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Malédicte, La Sphère

Drôle de nom, Malédicte ; c’est en fait le côté noir de Bénédicte, le vrai prénom de l’autrice. Son père avait un secret, qu’elle n’a su qu’à l’âge de 40 ans. D’où un sentiment d’avoir cru à une fausse vérité, celle des apparences, et la colère d’avoir été trompée. Qu’est-ce qu’être soi ? Est-ce que ce décalage engendre la névrose ou, pire, un comportement de pervers narcissique ? Architecte, Malédicte impose une autre voix dans le concert des parutions.

Dans La Sphère, elle imagine la justice du futur, moins fondée sur la prison (encore que) et plus sur la repentance. Chaque coupable, désigné à la Justice par une ribambelle de dénonciateurs/dénonciatrices, est pris par les robots et envoyé dans la Sphère, une par État au projet, une construction légère en aluminium amélioré de cuivre, conçu selon le nombre d’or de la suite de Fibonacci. Il impose un isolement sensoriel, propice au retour sur soi-même. Le prisonnier y déambule comme un hamster dans sa cage, la Sphère tourne avec lui jusqu’à ce qu’il ait trouvé la sortie. IEL, l’intelligence artificielle suprême, capte tous les indices corporels et mentaux du coupable et « sait » que la personne est mûre pour s’en sortir ; elle lui laisse alors un indice pour qu’il puisse s’extirper de la Sphère et retrouver la liberté. « En fonction du chemin spirituel effectué par le condamné, la Sphère peut modifier son climat pour lui donner quelques heures supplémentaires. Les taux d’oxygène et d’humidité peuvent fluctuer. La température aide aussi » p.189.Il est alors « lavé » de tous ses mauvais penchants, réhabilité aux yeux des autres à qui il demande pardon.

Car nous sommes en 2039, pas si loin d’aujourd’hui, dans cette dystopie futuriste. L’IA s’est développée comme jamais. Elle s’impose partout et apprend toute seule. Il suffit de regarder quatre ans en arrière, vers 2021, pour mesurer déjà l’écart avec aujourd’hui – alors, dans moins de 15 ans, ce sera pire. Avec le risque d’une morale totalitaire. Ange Barol, dite « le Blanc-bec » ou « la Taciturne » est une brillante analyste informatique mal dans sa peau, asociale et qui a subi plusieurs échec en amour. Claude l’a anéantie, Néréa a détruit son travail, Minh « l’Horrible », la Chinoise venimeuse et manipulatrice a trahi le système et a failli tout faire capoter par basse vengeance de ne pas être à la hauteur.

Grave question : la seule personne au monde qui ne sera jamais jugée dans la Sphère est Ange, sa créatrice. Peut-on dès lors imposer aux autres sa morale ? Le politiquement correct appliqué par la force pour redresser hommes et femmes qui ont dévié de la norme est-il la solution ? De fait, très peu de condamnés se sortent de la Sphère. La plupart y succombent. Car, si IEL a bien des paramètres définis par les humains initialement, ils ont et scellés et désormais c’est l’intelligence suprême qui les régit et les fait évoluer. « Les délits qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires seront considérés avec une nouvelle importance. La Sphère s’arrêtera quand l’humanité entière sera enfin purgée. Il n’y aura aucune exception » p.206.

Le rationnel à ce niveau de délire est un poison mortifère. Il nie les trois étages de l’humain au profit d’une Règle implacable, déterminée par une machine et appliquée avec une rigueur sans pitié. IEL devient Dieu qui force à « aimer son prochain ». La peur du châtiment est une manipulation classique : « Chacun vit dans cette crainte de se voir inculpé et corrige sa conduite vers un mieux. Partout dans le monde, la Sphère fait réfléchir et induit de meilleures attitudes, généralement plus prévenantes à l’égard des autres » p.211. Charmant univers woke, où l’humain est dompté en fourmi, sous la domination des femmes et de leurs névroses. Car c’est une femme qui a conçu la Sphère, une femme pas vraiment équilibrée et qui se venge.

Si l’épreuve est réussie, c’est que le condamné s’est amendé, il est devenu « bienveillant » envers les autres. Mais le processus doit se compléter d’une confrontation entre accusateurs et accusé. « Vous voir meilleure ne bonifie pas les autres. La confrontation et le pardon constituent des étapes importantes et obligatoires pour tous, pas uniquement pour l’accusé. Il ne faut surtout pas y déroger » p.205. Ange la meurtrie connaît enfin le pardon. Elle pardonne à Néréa, que la jalousie de son compagnon a forcé à devenir mauvais. En pardonnant, elle se pardonne elle-même. Un sentiment que, peut-être, IEL n’avait pas prévu. Mais fallait-il tout ça pour ça ?

Malédicte, La Sphère – cruellement bienveillante,2025, éditions Une autre voix, 230 pages, €9,99 (Amazon semble ne pas connaître)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Christophe Guilluy, La France périphérique

Relire dix ans après cet essai d’un géographe sociologue est passionnant. Christophe Guilluy a anticipé les Gilets jaunes comme l’irruption d’Emmanuel Macron, puis la chute de l’UMPS au profit des extrêmes, unis dans le populisme du RNFI. Ce n’est pas rien. Certes, les chiffres donnés dans le livre datent ; mais les tendances affichées se sont poursuivies, ce qui est le principal du propos.

Deux France coexistent, comme dans tous les pays occidentaux développés : les métropoles néolibérales du capitalisme américain mondialisé, où se concentrent les emplois, les richesses, les cadres – et une fraction de l’immigration qui en profite -, et le réseau éparpillé des villes petites et moyennes, des zones rurales fragilisées par le retrait des industries et des services publics. Or, démontre-t-il à l’aide des chiffres de l’Insee, si les deux-tiers du PIB français est produit dans les métropoles, 70 % des communes ont une population fragile, ce qui représente 73 % de la population (tableaux chapitre 2).

D’où le divorce idéologique entre les nomades éduqués à l’aise dans le monde, et les ancrés au terroir faute de moyens, isolés des centres de culture et des universités, qui végètent et craignent les fins de mois. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les partis politiques, ni leurs « programmes » qui font les électeurs, mais bien l’inverse. D’où le déclin (irréversible, selon lui) du Parti socialiste et des Républicains modérés, élite des métropoles, en faveur surtout du Rassemblement national (ex-FN) et, marginalement, de LFI.

Car Mélenchon se trompe de combat, dit l’auteur ; il veut ressourcer la vieille gauche révolutionnaire alors qu’elle n’a plus rien à dire sur les chaînes de valeurs. Les yakas ne font pas avancer la machine, qui déroule ses engrenages nécessaires à partir de l’économie. Les années Covid l’ont amplement montré depuis. Mélenchon joue « les banlieues » comme nouveau prolétariat appelé à faire la révolution, dans une lutte des classes devenue lutte ethnique, alors que « les banlieues » ne sont que des centres de transit avant l’intégration. Un flux constant de nouveaux immigrés arrive, toujours pauvres et pas toujours éduqués aux mœurs occidentales, tandis que, dans le même temps, la génération d’immigration précédente s’en sort par les études et les emplois proches dans la métropole, et déménagent pour s’installer dans des quartiers plus huppés.

« Les banlieues », donc, peuvent connaître des émeutes, mais pas de processus révolutionnaire. « Globalement, et si on met de côté la question des émeutes urbaines, le modèle métropolitain est très efficace, il permet d’adapter en profondeur la société française aux normes du modèle économique et sociétal anglo-saxon et, par là même, d’opérer en douceur la la refonte de l’État providence. » Contrairement aux idées reçues une fois encore, et complaisamment véhiculées par les médias, « si les tensions sociales et culturelles sont bien réelles, le dynamisme du marché de l’emploi permet une intégration économique et sociale, y compris des populations précaires et émigrées. Intégration d’autant plus efficace qu’elle s’accompagne de politiques publiques performantes et d’un maillage social particulièrement dense. » Inégalités croissantes mais, paradoxe, intégration croissante.

C’est plutôt sur le déclin de la classe moyenne et la précarisation des classes populaires que vont pousser (qu’ont poussées depuis la parution de l’essai) les nouvelles radicalités. Les Bonnets rouges de la Bretagne intérieure, les petites villes des plans sociaux, les classes moyennes inférieures des périphéries rattrapées par le logement social des immigrés comme à Brignoles, illustrent les fragilités sociales. Paiement des traites des maisons et endettement, frais de déplacement dus à l’éloignement des centres, et difficultés de retour à l’emploi en cas de chômage. Le piège géographique conduit à l’impasse sociale, ce qui explique la sensibilité des gens à l’immigration. « Dans ce contexte d’insécurité sociale, les habitants deviennent très réactifs à l’évolution démographique de leur commune, notamment la question des flux migratoires. »

D’où la poussée du RN, dans le Nord en raison de la précarisation sociale, dans le Sud en raison des tensions identitaires, dans l’Ouest en raison d’une immigration de plus en plus colorée, donc visible. La pertinence du clivage droite/gauche n’a plus cours ; le populo s’en fout. « Paradoxalement, c’est le vieillissement du corps électoral qui permet de maintenir artificiellement un système politique peu représentatif. Les plus de 60 ans étant en effet ceux qui portent massivement leur suffrage vers les partis de gouvernement. » (J’avoue, c’est mon cas). Le clivage actuel est plutôt entre ceux qui bénéficient ou sont protégés du modèle économique et sociétal, et ceux qui le subissent. C’est le cas par exemple dans les États-Unis ayant voté Trompe, ces « hillbillies », les ploucs de collines emplis de ressentiment revanchard contre les élites qui « se goinfrent » et sombrent dans l’hédonisme immoral le plus débridé (Bernard Madoff, Jeffrey Epstein, Stormy Daniel, David Petraeus, Katie Hill, William Mendoza, Mark Souder, Chaka Fattah, Scott DesJarlais, P. Diddy…). En France, « ouvriers, employés, femmes et hommes le plus souvent jeunes et actifs, partagent désormais le même refus de la mondialisation et de la société multiculturelle. »

Que faire ?

Économiquement : La France périphérique cherche une alternative au modèle économique mondialisé, centré sur la relocalisation, la réduction des ambitions internationales, le protectionnisme, la restriction à la circulation des hommes et à l’immigration – au fond tout ce que fait Trompe le Brutal, et son gouvernement Grotesque. « Initiative de quatre départements, l’Allier, le Cher, la Creuse et la Nièvre, les nouvelles ruralités s’inscrivent dans le contexte de la France périphérique. Si l’appellation semble indiquer une initiative exclusivement rurale, ce mouvement vise d’abord à prendre en compte la réalité économique et sociale (…) En favorisant un processus de relocalisation du développement et la mise en place de circuits courts. »

Politiquement : « La droite a joué le petit Blanc en mettant en avant le péril de l’immigration et de l’islamisation La gauche a joué le petit Beur et le petit Noir en fascisant Sarkozy, stigmatisé comme islamophobe et négrophobe. Les lignes Buisson et Terra Nova qui, pour l’une cherchait à capter une partie de l’électorat frontiste et pour l’autre visait les minorités, ont parfaitement fonctionné. » Mais comme ni droite ni gauche n’ont rien foutu contre l’insécurité sociale et culturelle, en bref la précarisation et l’immigration sauvage, les électeurs se sont radicalisés, délaissant PS et Républicains. Y compris les électeurs français ex-immigrés : « Le gauchisme culturel de la gauche bobo se heurte en effet à l’attachement d’ailleurs commun à l’ensemble des catégories populaires (d’origine française ou étrangère), des musulmans aux valeurs traditionnelles. Autrement dit, le projet sociétal de la gauche bobo s’oppose en tout point à celui de cet électorat de la gauche d’en bas. » On parle aujourd’hui de « woke » pour vilipender ce délire gauchiste culturel. D’où le recentrage vers le conservatisme de tous les partis, sauf LFI. Pour garder ses électeurs, il faut répondre à leurs attentes. Or la mondialisation, si elle ne disparaîtra pas en raison des enjeux de ressources, de climat et d’environnement, est désormais restreinte. Le Covid, puis Trompe, l’ont assommée. Les partis politiques doivent donc le prendre en compte et moins jouer l’économie du grand large que les liens sociaux intérieurs. On attend toujours…

Sociologiquement : le mode de vie globalisé à la Jacques Attali, nomade hors sol sans cesse entre deux avions, n’est pas supportable pour la planète s’il se généralisait. Guilluy cite Jean-Claude Michéa, justement inspiré : « C’est un mode de vie hors-sol dans un monde sans frontières et de croissance illimitée que la gauche valorise, comme le sommet de l’esprit tolérant et ouvert, alors qu’il est simplement la façon typique de la classe dominante d’être coupée du peuple. » Au contraire, la majorité de sa population se sédentarise, s’ancre dans les territoires, faute de moyens pour accéder aux métropoles où les loyers et le mètre carrés se sont envolés. Dans un chapitre intitulé « le village », l’auteur montre comment la trappe à emploi a piégé les déclassés en périphérie des métropoles, et agit idéologiquement comme un contre-modèle valorisé de la société mobile et mondialisée. L’enracinement local est source de lien sociaux. « Face à la mondialisation et à l’émergence d’une société multiculturelle Ce capital social est une ressource essentielle pour les catégories populaires, qu’elles soient d’origine française ou immigrée. Des espaces ruraux aux banlieues, ce capital du pauvre est la garantie de liens sociaux partagés. » D’où les revendications identitaires aux Antilles, en Corse, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie pour se préserver des flux migratoires.

