète que GoodNews peut s’installer à la maison, puisqu’il y a une chambre de libre et qu’ainsi ils pourront mieux travailler ensemble. David décrète, à la majorité qualifiée de trois contre un, que Tom devra donner son ordinateur à l’association des femmes battues, puisque la maison a trois ordinateurs et qu’il n’est pas décent d’avoir trop. David décrète, de même, que les jouets superflus, mais aussi ceux qu’on préfère, doivent être donnés à ceux qui n’ont rien (Lépludémuni de Maman Ségolène). En bref, David incarne dans sa chair le politiquement correct de son époque et désoriente son épouse médecin qui croit agir pour le bien des autres. « Il ne s’agit pas du mal que tu as fait mais du mal que nous faisons tous. – Qui est ? – On ne partage pas assez avec les autres. Chacun s’occupe de soi et ignore ceux qui souffrent. Nous reprochons à nos politiciens de ne rien faire pour eux, pensant que cela suffit à montrer que le sort de tous ces pauvres gens nous tient à cœur, alors que nous continuons à vivre dans des maisons qui ont le chauffage central et sont beaucoup trop grandes pour nous » p.96

David décrète donc qu’il va « organiser une fête » (tellement à la mode!) pour convaincre les gens de la rue d’accueillir un SDF chez eux dans leur chambre d’ami. Et ça marche ! Ou plutôt, six personnes sur quarante adhèrent au projet. Trois garçons et trois filles, tous adolescents et paumés, sont amenés en bus et répartis dans les maisons. Mais cela ne dure pas ; le premier se fait la malle avec un caméscope, un bracelet qui traînait et l’argent de réserve ; le second part vite retrouver sa mère ; une fille retourne sur le trottoir plutôt que de subir la morale d’une vieille ; seules deux résistent, dont la fille accueillie par un couple gay (pas un garçon, pour éviter les tentations…). Humour anglais : les bons sentiments ne résistent pas aux dures réalités.

Et c’est ainsi que Kate, qui ne se décide pas à quitter David, finit, sur un coup du sort, de rester. Et que David, qui s’aperçoit vite que ses idées de bonté dérivent dangereusement pour l’équilibre de la famille et des enfants, met du lait dans son thé. D.J. GoodNews est viré (avec égards), les enfants ne sont plus obligés d’inviter leurs pires ennemis (la Hope qui pue, le Christopher demeuré), ni de donner leurs affaires à ceux qui n’en ont rien à foutre. Et la vie reprend, banale, avec ses hauts et ses bas, mais normale. Faire le bien commence par celui de sa famille. Les Grandes causes doivent le rester – aux associations et aux politiciens de s’en occuper, chacun son niveau. Kate continue de soigner et David d’écrire : ce sera un livre – La bonté, mode d’emploi.

Une réflexion plus profonde qu’elle ne paraît sur le « tu dois » de la moraline de gauche, les bons sentiments tenant lieu de politique. Comment être « bon » sans être une poire ? Faut-il « tendre l’autre joue », tout quitter pour suivre un gourou, se dépouiller pour vêtir ceux qui sont nus ? Faut-il suivre les admonestations des prêtres (qui se gardent bien de le faire), et des penseurs de gauche (qui restent bien confortablement dans leurs bureaux) ? Ou faut-il penser par soi-même, et pratiquer la bonté selon ses moyens personnels, avec des gens choisis, et non selon un idéal abstrait sans effet sur la société ? Faire couple, c’est déjà dresser une barrière avec les autres ; élever des enfants, c’est déjà les préférer à tout autre. Être « bon » commence par la base : ses proches, de proche en proche, et pas n’importe qui. Être « bon », c’est faire le mieux que l’on peut avec ce que l’on sait faire : soigner par la médecine, écrire des textes qui font penser. Pas des leçons à donner aux autres, ni de se conforter à être bien-pensant.

Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi (How to be Good), 2001, 10-18 2010, 288 pages, €3,18, e-book Kindle €9,99

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Arthur Conan Doyle, Son dernier coup d’archet ou Quand tombe le rideau

Avant-dernier recueil de sept nouvelles (huit en livre de poche) sur les aventures de Sherlock Holmes, contées par son ami le docteur John Watson. Presque dix ans pour les écrire – il faut dire qu’il a publié autre chose et que la Première guerre mondiale a éclaté. Son fils Kingsley et son frère cadet Innes n’en reviendront pas vivants.

Le rideau tombe sur la carrière du détective, avec sa retraite dans la dernière nouvelle – où il reprend finalement du service pour servir la patrie et contrer un espion allemand particulièrement doué. Parfois traduit en français par Son dernier coup d’archet, His Last Bow signifie aussi son dernier salut. Mais ce ne sera pas le dernier, un autre recueil de nouvelles paraîtra sous le titre d’Archives en 1927. Comme quoi on ne peut jamais se quitter.

Aucune cohérence, toujours la variété des sujets et des personnages, bien que toute aventure commence habituellement dans le salon confortable du 221b Baker Street – ce qui me rappelle que j’ai habité « moi aussi » (Mitou) un numéro 21 rue des Boulangers, mais à Paris. Les grands esprits se rencontrent toujours.

Dans la première nouvelle, Sherlock s’est retiré dans une ferme du Sussex pour élever des abeilles ; dans la dernière, il « offre » à son espion du Kaiser l’opuscule qu’il a fait paraître sur le sujet – en lieu et place des codes exigés. Mais l’Histoire rattrape le détective. Le début du XXe siècle est moins paisible que la fin du XIXe ; le Premier ministre intervient en personne par deux fois auprès de Holmes, et l’on apprend que son frère Mycroft est une sorte d’éminence grise du pouvoir, au-delà des partis, et qu’il dispose de moyens importants. Les Anglais apparaissent mous, mais il ne faut pas s’y fier, confie Conan Doyle. Il fait parler le secrétaire chef de la Légation allemande au Royaume-Uni le baron von Herling : « C’est leur simplicité de façade qui constitue un piège pour l’étranger. La première impression qu’on éprouve est celle d’une absolue mollesse. Puis on se heurte soudain à quelque chose de très dur et l’on sait alors qu’on a atteint une limite et qu’il faut s’adapter à ce fait. » L’écrivain se fait patriotique.

Holmes continue à se déguiser, feignant même parfois le malade à sa dernière extrémité pour piéger un adversaire coriace. Mais il fatigue, il a des rhumatismes – il est âgé d’une soixantaine d’année sur la fin. Il n’est plus le fringuant jeune homme des débuts, même si sa mécanique intellectuelle n’est pas rouillée. Les criminels, en revanche, prennent du poil de la bête avec l’autoritarisme montant des puissances centrales, Allemagne du Kaiser, Russie du Tsar, Italie des sociétés secrètes, Amérique de l’explosion capitaliste. Mortimer Tregennis, bien qu’indubitablement anglais, n’hésite pas à sacrifier toute sa fratrie par vengeance sur le partage de l’héritage ; Giuseppe Gorgiano, le mafieux napolitain amoureux de la femme d’un compatriote à New York, ne recule devant rien pour la lui voler (et la lui violer).

En bref, de l’action, de la réflexion, des adversaires prêts à tout et un duo de détectives qui se complètent, dans les brumes épaisses de Londres ou les collines fleuries du printemps des Downs. Avec un ton qui manie parfois l’humour… « Quand bien même il s’agirait du diable en personne, jamais un agent de police en service ne devrait remercier Dieu de n’avoir pu lui mettre la main dessus. » Ainsi l’inspecteur Baynes morigène-t-il l’agent Walters dans Wisteria Lodge. La phrase est assez subtile, quand on la relit bien.

Sir Arthur Conan Doyle, Son dernier coup d’archet (His Last Bow : Some Reminiscences of Sherlock Holmes), 1917, Livre de poche 1993, 253 pages, €4,60, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet

Le second plus gros succès international d’un film français en langue française, 32 millions d’entrées dans le monde, 59 récompenses… Que reste-t-il, 25 ans après, de la fusée Amélie Poulain ? J’ai revu le film, dont je n’avais pas été vraiment sensible au charme la première fois. Je ne le suis pas plus cette fois-ci. Certes, le thème est original, les scènes rapides, les potacheries et les paradoxes sans nombre. Mais les aventures improbables d’une sociopathe élevée par deux névrosés ne peuvent qu’être une idéalisation sans lendemain.

Le genre « ça fait du bien » marque le déni de réalité de la société française, pourtant bien dans ses baskets (rouges) sous Chirac président et Jospin premier ministre. Juste avant le 11-Septembre et la chute brutale dans la paranoïa américaine, dont les conséquences se font jour avec le Caligula Tromp Deux et son équipe de ploucs désaxés, néo-fascistes par ressentiment profond. L’abus du filtre jaune par le directeur de la photo dans le film fait de Paris une ville au coucher de soleil permanent (alors qu’il y pleut souvent), tandis que le métro baigne dans une atmosphère verdâtre où évoluent de rares passagers tels des bébés nageurs (alors qu’il est bondé souvent). Nous sommes dans la BD, pas dans le réel.

Amélie mêle-tout (Audrey Tautou) a du mal avec les relations humaines, mais elle adore se mêler de celles des autres. Jusqu’à leur faire du « bien » malgré eux, car elle se croit responsable du malheur du monde. Un adulte taré lui a dit à 6 ans que des accidents se produisaient à chaque fois qu’elle était là, comme la mort de sa mère. Elle a pris dès lors une propension « progressiste » du politicien théoricien qui-sait-mieux-que-vous-ce-qui-est-bon-pour-vous. Typique du socialisme au pouvoir durant cinq ans, au point d’exaspérer les électeurs, qui lui préféreront Le Pen au second tour en 2002… avant de reculer, effrayés de leur audace. Heureusement, Audrey Tautou fait tout : cette jeune fille fraîche et simple, au visage expressif et à la coiffure de jeune garçon, plaît à tout le monde. Elle est la Parisienne pour les étrangers, avec ses grosses pompes de mec noires, selon la mode brutasse du temps, et son rouge à lèvres très rouge.

Le fabuleux destin est une carte postale pour Visit France, Montmartre à l’honneur avec sa bouteille de butane en guise d’hommage catho tradi sur la butte, pour expier la révolte de la Commune et la première défaite contre les Boches (il y en aura d’autres). Pourtant, le réalisateur présente la Butte comme une tanière de fous. Tout le monde est blanc, sauf Jamel Debbouze en victime du racisme ordinaire d’un épicier misogyne et célibataire (Urbain Cancelier), l’affreux Collignon. Mais tout le monde est décalé, névrosé, abîmé (au fond, seul l’arabe, « pas un génie » dit la voix off, semble sain d’esprit). Raymond aux os de verre (Serge Merlin) ne sort jamais et peint une fois par an depuis vingt ans la même copie de Renoir, le Déjeuner des canotiers, une guinguette où il rêverait d’être. La concierge Madeleine (Yolande Moreau) pleure comme une fontaine Wallace à cause d’un mari disparu il y a quarante ans. La patronne du café Les deux moulins où travaille Amélie, Suzanne (Claire Maurier), ne peut vivre l’amour à cause d’une jambe amputée, et elle surveille les amours des autres. Le comptoir du tabac voit Georgette (Isabelle Nanty), malade imaginaire à force de se triturer les méninges faute de sexe. Joseph (Dominique Pinon) est un pilier de bistro qui passe son temps à surveiller Gina la serveuse (Clotilde Mollet), avec qui il a eu une fois une liaison. Lucien le commis d’épicerie (Jamel Debbouze), traité de crétin et trisomique, sert de souffre-douleur pour se faire valoir et reste obsédé par la Didi, princesse de Galles écrabouillée dans sa Mercedes sous le tunnel de l’Alma. Le client Hipolito (Artus de Penguern) s’exhibe au bar en écrivain toujours apprenti, dont les manuscrits sont refusés car racontant l’éternelle histoire de l’époque : celle du nombrilisme, un jeune branleur qui ne fout rien et croit son histoire digne d’intéresser tout le monde. Nino Quincampoix (Mathieu Kassovitz) est un collectionneur maniaque et lunaire, circulant en mobylette dans un Paris quasi sans voiture, et qui bosse dans une sex-shop ; il est obsédé par les clichés ratés de photomatons qu’il va chercher dans les poubelles et sous les cabines ; il veut découvrir l’identité de l’homme chauve aux baskets rouges qui laisse des traces dans tous les photomatons de la capitale.

La jeune serveuse Amélie découvre, un matin qu’elle se met du parfum (pour qui ?), une boite de gâteau en métal derrière une plinthe de sa salle de bain. Un jeune garçon l’a cachée là quarante ans auparavant et elle contient des trésors de gosse : une voiture de course miniature, des secrets. La sociopathe décide d’en savoir plus : elle interroge la concierge, qui la renvoie à l’épicier, lequel l’envoie à sa mère, une véritable encyclopédie cancanière du quartier. C’est le vieil homme de verre qui lui déniche enfin le nom et l’adresse, que lui a probablement livré le « crétin » Lucien (qui ne l’est donc pas tant que ça). Amélie décide alors de faire du bien à ce gamin inconnu devenu adulte d’âge mûr (Maurice Bénichou). Plutôt que de l’aborder, elle l’espionne, pose la boite dans une cabine téléphonique (du genre qui n’existe plus) et téléphone dans le vide à son passage. L’appel du téléphone est irrésistible dans tous les films, même si la personne sait que c’est un harceleur ; l’homme décroche, elle raccroche. C’était juste pour qu’il voie sa boite. Il la découvre, l’ouvre, en est heureux. Et d’un !

Elle va faire ensuite le bonheur de la concierge en lui volant ses lettres d’amour et concoctant avec des ciseaux et une photocopieuse une lettre ultime où son mari lui dit venir la retrouver, lettre que la Poste distribue après quarante ans parce qu’elle provient d’un avion écrasé dans les Alpes – où est censé avoir disparu ledit mari amoureux. Et de deux !

Suivra l’homme de verre, avec qui elle échange des cassettes vidéo de scènes désopilantes et diverses pour le sortir de sa coquille. Ensuite Georgette et Gina, puisqu’en livrant sa consommation à Joseph, elle le persuade que la première est amoureuse de lui et pas l’autre ; ce qui aboutira à une scène d’anthologie, la baise hard dans les toilettes avec Georgette, qui fait trembler le bar et siffler le percolateur au moment de l’orgasme. Elle écrira sur un mur des mots d’Hipolito, lus dans son manuscrit impubliable. Pour son père (Rufus), qui ne l’a jamais touché que froidement sur geste médical et qui se morfond à la retraite dans son pavillon de banlieue en pierre meulière, elle fera voyager son nain de jardin via une hôtesse de l’air qui revient chaque fois au bar, lui envoyant une photo instantanée du nain devant un monument (prélude à ces selfies fétichistes des blogs des années 2000) ; son père finira par désirer voyager lui aussi et se sortir de son marasme mental. Puis ce sera le tour de Lucien qu’elle venge en s’introduisant chez le vil Collignon pour lui saccager ses habitudes : décalage du réveil à 4 h du matin, inversion du dentifrice et de la crème pour pieds, échange de la poignée des toilettes, ampoule grillée, tige de métal dans un fil électrique pour faire court-circuit, modification de la touche d’appel Maman sur le téléphone par celle des Urgences psychiatriques… Du drôle, du potache, du mesquin.

Mais l’acmé est pour Nino, le collectionneur maniaque. Elle va lui retrouver son album perdu et son chauve à baskets rouges ; elle va le retrouver lui-même, après un jeu de piste où elle se photomatonne en Zorro adolescent après l’avoir traqué à la Foire du trône où il œuvre comme squelette attoucheur. Elle aura enfin trouvé l’amour, après ces rituels névrotiques interminables.

Tout ça pour ça : est-ce que « ça fait du bien » ? J’y vois surtout l’inadaptation des urbains solitaires, mal élevés et perdus dans la grande ville, asservis aux petits boulots routiniers sans avenir, soumis à leurs tares psychiatriques. Ils ont la lâcheté de se laisser aller et le seul courage de ne rien faire pour s’en sortir. Sauf Amélie. C’est ça le message ; elle est un passeur. La musique de Yann Tiersen rythme bien ces dérives successives, décrites selon un humour dérisoire, bien porté par les acteurs secondaires. Ainsi la mort de maman, d’une chute d’une suicidée du haut de Notre-Dame lorsqu’Amélie avait 6 ans, son cœur qui bat la chamade lorsque son père l’ausculte, lui qui ne la prend jamais dans les bras à cet âge tendre. Le son lui aussi est passeur d’émotion.

Un film léger, agréable, dont il ne faut pas attendre trop.

DVD Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001, avec Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Michel Robin, Rufus, Serge Merlin, UGC 2019, français, 2h01, 9,99Blu-ray €15,00
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Pierre Billon, L’enfant du Cinquième nord

J’ai retrouvé par hasard un roman « précurseur de la science-fiction québecoise », comme on le dit encore là-bas. Écrit en 1980, il a été publié à Montréal en 1982 et, dans la foulée en France, doté l’année suivante du grand prix de la SF française, et d’une édition en poche l’année qui a suivi.

Comment expliquer cet engouement pour ce roman intimiste, entre enquête quasi policière, relations familiales, et spéculations physiques sur les particules ? Par l’attrait de la nouveauté pour la littérature francophone ? Par la fraîcheur d’un écrivain du Canada ? Par la passion pour la SF à la fin des années 70 ? Par le sujet – grave – qui mêle enfant, cancer, militaires et espoir de guérison ?

Florence, 6 ans, est diagnostiquée cancéreuse. Un drame dans ces années-là, où l’on savait peu de choses sur cette prolifération anarchique des cellules. Une sorte de malédiction biblique qui naît sournoisement sans que l’on sache pourquoi, et liquide en quelques mois. Daniel Lecoultre a deux enfants, un fils de 16 ans et une fille de 7 ans ; il est divorcé, sa femme préférant vivre à New York, ville plus vivante où elle rencontre du monde. Le père, lui, est dévasté. Il va voir chaque jour sa petite Florence à l’hôpital Memorial d’Ottawa.

Le quartier des enfants est appelé « le Cinquième nord ». Il est le plus triste car ces petits innocents vivent leurs derniers mois, condamnés par le Crabe. Parmi eux, Max Siebert, un garçon de 10 ans au lit voisin de Flaorence. Il est étrange car il ne parle quasiment pas, se faisant plutôt comprendre par la pensée. Florence y est beaucoup attaché. Mais, peu à peu, les instruments, l’électronique, les jouets, les objets se dégradent, une lèpre attaque même les murs ; les ordinateurs de l’hôpital sont en partie effacés, les lits s’écroulent. Seul ce qui est organique est préservé, sauf les dérivés du pétrole, liquide ou plastique.

