Articles tagués : roman policier

Fred Vargas, Les jeux de l’amour et de la mort

Premier roman d’un auteur qui deviendra prolifique, en parallèle avec ses recherches scientifiques sur l’archéozoologie et la peste. A 29 ans, elle se lance dans le roman policier, le « rompol » comme aime à dire cette bobo de gauche activiste devenue écolo avec l’âge. Il y a de l’amour et de la mort, de la peinture et des mœurs, et un flic comme on n’en fait nulle part, ici Galtier, plus tard Adamsberg.

Fred Vargas s’attache moins à l’action et aux ressorts psychologiques qu’aux hasards paradoxaux et aux petits détails insignifiant qui signifient beaucoup. Tout l’art de sortir des rails pour se dire plus maligne. La pensée du flic, comme de tout enquêteur, même civil comme Jeremy, est forcément tortueuse, hantée de parasites venus d’on ne sait où, des profondeurs peut-être, qui font des êtres mal fagotés, mal dans leur peau, mal partout. Mais qui découvrent « la vérité ».

Ici Tom, peintre méconnu, s’incruste dans une soirée avec son dieu de la peinture, le grand Gaylor dont chaque toile vaut des millions. Il veut connaître son avis sur ce qu’il peint et traîne les photos de ses toiles dans la poche de sa veste. Il a pour cela abordé puis soudoyé de plusieurs verres bien chargés Robert Saldon, américain qui a connu Gaylor en sa jeunesse à San Francisco. C’était une époque hippie où la drogue et la sexualité débridée déviante côtoyaient les trafics et le crime. Le peintre a brusquement disparu de la ville un beau jour. Est-ce ce passé qui ne passe pas ? Est-il rattrapé par une horreur d’extrême jeunesse ?

Gaylor est désormais installé à Paris et organise l’une de ses rares soirées mondaines chez lui pour souffler sur les braises de son succès. Saldon s’y trouve invité, on ne sait par quelle combine : lui dit que c’est par l’épouse à qui il s’est présenté, elle dira que non. Toujours est-il que Saldon, une fois entré, reste saisi un instant, puis abandonne Tom pour aller discuter avec d’autres gens.

Thomas ne connaît personne et s’ennuie ; il n’attend que le moment propice pour aborder le peintre et accrocher son regard sur quelques-unes des photos qu’il a dans sa poche. Mais il n’ose pas. Rien ne se passe comme prévu. Il décide alors de laisser les photos de ses oeuvres dans une enveloppe avec un petit mot sur le bureau du Maître. Mais à l’étage, il découvre un mort, revêtu de la cape de Gaylor. Affolé, il s’enfuit, se faisant d’autant plus remarquer.

Ce que ne manquera pas de relever l’inspecteur Galtier, chargé de l’enquête pour meurtre. Saldon est mort, mais est-ce lui qui était visé ? Ne l’a-t-on pas confondu avec Gaylor, qui porte toujours cette cape fétiche, dont il a fait faire il y a des années cinq exemplaires ? Tom est soupçonné, arrêté, interrogé – puis remis en liberté faute d’indices matériels. Mais toujours dans le collimateur. On ne connaît pas encore l’ADN en 1986, non plus que le mobile, ni les caméras de surveillance ou l’Internet. Seule la psychologie à la Maigret compte.

C’est ce que Vargas exploite en long et en large depuis, à sa façon paradoxale et tordue, entremêlant les signes et les indices pour embrouiller la pensée, et tirant de ce magma une secrète jouissance de faire débrouiller le tout par un esprit sinueux. Certes, la raison ne va pas d’un coup ; elle a besoin des profondeurs des passions et des instincts, ce qu’on appelle le flair. Mais si les intrigues de Fred Vargas n’ont pas la paisible progression logique d’Agatha Christie, il en sourd une sorte de poésie prenante qui réhabilite les handicapés de l’entendement. Comme un gaucher qui prendrait sa revanche d’écrire plus droit qu’un droitier.

Ce premier roman n’est pas aussi abouti que la suite des Adamsberg, mais tous les germes y sont déjà, ce qui en fait une pépite archéologique pour qui veut connaître cet auteur femme.