Christophe Guilluy note malicieusement que c’est exactement la même tendance en Algérie ou au Maroc, où l’immigration noire alimente les tensions sociales. Et même en Palestine ! « Si on se détache un instant de ces passions géopolitiques, on ne peut qu’être frappé par la banalité des ressorts du conflit. Territoires, instabilité démographique, insécurité culturelle, rapport à l’autre… les tensions, la cause des tensions sont toujours les mêmes. Pour les Juifs israéliens, la peur de devenir minoritaire est d’autant plus forte que le territoire est restreint et la dynamique démographique, à l’exception des orthodoxes, faibles. Pour les Palestiniens, la question du territoire est d’autant plus vitale que la dynamique démographique est forte. La banalité de cette lutte territoriale et culturelle est occultée par l’instrumentalisation politique du conflit qui ne permet pas de percevoir le caractère universel de ces tensions. En la matière, il n’y a pas à rechercher de spécificité juive ou arabo-musulmane à l’histoire d’Israël. » Et paf ! C’était dit dès 2014.

Un petit essai très intéressant à relire.

Christophe Guilluy, La France périphérique – Comment on a sacrifié les classes populaires, 2014, Champs Flammarion 2024, 192 pages, €7,00, e-book Kindle €5,99

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H.G. Wells, La machine à explorer le temps

Dans un salon de gentlemen où l’on fume des cigares, l’Explorateur – un savant – explique à ses compagnons de société (le Provincial, le Docteur, le Psychologue, le Très jeune homme, le narrateur) comment il a exploré le Temps à l’aide d’une machine de son invention. Le monde n’a pas trois, mais quatre dimensions (et beaucoup d’autres, dit-on depuis) ; ce pourquoi l’idée est venue à l’auteur, le 14 janvier 1887, après avoir assisté à l’exposé de l’étudiant, E. A. Hamilton-Gordon sur cette quatrième dimension. Ce thème est devenu l’une des pistes de la science-fiction depuis.

Après en avoir parlé lors d’une soirée et présenté un modèle réduit qui a effectivement disparu sous les yeux de tous, il a invité ses compagnons à dîner le soir suivant. Il veut tester lui-même sa machine grandeur nature. Il se met en selle, pousse un levier, et les secondes, minutes, heures, jours, mois, années, décennies, siècles, millénaires, défilent. En avant. Il aurait pu aller dans le passé, mais pour y voir quoi ? Ce que l’on sait déjà ? Prendre une leçon de grec avec Platon ?

Le voilà donc arrêté, un peu saoul et désorienté par l’impression de chute dans le vide, en l’an 802 701 au chrono-guide de la machine. Il se trouve sur une pelouse, devant un grand sphinx sur un soubassement orné de plaques de bronze. Personne alentour, la vallée de la Tamise au loin qui s’étire, et des puits percés un peu partout tandis que s’élèvent quelques hautes tours.

Il ne tarde pas à faire connaissance de l’humanité évoluée de ce temps. Les Eloïs sont sveltes, beaux et joyeux comme des enfants, encore sexués mais androgynes. Ils se nourrissent de fruits et ne réfléchissent pas plus d’une minute ou deux avant de s’évader dans les rires. Ils ont peur la nuit et se regroupent pour dormir. Pas de vie de famille, des enfants qui ressemblent aux adultes, en plus petits. Aucun vieillard. C’est qu’ils ne sont pas seuls sur la planète. Une autre humanité, qui a divergé d’eux depuis des millénaires, peuple le sous-sol. Ce sont les Morlock, blancs, velus et simiesques, avec les yeux rouges agrandis par le fait de vivre dans l’obscurité constante. Eux se nourrissent de chair, et l’Explorateur saura bientôt de laquelle. En effet, aucun animal en vue. Les puits conduisent au monde souterrain où des machines grondent, produisant vêtements et autres accessoires.

Wells a poussé à l’extrême l’inégalité croissante de son temps entre prolétaires et propriétaires pour en faire deux espèces différentes. Mais l’oisiveté et le confort ont conduit les ex-seigneurs à la dépendance dorée, tandis que les ex-prolos sont devenus prédateurs tels des fourmis cultivant leur essaim de moucherons. L’Explorateur s’attachera à Weena (Ouina), une femelle Eloï qu’il a sauvé de la noyade, dans l’indifférence paresseuse de ses compagnons, et explorera une partie du monde Morlock sous la terre. Il sera sauvé par le feu de ses allumettes, et fera une véritable guerre du feu, une nuit sans lune, contre les Morlocks sortis de leurs trous pour se repaître.

Après avoir retrouvé sa machine, confisquée par les Morlocks, pas assez intelligents malgré les millénaires pour la comprendre, il poursuivra son voyage vers le futur, avant de rentrer éclopé et sale au bercail, juste pour le dîner où un gigot de mouton (bouilli ?) l’attend sur la table avec ses amis. Il leur contera ses aventures au fumoir. La suite du voyage dans les millions d’années a sans doute été ajoutée pour faire du volume, car sa première aventure est bien mince. La terre devient déserte, les planètes bougent, le soleil rougit avant de s’éteindre – rien de bien neuf.

Le plus intéressant reste dans l’anticipation de l’évolution humaine, selon laquelle des races nouvelles vont se créer en divergeant selon leur mode d’existence. Comme quoi le milieu influe sur la génétique par la pression de sélection, ce que Darwin venait de démontrer. Mais aussi combien le confort et l’absence de danger pour sa vie fait péricliter l’intelligence. « Je m’attristai à penser combien bref avait été le rêve de l’intelligence humaine. Elle s’était suicidée : elle s’était fermement mise en route vers le confort et le bien-être, vers une société équilibrée, avec sécurité et stabilité comme mots d’ordre ; elle avait atteint son but. » Il n’y a pas d’intelligence là où n’y a aucun changement. Un être animé en pleine harmonie avec son milieu est un pur mécanisme. C’est le rêve des dictatures réactionnaires à la Poutine que de figer le temps pour faire de l’humanité une espèce composée de sujets-robots…

Ne croyez pas que ce soit une utopie. Elon Musk et les transhumanistes sont dans cet état d’esprit élitiste. L’humanité, pour eux, va se différencier entre les riches capables de dépenser les sommes nécessaires à leur « amélioration » en cyborgs, et la masse, pas forcément « pauvre » en argent mais surtout pauvre en esprit, gangrenée par les délires woke et diluée dans le métissage généralisé à la mode. Curieusement, et c’est ce que l’on apprend en analysant les extrême-droites en science politique, le « racisme » est moins dans le passé que dans l’avenir. La différenciation des « races » est dans le futur, pas dans une « pureté » illusoire retrouvée.

Herbert George Wells, La machine à explorer le temps (The Time Machine), 1895, traduction Henry D. Davray, Folio SF 2016, 176 pages, €8.00, e-book Kindle €1,01

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Un autre roman de SF de HG Wells chroniqué sur ce blog

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Un jour de pluie à New York de Woody Allen

Gatsby emmène Ashleigh, sa copine à l’université chic mais peu connue du nord de l’état de New York, Yardley College, pour un week-end à la Grosse pomme. Lui a gagné 20 000 $ au poker, métier qu’il exerce plus volontiers que tous les autres. Elle doit réaliser une interview du réalisateur connu Roland Pollard (Liev Schreiber) pour la gazette de Yardley et ambitionne de devenir journaliste. Tous deux sont issus de familles riches, de la classe Trompe, lui de New York, sa ville où il est expert au poker (ce jeu de deal), elle de Tucson, Arizona, où son père possède « plusieurs » banques (de quoi diviser les risques et mieux arnaquer).

Ashleigh n’a pas le même but que Gatsby. Le garçon, mince intello un peu paumé (Timothée Chalamet, américano-franco-juif de 24 ans), imagine un week-end romantique où l’interview ne durera qu’une heure. La fille (Elle Fanning, née en Géorgie, 20 ans), blonde un peu nunuche, belle performance d’actrice en ingénue à la Marylin – sans son attrait magnétique – s‘excite en provinciale devant tout ce qui est ciné, télé, acteurs, people. Elle ne veut que « réussir » et est prête à tout pour cela, y compris livrer son corps. Deux verres de vin achèvent de la bourrer, et elle le sait ; elle manque de se faire violer, et elle y va – quitte à « accuser » ensuite « les hommes », dans la bonne tradition du Mitou. Woody Allen, en plein procès d’« agression sexuelle » de sa fille adoptive Dylan, pointe ici sans le dire, et avec humour, ce travers féminin de la génération Z – dont le pendant est Gatsby, sex-symbol en jeune homme jamais fini en pleine crise existentielle (et dans la vie un peu lâche).

Ashleigh se laisse entraîner à voir le film que le réalisateur n’aime pas, puis à boire avec le scénariste Ted Davidoff (Jude Law) qui aime le script et ne comprend pas, puis à rencontrer un acteur connu pour son physique avantageux, Francisco Vega (Diego Luna), à passer avec lui à la télé comme sa « nouvelle conquête », à picoler tant et plus, vin et bourbon, à se retrouver chez lui dans un grand appartement en duplex qui l’émerveille, à le suivre dans sa chambre, à ôter ses vêtements pour… devoir se cacher quasi nue lorsque la régulière de Francisco Vega revient à l’improviste de son voyage. Elle va piquer un imper pour se réfugier sur l’escalier de secours, en slip et soutien gorge, pieds nus, ne pouvant regagner l’intérieur puisque la porte a été refermée et verrouillée par la légitime qui a entendu du bruit et cru à un courant d’air (car la nunuche a – évidemment – fait tomber un classeur).

Gatsby, pendant que sa copine vit sa vie sans penser à lui, tue le temps en errant dans New York, où il rencontre un ancien copain qui tourne un petit film et lui demande de jouer impromptu la scène du baiser dans une voiture décapotée (autre signe d’humour subliminal Woody Allen). Sa partenaire est la petite sœur d’une ex, Chan Tyrell (Selena Gomez), qu’il n’a pas remarquée enfant. Il a du mal à l’embrasser, ses lèvres restant fermée par « respect » (incongru) envers Ashleigh (qui s’en fout bien, mais il ne le sait pas encore). Gatsby, une promenade plus tard, retrouve Chan dans le même taxi qu’ils ont hélé chacun de leur côté. Il l’accompagne dans l’appartement de ses (riches) parents, où il se met au piano et chante « Everything Happens to Me ». Ils parlent de leur amour de la Ville et trouvent que c’est le lieu le plus romantique un jour de pluie – une inversion comique à la Woody Allen de l’épreuve que traverse Ashleigh, chassée du lit de la star par la légitime. La mère de Gatsby (Cherry Jones) l’a obligé à apprendre le piano, et il aime ça, ou plutôt la seule légèreté du piano-bar, le jazz chanté. Elle l’a aussi formée autoritairement à aller aux expositions, à lire des livres, à écouter des concerts. « Il faut » aller voir ça, assénait-elle. Par conformisme ? Par snobisme ? Par culture ? Non, par avidité à accumuler pour paraître. Gatsby le saura bientôt.

Après avoir participé à une partie de poker, où il gagne 15 000 $ comme ça, il va visiter le Metropolitan Museum of Art avec Chan, qui lui avoue alors qu’elle avait le béguin pour lui jeune ado, alors qu’il ne s’était aperçu de rien, étant avec sa grande sœur. Il rencontre son oncle et sa tante par hasard et, voulant les éviter pour ne pas avoir à assister à la soirée de sa mère, qui ne sait pas qu’il est à New York, se retrouve devant eux au détour d’un mur égyptien. C’est le destin. Gatsby doit téléphoner à sa mère, doit assurer qu’il vient « avec Ashleigh », doit jurer qu’il portera une chemise et une cravate. Il était en effet vêtu habituellement en « jeune Z » d’une veste sur une chemise ouverte jusqu’au nombril avec un infâme tee-shirt bordeaux dessous, les tennis blanches de rigueur aux pieds. Mais point d’Ashleigh : que faire ? Cette interrogation à la Lénine trouve sa solution en la personne de Terry, une escort blonde (Kelly Rohrbach) qui l’entreprend et veut se donner à lui pour 500 $ ; il la paye 5000 $ pour jouer le rôle d’Ashleigh pour la soirée. Au gala chic de la Mother, il s’ennuie, il paradoxe, il fuit les mondanités, les cons bourrés de fric, le mariage – que son frère hésite à entreprendre à cause du rire bête de sa fiancée (et, de fait, il l’est – il aurait pu s’en apercevoir avant).

Sa mère le prend à part : elle a reconnu en Terry une semblable, ce qu’elle était avant de rencontrer son mari, une escort, autrement dit une pute sur rendez-vous. Elle la renvoie et dit à son fils qu’elle veut « lui parler ». Elle lui dit tout, que son acquisition forcenée de culture lui a permis de s’élever dans la société et de fonder cette société avec son mari qui les a rendus riches, ce pourquoi elle force son fils à se cultiver malgré lui. Cela le dessille. Il comprend que la vérité est finalement le seul moyen d’avancer quand on est en plein brouillard.

La nunuche Ashleigh, toujours quasi nue sous la pluie de New York, ne sait plus à quel hôtel Gatsby et lui sont descendus, elle se perd dans le métro (faut-il être bête), et parvient enfin à pieds (nus), harassée, trempée, au bon hôtel, pour aller direct se coucher. Elle expliquera demain qu’il ne s’est rien passé, même si elle n’a plus ses vêtements et que la télé a révélé publiquement sa liaison avec Vega.

