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Arthur Conan Doyle, Son dernier coup d’archet ou Quand tombe le rideau

Avant-dernier recueil de sept nouvelles (huit en livre de poche) sur les aventures de Sherlock Holmes, contées par son ami le docteur John Watson. Presque dix ans pour les écrire – il faut dire qu’il a publié autre chose et que la Première guerre mondiale a éclaté. Son fils Kingsley et son frère cadet Innes n’en reviendront pas vivants.

Le rideau tombe sur la carrière du détective, avec sa retraite dans la dernière nouvelle – où il reprend finalement du service pour servir la patrie et contrer un espion allemand particulièrement doué. Parfois traduit en français par Son dernier coup d’archet, His Last Bow signifie aussi son dernier salut. Mais ce ne sera pas le dernier, un autre recueil de nouvelles paraîtra sous le titre d’Archives en 1927. Comme quoi on ne peut jamais se quitter.

Aucune cohérence, toujours la variété des sujets et des personnages, bien que toute aventure commence habituellement dans le salon confortable du 221b Baker Street – ce qui me rappelle que j’ai habité « moi aussi » (Mitou) un numéro 21 rue des Boulangers, mais à Paris. Les grands esprits se rencontrent toujours.

Dans la première nouvelle, Sherlock s’est retiré dans une ferme du Sussex pour élever des abeilles ; dans la dernière, il « offre » à son espion du Kaiser l’opuscule qu’il a fait paraître sur le sujet – en lieu et place des codes exigés. Mais l’Histoire rattrape le détective. Le début du XXe siècle est moins paisible que la fin du XIXe ; le Premier ministre intervient en personne par deux fois auprès de Holmes, et l’on apprend que son frère Mycroft est une sorte d’éminence grise du pouvoir, au-delà des partis, et qu’il dispose de moyens importants. Les Anglais apparaissent mous, mais il ne faut pas s’y fier, confie Conan Doyle. Il fait parler le secrétaire chef de la Légation allemande au Royaume-Uni le baron von Herling : « C’est leur simplicité de façade qui constitue un piège pour l’étranger. La première impression qu’on éprouve est celle d’une absolue mollesse. Puis on se heurte soudain à quelque chose de très dur et l’on sait alors qu’on a atteint une limite et qu’il faut s’adapter à ce fait. » L’écrivain se fait patriotique.

Holmes continue à se déguiser, feignant même parfois le malade à sa dernière extrémité pour piéger un adversaire coriace. Mais il fatigue, il a des rhumatismes – il est âgé d’une soixantaine d’année sur la fin. Il n’est plus le fringuant jeune homme des débuts, même si sa mécanique intellectuelle n’est pas rouillée. Les criminels, en revanche, prennent du poil de la bête avec l’autoritarisme montant des puissances centrales, Allemagne du Kaiser, Russie du Tsar, Italie des sociétés secrètes, Amérique de l’explosion capitaliste. Mortimer Tregennis, bien qu’indubitablement anglais, n’hésite pas à sacrifier toute sa fratrie par vengeance sur le partage de l’héritage ; Giuseppe Gorgiano, le mafieux napolitain amoureux de la femme d’un compatriote à New York, ne recule devant rien pour la lui voler (et la lui violer).

En bref, de l’action, de la réflexion, des adversaires prêts à tout et un duo de détectives qui se complètent, dans les brumes épaisses de Londres ou les collines fleuries du printemps des Downs. Avec un ton qui manie parfois l’humour… « Quand bien même il s’agirait du diable en personne, jamais un agent de police en service ne devrait remercier Dieu de n’avoir pu lui mettre la main dessus. » Ainsi l’inspecteur Baynes morigène-t-il l’agent Walters dans Wisteria Lodge. La phrase est assez subtile, quand on la relit bien.

Sir Arthur Conan Doyle, Son dernier coup d’archet (His Last Bow : Some Reminiscences of Sherlock Holmes), 1917, Livre de poche 1993, 253 pages, €4,60, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Arthur Conan Doyle, Le retour de Sherlock Holmes

Par peur d’être littérairement « bouffé » par son personnage, l’auteur avait occis son détective privé dans un gouffre des Alpes suisses, entraînant le maléfique Moriarty dans l’abîme. Mais les lecteurs ont été épouvantés de cette perte, et l’éditeur du Strand, le magazine qui avait fait ses choux gras des histoires du détective, a été désespéré. Conan Doyle disait de Holmes qu’il était pour lui comme « un abus de foie gras », un écœurement proche de la nausée…

Le magazine américain Collier’s propose un pont d’or (ou presque) à l’auteur pour concocter huit nouvelles au moins ; le Strand les reprendra. Dix ans après donc, le retour. Sherlock n’est pas mort mais s’est caché ; seul Moriarty a fini dans le gouffre. Watson, devenu veuf, a presque une syncope lorsqu’il voit un vieux racorni se transformer sous ses yeux en vrai Holmes revenu du néant. Fini le déguisement, réintégration dans le personnage pour de nouvelles aventures. Treize, cette fois, souvent de bonne qualité.

Holmes applique sa méthode : observation, logique, toujours partir des faits et ne laisser l’imagination courir qu’ensuite. Il adore « la signification de l’insignifiant », selon le critique Ian Pears, procédé titillant et obsessionnel repris par Fred Vargas et par certaines séries, parfois jusqu’à l’absurde. Sherlock prête toute son attention à ce qui ne se voit pas, ce que les autres laissent de côté, sur lequel ils passent pour courir de suite aux hypothèses. Le détective pense à l’envers des autres, par induction plutôt que par déduction. Il part des faits observés pour en tirer des déductions, pas l’inverse – qui est l’erreur courante.

Ces treize nouvelles montrent divers types de criminels en action. Le né pour tuer, tel le colonel Moran, irrécupérable, véritable bête nuisible hors de l’humain ; l’étranger, tel l’Américain des Bonshommes qui dansaient, toujours mystérieux, donc inquiétant, sorte de fantasme grossi par l’imaginaire dont on doit se méfier ; le professionnel, tel Charles Augustus Milverton, endurci dans le crime de chantage et qui en tire un plaisir malsain ; l’opportuniste, qui tue parce que les circonstances l’exigent, sans intention de le faire, ou au contraire après l’avoir mûrement planifié selon des raisons légitimes, comme dans le Manoir de l’Abbaye.

Le lecteur retrouvera son héros anglais de la fin XIXe avec plaisir, toujours avide d’exercer ses facultés mentales, toujours flanqué de son compère médecin, toujours gentleman. De la belle ouvrage qui change des gadgets à la mode (téléphonie, ADN, caméras de surveillance, traces internet) qui masquent trop souvent l’inanité de la psychologie.

Sir Arthur Conan Doyle, Le retour de Sherlock Holmes (The Return of Sherlock Holmes), 1905, Archipoche 2019, 425 pages, €8,95, e-book Kindle €1,49

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes, tome 2, Gallimard Pléiade 2025, 1152 pages, €62,00

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Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes

Le jeune Arthur, 32 ans, marié à Louisa, exerce à Londres la profession de médecin dans le quartier de Bloomsbury. Il écrit assidûment : des romans historiques, des nouvelles. Celles sur Sherlock, publiées dans les magazines, ont un tel succès qu’elles sont publiées en volume. Et, après huit ans de pratique de la médecine, il décide, à la suite d’une grippe, de se livrer entièrement à l’écriture.

Le succès de ces douze nouvelles tient à ce qu’on peut les lire indépendamment. Elles ne se suivent pas, même si Watson le narrateur rappelle parfois certaines aventures passées. Les gens qui, déjà avant les réseaux sociaux, avaient du mal à fixer leur attention trop longtemps, sont ravis. La recette n’a pas changé : pour le succès, faites court !

Sherlock Holmes voit son personnage s’étoffer. Il apparaît moins ignorant qu’il ne s’était affirmé au départ ; il est moins méprisant envers les facultés d’observation médiocre de son compère Watson, encourageant même ses progrès ; il apprécie la contradiction et la candeur de son vis-à-vis, ce qui l’aide, dit-il à réfléchir.

Les enquêtes sont dans la banalité du quotidien : retrouver un bijou perdu, innocenter un présumé coupable, sauver une jeune femme des griffes d’un parent violent, un homme d’une arnaque, la société d’habiles malfrats… Les histoires sont dans la ville et la campagne, dans leur temps sous l’empire et le commerce mondial. Londres est la ville-monde de l’époque, là où tout se passe au final, le 221b Baker Street est le lieu de l’analyse sociale, et le cerveau de Holmes la raison qui explique au final le monde comme il va – avec logique.

Rien n’est plus agréable que de se retrouver avec Sherlock Holmes et John Watson dans le salon douillet de leur logeuse, un bon feu allumé dans la cheminée alors que le vent et la pluie frappent les vitres lors d’une tempête d’automne, ou que la neige recouvre les trottoirs, ou encore que le brouillard jaune des foyers au charbon s’insinue dans les rues et ne permet plus de voir à trois mètres. L’intérieur est un cocon protecteur des vrais dangers extérieurs, un nid propice à la réflexion dégagée de toutes contingences et stimulée par le whisky et le tabac, un havre hors des émotions pour qui vient consulter. Sherlock Holmes est le médecin des malades sociaux, ceux qui craignent le scandale, ceux qui se sont fait avoir, ceux qui se demandent s’ils doivent accepter une place trop bonne pour être honnête.

La suite des aventures est plaisante à lire, sans descriptions inutiles, avec la raison pour reine. Chaque lecteur se sent apte à user du même instrument offert à l’humain par la nature : ses sens pour observer et sentir, son cerveau pour analyser et résoudre. Les dessins de Sydney Paget à l’époque ont fixé une fois pour toutes l’image-type du détective : casquette de chasseur de daim qui couvre le précieux encéphale et les oreilles, pipe pour stimuler l’esprit, loupe pour voir au plus près. Tout fait sens.

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes (intégrale des 12 nouvelles), éditions Mystérium 2021, 154 pages, €7,99

Sir Arthur Conan Doyle, Les aventures de Sherlock Holmes – 1ère nouvelle : Un scandale en Bohême, 1892, Livre de poche 1996, 187 pages, €4,90

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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James Cain, Assurance sur la mort

L’auteur immortel du roman policier Le facteur sonne toujours deux fois a fait l’objet de nombreuses adaptions au cinéma (Visconti, Rafelson, Garnett). James Cain a fait la guerre de 14 côté américain et est décédé en 1977 à 85 ans. Il livre ici trois longues nouvelles policières ou psychologiques dont la dernière, Assurance sur la mort, a fait l’objet elle aussi d’un film.

Il s’agit d’une escroquerie à l’assurance décès, perpétrée par une épouse qui n’en est pas à son premier meurtre en toute impunité pour arriver, et d’un agent d’assurance bêtement tombé amoureux de ses formes. C’est assez bien troussé pour être crédible, le spécialiste aidant la volonté meurtrière. La fin sera épique, faisant intervenir d’autres personnages, dont la belle-fille de l’épouse et son petit ami, mais aussi le directeur de la compagnie d’assurance et son détective en chef.

Les deux autres nouvelles sont sur une escroquerie à la banque, et sur la rivalité d’un couple où seul l’homme est amoureux. Toujours le même schéma, l’homme spécialiste et la femme séductrice qui le manipule.

Sauf que dans Carrière en do majeur, l’homme se rebelle. Ingénieur en ponts et chaussées, inactif à cause de la grande Dépression des années 30, l’époux laisse faire sa femme qui se croit une vocation de chanteuse d’opéra. Mais elle ne suit pas le rythme et déraille. Le mari rencontre à cette occasion Cecil, véritable chanteuse d’opéra, qui trouve que lui a une belle voix de baryton et qu’il peut aisément la seconder, d’autant qu’il apprend vite les rôles. Et les voilà embarqués dans une tournée. Cela ne se passe pas trop mal, sauf que le chanteur néophyte ne garde pas toujours les yeux fixés sur le chef d’orchestre, et passe parfois la mesure. Erreur fatale à l’opéra. Le flop de l’épouse est compensé par le flop de l’époux – et les voilà réconciliés, lui toujours amoureux, elle rassérénée dans son narcissisme.

Ancien, mais efficace, ce recueil de nouvelles est un moment du roman policier psychologique, volontiers porté au cinéma.

James Cain, Assurance sur la mort (nouvelles Career in C Major, The Embezzler et Double Indemnity), 1944, Folio policier 2003, 370 pages, occasion €24,99, e-book Kindle 2017, €6,99

Autre édition (introuvable), utilisée pour cette note : Livre de poche 1964, 432 pages

DVD Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944, avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Porter Hall, Jean Heather, Arcadès 2009, anglais doublé français, 1h47, €8,80, Blu-ray €9,90

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Jean-Louis Curtis, Le thé sous les cyprès

Cinq nouvelles dont le décor est l’Italie et le thème l’amour. Avec toutes ses variations, ses permutations, ses désillusions.

Le thé sous les cyprès invite Alma, vieille fille auprès de son papa octogénaire expert en art, à rencontrer Jennifer, la fille d’une amie de son père, et son fiancé Sandro. Un bel Italien dont elle a connu le père, au point de presque se fiancer avec lui. Et puis… la vie l’a reprise et elle est restée vierge. Devant le jeune homme, resplendissant de jeunesse sous sa chemise blanche fluide, elle en a une pointe de regret. Il ressemble tant à son géniteur, Alma songe qu’il pourrait aussi être son fils. Rien de cela n’a eu lieu. Malgré tout, il faut imaginer Alma heureuse, comme Sisyphe.

Pierre et sa femme Yvette visitent enfin Venise, la quarantaine venue et l’aisance enfin conquise. La ville aurait pu être leur voyage de noce, mais ils n’avaient pas d’argent. Ils ont emmené les enfants, deux échalas contestataires de la période 68, cheveux longs, chemise à fleur et dénonciation de l’impérialisme américain et bourgeois sous le moindre prétexte. Pour les jeunes, le garçon en fac de philo et la fille en terminale, Venise est surfaite, même si l’on trouve à acheter – pas cher – des fringues et des bijoux à la mode. Ils critiquent la société de consommation, les gens, les restaurants, les touristes, eux qui ne sont encore que fils et fille à papa. Lequel, bourgeois promu, s’est fait tout seul dans un commerce de vins à Paris dont le fils aîné, 19 ans, a honte devant ses copains hippies du XVIe. Les jeunes en 68 ne sont pas exempts de contradictions, et l’auteur se plaît à s’en moquer gentiment. Ils seront les néo-bourgeois des années socialistes, sous Mitterrand, et leur « rébellion » n’aura duré que le temps de leur excès d’hormones. Mais les parents en souffrent, leur amour filial en est blessé. Au point que le cœur de Pierre entre en crise.

Un jeune Américain, études terminées, fait un grand tour en Europe. James Hoggarty IV est beau, riche, éduqué, issu d’une famille de Pionniers qui a réussi à bâtir une fortune. Il est snob et n’aime rien que se faire valoir, ni personne que lui-même. Ses aventures sentimentales ne sont que superficielles, comme les Yankees savent le vivre, « amis » sans se mouiller, prédateurs sexuels sans s’engager. Cela ne va pas sans crises de dépressions profondes, mais passagères, comme si l’inconscient savait le vide de sa vie. « Ces jeunes gars de la haute, bourrés de fric, qui ont l’air de posséder le monde. – Ils finissent par être possédés ». Ado prolongé jusqu’à la quarantaine, vieux beau qui se force à rajeunir par gymnastique, esthétique et cosmétiques après, vieillard précoce des noces qu’ils font. Ils cherchent l’amour sans jamais le trouver car ils ne s’investissent jamais dans l’autre mais préfèrent l’adulation de miroirs. L’âge venant, les aventures deviendront de plus en plus intéressées. L’amour de soi n’est pas l’amour.