Prix du premier roman du festival de Cognac 1986

Fred Vargas, Les jeux de l’amour et de la mort, 1986, Librairie des Champs-Élysées collection Le Masque 2012, 188 pages, €7,40

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de Fred Vargas déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , ,

Jussi Adler-Olsen, Miséricorde

Premier roman d’un éditeur danois aux études éclectiques, et premier d’une série policière de la Section V. Carl Mørk est « vice-commissaire » et vient de s’être fait tirer dessus ; son partenaire Hardy est resté paralysé. Ils n’ont rien pu faire contre des malfrats déterminés. Mais Carl est vieux, bougon et pas aimé. Le chef de la brigade criminelle profite d’une proposition de loi du Parti populaire danois approuvée par le Parlement pour créer un pôle des Cold cases, les affaires non résolues. Il est baptisé Département V, non pas le chiffre 5 romain, mais le V de l’alphabet, qui est la première lettre du nom du parti libéral : Venstre.

Qui de mieux que l’enquêteur hors pair mais misanthrope Carl Mørk pour en prendre la tête ? Le budget alloué à cette nouvelle entité – confortable – servira à toute la brigade criminelle, mais Carl aura les mains libres. On lui trouve un bureau (au sous-sol), un homme de ménage assistant (auprès du bureau de chômage), et quelques dossiers (poussiéreux) ignorés depuis longtemps pour l’occuper. A lui de voir.

Il voit. Rien que des enquêtes bâclées, mal menées, où des pièces manquent, des témoignages n’ont pas été relevés, des pistes pas suivies. La routine de la bureaucratie qui a trop d’affaires en cours et trop de pression sur les cas les plus médiatiques, sans parler des lacunes de la formation policière.

Une affaire retient particulièrement l’attention de son nouvel assistant : la disparition cinq ans auparavant de Merete Lynggaard, vice-présidente du parti Démocrate au Folketing (Parlement danois). C’était sur un ferry, avec son frère handicapé Oluf ; on a supposé qu’elle s’était noyée, mais… Le jeune homme, réfugié de Syrie pour raisons politiques, avait lu des articles dans les journaux évoquant cette affaires alors qu’il apprenait le danois.

Un curieux personnage que cet immigré de 1998 engagé comme homme de ménage et devenu chauffeur du vice-commissaire, puis carrément assistant. Il se fait appeler Hafez el Hassad – comme le dictateur syrien. Mais il reste mystérieux sur sa vie d’avant. Aurait-il été dans la police ? Les services secrets du régime ? Il a en tout cas l’œil affûté, l’esprit prompt et l’enthousiasme qui convient. Sauf qu’il ne connaît pas les procédures et met souvent les pieds dans le plat devant les suspects.

Toujours est-il que, partant de presque rien, le duo improbable va arriver à presque tout. Merete a été enlevée, elle ne s’est pas noyée. Elle est détenue depuis cinq années dans une cellule de pression d’un ancien laboratoire de pointe qui travaillait pour les centrales nucléaires. Les chapitres alternent entre le présent et le passé, permettant d’expliquer pas à pas tout en ménageant un certain suspense, ce pourquoi je ne dévoile pas grand-chose en disant cela.

Tout remonte à l’Accident primordial, le jour où Merete avait 14 ans. Elle chahutait avec Oluf à l’arrière de la voiture quand son père s’est mis à doubler une Ford sur la route enneigée. Les deux voitures ont embouti les arbres, les parents de Merete sont morts sur le coup, ainsi que le père et deux enfants de l’autre voiture. Deux autres enfants ont été blessés, Merete indemne et Oluf retardé dans sa croissance.

Elle disparaît du ferry juste après s’être disputée avec son frère Oluf. Est-elle tombée à la mer ? En ce cas, son corps aurait fini par être repêché, tant la Baltique est une mer fermée. Y aurait-il autre chose ? Une affaire crapuleuse, ou politique ? Un crime maquillé en accident ? Carl et Hassad reprennent l’enquête du début, sollicitent les témoignages pas pris en compte alors, reconstituent les derniers jours de la vice-présidente aux dents longues, recherchent les personnes non interrogées.

C’est long, c’est tordu, c’est bien découpé : une belle enquête qui tient en haleine. Certes, le personnage d’Hafez el Hassad paraît plus sympathique au lecteur que le vieux flic Carl Mørk – et les autres policiers, comme les journalistes, sont dépeints plus noirs qu’ils ne sont peut-être dans la réalité. Mais l’auteur a de l’humour et n’hésite pas à le dégainer. La fin se précipite, mais les suites sont étonnantes.