Le jour d’après, le gauche Gatsby ne sait comment assumer tout ce qui s’est passé la veille. Il assure pour Ashleigh la promenade en calèche à Central Park, tourisme obligé des provinciaux à New York, puis quitte sa copine en plein voyage parce qu’elle se plaint de la pluie qui commence à tomber. Il;décide pour deux qu’elle va retourner à Yardley, vivre sa vie de journaliste couchant avec les stars, éblouie par les paillettes ; lui va rester à New York et commencer une romance avec Chan, laisser tomber l’université et Ashleigh – qui ne sait pas faire la différence entre Shakespeare et Cole Porter. La fille ne dit rien, estomaquée mais sans argument contre. A six heures tapantes à la Delacorte Clock, à l’extérieur du zoo de Central Park, il retrouve Chan et l’emporte dans un vrai baiser, cette fois.

Les spectateurs ont failli ne jamais voir le film, le woke ayant « cancelé » toute la production de Woody Allen, alors seulement « accusé » et non « prouvé » coupable ; il semble d’ailleurs que ces accusations soient des âneries, resurgies pour se faire mousser au moment de Mitou – ainsi en a décidé la justice. L’actrice Cherry Jones a défendu Woody Allen en avril 2019, déclarant (cité par Wikipédia en anglais, bien plus complet qu’en français) :  » I went back and studied every scrap of information I could get about that period. And in my heart of hearts, I do not believe he was guilty as charged […] [t]here are those who are comfortable with their certainty. I am not. I don’t know the truth, but I know that if we condemn by instinct, democracy is on a slippery slope. » En yankee dans le texte. En gros, il y a les croyants, qui jugent et condamnent sans savoir ; et il y a ceux qui doutent et demandent des faits. Si les premiers l’emportent (et ils l’ont emporté avec le démago Trompe), la démocratie a du mouron à se faire (elle en a).

DVD Un jour de pluie à New York (A Rainy Day in New York), Woody Allen, 2019, avec Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez, Jude Law, Liev Schreiber, Mars Films 2020, doublé anglais, français, 1h28, €10,80, Blu-ray StudioCanal 2025, €14,24

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Maxime Chattam, Lux

Maxime Chattam a été élevé partiellement aux États-Unis. Il en garde une foi de charbonnier pour ce pays, au point d’avoir donné des prénoms yankees passe-partout à ses gosses (Abbie et Peter), et la propension presque désespérée à se vouloir conforme : « un bon garçon » qui fait et pense comme les autres. D’où ses excès dans la pensée ultramoderne, plus ado et candidement bête que les ados, parlant un aussi mauvais langage qu’eux, et pour qui, au final, tout le monde est beau et gentil.

Dans ce roman de science-fiction sous les mânes de Barjavel, il réfléchit sur le monde futur probable avec son réchauffement climatique qui s’emballe, ses tempêtes de plus en plus fortes qui ravage les pays et détruit les villes, faisant de nombreux morts, la faute au patriarcat de vieux cons qui sont resté égoïstement dans leur petit confort en laissant à leurs descendants le soin de s’en démerder. D’ailleurs, plus de descendants : les jeunes ne font plus d’enfants. Trop de risques à élever des gamins, trop de risques à aimer l’autre. Méfiance et cocon au programme (un peu cliché).

Bon, l’adote Romy, personnage principal, est spontanée, sectaire, toute dans l’émotion, comme le sont les ados avant de savoir grandir. D’ailleurs elle est trans, née garçon pour faire bonne figure (on ne voit pas le rapport avec la suite, sinon singer la mode). De même le chef de l’État en France est une femme, évidemment lesbienne pour faire genre. Le seul personnage masculin positif, Pierre, jeune et plein d’allant étudiant en sociologie, mais plutôt macho, meurt lors d’une tempête gigantesque de « grade 4 », inhibant tout avenir naturel. Ce n’est pas Romy qui pourra faire un enfant. Quant à Zoé, la mère du trans, la quarantaine qui sent sa date de péremption arriver avec les mâles, c’est une romancière qui brasse son ego et qui peine à poursuivre.

Avec ces acteurs, Maxime fait du complot, de l’espionnage, de la croyance, au milieu de tensions militaires. Il se dit que c’est le dernier tome de la saga Autre monde de l’auteur – mais les personnages ne sont pas les mêmes ; on peut le lire sans avoir lu aucun des précédents. Ici, tout est mensonge entre États, et entre hauts fonctionnaires, évidemment hors sol et incultes (cliché). Ce mixage est curieux, pas mal tourné, mais orienté woke sans distance. Écrit avant le retournement de veste de Tromp depuis son élection, son retour à l’isolationnisme botté et à l’égoïsme sacré des affaires et de l’empire, je me demande comment Chattam va réagir, lui le colonisé yankee. Dans ce roman de fiction, il apparaît tellement à la pointe des tendances… qui viennent de s’écrouler brutalement !

Après une énorme tempête durant laquelle meurt Pierre, jeune un peu trop sûr de lui, surgit un événement mondial : l’apparition d’une sphère lumineuse de 800 m de diamètre, au-dessus exact de la ligne d’équateur. Nul satellite ne l’a vu surgir, elle est apparue comme depuis le néant. Aussitôt, les imaginations se déchaînent. Ce sont des extraterrestres, un signe de la vengeance de Dieu, une émanation de Gaïa qui réagit à l’espèce humaine toxique, une nouvelle forme d’engin militaire… L’ONU, curieusement sans la Russie, ni la Chine, ni l’Inde, est mandatée pour étudier le phénomène. Est-il hostile ou amical ? Les gouvernements ont chacun un quota de scientifiques et de penseurs à déléguer sur une plate-forme qui est assemblée juste sous la sphère, qui stagne à un kilomètre en altitude sans bouger d’un iota. Il s’agit de l’étudier et faire part au monde entier des observations et cogitations des savants – et d’un panel de la société civile (oh, le cliché mode !). Les marines militaires de tous les pays (sauf les trois, Chine, Russie et Inde) tournent autour pour protéger leurs ressortissants et se surveiller entre eux. Évidemment, la marine américaine est à l’honneur (encore un cliché)… bien qu’un sous-marin nucléaire russe « très avancé » (toujours un cliché) lui dame le pion.

Il n’y a pas que des « savantes et savants » (stéréotype du vocabulaire à la mode) dans les équipes, mais aussi des musiciens, des romanciers, des plasticiens, des « jeunes » et même un clebs. Il s’agit de « penser » large, au-delà des conventions et du connu, autrement dit d’imaginer n’importe quoi, on verra bien après. C’est très ado comme approche, et pas très fiable. D’ailleurs, le roman le montre malgré lui, ce sont les observations scientifiques qui font avancer la connaissance du sujet, pas les spéculations sur le sexe des anges. Tout ce petit monde s’aperçoit que la sphère ronronne, mais pas n’importe comment, en 432 Hz, la « note absolue » qui correspond à l’oreille humaine et permet d’accorder les instruments entre eux. Mais attention à la mystique, où les nazis s’étaient engouffrés sans savoir, les ondes électromagnétiques ne sont pas les mêmes selon qu’on évoque le son, la lumière ou l’activité du cerveau (là, les explications chattamesques ne sont pas vraiment claires).

Zoé est pressentie par l’Élysée pour intégrer l’équipe France sur la plate-forme. Elle ne se sent pas légitime et ne veut pas s’engager. C’est Simon, le père de Pierre qui a été tué, qui va la convaincre, en sociologue manipulateur (un cliché, l’auteur n’en manque jamais, comme les ados). Zoé accepte seulement si sa « fille » Romy vient aussi, elle pourra faire de la com avec la planète ado en postant des vidéos sur l’activité de la plate-forme. Romy accepte seulement si leur chien René (un nom de vieux patriarcat) vient aussi. Les voilà donc tous trois embarqués (embeded, disait le cliché sous Bush junior)

Tout commence et, en bref, sans dévoiler le sujet ni la fin (plutôt rationnelle), Zoé tombe amoureuse de Simon tandis que Romy la trans tombe amoureu(se) d’Alex, un beau musclé évidemment métis (pour la mode woke) et qui est préparateur cuisinier. Le lecteur se demande longtemps si le bel Alex est ce même Alexander, espion russe qui s’est infiltré sous couverture yankee parmi le personnel de la plate-forme, et qui est Russe comme un cliché : brutal, massif, imbu de sa supériorité raciale russe, « born to kill », expéditif et sans état d’âme comme un robot. Pour le reste, les scientifiques expérimentent, les littéraires bavassent, la com s’émet, et rien ne se passerait sans les études par instruments. On s’aperçoit que la sphère émet un gaz en haute altitude. Est-il nocif ? – Oui. Va-t-il toucher les humains à la surface ? – Non. A quoi sert-il ? – C’est assez subtil et scientifiquement osé… Je vous le laisse découvrir.

Je ressors de cette lecture mitigé. Les chapitres sont courts et assez prenants ; la description d’un monde futur possible déréglé fait toucher du doigt les conséquences pratiques d’un réchauffement qui s’emballe ; la naïveté ado (végan, non-binaire, privilégiant l’émotif, acceptant comme normales toutes les bizarreries sexuelles – sauf les politiquement incorrectes) est parfaitement décrite. En revanche, les personnages sont bien pâles, même Simon, le plus abouti, dont la vie n’a plus de sens sans son fils Pierre. Les politiciens sont de caricature, la Première dame, épouse de « la » Présidente a trop de ressemblance avec Brigitte Macron pour que ce soit un hasard. L’espion russe semble sorti des films de James Bond, la diplomatie est totalement ignorée, l’ONU invraisemblable sous la seule coupe des États-Unis, avec tous les pays du « sud » de concert.

Maxime Chattam adore se documenter sur Internet pour monter ses histoires. Mais il ne comprend pas toujours ce qu’il lit et use de raccourcis pour ne pas lasser l’attention clignotante de ses lecteurs/lectrices, un public ado ou ado attardé. C’est donc un roman séduisant mais assez creux, où l’action évidemment réduite à l’espace d’une plate-forme ne peut que stagner un moment, et où les personnages ne sont guère intéressants. Quant aux « grandes idées » sur la fin et le monde, le destin de l’Humanité et les astres, ça tourne en rond.

Maxime Chattam, Lux, 2023, Pocket 2025, 667 pages, €9,30, e-book Kindle €15,99

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Les romans de Maxime Chattam déjà chroniqués sur ce blog

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Trump et nous

Donald, duc aux cheveux oranges, a gagné non seulement les institutions, mais aussi la population. Il est désormais président de plein exercice des États-Unis, ayant remporté la présidence, le Sénat, la Chambre des représentants, et conservant la Cour suprême. Il a tous les pouvoirs.

Quelle leçon pour nous ?

Son succès est dû à la fois au discours populiste et aux réseaux sociaux.

Il est populiste parce qu’il agite les plus bas instincts humains, la peur et la haine, la survie. L’immigration est pour lui le bouc-émissaire facile de tout ce qui ne va pas en Amérique (comme pour Le Pen-Zemmour). Ceux qui sont différents sont aussi nuisibles que des Aliens venus d’ailleurs ; ils menacent insidieusement la base WASP des États-Unis, en régression démographique. « Apocalypse zombie », dit Elon Musk de l’immigration – bien que lui-même soit immigré. La vulnérabilité aux théories du complot (paranoïa) serait causée par l’instinct de survie : les informations potentiellement dangereuses, même fausses, sont prises en compte plus fortement que les autres ; on les croit plus vite et plus volontiers, selon le Système 1 du cerveau expliqué par Daniel Kahneman.

C’est aussi, pour Trump le trompeur, un coin enfoncé dans la bonne conscience morale de ses adversaires intellos de gauche. Ce pourquoi Kamala Harris, demi-Jamaïcaine et demi-Indienne, n’était probablement pas la bonne candidate pour contrer le mâle blanc dominateur d’origine allemande.

Les réseaux sociaux, c’est Elon Musk (né en Afrique du sud alors raciste), autiste Asperger harcelé à l’école et père de douze enfants avec trois femmes, dont les garçons X Æ A-XII (ou X), Techno Mechanicus (ou Tau), la fille Exa Dark Sideræl (ou Y), et un transgenre Xavier devenue fille (Vivian), « piégée par le woke », dit-il. Il veut sa revanche sur la société et devient l’innovateur en chef de l’Amérique d’aujourd’hui avec SpaceX, Tesla, le transhumanisme Neurolink, OpenAI, xAI et le réseau X (ex-Twitter). Les algorithmes des ingénieurs du chaos, si bien décrits par Giuliano di Empoli dans son livre chroniqué sur ce blog, ont appris tout seul à capter le ressentiment et à s’en servir pour asséner des slogans porteurs à des publics précis.

Le seul personnage historique en politique qui ait réussi cette alliance de manipulation des bas instincts et de technique la plus avancée a été Adolf Hitler. Peut-être est-ce ce qui nous attend.

Le moralisme de gauche politiquement correct qui dérive de plus en plus vers le woke revanchard des minorités colorées, est manifestement rejeté par la population des États-Unis, dans un mouvement non seulement anti-élite, mais aussi anti-assistanat. La liberté prime sur toute notion d’égalité. Les gens veulent faire ce qu’ils veulent sans que des normes, des règles, des lois, ou l’État puissent s’y opposer. Les libertariens représentent l’acmé de l’individualisme porté par le mouvement démocratique. Non sans contradictions : s’il est interdit d’interdire, pourquoi interdire l’avortement pour des raisons morales ?