Max, de qui tout vient selon les médecins, est d’abord isolé, mais le Dr Davis l’autorise à jouer avec les autres quinze minutes par jour. Ce qui va les sauver… Quand les enfants sont évacués, inexplicablement, ils sont stabilisés, puis guérissent. Cet état est dû à la présence de Max qui, dès lors, devient un objet de recherche scientifique. Les labos capitalistes rivalisent de dollars pour financer des recherches ; les labos de l’armée américaine rivalisent de dollars – et de pressions diplomatiques – pour « acheter » l’enfant au Canada et le faire servir à leur quête d’une arme nouvelle. Transféré dans le Grand nord canadien pour éviter que la dégradation des choses altère le pays, l’enfant est convoyé en avion jusqu’à une base militaire américaine – où il n’arrivera jamais.

Car « l’effet Siebert » se fait sentir au bout de quelques heures, les instruments de navigation perdent le pilote, qui atterrit sur le ventre. Max sait qu’il va mourir. Lui, l’enfant né d’une relation incestueuse en Suisse avec le frère et la sœur, désire quitter ce monde où il détruit la matière. La carlingue se déglingue, les vêtements se désagrègent ; le temps que les secours arrivent, dans la tempête, les passagers sont morts. Seuls survit un spécialiste informaticien qui croit plus son intuition que les protocoles, et qui a éloigné la balise de détresse de l’avion suffisamment pour qu’elle ne soit pas détruite, comme le reste.

Mais d’où vient ce pouvoir ? Crier au miracle n’explique rien, c’est plutôt un renoncement à comprendre. Il y a forcément une explication physique, ce qui est une autre façon de dire un miracle, puisque c’est Dieu qui a créé les lois physiques et leurs effets. Daniel fait la connaissance de la doctoresse Davis, médecin-chercheur qui s’est attachée à Max et suit Florence ; puis du vieil industriel Olivetti, cadavre ambulant qui adore emmerder les médecins et leurs prédictions sur sa santé, mais qui finance une Fondation sur la recherche sur le cancer ; puis de l’informaticien improbable au nom imprononçable, Kenneth Hnatzsynshyn, qui pense autrement la science et n’hésite pas à faire appel aux aurores boréales, aux dinosaures, à la comète de Halley, pour expliquer l’effet Siebert. Une histoire de particules chargées.

Le tout n’aura duré qu’un an, mais le narrateur père et ses deux enfants auront acquis plusieurs années de maturité avant de recommencer une nouvelle vie, tournée vers l’avenir et la tendresse. Car, ce qui est rarement présent à cette époque dans les livres, est l’attachement du père pour ses enfants, malgré le divorce. Ce qui est aussi rare dans la SF est cet humour, constant chez le narrateur lorsqu’il évoque ses contemporains, « l’honorable » filou Butler, ministre et son patron, les mendiants jamaïcains en vêtements neufs, ou le peuple premier Ojibwa, chassé de ses terres ancestrales par la base militaires et descendus vers le sud. « Des familles entières s’établissait dans les grands centres, où les adultes faisaient bientôt profession de chômeurs et d’assistés sociaux. Ceux qui s’en sortaient le mieux étaient les adolescents des deux sexes, dont la prostitution nourrissait le reste du clan. »

A quoi sert la recherche scientifique ? Au bien des humains, à l’ego des pontes, aux bénéfices de labo pharmaceutiques, à l’avidité des militaires ? A quoi servent les politiciens ? Au bien public, à leur propre ego, à la gloire de leur parti ? Sans parler de ceux qui vendent de l’espoir par des traitements fort chers et sans effet, comme la macrobiotique, les bains glacés et autres cures de vitamines – contre le cancer…

Une satire sociale, une théorie de science-fiction, l’exemple d’une grande tendresse familiale – un humanisme qui ne se dément pas. Aujourd’hui, cela fait un peu sourire, sachant que les politiciens sont encore plus pourris, que leur ego prend des dimensions Trompesques, que les partis deviennent de sectes intolérantes et vengeresses énonçant fausses vérités sur mensonges, et que la famille est souvent déglinguée, agrégat d’égoïsmes et de sévices où, trop souvent, les enfants trinquent. A lire pour ce décalage.

Pierre Billon est un Suisse canadien diplômé en sciences de l’éducation qui a travaillé dès 1970 comme premier conseiller au ministère de la Culture et des Communications à Ottawa. Il a désormais 87 ans.

Grand prix de l’Imaginaire (alors appelé « grand prix de la science-fiction française ») 1983

Prix Boréal

Pierre Billon, L’enfant du Cinquième nord (The Children’s Wing), 1982, Points poche 1984, 320 pages, occasion €4,41, e-book Kindle €8,99

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Martha Grimes, Le collier miraculeux

Un collier qui est un pub dans l’East End londonien et un qui est volé à une soixantaine de kilomètres de Londres, dans un village à la mode. S’il est « anodin » en anglais, il se transmute en « miraculeux » en français – mystère du traducteur. De fait, il est d’émeraude de fine eau, presque bleue, gravée en Égypte. Mais ce n’est pas ce qui importe. Malédiction de l’argent ou pas, il a tué, par deux fois, deux jeunes filles. Une fois à Londres dans le métro, une autre fois à une soixantaine de kilomètres, dans le village. Un chien a retrouvé un doigt, qu’une vieille fille a pris pour un os, avant de hurler et de prévenir « la police ». Qui n’est, dans ce petit village de Littlebourne, que municipale en la personne d’un agent unique, Peter Gere.

Le divisionnaire du Yard Racer arrache le commissaire Jury à son projet de week-end à la campagne, dans la propriété de son ami le douzième comte Ardry, lequel a renoncé à ses titres pour se faire appeler simplement Melrose Plant. Scotland Yard se doit d’enquêter sur ce meurtre sanglant d’une jeune fille, ce cadavre aux doigts coupés à la hache dans la forêt marécageuse où ne vont que les ornithologues fanatiques. L’enquête sera longue et hachée entre Londres et Littlebourne, et suffisamment tordue pour que le lecteur soit content, mais seulement à la fin.

Le sel de ce roman policier est ailleurs. Il réside dans la caricature des bons Anglais vus par une Américaine de l’Ohio, docteur ès lettres. Tout le village y passe – tout le monde se connait, à commencer par l’irascible et insupportable famille de sir Miles Bodenheim, qui se prend pour un Trump de village, imposant ses vues, parlant haut et fort, injuriant tout le monde, à commencer par les fonctionnaires de la poste ou de la police, à se demander pourquoi on les paye. Seule Emily Louise Perk échappe à leur snobisme et à leur mépris, parce qu’elle a 10 ans, pas les yeux dans sa poche ni sa langue, et qu’elle soigne admirablement les chevaux et poneys de ces aristos. Il y a aussi les sœurs Craigie, la forte en gueule qui aime les oiseaux et traque à la jumelle dans la forêt tous les matins la marouette ponctuée, et l’effacée au museau de mulot qui joue les diseuses de bonne aventure lors de la fête du village. Miss Pettigrew tient un salon de thé où l’on cause, la place du village n’étant qu’un estomac de la Grand-Rue, spécialiste des muffins à la carotte ou aux aubergines (!). Polly Praed au regard violet, est autrice de romans policiers d’une banalité déconcertante, mais forte en imagination pour tuer de multiples façons littéraires les quatre Bodenheim.

Chacun a reçu sa lettre anonyme, écrite au crayon de couleur, chaque missive d’une couleur différente, les accusant de diverses incongruités. Est-ce le fait du tueur ? Ou de la tueuse ? Mais à qui profite le crime ? Il se trouve que le secrétaire de lord Kennington a disparu il y a quelques mois avec un collier d’émeraude de grande valeur ; il l’a sans doute volé, après avoir fait main basse sur plusieurs autres bijoux du collectionneur invétéré qui croyait les avoir égarés. Mais où est-il ? Nul ne sait rien, ni du voleur, ni du bijou. Ils se sont comme volatilisés.

Sauf que des indices concordant relient Londres et Littlebourne, et que Jury va enquêter aux deux endroits. Les filles tuées se connaissaient, l’assassinée du bois, pressentie nouvelle secrétaire de la veuve Kennington, vivait à deux pas de la station de métro où la fille de 16 ans a été frappée à mort alors qu’elle jouait du violon pour se payer un jean de marque. Le commissaire va faire la connaissance de la famille Cripps, sortie tout droit de Dickens, avec la mère éléphantesque, pondant un gosse tous les ans et en ayant déjà six, braillards et dépenaillés, jouant sans culotte dans la rue, et le père exhibitionniste que le fils aîné – dans les 8 ans – commence à imiter. Il fera la connaissance au pub Le collier miraculeux d’un maître-sorcier, expert en jeu de rôles, dont une carte dessinée pourrait donner la clé de l’énigme.

En bref, du plaisir ironique, une enquête qui erre un peu mais trouve sa cohérence, un bonheur de lecture. Rappelons, pour la bonne rigueur, que l’ironie est le fait de se mettre à distance pour critiquer les contradictions humaines, tandis que l’humour est un tempérament qui englobe ces contradictions dans une humanité commune. Ce roman policier n’est pas anglais, mais émricain ; il manie l’ironie, pas l’humour.

Martha Grimes, Le collier miraculeux (The Anodyne Necklace), 1983, Pocket policier 2005, 352 pages, occasion €1,82, e-book Kindle

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Giovanni Guareschi, Don Camillo à Moscou

Tous les moins de 50 ans connaissent Don Camillo, incarné au cinéma par Fernandel dans une série de films culte entre 1952 et 1970. Don Camillo est un prêtre de paroisse qui s’oppose au maire communiste Peppone, mais à l’italienne – avec sentiments, fraternité et combinazione. Tous deux ont fait la guerre contre les fascistes et restent copains malgré leurs divergences idéologiques. L’auteur est carrément du côté catholique et se moque avec humour du communisme en marche, qui veut devenir religion à la place de la religion.

Don Camillo, en ce dernier opus de la série, connaît son point d’orgue. Un soir, en catimini, Peppone, artisan mécanicien devenu maire communiste, vient le voir au presbytère pour demander conseil. Il a joué au Totocalcio (le loto-foot de l’époque) et a tiré le numéro gagnant de dix millions de lires ! Mais c’est très mal vu pour un prolétaire communiste de jouer à des jeux d’argent capitalistes, et il ne peut décemment devenir riche en restant au Parti. Surtout que la rumeur commence à se répandre que le joueur a laissé un faux nom qui est l’anagramme de Giuseppe Botazzi, alias Peppone. Il demande au curé d’aller retirer le gain à sa place.

Un an plus tard, Peppone est élu sénateur ; il a empoché les millions… mais les mal placés auprès d’un financier véreux et s’est fait gruger : c’est ça le capitalisme, quand on n’y connaît rien. Lorsqu’il revient voir Don Camillo, piteux, le prêtre en profite. Le sénateur doit sélectionner les dix meilleurs communistes d’Italie pour un voyage d’une semaine en URSS, la glorieuse patrie du socialisme en plein essor, qui a déjà envoyé un satellite dans l’espace, puis une chienne, et est en plein grands travaux pour détourner les eaux de la mer d’Aral afin d’irriguer les champs de coton et de planter du maïs. Nous sommes sous Khrouchtchev, qui a déstalinisé le pays et deserré l’autoritarisme du Parti, tout en maintenant ferme la direction idéologique. Mais tout reste centralisé, fonctionnarisé, contrôlé.

Ce pourquoi le camarade Don Camillo, déguisé en typographe prolo méritant Tarocci Camillo, part en URSS avec Peppone et huit autres camarades, et l’autorisation de son évêque. Il n’aura de cesse de mettre en évidence pour le groupe les contradictions flagrantes entre la théorie du Parti et la réalité du pays. Il a déguisé son missel latin en Pensées de Lénine et ne cesse de le consulter. Il a cependant lu tout ce qu’il pouvait sur Marx, Lénine et Staline, ces trois piliers du communisme soviétique, et les cite à bon escient.

Les propagandistes qui leur font le voyage les abreuvent de statistiques, les chiffres étant plus falsifiables que les choses. Ils visitent une usine de tracteurs – dont certaines pièces sont défectueuses, incident signalé mais pas corrigé, car attendant le feu vert d’une commission à Moscou qui ne donnera pas son verdit avant une année. Ils visitent un kolkhoze dans la boue, avec les tracteurs et machines agricoles dont personne ne s’occupe, restant à rouiller dans les champs, tandis que d’autres machines sont conservées flambant neuves et inutilisées dans un hangar. Tout est à l’avenant. Si la viande est bonne, elle est rare, et la sempiternelle soupe aux chou-pomme de terre est lassante. Seule la vodka coule à flot et se boit comme de l’eau, faisant révéler les dessous des pensées communistes – impeccablement rouges à jeun, amèrement petite-bourgeoises saoul.

C’est drôle, édifiant, réaliste. Don Camillo n’est pas méchant, mais féru de vérité. Or le communisme est une illusion. Dieu existe toujours dans les esprits des gens. Des Italiens, restés après avoir été faits prisonniers durant la guerre, veulent retourner en Italie tant l’avenir radieux ne leur convient plus, et Camillo les aide. Au retour, l’évêque en est effaré : « Ce n’est pas possible! Conversion du camarade Tavan, conversion du camarade Gibetti, libération du camarade Rondella, élargissement du Roumain de Naples, messe et communion pour la vieille infirme polonaise, célébration du mariage entre la fille et l’ancien soldat, baptême de leurs six enfants, confession de l’expatrié et sa réhabilitation, messe des morts au cimetière. En outre dix-huit absolutions in articulo mortis. Par surcroît tu es devenu chef de cellule ! Et le tout en six jours seulement, et dans le propre pays de l’Antéchrist ! » Don Camillo s’est reposé le septième jour, comme Dieu après sa Création. Tel est l’humour de Guareschi, qui demeure.

Car le communisme a cédé la place à une nouvelle religion, l’adoration de Gaïa, la lutte contre le démon qui souffle le chaud et le froid sur le climat, et la décroissance néo-prolétaire face aux néo-bourgeois toujours « capitalistes », blancs, mâles, dominateurs, impérialistes, coloniaux, machos (etc…). Les Don Camillo, plus forcément chrétiens, mais aptes à penser par eux-mêmes pour résister aux sirènes de la pensée Panurge, sont toujours nécessaires.

Giovanni Guareschi, Don Camillo à Moscou (Il compagno Don Camillo), 1963, J’ai lu 1972, 307 pages, occasion de €19,44 à €48,80 selon disponibilités

DVD Don Camillo – L’intégrale (5films dont Don Camillo en Russie), avec Fernandel, Gino Cervi, Gastone Moschin, Lionel Stander, Vera Talchi, StudioCanal 2018, 8h37, €19,99

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Dans ses yeux de Juan José Campanella

En 1974, une jeune institutrice de 22 ans se fait violer, tabasser et assassiner. On la retrouve entièrement nue en travers de son lit couvert de sang. Elle s’appelle Liliana Colotto de Morales (Carla Quevedo) et est mariée à un employé de banque, Roberto Morales (Pablo Rago). Les enquêteurs auprès du procureur Benjamín Espósito (Ricardo Darín) et son adjoint Pablo Sandoval (Guillermo Francella) instruisent avec la police. Mais aucun indice, le coupable n’est pas trouvé, le juge prononce un non-lieu. La supérieure des deux hommes, Irene Menéndez Hastings (Soledad Villamil), ne peut rien, c’est le système.

Mais Esposito et Sandoval sont émus par l’amour intense que Roberto garde pour sa jeune femme disparue. Ils ne veulent pas en rester là. Ils poursuivent l’enquête seuls, en examinant la jeunesse de la victime. Leur obstination paye puisqu’une photo de fête leur montre un jeune homme dont le regard est fixé sur Liliana à 17 ans, un regard concupiscent de désir transi. « Les yeux ne mentent pas. » Ils convainquent Irene d’annuler le non-lieu puis recherchent donc cet Isidoro Nestor Gómez (Javier Godino) auprès de sa mère, puis dans les diverses résidences qu’il a occupées. D’ailleurs, fait parlant, il a quitté la dernière deux jours après le crime. Le mari amputé de son épouse en est informé. Pour aider l’enquête, il se rend chaque soir une heure dans une gare différente de la capitale pour observer les travailleurs qui rentrent dans la banlieue. Il cherche Isidoro dont il a le portrait gravé dans la tête, mais ne trouve personne qui corresponde.

A cette époque, ni ADN, ni téléphonie mobile, ni Internet, ni caméras de surveillance – tous ces gadgets multipliés de la surveillance de masse n’existent. Pas plus que les informations croisées par informatique ; la police et les administrations brassent des tonnes de paperasses classées plus ou moins bien en archives. Sandoval a une idée, pêchée dans le bistrot où il va se saouler chaque soir, en alcoolique invétéré. Tout peut changer chez chacun, sauf une chose : la passion. L’adresse, le boulot, les copains peuvent être quittés, pas l’attrait irrésistible du jeune homme pour le foot. C’est donc dans le stade de Buenos Ayres que les policiers doivent chercher. Ils ont la photo d’Isidoro, il suffit de le traquer.

Pas simple, au milieu des plus de 80 000 spectateurs, mais la chance leur sourit. Ils repèrent le jeune homme, le poursuivent et, aidés des policiers, l’attrapent. En garde à vue, en attendant le juge, Esposito et Irene interrogent le suspect. Il nie, il les déclare fous, leur scénario divague. Mais Esposito a rappelé à Irene, qui a fait Harvard, la tactique du bon flic/mauvais flic qui réussit souvent. Irene, jeune femme de bonne famille qui va se marier avec un riche Argentin d’une dynastie connue, se prend au jeu. Elle insulte carrément Isidoro dans sa virilité, déclarant que le tueur était grand, musclé, avec un vit énorme, ce qui ne semble pas le cas du « gamin » aux bras en spaghetti en face d’elle. Le garçon, piqué au vif dans sa masculinité de macho latino, se lève et ouvre son pantalon pour montrer son engin, ce qui est un moment intense du film – avec la découverte des lettres d’Isidoro chez la mémé, la traque au stade, le départ d’Esposito de Buenos Ayres alors qu’Irene pleure. En colère, il tente de gifler Irene et, à moitié dépoitraillé par l’agent qui le maîtrise, éructe qu’il a bien défoncé Liliana qui ne voulait pas de lui, qu’il l’a domptée, réduite à se soumettre, en bref tuée.

Il a avoué, il est jugé, condamné à perpétuité. Roberto le mari félicite Esposito, et se dit soulagé. Il est contre la peine de mort et l’emprisonnement à vie est pour lui la peine la plus lourde à qui a pris la vie d’un autre.