Un bon vieux roman policier du nord, pessimiste sur la nature humaine et réaliste sur le crime.

Grand prix des lectrices de Elle 2012, Prix des lecteurs sélection 2013

Jussi Adler-Olsen, Miséricorde, 2007, Livre de poche 2013, 527 pages, €9,70, e-book Kindle €9,49, Livre audio €0,99 avec abonnement

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , ,

Henning Mankell, Le retour du professeur de danse

Les hantises du Millénaire : ce roman policier, écrit en 1999 et publié en 2000, ressasse le passé nazi de la Suède et ses réminiscences dans le présent. Il semble n’y avoir aucun futur, mais la répétition indéfinie d’un passé qui ne passera jamais. En décembre 1945, des tortionnaires nazis ont été pendus mais certains en ont réchappé ; en octobre 1999, cinquante quatre ans plus tard, un ancien policier suédois a été assassiné sauvagement. À sa retraite, il avait élu domicile en solitaire dans une région perdue comme pour se cacher, un chalet au milieu de la forêt dont le plus proche voisin était à une dizaine de kilomètres. C’est là que les ombres l’ont rattrapé, les ombres de son passé.

Son ancien adjoint à la police, Stefan Lindman, apprend l’assassinat de son collègue en même temps que son cancer à la langue. Tout s’écroule autour de lui, sa vie, sa fonction, son pays. Il voit la vie en noir mais n’a plus rien à perdre. Faute de mieux, pour oublier et s’étourdir, il décide de partir en voyage. Au lieu de Majorque initialement prévu, il décide au dernier moment de se rendre en voiture à l’autre bout de la Suède, dans le Härjedalen, pour voir la maison de son ex-partenaire de police, Herbert Molin.

Il n’est pas chargé de l’enquête, mais s’immisce dans celle en cours de la police locale. Lorsqu’il visite la maison du crime, en clandestin, une fois la police scientifique passée, il découvre des traces sanglantes sur le parquet. Elles dessinent un pas de tango. Quel rapport avec la victime, dénudée et fouettée à mort ?

De fil en aiguille, d’hésitations en faux départs puis en retours comme fasciné, Stefan va découvrir des traces de campement, interroger une mystérieuse femme solitaire elle aussi qui venait rendre visite à Herbert, découvrir le passé militaire, nazi dans la Waffen SS allemande, puis le changement de nom de son ancien collègue policier, ainsi que la face sombre de la Suède contemporaine. Y compris les idées de son propre père, qu’il n’avait jamais devinées. Il semble que le nazisme ait été florissant dans les années 1940. La fin de la guerre et la révélation des atrocités nazies n’ont fait que mettre un couvercle sur ce qui demeure le socle de convictions des gens dans les pays nordiques, pourtant présentés longtemps comme des modèles de social-démocratie. Le nationalisme raciste et xénophobe survit, non seulement dans les groupements néonazis de jeunes en déshérence, mais surtout dans une organisation secrète bien financée qui poursuit les buts hitlériens vers un Quatrième Reich.

Ce qui est intéressant, est que 25 ans plus tard, cette révélation d’auteur de roman policier paraît prémonitoire. Jamais le conservatisme xénophobe ne s’est mieux porté, en Europe comme dans le monde. Jamais le nazisme n’a resurgi aussi fort, surtout parmi les perdants de la Seconde guerre mondiale. C’est une ironie de l’histoire que les anciens « sous-hommes » slaves et juifs du nazisme, dans la Russie de Poutine et l’Israël de Netanyahou, aient pris « objectivement » (comme on disait chez les marxistes) des comportements de nazis, en Ukraine et à Gaza, au prétexte de sauver le pays, le lebensraum et la race.

C’est une longue enquête qui débute pour retrouver le meurtrier d’Herbert et celui de son voisin, tué lui aussi, mais par balles. Par le même tueur ? Il s’agit de découvrir les motifs, savoir s’il existe un ou plusieurs assassins. Le lecteur se plonge dans les affres des mauvais souvenirs de l’histoire, dans un paysage triste et gris d’hiver nordique où il semble que le futur de l’Europe s’abîme lentement.