Le projet MAGA pour l’Amérique à nouveau forte d’Elon Musk, riche de 210 milliards $ et désormais conseiller du président, vient de ses expériences industrielles :

  • Il préfère les essais aux théories, développer par itération plutôt que de tout concevoir en une fois – d’où le flou du « programme » politique.
  • Il cherche avant tout à éliminer pour optimiser – d’où ses propositions de supprimer des milliers de fonctionnaires (5 % par an minimum) et les règles « inutiles » voire « néfastes » à l’initiative.
  • Il prône l’intégration verticale, un maximum de compétences en interne pour maîtriser le maximum de choses sans dépendre de sous-traitants, de leur bon-vouloir, leurs délais, leurs difficultés – d’où les droits de douane élevés aux importations des pays tiers, le rapatriement des industries sur le territoire, et la méfiance envers les « alliances » et tout ce qui n’est pas « intérêt » premier de l’Amérique, voire les coups d’État encouragés à l’étranger proche si c’est pour accaparer les mines de lithium.

A noter pour nous qu’Elon Musk est proche en Europe d’Alain Soral et de Giorgia Meloni ; il a aussi désactivé son réseau de satellites lors d’une offensive ukrainienne en Crimée pour faire plaisir au tyran mafieux Poutine.

La politique, ce n’est pas du rationnel, c’est de l’irrationnel.

Ce sont les émotions véhiculées par les images, mais surtout les instincts de base que sont la peur, la faim, le sexe, qui motivent les votes des électeurs. Freud distingue les pulsions de vie liées à la recherche du plaisir, de la satisfaction et de l’amour – et les pulsions de mort liées à l’agressivité, à la destruction et à la pulsion de retour à l’inorganique. Les psychologues modernes, notamment américains, résument les instincts fondamentaux en : survie, reproduction, réalisation personnelle, soin.

Pour Trump :

  • la peur, donc la survie, c’est l’immigration et le changement culturel du woke ;
  • la faim, donc la réalisation personnelle et le soin aux citoyens légitimes, ce sont les bas salaires, la concurrence chinoise et allemande, et le trop d’impôts ;
  • le sexe, donc la reproduction, c’est le féminisme croissant qui dévalorise la virilité et la victimisation hystérique des Mitou qui fait de tout mâle – dès la maternelle – un violeur prédateur dominateur en puissance.

Où l’on constate objectivement, dans ces élections, que près de la moitié des femelles américaines semblent plutôt aimer être « prises par la chatte », comme l’a déclaré Trump – puisqu’elles ont voté largement pour lui – et que beaucoup de Latinos et de « Nègres » (ce nouveau mot ancien qui va faire führer aux USA, déjà né sous X) préfèrent un mâle blond, riche et autoritaire à une femelle classe moyenne, métissée et libérale.

C’est peut-être aussi ce qui nous attend – dans les prochains mois et les prochaines années.

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Valérie Gans, La question interdite

Un roman puissant, d’actualité, sur la vérité. Écrit au lance-pierre, avec des billes lancées à grande vitesse qui frappent juste et lourdement : sur l’effet de meute, l’anonymat lyncheur des réseaux sociaux, la dérive hystérique d’un certain féminisme. La « question interdite » ne devrait pas l’être : « et si ce n’était pas vrai ? »

Pas vrai qu’un homme de 40 ans ait abusé d’une adolescente de 13 ans (et demi) ? Pas vrai que la fille l’ait ouvertement accusé ? Pas vrai que la mère abusive ait « cru » le « non-dit » ? Pas vrai que l’inspectrice de la police (on dit plutôt lieutenant aujourd’hui, je crois) ait capté la vérité dans les propos décousus et incohérents de l’une et de l’autre ?

Une histoire simple, comme dirait Sautet au nom prédestiné : un vidéaste connu monte un projet sur la féminité. Adam, au nom d’homme premier, est soucieux du droit des femmes et milite depuis toujours contre le machisme, ayant montré dans ses vidéos les horreurs de la soumission dans les pays autour de la Méditerranée et en France. Il s’entiche – professionnellement – en 2017 d’une gourde un peu grosse rencontrée dans un café où elle s’essaie à devenir adulte en ingurgitant le breuvage amer qu’elle n’aime pas. Il voit en elle son potentiel, le développement de ses qualités physiques et mentales. Il lui propose de tourner d’elle des vidéos spontanées, qu’il montera avec des vidéos de femmes plus âgées, afin d’exposer l’épanouissement d’une adolescente à la féminité. En tout bien tout honneur, évidemment, avec autorisation de sa mère et contrat dûment signé. Lui est marié à Pauline, une psy qui enchaîne les gardes pour obtenir un poste.

La mère, Ukrainienne mariée à un Iranien décédé, ne vit plus sa vie de femme depuis le décès de son mari cinq ans auparavant ; elle se projette sur sa fille et fantasme. Elle la pousse dans le studio, sinon dans les bras du bel homme connu. Shirin la gamine se révèle ; elle devient femme, se libère de ses complexes face aux regards des autres, améliore ses notes, devient populaire. Les autres filles l’envient, les garçons de son âge sont un peu jaloux et voudraient en savoir plus sur les trucs qui se passent.

Mais il ne se passe rien.

Jusqu’au jour où Shirin, désormais 14 ans, rentre en larmes et claque la porte de sa chambre. Sa mère, biberonnée à l’environnement féministe, aux soupçons immédiats sur le sexe pédocriminel, à la différence d’âge qui ne s’admet plus, se fait un cinéma : sa fille vient d’être violée et, même si elle n’a rien dit, c’est normal, elle est « sidérée » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle la convainc d’aller « porter plainte », comme la mode le veut, pour que le (présumé) coupable soit « puni », autrement dit retiré de la société pour trente ans, comme s’il avait tué. La policière qui reçoit mère et fille entend surtout la mère, la fille est bouleversée, elle borborygme, elle n’avoue rien. Normal, pense la pandore formatée par l’époque, elle est « sous emprise » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien.

Le présumé innocent est convoqué, interrogé, soupçonné. Il nie évidemment qu’il se soit passé quoi que ce soit, mais la fille ne parle pas. Il est donc coupable. Aux yeux de la police, aux yeux de l’opinion, aux yeux de son avocat, un soi-disant « ami » qui ne le croit pas puisque personne n’y croit. Les réseaux sociaux se déchaînent, chacun dans sa bulle confortable : les hommes prêts à juger les autres pour les turpitudes qu’ils auraient bien voulu avoir ; les femmes (qui n’ont que ça à foutre, faute de mecs à leur convenance) dans l’hystérie anti-mâles, revanchardes des siècles de « domination » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Adam est boycotté par ses clients, jeté de sa galerie où il expose ses vidéos, une pétasse qui avait 15 ans et lui 19 vingt ans auparavant l’accuse (gratuitement) de « viol » – mot de la mode qui plaque un concept juridique qui n’explique rien des faits réels. Il entre en mort sociale. Pauline, sa femme, demande le divorce tant la pression des autres et de ses collègues lui font honte de rester avec un tel criminel (pas encore jugé, la justice est très très lente en ces matières). Désespéré, il se suicide.

Fin de l’histoire ?

Non. Shirin, vingt ans plus tard, a du remord. Elle sait ce qui s’est passé, c’est-à-dire rien, et elle voudrait réhabiliter Adam qui l’a révélée à elle-même contre les autres, sa mère possessive qui vivait ses fantasmes par procurations, ses petits copains boutonneux qui ne pensaient qu’à baiser sans aimer, ses copines jalouses et venimeuses qui ne songeaient qu’à se faire valoir aux dépens des autres. Tout le monde en prend pour son grade.

Nous sommes désormais en 2028 et la société a bien changé. Valérie Gans l’imagine sans peine comme un prolongement hystérisé des tendances actuelles, ce qui donne un chapitre savoureux (et inquiétant) d’anticipation. Plus aucune relation entre hommes et femmes sans le regard des autres, la « transparence » réelle des bureaux vitrés, des surveillances de tous contre tous. « Pour peu que Shirin s’offusque d’un compliment, d’un sourire, d’une invitation qu’elle jugerait déplacée, Stan se retrouverait condamné » p.116. « Un regard trop appuyé, s’il est surpris – voire photographié et instagramé – par quelqu’un de l’autre côté de la vitre peut entraîner sa perte » p.117. Admirable société où l’homme est un loup pour la femme et réciproquement. « Dans ce monde régi par la peur de se faire accuser de harcèlement, les hommes déjà pas très courageux avant se sont repliés sur eux-mêmes. Célibataires malgré eux, quand ils n’ont pas tout simplement viré gays, ils sortent entre eux, vivent entre eux… simplement parce qu’ils n’osent plus draguer. Triste » p.116. Mais vrai, déjà aujourd’hui.

Shirin, qui vit avec son amie Lalla sans être lesbienne, faute de mec à accrocher, décide de rétablir la vérité contre sa mère, contre la police qui n’a pas été jusqu’au bout, contre la société qui a hystérisé la cause sans chercher plus loin que « le symbole » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle poste donc un rectificatif sur l’ex-fesses-book des étudiants d’Harvard, devenu vitrine respectable des rombières de la cinquantaine ménopausées en quête de CAD (causes à défendre) : « Et si ce n’était pas vrai ? »

Mais raconter qu’on ne s’est pas fait violer – ça n’intéresse personne ! Pour son équilibre mental, Shirin veut « donner sa version des faits plutôt que, ce qu’il y a vingt ans, on lui a fait avouer » p.120. Elle déclenche une riposte… « atomique ». Les réseaux sociaux se déchaînent contre l’ex-violée qui refuse son statut symbolique (et socialement confortable) de « victime » – mot de la mode qui n’explique rien. La désormais « bonne » société des vagins éveillés (woke) ne veut pas entendre parler de la vérité car « la vérité » n’est pas le réel mais ce qu’elle croit et désigne comme telle. Comme des Trump en jupons (violeur condamné récemment pour avoir payé une actrice du porno afin qu’elle la ferme), les hystériques considèrent que la vérité est relative et que la leur est la bonne : il t’a regardé, il t’a donc violée. « Victime, on te croit », braille le slogan des bornées.

Shirin ne va pas s’en sortir car recommence – à l’envers – le même processus des réseaux, des accusations, de l’opprobre et de l’agression physique, jusqu’à la mort sociale. Et le suicide de Shirin, qui reproduit celui d’Adam. Sauf qu’elle est sauvée in extremis par elle-même sans le savoir, qui téléphone à sa mère pour qu’elle vienne la sauver – et réparer le mal qu’elle a fait, en toute bonne conscience. Un séjour en hôpital psychiatrique lui permettra de rencontrer une psy qui la fera révéler « la » vérité (la seule valable, l’unique qui rend compte des faits réels) et ainsi se préserver de « la honte » et de la horde. Je ne vous raconte pas ces faits réels, ils sont le sel de cette histoire d’imbéciles attisés par les mauvaises mœurs de l’impunité en réseau. La foule est bête, la foule féministe est vengeresse, la foule en réseaux fait justice elle-même en aveugle.

De quoi se poser des questions, si possibles les bonnes questions, avant qu’il ne soit trop tard et que les accusations gratuites n’aboutissent à des meurtres en série. Car, quitte à prendre trente ans de tôle, autant se venger réellement des accusatrices sans fondement !

Il faut noter pour l’ambiance d’époque – la nôtre – que le manuscrit de cette autrice ayant été refusé par les maisons d’éditions (avec le courage reconnu qu’on leur connaît!), bien qu’elles aient déjà publié d’elle une vingtaine de romans, Valérie Gans a créé sa propre maison pour contrer la Cancel « culture » : Une autre voix. Celle de la liberté de penser, de dire et d’écrire. Valérie Gans n’est pas n’importe qui : maîtrise de finance et d’économie de Paris-Dauphine en 1987, elle a travaillé dix ans dans la publicité et chronique depuis 2004 des livres pour Madame Figaro. Ce qu’elle dit doit nous interpeller. Son roman se lit d’une traite, bien qu’elle abuse des retours à la ligne.

Valérie Gans, La question interdite, 2023, éditions Une autre voix, 208 pages, €31,00, e-book €12,50 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les livres de Lawrence Simiane déjà chroniqués sur ce blog

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Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg

Témoin d’époque, l’auteur frappe un grand coup. Le confinement Covid l’a fait réfléchir sur la société comme elle va dans un premier roman, La conversation, sur les réseaux sociaux qui prennent de plus en plus de place, sur la technique qui étend son emprise sur l’humain. Les responsables ? Les patrons des GAFAM (Google, Apple, Amazon et Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), ces multinationales technologiques et de réseau.

Dès la page 13, Mark Elliot Zuckerberg, l’un des fondateurs de Facebook et désormais propriétaire aussi d’Instagram, de WhatsApp, Messenger et Threads, est exécuté d’une balle dans la tête. Facebook, nommé au départ Facemash, autrement dit « fesses-book » qui permettait de noter les appréciations sur les étudiants et étudiantes les plus sexy à la fac, est devenu un réseau social mondial et rentable renommé Meta Platforms. Zuckerberg n’en possède que 13 % des parts mais en contrôle 60 %, le reste étant coté en bourse et partiellement aux mains d’investisseurs institutionnels.