Et puis… un jour à la télévision, alors que la Présidente inaugure quelque chose, le visage d’Isidoro Gomez apparaît derrière elle. Il a été libéré ! Le juge qui l’a fait, ennemi d’Esposito, a considéré qu’il était un bon informateur pour la police en prison, et l’a chargé de missions d’infiltration des milieux « gauchistes » pour le gouvernement. Isidoro s’est rasé, porte désormais costume et un pistolet, qu’il exhibe et charge incontinent devant Irene et Esposito dans l’ascenseur du tribunal. Roberto est effondré, mais décide d’oublier. On ne peut rien faire contre les magouilles politiques. C’est le système.

Vingt-cinq ans plus tard, Esposito à la retraite décide d’écrire un livre sur cette enquête qui a marqué sa vie professionnelle. Il renoue avec Irene, mariée deux enfants, lui qui a quitté la capitale, s’est marié lui aussi mais a divorcé parce qu’il est resté secrètement amoureux d’elle durant leurs années de collaboration. Son roman retrace les étapes de l’enquête, les doutes, la traque, la libération du détraqué sexuel pour devenir homme de main de la dictature argentine entre 1976 et 1983. Il dit aussi l’assassinat de Sandoval, pris pour lui Esposito, alors qu’il l’avait recueilli bourré en son appartement, avant d’aller quérir sa femme pour qu’elle le ramène. Des tueurs du régime, mandatés par Isidoro, sont venu lui filer une rafale de mitraillette. Depuis, Isidoro n’a plus fait parler de lui, il a disparu de la circulation.

Pour son roman, Esposito recherche Roberto le veuf, pour lui exposer son projet bien avancé. Il est toujours dans la banque mais habite une maison isolée dans la campagne. Il a tout oublié, dit-il, vingt-cinq ans ont passés, cela ne sert à rien de ressasser. Mais Esposito remarque que la photo de la jeune Liliana trône toujours à la place d’honneur dans la bibliothèque, au milieu d’encyclopédies médicales. Il ne s’est pas remarié, c’est comme si la mort de sa femme l’avait laissé prisonnier pour toujours. Au moment de partir, Esposito expose à Roberto pourquoi il écrit ce livre, pour l’amour infini qu’il n’a vu chez nul autre que lui. Le mari lui avoue alors qu’il ne faut plus rechercher Isidoro, qu’il l’a tué de quatre balles dans le torse alors que passait à grand fracas un train, après l’avoir assommé et enlevé. En effet, le tueur, sûr de son impunité comme nervi du régime, s’était mis à le rechercher jusqu’à aller se renseigner dans sa banque. Esposito croit voir le point final de sa quête, il repart dans sa Renault.

Sur la route, il est pris d’un doute. Il revient à pied par les bois pour observer la maison. Car il se demande : « Comment fait-on pour vivre une vie pleine de rien ? » A la nuit, Roberto sort…

Ce film, tiré d’un roman d’Eduardo Sacheri, La pregunta de sus ojos (traduit en français en 10-18), connaît quelques longueurs mais aussi quelques moments de tension rares, qui alternent avec des scènes d’humour, souvent dues à l’alcoolique Sandoval, pas très futé en général. L’amour fusionnel de Roberto pour Liliana est revécu sotto voce par Esposito pour Irene, sans sa fin tragique. Car de temo (j’ai peur) qu’Esposito écrit la nuit sur un bloc au retour d’un rêve, il fait te amo (je t’aime) en rajoutant un petit rien, le A. La justice des hommes est impure, souillée d’arrière-pensées politiques, mais la justice immanente finit par triompher. Surtout grâce au caractère des hommes et des femmes pour qui la loi doit être respectée et non bafouée. Même si l’amour est impossible, en raison du système et des statuts sociaux, il ne se résout pas forcément en viol et meurtre.

Prix Goya Meilleur film étranger en langue espagnole 2010

Meilleur film en langue étrangère aux Oscars du cinéma 2010

DVD Dans ses yeux (El secreto de sus ojos), Juan José Campanella (Argentine), 2009, avec Soledad Villamil, Ricardo Darín, Carla Quevedo, Pablo Rago, Javier Godino, M6 vidéo 2010, 2h02, €7,50, Blu-ray €15,10

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Julian Barnes, Lettres de Londres

Un écrivain mandaté par un journal pour écrire des chroniques sur son propre pays comme s’il était étranger : voilà un beau programme proposé en 1989 à Julian Barnes par le New Yorker. Surtout que le métier de journaliste n’est pas celui d’écrivain. Le correspondant de presse se doit d’être précis, concis, et « ne pas considérer même la plus évidente des assertions comme allant de soi » p.11 édition intégrale. A l’époque (hélas ! révolue), la « police du style » corrigeait impitoyablement les auteurs sur leur vocabulaire et leur grammaire. Et le « service de vérification de l’information » était actif. Pas question de fautes ni d’approximations ! C’eût été un déshonneur. De nos jours, le déshonneur on s’en flatte, ça fait popu, démago, en bref à l’aise, comme tout le monde.

L’écrivain Julian Barnes s’est tiré avec élégance durant cinq ans de cette mission délicate de parler du Royaume-Uni, sa patrie, comme s’il était un étranger. Cela donne 14 chroniques politiques et sociologiques, sur Margaret Thatcher, John Major et Tony Blair, sur la mode des labyrinthes dans les jardins de manoirs, sur Buckingham Palace et ses embouteillages, sur la presse tabloïd vulgaire, raciste, chauvine et incroyablement stupide pour couper les cheveux en quatre à propos d’une facture de 17,47 £ du chancelier de l’Échiquier concernant trois bouteilles de (mauvais) Bordeaux, sur le nouveau tour de poitrine de Britannia devant orner les timbres-poste, sur l’arnaque spéculative des Lloyds, ces réassureurs illimités qui peuvent ruiner le patrimoine de leur Names, sur le championnat d’échecs où l’Anglais Scot fut mis en échec par le russe ex-soviétique Kasparov, sur l’inauguration du tunnel sous la Manche par Tchatcher et Mitterrand (et le TGV roulant à 180 miles à l’heure côté France et à 60 seulement côté Kent), sur la fatwa des mollards iraniens condamnant à mort Salman Rushdie, et sur la pusillanimité de la réaction anglaise (à l’inverse de la réaction française, nordique et allemande).

Certes, tout cela est bien daté et la plupart des lecteurs d’aujourd’hui n’étaient peut-être même pas nés il y a trente ans. Ce pourquoi l’édition réduite en poche bilingue peut avoir une vertu : faire lire quand même Julian Barnes. Car c’est un festival d’humour anglais et d’expression incisives.

L’auteur exerce sa verve particulièrement sur Margaret Thatcher, première femme Premier ministre de Grande-Bretagne, à la longévité la plus longue (12 ans) depuis Robert Jenkinson, 2ème comte de Liverpool en 1812, faite baronne à vie (mais point héréditaire et encore moins comtesse). « Mrs. Thatcher, pendant presque tout son règne, ne montra pas en public qu’elle connaissait l’existence de l’humour. Une plaisanterie pour elle eût été un signe de faiblesse, une tentative de consensus politique, une initiative gratuite et peut-être subversive, comme une bouteille d’eau minérale de marque étrangère sur la table lors d’un banquet au 10, Downing Street » p.80. Mais l’humour n’est pas l’ironie ; le premier cherche à comprendre l’autre et à équilibrer le jugement, tandis que la seconde ne vise qu’à la pique. « L’affreuse vérité, qu’on mit des années à comprendre, c’est que Mrs. Thatcher représentait et réussissait à attirer une forme puissante et politiquement ignorée d’identité anglaise. Pour le libéral, le snob, le citadin, le cosmopolite, elle faisait montre d’esprit de clocher et d’une mentalité de petit boutiquier, puritaine et poujadiste, égocentrique et xénophobe, moitié nostalgie d’une souveraineté insulaire et moitié gestion tatillonne. Mais pour ceux qui la soutenaient, c’était une femme au parler franc, à la pensée nette et visionnaire qui incarnait le bon sens et la volonté de se débrouiller par soi-même, une patriote qui se rendait compte que nous avions vécu bien trop longtemps sur du temps et de l’argent emprunté » 233.

La pique existe aussi dans l’humour anglais, mais elle est bienveillante, sans méchanceté, comme un constat désolé. Par exemple : « Le Dr Wrede, candidat des libéraux-démocrates, est un séduisant gynécologue. Il est grand et capable de faire porter sa voix jusqu’au fond d’une salle sans l’aide d’un micro. Il était tout à fait envisageable de lui confier son utérus, mais lui confier sa voix était une toute autre affaire» p.108. Il est vrai que l’on ne peut induire de la compétence professionnelle de quelqu’un sa compétence politique. Pas plus que les « artistes » n’ont de compétences particulières sur le climat ou les frasques de la Russie. C’est trop leur demander.

Quant à observer les travers de sa propre patrie, les Anglais y excellent bien plus que nous. Comme au restaurant. «A quelques pas du Savoy, le Simpson’s-in-the-Strand (…). Il s’agit de l’un de ses vénérables restaurants anglais ou le rosbif arrive en véhicule blindé plaqué argent, et où une guinée donnée au garçon qui coupe la viande vous évite le morceau tendineux » 260. Je ne sais si la gargote existe encore, mais le conseil est bon.

Affaires comparées, comment les pays se voient peut être une expression de leur géographie. « La Grande-Bretagne n’a que la France pour voisin manifeste, tandis que celle-ci peut se distraire avec trois autres cultures majeures – L’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Au large des côtes sud de la France s’étend le continent africain ; au large des côtes nord de l’Angleterre, les îles Féroé, et des phoques en quantité. La France est à nos yeux la première incarnation de l’étranger ; c’est notre principale destination exotique. Il n’est donc pas surprenant que nous pensions plus aux Français qu’ils ne pensent à nous. (…) Les Anglais sont obsédés par les Français, alors que les Français ne sont qu’intrigués par les Anglais. Quand nous leur exprimons notre amour, ils l’acceptent comme un dû ; quand nous leur exprimons notre haine, ils sont perplexes, agacés, mais la considèrent avec raison comme notre problème, et pas le leur » 332. J’aime particulièrement l’allusion discrète aux phoques, animaux placides et grégaires dont les mœurs sexuelles restent sujettes à caution. Façon d’exprimer combien les Anglais ont peu d’exemples stimulants au large de leurs côtes.

Julian Barnes, Lettres de Londres (Lettres from London 1990-1995) – choix, Folio bilingue 2005, 224 pages, €9,62

Julian Barnes, Lettres de Londres – édition intégrale en français, 1996, Denoël collection Empreinte, 364 pages, occasion €3,00

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A dix minutes des naturistes de Stéphane Clavier

Un film familial et drôle, qui prône la tolérance – mais qui n’est pas édité en DVD, sujet sulfureux oblige. Pourtant, rien d’indécent dans ce film à la gloire des vacances, du soleil et de la nudité naturelle. Plutôt les contradictions de notre société patriarcale, catholique, bourgeoise, coincée, déclinées avec un humour à la fois bienveillant et acide.

Valérie Morin (Christine Citti) se trouve trop grosse malgré « vingt ans de régime » ; elle veut se faire refaire les seins, les fesses, les genoux… Mais cela coûte cher et ce n’est pas avec son salaire de bonne à tout faire, ni avec celui de son mari concierge, tous deux à Bruxelles, qu’ils vont pouvoir se payer cette fantaisie. Car c’est bien une fantaisie : Valérie est ronde et plantureuse car elle adore cuisiner les desserts, mais ne s’accepte pas. La norme masculine exige le format 90x60x90 et tout ce qui est en excès est mal vu ; la norme bourgeoise catholique belge exige la tempérance des chairs et la jeunesse renouvelée. D’où problème.

Le mari, Michel Morin (Lionel Abelanski), est prêt à sacrifier la semaine de vacances en croisière prévue pour contenter sa femme durant l’absence des patrons, partis en couple « visiter la Chine » durant trois semaines. En revanche, c’est dommage pour le gamin Sam (Jean-Baptiste Fonck), dont les 10 ans remplissent bien ses tee-shirts. Une idée vient au père : pourquoi ne pas échanger les maisons durant deux semaines ? Puisque les bourgeois ne sont pas là, autant en profiter.

Aussitôt dit, aussitôt fait sur le net. Patrick et Laure Dulac (Bruno Ricci et Maëva Pasquali) sont enthousiastes. Ils échangent volontiers leur maison sur l’île du Couchant (pastiche de l’île réelle du Levant) pour la demeure bourgeoise en plein Bruxelles centre, près du Parlement européen. C’est qu’ils ont eux aussi une idée : étant naturistes, ils veulent manifester nus en plein Bruxelles et porter une pétition aux parlementaires pour légaliser la nudité en Europe. Ce qui engendre une série de sketches croustillants et drôles avec le bourgmestre, les voisins, les passants dans les rues où passe le vélo-nu, et même l’assistance convoquée dans la maison bourgeoise pour un apéro-nu.

Pendant ce temps, la famille se rend dans le sud de la France où la maison à la cuisine aménagée leur plaît. Sauf que… Suzy, la tante des Dulac (Macha Méril), qui devait être hospitalisée pour une intervention au cœur, a décidé de ne pas aller à l’hôpital et de rester vivre ce qu’elle pouvait encore, mais chez elle. Dès le matin, elle pratique le taï-chi nue dans la cour. Scandale de pudeur offensée ! Les Morin ne se doutaient pas qu’ils étaient sur une île naturiste. Non sans contradictions, d’ailleurs, puisque la nudité est « obligatoire » sur tout le littoral mais « interdite » à l’intérieur. Nulle plage possible aux « textiles », on doit ôter son slip et tous ses vêtements (sauf peut-être la casquette ?) pour accéder à la mer. Seuls les enfants, pour éviter la censure du film, peuvent porter un cache-sexe.

Sam a fait la connaissance sur le ferry d’une petite copine, Léa (Prune Richard), avec qui il voudrait bien jouer sur la plage. Il entraîne donc son père avec lui « pour le surveiller » tandis qu’il navigue en canot plastique ou bâtit des châteaux de sable. Michel est obligé de se mettre nu, ce qui le gêne parce qu’il n’est pas vraiment bien bâti. La mère de Léa, belle jeune femme que son mari vient de quitter, l’encourage avec bienveillance, lui disant que c’est comme faire l’amour pour la première fois : on a peur mais, très vite, on ne peut plus s’en passer. De fait, Michel s’habitue.

Pas son épouse Valérie, qui n’accepte pas son corps et refuse obstinément d’aller se montrer à poil sur la plage. Elle assiste impuissante à la drague que subit son mari, qui semble y prendre goût. Suzy la console, en bonne soixante-huitarde mûrie qui prend tout à la cool. Elle l’encourage à se laisser-aller, à accepter ce qu’elle est. Donc à pâtisser puisqu’elle aime cela et réussit magnifiquement. Elle la présente à son chef cuisinier dans son restaurant pour qu’elle fasse en bénévole les desserts, notamment ses incomparables profiteroles au chocolat qui sont un délice. Le couple se délite tandis que le gamin, qui prend tout comme il vient, s’amuse et que Suzy recolle les morceaux.

Mais Bruxelles fait scandale. Le voisin bourgeois (Alain Leempoel) téléphone aux patrons « partis en Chine », les Langlois, dont lui Édouard (Philippe Magnan) est chef du parti conservateur au Parlement européen : il a vu circuler nue à la fenêtre une femme chez lui. Que font les concierges, se demande Langlois ? Et sa femme Solange (Catherine Jacob) l’incite à les asticoter. « C’est une cousine danoise », ment Michel, interpellé.

Laquelle épouse nudiste voudrait bien un bébé, que son mari militant lui refuse obstinément. Lui impose toujours ce qu’il veut, et c’en est trop. En gardant le bébé fille de la voisine, gynécologue (Cécile Vangrieken), Laure l’interroge sur les moyens de surmonter le veto marital. On peut toujours « oublier » de prendre la pilule, répond la doctoresse, ou crever discrètement le préservatif en le sortant de l’emballage – « ce sont des pratiques que je réprouve, mais certaines le font… ». Dont elle-même, on l’apprendra avec humour ensuite. Laure, qui lit ostensiblement Le rose et le rosaire de Paul Claudel, une réflexion sur la Vierge, ne veut pas se dessécher sur pied et cherche comment Marie a réussi sans Joseph – autre trait d’humour catho belge bon enfant. Elle lira ensuite un guide pratique, 101 trucs pour tomber enceinte, sans que son mari n’y fasse attention.

Les Langlois, qui ne sont pas en Chine mais en clinique pour se faire re-lifter une jeunesse, ne sont pas présentables ; ils doivent ronger leur frein avant que la cicatrisation du visage leur permette d’aller en société sans se faire questionner sur leur mensonge. Le conservateur s’est montré en effet tout à fait opposé à la chirurgie esthétique pour des raisons morales, une belle contradiction. Lorsqu’ils parviennent enfin chez eux, « revenus par avance à cause d’une intoxication alimentaire en Chine », ils trouvent une réception qui bat son plein dans leur maison de ville. Des gens tout nu partout et tous les parlementaires amis invités pour un apéro-nu via le réseau social des Langlois, que le bourgeois trop sûr de lui avait laissé cession ouverte, et que Michel avait autorisé sans le savoir par téléphone.

Comment résoudre le problème sans dévoiler le mensonge ? Il est évident que les Morin sont virés, mais encore ? Eh bien, il faut accepter l’inévitable. Comme Valérie va accepter son corps, Patrick le bébé désiré par sa femme, les Langlois vont accepter officiellement de soutenir le mouvement nudiste, « au final plutôt familial et qui ne remet nullement en cause les valeurs, etc… », comme le politicien le soutient sans rire face au micro de la journaliste. Les Morin, ayant pris goût au climat et à la gentillesse des gens sur l’île nudiste, vont s’y installer, et peut-être envisager un autre enfant. Le Sam suffit ne suffit plus.

Cette gentille histoire franco-belge est agréable à regarder et tout à fait correcte question mœurs. A l’opposé de l’époque des régressions et intégrismes, elle prône sans provocation la tolérance mutuelle, le naturel des relations, la réconciliation avec son corps et avec la nature. Bien mieux que les drag queens complaisantes de cérémonie !

DVD A dix minutes des naturistes, Stéphane Clavier, 2011, avec Lionel Abelanski, Christine Citti, Macha Méril, Catherine Jacob, Philippe Magnan, Jean-Baptiste Fonck, TF1 2012 rediffusé NRJ12 replay 2024 (création d’un compte exigé), 1h45

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Gabriel Chevallier, Clochemerle

Le siècle dernier nous a légué certains petits romans qui demeurent des délices de lecture – ou de relecture. Je relis en effet Clochemerle, chronique d’un village français moyen, sis dans les monts du Beaujolais. Il y a, comme toujours, le maire, le curé et l’instituteur, plus le notaire, le docteur et le pharmacien, mais aussi la baronne, cheftaine des enfants de Marie et proche de l’archevêque de Lyon. Sans parler des relations éloignées, le député Focart et l’ancien ministre Bourdillat, enfant du pays. Tout ce petit monde grenouille entre les vignes du Seigneur, plus ou moins imbibé entre deux vendanges, et la grande affaire est de s’affairer entre les cuisses des femmes.