Henning Mankell, Le retour du professeur de danse, 2000, Points policier 2007, 544 pages, €10,20, e-book Kindle €8,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de Henning Mankell déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Fred Vargas, Sur la dalle

Adamsberg vague. D’une arrestation de bande à Paris à un village breton, tout est lié – et il est évidemment saisi de l’affaire. Il va donc travailler avec le commissaire Matthieu, de Rennes, dont dépend Combourg. La petite ville n’a qu’un peu plus de six mille habitants mais est réputée pour son château hanté et par le souvenir de l’écrivain politicien romantique François-René de Chateaubriand, qui y a passé son enfance. Son père le faisait passer exprès, à 8 ans, le soir tombé, dans tout le château lugubre pour gagner l’aile où était sa chambre. Il devait vaincre la peur.

De nos jours gyrovague dans Combourg un lointain descendant du vicomte : ce Josselin de Chateaubriand lui ressemble étonnamment. Il est l’attraction touristique du village et le maire comme l’aubergiste lui tapent sur l’épaule. Cette notoriété est loin de correspondre à son personnage plutôt falot de professeur raté, mais Josselin s’y fait. Il va serrer les mains de table en table, étonné mais ravi lorsqu’on ne « le » reconnaît pas. Adamsberg est présenté par Matthieu dans l’auberge de maître Johan, où ils prennent un bon déjeuner.

Comme rien n’est du au hasard dans les romans policiers, un meurtre survient inévitablement à Combourg, qui intéresse Adamsberg, commissaire à Paris. Matthieu le tient au courant, entre collègues. Mais voilà que le coupable désigné est Josselin ! Ramdam dans les hauteurs de la République : pas question que le nom de Chateaubriand soit associé à un crime ! Pour des raisons de prestige international, il faut y regarder à deux fois. Or, comme Adamsberg n’est pas convaincu, au contraire de l’évidence qui saute aux yeux de Matthieu, sa garde à vue est levée pour que l’enquête puisse approfondir. Et Adamsberg est saisi par la haute juridiction afin de mener l’enquête. Avec Matthieu, cela va de soi.

Ceux qui restent de la bande de malfrats arrêtés à Paris suivent Adamsberg à Combourg pour lui faire son affaire. Ils ont le tort de s’en prendre au lieutenant Rettencourt, plus facile d’accès parce qu’elle est une femme. Sauf qu’elle n’a pas froid aux yeux et pratique le close-combat comme pas deux. Elle se délivre elle-même pour livrer à la justice les bandits. Quel rapport avec l’enquête ? Aucun, c’était pour meubler le début tant la chasse est lente à démarrer. On sait le tueur faux gaucher, adepte du couteau Ferrand (connais pas), porteur de puces et délivrant un message via un œuf. En-dehors de ces indices, rien.

Or les meurtres se succèdent à Combourg. Au hasard ? En apparence seulement, mais il faut être grand clerc pour trouver le lien entre eux. Adamsberg divague, comme d’habitude, mais cette fois différemment. Il ne pellette plus les nuages mais cueille des bulles qu’il fait remonter du profond – allongé sur la dalle d’un dolmen, pour faire bonne mesure. Le dolmen est une tombe celte de trois à quatre mille ans, mais surtout du granit massif, cela peut aider. Le granit est légèrement radioactif mais l’autrice n’en parle pas. Elle garde cependant son caractère brumeux à son commissaire fétiche. Il pourrait dire, comme Montaigne en son âge mûr : « Mon âme me déplaît de ce qu’elle produit ordinairement ses plus profondes rêveries, plus folles et qui me plaisent le mieux, à l’improviste et lorsque je les cherche le moins ; lesquelles s’évanouissent soudain, n’ayant sur le champ où les attacher », chapitre V du Livre III des Essais.