Aldo, le macho italien marié, deux grands enfants, des petits-enfants, vit sa crise de la cinquantaine à Capri avec une jeunette pleine de vie. Il s’accroche bec et ongles à sa jeunesse, sans accepter le temps qui passe ni les siens à accompagner. Il est jaloux des beaux mâles de la marina, jeunes, trapus, athlétiques, tel ce batelier en seul jean qui rame pour eux vers la grotte azurée, puis se baigne nu dans l’eau transparente pour les reflets qu’il donne à ses muscles. Au retour, il ne peut donc s’empêcher de sermonner Sylvana en nuisette transparente, jusqu’à la crise inévitable : elle le quitte. Amour impossible, qui ne tient que par la chair, sans envisager l’âme. Tout comme ces jeunes gars du Midi, dont il voit un spécimen avec un vieil industriel de sa connaissance : « tout leur est bon. Tantôt pour les sous, tantôt pour le plaisir, et de préférence pour les deux ensemble. Rien ne les arrête. » Aldo aussi ne voit de Sylvana que son corps à admirer, à étreindre, pas sa personne. « Elle rayonnait le bonheur de vivre ; il savait que c’était cette vertu, en elle, son infatigable vitalité, qui le subjuguait. Peut-être valait-il la peine de souffrir un peu, si la souffrance était compensée par le bonheur de voir vivre près de soi une créature si revigorante, et de vivre dans la capiteuse irradiation de sa jeunesse. »

L’éphèbe de Subiaco est une statue sans tête de jeune garçon au bord de la puberté, découverte dans une villa de Néron à Subiaco, exposée au Musée national des Thermes à Rome. C’est aussi un jeune homme de 21 ans originaire de Subiaco, Luigino, qui vient la voir à sa descente du train, et que rencontre Minna, allemande de 38 ans habitant Rome, où elle donne des cours de langue. L’éphèbe orphelin, placé à 12 ans comme valet de ferme, est à peine dégrossi par le service militaire et elle se prend pour lui d’une affection quasi maternelle. Elle l’habille, le finance, l’éduque, en fait son amant mais s’efface vite devant ses maîtresses que sa jeunesse attire. Dont Rosemary, une jeune Américaine qui l’épuise, exigeant le coït plusieurs fois par jour et par nuit. Elle lui a promis de l’épouser, mais il ne tiendra pas sur la durée ; ce qu’elle veut, cette puritaine émancipée par les années soixante, est un gros vit qui la fasse jouir, pas un mari avec qui faire sa vie. Minna le pressent et, lorsqu’elle la rencontre à un cocktail d’Ursula, une amie peintre, elle le sait. L’amour n’est pas le sexe, la jeunesse ne le sait pas assez. L’amour est l’attachement, auquel le sexe contribue en ses jeunes années, mais qui se construit sur la durée. Il est plus proche de son amitié pour Ursula, à qui elle veut acheter une œuvre, que de l’obsession sexuelle intéressée de Rosemary.

L’éphèbe de Subiaco a donné un film, Chère Louise, avec Jeanne Moreau, réalisé par Philippe de Broca et sorti en 1972 (pas de DVD référencé).

Jean-Louis Curtis, Le thé sous les cyprès (nouvelles), 1969, J’ai lu 1972, 307 pages, occasion €5,84

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Les livres de Jean-Louis Curtis déjà chroniqués sur ce blog

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Patricia Highsmith, L’amateur d’escargots

Un recueil de onze nouvelles inégales, préfacé par Graham Greene. « Claustrophobie et irrationnel », dit-il en parlant de l’univers de l’autrice, née au Texas et terminant sa vie en Suisse en 1995. C’est que la vie même est sans raison et que les gens s’enferment dans leur existence sociale sans remède.

Patricia a une fascination pour les escargots, ces êtres lents qui portent leur maison sur leur dos et baisent entre eux, à la fois mâles et femelles. L’amateur d’escargots est un financier qui les élève ans son bureau et observe leurs comportement, tout comme l’autrice observe ses contemporains. Au point d’en être envahi jusqu’à succomber sous leur poids. Dans A la recherche du ***Claveringi, le professeur Claver part explorer seul une île déserte où, dit-on, les escargots sont géants, trois mètres de haut adultes. Il n’en reviendra pas tant ces petites bêtes, format géant, sont devenues des monstres.

Autre fascination pour les enfants, ou plutôt leurs rapports avec les adultes. La terrapène est une tortue qui se mange et que le gamin de 11 ans découvre dans le sac à provision de sa mère, égocentrée qui vit seule avec lui et veut le garder bébé, lui laissant des culottes ultra-courtes à son âge alors que les autres garçons portent déjà depuis un an des pantalons. Elle le gifle lorsqu’il n’obéit pas et tue la tortue en la plongeant vivante dans l’eau bouillante sous l’œil du garçon. Lequel en est traumatisé, ayant houé avec elle. Il va se venger, et c’est bien ainsi, même si ce n’est pas légal. L’héroïne est, à l’inverse, une jeune fille devenue gouvernante de deux beaux enfants de 9 et 5 ans, un garçon et une fille de la bourgeoisie américaine,jouant en salopette « sans chemise dessous » lorsqu’elle fait leur connaissance. Elle leur lit des livres, les surveille, leur donne leur bain. Elle est amoureuse de cette vie familiale dans la grande maison paisible, et de ces enfants à la peau douce et au fin duvet blond sur le dos. Jusqu’à vouloir les « sauver » d’une catastrophe qui, puisqu’elle ne survient jamais, doit être provoquée… Terrifiant !

La condition des femmes est aussi l’objet d’observation. Quand la flotte était à Mobile décrit une jeune fille chassée de chez elle à l’adolescence puis devenu pute à matelots avant d’être épousée par un rigide qui la séquestre dans sa ferme et la bat, bien qu’elle fasse tout bien, ménage, cuisine, travaux. Elle l’endort au chloroforme acheté pour le vieux chien, et s’enfuit. Elle sera retrouvée sur demande du mari et retrouvera sa geôle. Quant à Mme Afton, elle fantasme un mari sportif auprès d’un psy, lequel la met sous emprise, alors qu’elle l’a inventé. Les larmes d’amour décrivent deux vieilles filles qui vivent ensembles et se haïssent, tout en ne pouvant se passer l’une de l’autre. C’est cruel, surtout pas le sentiment de solitude et d’enfermement que cela révèle.

Il est d’autres nouvelles avec une chatte et un « yuma », animal mystérieux, une amoureuse dépitée de ne recevoir aucune réponse et un amoureux de même, lequel va imaginer lui donner un faux espoir… En bref la vie, terne et tranquille, bouillonnante de passions rentrées et d’hypocrisies sociales. Un univers para policier qui ne parle pas de meurtre, mais pire, d’une existence vouée au rocher de Sisyphe.

Patricia Highsmith, L’amateur d’escargots (The Snail Watcher and other stories), 1945-1970, Livre de poche 1991, 312 pages, €7,20, e-book Kindle €7,49

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Stratis Tsirkas, L’homme du Nil

Yánnis Chatziandréas (ou Hadjiandra), dit Stratis Tsirkas (Takis dans la première nouvelle), est un Grec d’Alexandrie en Égypte, pays où il a vécu cinquante ans. Ces cinq nouvelles sont donc un aspect doublement décalé de l’Égypte. Quiconque y va en voyage et s’intéresse au pays, ne peut qu’être surpris par le décalage historique et par le décalage colonial en l’espace d’une seule vie.

L’Égypte évoquée par Tsirkas reste en effet celle du delta et de la colonie grecque, expulsée par Nasser au début des années soixante, comme les Juifs d’ailleurs. Le cosmopolitisme y a été éradiqué, arabité oblige, bien avant le rigorisme islamique porté depuis Le Caire par les Frères musulmans.

Le quartier d’Alana à Alexandrie, évoqué dans Le vert paradis, est hors du temps et de l’espace. C’est le quartier de l’enfance, les jeux entre garçons et les baisers et attouchement à l’âge requis de la seule fille, surnommée « Merde d’Anglais » parce que son père – grec émigré en Égypte comme les autres – a fait affaire avec un colonel britannique d’occupation pour récolter et vendre de l’engrais humain pour les cultures en plein essor du fait de la guerre. La fillette est rejetée dans les jeux, ostracisée socialement par le métier de son père. Mais elle accueille en secret chaque soir un garçon pour l’embrasser et lui laisser faire ce qu’il veut. L’auteur la retrouve vingt ans plus tard, tout aussi folle de son corps et dépendante des hommes. Nostalgie.

Le bateleur est le récit d’un baladin avec âne et chien savant, misérable petit peuple qui amuse le petit peuple misérable, avant d’offrir un spectacle gratuit aux otages politiques déportés d’Athènes qui attendant la nuit en train. C’est généreux et touchant.

Chemins difficiles est l’exploitation par amour d’une maquerelle boiteuse par un fils de famille grecque égoïste nommé Stephanos. Elle lui donne un tiers de sa dot pour qu’il le dépense à son gré. Il arrose sa famille, mais celle-ci n’en sait pas gré à la donatrice, socialement mise à l’écart. Pas question de religion, ni même peut-être de morale, mais de qu’en-dira-t-on : le degré zéro du conformisme.

Le Combat contre la murène est élevé au rang de légende épique. Un pêcheur voit monter dans sa yole une grosse murène, qui tente de lui bouffer le pied. Ces poisons-serpents ont en effet une large bouche et de grandes dents. Métaphore de la femme ? L’homme saute d’un côté à l’autre de la barque, mais la murène se met au milieu. Il plonge et est recueilli par des pêcheurs attirés par ses cris. L’un d’eux assomme la bête et la débite en tronçons. C’est une histoire enflée et racontée pour les blessés de guerre, isolés sous la tente en plein soleil.

L’homme du Nil est Nourredine dit « Bomba » pour son prestige physique à 25 ans. C’est un transporteur en felouque sur les affluents du Nil, raccourcis permettant des économies aux commerçants en coton et autres denrées. Il s’élève socialement, jusqu’à être rattrapé par les jalousies sociales, les commerçants Grecs attisant le Pacha musulman pour le rabaisser, tandis que les Anglais occupants se préoccupent de leurs intérêts pécuniaires bien compris. Nous sommes là encore dans la légende épique des résistants, que les Grecs ont connu un siècle auparavant contre les Turcs. Nourredine, comme le chat de la chanson allemande, est toujours vivant ; il en réchappe à chaque fois, jusqu’à la dernière où il semble avoir été pendu, encore que…

Plus rien de tout cela ne subsiste dans l’Égypte. contemporaine, qui a expulsé les Grecs et les Anglais, récusé tout cosmopolitisme, s’est islamisée jusqu’à l’os, et refuse toute ouverture sociale – ou politique. Tsirkas nous décrit un monde révolu, qu’il n’a pas vu puisqu’il est mort en 1980.

Stratis Tsirkas, L’homme du Nil (nouvelles), 1973, Points 1983, 215 pages, occasion €15,00, e-book Kindle €5,99

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Lawrence Simiane, Question ét(h)ique

Dix petites nouvelles pour moquer Woke. Cette nouvelle idéologie issue des hippies des années 60, repassée par le gauchisme des années 70-80 reconverti en écologisme mystique des années 2000, a envahi l’Occident depuis les campus des États-Unis. Un pays toujours messianique, jamais en reste d’imposer sa Loi et sa Bible au monde entier.

Le Woke part d’un bon sentiment (l’enfer en est pavé…) : l’éveil aux dominations et, plus largement, aux déterminations qui contraignent chacun. Mais, au lieu d’agir selon les Lumières, par l’esprit critique doublé de la connaissance (ça demande du travail…), est prôné le réflexe de groupe : isoler ceux qui ne pensent pas comme vous (Cancel), faire honte à ceux qui n’agissent pas selon vos normes (Mitou, manifs, terrorisme vert ou féministe), forcer tout le monde à faire comme vous (la bonne vieille loi de Lynch, démultipliée par les réseaux sociaux).

Lawrence Simiane, photographe, et écrivain à ses heures, distille dix délicieuses petites nouvelles incorrectes pour pousser à l’absurde ces nouveaux Commandement de la Nouvelle croyance.

C’est une entreprise à la pointe de la sécurité informatique qui est sommée par ses actionnaires américains de se conformer aux normes du politiquement correct anti-discriminatoire envers les femmes, les genres, les minorités, la diversité et ainsi de suite. « On a viré un grand nombre de personnes n’appartenant pas à des minorités ethno-sexo-genrées… » se vante la DRH. Et d’ajouter qu’elle propose une « formation en exclusivité karmique pour mettre à jour la perception transgénéalogique des préjugés sexo-ethniques ». Du petit lait pour les faiseurs de fric qui inventent ce genre de formation – qui ne sert à rien, qu’au wokewashing comme on dit greenwashing. En bref, ni les diplômes ni la compétence ne sont plus requis, seulement la conformité aux normes sociales exigées. « Nous avons raté le recrutement de trois experts de très haut niveau en cybersécurité, certes des hommes blancs avec dix ans d’expérience… Quand je leur ai parlé de stages, ils m’ont envoyé promener et ils ont été recruter par les chasseurs de tête pour des sociétés à Singapour, Taïwan et en Chine… »

La bêtise se paie cash. A se demander d’ailleurs si certains pays (en gros la Russie de Poutine) ne cherche pas à exacerber le prurit Woke pour déstabiliser un peu plus l’Occident démocratique dont l’ADN est la division – source de richesse humaine et d’inventivité, mais avec ses effets pervers d’exclusions et de rancune. Cet « agent invisible », titre d’une autre nouvelle a inventé aussi le terme de « décroissance » qui fait florès auprès des croyants nantis américains, et qui touche la fibre sensible de l’anticapitalisme de principe chez les Français imbibés de communisme depuis la Seconde guerre. « C’était là notre victoire : l’infiltration, le gain de l’espace mental, la colonisation de l’intérieur, la contamination des esprits par vous-mêmes. Notre stratégie à long terme consiste à exploiter les points faibles du monde occidental : perméabilité à la nouveauté, culpabilité historique ».

Dès lors, enseigner est un parcours du combattant jalonné de mines idéologiques et sensibles ; lire Madame Bovary de Flaubert devient politiquement très incorrect, donc insupportable au petit moi TPMG ; écouter un concert une gifle aux sourds et malentendants ; étudier les mathématiques une insulte aux minorités ethniques et culturelles qui auraient une autre conception des règles de l’univers ; organiser une course dans un parc une claire attaque contre le principe absolu d’égalité, sans parler d’effrayer les moineaux…

Conclusion : ne rien lire (qu’en cachette), ne rien dire (que du conformiste), ne rien faire (qui ne soit exigé, validé, reconnu). Au fond une nouvelle société de « l’Inquisition » dominée par les femelles revanchardes (titre d’une autre nouvelle), où Big Brother is watching you comme feu le petit père Staline. Sous la grande rigolade des requins de la finance yankee (qui font du fric, s’en foutent et votent Trompe), des Putin (comme on écrit politiquement correct en globish) et des Chi (comme on doit prononcer Xi selon la norme anglo-saxonne).

Contre cela je résiste : je ne vote pas collabo (de Pétain à Putin) ; je ne hurle pas avec les moutonsje lis Madame Bovary et je m’en vante à longueur de blog. Ce livre y aide, il est un bijou d’absurde et d’humour.