Mais ne voilà-t-il pas qu’une lubie a traversé le chef ambitieux de Barthélemy Piéchut, maire de Clochemerle-en-Beaujolais ? Il l’a confiée à Ernest Tafardel, l’instituteur pédant et lyrique, mais bon faire-valoir manipulable à merci. « Je veux faire construire une pissotière ! » – la seule du village, où jusqu’ici chacun faisait où il voulait. En 1922, date de l’histoire, le progrès d’après-guerre passait par l’édification de services publics.

Piéchut est un gros vigneron, gros propriétaire, gros ambitieux et gros matois, en bref un Gros. Il s’est fait (presque) tout seul car c’est en fait sa femme qui lui a apporté les vignes qui font sa fortune. Car, si tout tourne publiquement autour des hommes, les femmes sont toujours à la manœuvre en coulisses. Tel est le délice de ce roman du terroir saturé d’humour français, d’une tendresse rabelaisienne pour la bonne chère, le bon vin et les bonnes femmes. C’est avec truculence que l’auteur s’aventure dignement dans la gaudriole. Car l’urinoir va déchaîner les passions rentrées et mettre au jour les clans politiques qui grimpent aux rideaux à propos de cet édifice nouveau – dont l’idée date pourtant des Romains.

La pissotière est édifiée place de l’Église, à l’entrée de l’impasse du Moine, où se morfond une vieille fille laide et destinée à le rester, la Justine Putet dont la vertu manque cruellement d’infortunes. De voir défiler tous ces gaillards qui se tâtent et se rajustent là où, justement, elle aurait aimer porter au moins une fois la main, raidissent la Putet, au point de la pousser aux extrémités. D’autant que l’Adèle de l’auberge et la Judith des Galeries en face, rivalisent d’amants au su de tous. La vieille fille va se plaindre au maire, qui demande une pétition ; elle va se plaindre au curé, le bon pas futé Ponosse, qui préfère rester en paix ; elle va se plaindre à la baronne Alphonsine de Courtebiche, qui y voit une offense à la vertu et un mauvais exemple pour ses enfants de Marie de 14 à 18 ans. L’une d’elle, d’ailleurs, la Rose Bivaque, vient de tomber enceinte d’un gars du pays en permission de service militaire, le Claudius Brodequin. Il a trouvé chaussure consentante à son pied viril. Le village, les parents, la baronne, vont les pousser à se marier.

Dès lors, tout va s’enclencher, le climat se mettant de la partie, grillant les cervelles sous un soleil de plomb avant de déclencher des orages mémorables aux meilleurs moments du récit. Le cafetier Toumignon, porté à boire par ses copains et défié de contrer le curé qui va tonner (mezzo voce) en chaire contre l’édifice impudique et provocateur en face du lieu saint, ose proférer après le sermon cette apostrophe : « Il n’a pas défendu de pisser, votre bon Dieu ! » – maxime qui ne fait que dire la réalité, mais qui déclenche un scandale de vertu. Nicolas le suisse en belle culotte moulante, s’approche avec sa hallebarde vermoulue pour bouter dehors ce Satan qui ose profaner la messe. Lequel résiste, la hallebarde du suisse se brise en entraînant la chute de la statue de saint Roch, qui se casse. Je ne résiste pas à citer ce paragraphe grandiose et lyrique qui clôture la scène :

« Un long gémissement d’horreur part du groupe consterné des pieuses femmes. Elles se signent peureusement devant les prémices d’Apocalypse qui se déroulent dans le bas de l’église, où gronde maintenant sans arrêt les abominables maléfices du Maudit, incarné en la personne blafarde et malsaine de Toumignon, qu’on savait ivrogne, cocu, débauché, et qui vient de plus de se révéler farouche iconoclaste, capable de tout piétiner, de défier ciel et terre. Les croyantes, saisies d’une crainte sacrée, attendent le suprême fracas des astres s’entrechoquant et croulant en pluie de cendres sur Clochemerle, nouvelle Gomorrhe, désignée à l’attention des puissances vengeresses par l’usage éhonté que Judith la Rousse fait de ses appâts, vraie litière à pourceaux, où Toumignon et bien d’autres ont commercé avec les démons ignobles qui grouillent comme nœud de vipère dans les entrailles de l’impure. Instants de terreur indicible, qui rend bêlantes les pieuses femmes, lesquelles pressent fébrilement sur leur poitrine sans prestige des scapulaires racornis par les sueurs, et transforme les enfants de Marie en vierges défaillantes qui se croient assaillies par des hordes infernales, monstrueusement pourvues, dont elles sentent sur la frissonnante chair de leurs corps intacts les sillages obscènes et brûlants. Un grand souffle de fin du monde, à relents de mort et d’érotisme, balaie l’église de Clochemerle » p.199.

Après le scandale dans l’église, l’affaire de la pissotière va remonter à l’archevêque, qui va tenter de susurrer au ministre que l’Église pourrait appuyer sa candidature à l’Académie française s’il faisait quelque chose, tandis que le député montant Focart s’emploie à dénoncer les suppôts de la réaction. Prudemment, le ministre s’en remet à son chef de cabinet, qui s’empresse de remettre le dossier au premier secrétaire, lequel le dédaigne au profit du second secrétaire, qui a d’autres chattes à fouetter en maison et l’envoie au troisième secrétaire, qui finit par le confier à un sous-chef disponible. Les instructions au préfet partent donc d’un sous-fifre aigri sans aucune responsabilité. La politique comme l’Administration en prennent pour leur grade.

C’est ensuite au tour de l’Armée, car le préfet, dont l’épouse avisée est absente et ne peut le conseiller, décide d’envoyer la troupe en manœuvre plutôt que la gendarmerie enquêter. Les badernes se renvoient la balle hiérarchiquement, comme dans l’Administration, et le général confie l’ordre au colonel, lequel mandate un commandant qui se défile sur un capitaine. Ce dernier est de la Coloniale, sorti du rang durant 14-18, faute de combattants. Un vieux de la vieille qui ne recule devant rien et ne connaît rien à la politique. Il faut sévir, il va sévir. L’auteur, qui a écrit La Peur, un beau livre de guerre sur son expérience à 20 ans, ne porte pas les militaires dans son cœur, encore moins les galonnés !

Le village investi, les pissotières surveillées, le café d’en face pris d’assaut, les passions vont s’exacerber. Tant de jeunes gars bien bâtis pour toutes ces femmes qui se lassent des mêmes maris et voisins en vase clos, quelle aubaine ! Le capitaine va lutiner la plantureuse aubergiste, dont une âme « vertueuse » va dénoncer les agissements érotiques, et cela va se terminer en bagarre générale devant les pissotières, avec deux coups de feu tirés, faisant un mort, l’idiot du village qui passait par là, et une blessée, la femme de l’aubergiste touchée là où elle avait péché. C’est le scandale. Tant de bruit pour si peu. La honte de la vertu face aux conséquences. La réaction est écrasée, le progrès exige la tolérance.

Quand à dame Putet, tous ces physiques à jamais hors de sa portée, ces passions à jamais flétries pour elle, cela la rend folle ; littéralement. Elle sort à poil – et ce n’est pas beau à voir – et va éructer dans l’église son fiel. Comme quoi la vertu toute nue n’a rien d’attirant. Le maire deviendra sénateur, la baronne le considérera d’un autre œil, il favorisera l’élection comme député de son falot de gendre.

Gabriel Chevallier, décédé en 1969, livre à partir d’un microcosme français toute une humanité d’époque dans son jus, avec des portraits hauts en couleur et des émotions éternellement humaines. Des villages comme celui-ci, on en trouve un peu partout en France avec leurs passions, leurs humeurs, leurs appels aux politiques et leurs votes extrémistes. Ils sont toujours actuels.

Un roman drôle, qui fait réfléchir avec humour sur les travers des positions théâtrales, des petites magouilles politiques entre ennemis, des désirs qui s’assouvissent d’autant plus brutalement qu’ils ont été trop longtemps frustrés – la vie qui va, se génère et se transmet.

Gabriel Chevallier, Clochemerle, 1934, Livre de poche 1974, €8,70

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Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay

Décédé en 1956, Louis Bromfield est un Américain injustement oublié. S’il a surtout été fermier et adapté l’agriculture biologique à sa ferme du comté de Richland, qui fait encore école aujourd’hui, il a été aussi guerrier durant la « Grande » guerre en France, journaliste et écrivain. Il s’intéresse aux gens.

Ici à la faune internationale à Bombay, capitale des Indes alors britanniques entre les deux guerres. Le pays est immense et pauvre, régenté par les rajahs richissimes qui n’ont que frivolités, jeu et bijoux en tête tandis que crève le peuple misérable qui les adore comme des dieux. Seuls quelques Blancs « missionnaires » se préoccupent des indigènes pour leur enseigner l’hygiène, l’agriculture et les rudiments de lecture. Homer Merrill est de ceux-là, jusqu’à se tuer à la tâche.

Il a perdu sa femme puritaine qui l’a enfermé, réprimé et méprisé jusqu’au bout, un vrai fléau de Dieu (qui l’a créée). Il doit se séparer de Tommy, son petit garçon de 9 ans qu’il adore, pour l’envoyer par bateau en pensionnat aux États-Unis afin qu’il fasse son éducation. Il ne garde que le petit Hindou Ali, aveuglé par une maladie qu’il espère bien faire opérer à ses frais à Bombay par un spécialiste.

Il va rencontrer dans le train son contraire absolu en la personne de la jeune Carol Halma, nom de scène d’Olga Janssen, une Suédoise robuste, saine et belle comme une déesse nordique. Son wagon de luxe ayant un essieu cassé, il doit l’accueillir dans son compartiment où il vivait jusque là demi-nu comme les jeunes garçons, à cause de la chaleur écrasante du pays. Il doit se rhabiller un peu et connaît une migraine sévère, due au paludisme et à la moiteur. Après avoir étalé ses bijoux aux yeux émerveillés des gamins, Carol en est touchée, elle lui caresse la tête et l’apaise comme on le fait d’un enfant.

Au grand hôtel Tadj Mahal de Bombay, où descendent tous les Occidentaux, Carol retrouve Bill, son ex-mari américain, fêtard comme elle mais qui s’est assagi en entrant dans les affaires paternelles. Il se trouve qu’Homer a été le copain de chambre d’université Cornell de Bill. Le trio va donc évoluer ensemble, chacun avec ses problèmes et ses affinités. Bill aimerait bien se remarier avec Carol, laquelle a eu le béguin pour Homer, qui en est tombé amoureux. Mais la réputation douteuse de Carol, adonnée au gin et qui s’affiche avec des escrocs et d’ex-putes venues recruter de la chair fraîche ou se refaire au jeu, la fait expulser du pays. Bill va rattraper in extremis la situation et Carol choisira de quitter sa vie de patachon pour enfin servir l’humanité avec Homer, à qui Bill va faire une donation et que l’Inde récompense par un diplôme et un prix.

Tout le sel du roman est moins dans ces histoires d’amour qui finissent bien que dans le cheminement plein d’humour qui y mène. La peinture des vieilles solitaires qui se pavanent dans les soirées mondaines et aux courses, cherchant à gagner quelques milliers de roupies pour payer leur chambre ou renouveler leur garde-robe défraîchie, est un bonheur de lecture. Une « baronne » tchèque est l’ex-tenancière d’un claque chic rue de la Chaussée d’Antin ; elle possède plusieurs établissements qui lui permettent suffisamment d’argent pour compenser sa laideur. Une « marquise » qui a épousé un général italien (alors fasciste) est une ancienne pute qui renseigne le gouverneur anglais. Mrs Trollope est une viveuse au bout du rouleau qui n’hésite pas à voler après s’être accrochée à la chance de Carol.

L’auteur est très sévère envers le puritanisme, les calvinistes et autres peine à jouir : ils ternissent la vie et pourrissent le moral des gens. Ce n’est pas pour cela qu’il faut baiser à couilles rabattues ou se donner au premier venu, mais le plaisir peut être pris lorsqu’il ne porte aucune conséquence néfaste pour quiconque. Reste qu’un couple complémentaire est la meilleure chose pour un projet commun, que ce soit élever un enfant ou entreprendre une aide au développement.

Un vrai roman agréable à lire et captivant, plein d’humour.

Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay (Night in Bombay), 1940, Livre de poche 1967, 448 pages, occasion €10,00

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Laurent Benarrous, Tintamarre

Quand on est né juif mais laïc, Français mais pas perçu entièrement comme tel, déraciné d’Afrique du nord en banlieue parisienne… à Villejuif, doté d’un père violent et d’une mère ignorante – on recherche qui l’on est. Cette quête de soi est l’objet de ce roman autobiographique, écrit à hauteur d’enfant avec un vocabulaire simple.

Trouver sa place : tel est la quête de soi dans un monde qui ne vous attend pas, dans une banlieue métissée et dans une famille foutraque. Le jeune Laurent aura du mal avec tout : avec son père, avec sa mère, avec son beau-père beauceron, avec sa famille juive, avec ses amis espagnols ou arabes, avec le pédocriminel du HLM, avec les filles « qui ne fréquentent pas un Juif », avec ses profs parce qu’il est désorienté et chahute, avec les employés d’été de son oncle cafetier, avec l’armée qui le met dans une case de juif trublion, avec la fac qui le déprime.

Il faut dire qu’avec son orthographe déplorable, il a perdu des points à l’examen du barreau. A se demander s’il est vraiment français ! La patrie commence en effet par la langue, vecteur de communication, lien de culture, support de la mentalité commune. La route de l’à soi est d’abord le parler en commun. Aujourd’hui encore, au moins deux fautes d’accord subsistent dans le livre, mais on a beau se relire…

Et pourtant, l’humour juif n’est jamais très loin et surgit souvent comme un baume en fin de chapitre : situations cocasses, contradictions des adultes, chance inouïe à l’examen. La vie s’accroche, même si la tentation de disparaître surgit parfois. L’enfant apprend la lutte, le judo, l’adolescent est fou de sport, foot, course et tennis, l’adulte connaît la tchatche et ne lâche pas une affaire.

En désordre et à grand bruit – le tintamarre – le petit môme déraciné de banlieue deviendra avocat, un rêve qu’il avait enfant. Malgré ses handicaps et sa famille, il passera chaque année en classe supérieure, sauf une fois en Première. C’est que l’on dit qu’il est beau, râblé et musclé, qu’il supporte les coups et qu’il s’accroche, qu’il sait se faire des amis. A noter que la photo du frais petit garçon en couverture n’a rien à voir avec le portrait qu’il fait de lui-même ; elle représente plutôt symboliquement le gavroche plein de vitalité ouvert à tous les possibles.

Comprendre le monde par les yeux d’enfant, telle pourrait être la leçon du livre. Car l’enfant est pur et sait voir quand le roi est nu ; il est direct, va droit au but. Un récit romancé qui explore l’âme humaine et vante la résilience, cette capacité en soi de rebondir grâce à une tante ou une cousine, un ami, une circonstance.

La France des sixties a été autant bouleversée que la nôtre, avec les mêmes problèmes d’immigration, d’intégration, d’école et de méritocratie républicaine. Elle a été autant désillusionnée que la nôtre dans les années 80 avec la gauche au pouvoir et ses promesses démago irréalisables, le laisser-aller économique et budgétaire. Malgré cela, Laurent a réussi cahin-caha sa vie : trois femmes, trois rejetons, ses désirs enfantins réalisés. Devenir quelqu’un et se marier avec Yasmine, sa copine arabe de ses 11 ans : il dit en avoir trouvé la copie conforme adulte, pour son ancrage définitif.

Agréable à lire malgré le poids du livre (827 grammes) ; on ne s’ennuie jamais avec Laurent, avocat de la vie.

Laurent Benarrous, Tintamarre, 2024, éditions La route de la soie, 510 pages, €27,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les livres de Lawrence Simiane déjà chroniqués sur ce blog

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Théo Kosma, Dialogues interdits

Trois cents nouvelles plus ou moins brèves sur une si belle expérience sexuelle… le plus souvent sans sexe aucun. Dans la suite du précédent recueil En attendant d’être grande, des nouvelles plus adultes, donc parfois plus crues, et d’autres qui prolongent la prime adolescence. Où les filles ont toujours plus d’initiatives que les garçons.

De l’humour, dans la chute surtout. Des situations cocasses, dues aux chocs culturels et autres tabous religieux ou ethniques. De la modernité « libérée » comme on disait à la génération d’avant, naturelle aujourd’hui – si ce n’étaient les tabous, mitou et religions qui reviennent en frileux repli.

Des remarques pertinentes et fort justes d’un observateur amoureux : « C’est le chic de ces adotes ! Propre à leur âge ! Quoi qu’elles fassent, elles se pavanent. Les cheveux placés sur la droite ou sur la gauche, marcher précieusement, mesurer chaque geste… Elles pourraient le faire en allant acheter du pain ! Que dis-je, elles le font bel et bien en allant acheter du pain. »

Une expérience naturiste : « Tout n’était plus que jeu sensuel, renouvelé en permanence. Dans lequel je puisais chaque fois quelque chose de nouveau. » Le corps, les sens, le cœur – et l’esprit en embuscade mais qui survole. « Me balader dans un coin discret de nature, me mettre nue, courir, grimper aux arbres, me rouler dans la terre, le sable, puis me rincer dans l’océan. »

« Surtout on est en mode ‘expériences’. Plus ou moins prêtes à tout et n’importe quoi tant que ça nous fait vivre un moment fort. Tout pour vivre autre chose que la campagne et les petits oiseaux qui chantent ! »

Moins léché – si l’on peut dire – moins tendu que les premiers livres, un peu de facilité peut-être. Des nouvelles qui vont de quelques lignes avec une pirouette, à une suite qui pourraient constituer un tome 5 des aventures de la très jeune fille qui explore sa sensualité. Le monde adulte est moins intéressant que le monde adonaissant car il a moins de retenue, or c’est le pied au bord de l’abîme que l’on ressent les sensations au plus fort.

Théo Kosma, Dialogues interdits, 2023 e-book sur www.plume-interdite.com

Pour contacter l’auteur : theodore.kosma@gmail.com

Pour accéder au catalogue complet, lire de nombreux textes inédits, recevoir une nouvelle gratuite : www.plume-interdite.com

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Méthode Apili pour mieux apprendre

Le PISA 2022, publié le 5 décembre est catastrophique pour la France. Les élèves de 15 ans sont plus nuls que les autres, et ont baissé encore plus que les autres durant le au Covid : 26e en maths, 26e en sciences, 28e en compréhension de l’écrit !