L’enquête de voisinage, les surveillances, la médecine légale, les traces sur le net et le hacking sont cependant plus efficaces pour trouver qui et quoi, où et quand. Mercadet, qui dort toutes les quatre heures, est expert à ce jeu. Il parvient même à s’introduire « sans aucunes traces » (on n’y croit pas) dans le site du Ministère de l’Intérieur pour un joli coup de bluff. Il faut dire que la vie d’une fillette de 8 ans est en jeu, kidnappée par une autre bande d’ancien collégiens psychopathes de Combourg revenus sur les lieux de leurs forfaits d’enfance. On ne sait quelle dent a l’autrice contre les collèges de garçons, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, mais elle n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour elle, ce sont des nids de délinquance où les caïds de 12 à 16 ans entraînent les faibles sous peine de représailles : hier à éviscérer un vieux chien et à arnaquer une vieille gardienne, aujourd’hui à étrangler des chats. Rien de sexuel, curieusement, alors qu’on est dans les années 2020 et que Youporn fait des ravages…

Donc nous avons une première bande, arrêtée, un tueur local, insaisissable (encore qu’on le devine sur la fin), une seconde bande, coriace – et un finale assez inattendu concernant le mobile des crimes. L’histoire vagabonde à sauts et gambades, de chapitre en chapitre (il y en a 48). C’est parfois un peu gros ou à la limite de l’invraisemblable : la Rettencourt en super-woman, pas moins d’une centaine de policiers et gendarmes pour boucler la ville, l’étrange autisme du « ministère » sur la vie d’une fillette, les menus gastronomiques pour cinquante personnes à l’auberge. Car Adamsberg, quand il n’est pas sur la dalle, a la dalle. Il bouffe, il croque, il avale. Pas de grosses portions, il est maigre, mais il ne laisse pas son assiette. Pourquoi ? « Je ne sais pas », dit-il couramment – c’est son mantra. Les choses viennent, les enquêtes se résolvent, les lecteurs ont vécu. Point. Entre une vie de Club des cinq et une vie à la Belmondo.

Il ne faut pas chercher à comprendre, l’important est qu’on ne s’ennuie pas.

Fred Vargas, Sur la dalle, 2023, J’ai lu 2024, 575 pages, €8,90, e-book Kindle €8,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans policiers de Fred Vargas déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Fred Vargas, Un lieu incertain

Adamsberg, le commissaire vargasien, n’est pas Maigret qui observe et médite, avant d’analyser avec sa raison. Pour faire genre, Fred Vargas récuse la raison, trop positiviste à ses yeux, pour « pelleter les nuages ». De ces brumes intuitives doivent ressortir des pistes qui mèneront aux comparses, puis aux criminels. De là ces entrelacs d’anecdotes sans queue ni tête, qui ne prennent sens que lorsque l’on a du recul et de la hauteur. Le lecteur est volontairement perdu dans des labyrinthes loufoques, avant que la tapisserie bigarrée révèle ses motifs.

D’où ces pieds coupés à Londres, devant le cimetière de Highgate cher à Bram Stoker, qu’un lord bourré annonce aux policiers qui passent dans la rue après un colloque ennuyeux. D’où ces questions de non-sens qui saisissent Adamsberg et son adjoint Danglard. Les dérives vers l’oncle bouffé par un ours et dont la veuve a fait mettre la peau comme tapis dans son salon. Et puis, dès sa rentrée à Paris, un meurtre étrange : un vieux massacré et éparpillé façon puzzle. Il y a plus de 460 morceaux dans toutes la pièce, en insistant sur toutes les articulations de locomotion (doigts, pieds, mains, genoux, coudes) et sur les organes de la vie (cœur, foie, cerveau), sans parler des dents, systématiquement broyées fin.

Un soupçonné coupable idéal : Émile, ancien taulard employé comme jardinier qui n’hésitait pas à,subtiliser au vieux des billets de temps à autre. Mais il jure qu’il ne l’a pas tué, au contraire, c’était sa poule aux œufs d’or. L’autre adjoint Mordent le met en garde-à-vue immédiate, malgré l’absence de toute preuve matérielle concrète : « ordre d’en haut », dit-il. Le commissaire, pourtant chargé de l’enquête, s’interroge. Pourquoi tant de hâte  et éviter de passer par lui ? Veut-on cacher quelque-chose ou protéger quelqu’un ? Émile ne fait qu’un bond pour s’enfuir, heurtant d’un bon coup là où il faut le Mordent et la Rettancourt qui l’entourent. Il n’est pas retrouvé – sauf par Adamsberg qui l’a fait parler et auprès de qui il a évoqué son amour pour son chien laissé en pension durant sa tôle. Mais on lui tire dessus – pourquoi donc ?