Lawrence Simiane, Question ét(h)ique, 2024, PhB éditions, 85 pages, €10,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Edith Wharton, Vieux New York

En quatre longues nouvelles – de petits romans – Edith Wharton, née en 1862, croque à belles dents la société qui fut la sienne, le New York du XIXe siècle. Chaque nouvelle est dédiée à une décennie, de 1840 à 1870. Elles racontent toutes la même situation inférieure de la femme, considérée comme mineure et sous la domination pleine et entière du père, puis du mari, et la situation impériale de l’homme, macho, pater familias et protecteur obligé. Le portrait du vieux Raycie, dans L’aube mensongère (première nouvelle), est édifiant : « sa tyrannie tracassière à l’égard des femmes de sa famille ; son ignorance inconsciente mais totale de la plupart des réalités, livres, êtres, idées, qui remplissaient maintenant l’esprit de son fils et, par-dessus tout, l’arrogance et l’incompétence de ses jugements artistiques » p.45. Ce qu’on appelle depuis mai 68 un vieux con.

Ce ne sont pas seulement les filles qui sont sous la tutelle du père, mais les garçons aussi lorsqu’ils sont trop faibles. C’est le cas de Lewis qui, à 21 ans, est envoyé faire son Grand tour en Europe pour se mûrir rt se viriliser. Mais pas sans conditions : son père le charge de constituer une collection de tableaux de grands maîtres italiens pour frimer en société. Lui veut épater la galerie en constituant une galerie qui sera, pense-t-il, enviée par les autres familles aisées de New York, une manière de renforcer sa réputation et sa position sociale. Évidemment, le fils une fois émancipé de la tutelle de son père par le voyage et ses rencontres, choisira des œuvres à la mode plus moderne, et son père en sera épouvanté. Il le déshéritera, sauf des tableaux qu’il a rapportés… et qui (mais 50 ans plus tard) auront vu leur valeur multipliée par cent.

Au fond, tout est là : dans la position sociale. Il s’agit de tenir son rang, de conserver ses richesses, de respecter la tradition. Pour le rang, il ne faut pas déroger aux codes et convenances, non plus qu’aux opinions reconnues. D’où le goût très conventionnel de « l’art », qu’on exhibe non par plaisir ni connaissance du sujet, mais en fonction de ce qu’il vaut sur le marché, qui est fonction de ce qu’apprécie la « bonne » société. Tout le « nouveau monde » est croqué en une phrase, assassine : « Issus de la bourgeoisie anglaise, ils n’étaient pas venus dans les colonies mourir pour une foi, mais vivre pour un compte en banque » (La vieille fille) p.80.

On se marie donc entre soi pour éviter la déperdition des biens et des gènes, et l’on s’effraie de tout écart qui pourrait affecter la pureté maternelle. Non sans terreur de la nuit de noce pour ces oies blanches conservées ignorantes et pures jusqu’à 25 ans, âge limite de consommation maritale. On ne parle pas de « ces choses là », ce serait indécent, et même la mère répugne à les évoquer in extremis avec sa fille qui lui pose candidement des questions à la veille du jour fatal. Ce pourquoi la « vieille fille » est obligée de l’être après avoir « fauté » avec un amoureux et conservé l’enfant adultérin noyé dans un « orphelinat » de charité constitué à cet effet. Charlotte a heureusement en sa sœur Delia, légitimement mariée et mère de famille, une alliée qui va lui permettre de sauver la situation. Mais le dilemme est : garder sa petite fille ou épouser un riche parti. Le choix sera vite fait, mais un autre risque va surgir : révéler qu’elle est sa mère au risque du scandale social et de la rendre immariable, ou garder le silence et n’être considérée par la progéniture que comme une vieille tante maniaque, une « vieille fille ».

Si l’on prend son plaisir, il faut que cela reste secret. L’incendie de l’Hôtel de la Cinquième Avenue est l’accident qui révèle le pot aux roses, lorsqu’on voit sortir une jeune femme en robe simple qui n’aurait pas dû y être. Elle se remarque parce que toutes les autres sont en robes de bal en plein hiver, avec des chapeaux extravagants à la dernière mode de Paris, et pas elle. Des fenêtres d’en face, où une vieille famille à réputation regarde le spectacle des pompiers, cela se remarque. Lizzie Hazeldean, femme mariée à un avocat qui se meurt du cœur, est dès lors bannie de la « bonne » société. On ne fraie pas avec une putain, même de luxe, lorsqu’elle est surprise à donner rendez-vous à son amant. Lequel veut bien l’épouser après la mort du mari, mais s’aperçoit que Lizzie était intéressée et pas amoureuse de lui. Il finançait ce que son mari avocat ne pouvait plus produire, inapte à l’activité. Les femmes n’ayant pas de biens, ne pouvant gérer ni travailler, il faut bien user d’expédients, même s’ils sont réprouvés par la morale sociale.

Car la société biblique inoculée dans le nouveau monde fonctionnait sur le mythe de l’Éden où la femme ne fait rien, obéit à son mari, et à la morale de Dieu-le-Père, en bref « la jeune fille sans argent ou vocation, mise au monde apparemment dans le seul but de plaire et ne possédant aucun moyen de s’y maintenir par ses propres efforts. Seul le mariage pouvait empêcher une telle jeune fille de mourir de faim, à moins qu’elle ne rencontrât une vieille dame ayant besoin de quelqu’un pour sortir ses chiens et lui lire le journal paroissial » (Jour de l’An) p.289.

Une satire fouillée de son milieu huppé et conventionnel de l’entre-soi, qui n’a guère changé au fond dans la plupart des sociétés. Un délice psychologique.

Edith Wharton, Vieux New York – nouvelles (Old New York), 1924, Garnier-Flammarion 1993, 305 pages, €8,00

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Théo Kosma, Dialogues interdits

Trois cents nouvelles plus ou moins brèves sur une si belle expérience sexuelle… le plus souvent sans sexe aucun. Dans la suite du précédent recueil En attendant d’être grande, des nouvelles plus adultes, donc parfois plus crues, et d’autres qui prolongent la prime adolescence. Où les filles ont toujours plus d’initiatives que les garçons.

De l’humour, dans la chute surtout. Des situations cocasses, dues aux chocs culturels et autres tabous religieux ou ethniques. De la modernité « libérée » comme on disait à la génération d’avant, naturelle aujourd’hui – si ce n’étaient les tabous, mitou et religions qui reviennent en frileux repli.

Des remarques pertinentes et fort justes d’un observateur amoureux : « C’est le chic de ces adotes ! Propre à leur âge ! Quoi qu’elles fassent, elles se pavanent. Les cheveux placés sur la droite ou sur la gauche, marcher précieusement, mesurer chaque geste… Elles pourraient le faire en allant acheter du pain ! Que dis-je, elles le font bel et bien en allant acheter du pain. »

Une expérience naturiste : « Tout n’était plus que jeu sensuel, renouvelé en permanence. Dans lequel je puisais chaque fois quelque chose de nouveau. » Le corps, les sens, le cœur – et l’esprit en embuscade mais qui survole. « Me balader dans un coin discret de nature, me mettre nue, courir, grimper aux arbres, me rouler dans la terre, le sable, puis me rincer dans l’océan. »

« Surtout on est en mode ‘expériences’. Plus ou moins prêtes à tout et n’importe quoi tant que ça nous fait vivre un moment fort. Tout pour vivre autre chose que la campagne et les petits oiseaux qui chantent ! »

Moins léché – si l’on peut dire – moins tendu que les premiers livres, un peu de facilité peut-être. Des nouvelles qui vont de quelques lignes avec une pirouette, à une suite qui pourraient constituer un tome 5 des aventures de la très jeune fille qui explore sa sensualité. Le monde adulte est moins intéressant que le monde adonaissant car il a moins de retenue, or c’est le pied au bord de l’abîme que l’on ressent les sensations au plus fort.

Théo Kosma, Dialogues interdits, 2023 e-book sur www.plume-interdite.com

Pour contacter l’auteur : theodore.kosma@gmail.com

Pour accéder au catalogue complet, lire de nombreux textes inédits, recevoir une nouvelle gratuite : www.plume-interdite.com

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Colette, Gigi et autres nouvelles

Ce sont cinq nouvelles déjà publiées ici ou là que Colette regroupe en un recueil : Gigi, L’Enfant malade, La Dame du photographe, Flore et Pomone, Noces. Elle y parle comme d’habitude d’elle-même, sous forme de fictions ou de souvenirs.

Gigi, c’est Gilberte, 15 ans vers 1890 et qui va se marier – comme l’auteur – avec un homme mûr et riche de 33 ans – comme l’auteur. Une façon de revisiter une fois encore le saut vers le loup, l’enfance brutalement rompue. Comme un regret et un désir à la fois, le vert paradis provincial quitté pour le sexe et la ville. Mais histoire qui se répète car elle a été celle aussi de Yola, 18 ans, la nièce de Jeanne Henriquet, cantatrice, mariée en 1926 à Henri Letellier, 58 ans, copropriétaire du Journal – ou encore celle d’une amie de Polaire, 17 ans, pour un homme de plus de 40 ans – ou enfin l’histoire du Mariage de Chiffon, 16 ans, roman de Gyp. C’est un nouveau modèle de vie où le mariage devient choix d’amour, même pour un plus âgé. Mariage et amour désormais se confondent dans l’idéal… pour un temps en réalité, Colette en témoigne personnellement.

Dès lors, Gigi séduit sans le vouloir, par enfance, mais en le voulant un peu, en adolescente sûre de son physique : ses genoux nus qui dépassent de la jupe trop courte et qui appellent la main de Gaston, son cou en colonne qui s’évade du col comme celui d’un jeune garçon, signe de vigueur juvénile et d’ambiguïté androgyne, sa chevelure opulente qui témoigne de l’énergie vitale comme celle de Samson. Mamita la grand-mère joue la Sido pour freiner les ardeurs et raisonner les approches, mais que peut-elle contre l’inclination des sens ? Les conseils de la tante Alicia visent surtout à discipliner la jeune chèvre et la rendre présentable en société : ainsi, manger le homard thermidor sans en mettre partout et sans bruits répugnants est toute une éducation, de même que serrer les genoux lorsqu’on se lève en jupe pour éviter d’attirer le regard sur le « ce-que-je-pense » de la pruderie bourgeoise (qui ne pense qu’à ça).

Gaston, propriétaire industriel qui défraie la chronique mondaine par ses maîtresses successives, est pris par cette innocence qu’il n’a pas vu venir, cette enfant devenue femme qu’il n’a pas vue grandir. Il y a presque de l’inceste à désirer une fille de 15 ans qu’on a connue petite, qui réclame encore des bonbons et crie de joie d’aller faire un tour dans le De Dion-Bouton quatre places décapotable. Mais comme Gigi s’abandonne et fait confiance, Gaston s’abandonne et fait confiance. Il promet de chérir et protéger, advienne que pourra.

Si Gigi ouvre le recueil, Noces le referme. Il s’agit de la même histoire, encore et toujours recommencée, des noces de Colette à 16 ans dans sa province. Mais sous la forme de souvenirs vécus, plus de fiction. Le conte a laissé la place au réel ; il s’agit de savoir comment on peut choisir son esclavage, au prétexte de liberté. Gigi a eu beaucoup de succès et fait l’objet de plusieurs films et de pièces de théâtre. Il touchait un nerf sensible du temps, pulvérisé en 1968 et devenu hystérique aujourd’hui, au point d’interdire tout mariage avant 18 ans et toute relation sexuelle avec un plus âgé avant 15 ans. Dans Noces, Sido la mère tempère les enivrements de fille amoureuse et pressent la suite. S’endormant fleurie d’œillets, la jeune épousée se trouve déflorée par sa mère, qui les lui ôte. L’amour ne dure pas toujours et blesse.

L’enfant malade est pour moi le plus belle nouvelle du recueil, car intemporelle et virtuose dans l’imagination. Colette, qui a connu les fièvres, se met dans la carcasse fragile d’un jeune garçon, elle qui n’a eu qu’une fille, pour errer dans les limbes entre le réel et le songe. Le gamin atteint de polio et dont les jambes se paralysent, ruse avec la douleur et s‘évade, esquivant les caresses de sa mère qui ne peut pas grand-chose. Il est seul face à la mort possible et jouit des derniers instants de son esprit avec une fougue toute enfantine. Il vole comme un oiseau, faisant la connaissance d’autres âmes prêtes à l’accueillir. Cette expérience-limite se brise avec un son d’objet cassé qui le fait atterrir dans la réalité. L’envoûtement de la mort se rompt comme le vase se brise, et des fourmis dans les jambes montrent que la guérison s’avance lentement dans le petit corps rompu.

Cette facilité d’aller vers la mort est le thème de La dame du photographe, petite-bourgeoise oisive qui ne voit dans sa vie étriquée volontairement qu’un absurde sans fin, un rocher à rouler pour le voir dévaler chaque fois, comme Sisyphe. Elle a pourtant tous les accessoires du bonheur : un mari aimant qui vit pour son travail et l’emmène en vacances à Yport, un intérieur douillet facile à entretenir, quelques tâches ménagères qui demandent peu d’efforts, une voisine enfileuse de perles qui fait volontiers la conversation. Mais voilà : l’idéalisme en veut toujours plus, toujours autre. Le réel n’est jamais satisfaisant. Le suicide paraît alors la meilleure façon de s’effacer d’une vie effacée, de trouver ce calme définitif qui évite de penser. Suicide raté, grâce à la voisine, suicide comme un souvenir d’événement qui serait enfin arrivé dans la vie terne.

Flore et Pomone est une sorte d’essai décousu, au fil de la plume, sur les fleurs et jardins aimés de l’auteur. On ne voit pas trop ce qu’il vient faire dans ce recueil voué aux personnes, sinon peut-être pour relier l’humain au végétal et dire combien la plante pousse ses gaines, énergique comme un jeune garçon, aime et s’enroule comme une jeune fille, séduit par ses aspects sexuels les mouches (par une odeur de charogne) et les humains (par des formes en téton ou en vulve). La quête d’un cœur pur, mise en échec par les noces trop jeunes, évadée dans l’imaginaire par la maladie, ne réside-t-elle pas dans l’exemple terrien des plantes ? Elles donnent ce qu’elles ont, sans prétendre à plus.

Colette, Gigi (nouvelles), 1945, Livre de poche 2004, 182 pages, €7,90, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

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Colette, Le képi

Ce sont quatre nouvelles sur « l’amour » décliné sous toutes ses formes, dont la première, Le képi, est la plus longue. Colette les a écrites ou remaniées sous l’Occupation pour s’occuper et pour « la croûte », et pré-publiées dans Candide en 1941 et 42. Quant à la publication en livre, elle fut « autorisée » par la « membresse » du Syndicat des éditeurs sous Pétain par une certaine… Marguerite Duras, qui s’appelait encore à l’époque Donnadieu. L’égérie de la gauche morale des années 80 et 90 fut bel et bien collabo (je n’ai jamais aimé Marguerite Duras et son hypocrisie de petite-bourgeoise).

Les textes de Colette sont toujours entremêlés de souvenirs mais la romancière tient à égarer les comparaisons et à cacher les personnages réels sous ceux de la fiction. Tous les écrivains ont agi ainsi, et c’est heureux. Inutile donc de chercher qui se cache derrière la femme mûre qui se trouve un jeune amant mais ne sait pas le garder, le vieux Monsieur qui s’égrillarde sur une nymphette, la veuve qui empoisonne la vie de son mari et de ses héritiers, ou la catherinette dépassée qui révèle enfin son amour pour son ami d’enfance trop emprunté.