C’est bien « le système » qui est en cause, le « mammouth » administratif, et pas seulement les inégalités sociales. La baisse de performances entre 2018 et 2022 a touché à peu près également les élèves issus de milieux favorisés et les élèves issus de milieux défavorisés. Quant aux immigrés, accusés de tous les maux par phénomène classique de bouc émissaire (trop commode pour éviter de se poser des questions sur soi), l’écart de performances en maths n’est que de 17% en France contre 27% aux Pays-Bas, 28 % au Danemark ou 32% en Allemagne.

La cause en est manifestement le bordel en classe et l’inertie je-m’en-foutiste du « système » éducatif (ministère, rectorat, administration, syndicats – et bon nombre de profs égarés dans ce métier « choisi » par défaut, pour son confort d’État). Au Japon, seulement 4% des élèves disent être dérangés par des camarades qui utilisent leur téléphone portable ou un autre appareil durant les cours – contre 27% en France ! Les profs, découragés par l’administration qui garde une attitude méfiante et défensive (voir les « circulaires » de rectorat pour les parents qui accusent le collège de ne rien faire contre le harcèlement de leur enfant).

Les parents sont peu impliqués dans les efforts ou les progrès des apprentissages. Aucun tutorat par les pairs n’est instauré, ni de travail en équipe. C’est le chacun pour soi et – de toute façon – le bac pour tous dans un prurit exacerbé d’égalité. Inutile de faire des efforts, profs, le « système » conduira toute la classe d’âge où elle devrait être – et tant pis si elle se plante à l’université, dans les écoles ou dans les entreprises : pas son problème ! Autant dire que les initiatives d’enseignants ne sont pas valorisées, et même découragées pour « ne pas faire de vagues ». L’OCDE note dans son rapport PISA que « dans l’ensemble, ces résultats indiquent que les systèmes scolaires très performants accordent plus de responsabilités aux directeurs d’école et aux enseignants », même si la causalité statistique n’a pas été recherchée avec la réussite éducative.

Dès lors, que faire ?

Évidemment de la discipline au collège, mais en commençant par la société où violer la loi est beaucoup moins grave que violer quelqu’un, n’incitant pas au respect des règles.

Ensuite commencer par la petite enfance, où le principal se joue dans la compréhension de l’écrit comme des nombres. Là, c’est le rôle des parents de s’impliquer : pour ma part, c’est ma mère qui m’a appris à lire en mat sup, à 4 ans. Quant à moi, j’ai raconté beaucoup d’histoire au Gamin avant de s’endormir : cela lui a donné envie de lire pour connaître la suite et relier les images au texte.

Les éditions Liberté présentent une méthode en lecture et une autre en calcul pour apprendre dès 5 ou 6 ans : la méthode Apili. L’orthophoniste Benjamin Stevens applique une pédagogie basée sur l’humour, qui permet d’améliorer l’attention, donc la motivation et la mémorisation tout en diminuant le stress de ne pas être comme les autres si l’on suit moins bien. Trois formes de mémoire sont utilisées pour les nombres : visuelle, auditive, kinesthésique – l’illustration visuelle, les phrases qui la décrivent, les gestes qui vont avec.

L’auteur est un orthophoniste belge qui vit en France et qui a deux enfants.

« En tant que parent, vous êtes guidé par des conseils de pro tout au long de l’apprentissage : comment expliquer les histoires qui accompagnent les lettres, quelle intonation utiliser, quand féliciter votre enfant et passer au niveau supérieur. »

Ou comment apporter la confiance. Indispensable.

Benjamin Stevens, Tables de multiplication Apili: Apprendre les tables grâce à l’humour et aux différents canaux de mémorisation, 2023, éditions Liberté, 88 pages, €19,90

Benjamin Stevens, Apili : apprendre à lire grâce à l’humour – méthode de lecture syllabique recommandée dès 5 ans – conforme au programme scolaire – GS/CP- avec conseils pour les parents/enseignants/orthophonistes, 2021, éditions Liberté, 176 pages, €25,90, e-book Kindle €9,99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi

Mary Higgings Clark, décédée en 2020 à 92 ans, adorait écrire à la fin de sa vie avec sa fille Carol, morte à 66 ans en juin 2023 d’un cancer colorectal. Catholique fervente en bonne descendante d’Irlandais, Mary a été membre de l’ordre de Saint Grégoire le Grand, de l’ordre de Malte et de l’ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem. C’est dire si la religion imbibe son œuvre. Il faut y voir sa patte dans ce court roman de Noël, où tout commence aux portes du Paradis chrétien.

Sterling Brooks attend depuis 46 ans au Purgatoire et voit passer devant lui des hordes de gens moyens, ni bons ni mauvais, mais pires que lui, juge-t-il. Il ne fait même pas partie de cette « amnistie de Noël » que (probablement Carol, qui a de l’humour) imagine aux juges du Paradis. Mais il est convoqué illico devant un jury d’ex-humains devenus saints chargés de juger les affaires courantes. Sterling en est une. Il a en effet fait preuve d’un égoïsme flemmard toute son existence, terminée d’une balle dans la tête à 56 ans : une balle de golf. Le jury le taxe même d’« agressif passif », un comportement à la mode et mal défini qui voit dans la méfiance envers les autres une sourde hostilité plus ou moins consciente et un déni de responsabilité qui fait se défiler au maximum. Sterling a, par exemple, fait languir durant des années sa « fiancée » sans jamais conclure, ce qui l’a conduite à rater sa vie, ce qui signifie rester célibataire et sans enfants.

Le jury céleste condamne donc Sterling à une épreuve : il devra retourner sur la terre comme un fantôme et aider quelqu’un, tel « une vieille dame à traverser » (autre trait d’humour du roman, les « vieilles » dames de nos jours étant fort capables de traverser toutes seules les rues au feu rouge !). Il doit ainsi montrer qu’il est capable d’empathie, donc d’entrer au Paradis. Expulsé sur la terre, il se retrouve au Rockefeller Center, au pied de l’arbre de Noël géant de tradition.

Sur la patinoire du Centre, une fillette de 7 ans, Marissa – elle aura 8 ans le jour de Noël. Elle est virtuose et aime patiner, mais elle est triste parce qu’elle le faisait avec son papa, qu’elle n’a pas vu depuis un an. Il lui téléphone souvent, tout comme sa grand-même, mais il ne peut pas la voir et elle croit qu’il ne veut pas, qu’elle a fait quelque chose de mal et qu’il la met en quarantaine. Ce qui est faux et poignant. Sterling est saisi de compassion, lui qui en s’est jamais intéressé aux enfants faute de les connaître, et veut tout faire pour aider cette bambine. Il va pour cela demander l’aide du Ciel, qui lui accorde volontiers.

Il va ainsi remonter dans le temps pour connaître les causes, découvrir la grand-mère Nor et son fils Billy, la première ex-chanteuse de cabaret tenant un restaurant-spectacle à succès, le second chantant et devenant de plus en plus apprécié. Jusqu’à ce qu’on les engage tous deux pour l’anniversaire de la vieille mère de deux truands, les frères Badgett. Mama Heddy-Anna vit au Kojaska, une contrée (imaginaire) à l’est où les mafias règnent, d’ailleurs le père est en prison. Les fils ont dû fuir, risquant la geôle à vie, et ils ne peuvent retourner voir leur mère qui s’ingénie, à chaque appel, à détailler ses maux imaginaires (écrits sur une ardoise à côte du téléphone) pour les appeler à elle. Bourrée à la vidéo lors de la retransmission pour son anniversaire à la réception de ses fils, à New York, Mama envoie foutre tous les invités chics. Les frères sont en colère et, comme l’un de leurs débiteurs réclame un délai, ils mandatent un truand pour incendier son entrepôt en signe d’avertissement ; l’informaticien qui tirait le diable par la queue en a une crise cardiaque. Billy et Nor, qui les avaient suivis dans la maison pour savoir s’ils devaient continuer à chanter ou partir après l’esclandre, entendent par inadvertance l’intimidation au téléphone et, s’ils s’éclipsent sans se faire voir des frères, l’avocat des mafieux les observe.

Ce Charlie est entré dans un engrenage dont il ne peut se dépêtrer sans craindre pour sa vie. Il a eu le tort d’accepter une mission légale pour les Badgett sans se renseigner sur eux puis, de fil en aiguille, a été forcé de recourir aux menaces pour les débiteurs en retard et, lorsqu’il s’agit d’aller jusqu’au meurtre, il se trouve acculé. Il va trouver une ruse pour s’en sortir, suggérée par Sterling qui va ainsi le sauver en même temps que la petite Marissa, son père et sa grand-mère. Et tout ira bien qui finira bien, juste pour Noël, cette fête du renouveau chrétien. Sterling a incarné le rôle du sauveur (sans majuscule) et il est donc digne du Paradis. Mais, dernier trait d’humour, il a pris goût à ce rôle d’aider les gens et il demande à accomplir d’autres missions…

Le scénario gentillet ne s’élève pas au-dessus de celui du Club des Cinq, et la naïveté de la foi du charbonnier fait sourire les non-Yankees. Mais c’est une belle histoire, sentimentale et sans trop de violence qui plaît aux lectrices de MHC. Il semble qu’elle tombe dans le rose bonbon dès qu’elle écrit avec sa fille Carol, élevée sans les épreuves qu’elle-même Mary a connues dans son existence.

Il en a été tiré un film par David Winning en 2002.

Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi (He Sees You When You’re Sleeping), 2001, Livre de poche 2003, 255 pages, €7,40

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Témoin à charge de Billy Wilder

Agatha Christie en avait imaginé une nouvelle en 1925 puis, devant le succès, élaboré une pièce de théâtre après guerre en 1953 ; Billy Wilder en fait un film en 1957. Il y aura encore une mini-série BBC en 2016 et un téléfilm policier récemment ! C’est dire combien l’intrigue intrigue, particulièrement tordue car à rebondissements.

Le thème en est l’amour – absolu – face au cynisme de l’humain trop humain. Leonard Vole (Tyrone Power) est un bon à rien touche à tout qui, pris dans l’armée d’occupation britannique en 1945, sauve Christine Helm (Marlène Dietrich) de la famine dans un Berlin en ruines où elle chante dans un cabaret improvisé en sous-sol. Leonard, léger et inconsistant, lui fait plaisir en lui offrant du café instantané et des rations de lait, sucre et œufs en poudre de l’armée américaine. Tout cela parce qu’elle l’a impressionné par son caractère froid et rigide, sa voix grave et ses grands yeux. Il l’épouse pour la faire sortir d’Allemagne et l’établit avec lui en Angleterre.

Mais la vie continue et Leonard va de boulot en boulot, instable et fantasque. Il a inventé un batteur qui « sépare les blancs des jaunes » (?) et espère de l’argent pour lancer son affaire. Il fait la connaissance par hasard, en regardant les vitrines de luxe, de la veuve joyeuse Madame French (Norma Varden) qui essaie un chapeau ridicule. En croisant son regard, il lui fait signe que non de la tête ; la rombière essaie un nouveau bibi et il fait alors oui. Elle l’achète et le remercie mais, comme son bus arrive, il s’en va. Il est ainsi Leonard, instantané, à saisir ce qui passe.

Le destin va en décider autrement et ils se retrouvent par hasard dans un cinéma où le chapeau acheté empêche de voir l’écran. C’est Madame French qui va passer son ennui dans les salles obscures à regarder des films qu’elle a déjà vu plusieurs fois. Ils renouent, elle l’invite à venir prendre le thé ; il lui fait la démonstration de son batteur à main devant la cuisinière bonne à tout faire Janet McKenzie (Una O’Connor) qui le prend en grippe par conservatisme et jalousie. Elle n’aime pas ce beau-parleur qui enjôle sa maîtresse, d’autant que celle-ci tombe amoureuse du bel homme qui a au moins vingt ans de moins qu’elle.

Et Leonard se retrouve dans l’antichambre du célèbre avocat pénaliste sir Wilfrid Robarts (Charles Laughton) qui sort d’une crise cardiaque et que son infirmière dragon (Elsa Lanchester) rudoie pour lui faire faire la sieste, prendre ses pilules, lui imposer sa piqûre, boire son cacao… Ce qui est autant de prétextes à scènes cocasses où le coq éructe contre la poule, qui l’aime bien au fond. C’est que Leonard se trouve accusé du meurtre de Madame French survenu la veille au soir, alors qu’il venait justement de la visiter. Il jure qu’il n’a pas tué. Sir Wilfrid le soumet au teste du monocle (le soleil dans l’œil) et a plutôt tendance à le croire mais la cause est perdue. D’autant que les journaux révèlent qu’une forte somme lui est léguée par testament, ce qui fournit un mobile, même si Leonard jure (une fois de plus) qu’il n’était pas au courant. Sa femme immigrée témoigne aux policiers en sa faveur, mais elle est sa femme, donc sujette à être aveuglée par l’amour, et étrangère, donc sujette à suspicion de la part des « jurés de Londres ». Sir Wilfrid laisse donc la cause perdue à son élève, l’avocat Brogan-Moore (John Williams).

Leonard sorti, surgit alors sa femme Christine, son seul alibi. Sir Wilfrid l’interroge au bas de l’escalier où il doit prendre l’ascenseur mécanique pour ne pas se fatiguer le cœur, et ce qu’elle dit l’incite à aller au combat. Il adore au fond les causes perdues et sent que cette femme qui est prête à tout pour sauver son amour passera mal devant un jury : défendre Leonard sera alors une performance.

Il décide de ne pas la faire témoigner mais l’accusation s’empresse de la convoquer. Si les avocats de la défense Robarts et Brogan-Moore ont réussi à instiller un doute dans les esprits à propos du témoignage de l’inspecteur (chef) qui a trouvé du sang sur la veste du suspect du même groupe que celui de la victime, mais n’a pas vérifié si ledit suspect pouvait être du même groupe sanguin ; s’ils ont réussi a ridiculiser le témoignage de la vieille bonne écossaise Janet qui s’est trouvée déshéritée de la fortune de Madame French lorsqu’elle a changé son testament en faveur de Leonard, et qui devient sourde d’une oreille, alors comment aurait-elle pu reconnaître la voix qui parlait avec sa patronne juste avant le crime ? – le témoignage de Christine est un revers.

Elle ne devrait pas être autorisée à témoigner à charge puisqu’elle est sa femme or, coup de théâtre, un certificat est produit d’un premier mariage en Allemagne en 1942, ce qui annule le mariage anglais. Elle peut donc valablement répondre aux questions. Elle déclare avoir menti aux policiers sur l’heure où Leonard est rentré chez lui le soir du meurtre, elle déclare avoir vu sa veste ensanglantée à la manche et qu’il lui a déclaré avoir tué la veuve. Son excès même indispose le jury de Londres et l’assistance. Pourquoi l’accable-t-elle si elle l’aime ? N’est-elle pas reconnaissante à Leonard de l’avoir sauvée ?

Alors que tout semble plié et que l’accusation va produire son réquisitoire pour le pendre, second coup de théâtre. Une femme de la rue a contacté sir Wilfrid par téléphone pour lui dire qu’elle a des informations pour lui sur « cette traînée » de Christine. Rendez-vous au bar de la gare d’Euston dans une demi-heure, avec du fric. Il s’agit de lettres écrites par Christine à son amant Max sur papier bleu, qui détaille à loisir le piège dans lequel Leonard serait tombé. Les avocats paient et reviennent au tribunal avec ces nouvelles preuves. Christine est confondue en public et s’effondre : elle a menti, elle n’a cessé de mentir à tous, à Leonard en taisant son premier mariage, aux autorités britanniques, aux policiers, au jury. Leonard est acquitté.

Mais quelque-chose chiffonne le vétéran des causes criminelles sir Wilfrid Robarts : tout est « trop parfait », dit-il. La salle s’est vidée, Christine va être inculpée de faux témoignage et faire de la prison mais elle est heureuse : elle aime profondément Leonard et l’a sauvé de la potence. Pour cela, elle a doublement menti pour lui, en le soutenant, puis en retournant sa veste pour l’accabler, enfin en écrivant en hâte les lettres qui vont l’incriminer elle-même – car la fille des rues qui a vendu le paquet, c’est elle-même déguisée ; elle a fait du théâtre. Sir Wilfrid est abasourdi, toute morale est absente et, s’il aime gagner, il n’aime pas que le crime paie.

Mais Leonard, toujours aussi instantané que le café qu’il a initialement offert, revient dans la salle déserte avec une poule, celle qu’il a ravie récemment dans un café et avec qui il est allé consulter une agence pour un voyage cher sous les palmiers quelques jours avant le crime. Car c’est bien lui le meurtrier. Si Christine l’a sauvé, elle lui a menti sur le mariage et ne se trouve donc pas sa femme ; il reprend sa liberté d’autant qu’il a trouvé plus jeune et qu’il est désormais riche. Tout s’effondre devant Christine. Tant qu’à être condamnée, autant que ce soit pour une bonne cause : le meurtre plutôt que le faux parjure. Elle se saisit du couteau qui a tué la French, laissé comme pièce à conviction sur une table et que le monocle de l’avocat titille de son reflet comme par justice immanente, et poignarde Leonard, qui crève.

Sir Wilfrid Robarts, choqué de tant de cynisme et d’amoralité foncière, décide alors de défendre Christine malgré sa santé qui devrait lui interdire toute émotion forte. Mais avec l’approbation enthousiaste de son infirmière.

Un bon film empli d’humour très britannique, de rebondissements inattendus en poupées russes, même lorsqu’on les connaît déjà, et de personnages entiers dans leur rôle. Le film a été un succès et a reçu plusieurs Oscars et Golden Globes en 1958. Il se revoit avec plaisir.

DVD Témoin à charge (Witness for the Prosecution), Billy Wilder, 1957, avec‎ Tyrone Power, Marlene Dietrich, Charles Laughton, Elsa Lanchester, John Williams (II), Rimini Editions 2021, 1h52, €9,98 Blu-ray €19,55

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La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock

Roger Thornhill (Cary Grant) est un publiciste connu et pressé, deux fois divorcé. Il est élégamment vêtu d’un costume gris bien coupé avec une cravate dans le même ton. Drôle, direct, chic, il dicte à sa secrétaire les tâches qu’elle a à faire et à lui rappeler dans le taxi qui l’emmène au Plaza Hotel, grand palace de New York où il a un rendez-vous d’affaires. La dernière consigne, la plus urgente, est de rappeler sa mère pour un rendez-vous le soir même au théâtre. Mais le taxi est déjà reparti lorsque Thornhill se rend compte que sa mère va être injoignable, jouant au bridge à cette heure-ci.

Sitôt entré dans l’hôtel et assis devant ses hôtes, il mande un chasseur pour faire porter un message mais celui-ci lui indique la personne adéquate un peu plus loin derrière le comptoir. Thornhill se lève et se dirige vers l’endroit. A ce moment est diffusée une annonce qu’on demande un certain Monsieur Georges Kaplan au téléphone. Ceux qui guettaient Kaplan croient donc en toute bonne foi que Thornhill est leur homme et ils l’enlèvent carrément en plein hall en le menaçant sous la veste d’un pistolet.