La brigade court après le taulard, mais le massacreur se manifeste chez Adamsberg directement, et ce n’est pas Émile. Il surgit un tôt matin sous la forme d’un jeune homme déguisé en gothique, tee-shirt noir portant des os blancs pour dessiner le squelette, langage brutal et injures assorties. Ne lui connaissant aucun nom, Adamsberg le surnomme le Zerk, abrégé francisé du mot allemand imprononçable Zerquestcher – le massacreur. Parce que d’autres crimes du même genre ont eu lieu en Europe, ce qui élargit la perspective. Il y a pire : le Zerk se présente comme « le fils » d’Adamsberg, qu’il aurait eu 29 ans plus tôt sans le savoir, lorsqu’il était encore adolescent, dans son village du pays basque avec une fille du coin, un soir près d’un pont. Coup unique, coup au but. Le commissaire en est abasourdi et laisse fuir le jeune homme qui, au fond, semble vouloir plus se venger de l’indifférence de son père que le tuer. Cela lui fait un second fils, le petit Tom d’un an et quelque étant en vacances en Bretagne avec sa mère de hasard.

Si vous suivez toujours, la brigade s’éparpille. Danglard poursuit ses chimères de pieds coupés anglais, Mordent veut absolument incriminer Adamsberg en essaimant des indices qui conduisent à l’incriminer (une douille, de la pelure de crayon), cela pour motif personnel : faire libérer sa fille droguée découverte en mauvaise compagnie alors qu’un crime a été commis dans un squat. Quant au commissaire, il part carrément en voyage en Serbie. Pour quoi faire ? Parce que nombre d’assassinés éparpillés en Europe avaient tous un nom commençant en Plog et que c’est dans un certain village écrit en cyrillique sur une carte postale du patron d’Émile que ces noms sont apparus dans l’histoire.

Le lecteur tombe de Charybde en Scylla, passant des pieds de Londres aux miettes de Paris puis aux vampires serbes. Car une tombe maudite est Plog, et l’on dit que les cadavres dévorent tout, comme l’ours a fait de l’oncle, si vous avez suivi. Je ne peux pas tout dire, mais c’est tout à la fois saugrenu et salé. Adamsberg manque d’y rester, saucissonné nu dans un caveau près d’une femme vampire – qui se contente de soupirer. Comment s’en est-il sorti ? Le chapeau de l’auteur est vaste et elle y trouve toujours quelque chose à en sortir en guise de pirouette.

Un roman policier peu classique mais savoureux, de la meilleure encre Vargas, intello archéologue de la peste qui ne se prend pas toujours au sérieux (du moins dans ses romans). Il faut s’accrocher, garder une bonne mémoire, mais le paysage est varié et riche en action. Le criminel, supérieurement intelligent, n’a qu’à bien se tenir !

Fred Vargas, Un lieu incertain, 2008, J’ai lu policier 2013, 384 pages, €8,60, e-book Kindle €8,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans de Fred Vargas déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Mary Higgings Clark, Souviens-toi

Cape Cod, le cap Morue, est une péninsule dunaire et marécageuse du Massachusetts où les pèlerins du Mayflower ont abordé en 1620 et où de nombreux navires à voiles ont fait naufrage après avoir heurté des bancs de sable dans la tempête. C’est devenu le lieu de villégiature des élites de Boston et de New York qui ont racheté de vieilles demeures « de capitaine » en guise de résidences secondaires.

Adam Nichols, avocat new-yorkais en début de trentaine, y a passé ses vacances enfant et conserve de bons amis parmi les résidents de la petite ville balnéaire de Hyannis. Sa femme Menley a perdu leur fils de 3 ans, Bobby, en passant trop tard sur un passage à niveau non gardé et elle en garde des cauchemars post-traumatiques allant jusqu’à des hallucinations et des comportements de panique. C’est pourquoi Adam, qui a failli divorcer après le drame, ce qui arrive la plupart du temps aux couples qui ont perdu un enfant, est toujours inquiet de la laisser seule. Surtout qu’un second enfant leur est né, une fille prénommée Hannah.