Le Képi est l’histoire d’un ratage. Marco, la femme mûre, divorcée et solitaire, ne sait pas s’habiller, se croit finie. La narratrice de 25 ans en pleine fleur la prend sous son aile, la tutorise pour le maquillage et les vêtements, et l’encourage, avec un sien ami fort cynique, à répondre à une annonce d’un lieutenant de 25 ans qui cherche une « correspondante » (et plus si affinités). La femme qui pourrait être sa mère tombe amoureuse du jeune homme. C’est son premier amour véritable, une passion. Mais si elle peut masquer les apparences sous les apprêts, se croire le modèle idéal qu’elle rêve d’être, elle reste de son âge, c’est-à-dire flétrie déjà. Après l’un des multiples assauts amoureux du garçon, lorsque, nue, elle coiffe le képi de son amant, la déchéance se révèle avec le ridicule. Si un bibi peut mettre en valeur une tête, un képi de mâle tout droit et net, met en valeur la vérité de ce qui loge en-dessous. Fatale erreur, comme on dit dans l’informatique. L’illusion se dissipe d’un coup et l’amante égarée se voit peu à peu éloignée, jusqu’à la rupture – inévitable.

Le Tendron est l’histoire d’un autre ratage, mais inversé. C’est cette fois-ci un barbon qui s’éprend sensuellement d’une jeunette. Il a 49 ans, elle 15 à peine ; lui vient de la ville et se promène en costume, elle est paysanne dans le Doubs et va en corsage sans rien dessous. La maturité tombe amoureux de la jeunesse, ce qui est un classique de la nature, une dernière flamme de l’énergie vitale. « Auprès des créatures féminines très jeunes, je trouvais de la brusquerie sincère, un intérêt presque toujours affecté, la beauté en esquisse, le caractère en projets. Elles avaient 17, 18 ans, un peu plus, un peu moins, pendant que j’avançais, moi, vers la trentaine, et qu’à leur côté je croyais avoir le même âge qu’elles. A leur côté… Je peux dire plus véridiquement dans leurs bras. Qu’est-ce qu’il y a, dans une jeune fille, d’achevé, de prêt à servir, d’enthousiaste, sinon sa sensualité ? (…) Il faut avoir connu un certain nombre de jeunes filles pour savoir que, comparés aux femmes faites, la plupart d’entre elles sont des championnes du risque, des inspirées de l’espèce, et que dans des conjonctures dangereuses rien n’égale leur sérénité » p.356 Pléiade. Il ne se passera rien de décisif entre eux, aucune défloration (le pétainisme aurait censuré), mais seulement la sensualité du corsage ouvert, des caresses et des baisers. Tout cela dans le secret bien gardé des buissons – jusqu’à ce qu’une pluie violente un soir oblige les amoureux à se réfugier dans la maison, où la mère les découvre enlacés. Elle savait que cela devait arriver mais regrette moins la virginité (d’ailleurs conservée) de sa fille que l’écart des âges : cela ne se fait pas, un point c’est tout. Et le vieux barbon repart avec la queue entre les jambes tandis que la nymphette, émoustillée, l’a déjà oublié. La mère et la fille se révèlent deux femelles complices face aux mâles.

Dans La Cire verte, réalité et fiction se mêlent, un souvenir d’enfance de Colette et l’histoire imaginaire de la receveuse des postes qui a épousé un propriétaire. La Madame s’est employée à empoisonner son vieux mari et à faire disparaître son testament. Mais lorsque les héritiers le contestent devant notaire, elle prend peur et perd les pédales. Elle rédige elle-même un faux, d’une écriture qui n’est pas celle de son mari, et croit l’authentifier par des cachets de cire verte, dont elle a volé le pain sur la table de Colette tout juste adolescente, qui collectionnait la papeterie. Tout se révèle, la veuve avoue, l’absence d’amour dans le mariage et la basse avarice.

Armande est une grande jeune fille bourgeoise de province en passe de passer la limite de péremption avec ses 28 ans. Elle est amoureuse depuis l’enfance d’un jeune homme devenu médecin, Max, et qui est revenu dans la petite ville pour voir sa sœur, mariée au pharmacien, et prendre des médicaments pour son cabinet. Il revoit Armande, l’épouserait bien, mais n’a ni le temps de jouer au romantique, ni l’audace de se déclarer par les étapes nécessaires (conversations, billets doux, baiser, se revoir, etc.). Juste avant son départ définitif, il rend à contrecœur une visite de courtoisie à son ancienne camarade – et c’est là que le destin lui donne un coup de pouce. Le lustre du salon se détache et lui choit sur la tête, faisant s’évanouir le garçon et saigner son oreille. Armande alors se révèle, l’appelle dans son émoi « mon chéri », s’empresse à la compresse, appelle au secours, en bref le « sauve ». Même si, la bouche ouverte, elle est « laide », l’amour lave tout, l’émoi des sens submerge toute raison.

Une belle chute pour ce recueil.

Colette, Le képi (nouvelles), 1943, Livre de poche 1987, 158 pages, €4,79, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

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Colette, Chambre d’hôtel

Deux nouvelles tirées de faits vécus mais dans un décor imaginaire et dans un temps indéfini. Colette se recycle ; durant l’Occupation, elle s’occupe. Partant de petites anecdotes ou personnages rencontrés, elle en brode tout un roman, ou plutôt de longues nouvelles. Elle en publie ici deux dont le thème est l’amour. Colette est spécialiste de l’amour sous toutes ses formes, pour les avoir expérimentées durant sa longue existence (elle a alors 67 ans).

Chambre d’hôtel décrit la rencontre d’un couple dans un hôtel de repos à la montagne, à « X-les-Bains », un lieu qu’elle a fréquenté en Isère à la Belle époque (au vrai Uriage). Ce couple est « insignifiant », écrit-elle dès les premiers mots, mais s’attache au passant comme un « anatife », « mollusque à cordon extensible » qui la « dégoûte ». Elle se fascine cependant pour la vie des bêtes, Madame Haume en phase précoce de tuberculose et son mari Gérard, fils de famille raté qui entretient des liaisons. Si elle se trouve dans l’hôtel, c’est que Lucette, une copine de music-hall un brin pute de la haute, a loué un chalet à X-les-Bains avec son jeune amant Luigi mais qu’elle a, pour la même période, trouvé un nouvel amant bourré de diamants qui l’emmène sur son yacht. Le chalet est donc libre. Mais la narratrice le trouve trop petit-bourgeois pour elle et préfère l’hôtel. D’où la rencontre de hasard.

Dès lors, les différentes formes de « l’amour » vont se contraster. Celui de Lucette pour Luigi est pur mais soumis à condition de moyens ; celui de Lucette pour le nouvel amant (après bien d’autres) n’est qu’utilitaire, comme on « aime » ce qui vous nourrit. L’amour du couple Haume est classique, usé par l’habitude et abîmé par la maladie, mais cette faiblesse est ce qui retient Gérard de quitter sa femme pour courir l’aventure. Outre qu’il n’a guère de moyens, ayant ruiné pour partie l’entreprise familiale que son frère peine à redresser, ne lui assurant qu’une pension juste à condition qu’il ne s’en mêle plus. D’où sa recherche d’aventure ailleurs. Il entretient une jeune maîtresse à Paris mais s’inquiète de ne plus avoir de nouvelles. Forcé par la maladie de sa femme de prolonger son séjour à la montagne avec elle, il voudrait y aller voir. Il s’y trouve même une autre sorte « d’amour » qui est la séduction sans le vouloir des très jeunes filles pubères de 14 ans qui flirtent innocemment avec les hommes adultes de l’hôtel, suscitant le désir interdit. « Miss Morphy » a un nom qui suggère à la fois le dieu qui endort, le papillon aux ailes bleues qui séduit et le joueur d’échec Paul qui pose ses pions.

C’est alors que la narratrice, sous la forme de Colette dans une situation semblable, propose de porter un message à la belle puisqu’elle doit se rendre à Paris pour signer un contrat pour un nouveau spectacle. Ce qu’elle trouve, c’est l’oiseau envolé, l’appartement vide et à louer. La belle a quitté l’amant trop lointain pour un autre sans laisser d’adresse. Effondrement du Gérard, mais c’est le jeu : il n’y a pas d’amour mais que des preuves d’amour, qui va à la chasse perd sa place. C’est alors que Lucette revient de son aventure avec le riche à diamants ; elle est meurtrie, blessée, sans un. Elle use donc du chalet puisque la location dure encore et Luigi va chercher du travail alentour. Gérard la rencontre parce que Colette lui en a parlé, et Lucette joue l’anatife pour se trouver une nouvelle tirelire… avant de mourir de sa blessure mal soignée. Conclusion de ces péripéties ? L’amour véritable a peu à voir avec ce que « nous » appelons en société « l’amour », réduit le plus souvent comme il est montré au sexe et au fric.

La lune de pluie est plus bizarre. L’histoire se passe à Paris, lorsque Colette fait taper ses manuscrits à livrer en feuilletons aux journaux par une vieille fille consciencieuse. Laquelle habite un ancien appartement de Colette, d’où le sentiment particulier qu’elle ressent lorsqu’elle s’y rend (au vrai, le 28 rue Jacob). Elle s’y trouve comme chez elle, les nouveaux locataires sont comme des intruses.

Car la vieille fille a recueilli sa jeune sœur, mariée mais séparée volontairement, ayant « chassé » son mari Eugène pour on ne sait quelle futilité. Elle s’est mise à le haïr et use de procédés superstitieux pour lui faire avoir du mal, comme de répéter à l’infini son nom pour que les oreilles lui tintent, et autres billevesées de bonne femme oisive, très petite-bourgeoise et cancanière. Le mari Eugène, que Colette croise en bas de l’immeuble où il regarde la fenêtre de son épouse, est en mauvaise santé, fumant et bouffant trop. Il mourra à la fin et son ex s’en fera gloire, comme si sa haine avait opéré sur le physique.

Il y a donc, là encore, trois amours : celui, filial, de la sœur aînée pour sa cadette, sentiment profond mais qui fait excuser trop de mauvaiseté de celle qui se laisse aimer ; celui, marital, de la femme qui ne veut plus voir son mari et qui s’est inversé en haine tenace ; celui enfin de la pureté initiale, où le mari aimait plutôt la sœur aînée avant de jeter son dévolu sur la cadette. En bref un gâchis : l’amertume de la délaissée, la haine de la choisie, la faiblesse de l’aînée pour la cadette. Rien de cela ne donne envie…

Il semble que tout cela soit un peu compliqué pour notre époque, le livre n’est pas réédité et aucun film n’a été tourné sur ces histoires d’amours contrastés. Colette, d’ailleurs, les conte avec détachement, sans ces notations précises ou sensuelles sur la vie alentour qui la caractérisent, comme si elle accomplissait la besogne d’écriture pour seules raisons alimentaires, sans y mettre son cœur.

Colette, Chambre d’hôtel suivi de La lune de pluie (nouvelles), 1940, Livre de poche 2004, 157 pages, €7,70, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

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Colette, Bella-Vista

Premier volume de nouvelles de Colette, celui-ci en contient quatre. Ces textes, parfois de courts romans, sont rattachés à la vie de l’auteur tout en étant œuvres d’imagination. « Colette s’est utilisée elle-même comme personnage dans des récits reposant sur des anecdotes fictives », écrit justement Marie-Christine Bellosta dans la notice de la Pléiade.

Ces récits sont de sang : celui des oiseaux que chasse Daste dans la première nouvelle, sang de l’avortée Gribiche, sang du jeune Marocain du Rendez-vous, sang du bébé dans l’inceste Binard. Ces récits sont aussi d’amour : celui faussement lesbien du couple recherché par la justice, celui de l’abandonnée enceinte, celui d’une solidarité virile face à une pétasse chochotante, celui du père pour ses filles. Colette veut dire ce que les autres ne disent pas et que la société tait – par hypocrisie. Elle le révèle d’ailleurs progressivement, à demi-mots, ce qui maintient le suspense.

Bella-Vista, première nouvelle, est écrite alors que Colette emménage sa maison dans le midi. Elle se situe à l’auberge en bord de mer tenue par deux femmes et qui ne comprend, hors saison, que quelques pensionnaires. La narratrice dit « je » et l’on peut croire qu’il s’agit de Colette, même si les lieux et les noms ont été changés comme il est d’usage. L’hôtel serait le Kensington et le couple deux homos. A Bella-Vista, il s’agit de deux apparentes « amies » qui couchent ensembles. Un mystérieux Monsieur Daste, « chef de bureau au Ministère de l’Intérieur » séjourne et joue à la belote avec elles ; il est bizarre, fait peur à la chienne de la narratrice et son plaisir semble de dénicher les oiseaux. Une métaphore pour dire qu’il surveille les deux tenancières, Suzanne et Ruby, la première cuisinière provençale, la seconde garçonne américaine. Il veut les pousser à la faute pour les dénicher elles aussi. Il fera chou blanc mais se vengera sur les perruches, tuées une à une avec un sadisme de flic. Cette nouvelle est presque policière et il serait dommage d’en dévoiler la chute.

Gribiche est l’univers de La vagabonde, celui du music-hall où Colette œuvra lorsqu’elle débutait sa carrière entre 1905 et 1910. Là aussi elle dit « je » mais Gribiche est une jeune femme de la troupe qu’un admirateur du spectacle a mise enceinte. Sa mère l’avorte par des potions dont elle a le secret, mais l’avortement est un crime et le restera longtemps, jusqu’à Giscard et Simone Veil (non ! Ce n’est pas Mitterrand qui a libéralisé l’avortement). La fille en mourra, malgré la collecte des danseuses et le « geste » de la direction pour sa « maladie ». Encore une fois, Colette ne dévoile que peu à peu le sujet, ce qui le rend plus tragique.

Le rendez-vous est au Maroc, pays que Colette a visité et dont elle a aimé l’atmosphère. Elle parle ici à la troisième personne, comme pour objectiver hors d’elle les personnages. Bessier est un architecte français chargé de reconstruire un palais pour un pacha ; il est flanqué de sa femme, la vulgaire et provocatrice Odette ainsi que de Rose, une jeune veuve que courtise Bernard, architecte débutant auquel Bessier fait miroiter une association. Bernard veut baiser et se marier, et Rose lui semble la proie idéale. Celle-ci est consentante, pas bégueule, et le jeune couple s’enfonce dans le jardin immense la nuit pour retrouver un lieu propice, vu dans la journée avec le beau jeune guide Ahmed de 16 ans. Mais ils tombent sur un blessé, Ahmed lui-même, planté au couteau par un rival à propos d’une très jeune gamine. Bernard le soigne mais Rose se tient à distance, dépitée de n’être pas baisée et que Bernard reporte toute son attention sur un garçon ; elle a peur du sang et qu’on les découvre; elle est renvoyée à l’hôtel avec mépris par un Bernard lassé de cette petite-bourgeoise sans intérêt humain. Il reste avec Ahmed jusqu’au matin où l’ânier passe et transportera le blessé. Colette joue du contraste entre Odette et Rose, la première brune et délurée, impolie, la seconde blonde et timorée, conformiste. Colette joue aussi des amours différents que sont l’hétérosexuel et l’homosexuel, ou du moins l’errance entre les deux. Colette est plus subtile qu’elle n’y paraît et pose des jalons sans pourtant conduire au but. Bernard est généreux de préférer sauver la vie de son « semblable » à la baise fade avec une femelle trop bourgeoise (qui traite d’ailleurs plusieurs fois Ahmed de « bicot ») ; mais Bernard est attiré par la jeunesse adolescente du bel Arabe et par la solidarité virile qu’il ressent envers un jeune compagnon navré qu’il a envie de protéger. Une solidarité de soldat dans les tranchées vantée après 14-18, reprise virilement par les jeunesses fascistes et nazies des années 30 – sauf qu’elle s’applique ici à une race considérée avec condescendance.