Embarqué dans une puissante voiture péniche de ces années-là, le trio et le chauffeur se dirigent vers une imposante demeure sur la côte nord de Long Island, appartenant à un certain Mr Townsend. Kaplan est tenu de révéler comment il a connu l’organisation de ceux qui l’ont enlevé – sauf que Thornhill n’est pas Kaplan et ne voit pas de quoi ils veulent parler. Il résiste, maniant l’humour avant les poings, mais est terrassé. Puisqu’il ne veut pas avouer, il doit au moins disparaître. On lui fait avaler de force le contenu d’une bouteille de whisky avant de le coller, bourré, dans une décapotable et de le lancer sur la route en bord de falaise. Il va se crasher au prochain virage et la police croira à un accident.

Sauf que le conducteur est un grand gaillard qui résiste aux effets de l’alcool tant qu’il peut. Cary Grant effectue une performance d’acteur en roulant des yeux et en maniant le volant comme s’il était schlass. Heureusement, le capot des Mercedes ont un utile viseur en plein centre, ce qui permet de garder la route dans le collimateur. Thornhill évite donc le virage, tangue sur le ruban asphalté mais ne quitte pas la route. Les autres le poursuivent et il doit foncer. Jusqu’à ce qu’une voiture de police le prenne en chasse et l’arrête en état d’ivresse avancée. Il est sauvé, provisoirement.

Il appelle « maman » (Jessie Royce Landis) et son avocat qui va le tirer de là après « une nuit » de dégrisement. Le juge charge la police d’enquêter sur le soi-disant enlèvement dont Thornhill aurait été victime. A la demeure Townsend, personne, le maître des lieux prononce un important discours aux Nations-Unies et sa femme (Josephine Hutchinson) prétend que Roger s’est bien murgé et qu’il a pris par erreur la voiture d’une amie alors qu’il n’aurait même pas dû conduire. Tout le monde est alors persuadé qu’il affabule. Mais Roger Thornhill ne l’entend pas de cette oreille, il veut en avoir le cœur net. Il retourne à l’hôtel Plaza pour rencontrer le mystérieux George Kaplan mais constate que personne ne l’a jamais vu. Il laisse des messages, se fait livrer ses bagages, nettoyer ses costumes. Thornhill peut aisément demander sa clé en se faisant passer pour lui et fouille sa chambre mais ne trouve pas grand-chose, sauf que les costumes sont trop petits pour lui et qu’une photo représentant ceux qui l’ont enlevé traîne sur le bureau.

Il se rend donc aux Nations-Unies, après avoir échappé de justesse à ceux qui le traquent une fois de plus. Il rencontre là le « vrai » Mr Lester Townsend (Philip Ober), le diplomate, qui n’est pas celui qui s’est présenté sous son nom à la villa. Car elle est censée être vide, sous la garde du seul jardinier – et Mr Townsend est d’ailleurs veuf depuis des années ! A ce moment, comprenant qu’ils vont être en danger, l’un des sbires qui ont suivi Thornhill lance un poignard dans le dos du diplomate qui s’effondre. Thornhill a le stupide réflexe de le soutenir et d’empoigner le manche pour l’ôter : un photographe le prend à ce moment-là, l’air hagard, le couteau à la main. Cette photo fera le tour des journaux en première page et Thornhill sera accusé et activement recherché.

Il fuit donc la police jusqu’à la gare où il veut prendre un train pour la prochaine destination programmée de Kaplan, comme le lui ont appris ses ravisseurs, confirmé par le portier d’hôtel : Chicago. La blonde Eve Kendall (Eva Marie Saint), l’aide à échapper aux policiers en le cachant dans son compartiment couchette. Ils se retrouvent au wagon-restaurant, où elle a soudoyé le maître d’hôtel pour qu’il soit dirige vers sa table. En fait, elle craque pour lui et lui-même n’est pas insensible à cette femme maîtresse d’elle-même, pleine de ressources et qui sait ce qu’elle veut. Une femme bien différente des personnages féminins habituels d’Hollywood, hystériques, émotives et sans cesse en faiblesse. Surtout qu’elle joue triple jeu, le spectateur l’apprend en quelques minutes : si elle a aidé le faux Kaplan, c’est pour mieux l’attirer dans les filets des ravisseurs ; sauf qu’elle est infiltrée par les services secrets des États-Unis pour confondre les espions au service de l’Est ; et qu’elle joue au fond son propre jeu en cherchant à sauver la personne qui l’a si bien baisée dans le compartiment (le film ne montre que des embrassades, mais la suite donne une version plus ambiguë…).

Déguisé en porteur des bagages Kendall, Thornhill passe sans encombre la surveillance de la police et va se changer dans les toilettes tandis qu’Eve téléphone pour obtenir un rendez-vous avec Kaplan. Elle donne par écrit les instructions qu’elle a notées à Thornhill qui peut donc prendre le car pour descendre à un croisement de routes désertes en pleine cambrousse de l’Indiana et attendre. Suspense : il ne se passe rien et les rares véhicules qui traversent ne s’arrêtent pas. Soudain un homme descend d’un pick-up et attend, en face de Thornhill – mais ce n’est qu’un péquenaud qui va prendre le car en sens inverse. Dans la discussion, il s’étonne de voir un petit avion épandre ses pesticides au-dessus d’un champ qui n’est pas planté. D’ailleurs, une fois le champ libre, l’avion biplan fonce sur Thornhill avec l’intention de le tuer. C’est un grand moment de spectacle qui reste dans les anthologies. Thornhill se réfugie dans un champ de maïs pour ne pas être vu mais l’avion le déloge en épendant un nuage chimique. L’homme se précipite alors sur la route à la rencontre d’un camion d’essence qui freine in extremis, alors qu’il passe juste sous le capot. L’avion, qui cherchait à dézinguer Thornhill ne peut éviter la citerne et se crashe.

Le publiciste peut donc voler une voiture de badauds arrêtés devant le spectacle et rejoindre Chicago et l’hôtel de Kaplan. Mais le réceptionniste lui apprend qu’il a quitté les lieux le matin même à 7 h. C’est curieux, deux heures avant le soi-disant coup de téléphone à Kaplan par Eve… Laquelle réside dans le même hôtel. Thornhill monte à sa chambre et elle a l’air surprise bien qu’heureuse de le voir en vie, même si elle avait passé son amant chic par pertes et profits. Elle reçoit un appel qui lui confirme un rendez-vous, qu’elle note sur le calepin mais ôte la page. Elle convie Thornhill à prendre une douche – froide – et à faire nettoyer son costume plein de poussière et de pesticide par le groom. Cela lui fait gagner du temps. Mais Thornhill retrouve aisément l’adresse en noircissant la feuille pour faire apparaître ce qui est écrit en relief. Il s’agit d’une salle des ventes, dans laquelle la bande sous la direction du faux Townsend nommé Vandamm (James Mason) enchérit pour une statuette. Les issues sont surveillées par les sbires armés et Thornhill, décidément inventif et plein d’humour, n’a d’autre choix que de susciter un esclandre afin d’être exfiltré par la police. A qui il révèle son identité réelle, et il est libéré.

Sur les instances du Professeur (Leo G. Carroll), chef d’une agence de renseignements du gouvernement, lequel confie à Thornhill que Kaplan n’existe pas et qu’Eve est un agent ami infiltré dans l’organisation au péril de sa vie. Thornhill, qui avait pour elle des sentiments et s’est trouvé bafoué, comprend et pardonne. Malgré les ennuis que cela va encore lui valoir, il veut la sauver. Le Professeur prend avec lui un vol de la Northwest Airlines (d’où le titre américain du film) pour Rapid City au Dakota du Sud. C’est la prochaine destination programmé du fictif Kaplan, où Vandamm possède une demeure et d’où il envisage de fuir en avion vers le Canada.

Thornhill a donné rendez-vous à Vandamm et Kendall dans une cafétéria en contrebas du monument du mont Rushmore. Pour lever les soupçons sur elle et parfaire sa couverture, Eva abat Roger de deux coups de feu… à blanc. Dans la séquence, le spectateur peut apercevoir un gamin en chemise bleu roi en arrière-plan qui se bouche les oreilles AVANT le coup de feu, signe que la scène a été répétée plusieurs fois. Eve fuit et Thornhill, laissé pour mort, est emmené en ambulance par le Professeur. Ils se rencontrent dans un bois où chacun avoue à l’autre qu’il tient à lui. Mais Eve doit retourner auprès de Vandamm, qui a le béguin pour elle, et s’envoler avec lui pour en savoir encore plus sur l’organisation. Roger refuse car elle risque sa vie, et le chauffeur, sur ordre du Professeur, le met KO ; ils vont l’enfermer plusieurs jours dans l’hôpital, pour la vraisemblance.

Mais Roger s’enfuit et rejoint la villa de Vandamm où il surprend une conversation entre lui et Leonard (Martin Landau), son sbire numéro deux. Ce dernier a découvert que le pistolet d’Eve ne portait que des balles à blanc et les espions décident de l’éliminer en le jetant du haut de l’avion dans les flots lorsqu’il seront partis. Thornhill fait alors des pieds et des mains, au sens littéral acrobatique, pour grimper à la chambre, écrire un petit mot sur la pochette d’allumettes à ses propres initiales, et avertir Eve qu’elle ne doit surtout pas monter dans l’avion. Celle-ci, in extremis, s’empare de la statuette qui contient en fait les microfilms des documents récoltés par les espions, et fuit en direction de Roger. Il a dû s’extirper d’une matrone intendante de la villa qui braquait un pistolet sur lui… qu’il a reconnu être celui d’Eve chargé à blanc.

Le couple fuit donc avec les documents, poursuivi par les espions, jusqu’au sommet des fameuses têtes de présidents sculptées dans la roche du mont Rushmore. Valerian le sbire numéro un (Adam Williams) dérape de lui-même et s’écrase en bas tandis que Leonard saute sur Thornhill et récupère la statuette. Mais Eve est en difficulté et Roger lui tend la main, qu’elle attrape in extremis, le reste de son corps pendant dans le vide. C’est alors que la godasse du sbire vient écraser la main du sauveur pour les précipiter tous deux dans l’abîme. Une balle providentielle, commanditée par le Professeur sur la rive d’en face, met fin au suspense et le couple est sauvé, ainsi que les microfilms. Ils furent heureux et eurent (peut-être) de beaux enfants.

DVD La mort aux trousses (North by Northwest), Alfred Hitchcock, 1959, avec Cary Grant, Eva Marie Saint, Jessie Royce Landis, Leo G. Carroll, James Mason, Warner Bros Entertainment France 2011, 2h11

DVD Alfred Hitchcock : La Collection 6 Films, Le Grand alibi, Le Crime était presque parfait, La Loi du silence, La Mort aux trousses, L’Inconnu du Nord-Express, Le Faux coupable, Warner Bros Entertainment France 2012, 10h27

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Mais qui a tué Harry ? d’Alfred Hitchcock

Dans un flamboyant automne de la campagne nord américaine du Vermont, un petit garçon en T-shirt s’avance. Il porte un pistolet à la ceinture et un fusil mitrailleur à la main. Soudain, trois coups de feu rapprochés : le petit garçon se jette à terre, comme au cinéma. C’est peut-être la guerre ? Il se relève et va voir en direction des coups de fusil : ce n’est peut-être qu’un chasseur même si l’adjoint du shérif a interdit de tirer dans ces lieux.

Le gamin nommé Arnie (Jerry Mathers) monte une colline et, au pied des arbres en feu de saison, découvre un cadavre fraîchement mort. Un homme en costume gris, cravaté et chaussures de ville aux pieds. Il porte un trou ensanglanté dans le front et il ne bouge plus. Le petit garçon court au village prévenir sa mère (Shirley MacLaine). Entre temps, le capitaine retraité Wiles (Edmund Gwenn), celui qui a tiré, est bien embêté : il a cru viser un lièvre et voilà un corps gisant. C’était un accident, se dit-il, autant le faire disparaître.

Mais ne voila-t-il pas qu’à chaque fois qu’il saisit le mort par les pieds, surgit un quidam qui passe par là. C’est successivement sa voisine Miss Ivy, une fille fille de 42 ans qui en paraît dix de plus (Mildred Natwick), un vagabond (Barry Macollum) qui s’empare des belles chaussures en laissant voir les chaussettes ridicules du mort à bouts rouge vif, le docteur aux lunettes épaisses qui lit un livre et ne voit rien (Dwight Marfield), la mère et le gamin qui reviennent… « Ah ! C’est Harry mon mari ! Il ne bouge plus, bien fait pour lui. » Et encore le peintre du village Sam (John Forsythe), artiste envolé qui n’a pas encore 30 ans et expose ses toiles chez l’épicière (Mildred Dunnock), sans en vendre aucune car, si elle ont de belles couleurs, elles sont abstraites et on ne reconnaît rien, disent les commères.

Le capitaine est bien embêté, surtout lorsque le peintre commence à dessiner le portrait du mort au pastel. Il lui expose les faits : ses trois balles tirées, l’une dans une boite de bière pour s’entraîner, l’autre dans le panneau interdit de chasser, la troisième dans un lapin qui passait. Mais il n’a pas trouvé de lapin, c’est donc le mort qui en a fait office. Conclusion : se taire et dissimuler. Informer les autorités serait une suite de tracas sans nom et puisque Harry a été reconnu par sa femme et qu’elle semble être contente qu’il soit passé de l’autre côté, pourquoi s’en faire ? Chacun peut goûter l’ironie de cette attitude dans ce monde très puritain du Vermont, où le clocher pur d’une église toute blanche se dresse dans le paysage. Dieu sait ce qui s’est passé et cela suffit.

D’où l’enterrement sous un arbre du coin. Mais le comique de répétition va à nouveau sévir : après le défilé de « tout le canton » devant le cadavre, les interrogations taraudent les uns et les autres. On déterre, on réenterre, et à nouveau… C’est que le gamin a trouvé un lapin mort sous les arbres, le capitaine l’a donc bien abattu, y aurait-il une quatrième balle ? Mais alors, qui a tué Harry ? L’épouse avoue un coup de poêle à frire sur sa tête car il était insistant et voulait la reprendre alors qu’il ne l’aime pas et qu’il ne s’était marié que parce qu’elle était veuve de son frère. La vieille fille confesse qu’avant de « trouver » le capitaine devant le cadavre, elle a rencontré Harry sur le chemin, il titubait, il l’a prise pour sa femme, il a voulu l’agresser ; en se défendant, elle l’a atteint au front d’un coup de talon de chaussure renforcé au fer. Alors, si ce n’est pas le capitaine, pas l’épouse, serait-ce elle qui a tué Harry ?

Le cadavre, déterré, est porté au domicile de la veuve pour que le docteur myope l’examine. Pour cela, il faut le nettoyer, laver ses vêtements, ce qui engendre une scène cocasse où les deux couples en formation vaquent aux tâches ménagères, lavage, séchage, repassage. Le docteur conclut à un arrêt du cœur, tout simplement une crise cardiaque, même si le spectateur peut avoir des doutes sur ses compétences. L’adjoint du shérif (Royal Dano) soupçonne quelque chose mais perd une à une les « pièces à conviction » qu’il laisse sans surveillance. Il n’y a pas d’affaire Harry, pas de « trouble » selon le vocable anglais. Il faut donc le réenterrer. Sauf que… le peintre envolé et la veuve joyeuse ont décidé de se marier. Il faut donc déclarer le cadavre, sinon la loi exige d’attendre sept ans pour rendre officielle la disparition. Pas question d’enterrer Harry, il faut que les autorités le découvrent comme s’il était tout neuf. Comment faire ?

C’est là que le gamin va jouer son rôle.

Un chef d’œuvre d’humour à la Hitchcock dans un paysage de feu, où le cadavre est un objet qu’on trimballe et sert de prétexte à plusieurs histoires du village, dont le millionnaire (Parker Fennelly) qui achète toute l’œuvre du peintre. De l’influence des morts sur les vivants : la vieille fille trouve un vieil homme à sa pointure, la jeune veuve esseulée trouve un jeune mari, le gamin de 5 ans un papa, l’adjoint du shérif enfin une affaire, le peintre un mécène, tous un cadeau… C’est léger, irrespectueux des mines de circonstance devant « la mort » et plein de charme.

DVD Mais qui a tué Harry ? (The Trouble with Harry), Alfred Hitchcock, 1955, avec‎ Edmund Gwenn, John Forsythe, Mildred Natwick, Mildred Dunnock, Jerry Mathers, Universal Pictures 2022, 1h39, €14,99 Blu-ray €16,90 4K €20,97

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Prieur et Malgras, Sparte attaque !

Nous sommes en 485 avant Jésus-Christ. Sparte est la cité à l’honneur. D’ailleurs chatouilleux, cet honneur. Tous jeunes, les gamins sont incités au courage et à résister à la douleur ; adolescents, à se muscler et à lutter ; adultes à combattre jusqu’à la mort. « Car, comme le dit Léonidas notre roi, « pour vivre en Spartiate, il faut mourir en héros ». »

Pas facile quand on est gringalet, lymphatique et qu’on a les faiblesses bien connues et bien humaines. Les anti-héros sont des zéros, versés dans « la réserve » de l’armée pour incapacités, surtout mentales ; Il ne leur arrive que des trucs pas possibles. Déjà, s’appeler Menthalos ou Jean-Patrocle, faut le faire. Roméos et Gyros, ce n’est pas mieux. Car nos zhéros sont quatre, comme les Trois mousquetaires. Chaque gamin de 9 ans sait ça (faites amener un gamin de 9 ans !)

L’album contient donc une suite d’histoires drôles, arrivées à ces bras-cassés de l’envers du décor spartiate. Il devait bien y avoir des branquignols dans la cité ! Même si l’Histoire ne les a pas retenus, statistiquement, c’est imparable.

Bon, l’Histoire n’est pas toujours respectée, avouons-le, traiter quelqu’un de « naze » deux millénaires et demi avant les nazis n’est pas très professionnel ; ni d’aimer « les tomates », de manger « des poivrons » ou « de la dinde » alors que ces plantes et cet animal ne seront découverts (en Amérique) que deux mille ans plus tard. Mais on ne va pas bouder notre plaisir.

« Nos » Spartiates sont des jeunes louseurs (comme on dit en grec ultra-modernisé) égarés dans une Antiquité fantasmée, où l’on visite l’Enfer avec une carte, où l’on se marie comme ça avec une déesse, où les Perses, ces méchants basanés d’alors, sont toujours vaincus après des batailles homériques, où l’honneur d’un homme se résume (comme Staline, Hitler, Mao, Pol Pot ou Poutine) à son tas de cadavres.