Il décide de prendre des vacances à Cap Cod en famille pour se retrouver et, pour cela, loue à son amie d’adolescence Elaine, qui tient une agence immobilière locale, la vaste demeure nommée Remember, qui date du XVIIIe siècle et qui se tient sur la falaise surplombant la mer. Le capitaine Freeman l’a fait bâtir par Tobias Knight pour son épouse Mehitabel, mais la rumeur a couru que celle-ci avait fauté avec l’entrepreneur pendant une course de son mari. Elle a été jugée et condamnée au fouet tandis que le capitaine emportait leur bébé fille avec lui pour deux ans, la répudiant. Mais Knight était un naufrageur et mentait comme il respirait : Mehitabel, qui avait toujours proclamé son innocence, était-elle coupable ?

Le vent qui siffle au travers des fenêtres de la vaste demeure reproduit son nom : Rememmmmberrr ! Ce qui incite Menley à écrire un nouveau tome de sa série pour enfants qui se passe au Cap Cod. David serait un mousse de 10 ans qui deviendrait capitaine et épouserait une femme injustement accusée. Elle s’investit tellement dans ce projet qu’elle en éprouve parfois quelques visions. Ainsi ces pleurs qu’elle entend dans la pièce d’à côté, ou ces appels de bébé dans la nuit, ou un berceau qui se balance tout seul, les peluches déplacées… Cela se mélange aux cauchemars qu’elle fait encore de temps à autre, où le bruit insoutenable du train qui arrive à grande vitesse lui rappelle sa faute.

D’autant qu’un fait divers dramatique survient au même moment. Un jeune couple, qui se prélassait en bateau à moteur non loin de la côte, a été saisi par une violente tempête alors qu’il faisait de la plongée, et la femme y est restée. Scott Covey, son jeune et beau mari, en est tout éploré. Mais il a été acteur et la rumeur soupçonne qu’il ne serait pas innocent, lui sans-le-sou, à la disparition de sa récente épouse Viv, riche héritière bien que mouton noir de sa famille. La mère de Viv, surtout, est avaricieusement attachée à une bague portant une émeraude entourée de diamants qui vient de la grand-mère et que sa fille portait continuellement. Elle n’a pas été retrouvée sur le cadavre, rongé par les animaux marins, et Scott déclare ne pas l’avoir. Ces soupçons déclenchent une enquête que le shérif Nat, consciencieux et obstiné comme un pitbull, va mener à charge.

Scott a fréquenté un temps Tina, la jeune serveuse jolie qui a le feu aux fesses, avant de rencontrer Viv, et Tina l’a revu depuis. L’Adonis et la Vénus se seraient-ils entendus pour se débarrasser de l’héritière trop collante et sujette à de fréquentes sautes d’humeur? Ou le blond et bronzé Scott, parce que trop jeune et beau, suscitant la jalousie, est-il un innocent injustement calomnié ?

Dans ces milieux clos d’entre-soi oisif où tout le monde se connaît, se jauge et se surveille, la rumeur et les mensonges battent leur plein. Mary Higgings Clark en joue en artiste du suspense. Menley va-t-elle devenir folle ou surmonter son traumatisme ? Scott va-t-il être enfin lavé de tout soupçon ? Dame Mehitabel sera-t-elle réhabilitée ? La dernière page, surtout, relie les personnages du passé et du présent d’une façon inattendue.

Un très bon cru Clark des années 90.

Mary Higgings Clark, Souviens-toi (Remember Me), 1994, Livre de poche 1997, 316 pages, €8,90, e-book Kindle €7,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans policiers de Mary Higgins Clark déjà chroniqués sur ce blog :

https://argoul.com/?s=mary+higgins+clark

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Christian Jacq, La pyramide assassinée et la suite

Christian Jacq, docteur en Sorbonne en 1979 sur les rites funéraires égyptiens sous la direction de Jean Leclant, a été séduit – comme moi – à 13 ans par le pays des Pharaons. Son voyage de noces, à 17 ans, fut pour ce pays dont il était tombé amoureux. Écrivain un temps de romans policiers, il décide de lier ses deux passions en donnant naissance au juge Pazair, 21 ans, dont le nom et l’obstination sonnent comme panzer, et qui connaîtra une ascension fulgurante dans sa charge jusqu’à devenir, dans le dernier tome, vizir d’Égypte.