Le sieur Binard est dans la suite de La maison de Claudine. Et la narratrice parle à la première personne. Là encore, le suspense monte et le lecteur n’apprend qu’à la fin qu’il s’agit d’un inceste, dont le père apparaît fier. Là encore, Colette joue du contraste entre la belle Hardonnaise qui se fait engrosser volontairement par son médecin, et les adolescentes trop jeunes qui subissent le sexe du père. Les deux auront des bébés florissants, mais pas sans danger pour les jeunesses. La nature ne connaît pas la morale et la Bible même raconte l’inceste, des fils et filles d’Adam et Eve entre eux (il fallait bien croître et multiplier). Pas de conclusion, Colette laisse chacun apprécier. Elle décrit, elle ne juge pas.

Colette, Bella-Vista (nouvelles), 1937, Livre de poche 1989, 249 pages, €8,40, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues

Ce sont treize nouvelles entrecoupées de treize recettes de cuisine, dont le sommaire est rappelé judicieusement au début. Des nouvelles des femmes du Maghreb et du Proche-Orient où les hommes sont dominants, de par la religion d’Allah. Le seul travail bien vu de la femme, en ces coutumes, est de faire des enfants et la cuisine.

Les enfants n’ont pas leur place dans ces nouvelles où l’auteur invente des personnages qui lui ressemblent. Née en Tunisie, elle est arrivée à Paris à 2 ans et a été élevée à la Goutte d’or, quartier célébré par Michel Tournier. Elle a étudié les lettres et les langues germaniques et travaillé comme une Occidentale d’un pays démocratique libéral dans les grandes entreprises. Et pris ses aises en Suisse, où la fiscalité est moins socialiste.

La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros. Quand les deux sont en conjonction, le paradis est sur la terre et dans les âmes. Mais une seule nouvelle sur treize parvient à ce nirvana – lors d’un second mariage, cette fois consenti. C’est que les familles s’en mêlent, prises dans le milieu social où tout le monde s’épie et cancane. L’arabe tunisien a même deux mots pour désigner ces potins : le glak et le gotlak, moment de sociabilité du matin entre femmes, entre petit-déjeuner et ménage.

La « plus belle femme du monde » cuisine avec plaisir pour son mari, tout en se faisant belle. Elle séduit par l’apparence extérieure et par les saveurs intérieures. Mais elle finit par s’apercevoir que son mari n’aime que ses abords corporels et ses résultats culinaires ; il est resté au fond ce petit garçon égocentré que toute mère méditerranéenne couve jusqu’à la fin de sa vie. La « soupe de pois chiche » (recette en prime) est comme le lait de la mère, une douceur de chaque soir. Lorsque le cancer lui ôte un sein, « la plus belle femme du monde » est déchue pour son époux. Elle se rend compte alors que c’est elle-même qu’elle aime, et pas son époux. « J’étais l’aimant de ma propre vie ». Si son mari ne l’avait pas épousé, il n’aurait pas eu cette existence paisible et goûteuse. Comme quoi le vrai mariage est la conjonction de deux êtres qui se sentent complémentaires et assurent leur bonheur personnel l’un par l’autre.

Quant à l’énigmatique « SoniaK2Tataouine », au pseudo tout droit sorti d’un réseau social, a-t-elle existé ? Une nouvelle lui rend hommage. Toutes deux du sud tunisiens, toutes deux réussissant leur « cursus » (drôle de mot technocratique) à Paris, toutes deux rêvant du bon job qui paye bien, et sur le point de réussir. Mais… « Tous ces chocs culturels en pleine figure ». L’immigration, même à la seconde génération, n’est pas un parcours de tout repos. « Nous ne savions pas vivre comme eux. Mais nous le voulions tellement » p.73. Donc, à la fin des études, la fugue de chez les parents tunisiens, restés traditionnels ; puis le chantage affectif à la « mort de la grand-mère », le mensonge utile et permis – la taqiya – et le mariage arrangé, au bled, où il ne fallait surtout pas revenir. Dès lors, la prison à vie. La famille, le milieu, les traditions, la religion.

A quoi cela sert-il d’émigrer ?

Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues, 2023, éditions de la Zitourme (micro-édition de Zoug en Suisse), 144 pages, €13,00 – non référencé sur Amazon

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Colette, La femme cachée

Colette au mitan de sa vie a beaucoup écrit dans les journaux ; c’était alimentaire. Mais elle a écrit à la façon de Colette, des « choses vues » composées en récits avec une chute en guise de pirouette, ou de morale. Pour inaugurer le tome III de l’édition de ses Œuvres dans la Pléiade, ces 22 contes, parus dans le journal Le Matin de 1921 à 1923. Colette les a écrits chacun à peu près en douze feuillets de sa large écriture.

Ce sont des histoires naturalistes de crimes, trahisons, illusions, solitudes. Des histoires de couple, de désir, de crainte entre les sexes. La femme cachée est, première nouvelle, celle qui donne son titre au recueil. Elle est sur l’incommunicable entre mari et femme, la solitude personnelle de chacun, quoi que l’on fasse. Une épouse se rend en cachette au bal de l’Opéra où chacun est déguisé ; son mari qui s’y rend clandestinement aussi, croit la reconnaître et la suit, jaloux des rencontres qu’elle peut faire, mais elle papillonne, suit son instinct et son désir, embrasse un très jeune homme, ne conclut pas.

Les autres nouvelles se déclinent sur le même thème, le chagrin d’être quitté dans l’Aube, la trahison dans Un soir, la peur de l’épouse à découvrir La main de son homme et son pouce « destiné au meurtre », l’Autre femme où la nouvelle épousée rencontre au restaurant l’ex de son mari – et l’envie. Il y a la nostalgie, tel ce ministre qui embauche une vieille et laide sténo parce qu’elle se souvient du bled où tous deux ont grandi ; il y a le désir sans vergogne, comme cette vieille de soixante-dix ans qui découvre un Cambrioleur dans sa chambre et croit qu’il est venu voler sa vertu…

Il y a les assassins (Le Matin aimait les faits divers), dont l’un est heureux d’être arrêté, comparant cet instant de libération à sa première fois en amour ; l’Omelette où un jeune parisien en cavale après avoir tué sa harceleuse de maîtresse entre dans une auberge de campagne pour demander une omelette – mais avec tellement d’œufs que l’aubergiste un peu niaise prend peur et appelle le gendarme ; Le conseil où un jeune homme qui vient de tuer sa maîtresse suit l’avis d’un vieux sage qui passait dans la rue – croyant qu’il venait de se brouiller avec ses parents, il l’invite à rentrer à la maison pour faire la paix avec lui-même. Ou le Renard, où deux petit-bourgeois parisiens qui ont coutume de promener leurs animaux de compagnie sont à deux doigts de se sauter à la gorge – il faut dire que l’un apprivoisé un renard et l’autre deux poules…

Il y a l’ambivalence du désir, le Portrait où deux amies qui ont aimé le même homme découvrent qu’elles le méprisent ; Le paysage où un peintre qui veut mourir, quitté par sa maîtresse, peint une dernière toile et découvre que la vie est dans sa peinture, pas dans la femme ; Châ où le mari qui observer danser de petites cambodgiennes qui ont l’air de garçons, découvre que sa femme, qui vient d’organiser son rendez-vous avec le gouverneur, est un mâle manqué ; L’habitude où deux lesbiennes se séparent, la féminine regrettant la virile et leur passé.

Et puis les Demi-fous, ces gens que l’on rencontre toujours dans la rue, dans les magasins, à la poste, qui vous racontent n’importe quoi, délirent et divaguent, plus ou moins agressifs mais pas au point d’être enfermés.

Colette découvre la bête en l’humain, et la décrit en entomologiste. Ce moi clandestin fait un volume, la vie des bêtes que sont les hommes mais aussi les femmes, les premiers violents mais enfants, les secondes passives mais naïves. Cruelles vérités. Quelques pépites à découvrir.

Colette, La femme cachée (nouvelles), 1924, Folio 1974, 190 pages, €6,10

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Hitchcock, Histoires angoissantes

Vieilles histoires mais histoires éternelles de ruse pour obtenir plus de pouvoir, plus d’argent, plus d’amour. Histoires originales, où la ruse est reine, où l’inventivité prime, où parvenir à ses fins exige un plan… parfois déjoué par le destin ou par l’autre qui ne reste pas inerte.

Ce sont donc vingt nouvelles, tirées du Hitchcock Magazine, qui sont publiées sous le thème de l’angoisse.

C’est un couple de riches qui se jalousent et désirent tirer avantage de la mort de l’autre ; sauf que c’est réciproque et que leurs actes s’annulent jusqu’à s’inverser même. C’est un amnésique à l’hôpital qui se meurt de ne plus se souvenir de rien ; et un petit garçon blessé par une chute de son cheval survient et il découvre qu’il sait consoler. C’est un autre petit garçon qui appelle un soir la police, sa mère et son beau-père sont morts par balle au rez-de-chaussée ; lui voulait aller vivre avec son père mais on ne lui avait pas demandé son avis ; en pyjama, les pieds nus, son père appelé revient pour qu’il vive désormais avec lui ; le garçon n’emmène qu’une boite qui contient ses secrets. C’est une vieille dame abandonnée de tous, que ses enfants veulent mettre en maison de retraite, mais qui se prend de passion pour les violettes tropicales d’Afrique. C’est un jeune couple qui se fait agresser, la jeune épouse est violée, tuée, le jeune mari est menacé mais ne tente rien ; il reproche aux voisins dans ce lieu isolé qui n’ont ni arme, ni téléphone, mais une famille nombreuse, de ne pas les avoir aidés – mais à qui faut-il s’en prendre, sinon à lui-même ?

Ce sont deux chasseurs qui aiment la même serveuse dans les montagnes américaines ; un évadé dangereux rôde aux alentours et chacun se dit que, peut-être, son rival pourrait disparaître à cette occasion. C’est un mari qui prend par habitude des étudiants en stop ; justement en voilà un qui arbore le même logo que l’école dans laquelle il a fait ses études ; son couple va mal, et le crime est parfait. C’est un détenu pour faits mineurs qui croit s’évader en endossant les habits d’un autre, un témoin contre un mafieux ; sauf qu’il n’a pas songé aux conséquences, ni que la Mafia avait de l’imagination. C’est une vieille tante que son neveu voudrait voir disparaître pour claquer l’héritage ; il imagine un piège diabolique qui a pour centre la salle de bain, mais c’est sans compter l’amitié de la vieille avec les enfants du coin et leur savoir scout en matière de morse. C’est une petite fille qui veut se tuer parce qu’elle n’aime pas son beau-père et que sa mère en est emprise ; elle fugue incognito et lorsqu’elle revient, le beau-père est déjà arrêté sur la foi de la lettre laissée par la gamine disant qu’il avait l’intention de la tuer ; la mère en profite. C’est une épouse qui veut divorcer aux torts de son mari qui a une maîtresse ; mais le mari est plus subtil qu’elle et inverse les rôles, se débarrassant à la fois d’elle et d’une maîtresse chanteuse.

C’est un soldat durant la guerre de Corée qui reconnaît un autre homme qui avait agressé, des années auparavant, un vieillard dans un parc et l’avait tué ; il l’avait à peine vu mais l’a reconnu mais, imbécile comme un naïf, il croit qu’il suffit de révéler la vérité pour que tout rentre dans l’ordre moral. C’est un tueur qui vient déclarer ses revenus pour établir ses impôts ; le fonctionnaire lui dit qu’il est illégal d’être « tueur » et qu’il devrait le dénoncer ; commence alors une série de passes d’armes juridiques pour finir par un bel et bon chantage. C’est un malade à l’hôpital qui entend dans le sommeil de son voisin peu avenant une réminiscence d’un meurtre ; il a le tort d’en parler et doit être opéré… justement par le nom qui fut cité dans le rêve de l’autre. C’est encore un jeune flambeur qui voit de l’argent tomber du ciel, un portefeuille très garni du haut d’un immeuble ; il s’en empare mais une fille le retrouve et lui révèle qu’il appartient à un type dangereux, lequel va tenter de le tuer en effet, mais tout se termine bien – même mieux que prévu : aide-toi, le ciel t’aidera. C’est un ouvrier qui travaille de nuit et dont la bonne femme ne fout rien, il doit l’aider pour tout, les courses, les déjeuners, les enfants ; il s’épuise et décide d’en finir avec cette existence d’esclave pour – enfin – pouvoir dormir. C’est un avocat qui a durant deux ans été procureur dans un État sans peine de mort et a fait condamner un meurtrier qui le suit dans les montagnes et le retrouve ; il tire et le blesse au ventre, jouissant de le voir crever à petit feu ; mais l’avocat veut le voir puni et le dénoncer là où il faut, dans un État où la peine de mort existe ; il arrive par un effort surhumain à enfourcher un radeau construit par des scouts et à se laisser dériver jusqu’à la frontière requise où il dénoncera le crime. C’est un auteur qui se repose aux Caraïbes et qui rencontre un vieil indigène adepte de l’alectryomancie – la prévision d’avenir par les graines représentant des lettres que picore un coq attaché ; il ne croit pas à ces fariboles mais le coq, interrogé trois fois (comme Pierre devant le Christ arrêté), désigne par trois fois le mot « mort », cela ne peut que mal finir.

Hitchcock, Histoires angoissantes, 1961, Livre de poche 1988, 319 pages, occasion €1,20

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Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret

Cinq nouvelles policières dont la première, qui donne son titre au recueil, est à elle seule un petit roman. C’est à chaque fois un délice, le suspense est bien amené et la « chute » brutale. Difficile de commenter sans dévoiler, aussi n’en dirai-je que peu.

Le fantôme de Lady Margaret se passe pour une fois en Angleterre. Judith est une jeune veuve qui a déjà publié des romans historiques à succès (un double de l’autrice). Adoptée petite par un couple de diplomates américains en poste à Londres après qu’elle ait été retrouvée seule, errante, après un bombardement de V1 en 1944, et que quatre ans d’enquête n’aient pas permis de retrouver ni son nom, ni sa famille, elle revient à la capitale britannique pour se documenter sur la période de Charles 1er et de Charles II, sur laquelle elle écrit. Elle se passionne, s’oublie parfois des heures dans son récit, laissant passer le temps. Son nouvel amant Stephen Hallett, rencontré dans un cocktail, est Member of the Parliament, conservateur, et pressenti pour devenir le prochain Premier ministre lorsque la Dame en poste se résignera à partir, après dix ans de bons et loyaux services (je pense qu’il s’agit d’une Margaret). Judith est très amoureuse mais son prénom la prédestine à revivre ce qui se passait six siècles avant Jésus lorsque la belle juive a pris la tête du gros fendard Holopherne, envoyé par Nabucho. En voulant retrouver ses souvenirs d’enfance bloqués, Judith régresse au point d’être envahie par une personnalité historique, Lady Margaret Carew, ennemie de sir Stephen Hallett, sbire du roi Charles qui a tué son fils Vincent. Et d’étranges attentats en plein Londres surviennent à intervalles réguliers. On pressent que tout cela va mal finir.

Terreur sur le campus est l’histoire d’un enlèvement d’une jeune fille bien sous tous rapports par un loser du lycée, laid et niais, qui en pinçait pour elle mais était maintenu à l’écart, harcelé et moqué. En bref, il fantasme et se venge.