C’est drôle, dessiné avec forces détails, en ligne claire, dans une luxuriance qui fait presque mal aux yeux. Un bon premier tome pour des zhéros adaptés à notre temps. On attend leurs années d’apprentissage, ce devrait être à croquer, et l’introduction des filles (mais si ! il y en avait aussi à Sparte).

BD Prieur et Malgras, Sparte attaque ! – tome 01 A l’ombre des héros, Fluide Glacial 2023, 56 pages, €13.90 e-book Kindle €6.99

Une autre BD de Prieur et Malgras déjà chroniquée sur ce blog

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La vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder

Le célèbre détective revisité bien après la mort de son fidèle Docteur Watson. Une malle retrouvée « à l’ouvrir que cinquante ans après » livre les secrets d’une affaire délicate qui met en cause les femmes et le gouvernement de Sa Majesté. Je veux parler de VR, Victoria Regina, la petite dame en noir.

Le récit est réjouissant et la réalisation emplie d’un humour tout britannique. Souffrons cependant que le factotum, quand même docteur en médecine, soit présenté comme un niais qui bafouille lorsqu’il croit voir des choses. Pour le reste, histoire tordue, monstre du Loch Ness, belles pépées, sept nains, six moines, Russes plus vrais que nature, Écossais bourrus à souhait, Allemands retors bien que dirigé par le petit-fils de Victoria la reine, le Kaiser Guillaume.

Sherlock (Robert Stephens) s’ennuie, aucune affaire ; il y a bien les sept nains qui ont disparus mais le directeur du cirque n’offre que 5 £ car il n’y en a que six. Sherlock se shoote à la cocaïne pour oublier, au grand dam de son médecin Watson (Colin Blakely) qui aimerait bien une nouvelle affaire pour que le maître agite ses petites cellules grises et que lui puisse suivre puis publier dans The Strand Magazine une nouvelle aventure qui fait les délices du public. Au courrier, une seule chose intrigue Sherlock : qu’on lui offre des billets en loge pour le Lac des cygnes des ballets impériaux russes qui passent à Londres et dont les inscriptions sont closes depuis longtemps.

La célèbre diva Petrova (Tamara Toumanova) effectue sa dernière danse. Sherlock baille ; autant il aime la musique, autant le ballet l’ennuie. Au baisser de rideau, le directeur Nikolaï Roghozin (Clive Revill) s’introduit dans leur loge afin de les convier à le suivre. Il laisse Watson aux mains des ballerines qui s’empressent de le faire danser sans parler un seul autre mot anglais que « yes » et pousse Sherlock dans la loge de la diva. C’est simple, elle lui offre un violon Stradivarius, un vrai du XVIIe siècle (une fortune), pour qu’il la baise une semaine à Venise et lui fasse un enfant. Elle veut en effet, à la russe, le meilleur : sa beauté à elle et son intelligence à lui. Sherlock Holmes n’a rien contre les femmes mais il les tient à distance, en bon Anglais dressé dans les collèges victoriens. Il déclarera avoir été fiancé à la fille de son prof de violon mais la fille a eu le mauvais goût de décéder d’influenza deux jours avant les noces. Depuis, il se méfie : les femmes sont imprévisibles, aptes à la trahison. Ne sachant comment décliner sans vexer, il laisse entendre qu’il est pédé – comme Tchaïkovski. La Petrova est outrée, le directeur aussi, mais Sherlock est sauvé. Il récupère un Watson échevelé qui badine fort avec les jolies ballerines et leurs « popotins ». Sauf que le directeur s’empresse de divulguer la chose aux filles et elles s’éloignent du docteur, laissant la place à leurs jeunes partenaires masculins – l’homosexualité est courante dans les ballets.

Lorsqu’il l’apprend, Watson est outré. Il accuse Holmes de l’avoir déconsidéré auprès de la société, de son régiment de fusiliers, de son club… Lui, homosexuel ? Quelle honte ! Sherlock élude, c’était la seule façon de se sortir de ce piège habilement tendu. C’est alors que surgit une autre affaire, encore une femme. La poule mouillée est déshabillée, quasi muette (Geneviève Page), repêchée dans la Tamise par un cocher qui réclame le prix de sa course ; pourquoi l’a-t-il amenée chez Holmes ? Parce qu’il a trouvé sa carte dans ses poches avec l’adresse, 221b Baker Street. Faut-il la renvoyer ? Watson s’empresse, lui fait donner du thé par sa logeuse, lui verse un somnifère, lui consent son lit – il couchera sur le divan. Quant à Holmes, il cogite. Ses chaussures indiquent une marque de Paris, elle parle donc français ; ses étiquettes de vêtements indiquent Bruxelles, elle est donc belge ; son anneau de mariage montre son prénom Gabrielle et celui de son mari, Émile. Quant à sa paume, elle a gardé la trace d’une étiquette de consigne avec le numéro 310 qu’Holmes aperçoit lorsqu’elle se réveille et sort nue pour se jeter dans ses bras ; il est suggéré qu’elle a couché avec lui dans la nuit. Il part donc chercher la valise au débarqué de la malle maritime de Belgique tandis que Watson dort toujours. Celle-ci révèle une pile de lettre de son mari Émile Valladon, ingénieur et son portrait.

Le mari ne répond plus et sa femme est venue aux nouvelles. L’adresse qu’il a donné est une boutique vide et la société Jonas qu’il indique comme son employeur n’existe pas. Gabrielle engage Sherlock à retrouver son mari. Ce dernier consent car il veut se débarrasser d’elle au plus vite, elle le gêne dans ses activités et les femmes engendrent des émotions embarrassantes qui font mauvais ménage avec la logique. Ils vont donc envoyer une lettre vide à l’adresse, s’y planquer et voir qui vient la chercher. Il y a dans la pièce tout un lot de canaris qu’une vieille en fauteuil roulant vient approvisionner tout en prenant le courrier. Des ouvriers viennent prendre un lot d’oiseaux en cage et la vieille laisse en partant une lettre… destinée à Holmes !

Celui-ci est convoqué au Diogène’s Club, un antique ramassis de vieillards compassés, qui semble servir de couverture au ministère des Affaires étrangères et où officie le frère de Sherlock, le haut-fonctionnaire Mycroft Holmes (Christopher Lee). L’affaire Valladon est un secret d’État et le détective privé est prié de s’effacer. Mais Sherlock a pu comprendre lors de la livraison d’un plis que l’Écosse, et même le Glenn quelque chose qui ouvre sur le Loch Ness, était l’endroit où devaient être livrées « trois boites ». Il embarque donc tout son petit monde par le train d’Inverness tandis que Gabrielle ouvre et ferme curieusement son ombrelle à la fenêtre comme si elle fonctionnait mal. Sherlock et Gabrielle sont Monsieur et Madame Ashdown tandis que Watson est leur valet. Ce qui donne des situations cocasses dans le train où le valet voyage en troisième classe et dort assis au milieu des moines trappistes qui lisent le livre de Jonas (tiens?) tandis que le couple dort en wagon-lit ; puis au château hôtel où ils ont une suite tandis que le valet est au grenier et les chiottes au sous-sol…

En visitant le pays, les trois vont d’abord au lieu mentionné par inadvertance par Mycroft. C’est un cimetière où, en effet « trois boites » sont livrées, trois cercueils dont deux petits : « un père et ses deux fils », disent le fossoyeurs ; ils se sont noyés dans le loch lorsque leur barque s’est renversée à cause de la houle – ou bien parce qu’ils ont vu le Monstre ! Juste après, plusieurs petits personnages viennent se recueillir sur les tombes : ce sont des nains et pas des enfants – probablement ceux du cirque – mais qui est l’adulte ? Dans la nuit, pour en avoir le cœur net, Sherlock ouvre le cercueil : il s’agit de Valladon, bel et bien mort avec trois canaris devenus blancs et son anneau de mariage devenu vert. Il n’y a qu’une seule explication : le chlore. La visite touristique se poursuit en vélo pour trouver le château. Un seul est « interdit au public » et le guide officiel n’y connaît rien en histoire tandis que les touristes évincés voient livrer deux cages de canaris et deux bidons d’acide sulfurique. En interagissant avec l’eau, cela donne… du chlore ! C’est donc le bon endroit.

Ils y reviennent de nuit en barque à rames et voient survenir le Monstre au ras de l’eau qui se dirige droit vers le château. Watson est terrifié mais Holmes écoute au stéthoscope le bruit d’un moteur sous la surface. Il s’agit donc d’un bateau sous-marin dont le col de dragon est érigé pour effrayer les superstitieux (surtout dans le brouillard et après un whisky bien tassé). Mycroft, qui est plus malin qu’on ne croie, invite donc son frère qui persiste à visiter la base secrète et à rencontrer la reine Victoria qui vient inaugurer le nouveau fleuron de la Marine britannique. Sauf que la petite reine est outrée qu’on puisse tirer sournoisement et sans sommation sous la surface, en n’arborant pas fièrement les couleurs britanniques. Elle refuse l’engin, même si les Prussiens construisent un prototype et espionnent pour ça. Holmes suggère alors à Mycroft, qui lui apprend qui est « Gabrielle » – une belle espionne allemande qui a trucidé la vraie Gabrielle en Belgique pour prendre sa place – de laisser les moines espions allemands s’emparer du prototype mais de laisser une vanne ouverte afin qu’ils coulent en plein loch.

Puis il arrête la fausse Gabrielle, qui regrette son Sherlock qui lui a résisté plus que les autres, et qui sera échangée contre un espion britannique, avant d’être exécutée par les services japonais alors qu’elle était aller espionner là-bas – mais sous le nom de Madame Ashdown, un signe de plus qu’elle tenait à Sherlock. Lui aussi, amoureux sans le dire, part s’enfermer dans sa chambre avec la cocaïne.

Une belle histoire qui prolonge et renouvelle le genre, avec moins de brillantes déductions et plus d’action, baignant dans l’humour très british.

DVD La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes), Billy Wilder, 1970, avec Robert Stephens, Colin Blakely, Geneviève Page, Christopher Lee, Tamara Toumanova, L’Atelier d’images 2018, 2h07, €13,96 Blu-ray €19,67

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Elizabeth Jane Howard, A rude épreuve

Cet épais roman fait suite à Eté anglais, paru en 2021 et chroniqué sur ce blog. Il est toujours aussi passionnant, contant l’histoire de cette grande famille post-victorienne de septembre 1939 à l’hiver 1941. Cette fois c’est la guerre, qui menaçait dans le premier tome. A la campagne, dans ce Sussex à une cinquantaine de kilomètres de Londres (cela fait moins en miles), la guerre n’arrive qu’atténuée, via la radio, les journaux et les nouvelles de ceux qui vont à Londres par obligation professionnelle. Les maisons de Londres sont fermées car les quartiers sont bombardés, comme l’usine de bois familiale sur les docks.

Ce n’est pas le cas des enfants, du moins de la plupart, les petits restents à la maison et les adolescents sont en pension à l’extérieur de la ville. Seule Louise, l’aînée des petits-enfants Cazalet, du haut de ses 16 puis 17 ans, obtient d’aller dans une école de théâtre où sa vanité et son égoïsme s’épanouissent dans le dur métier d’actrice amenée à jouer tous les rôles, tout en se méfiant des hommes et des garçons. Garçons qui sont mobilisés dès leurs 18 ans, s’ils ne s’engagent pas un an avant volontairement. Louise tombe amoureuse d’un peintre de la trentaine, mobilisé sur une vedette, qui passe ses permissions à la courtiser, puis à la baiser.

Les grands-parents Cazalet, le Brig et la Duche, frisent les 80 ans, leurs cinq enfants la quarantaine et leurs quatorze petits-enfants s’échelonnent entre quelques mois (Juliet) et 19 ans (Angela). Tout le sel de ce roman fleuve est de conter l’existence de chacun en ces temps troublés, le mal-être de la société venant se superposer au mal-être personnel. Chacun a différentes raisons d’être mal dans sa peau, soit qu’il ou elle se sente incompris, soit que papa ou maman ne s’occupe pas d’eux, soit qu’il ou elle soit complexé.

Neville, 10 ans accumule « les bêtises » pour attirer l’attention car son père Rupert privilégie sa fille aînée de 14 ans, Clary. Il se met ainsi à danser avec une canne de golf sur la table de billard, tout nu, pour choquer ses vieilles tantes. Rupert disparaît de son contre-torpilleur dans la fuite de Dunkerque. Il n’est pas formellement mort, il a « disparu ». Sa fille Clary échafaude tout un tas de scénarios rocambolesques pour expliquer comment il aurait pu survivre, se cacher, attendre un embarquement. Il passera un message écrit au crayon de papier via un camarade qui a réussi à regagner le Royaume-Uni un an après, mais ne citera que sa fille…

Sybil, l’épouse de Hugh, le fils aîné des Cazalet, se meurt doucement d’un cancer et sa fille Polly, du même âge que Clary, se désespère car on ne lui dit pas la vérité « pour la protéger ». Elle trouver, avec raison, les adultes hypocrites et condescendants. Son frère d’un an plus jeune, Simon, est à cet âge intermédiaire où l’on a besoin de son père sans plus recevoir l’amour trop marqué des tantes et la mort de sa mère comme la pudeur mal placée de son père le laissent seul et malheureux. Tout leur cacher au prétexte que ce sont des affaires d’adultes n’est pas une bonne façon d’élever des enfants. A chaque âge sa compréhension, mais la vérité est toujours bonne à dire.

Christopher, le fils de Jessica, la seule fille des Cazalet, se veut « pacifiste », ce qui est compliqué en cas de guerre ouverte. Que faire si l’on a à se défendre ? Il a 16 ans et son père, qui le méprise et le rudoie, le fait engager à l’aménagement d’un aérodrome secondaire où il est en butte aux moqueries des autres et à leur incitation à aller aux putes. Lorsqu’il refuse, par pudeur victorienne et non par dégoût des femmes, il se fait traiter de pédé et sa logeuse le chasse. Il s’enfuit et entre en dépression jusqu’à ce que le Brig trouve un chien errant dans Londres bombardée, le ramène à Home Place où Christopher vit sa convalescence. Les deux abîmés de la vie, traumatisés par la guerre, lient amitié et Christopher reprend du poil de la bête ; il va travailler dans une ferme, ce qui était son intention première malgré son père.

Ce roman est comme une valise pleine de lettres qui auraient été retardées et qu’on lit d’un coup, prenant des nouvelles de toute la famille. L’autrice ne manque pas d’un humour où la lucidité cynique des enfants côtoie leur tendresse pour le ridicule. Ainsi de la couleur qui irait à la préceptrice Milliment, vieille fille pauvre et d’âge mûr : « le problème, c’était que chaque teinte suggérée semblait pire que la précédente : le lie-de-vin n’irait pas avec sa peau citron ; à côté du vert bouteille, ses cheveux ressemblerait à des algues ; le gris était trop terne ; en rouge la prendrait pour un bus londonien, et ainsi de suite » p.502. Et tout est à l’avenant.

C’est très attachant ! Cinq tomes de saga sont prévus et, au rythme de déambulateur choisi par l’éditeur, nous en avons pour encore des années.

Elizabeth Jane Howard, A rude épreuve – La saga des Cazalet II (Marking Time), 1991, Folio 2022, 711 pages, €9.90 e-book Kindle €16.99

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Didier Ehretsmann, Joséphine ! Joséphine !

A partir de Joséphine Baker, dont le souvenir a ressurgi avec son entrée au Panthéon en 2021 comme « sixième femme et seule Noire » selon le palmarès des wokes, l’auteur improvise son troisième roman. Correspondant de presse locale en Normandie, il a le style brillant et virevolte dans les histoires un peu décousues qu’il raboute pour en faire des souvenirs.

Tout commence par la Revue nègre au théâtre des Champs-Élysées (on n’avait pas peur des mots en ce temps-là, le mot « nègre » n’était pas cannibale), avant les Folies bergères. Ernest Hemingway décrit en 1926 Joséphine Baker, danseuse nue ceinturée de bananes, de son vrai nom Freda Josephine McDonald : « Grande, café au lait, des yeux d’ébène, des jambes de paradis, un sourire à tuer tous les sourires » p.10.

Puis apparaît « un adolescent timide qui offre des violettes, c’était Maxence Garamond. » Suivront une kyrielle de personnages hauts en couleurs, tous plus moins artistes, tous plus ou moins ratés, ou ayant fait le mauvais choix durant la guerre (la seconde, celle de l’ignominie ressassée de la Shoah). Apparaît le fils d’une dompteuse de tigres de Berlin : « Fritz Langer est suivi par ses deux compagnons, Moutarde et Goebbels, qui jouent à saute-mouton » p.41. Puis Erik Grünfeld, photographe entiché de Gunnar, un éphèbe tennisman suédois mort de maladie dans ses bras et qui, depuis, traque l’extrême jeunesse pour la prendre nue. Puis Suzanne, un prince russe ancien ambassadeur du tsar, Sergio, l’ancien chef de cantine du Prince sur le tournage jamais terminé sous l’Occupation du film La Fiancée d’Hannibal, et un certain et Charles-Hubert Mortecuisse. C’est à chaque fois l’occasion de conter leur histoire, des années 30 aux années 60.

Dans les années 1990 Maxence devenu vieux rencontre sous la pluie au square la nouvelle Joséphine, sous la forme d’une nounou venue des Antilles, prénommée elle aussi Joséphine – d’où le double prénom qui fait titre au roman.  La nouvelle ne connaît pas l’ancienne, « pourtant ce nom lui disait vaguement quelque chose. Une très vieille dame parlant avec un drôle d’accent, un château en ruines, des enfants de toutes les couleurs… » p.36. Engagée pour une revue qui fera flop avec Fritz et ses deux chiens dressés, elle danse nue comme l’autre. « Elle se peint une étoile sur chaque sein. Une étoile à cinq branches dont le mamelon et l’aréole constituent le centre. Puis elle enfile sa ceinture de bananes. Dessous, elle ne porte rien » p.41. Ce délicat érotisme fait beaucoup pétiller le texte.

Tout comme le mélange surréaliste des genres, des races et des classes. Maxence Garamond, par exemple, n’est pas n’importe qui : « Sa mère est la comtesse Jehanne Garamond de Chombreuse de Mauléon, et son père, général de brigade, est mort en héros à la guerre de 14-18 en portant secours à l’un de ses hommes enseveli dans la tranchée » p.77.

Et l’humour qui se joue des situations comme des mots : « un sonnet dodécasyllabique.

– Dodécaquoi ? s’enquit l’intéressée.

– En vers à douze pieds…

– Pouah, quelle horreur ! » p.92. Faut-il vous mettre les points sur les i ou avez-vous compris le quiproquo sur  mot « vers » ?

Beaucoup de talent et un vrai plaisir de lecture. Le changement entre les chapitres est parfois abrupt et il est dommage que l’histoire ne soit pas mieux liée pour embrasser l’époque complexe et le changement dans les goûts de spectacle. Car c’est avant tout au spectacle que ce livre est dédié, le rêve qui prend, le temps qui passe, la nostalgie. L’embryon d’un grand roman.