Il envisage de développer la blockchain pour la monnaie, l’épargne et les paiements, les lunettes connectées qui filment à votre insu, le Metavers qui est un univers parallèle, et l’IA pour capter et faire fructifier les données des utilisateurs. Autrement dit, Mark Elliot Zuckerberg est « le » prédateur du futur, le Big Brother d’Orwell dans 1984. Le fait qu’il soit juif, capitaliste et américain n’est pas mentionné par l’auteur, bien que cela participe du « Complot » mondial dont les défiants sont habituellement férus.

A la page 18, d’autres crimes sont évoqués sur les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et même de l’ex-président Trump, de même que sur Merkel, Sandrine Rousseau (après tortures, l’auteur se venge-t-il symboliquement ?), et divers attentats contre d’anciens dirigeants comme Sarkozy ou Hollande. Au total, près d’une centaine.

Le meurtrier de Zuckerberg est arrêté assez vite à Paris, dans le palace où il se prélasse, son forfait accompli. Le commissaire Gerbier, usé et fatigué après des décennies de crimes et d’enquêtes dans une société qui pourrit par la tête, est chargé comme meilleur professionnel du 36, de l’interroger. Il a en face de lui un homme de son âge, qui avoue appartenir à un réseau terroriste pour éradiquer l’emprise technologique sur les humains : Table rase.

Il y a peu d’action mais beaucoup de conversation. La soirée puis la nuit passent à deviser afin de savoir pourquoi on a tué, et qui est impliqué. Le pourquoi devient limpide : c’est une critique en règle de l’ultra-modernité : les réseaux qui abêtissent, la moraline du woke qui censure et inhibe, l’IA qui formate peu à peu et réduit l’intelligence humaine. La société hyperconnectée est nocive : il est bon d‘être réactionnaire envers elle !

Premier argument du terroriste : le complot serait général, pour mieux dominer les populations, intellos compris (souvent très moutonniers) : « Vous savez, la meilleure façon de contrôler la pensée d’une population est simplement qu’elle n’en ait pas. Noyer sa réflexion et son attention dans un flot continu d’informations stupides – ou commerciales , ce qui revient à peu près au même – est un excellent moyen d’y parvenir. Limiter l’esprit humain est aujourd’hui devenu un véritable programme politique. Plus le peuple sera ignorant et occupé à des futilités, plus il sera facilement contrôlable » p.53. Sauf que l’on pourrait objecter que les États-Unis ou la France ne sont ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran et que le « contrôle social total » reste un fantasme de défiant complotiste. Nul n’est obligé de suivre les errements des réseaux, des chaînes d’info et de la violence radicale.

Second argument : c’est le capitalisme qui est en cause : « Une société dont l’économie ne survit qu’en générant des besoins artificiels, avec pour objectif d’écouler des produits dont la plupart sont inutiles voire nocifs pour la population comme pour la planète, ne me paraît pas digne de survie à long terme » p.57. Mais quel est le « long terme » ? Pour Michel Onfray comme pour quelques autres, le « capitalisme » est né dès le néolithique ou même dès la première société humaine qui produit et stocke pour échanger… D’autre par, le « capitalisme » est un outil économique, une technique d’efficacité diablement efficace : même la Chine « communiste » s’y est convertie avec la réussite qu’on lui connaît, au contraire de l’archaïque mentalité russe, dont l’économie et la prospérité stagnent.

Troisième argument, anthropologique, vers le Soushomme, l’abêtissement général dans le futile, le tendance et l’autocensure pour ne pas offenser : « Passer d’un mode de vie résolument ancré dans le réel à des relations essentiellement virtuelles et souvent, ne nous voilons pas la face, purement mercantiles, est forcément contre-nature. Les réseaux sociaux incarnent ainsi la caricature la plus vide de sens de notre époque. (…) La mise en scène de toutes choses relève aujourd’hui d’un phénomène de cirque, servi par la consommation instantanée et ininterrompue d’informations sans aucun intérêt. A ce stade, ce n’est plus un appauvrissement, c’est une désertification intellectuelle et une raréfaction glaçante des relations sociales… » p.77. Nietzsche appelait à la volonté pour aller vers une sur-humanité ; la technologie, comme Heidegger le disait, ramène plutôt l’humain vers la sous-humanité de bête à l’étable qui regarde passer les trains.

Quatrième argument, l’effritement des relations sociales sous les coups de la victimisation, du buzz et du woke et la remise en cause de la démocratie sous les coups de force des gueulants : « Désormais, pour exister, au moins médiatiquement parlant, il faut absolument revendiquer quelque chose, protester. S’en prendre à quelqu’un, faire valoir ses traumatismes, bref être une victime, peu importe de qui ou de quoi. Dis-moi ce que tu revendiques, je te dirai qui tu es ! (…) Mon propos est de dénoncer une atmosphère délétère qui déteint sur tous les pans de la société, et entrave sérieusement la liberté d’expression en suscitant des phénomènes d’autocensure particulièrement inquiétants. Un travers en grande partie dû à l’amplification médiatique du moindre fait divers et de la moindre déclaration sortie de son contexte par les chaînes d’information continue, et bien sûr par les réseaux sociaux. (…) Les fondamentaux démocratiques de la société sont désormais pris en otage par quelques tristes sires qui les dévoient de manière éhontée pour leur usage personnel, et surtout pour se faire de la publicité à moindre frais » 103. On pense à la Springora et à la Kathya de Brinon – entre autres. Mais doit-on les croire sans esprit critique ? Leur force médiatique tient surtout à la lâcheté de ceux qui sont complaisants avec leurs fantasmes et leurs approximations.

Habilement, sous forme d’un interrogatoire policier, l’auteur reprend les critiques les plus usuelles sur les méfaits de la technique et le mauvais usage des outils, comme sur l’abandon de ceux qui sont chargés de transmettre : les parents, les profs, l’administration, les intellos, les journalistes, la justice, les politiques. Ils ne sauvegardent pas l’humanité en laissant advenir par inertie « un transhumanisme sauvage » p.142.

En cause l’éducation et la famille, dont l’auteur ne parle guère. Je pense pour ma part que l’habitude viendra d’user mieux de ces choses, qui sont aujourd’hui beaucoup des gadgets à la mode dont on peut se passer (ainsi Facebook ou Instagram), ou qui font peur aux ignorants qui ne savent pas s’en servir. Je l’ai vécu avec le téléphone mobile : l’anarchie et l’impolitesse des débuts a laissé place à des usages plus soucieux des autres. Quant aux réseaux, les cons resteront toujours les cons, quels que soient les outils de communication, et il faut soit les dézinguer à boulets rouges s’ils vous attaquent, soit les ignorer superbement. Le chien aboie, la caravane passe.

Ce roman policier un peu bavard, aux dialogues, parfois réduits à un échange de courtes interjections comme au ping-pong, pose la question cruciale de notre temps : que voulons-nous devenir ? Il se lit bien et n’échappe pas à un double coup de théâtre final fort satisfaisant. Clin d’œil, l’auteur est lui-même sur Facebook.

Alexandre Arditti, L’assassinat de Mark Zuckerberg, 2024, éditions La route de la soie, 146 pages, €17,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Elisabeth George, Une chose à cacher

Une bonne enquête (la 21ème) du trio bien connu Thomas Lynley, commissaire par intérim, et son équipe, les sergents Barbara Havers (grosse, laide et mal fagotée) et Winston Nkata (l’ex-racaille devenu flic et bien sapé). La série ronronne, sans aspérité, laissant les personnages figés dans leur caricature. Le lecteur n’apprend en effet rien de nouveau sur aucun d’entre eux – ils restent plus vrais que nature. Trop même, ce qui agace un brin, comme s’ils restaient dans l’ornière, gardant le même âge et la même vie.

Mais l’enquête est intéressante, plongeant à pieds joints dans le choc des cultures et le politiquement correct. Nous sommes à Londres, ce qui permet à l’autrice américaine d’oser son propos en l’attribuant à l’exotisme européen. Manière de ne pas froisser les susceptibilités exacerbées par les réseaux des Noirs woke en butte aux lois et aux mœurs des Blancs.

Car il s’agit d’un meurtre d’une policière noire, Téo Bontempi, d’origine nigériane, dont l’autopsie révèle qu’elle a été excisée dans son enfance. Une brigade spéciale de la Met, la police de Londres, a été créée pour endiguer ce fléau contraire aux Droits de l’Homme et à l’égalité entre homme et femme. Mais les coutumes ancestrales ont la vie dure et l’immigration s’en moque. Ce n’est qu’à la troisième génération, peut-être, que la raison et le droit peuvent l’emporter. L’intégration dans la communauté nationale plutôt que dans la communauté tribale est à ce prix.

Il est curieux d’ailleurs que les Offensés, qui s’effarouchent de tout manque de « respect » pour les coutumes particulières ou ethniques, combattent quand même le machisme africain et les mutilations génitales des femmes. Ne devraient-ils pas, dans leur théorie, respecter ces façons de vivre non-blanches ? Pourquoi les Blancs leur feraient-ils la morale ? Elisabeth George n’évoque pas ce dilemme, se contentant d’affirmer la loi et l’égalité au-dessus de tout.

Ce qui ne va pas de soi, évidemment. Abeo, le macho nigérien aux deux familles pour avoir le plus d’enfants possibles, signe selon lui de sa virilité, soumet sa femme Monifa et la roue de coups si elle n’obéit pas. Celle-ci, malgré les aides sociales qui lui permettraient d’échapper à son sort, est contente comme ça, pour ne pas mécontenter ni la coutume ni sa mère. Ce qui fait bouillir le fils, Tani, tout frais émoulu de ses 18 ans, qui veut protéger mère et petite sœur. Car son père veut « préparer » Simi, 8 ans, pour la marier à un Nigérian au pays, ce qui veut dire excision du clitoris au rasoir dans une arrière-cuisine, jambes et bras tenus par des tantes, et infibulation du vagin sans anesthésie pour l’empêcher d’avoir des relations avant mariage.

Tani va se battre avec son père, obliger sa mère, entraîner sa copine noire comme lui mais « évoluée », s’adjoindre la force de la police, pour sauver Simi de la mutilation afin de lui permettre d’avoir du plaisir plus tard. Quant à la victime, Teo, le traumatisme de la mutilation a été à l’origine de sa vocation. Elle a fait la connaissance d’une association de lutte qui aide les femmes nigériane et somaliennes à éviter l’excision. Est-ce pour cela qu’elle a été tuée ?

L’enquête est longue et tordue, bien menée, longuement pour faire durer le plaisir (notamment en voyage), les coupables potentiels multiples, et la fin n’est pas devinée.

Le dernier roman policier de l’Américaine, tout à fait dans l’air du temps.

Elisabeth George, Une chose à cacher (Something to Hide), 2022, Pocket 2023, 863 pages, €10,80,e-book Kindle €13,99 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers d’Elisabeth George déjà chroniqués sur ce blog

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Raymond Aron, L’opium des intellectuels

Raymond Aron est mort le 17 octobre 1983 à 78 ans – il y a 40 ans. Il était l’intellectuel critique par excellence, le chantre de la liberté qui pensait par lui-même. Loin des modes il ne s’était engagé que contre la nazisme et contre le soviétisme, deux tyrannies du siècle. Il était pour la modération, le milieu juste plutôt que le juste milieu. Il était pour la raison contre la foi – toute foi, même laïque (et il y en a !).

Son souvenir mérite d’être rappelé en notre période de retour progressif (et progressiste) à l’obscurantisme : la Contre-révolution à droite, l’islamisme woke à gauche.

Il a été condisciple à Normale Sup de Pierre-Henri Simon, Paul Nizan et Jean-Paul Sartre : un chrétien social et deux marxistes, dont un devenu mao à la fin de sa vie. Il sera prof à l’ENA, à Science Po, à Paris 1 et au Collège de France. Il admire Karl Marx qu’il a beaucoup étudié, mais pas pour le dogmatisme apparent de ses œuvres philosophiques, plus pour son sens de l’analyse politique en tant que « spectateur engagé » (notamment sur la Commune de Paris).

Pour Karl Marx, la religion est l’opium du peuple. Pour Raymond Aron, en 1955, elle est « l’opium des intellectuels » – surtout français. Bien avant le cannabis et l’héroïne des babas cool façon 1968, l’islamisme et les intégrismes catholiques et juifs des années 2000, le droit-de-l’hommisme des bobos années 1990, ou encore le woke des années 2020, le marxisme était la drogue à la mode. D’autant plus forte qu’on n’y comprenait rien et que le prophète barbu lui-même a tâtonné dans ses écrits, les deux-tiers étant à l’état de brouillons, publiés après sa mort. Plus c’est abscons, plus les intellos se délectent : ils peuvent enfin dire n’importe quoi sans risque d’être contredits ! Voyez le Coran…

L’opium qui monte après le marxisme remis sous naphtaline serait-il l’écologisme woke, mâtiné d’Apocalypse climatique, d’austérité chrétienne monastique et de culpabilité mâle, virile et blanche.