Un jour de chance est machiavélique : une jeune femme, comme toujours chez Clark, est très amoureuse de son mec mais celui-ci ne parvient jamais à garder un poste de vendeur d’obligations dans les grandes firmes de Wall Street, métier qui l’ennuie. Il vient d’être viré d’une boite – Merrill Lynch, pas moins – et n’ose guère l’annoncer à sa femme qui, elle, enchaîne les petits boulots. Elle croise chaque matin un vieux qui aide à la vente de journaux et qui lui annonce qu’aujourd’hui sera son jour de chance. Il joue à la loterie. Il annonce qu’il viendra dîner avec eux, car elle l’invite parfois, pour leur annoncer une nouvelle. Le soir venu, personne : ni mari, ni vieux. Le mari rentre très en retard, mouillé, crevé, et annonce qu’il doit lui dire quelque chose de très important, mais le vieux n’apparaît pas. Il prime : la jeune femme téléphone à la police, aux hôpitaux, part à sa recherche. De fait, le vieux a été agressé et dépouillé, emmené à l’hôpital, il se meurt. Avait-il gagné à la loterie ? Et que devait dire le mari de si important ? Le lecteur croit que… d’ailleurs la jeune femme découvre… mais pas du tout ! C’est pire et plus dérisoire. Du grand art de la nouvelle.

L’une pour l’autre est l’histoire d’une confusion entre jumelles. Le tueur est jaloux d’avoir été évincé d’un rôle de jeune premier à la pièce du lycée – qui a valu à son remplaçant un contrat d’acteur télévisé en or. Après des années de galère, il trouve la metteuse en scène qui l’a viré sur un magazine et la tue. Mais il zigouille l’une en croyant que c’est l’autre, puis s’en aperçoit trop tard et tente de bisser son acte. Sauf que tout ne se passe pas aussi bien que la première fois. Celle qu’il a tuée était-elle finalement la bonne ? Est-ce une ruse de celle qui reste pour gagner du temps ? Désorienté, déstabilisé, le tueur s’égare. Mais il est déterminé.

L’ange perdu est une petite fille de 4 ans. Elle a été enlevée par son père qui est un escroc et sa mère la cherche désespérément. Elle la retrouve brusquement en photo dans un magazine, jeune modèle qui joue un ange pour le numéro de Noël. De fil en aiguille, elle remonte la piste et trouve la ville, l’adresse, la description d’une femme qui l’accompagnait. Elle se rend sur les lieux, invite la police, et entreprend de traquer les kidnappeurs, dont son mari toujours escroc et sa nouvelle, qui s’apprêtaient à fuir aux Bahamas. Mais la petite est intelligente, aimant sa mère et a bonne mémoire. Elle prend des initiatives.

Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret (The Anastasia Syndrome and other stories), 1989, Livre de poche 1994, 313 pages, €7,30

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Rémi Karnauch, Derrière la vitre rien ne passe

Rémi Karnauch a de la verve, il n’a pas peur des mots, ni de les choisir avec soin. Rémi Karnauch a du style, il n’a pas peur de changer de façon de dire, de s’adapter à son personnage. Ses 11 nouvelles (pourquoi pas 12, chiffre symbolique?) le prouvent.

Elles disent les ambiguïtés des gens, souvent un ambigu tragique plus qu’un ambigu comique. Chacun reste sur le fil du rasoir, sans savoir si ce qu’il vit est du lard ou du cochon, emporté par ce qu’il est et ce qui survient.

Rien d’étonnant à ce que le thème principal soit celui du vampirisme, le chacun pour soi qui aspire le meilleur de l’autre, volontairement ou contraint.

Hossanah est un musicien génial qui vampirise son interprète génial – mais chacun son domaine, la partition ou le piano, la création ou l’exécution.

Rien ne passe met en scène une sœur qui bavarde dans sa tête tandis que sa sœur bavarde devant tout le monde – qui vampirise l’autre et les autres ?

Vous dormirez dans mes nuits est la volonté de la vamp passive, celle qui absorbe ses soupirants éperdus, les suce jusqu’à leur dernière moelle.

Sémiologie hâtive d’une petite culotte prend le ton docte et jargonnant du psy lacanien, vampirisé par ses concepts et son langage ; il veut voir du signifiant partout, alors que son slip est tout simplement tombé sur le balcon de sa voisine, poussé par le vent. Une grande ironie.

La souche est plutôt l’anti-vampire, celle qui se rend passive jusqu’à l’extrême pour échapper aux autres, et même à ce qui survient. Ce pourquoi le « gitan » qui passait par là est devenu homme à tout faire de la ferme isolée puis bouillotte dans le lit pour deux, puis amant. Jusqu’à ce qu’un voisin serviable et énergique s’installe dans le coin, quel malheur, il va falloir tout recommencer pour ne pas se laisser vampiriser.

Sur le motif est le peintre qui pénètre son modèle par les instruments et actes de son art, plutôt que d’en se pénétrer ; un grand moment d’humour.

L’amitié est l’esclavage moderne du grand patron qui fait ce qu’il veut de ses employés, élevant celui-ci, rabaissant cet autre. Il les vampirise jusqu’à coucher à trois dans un lit pour une partouze excitante, jusqu’à les jeter comme un kleenex usagé dès qu’ils manifestent quelque réticence individuelle. Tout cela au nom du chantage à « l’amitié », ce faux-semblant anglo-saxon des relations de pouvoir. Les « amis » des patrons sont tout aussi peu amicaux que ceux des réseaux sociaux – de simples relations contingentes.

Derrière la vitre est l’emprise du « musée » sur le corps momifié d’un « sauvage », la vampirisation culturelle et touristique de la momie.

Double jeu est la vampirisation de jumeaux qui ne peuvent jouir qu’ensemble, mais pas entre eux. Manipuler l’un est faire gonfler l’autre et la fille doit se partager sans savoir qui elle « aime », utilisée comme instrument du plaisir.

Le relais évoque de vrais vampires, de ceux qui vivent loin dans des contrées ignorées et sauvages. Ils captent et absorbent ceux qui passent à leur portée et les convertissent à leurs mœurs. Une expédition d’un professeur et de son jeune assistant, partie sur les traces d’un ami disparu, se termine par l’inversion du jeune et la conversion du vieux – une métaphore de mœurs interdites ?

Transfusions est le vampirisme de l’amour qui passe par la piqûre de donneur de sang. Le postier tombe amoureux de l’infirmière, une fille des îles vaguement vaudou. Il est contaminé. Il drague sans y penser et le voilà pris.

Rémi Karnauch, Derrière la vitre rien ne passe (Nouvelles), 2023, PhB éditions, 157 pages, €12,00

Les livres de Rémi Karauch diffusés sur Amazon.fr

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Bernard Clavel, L’espion aux yeux verts

Neuf nouvelles très inégales dont celle qui donne le titre n’est pas la meilleure. Il s’agit d’une paranoïa sénile avec un chat comme interlocuteur. Légion, Le fouet, L’homme au manteau de cuir, Le soldat Ramillot, sont nettement meilleures. Mais Clavel n’est pas nouvelliste, il est plutôt conteur. Rien ne vaut mieux que lorsqu’il raconte une histoire.

Celle d’un homme en retraite après 25 ans de légion, qui erre à travers le pays car il y a toujours une route qui mène quelque part. Sauf, justement, dans le village de moyenne montagne où il échoue, quelque part dans le Jura. La route se perd en chemins, puis rien, que la forêt, la falaise ensuite, l’à pic. Cela le turlupine. Au point d’en jouer sa vie, juste pour savoir ce qu’il y a au-delà.

Celle d’un ancien nazi dans la SS des camps, virtuose du fouet, qui n’aimait rien tant que lacérer morceau par morceau ses prisonniers, leur arrachant un œil, une pointe de sein, avant de les fouetter à mort. Il s’est reconverti après-guerre dans un cirque itinérant. Un Polonais rescapé des camps le reconnaît. Que va-t-il faire ?

Celle d’un commandant en tournée d’inspection, incognito, déguisé en civil à moto, qui demande refuge dans un poste de guet. Ce que le règlement interdit à tout civil, et même aux militaires non autorisés. Mais que le sergent qui commande permet, vu le temps exécrable, la pluie glacée. La bienveillance humaine de son accueil fait que le commandant passe, s’arrête, se réchauffe et boit la goutte, mais n’est jamais venu.

Celle d’un jeune soldat de 20 ans prêté aux foins à une paysanne mûre et qui l’aide à rentrer le fourrage à la grange avant l’orage qui monte. Ils travaillent de concert, ils connaissent le métier, ils s’accordent et se baisent. Jusqu’à ce que le mari rentre à la nuit noire, juste pour prendre une ridelle pour son tracteur en panne qu’il loue alentour. Sautant du lit, le soldat se cache dans le foin, torse nu et pieds nus, et rencontre une vipère, lubrique elle aussi.

Nous sommes dans la simplicité paysanne, dans le monde « d’avant » (la guerre, la modernité, l’urbanisation, la télé). Une nostalgie qui n’est plus ce qu’elle était dans les années 1960 et 70, alors que l’écrivain plaisait à toute une frange de vieux qui avaient connu ça. Mais qui ne dit plus rien à personne de moins de 60 ans aujourd’hui. Sauf que cette époque revient, régression du progrès avec le climat, l’énergie, la dépendance alimentaire… Peut-être faudrait-il s’intéresser de nouveau à ce monde « d’avant » ?

Bernard Clavel, L’espion aux yeux verts – nouvelles, 1969, J’ai lu 1999, € 3,70 e-book Kindle €7,99

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Haruki Murakami, Des hommes sans femmes

Les cinq nouvelles ici recueillies sont, comme toujours chez Murakami, des romans avortés ou en germe. Des bouts d’histoires qui commencent mais ne se poursuivent pas. Elles se terminent parfois abruptement, le suspense organisé faisant chute. Le thème en est les hommes seuls.

« Il est très facile de devenir des hommes sans femmes. On a juste besoin d’aimer profondément une femme et que celle-ci disparaisse ensuite » p.278. La solitude, dès lors, vous pénètre à jamais, comme un changement de couleurs des choses. Tout s’éprouve différemment, comme un deuil.

Un acteur qui perd la vue et a eu un petit accident de voiture doit louer un chauffeur pour l’emmener ponctuellement au théâtre et le ramener, tard le soir. Le garagiste auquel il le demande lui propose une chauffeuse (ainsi néologisent les féministes). La fille se prénomme Misaki et est originale. Silencieuse, très professionnelle, elle aime conduire en souplesse. Lors d’une rare question, elle lui demande s’il n’a pas d’ami depuis qu’il est veuf. L’occasion pour l’acteur Kafuku, pris par son travail, d’évoquer le seul ami qu’il ait eu : l’ex-amant de sa femme. Il a voulu le rencontrer, pour parler ; il s’est aperçu qu’ils partageaient du chagrin. Tous deux n’ont pas perçu en l’épouse décédée « quelque chose d’important ». Ils s’en rendent compte mutuellement, cela les apaise ; ils ne se revoient jamais.

Le narrateur a un copain appelé Kitaru, le seul Tokyoïte à avoir appris le parler du Kansaï et le parler, allant même jusqu’à traduire Yesterday, la chanson des Beatles, en dialecte provincial. Il a une petite amie depuis l’enfance, elle est entrée à l’université mais lui n’a pas réussi le concours et est censé prendre des cours dans une école privée pour y parvenir. Mais cela ne l’intéresse pas, pas plus d’ailleurs que d’ « aller jusqu’au bout » avec son amie. Il propose à Tanimura (l’anagramme de Murakami avec un t en place du k) de sortir avec elle puisqu’ils sont ensemble dans la même université et qu’il préférerait qu’elle sorte avec un qu’il connaît. Elle est probablement la femme de sa vie, mais Kitaru a peur du destin trop bien organisé, du parfait petit couple qu’ils forment depuis toujours. Evidemment la fille s’éloigne et Kitaru s’exile ; il est devenu cet homme sans femme qui aura toujours la nostalgie de cette moitié qu’il n’a pas acceptée.

Le docteur Tokai, chirurgien plasticien, à 52 ans ne s’était jamais marié ; il avait en permanence trois ou quatre petites amies, en général casées, qu’il honorait tour à tour et comblait de prévenances. Et puis un jour, il est tombé amoureux de l’une d’elles, seize ans de moins que lui. Mais cette moitié-là était intéressée ; elle l’a pressuré en mimant l’amour puis est partie en emportant les cadeaux, l’argent, et en laissant en outre son mari et son fils. Elle a voulu égoïstement vivre avec un nouvel amant plus jeune et plus frustre, ce qui ne devait pas durer. Mais le Dr Tokai s’est laissé mourir, littéralement : il ne mangeait plus, ne se soignait plus, ne travaillait plus. C’est son secrétaire au cabinet médical, un (beau jeune) gay de 35 ans, qui l’a découvert mourant et en a parlé à cet ami de sport qu’est le narrateur. Le Dr Tokai était un homme bien, la seule façon d’honorer sa mémoire et de prolonger son souvenir était d’écrire cette histoire vraie, en changeant les noms et les lieux. Murakami l’a fait.

Shéhérazade est une infirmière consciencieuse qui vient s’occuper chaque jour d’un homme qui ne peut pas sortir (le lecteur ne saura pas pourquoi). Elle lui fait ses courses, la cuisine, le ménage, l’amour. Car elle pousse la conscience professionnelle jusque-là. Elle aime en fait raconter des histoires sur l’oreiller, comme Shéhérazade dans les Contes des mille et une nuits. Ainsi qu’elle était amoureuse à 17 ans d’un garçon de sa classe, athlétique footballeur bon dans les études, mais qui ne la regardait même pas. Elle s’est introduite chez lui (les maisons japonaises sont mal sécurisées, la clé souvent sous le paillasson ou dans un pot de fleurs) et a fantasmé sur un crayon qu’il avait utilisé puis sur un tee-shirt qui gardait son odeur. Elle a laissé un Tampax (neuf) puis quelques cheveux. La mère du garçon, femme obsessionnelle de l’ordre et du rangement, a dû s’en apercevoir car elle a fait changer les serrures et disparaître la clé. Bien plus tard, Shéhérazade a revu ce garçon adulte, mais… la nouvelle s’arrête là. Il est aussi des femmes sans hommes.

Le bar de Kino est une activité que le narrateur propriétaire (Kino) s’est donnée après avoir découvert sa femme et son amant nus dans le lit de son propre appartement. Il a divorcé, tout quitté, s’est refait une existence dans ce bar anciennement salon de thé tenu par sa tante, désormais à la retraite. C’est un lieu intime, isolé, où des habitués viennent progressivement s’agréger. Mais une chatte sauvage apparaît et disparaît, des serpents envahissent le jardin. Il est « conseillé » à Kino de s’éloigner quelque temps de la part d’un habitué mystérieux qui prend toujours un whisky à l’eau après une bière. Kino n’a pas été suffisamment blessé lorsqu’il aurait dû l’être lorsque sa femme l’a trompé, il est devenu un homme qui n’a plus d’existence. Il devrait savoir oublier l’épouse qui l’a trahie, et pardonner, à elle comme à lui, pour ne pas demeurer éternellement cet homme sans femme qui la cherche un peu partout dans toutes celles qui passent.

Les deux dernières nouvelles sont de moindre qualité mais la dernière théorise ce monde des « hommes sans femmes ». Murakami n’est jamais bien à l’aise avec les théories, lui qui écrit simple. Mais le recueil vaut  son pesant poétique de réflexions sur l’amour, l’attrait des êtres entre eux, la complexité des existences.