Didier Ehretsmann, Joséphine ! Joséphine !, 2022, Éditions de la Lagune, 196 pages, €19,00

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Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola

Durant la guerre, trois jeunes partisans italiens sympathisent. La victoire venue, chacun part vers son destin. Gianni (Vittorio Gassman), sur recommandation et après son doctorat en droit, devient avocat à Rome. Antonio (Nino Manfredi) était et reste brancardier dans la capitale. Nicola (Stefano Satta Flores), prof de latin en province, est viré pour subversion communiste avant d’être rattrapé lorsqu’il devient célèbre dans un jeu télévisé où son érudition ciné passionne les foules.

Mais chacun passe de l’idéalisme du maquis, renverser le vieux monde fasciste et conservateur, au réalisme de l’existence qui ne se change pas par décret. Gianni se trouve obligé de défendre le pourri Romolo Catenacci (Aldo Fabrizi), gros porc enrichi dans les profits de guerre et qui se paye sur la bête des crédits municipaux pour construire des HLM ; il épouse même sa fille, la godiche Elide (Giovanna Ralli), qu’il tente de redresser des dents à la tête en lui faisant porter un appareil et lire des livres. Il devient donc riche – mais seul, la maladie de la fortune. Nicola vomit le système mais y participe par la télé, échouant cependant à la dernière épreuve du quitte ou double ; il n’obtient qu’une Fiat 500 comme prix de consolation au lieu du million six de lires. Sa femme l’a quitté avec leur môme pour retourner chez ses parents car son mari est incapable de composer pour faire vivre sa propre famille. Nicola terminera comme obscur critique de cinéma dans divers magazines. Seul Antonio reste tel qu’en lui-même, seulement brancardier mais empathique et généreux, bien que coléreux.

« Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! » C’était d’actualité à la sortie du film en 1974, après le séisme de mai 68. La jeunesse passe, avec son irresponsabilité et son monde en noir et blanc, méchants d’un côté et bons tous de l’autre. Il faut s’adapter à ce qu’on ne peut changer, composer avec les gens qui ne sont jamais tout noir ou tout blanc, naviguer sur la mer de l’existence, calme ou démontée. Ce n’est ni avec des principes rigides, ni avec de bons sentiments, que l’on y parvient.

Antonio rencontre Luciana (Stefania Sandrelli) à l’hôpital ; actrice dans la dèche, elle est tombée d’inanition dans la rue. Ils sympathisent. Toujours extraverti, Antonio lui présente son ami Gianni et le vante tellement qu’elle en tombe amoureuse. Lorsque le couple le lui apprennent, Antonio a une faiblesse, puis surréagit ; sa violence rompt l’amitié, contrecoup de l’amour qui l’a brisée. Mais Gianni est ambitieux et succombe aux charmes (financiers) de la fille de son gros (énorme) client Romolo Catenacci ; il épouse Elide et lui fait deux gosses, un garçon et une fille, qu’il voit peu et qui lui deviennent à peu près indifférents. Il est surchargé de travail car les « affaires » du beau-père et de son idiot congénital de fils l’obligent à des acrobaties juridiques. La rupture avec Luciana est violente et elle tente de se suicider ; Antonio l’alerte ainsi que Nicola, monté à Rome après avoir été viré de son lycée de province, mais Gianni ne viendra pas. Il choisit l’ambition plutôt que l’amour et délaisse l’amitié. Nicola raccompagne Luciana, qui ne sait où aller ; il l’invite dans son grenier pas cher où il compose ses critiques de films en vivotant. Il en tombe amoureux à son tour.

Luciana est celle qui révèle à chacun son être même : l’ambition pour Gianni, le militantisme borné de l’érudit intello Nicola qui se croit l’avant-garde des prolos amener à changer le monde (thème léniniste fort à la mode dans les années 70), la simple générosité d’Antonio. C’est lui qu’elle va épouser, déjà mère d’un petit garçon eu avec on ne sait qui (Gianni ?) ; il lui fera une petite fille. C’est lui aussi qui va imposer son action militante directe, simple elle aussi, en faisant occuper une école où il n’y a que deux cents places pour plus de cinq cents demandes. Les parents qui campent devant toute la nuit vont s’imposer sur le terrain pour se faire entendre et dénoncer le scandale entre principe d’une école obligatoire et ouverte à tous et indigence des crédits et des réalisations. Gianni, retrouvé par hasard dans la ville sur un parking par Antonio qui le croit gardien, va s’éclipser ; cela lui est indifférent, il a d’autres chats à fouetter. Mais c’est en perdant son permis de conduire que les autres vont découvrir son adresse, et qu’il ne leur a pas dit sa richesse acquise. Il en a honte face à eux ; il a choisi une autre voie que la leur.

Malgré sa longueur, le film est traversé de nostalgie et d’humour. Nostalgie que cet hommage (appuyé) aux monuments du cinéma que sont Le Cuirassé Potemkine, que Nicola cherche à reproduire sur les escaliers de la place d’Espagne devant une Luciana peu convaincue ; Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, qui mourra moins de deux semaines après la fin du tournage de Scola et à qui le film est dédié ; Ou encore Partie de campagne de Jean Renoir, La dolce vita de Fellini où Antonio retrouve Luciana en figurante, L’Année dernière à Marienbad et L’Éclipse d’Antonioni. Les monstres du cinéma Federico Fellini, Marcello Mastroianni, Vittorio De Sica, Mike Bongiorno, apparaissent comme acteurs sur le tournage. Ettore Scola a choisi le noir et blanc pour le passé et la couleur pour le présent, ce qui contraste pour l’œil la vision qu’il offre de la jeunesse intransigeante et de la maturité chatoyante.

Quant à l’humour, il apparaît en contrepoint du dramatique, comme pour dire que la vie est mêlée de joie et de douleur et qu’il faut faire avec. La famille de gros qui bâfre du cochon rôti tombé du ciel par une grue de chantier est un grand moment, le bis repetita du beau-père obèse et asthmatique, livré par grue chez lui également, tout comme la noria des véhicules qui quittent la grande villa de Gianni après une discussion cruciale, sa femme en Alfa Roméo, lui en Jaguar, son fils en moto, sa fille en mobylette, les beaux-parents Catenacci en vieille limousine noire, les domestiques en Fiat 500 ou Mini : tous sont seuls et nul ne fait plus famille, pourris de fric et d’égoïsme.

Ce film est un bon moment de retour sur soi si l’on a déjà vécu, et de réflexion utile (si c’est aujourd’hui possible) quand on se lance seulement dans l’existence. L’idéal n’est pas la réalité, la pensée théorique pas le vécu réel, le couple pas une copulation d’égoïsmes, la richesse pas un bonheur. L’amour passe, mais pas l’amitié – sauf si l’on se referme sur soi, solitaire, hors de la vie.

César du Meilleur Film Étranger 1977

DVD Nous nous sommes tant aimés (C’eravamo tanto amati), Ettore Scola, 1974, avec Nino Manfredi, Vittorio Gassman, Stefania Sandrelli, Stefano Satta Flores, Giovanna Ralli, StudioCanal 2007, 2h04, €7.00

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Exbrayat, Elle avait trop de mémoire

Voici le tout premier roman de l’auteur prolifique qui fut successivement élève médecin, auteur dramatique et journaliste avant de se vautrer – avec humour et délices – dans la fange du crime. Exbrayat invente le personnage haut en couleur (1m70) et large de vues (230 livres) de l’Inspecteur Chef du Yard George-Herbert Morgan, surnommé évidemment Fatty. C’est que l’Anglais fringuant est tombé amoureux de la France, de sa cuisine et de ses vins. Il visite auberges et restaurants durant ses congés et entretient une correspondance culinaire avec tous les toqués du continent. Comme tous les Inspecteurs chef, il est flanqué d’un jeune sergent, le beau Clarence Bredford, qui découvre à chaque fille qu’il lève la femme de sa vie. C’est dire combien ces personnages typés vont agrémenter l’histoire.

Car il y a crime, et même crimes successifs. Qu’à chaque fois la nouvelle fiancée du Clarence éperdu de fonder un nid découvre avec lui, car elle ne veut pas le lâcher, et rompt après s’être évanouie. Dans ces années cinquante, on ne badinait pas avec l’amour. Il n’y avait de sexe admis que dans le mariage, rien avant sauf chez les putes, et les jeunes hommes fringuant devaient de réfréner, assoiffés de désir. Les choses ont bien changé, même s’il faut aujourd’hui signer un contrat de consentement devant témoin avant de pénétrer la fille.

Mais le crime se fait attendre. Il reste ignoré jusqu’à ce que – par hasard – un compagnon de jeu (de bridge) au pub, Moriss, ne rentre pas chez lui. Les compères informent Fatty Morgan que sa femme se désespère, qu’elle demande que lui, l’inspecteur, le fasse chercher. De fil en aiguille, Morgan va découvrir qu’il y a une femme sous l’affaire, l’ex-bonne du couple Phyllis devenue la maîtresse du mari ; que son épouse le savait bien ; qu’elle connaît même son adresse…

A laquelle adresse la beau Clarence, flanqué de sa dernière fiancée d’un soir (la femme de sa vie), découvre le cadavre égorgé de Phyllis dans une mare de sang. Gloups ! Moriss introuvable, qui avait rendez-vous, est le vraisemblable coupable. Mais ce serait trop simple. Il faut donc retrouver Moriss pour écouter ce qu’il a à dire, mais aussi chercher auprès des amies de la victime.

Justement Dora se souvient. Elle a vu brièvement son amie Phyllis chez elle, qui attendait un rendez-vous. Elle n’est donc pas restée mais a croisé dans l’escalier un homme qui montait et sifflotait une chanson qui lui dit quelque chose, mais dont elle ne parvient pas à retrouver quoi. Le meurtrier est probablement le siffloteur et tout le cabaret de La pomme de pin, tenu par le couple Longhins, est en haleine.

C’est justement entouré de ses compères et en présence du cabaretier et de sa femme, que Fatty Morgan apprend d’un clochard que Dora s’est souvenue de la chanson, qu’elle est allée du Yard où Morgan ne se trouvait pas, qu’on lui a ri au nez et qu’elle attend que l’inspecteur vienne la trouver pour lui dire. Lorsqu’il parvient à joindre Clarence, qui est le seul à avoir noté l’adresse de Dora sur son calepin et qui convole en juste fiançailles avec une autre femme de sa vie, il est trop tard. Le jeune sergent et sa belle découvrent le cadavre égorgé de Dora dans une mare de sang. Gloups ! Le meurtrier savait – et ce n’est pas Moriss, retrouvé et gardé à vue depuis des heures. Reste le clochard qui n’a pas dit tout ce qu’il savait peut-être. Mais trop tard, il est égorgé lui aussi. Gloups !

Déduction des petites cellules grises, bon sang mais c’est bien sûr ! Le coupable est l’un des quatre présents lorsque l’inspecteur a été informé par le clochard de la chanson de Dora. Reste à prouver lequel. Un piège est tendu, le suspense à son comble. Pas mal pour un premier roman !

Charles Exbrayat, Elle avait trop de mémoire, 1957, Le Masque 1976, 192 pages, occasion €1,16

Charles Exbrayat déjà chroniqué sur ce blog

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Noblesse oblige de Robert Hamer

La fille cadette d’Ascoyne, duc de Chalfond, épouse contre sa famille et les convenances le ténor italien Mazzini dont elle est amoureuse. Cinq ans de bonheur suivent, dans un petit appartement de Londres, bien loin des fastes du château de Chalfont (tourné à Leeds). Las ! Au premier bébé, crise cardiaque du père ; « on comprendra que je n’ai guère de souvenir de lui », dira avec un humour tout britannique le jeune homme dans ses Mémoires.

La mère se retrouve seule et sans ressources. Elle écrit pour renouer avec sa famille mais essuie une fin de non recevoir nette. De même plus tard lorsqu’il s’agit d’éduquer Louis (Dennis Price), quand même de la famille d’Ascoyne. Elle se place donc chez un docteur à qui elle sert de bonne mais a le gîte et le couvert. Louis se lie avec Sibella, la fille du médecin, qui copine avec Lionel, un gosse de riches du quartier. Une fois adulte, Sibella (Joan Greenwood) flirte ouvertement avec Louis mais ne peut l’épouser puisqu’il n’a aucune fortune et n’est donc rien à ses yeux de petite bourgeoise arriviste. Bien qu’il lui ait raconté son histoire, sa famille maternelle, et déclaré qu’il pourrait même devenir duc, elle ne le croit pas et épouse son lourdaud assommant mais qui fait des affaires.

Louis se place grâce au docteur comme calicot à orner des vitrines et vendre du tissu au mètre aux oisives emperlousées des quartiers chics de Londres. Le film dresse un portrait au vitriol de cette aristocratie édouardienne vaniteuse et vaine. Viré parce qu’il avait oser rétorquer à un lord Ascoyne « ne me touchez pas ! » lorsque celui-ci l’avait tapoté de sa canne pour qu’il s’écarte, comme une merde qu’on repousse du chemin, il jure de se venger. Il a perdu son éducation, puis sa mère, puis son amoureuse, enfin son boulot, c’en est trop !

Le roi Charles II avait anobli les d’Ascoyne en les faisant duc pour services rendus à sa personne ; il avait ajouté plus tard la faveur de transmettre le titre par les femmes pour services rendus à la reine – Louis peut donc légitimement revendiquer le titre. Sauf qu’il existe dix prétendants avant lui dans l’ordre de succession, sans parler des enfants à naître.

Il épluche les journaux et raye avec application chaque décès dans la famille et se voit rapprocher peu à peu de la couronne ducale. Mais les survivants sont jeunes ou bien établis, un coup de pouce au destin serait bienvenu. Louis imagine donc à chaque fois un « accident » différent pour éliminer l’un après l’autre tous les d’Ascoyne qui lui font de l’ombre. Une noyade dans les écluses avec sa poule pour le lord qui l’a snobé et fait virer, de l’essence dans une lampe à paraffine pour son jeune cousin féru de photographie, du poison dans le porto du pénible révérend, une flèche qui perce le ballon de la suffragette d’Ascoyne, une bombe russe dans un pot de caviar pour le général, un accident de chasse pour le duc en titre qui voulait épouser une vache normande pour lui faire pondre des fils… Seul l’amiral, en aristo borné plein de morgue, se noie tout seul avec son navire lorsqu’il donne un ordre absurde puis s’obstine jusqu’au bout – scène tirée d’un fait réel, le naufrage en 1893 du HMS Victoria à cause d’une sottise de l’amiral George Tryon.

Voici donc Louis propre à devenir duc. Après le calicot et grâce à l’enterrement du premier décédé, il a trouvé une place chez son oncle d’Ascoyne, le banquier, au bas de l’échelle mais avec perspectives. Il passe de 2 £ par semaine à 5 £ puis à 500 £ par an. Le vieux d’Ascoyne reconnaît sa précision et sa courtoisie de bien éduqué malgré sa pauvreté. A sa mort (naturelle), il lègue tous ses biens à Louis à titre de réparation pour le préjudice qu’il a subi durant toute son enfance.

Louis devient donc le dixième duc de Chalfont. Il est accueilli au château, qu’il avait visité comme touriste pour six pence, acclamé. Mais le soir même, un inspecteur de la police de Londres vient l’arrêter pour le meurtre… du mari de Sibella, qu’il n’a pas commis. La fille est vaniteuse et égoïste comme les aristos, mais des bas-fonds : la société se reproduit en pire à chaque fois qu’on descend une strate sociale. Elle se mord les lèvres de n’avoir pas cru Louis ni épousé ce garçon courtois qui l’a toujours fait rire, au lieu de cet affairiste barbant et grossier, déjà dès l’enfance. Lionel, croit qu’il est copain avec Louis devenu banquier et peut donc l’utiliser comme garant pour ses affaires véreuses. Après un effet douteux quand même escompté par la banque, il se sent assuré. Mais Louis n’a jamais aimé ce gosse de riches qui s’est toujours mis en travers de ses relations naturelles avec Sibella. Ce n’est pas parce qu’on a grillé des châtaignes ensembles à dix ans dans la même cheminée qu’on est copain comme cochons. Lionel, qui a bu, veut le poignarder à l’énoncé de son refus de le soutenir et Louis le repousse. Ruiné, l’affairiste se suicide plutôt que d’affronter sa femme et la société. Il laisse une lettre, mais la rusée Sibella veut s’en servir pour faire chanter Louis et le forcer à l’épouser. Elle l’accuse donc du meurtre puisqu’il est le « dernier » à l’avoir vu vivant.

Devant la cour des pairs, car jusqu’en 1948 justement la Chambre des Lords avait le privilège de juger elle-même les lords, Sibella toute en noir affecte le chagrin et la pudeur offensée ; elle ment effrontément et les lords la croient, plutôt que de croire les invraisemblances – pourtant vraies – de Louis. L’épouse du cousin d’Ascoyne, tué dans son labo photo, a fini par épouser Louis qui lui a déclaré son amour ; elle vient aussi déclarer sa confiance. Mais cela ne suffit pas. Condamné à mort, Louis rédige dans sa cellule ses Mémoires. Sibella vient lui rendre visite, après sa femme. Elle lui met le marché en mains : « s’il y avait une lettre », il pourrait être innocenté ; mais il faudrait alors que l’actuelle et récente épouse disparaisse, comme les autres. Sinon, tout serait dévoilé. Louis a fait en effet la bêtise d’avouer à sa maîtresse qu’il est bien l’auteur de l’hécatombe qui abat les d’Ascoyne les uns après les autres.

Le matin de la pendaison, un ordre arrive in extremis du ministère : une lettre a été retrouvée. Louis est donc libéré. A la porte de prison, deux voitures l’attendent : celle de sa femme, celle de sa maîtresse. Que va-t-il choisir ? Avant qu’il puisse trancher le nœud gordien, un journaliste l’aborde pour lui acheter ses futures Mémoires. Et Louis pense brusquement qu’il a laissé son manuscrit dans sa cellule, là où avoue tout et en détails !

Sur le ton convenable propre aux conversations, le film conte avec un humour très noir les turpitudes de l’aristocratie anglaise et ses conséquences sur les esprits inférieurs. Nul n’est épargné, sauf peut-être la mère qui a fauté socialement – par amour. Pour tous les autres, le cynisme règne et les rôles sont interchangeables. Alec Guinness interprète d’ailleurs tous les rôles d’Ascoyne, huit en tout, dont une femme.

DVD Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets), Robert Hamer, 1949, avec ‎ Alec Guinness, Dennis Price, Valerie Hobson, Joan Greenwood, Audrey Fildes, StudioCanal 2012, 1h46, €13.00 blu-ray €19.30

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