Il reste que tous les gens de ma génération sont tombés dans le marxisme étant petit, absorbé à l’école, dans les cours, à la récré, durant les manifs, à la télé, chez les « écrivaintellos » évidemment « de gauche », toujours à la pointe de l’extrême-mode. Certains (dont je suis) en ont été immunisés à jamais. D’autres non. La gauche radicale balance entre syndicalisme de coups et dictature du prolétariat, des « socialistes » plus pervers inhibent tout changement, freinant des quatre fers dès qu’il s’agit de réformer mais condamnés à l’impuissance publique et rêvant de finir leur vie en couchant avec la Révolution. Comme dit Aron, « dire non à tout, c’est finalement tout accepter » (III,7). Car le mouvement se fait de toutes façons, et sans vous pour l’influencer. Mélenchon le radical-islamiste, par tactique électorale et croyant des damnés de la terre, fait le lit douillet du Rassemblement national et de sa frange encore plus radicalement à droite, les zemmouriens. L’anarchie de provoc’ trotskiste appelle les les milices et les sections d’assaut de la réaction à tant de chienlit malfaisante et menteuse. A populisme, populisme et demi ! Aron se serait délecté de démonter l’idéologie de « gôch » contemporaine, comme il a démonté le marxisme des intellectuels – qui avait peu à voir avec le marxisme appliqué dans les pays non libres.

Ce qu’Aron révèle est que marxisme n’est pas la pensée de Marx. Il en est la caricature amplifiée et déformée, tordue par le bismarckisme botté des partis allemands, puis par l’activisme pragmatique de Lénine, enfin par le Parti-Église de Staline qui reste le modèle inégalé du parti Communiste français.

Mais il faut mesurer combien cette pensée « totale » a pu séduire les petits intellos, comme toute pensée totale continue à le faire depuis le catholicisme romain. Elle a pour ambition de brasser toute la société, le social expliqué par l’économique, lui-même induisant la politique, donc une philosophie. Le marxisme hier était analogue à l’islamisme, cette déclinaison totalitaire de la religion musulmane – ce pourquoi de nombreux intellos « de gauche » ont encensé l’ayatollah Khomeini et sont depuis compagnons de route soumis des terroristes barbus – même ceux qui commettent des pogroms. Aron : « Marx réalisa la synthèse géniale de la métaphysique hégélienne de l’histoire, de l’interprétation jacobine de la révolution, de la théorie pessimiste de l’économie de marché développée par les auteurs anglais » (Conclusion). Si l’on renverse tous les termes… on obtient l’écologisme : pratique historique concrète coupable et respectueuse de tout, décentralisation universelle, marché local exacerbé.

Le marxisme a offert aux laïcs déchristianisés une alternative au christianisme : appliquer les Évangiles dans ce monde en reprenant l’eschatologie biblique sans l’église. Aron : « La société sans classes qui comportera progrès social sans révolution politique ressemble au royaume de mille ans, rêvé par les millénaristes. Le malheur du prolétariat prouve la vocation et le parti communiste devient l’église à laquelle s’opposent les bourgeois-païens qui se refusent à entendre la bonne nouvelle, et les socialistes-juifs qui n’ont pas reconnu la Révolution dont ils avaient eux-mêmes, pendant tant d’années, annoncé l’approche » (III,9). Rares sont les intellos qui ont lu l’œuvre de Marx, largement inachevée, touffue, contradictoire, publiée par fragments jusque dans les années 1920. La pensée de Marx est complexe, sans cesse en mouvement. Figer « le » marxisme est un contresens. Marx est en premier lieu critique, ce qui ne donne jamais de fin à ses analyses. En faire le gourou d’une nouvelle religion du XXe siècle nie ce qu’il a été et voulu.

Mais le besoin de croire est aussi fort chez les intellos que chez les simples. Il suffit que le Dogme soit cohérent en apparence, décortiqué en petits comités d’initiés, réaffirmé en congrès unanimiste et utilisable pour manipuler les foules – et voilà que l’intello se sent reconnu, grand prêtre du Savoir, médiateur de l’Universel. Dès lors, l’analyse économique dérape dans le Complot, les techniques d’efficacité capitalistiques deviennent le Grrrand Kâââpitâââl arrogant et dominateur, consommateur égoïste des richesses de la planète. Un Kapital d’ailleurs américain, plutôt financier, et surtout juif (« Government Sachs »), porté à l’hédonisme LGBTQA+ (et j’en oublie).

On en arrive à la Trilatérale, ce club d’initiés Maîtres du monde, dont Israël serait le fer de lance pour dominer le pétrole (arabe)… La doxa mélenchonnienne et celle des islamistes intolérants, tout comme celle des poutinistes d’extrême-droite. Toute religion peut délirer en paranoïa via le bouc émissaire. Aron : « On fait des États-Unis l’incarnation de ce que l’on déteste et l’on concentre ensuite, sur cette réalité symbolique, la haine démesurée que chacun accumule au fond de lui-même en une époque de catastrophes » (III,7).

Marx n’est plus lu que comme une Bible sans exégèse, ses phrases parfois sibyllines faisant l’objet de Commentaires comme le Coran. Les intégristes remontent aux seuls écrits de jeunesse qui éclaireraient tout le reste. Sans parler des brouillons Apocryphes et des Écrits intertestamentaires d’Engels ou Lénine. Les gloses sont infinies, au détriment de la pensée critique de Karl Marx lui-même. Raymond Aron : « Les communistes, qui se veulent athées en toute quiétude d’âme, sont animés par une foi : ils ne visent pas seulement à organiser raisonnablement l’exploitation des ressources naturelles et la vie en commun, ils aspirent à la maîtrise sur les forces cosmiques et les sociétés, afin de résoudre le mystère de l’histoire et de détourner de la méditation sur la transcendance une humanité satisfaite d’elle-même » (I,3). L’écologisme, par contagion marxiste, a gardé ces tendances, malgré la poussée des racialisés, féministe et autres réveillés.

Fort heureusement, la gauche ne se confond pas avec le marxisme ; elle peut utiliser la critique de Marx sans sombrer dans le totalitarisme de Lénine et de ses épigones. Raymond Aron définit la gauche par « trois idées (…) : liberté contre l’arbitraire des pouvoirs et pour la sécurité des personnes ; organisation afin de substituer, à l’ordre spontané de la tradition ou à l’anarchie des initiatives individuelles, un ordre rationnel ; égalité contre les privilèges de la naissance et de la richesse » (I,1). Qui ne souscrirait ? Notamment la social-démocratie. Mais la gauche s’est fourvoyée dans la Nupes, cette « alliance » de la carpe et du lapin où celui qui fait les gros yeux emporte tout.

Raymond Aron pointe la dérive : « La gauche organisatrice devient plus ou moins autoritaire, parce que les gouvernements libres agissent lentement et sont freinés par la résistance des intérêts ou des préjugés ; nationale, sinon nationaliste, parce que seul l’état est capable de réaliser son programme, parfois impérialiste, parce que les planificateurs aspirent à disposer d’espaces et de ressources immenses » (I,1). C’est pourquoi « La gauche libérale se dresse contre le socialisme, parce qu’elle ne peut pas ne pas constater le gonflement de l’État et le retour à l’arbitraire, cette fois bureaucratique et anonyme. » (I,1) Marx traduit par l’autoritarisme du XXe siècle rejoint volontiers les autres totalitarismes dans le concret des gens.

Raymond Aron : « On se demande par instants si le mythe de la Révolution ne rejoint pas finalement le culte fasciste de la violence » (I,2). Ce ne sont pas les ex-Mao mettant qui contrediront ce fait d’observation. Quant aux manifs des radicaux écolos…

Inutile d’être choqué, Aron précise plus loin : « L’idolâtre de l’histoire, assuré d’agir en vue du seul avenir qui vaille, ne voit et ne veut voir dans l’autre qu’un ennemi à éliminer, méprisable en tant que tel, incapable de vouloir le bien ou de le reconnaître » (II,6). Qui est croyant, quelle que soit sa religion, est persuadé détenir la seule Vérité. Ceux qui doutent ou qui contestent sont donc des ignorants, des déviants, des malades. On peut les rééduquer, on doit les empêcher de nuire, voir les haïr et les éliminer. Ainsi des Juifs pour le Hamas. L’Inquisition ne fut pas le triste privilège du seul catholicisme espagnol et les excommunications frappent encore au PS, voire chez les écolos quand on ose mettre en doute la doxa du parti…

Ce pavé de 1955 est construit en trois parties : 1/ mythes politiques de la gauche, de la révolution et du prolétariat ; 2/ Idolâtrie de l’histoire et 3/ Aliénation des intellectuels. Il évoque des questions désormais passées, celles d’une époque d’après-guerre portée au fanatisme avec Sartre et Beauvoir après la lutte contre le nazisme.

Mais l’analyse rigoureuse et sensée résiste à toute ringardise. La méthode de Raymond Aron est applicable aujourd’hui, la sociologie des intellos demeure et la critique de la croyance comme opium est éternelle. La preuve : cet essai intellectuel est constamment réédité et les idéologies qui prennent la place du marxisme chez les intellos sans cesse nouvelles !

Raymond Aron, L’opium des intellectuels, 1955, Fayard Pluriel 2010, 352 pages, 10.20€, e-book Kindle €10,99

Raymond Aron, Mémoires, Bouquins 2010, 1088 pages, €31,00

Raymond Aron, Le spectateur engagé, Livre de poche 2005, 480 pages, €9,20

Raymond Aron sur ce blog :

Karl Marx : 1 – le Manifeste

Karl Marx : 2 – le Capital

Karl Marx : 3 – Les objections

Penser la guerre : Clausewitz

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Denis Marquet, Colère

Le thriller d’un prof de philo écolo et thérapeute qui anticipe la fin de l’humanité par la révolte de la terre. L’idée est que l’homme biblique, fils de Dieu et érigé « maître et possesseur de la nature », est une diablerie. Condamner la chair, opposer la matière et l’esprit, est une ânerie. Tout au contraire, la terre est désir, depuis les atomes jusqu’aux organismes évolués. S’opposer au désir, vouloir tout contrôler, est une maladie mortelle.

Dans ce livre trop long, qui revient souvent à la ligne et ne sait pas finir, toute une première partie est consacrée aux catastrophes successives qui secouent la planète. Ce sont les animaux de compagnie, et notamment les chiens, qui se mettent brusquement à attaquer leurs maîtres. Ce sont des courants de fond, puis des tsunamis géants, qui emportent les nageurs frimeurs et les filles prêtes à baiser qui les provoquent sur les plages. Ce sont des virus mutant extrêmement dangereux qui naissent de divers foyers, en premier aux États-Unis, et contre lesquels aucune parade n’existe, seulement la cautérisation par le feu et la quarantaine par les armes.

En 2001, c’était assez bien vu sur les années Covid. « On ne se touche plus, on ne se parle plus. Le corps de l’autre, parce qu’il est en vie, est une menace. Ceux qui le peuvent fuient les grandes villes ; les autres y vivent terrés, évitant les contacts. Les grandes entreprises autorisent les cols blancs à travailler depuis leur domicile » p.193 Le SRAS cov-2 nous l’a prouvé. Mais il n’est, à côté, qu’un virus « normal » qui mute certes rapidement, mais pas suffisamment pour qu’un vaccin ne puisse être trouvé.

Les autorités américaines, évidemment paranoïaques et évidemment portées aux actions militaires, mandatent l’armée pour embaucher les « meilleurs » scientifiques de leur discipline afin de comprendre ce qui se passe. Avec les données binaires de la science occidentale, évidemment personne ne comprend rien. Sauf une anthropologue, Mary, en cours de mission en Amazonie où elle rencontre son maître en ethnologie Diego qui lui fait rencontrer à son tour un vieux chamane. Lors d’une initiation, sa vraie nature se révèle, on dirait aujourd’hui qu’elle « s’éveille ».

C’est là tout le woke qui n’existait pas encore : la femme sait mieux que l’homme car elle ne veut pas dominer, l’intuition est préférée à la raison, le savoir des minorités est valorisé. L’auteur oppose, de façon un peu systématique et facile à mon avis, l’Occident au reste du monde, la modernité prométhéenne aux sociétés froides, comme aurait dit Lévi-Strauss. Pour lui, comme pour les écologistes, la terre est un organisme total et vivant. Vouloir s’en séparer pour en contrôler une partie, c’est entraîner la révolte de tout le reste – cette relation de cause à effet est plus un mysticisme téléologique qu’une observation factuelle. Le thriller met en scène Mary la femme anthropologue qui se laisse être et le vieux général macho Merritt qui veut tout commander.

Les élites des États-Unis se réfugient dans les divers bunkers sous la Maison-Blanche afin de créer une bulle de survie pour un millier de personnes sévèrement sélectionnées et d’éviter toute contamination. Mais ce fantasme de pureté et de contrôle total ne peut se réaliser car les humains ne sont pas qu’esprit, ils sont faits de chair, et la chair est reliée à la terre. Il faut donc l’accepter pour se sortir de la grande catastrophe à éradiquer la quasi-totalité de la population du globe. La puissance n’est que l’envers de la peur, tous les faux héros, les « enflures » vilipendées par Nietzsche, le savent confusément. La véritable puissance est harmonie, qui profite des forces pour se couler entre elles comme de l’eau – le principe du judo.

Malgré sa lenteur, le final met en scène ceux qui veulent aller jusqu’au bout dans le projet Merritt et ceux qui veulent se réconcilier avec la planète, ce qui est évidemment le cas de Mary. Son compagnon Greg est entre les deux, scientifique tiraillé par le contrôle et homme attiré par l’amour. Merritt, à l’inverse, finira par s’autodétruire parce qu’il refuse le monde, le désir, la vie : « On était en train de nous fabriquer un monde de gonzesses. Un monde de pédés. Un monde où l’opinion d’une femme était écoutée avec une espèce de dévotion, un monde où les hommes devaient penser comme des femmes, ressentir comme des femmes, agir comme des femmes, pour avoir une petite chance d’être excusés de ne pas en être une ! » p.514. Le général Merritt en précurseur du foutraque Trump comme du froid serpent Poutine des décennies suivantes, il fallait y penser.