Haruki Murakami, Des hommes sans femmes, 2013-2014, 10-18 2017, 285 pages, €7.50 e-book Kindle €12.99

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Amal Bakkar, Les perles du Tao

« Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre » dit Lao Tseu en incipit. Ces quatre nouvelles y répondent ; elles portent sur la femme : épouse, mère ou fille.

Elles explorent la difficulté des relations quand on vient d’un pays différent et que l’on porte sa couleur sur sa peau, le Mali par exemple. Ou que le choc des cultures se révèle inconciliable, tel l’islam avec la république, du moins cet islam dérivé, dégradé, intégriste, qui fait la fierté des mauvais, des faibles et des perdants. Ou que l’histoire familiale soit tissée de non-dits qui deviennent insupportables, non que « la vérité » soit la solution miracle par elle-même, mais la sincérité des paroles, oui.

Relève-toi, Majda ! Surmonte ton père, Maki ! Découvre ta mère, Majda ! Ecris pour tromper le cancer, Hélène !

Majda est marocaine immigrée de seconde génération et épouse un Yohan blond aux yeux bleus, commercial qui voyage au Liban, en Jordanie, au Yémen, en Algérie et se prend de passion pour la religion musulmane – au point d’être « fiché S » pour radicalisme. Le lecteur trouve cependant un peu bizarre qu’il aille tous les jours à la mosquée mais que l’autrice affirme sans sourciller « qu’il boit un coup de trop à l’apéro » p.18. Imposer le voile à sa femme et la traiter en serpillère n’est pas un commandement ; éviter l’alcool et tout ce qui endort la vigilance de l’esprit, si. Majda reste mariée cinq ans et passe trois ans au Palais de la Femme, centre d’hébergement pour femmes battues à Paris, d’où elle parvient à divorcer et à retourner au Maroc où, selon l’autrice un peu optimiste, « Tout est ouvert. La tolérance et le respect y règnent » p.20. Je connais le pays, il n’est pas si parfait…

Maki et Saya sont fils et fille d’un couple de Maliens immigrés qui végètent dans de petits boulots d’esclaves. Maki choisit le théâtre, Saya médecine, ils réussissent parfaitement leur intégration. Mais le père vieillit, s’aigrit, jalouse leur bonne fortune. Avare parce qu’il a trop manqué, il n’est jamais content de l’argent que ses enfants lui donnent – lui doivent. Maki tente la drogue puis le suicide malgré une épouse et un enfant qui naît. Il se rate, le père se repent.

Une femme est la fille du père de sa mère Zoubida. Drame du non-dit, sa mère ne veut pas parler. Et puis elle jure que si.

Une autre, Hélène, fantasme que son mari Antonio la trompe avec sa sœur Angela. En fait, c’est le cancer. Ecrire pour échapper à la tristesse est le remède complémentaire à la chimio. Ce qui justifie Lao Tseu.

Toujours une fin heureuse à des histoires misérables. D’un optimisme ancré qui donne du bonheur, l’autrice franco-marocaine utilise son expérience d’assistante en ressources humaines pour écrire ces histoires, issues du vrai. Elle est mère de deux enfants, Issa et Tino, et se dit « femme épanouie ». Ses thèmes sont intéressants et pile dans l’actualité, mais bruts de décoffrage. Il s’agit de canevas qui devraient être enrichis de psychologie et d’action pour donner à chaque fois un portrait qui permette d’adhérer aux personnages. Mais l’autrice a su éviter l’écueil du politiquement correct et de la complainte woke, ce qui est clairement à encourager.

Amal Bakkar, Les perles du Tao, 2021, Editions Claire Lorrain, 50 pages, €17.00

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Denis Marquet, Dernières nouvelles de Babylone

Babylone, ville antique de Mésopotamie, est réputée dans la Bible pour sa ziggurat – la tour de Babel. Cette tour qui s’élevait en spirale vers le ciel est devenue un mythe de l’orgueil humain, du cosmopolitisme des langues et de la dépravation causée par la promiscuité des villes. Denis Marquet, philosophe et psychothérapeute chrétien, en fait le marqueur de ses nouvelles sur l’humanité d’aujourd’hui.

Pour lui, nous sommes dans l’impasse. En témoignent ses 22 nouvelles, dont certaines ne font qu’à peine une ligne, la première étant « le sens de l’existence » tandis que la dernière sonne « la fin du récit ». Il s’agit du quotidien, énoncé d’un ton badin, interpellant le lecteur. Une conversation à base de contes ou de faits divers qui exposent le pire et le meilleur, des bons sentiments bêtes à pleurer (« une bonne action ») au penser par soi-même le plus affiné (« la dernière de Norbert »).

Si l’imprévu est certain d’arriver, il n’y a pas de hasard quand deux amies d’enfance se retrouvent amoureuses… du même homme. Mais ce qui est prévu n’arrive pas toujours, comme ce « bébé éprouvante – chronique du dernier homme » aux caractères tellement bien choisis par maman (à son image) qu’il est devenu chieur et pleurard (comme elle ?) et renvoyé à l’entreprise de génétique qui l’a conçu. Un chien robot qui fait ce qu’on lui dit de faire est tellement plus amusant, n’est-ce pas ? Seul le papa semble un tantinet déçu, il commençait à s’attacher à son bébé fille, mais le féminisme commande, n’est-ce pas ?

Au bout du tunnel cependant, la lumière : tout n’est pas noir dans l’humanité, contrairement à ce que croient les pessimistes. « Petites causes » montre leurs grands effets ; il suffit qu’une insulte se change en sourire pour que la face du monde en soit changée… parfois. « Une rose » déposée par hasard dans une boite aux lettres par une petite fille de 7 ans peut susciter l’amour entre deux êtres fermés sur eux-mêmes par habitude et dérision.

Le lecteur sort de ces nouvelles douces amères différent que lorsqu’il y est entré. Ne cherchez pas un message philosophique, il est tout simplement humain. L’homme est la meilleure et la pire des choses ; quant aux femmes, n’en parlons pas : « Lorsqu’Eve prit conscience que toutes ses représentations finissaient par se réaliser, elle prit peur. Alors, ce fut pire » (p.167). L’ironie n’est jamais absente de la réflexion sur le sens de la vie, même si le récit n’est jamais qu’une idée de soi-même.

Denis Marquet, Dernières nouvelles de Babylone, 2021, Aluna éditions (31 Muret), 187 pages, €17.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Les autres œuvres de Denis Marquet

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Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent

Deux nouvelles dont une courte sur l’expérience de mort imminente, pas la meilleure car trop didactique. Mais l’auteur s’en tire avec une pirouette à la fin.

La plus intéressante, Zoël et ses pères, fait 85 pages, soit 70% du recueil. Elle met en scènes les conséquences (inattendues) de l’exigence de transparence pour les donneurs biologiques de sperme.

Zoël est un garçon de 16 ans qui a des doutes sur ses origines parce que ses parents – qui l’aiment – parlent toujours de ses succès en se référant à la famille de sa mère mais jamais en comparaison avec son père, ce qui est curieux. Personne ne lui a dit qu’il était né d’un donneur de banque, à Los Angeles pour être plus précis, car la législation était plus libérale vingt ans auparavant en Californie que dans le vieux pays catholique engoncé dans son juridisme bureaucratique qu’est la France.

L’auteur élimine d’emblée les problèmes familiaux, le couple est sans histoire, avec deux filles après Zoël ; tout le monde s’aime bien. Mais la quête de l’intelligent aîné, poussée par la mode de la transparence pour tout et rien, va perturber l’équilibre longuement acquis. Le père officiel se sent diminué, renvoyé à son impuissance spermatique, fin de race d’une lignée d’aristos portant un nom. La mère se sent pousser des ailes, elle a tout décidé, choisi les critères du géniteur sur catalogue (blond, intelligent, artiste, sportif…). Le fils se découvre un nouveau père, justement dans le domaine professionnel qu’il affectionne, le cinéma, dont il veut faire son métier.

Mais qu’en dira-t-on ? Dans la famille collet monté, dans la société où les « amis » vont jaser, à l’école, auprès des filles ? D’ailleurs, le père des filles est-il leur père ? Non, bien-sûr – et elles, qui n’ont rien demandé, vont devoir vivre avec cette révélation. Du côté du père biologique, Victor, trouver un fils supplémentaire seize ans après est plutôt flatteur, une curiosité, mais du côté de sa femme et de ses fils, cela pose question. D’autant que l’épouse se sent flouée de ne pas avoir été mise au courant de ces dons de sperme aux Etats-Unis et de l’autorisation donnée aussi à ce que le géniteur puisse être un jour contacté. Journaliste d’investigation, elle veut en écrire une enquête en forme de scoop, ce qui est plutôt gênant pour tout le monde !

L’auteur, qui affectionne de façon manifeste les retournements de situation, va conclure sans conclure. Car il affectionne aussi de poser les problèmes sans les résoudre, laissant à chacun la réflexion ouverte. Il n’est certainement pas un « écrivain engagé ».

Mais il est vrai que toutes ces manipulations sociales sur la procréation, PMA, GPA, eugénisme euphémisé des banques de sperme ou d’ovocytes, opérations transgenres, obligent à la recomposition par étape des familles. Elles ne sont pas faites pour l’équilibre mental des enfants, ni pour une stabilité affective et éducative des couples. Les apprentis sorciers du « j’ai l’droit », qui savent tout mieux que tous leurs ancêtres, jouent avec la génétique et l’enfance comme aux dés. Juste pour voir. Juste pour le plaisir. Car le « droit » individuel est devenu sacré et les désirs des ordres. La société occidentale, menée par le consumérisme libertarien américain, génère des citoyens qui trépignent comme des gamins de 2 ans : « moi je », « moi d’abord », « moi aussi » ! Comme s’ils étaient sûrs d’avoir « le choix » de leur destin… Ils n’ont jamais lu Darwin, ni Nietzsche, ni Marx, ni Freud – ni même Bourdieu ! Ils sont conditionnés, ils sont cons tout court de ne pas le soupçonner à l’ère pourtant universelle du soupçon des com(plots).

Quant aux masses démographiques d’autres continents, elles guettent l’instant propice où le suicide collectif fournira l’occasion d’imposer « leur » culture, « leurs » mœurs, « leur » vision du monde. A nos dépens – mais ce sera tant pis pour nos descendants avides d’égoïstes « droits » particuliers. L’auteur se garde bien d’aller jusque-là, trop mainstream comme ancien pubard pour l’oser. Mais il pose avec ironie les bonnes questions.

Joaquin Scalbert, Nouvelles du temps présent – Archives du lendemain, éditions Douin, 2021, 123 pages, €14.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable

Seize nouvelles contre le monde tel qu’il va, brossées parfois avec, d’autres fois en pastiche du pesant.

La première nouvelle donne le ton et le titre du recueil. Le narrateur se bat avec son portable – un ordinateur – qui fait au fond ce qu’il veut : se recycle tout seul en mises à jour, réclame à manger (de l’énergie), se met en sommeil quand il en a besoin, use subrepticement de « l’infrarouge » pour se recharger (jamais entendu parler !), fait évader sur le cloud tous les fichiers en cas de panne imminente… Il s’agit d’informatique à l’ancienne car le mien, de portable, ne fait pas tout ça si je ne l’ai pas formaté à le faire : mon Wifi est déconnectable, Firefox ne piste pas les recherches si on le paramètre, le moteur Qwant ne recueille aucune information, le cloud n’est absolument pas accessible malgré soi, et ainsi de suite. Mais le message est clair, les machines ont leur volonté obstinée et l’humain doit rester vigilant… sous peine de se transformer en cyborg (dans une autre nouvelle, ce que certains prendront pour une bonne nouvelle – moi pas).

Quant aux modes et lubies du siècle commençant, la course à pied, l’énergie « verte » des éoliennes, l’agriculture réglementée à Bruxelles tout comme la prostitution, les lobbies à la manœuvre (même pour le sexe !), la « domination » subtile des cercles raisonnables du nord européen, le besoin intello de « s’exprimer » par la littérature, le ressentiment victimaire des racisés du « woke » (j’y entends une inversion du chaudron où l’on faisait cuire les missionnaires dans certaines tribus – wok/woke) – ce sont bien des inepties de la comédie humaine. Des girouettes du temps, qui tourneront quand le vent tournera où quand les gens intelligents cesseront de leur prêter une quelconque attention. De quoi en attendant se réfugier dans la solitude sociale et le virtuel absolu, tels ces « hikikomoris » japonais, ou de prendre pour écrire des pseudonymes ou des hétéronymes. La tentation du désert… ou devenir ghostwriter – auteur fantôme, personnage créé, image de soi à distance, écrivant qui n’écrit pas vain.

Les racisés investissent les campus américains de leur vertu toute neuve, comme si le monde était né avec eux. Ils font resurgir le racisme, qui s’était éloigné durant des décennies avec « la croissance ». Car, de deux choses l’une :

  • ou le racisme est un fléau de l’humanité qui engendre la haine des autres et de soi, et il doit être combattu par l’éducation, la promotion sociale, la tolérance civique et la bienveillance envers les différences (c’est la voie que j’ai retenue durant ma courte vie) – et pas par l’invective, la honte et le retrait choqué ;
  • ou le racisme n’existe pas et il renait par les négro-américains, et il est alors inutile de s’en sentir coupable. Si le ressentiment de descendant d’esclaves s’intronise au présent, au lieu de chercher à briser les esclavages modernes – réseaux sociaux, smartphone addiction, travail minuté Amazon ou MacDo, règles juridiques absconses, novlangue sans aucun sens – alors il est inutile de polémiquer ni même d’y prêter attention. Chacun chez soi et basta !

Aucune honte à être mâle, blanc, de plus de 50 ans car c’est comme ça – efforcez-vous plutôt (comme les Chinois) d’être fiers de ce que vous réalisez. Mais ne venez pas me chercher noise, vous serez reçu. La nouvelle Equité et inclusion est d’une rare satire à cet égard, bien réjouissante.

Lawrence Simiane, Loyauté d’un portable, 2021, PhB éditions, 144 pages, €12.00

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Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou

Cinq nouvelles neuves pour la chatte détective, assistante d’attachée de presse parisienne. Qui a dit qu’il n’y avait pas de chat policier ? Cocteau, qui affirmait que son nom n’était pas le pluriel de cocktail, en jugeait d’après les minets qui l’entouraient, tandis que les flics de son copain Genet étaient plutôt des chiens. Mais cette boutade est infirmée par Christian de Moliner lorsqu’il met en scène avec subtilité l’art et la manière, pour une chatte observatrice et aimante, de communiquer avec les humains.

Ce n’est pas simple mais lorsqu’un certain Pierre envoie chaque mois des roses rouges à sa maitresse sans dire qui il est, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout lorsque la dernière carte comporte deux points d’exclamation. Qui se cache derrière ce prénom anonyme ? Un auteur ? Un admirateur ? Un dragueur ? Un sérial killer ? Jasmine a une idée et si Catou est son nom – le chat en occitan – son prénom est bien le sien. Quant au lecteur averti, il apprend page 26 que Pierre Ména..rd « aime les hommes ». Chat alors !

Lorsque sa « maman » voyage, c’est un ami dans la dèche qui la garde à l’appartement de Saint-Germain-des-Prés : son parrain. Mais ne voilà-t-il pas que, de retour des Indes, ledit parrain s’effondre dans l’escalier cinq minutes après avoir bu un thé vert chez maman ? Le docteur du rez-de-chaussée constate un empoisonnement, mais qui l’a fait ? Maman ne va-t-elle pas être accusée ? A Jasmine de se démener crocs et griffes pour dire ce qu’elle a vu et supputé.