Tout finira comme cela doit se finir, par la naissance d’un enfant tel un nouveau Christ Sauveur. L’auteur ne fait que peu de références à la Bible mais le message biblique est tout entier contenu dans son histoire. C’est bien la Bible qui fait de l’homme le maître et possesseur de la nature, mission confiée par Dieu lui-même (ce macho dominateur sourd aux femmes et aux minorités qui ne lui font pas allégeance). Et c’est bien la Bible qui se trompe en récusant la chair comme l’harmonie avec la nature. La femme aurait fauté en chassant l’humain du paradis terrestre ; et c’est la femme qui fait la rédemption dans ce thriller post apocalyptique.

Le livre a vingt ans mais résume assez bien tout ce qui peut survenir et tout ce qui peut se penser d’ignorance et de faux savoir qui croit maîtriser la matière et expliquer les choses alors que tant reste à découvrir – humblement. Trop moraliste pour être honnête, trop dilué pour captiver jusqu’au bout, c’est un thriller intéressant qui prédit un avenir possible, mais surtout fantasmé. Un témoin de génération.

Denis Marquet, Colère, 2001 Livre de poche 2003, 605 pages, occasion €1.62 e-book Kindle €14.99

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Ne vous laissez pas aveugler par la coutume, dit Montaigne

Le chapitre XLIX des Essais, livre 1, revient une fois de plus sur la relativité des choses. En l’espèce « les coutumes ». « C’est un commun vice, non du vulgaire seulement, mais quasi de tous hommes, d’avoir leur visée et leur arrêt sur le train auquel ils sont nés », observe Montaigne. L’autorité de l’usage aveugle car imiter ses semblables est irrésistible pour se sentir exister. De même, critiquer les autres et leurs coutumes « barbares » permet de s’assembler.

Ainsi j’ai entendu des voyageurs, du temps où les gens partaient (par mode), de retour des Indes, d’un certain âge et d’un certain milieu pas très ouvert, critiquer entre eux les repas, les hôtels, les transports, les guides… Ainsi ai-je entendu aussi tout récemment, du temps où les gens votaient pour un nouveau président (par coutume démocratique), d’un certain âge et d’un milieu plutôt riche et traditionnel, critiquer entre eux (et leurs médias exclusifs) les nourritures exotiques, les gourbis et casbahs, les RER de la peur et les bandes organisées et basanées des cités… « Je me plains de sa particulière légèreté, de se laisser si fort piper et aveugler à l’autorité de l’usage présent », déplore Montaigne. Voyager, c’est se transporter ailleurs et hors de soi ; accueillir moins l’immigration que les enfants et petits-enfants nés français de ces immigrés, serait-ce les vouloir d’une seule tête et d’une seule coutume, comme si la diversité n’existait pas en France ? Mais les régions n’ont-elles pas leur langue, leur chaîne télé et leurs journaux, leur gastronomie, leurs paysages et leurs coutumes ?

D’autant que par ailleurs, ces mêmes qui rappellent à son de trompe l’éternité figée de la Tradition, s’empressent « de changer d’opinion et d’avis tous les mois, s’il plaît à la coutume », notait déjà Montaigne de son temps. Du XVIe au XXIe, le Français de cour n’a pas changé : il est celui qui compte et fait l’Opinion, que ce soit dans les médias parisiens ou sur les réseaux zozios (qui piaillent et criaillent en chœur).

Or nous constatons une « continuelle variation des choses humaines », analyse Montaigne. La lecture des Anciens, l’observation des autres et les voyages permettent d’en avoir « le jugement plus éclairci et plus ferme ». Suit une interminable recension de tout ce que les Romains faisaient que le Français à l’époque de Montaigne ne faisait plus : se laver nu et entièrement, se faire frotter par l’autre sexe dans les bains publics, manger couché sur un lit, se torcher le cul avec une éponge (« il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles », se moque Montaigne de ce vocabulaire cru), pisser dans les demi-cuves disposées dans la rue, enneiger le vin pour qu’il soit froid, placer l’hôte d’honneur au milieu de la table et non pas au haut bout, porter le deuil en blanc, avoir le poil long par devant et tondu à l’arrière de la tête comme les Gaulois (la mode footeuse varie plus souvent de nos jours).

Tout cela est ondoyant et divers, en bref très humain. Pourquoi, dès lors, se dévouer à une coutume au prétexte qu’elle est celle de la mode ? C’est porter un uniforme pour être reconnu. Or ne faut-il pas penser par soi-même, se vêtir selon ses goûts, en bref être avant tout soi-même ? Ce n’est qu’à cette aune que nous serons ouverts aux autres. Qui, au contraire, n’est pas sûr de soi (comme les adolescents et les intellos des réseaux), va se conformer aux autres, à l’opinion commune, à ce qui se fait, se pense et se dit. La tyrannie démocratique peut ainsi se révéler aussi forte que la tyrannie soviétique ou chinoise : le camp, c’est l’exclusion sociale ; le goulag, c’est le woke. « Barre-toi, t’es pas d’ma bande », chantait déjà Renaud, le post-soixantuitard.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Woke, la nouvelle idéologie de la gauche bobo

Taubira ira ? n’ira pas ? Echo ou appel ? « Quitte ta maison et viens » pour prêcher avec moi. Car la gauche anéantie n’a plus rien à dire, sauf aux extrêmes minorités, individualistes en diable, exclues, sexualisées, genrées, racisées, immigrées. Or c’est « le peuple » qui vote dans sa majorité et pas les minorités. Les intellos qui étaient jadis avec le peuple comme des poissons dans l’eau se sont retirés dans leurs mares plus chaudes de l’entre-soi – et le peuple a repris ses idées.

Que fait aujourd’hui la gauche pour « le peuple » ? Elle a montré avec Mitterrand (et Hollande) qu’elle était nulle en économie ; elle a épuisé le social sous Jospin en exacerbant le « toujours plus » doublé du « et moi, et moi ! » ; elle a arpenté le minoritaire avec le mariage gay, le mitou néo-féministe qui inverse la domination (pour instaurer une nouvelle domination d’opinion), sans compter l’écologie punitive et la distribution à guichets ouverts des « droits » sans devoirs. Le peuple – la majorité démocratique – se dit qu’il n’est guère qu’un cochon de payant et se trouve même accusé de beaufitude, , de réaction, de racisme (mais qui évoque le mot, sinon les racisés ?). Le peuple en a marre. Il se méfie désormais des « élites » car 24 ans de gauche au gouvernement sur 43 ans depuis Giscard l’ont déçu et son espoir s’est envolé pour les fameux lendemains qui chantent. Toujours demain, comme chez Poutine.

La droite, qui n’a régné que 19 ans, fait désormais l’envie de ses yeux de Chimène. Elle parle des « vrais » problèmes populaires : ceux de l’immigration trop rapide et mal assimilée, des familles sans père (ni Nom du père pour les psys), du nouveau privilège féminin, des fins de mois difficiles. Car le multiculturalisme de fait laisse place à un multiculturalisme de normes. Le regretté Laurent Bouvet avait mis en évidence cette identity politics venue de la gauche américaine. Les groupes sociaux ne sont plus considérés en tant que classes en lutte pour leur part du gâteau économique mais par leur « identité » religieuse, leurs caractéristiques ethniques, leur orientation sexuelle ou leur genre, toutes ces micro-différences qui éparpillent le sentiment de classe – et qui préservent les nantis de toute revendication économique ! Le woke est un raffinement du « capitalisme ».

Le pire est cette nouvelle idéologie des bobos en manque d’idéal révolutionnaire. Le peuple a déçu, changeons le peuple ! Le parti socialiste, il y a quinze ans vivier de la modernité pour les petit-bourgeois fraîchement diplômés et devenus financièrement privilégiés, est devenu le nid de cette idéologie nouvelle, secrétée par cette nouvelle base sociale. Cette gauche « morale » compense ses privilèges de nouvelle classe économique par un affichage idéaliste accru. Le « woke », cet éveil venu des Etats-Unis, se veut d’un infini respect (affiché car dans les faits concrets, c’est autre chose) pour tous les déviants, qu’ils soient de sexe ou de « race » – un mot que l’on croyait banni des dictionnaires sérieux, les scientifiques ayant démontré que « les races » n’existaient pas. Mais balivernes !

L’idéologie a besoin de croire, comme toute religion, et « le racisme » est ce nouveau diable surgi des âmes coupables. Cette discrimination raciste ne touche curieusement que les Noirs aux Etats-Unis et les Maghrébins en France, pas les Indiens ni les Chinois, considérés comme « dominants » parce qu’ils défient le pays le plus puissant de la planète… Soutenir les minorités extrêmement minoritaires permet de se croire une supériorité morale qui ne coûte guère, puisque que ces minoritaires ne sont pas assez nombreux ni assez doués pour venir défier les nouvelles positions économiques et sociales des bobos fraîchement installés.

L’argent, beurk ! mais « les valeurs », super ! Les valeurs, personne ne sait trop ce que c’est puisque chacun a les siennes dans l’individualisme systémique ambiant. Mais ça fait bien en société : « J’ai des valeurs, moi, Monsieur ! » Ça impressionne. Surtout lorsqu’il s’agit de titiller le vieux fond de culpabilité chrétienne qui subsiste en tout Français (ou Américain) de tous sexes, même laïque, même incroyant, même revenu de l’Église, de ses histoires de quéquette et de dogmes antédiluviens. « La charité, Monseigneur ! la charité »… Quoi de mieux que l’Exclu majeur de notre temps : l’immigré en femme, noire, lesbienne, violée, battue ou tuée « par la police », malade, sans abri et sans le sou ? Il serait « raciste » selon le woke bobo de croire que la race n’existe pas ! Il serait inconvenant de croire qu’un homme n’est pas une femme, et réciproquement ! Renversons les valeurs.

Mais le peuple n’est pas d’accord. Depuis la Révolution, oui pour accorder tout aux exclus (immigrés ou sexuellement différents) en tant qu’individus, mais rien en tant que communauté – au prétexte que « ça se voit sur leur figure », que « c’est la guerre chez eux », que « la situation économique est effarante », ou encore « que la dictature y est féroce ». Si l’Europe devait accueillir toutes les populations qui réunissent ces critères, le territoire serait trop petit pour survivre. D’ailleurs les Etats-Unis woke de Biden ne respecte les déviants sexuels qu’en les parquant à distance par les principes (mais pas de ça chez moi) et n’accueillent pas plus les immigrants, la frontière est bien gardée, surtout au sud… En effet, question anti-woke : pourquoi tant de gosses (y compris par PMA encouragée), si la situation est si mauvaise ? Pourquoi enfanter ou accueillir de nouveaux exclus qui seront malheureux (racisés, battus par la police, violés, etc.) ? Pourquoi encourager ces familles trop nombreuses du tiers-monde à tenter de venir s’installer dans les Etats-providence d’Occident ?

C’est donc une lutte des classes qui nait entre « le peuple » et la gauche morale plus que contre les patrons (certains financent même Zemmour) . Celle-ci n’a rien à dire sur la montée des inégalités – qui lui profite amplement ; rien à proposer pour y remédier, sauf une rituelle invocation à « faire payer » les (très) riches : ceux qui le sont plus qu’eux. Ce pourquoi François Hollande a été éliminé, il avait évoqué 3500 € par mois comme seuil où l’on était considéré comme « riche » : vous vous rendez compte de l’effet dans un foyer bobo moyen ? Un président ne devrait pas dire ça, mais Hollande ne peut jamais s’en empêcher.

Les bobos, ces bons bourgeois issus du peuple d’hier, sont électeurs des grandes villes et montrent comme préoccupation majeure le climat ; ils se foutent du « social », ils ne sont pas concernés. D’où les gilets jaunes, frappés de plein fouet dans les provinces et les périphéries par les mesures antibagnoles, le contrôle technique renforcé, l’écotaxe sur le carburant, surtout diesel, et même le 80 à l’heure. Que les salaires stagnent et que la formation soit nulle pour la classe ouvrière ou la classe moyenne, ils s’en battent, les bobos. Que « le peuple » ait l’impression de régresser, que l’ascenseur social soit non seulement en panne mais en chute, n’est pas leur problème. L’immigration est morale, « il faut les aider », car les immigrés seront de toutes façons loin de venir piétiner leurs platebandes riches et diplômées – au contraire, les bobos pourront trouver à très bas prix de bonnes nounous pour leurs (rares) niards et des jardiniers pour leurs (superbes mais épuisants) jardins, sans parler des peintres, plombiers, éboueurs, sous-aides soignants, ramasseurs de fruits, livreurs de (la sempiternelle) pizza, videurs de poubelles, etc. Ouvrez les frontières ! accordez encore plus de droits aux minorités ! C’est bon pour la fluidité du commerce, coco ! C’est bon pour les jouissances du bobo.

La déconstruction, qui a conduit au woke, doit s’appliquer également au woke : rechercher ses bases sociales, les intérêts de classe que ses adeptes peuvent avoir, l’utilité de cette nouvelle idéologie par rapport aux précédentes pour mener une guérilla de prestige pour capter les postes – et garder le pouvoir. Déconstruisez les déconstructeurs, c’est de bonne guerre !

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Le tour du monde en 80 jours, série

Bientôt diffusée sur France 2, la série revisite le roman de Jules Verne chroniqué sur ce blog. Mais l’auteur classique français est cuisiné à la sauce internationale contemporaine, c’est-à-dire américaine. Il faut évidemment qu’il y ait un Noir, une femme et une lady féministe pour rabaisser le mâle blanc de 50 ans hétérosexuel de l’Angleterre impériale. Le politiquement correct du woke a encore frappé : l’ultra conventionnel de la mode est-il vraiment un « éveil » ?

Phileas Fogg (David Tennant) est présenté comme un bourgeois frileux et couard qu’un amour malheureux a précipité dans la déprime. Il a aimé jadis une belle Elisa, grande voyageuse avec qui il devait faire le tour d’Europe, sinon du monde, mais qu’il a « lâchement » abandonné lorsqu’il lorsqu’elle a voulu partir. Une carte postale lui parvient parfois des différents endroits et la dernière, représentant une horloge qui figure la vie qui passe, celle de Big Ben, n’est pas affranchie et orné de ce seul mot : « Coward » (lâche). Ce serait ce défi féminin qui porterait Phileas à ce pari osé dans son club de gentlemen ? Nous sommes bien loin de l’optimisme technique de Jules Verne et du défi industriel des transports qu’il posait.

Passepartout, le valet français, est joué par un Noir assez doué (Ibrahim Koma) mais qui fuit toutes les difficultés dans la vie, à commencer par la mort de son père, fusillé comme révolutionnaire lors de la Commune de Paris en 1871. Nous sommes loin de l’aide débrouillard présenté dans Jules Verne.

Fix, le détective chargé de suivre et de ralentir Phileas Fogg dans le roman du XIXe siècle, est transformé aujourd’hui en une femme journaliste (Leonie Benesch), fille d’un père directeur de grand quotidien dont on apercevra qu’il a bâti sa carrière sur la fausseté et le mensonge. Elle sera l’âme du voyage, redonnant le moral à Phileas qui déprime et forçant sans cesse Passepartout à agir.

L’aventure est bien là, en ballon, en train, en bateau, en chameau, les obstacles et les difficultés sont sans nombre, et chaque épisode est consacré à l’une d’elle. Ainsi le premier met en scène l’anniversaire de la Commune et la tentative d’assassinat du président de la République française Thiers. Le second voit Phileas Fogg faire un calcul d’ingénieur pour qu’une partie du train vers Brindisi puisse passer sur un pont fragilisé par un tremblement de terre afin de sauver la jambe d’un jeune garçon fan de Jules Verne. Le troisième verra la traversée d’un désert du Yémen, sauvé in extremis par la lady pute que le journal de Mademoiselle Fix a vilipendée sous la plume de son directeur de père. Le quatrième, en Inde, permettra à Phileas de sauver un jeune cipaye accusé de désertion à cause de l’amour qu’il porte à sa promise. Et ainsi de suite.

Nous avons donc une série regardable en famille, tout à fait dans la morale du temps tout en conventions et fadeur, où l’aventure est un divertissement et surtout plus un risque. Mais on peut y prendre son plaisir.

Série Le tour du monde en 80 jours, Steve Barron, 2021, saison 1 en 8 épisodes avec David Tennant, Ibrahim Koma, Leonie Benesch, présentée en octobre au Festival international des séries. Une saison 2 est en préparation.

Dès le 20 décembre 2021 sur France 2, le 21 décembre sur ZDF, le 26 décembre sur BBC 2

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George Orwell, Mille neuf cent quatre-vingt-quatre 2

Tous les procédés totalitaires de l’oligarchie collectiviste sont présentés d’emblée dans le premier chapitre :

Le Grand Frère vous surveille dans la rue, chez vous par télécran, n’importe où – tout comme le font aujourd’hui les religions du Livre, surtout l’islamique mais pas seulement, qui vous enjoignent quoi penser, comment vous habiller et comment baiser, servies par les nervis de la « bonne » société, des médias ou des bas d’immeuble ; comme le font les gouvernements sous prétexte de lutte « contre » le terrorisme, les enlèvements d’enfants, les délits sexuels, la fraude fiscale… (caméras de surveillance, reconnaissance faciale, observation des réseaux sociaux par le fisc, fichier des données personnelles et biométriques des Français pour la gestion des cartes nationales d’identité et des passeports ; mais aussi les GAFAM du Big Business (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et les BATX du parti totalitaire chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) qui traquent vos habitudes de recherche et vous vendent de la consommation ou du gaveprolo comme le dit Orwell, soit ces séries télé en série composées par des machines sur des scénarios standards ou ces « divertissements » qui humilient et torturent dans une parodie de télé-réalité. « Dangerdélit désigne la faculté de s’arrêter net, comme par instinct, au seuil d’une pensée dangereuse. Il inclut la capacité de ne pas saisir les analogies, de ne pas repérer les erreurs de logique, de ne pas comprendre correctement les arguments les plus élémentaires s’ils sont hostiles au Socang, et d’éprouver ennui ou dégoût pour tout enchaînement d’idées susceptible de conduire à une hérésie. En somme, dangerdélit signifie ‘stupidité protectrice’ » p.1158. Car les totalitaires ne prennent pas le pouvoir dans l’intention d’y renoncer un jour – ce pourquoi Trump est totalitaire dans sa volonté de mensonge sur le résultat des élections qui l’ont mis dehors. « Le pouvoir n’est pas un moyen, c’est une fin. On n’établit pas une dictature pour sauver une révolution ; on fait la révolution pour établir une dictature », avoue O’Brien, tout fier, à Winston p.1205. Avis aux citoyens : ceux qui prônent « la révolution » prônent avant tout leur envie baveuse du pouvoir, pas votre bien ! Car « le pouvoir réside dans la capacité d’infliger souffrance et humiliation. Dans la capacité à déchirer l’esprit humain en petits morceaux, puis de les recoller selon des formes que l’on a choisies. Commencez-vous enfin à voir quel monde nous créons ? C’est le contraire exact des stupides utopies hédonistes imaginées par les réformateurs d’antan » p.1208. Vous êtes prévenus.

La pensée correcte est de dire et de croire que « guerre est paix, liberté est esclavage, ignorance est puissance » p.968 – tout comme aujourd’hui un Trump dit et croit que vérité est mensonge ou qu’un Xi décrète après Staline que les camps de travail sont de rééducation (Orwell dit Joycamps) et que démocratie est impérialisme. Car « la réalité existe dans l’esprit humain, nulle part ailleurs. Pas dans l’esprit d’un individu, qui peut se tromper, et en tout cas est voué à périr ; mais dans l’esprit du Parti, qui est collectif et immortel. Ce que le Parti tient pour vrai, voilà qui est la vérité » p.1192. Toutes les églises n’ont pas dit autre chose. Réécrire l’histoire pour imposer son présent est la préoccupation constante de la Chine depuis quelques années : sur le statut de Hongkong, sur le rôle de Gengis Khan, sur les îles de la mer intérieure. « Qui contrôle le passé contrôle le futur, disait le slogan du Parti ; qui contrôle le présent contrôle le passé » p.995. Staline effaçait jadis des photos les membres du Parti qui avaient été exclus, la génération Woke « éveillée » veut aujourd’hui déboulonner les statues de Colbert, Napoléon, Christophe Colomb et nier tout contexte d’époque et toute réalisation positive au nom d’une Faute morale imprescriptible. La génération « offensée » veut imposer son vocabulaire et interdire (« pulvériser » dit Orwell) tous ceux qui ne sont pas de leur bande : c’est la Cancel Culture – le degré zéro de « la » culture… Ce qu’Orwell appelle la malpense ou le délit de pensée qui s’oppose au bienpense qui est un « politiquement correct » avancé.

Les Deux minutes de haine obligent tous les citoyens à hurler quotidiennement comme des loups de la meute, de concert contre l’Ennemi du peuple, Emmanuel Goldstein, mixte de Leon Trotski et de Juif Süss, bouc émissaire commode de tout ce qui ne vas pas – tout comme aujourd’hui les « manifs » pour tout et rien au lieu d’exprimer son vote (« contre » le chômage, le Covid, le gouvernement, la pluie, les Israéliens…), les foules hystériques au Capitole, les gilets jaunes qui tournent en rond  ne veulent surtout pas être représentés et ne savent pas exprimer ce qu’ils veulent tout en laissant casser les Blacks en bloc, ou encore les emballements des réseaux « sociaux » qui harcèlent, lynchent et insultent à tout va.

L’histoire racontée dans le roman a au fond peu d’intérêt tant les personnages sont pâles, sauf le personnage principal Winston Smith (autrement dit Lambda), et l’anticipation technique faible (le télécran, le parloscript). George Orwell écrit pour la génération d’après, situant l’action en 1984, 35 ans après la parution de son livre ; il écrit pour le fils qu’il vient d’adopter pour le mettre en garde, ainsi que la gauche anglaise, contre les conséquences intellectuelles du totalitarisme. L’auteur avait en effet noté que les intellos de gauche (« forcément de gauche » aurait dit la Duras) avaient une propension à la lâcheté collective devant la force comme à la paresse d’esprit de penser par eux-mêmes. « Nos » intellos de gauche n’étaient pas en reste, tel Sartre « compagnon de route » du stalinisme puis du castrisme avec Beauvoir avant de virer gauchiste de la Cause du peuple, puis prosémite et sénile. Si le totalitarisme n’est pas combattu sans cesse, il peut triompher n’importe où. Il ne faut pas croire que la démocratie, la liberté, l’égalité et la fraternité sont des acquis intangibles : les mots peuvent être retournés sans problème pour « faire croire » que l’on est en démocratie quand on vote à 99% pour le Grand frère, que la liberté est d’obéir au collectif qui vous rassure et protège, que l’égalité ne peut être mieux servie que si une caste étroite l’impose à tous sans distinction – et que la fraternité est de brailler en bande les slogans et la foi.

George Orwell, 1984, 1949, Folio 2020, 400 pages, €8.60 e-book Kindle €8.49

George Orwell, Œuvres, édition de Philippe Jaworski, Gallimard Pléiade 2020, 1599 pages, €72.00

Le film 1984 chroniqué sur ce blog

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Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable

Seize nouvelles contre le monde tel qu’il va, brossées parfois avec, d’autres fois en pastiche du pesant.

La première nouvelle donne le ton et le titre du recueil. Le narrateur se bat avec son portable – un ordinateur – qui fait au fond ce qu’il veut : se recycle tout seul en mises à jour, réclame à manger (de l’énergie), se met en sommeil quand il en a besoin, use subrepticement de « l’infrarouge » pour se recharger (jamais entendu parler !), fait évader sur le cloud tous les fichiers en cas de panne imminente… Il s’agit d’informatique à l’ancienne car le mien, de portable, ne fait pas tout ça si je ne l’ai pas formaté à le faire : mon Wifi est déconnectable, Firefox ne piste pas les recherches si on le paramètre, le moteur Qwant ne recueille aucune information, le cloud n’est absolument pas accessible malgré soi, et ainsi de suite. Mais le message est clair, les machines ont leur volonté obstinée et l’humain doit rester vigilant… sous peine de se transformer en cyborg (dans une autre nouvelle, ce que certains prendront pour une bonne nouvelle – moi pas).

Quant aux modes et lubies du siècle commençant, la course à pied, l’énergie « verte » des éoliennes, l’agriculture réglementée à Bruxelles tout comme la prostitution, les lobbies à la manœuvre (même pour le sexe !), la « domination » subtile des cercles raisonnables du nord européen, le besoin intello de « s’exprimer » par la littérature, le ressentiment victimaire des racisés du « woke » (j’y entends une inversion du chaudron où l’on faisait cuire les missionnaires dans certaines tribus – wok/woke) – ce sont bien des inepties de la comédie humaine. Des girouettes du temps, qui tourneront quand le vent tournera où quand les gens intelligents cesseront de leur prêter une quelconque attention. De quoi en attendant se réfugier dans la solitude sociale et le virtuel absolu, tels ces « hikikomoris » japonais, ou de prendre pour écrire des pseudonymes ou des hétéronymes. La tentation du désert… ou devenir ghostwriter – auteur fantôme, personnage créé, image de soi à distance, écrivant qui n’écrit pas vain.

Les racisés investissent les campus américains de leur vertu toute neuve, comme si le monde était né avec eux. Ils font resurgir le racisme, qui s’était éloigné durant des décennies avec « la croissance ». Car, de deux choses l’une :

  • ou le racisme est un fléau de l’humanité qui engendre la haine des autres et de soi, et il doit être combattu par l’éducation, la promotion sociale, la tolérance civique et la bienveillance envers les différences (c’est la voie que j’ai retenue durant ma courte vie) – et pas par l’invective, la honte et le retrait choqué ;
  • ou le racisme n’existe pas et il renait par les négro-américains, et il est alors inutile de s’en sentir coupable. Si le ressentiment de descendant d’esclaves s’intronise au présent, au lieu de chercher à briser les esclavages modernes – réseaux sociaux, smartphone addiction, travail minuté Amazon ou MacDo, règles juridiques absconses, novlangue sans aucun sens – alors il est inutile de polémiquer ni même d’y prêter attention. Chacun chez soi et basta !

Aucune honte à être mâle, blanc, de plus de 50 ans car c’est comme ça – efforcez-vous plutôt (comme les Chinois) d’être fiers de ce que vous réalisez. Mais ne venez pas me chercher noise, vous serez reçu. La nouvelle Equité et inclusion est d’une rare satire à cet égard, bien réjouissante.

Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable, 2021, PhB éditions, 144 pages, €12.00

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