Parrain disparu, marraine prend la suite : Armelle, l’amie de maman. Mais lorsqu’elle doit s’absenter pour faire quand même quelques courses, des cambrioleurs percent la serrure pour voler l’appartement. Jasmine a fort à faire pour déplacer Gustave le gros chien bête et Mélodie la chatte rivale qui ne peut pas la sentir. Elle délivre gros bêta et réussit à sortir de l’appartement pour alerter une voisine. C’est qu’il n’est pas simple d’être chatte en charge des stupidités humaines !

P.A.V.E. sont les initiales (fictives, je vous rassure) d’un auteur bien connu de maman qui a eu du succès il y a une décennie (un tel auteur existe bien mais il n’a pas eu le prix Goncourt). Depuis, il est sec : les affres de la page blanche, le blocage sans remède, l’incapacité à placer un mot sur une page ou même une idée sur le fil. Il sollicite son ancienne maitresse pour qu’elle lui écrive un synopsis qu’il n’aura qu’à enrober de style afin de donner une suite à son roman d’amour à succès. Et surtout conserver la confortable avance de son éditeur sur cette suite qui ne passe pas. Encore une fois, Jasmine est à la manœuvre : elle a une idée. Un dé en ivoire et la télécommande pour afficher Amazon vont suffire à proposer un projet…

Que faire lorsqu’on est chatte seule à la maison, enfermée sans croquettes, et que maman ne revient toujours pas du cheval où elle va galoper un brin ? Un accident ? Un abandon ? Un amant subit ? Quelques coups de patte et un téléphone qui vibre, voilà juste assez pour que Jasmine se débrouille. L’amie de maman fait le reste pour elle. Ce n’était qu’un accident de trottinette, pas de quoi en faire un plat !

Primesautier, touchant, inventif, le style de ces nouvelles sans prétention fait passer un doux moment à ceux qui aiment les chats comme à ceux qui ne les connaissent pas encore. Car ces petites bêtes, réputées égoïstes et indépendantes, sont tout le contraire.

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou, 2021, éditions du Val, 89 pages, €10.50 e-book Kindle emprunt abonné

Les précédents exploits de Jasmine Catou sont rassemblés dans le volume Les enquêtes de Jasmine Catou, éditions du Val, 2020, €16.50 et même édités en anglais sous le titre Detective Jasmine Catou !

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jasmine Catou chroniquée sur ce blog

L’auteur et la chatte ont DEUX PAGES entières dans le magazine Matou Chat du mois de juin en vente en kiosque sur le net. Et peut-être bientôt sur PODCAT, chaîne YouTube !

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Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre

Dans ces 19 nouvelles, Sylvain Tesson agit en maître. Car la nouvelle est un art différent du roman ou du récit. Elle doit être courte, suggérer des personnages en quelques traits, les limiter à un nombre restreint pour ne pas disperser l’attention, planter un décor en quelques lignes – et inventer une chute qui ponctue le propos comme une friandise. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Les personnages sont tous d’aujourd’hui et ils agissent dans le monde, surtout en Europe, Russie incluse. Sylvain Tesson garde ancré en lui cet amour des grands espaces et du stoïcisme un brin mystique du peuple des steppes. Le destin n’est pas tendre en général et lorsqu’un personnage subit un coup du sort, Tesson en fait une nouvelle : va-t-il se battre ou va-t-il s’abandonner. Où est la sagesse en effet ? Lutter lorsque l’on n’y peut de toutes façons rien – ou tout simplement vivre, durer, subir – laisser faire ?

Ainsi de la jeune diplômée russe qui n’a aucun avenir et qui croit quitter une vie de chienne pour une vie de rêve en se mariant à un commercial français qui vit sur la côte d’Azur ; elle ne fait que quitter une prison pour une autre, restant tout aussi inerte, inutile, abandonnée (même si c’est au fond de sa faute : pourquoi ne veut-elle pas travailler ? prendre un amant ? participer à la vie locale ?). Ainsi de cet employé ex-soviétique qui se retire dans une cabane au bord d’un lac pour vivre naturellement, mais qui est rattrapé par la société en la personne d’une journaliste qui le décrit comme l’ermite sage, incitant les touristes à venir voir l’ours russe en saint reclus ; en faisant le pitre tout nu pour faire fuir les gens, il sera rattrapé par la société d’une autre façon, terminant dans la solitude la plus absolue, mais subie, à l’asile psychiatrique.

Il n’y a pas que des Russes, il y a aussi cette racaille mâle de banlieue française, irrécupérable sauf par Allah sous la forme d’un imam qui l’embrigade pour Daech en Syrie. Il se venge à distance au fusil Dragunov, comme sniper pour les déments de la charia. Justement, il reconnait au bout de sa lunette un ex-condisciple blanc blond devenu para : de quoi jouir à le dézinguer en éjaculant une balle à haute vitesse dans sa tronche jalousée – car il lui avait piqué une fille belle, blanche, libérée. Où Dieu va-t-il se nicher…

Mais il y a surtout les Russes que Sylvain, au prénom de forêt, affectionne par-dessus tout. Il n’hésite pas à toucher juste car l’ami est celui qui dit vrai. « Le pays n’a pas son pareil pour écraser l’existence » p.71, écrit-il du climat sibérien. « Ce génie des Russes pour saccager les choses » juge-t-il de l’architecture de Riga p.216. « Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée, face à ce qui advient », énonce-t-il du tempérament russe. C’est un mot typiquement russe, intraduisible en français p.219.

Noël n’est pas fêté à la même date qu’en Occident en Russie, d’où la méprise d’un expatrié qui croyait faire un cadeau à sa petite amie russe en arrivant déguisé dans sa famille le soir du 25 décembre. Noël dénaturé, Noël détourné, Noël marchandisé est celui de chez nous : « Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l’histoire de l’humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d’un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous un tombereau de cadeaux » p.226. Car il a le sens de la formule, Sylvain Tesson, la phrase ciselée fait mouche.

Je ne peux résister à l’envie de vous en citer une autre, bien parisienne, souvent vécue : « l’une de ces inaugurations de photoreportage dans les galeries de la rive gauche à Paris où des dames en vison buvaient du champagne devant des photos de négrillons assis sur le ventre gonflé de leur mère morte » p.229.

Le Desproges des steppes mérite d’être lu pour son regard acéré sur les travers humains.

Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre, 2014, Folio 2020, 244 pages, €8.10 e-book Kindle €7.99

Sylvain Tesson déjà chroniqué sur ce blog

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Bulbul Sharma, Mes sacrées tantes

Bulbul au prénom d’oiseau est une indienne peintre qui écrit. Née en 1952, après l’indépendance, elle observe avec un humour tout anglais les travers de sa propre société restée traditionaliste et empêtrée dans les rites. Elle en livre huit nouvelles dans ce recueil qui se lit à longs traits. Nous y découvrons par les yeux d’une femme une Inde percutée par la modernité introduite par les Anglais et qui effrite ses croyances et ses coutumes ancestrales.

Lorsqu’une matrone autoritaire doit aller voir son fils aîné qui ne peut venir en Inde par phobie de l’avion, c’est toute une histoire ! La souillure est sa principale angoisse tant une brahmane ne saurait côtoyer, frôler, boire ou manger ce que des êtres impurs ont touché de leurs sales mains.

Le mariage arrangé dès le plus jeune âge par les familles est source constante de quiproquos et de surprises, comme cette épouse plus grande que son mari de quinze bons centimètres une fois adulte. Ou la naïve qui ne sait pas se tenir dans sa belle-famille, sautant pour se retenir de tomber dans les bras de l’aîné de ses beaux-frères, ce qui ne se fait pas. Ou encore la fillette de 7 ans exilée de maman qui découvre son fiancé du même âge, bel enfant espiègle avec qui elle peut jouer et se cacher de l’acariâtre grand-mère qui régit la maison immense aux innombrables couloirs.

Quant aux tantes, elles sont un trio de sœurs soudées qui ne se le font pas dire et en rajoutent dans les anecdotes pour se présenter à leur avantage. Ainsi, lors d’un (toujours très long en Inde) voyage en train, toutes les maladies y passent : celles qu’elles ont eues, celles de la famille et des voisins, celles dont elles ont seulement entendu parler. La femme de médecin, assise dans le compartiment en face d’elles a du répondant et gagne leur respect, mais laborieusement.

Quand ce n’est pas la mère du mari qui commande la maison, c’est le mari lui-même, dans cette société patriarcale où le chef de famille est aussi prêtre hindouiste. Ainsi R.C. a-t-il dressé ses femelles (femme et fille) et ses gens à respecter rigoureusement l’horaire et les rituels du quotidien. Mais ne voilà-t-il pas qu’il se mêle de partir en vacances, à la moderne, dans la vieille auto Ambassador increvable que sa fonction juridique lui a permis d’acquérir ? Dès lors tout se délite, les femmes se libèrent… et le macho aussi, qui découvre sa propre liberté d’homme face au fleuve qui s’écoule comme le temps.

Parfois l’épouse quitte le mari pour s’en aller errer et se faite pute (on dit danseuse) ou nonne, les deux seules voies extrêmes de la liberté des femmes. La vie n’est pas simple dans un pays immense qui parle des centaines de langues et dont l’anglais – la langue du colonisateur – reste indispensable malgré qu’on en ait. La vie n’est pas simple dans l’intrication des traditions qui empêtrent toute initiative et encadrent strictement toute liberté. La vie n’est pas simple mais Bulbul s’en amuse en tant que femme. Et nous aussi.

Bulbul Sharma, Mes sacrées tantes, 1992-2006, Picquier poche 2009, 263 pages, €8.10

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Hervé Bazin, Le bureau des mariages

L’art de la nouvelle est un art à part entière. Il ne suffit pas d’écrire une histoire courte pour créer une nouvelle ; il lui faut aussi une chute, comme une leçon ou un choc au lecteur. Le « grand romancier » français des années 1950, alors très populaire, y excelle.

Ces neufs nouvelles paraîtront bien surannées aujourd’hui car elles évoquent leur époque. Mais leurs leçons sont éternelles. Elles disent que l’humanité reste bien la même, soumise aux mêmes passions et tombant dans les mêmes travers. Mais « le destin » est souvent le nom de sa propre conduite : on ne récolte que ce que l’on a semé, dit la sagesse paysanne ; le karma est l’ultime conséquence de tous les actes accomplis, dit le Bouddha.

Louise, vieille fille qui vit avec un demi-frère célibataire comme elle, rêve d’un mari et passe une petite annonce. Elle ne sait pas à quoi elle s’engage car la correspondance est toujours plus belle que la réalité. Le grand jour venu de la rencontre, elle a une sacrée surprise !

Des gamins de 8 à 13 ans jouent aux indiens, à la guerre. Mais l’excitation des hormones qui commencent à se diffuser chez le plus grand, le chef, pousse les jeux trop loin. Le petit souffre-douleur de 8 ans, est poursuivi par la meute car il veut quitter la bande. Il se réfugie dans un blockhaus. La lutte pour le déloger sera terrible.

Quand un filou trouve un portefeuille bien garni sur le trottoir, chacun pense qu’il va le rafler. Mais, après quelques pernods, il décide d’aller le rendre, espérant une récompense. Sauf que le mari étourdi y logeait de l’argent destiné à sa maitresse qu’il serait mal venu d’étaler devant sa femme. Le filou vertueux se retrouve le bec dans l’eau, à moins que son instinct ne reprenne le dessus…

Un vieux paysan expert en champignons est doté d’une épouse grognon et autoritaire : quoi de mieux que de s’en débarrasser par un bon petit plat de la mycologie ? La gourmande, ayant englouti l’assiette aux deux-tiers, additionnée d’une salade bien vinaigrée pour faire bon poids, se plaint très vite de maux de ventre. Sauf que le docteur diagnostique tout autre chose qu’un poison. Quel expert a raison ?

Durant l’Occupation, la livraison de quatre otages emprisonnés destinés à être fusillés en représailles au déraillement d’un train, sont désignés. Le comptable détenu doit apurer leurs comptes et leur faire rendre leurs effets. Mais il a un sursaut de patriotisme et va ruser comme il se doit.

Un vieux couple de retraités regarde par la fenêtre le temps passer. Il n’arrive jamais rien. Aussi, lorsque le tirage au sort leur fait toucher le lot d’un bon au porteur, pour une valeur importante, ils ne savent plus quoi faire. Trop engoncés dans la routine des jours, ils préfèrent le rêve à ce qu’ils pourraient réaliser : changer la salle à manger, faire un voyage à Rome.

Mère-Michel est un homme, un bedeau secrétaire de Mairie, dont le nom, Michel Lemaire, a suscité ce sobriquet. De plus il est bancal et il se venge de la vie en tourmentant ses voisins sans en avoir l’air, tout sucre au-dehors, toute rage dedans. A l’image des chats dont il s’entoure, uniquement des mâles castrés, comme lui qui n’a su trouver chaussure à son pied. Mais lorsqu’il entreprend une ultime vilenie au lendemain de Noël, il trouve le bon Dieu plus cauteleux que lui.

Les deux dernières nouvelles sont d’un cru moins réussi, mais l’ensemble édifie sur la nature humaine.

Hervé Bazin, Le bureau des mariages (nouvelles), 1951, Livre de poche 1976, 158 pages, occasion €0.65 ou e-book Kindle €7.99

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Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou

La chatte détective parisienne revient ! En trois nouvelles qui sont autant d’aventures. Sa maîtresse Agathe, attachée de presse du quartier littéraire de Saint-Germain-des-Prés, subit des avanies de la part d’auteurs novices qui se croient goncourables, d’anciens amants vexés qui veulent lui faire payer, ou de salonards qui ont peur de ne pas rentrer dans leurs frais bien plus gros que leur ventre.

Il s’agit toujours d’escroqueries, habilement résolues par la chatte Jasmine qui sait observer. Elle se présente en trois-couleurs aux yeux verts, ne parle pas mais s’exprime, écoute surtout sa maîtresse pipelette qui commente tout à Armelle, son amie d’immeuble. Parfois vigoureusement, d’un saut ou d’un coup de griffe ; parfois langoureusement, en miaulements modulés. Aucun mort cette fois-ci, contrairement au premier tome, Les enquêtes de Jasmine Catou, mais des intrigues psychologiques au quotidien d’une attachée. Le salon du Chat de Paris est un morceau d’humour tandis qu’un certain « Philippe » Pieters est reconnaissable aux initiés.

Le jeu des portraits occupe ceux qui connaissent et la chatte et sa maitresse dans leur environnement. « Emmanuel » est l’amant souvent au loin pour faire fortune, « Auguste » un blogueur mosaïque qui publie une chronique par jour et parfois au vitriol ou demande parfois des interviews aux auteurs, Isabelle de la « Volta » une attachée concurrente imbue de sa personne, PAVE (Pier-André von Eibers) une célébrité sulfureuse décatie par la vieillesse mais don juan en ses jeunes années…

Saint-Germain bruit d’intrigues, au grand dam de Jasmine qui n’aime rien tant que se lover sous la couette, tranquille chez elle avec sa « mère ». Le recueil est drôle, enlevé et donne envie d’une chatte pour fusionner d’amour.

Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou, 2019, éditions du Val, 97 pages, €6.00 e-book Kindle €4.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Le premier tome Les enquêtes de Jasmine Catou est chroniqué sur ce blog sous le titre de Jasmine Catou détective

Une interview de l’auteur sur un auguste blog

Et Jasmine Catou la chatte a sa page Facebook !

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