Les critiques (qui n’ont en général rien écrit) ont beau gloser sur le style pauvre, le vocabulaire limité et l’aspect feuilleton des livres de Christian Jacq, le succès est venu – donc la jalousie des impuissants. Pour ma part, j’aime ces romans délassants où l’auteur vous emmène dans un autre monde. Non, ce n’était « pas mieux avant », c’était différent. L’humanité reste régie par les mêmes vices et les mêmes vertus, quelles que soient les civilisations et les âges : l’argent, le pouvoir, le sexe. La vanité n’a jamais de limites, mais la conscience de soi non plus. Pazair est un « petit juge » (comme on disait dans les années 90 de parution, en Italie anti-mafia comme en France Mitterrand). Il est intègre, rigoureux, fervent serviteur de la Loi.

En Égypte antique, c’est la loi de Maât, la déesse de l’harmonie cosmique, de la rectitude (ou conduite morale), de l’ordre et de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Fille de Rê le dieu solaire, elle rectifie le chaos toujours possible et assure l’équilibre du monde et des humains. C’est une femme. Elle veut que le monde soit en concorde. Christian Jacq nous fait vivre in vivo cette foi dans la raison et l’ordre neutre de la loi. Il incarne les personnages et nous les rend vivants. Même s’il ne s’agit pas de reconstitution scientifique mais d’une transposition romanesque, tout lecteur pourra sentir l’Égypte ancienne, sa vie quotidienne, ses maladies et ses remèdes, la façon de concevoir le monde. Ce n’est déjà pas si mal. La science s’étiole de trop rester dans la froideur des labos. Pour faire aimer la discipline, rien de mieux que de solliciter les imaginations – en sachant bien qu’il s’agit de roman.

Tout commence dans le premier tome par le viol de la pyramide de Khéops, proche du Sphinx. Cinq conjurés, dont une femme, assassinent les gardes et pénètrent dans le passage secret qui mène à la Grande Pyramide. Là vient se régénérer le Pharaon, « en absorbant la puissance née de la pierre et de la forme de l’édifice. » Là se trouvent les objets symboles de la légitimité du roi : le masque d’or de la momie, le collier et le scarabée, l’herminette en fer céleste (de météorite), la coudée en or et – le principal – un petit étui contenant le testament des dieux. Un texte qu’il doit montrer au peuple lors de son jubilé.

Par leur vol délibéré, les conspirateurs font à Ramsès II la promesse du chaos. Le vieux médecin Banir est chargé par la Cour d’une mission : trouver le juge adéquat au tribunal de Memphis, la grande cité du nord où réside Pharaon. Il se rend dans son village près de Thèbes où officie le jeune juge Pazair qu’il connait et lui confie la charge. « Assez grand, plutôt mince, les cheveux châtains, le front large et haut, les yeux verts teintés de marron, le regard vif, Pazair impressionnait par son sérieux ; ni la colère, ni les pleurs, ni la séduction ne le troublaient. Il écoutait, scrutait, cherchait, et ne formulait sa pensée qu’au terme de longues et patientes investigations. Au village, on s’étonnait parfois de tant de rigueur, mais on se félicitait de son amour de la vérité et de son aptitude à régler les conflits. Beaucoup le craignaient, sachant qu’il excluait la compromission et se montrait peu enclin à l’indulgence ; mais aucune de ces décisions n’avait été remise en cause » tome 1 p.18.

Monté à la capitale, le petit juge va devoir signer une demande de non-lieu pour la disparition de cinq gardes, mais il ne trouve pas les causes des décès. Il va donc enquêter, et mettre le pied dans un nid de frelons où chacun se tient par la barbichette, ment à loisir et s’éclipse derrière la paperasse. Il révèle peu à peu un vaste complot qui unit des hommes de pouvoir et d’influence dont le général Asher, la princesse hittite Hattousa l’une des épouses de Pharaon, le chef de la police Mentmosé, le gros transporteur Dénès et sa femme ambitieuse Nénophar, le dentiste de la cour Qadash, le chimiste métallurgiste Chéchi qui cherche à fondre le fer céleste pour en faire des armes invincibles – et « l’avaleur d’ombre », un tueur mystérieux mandaté par eux, qui va tenter plusieurs fois d’éliminer le juge trop obstiné.

Comme aide, outre son maître Branir (qui finira assassiné), son ami aventureux et musclé Souti (qui tuera le général Asher), la belle Néféret qui apprend la médecine et devient son épouse puis médecin-chef de la Cour, le jardinier Kani qu’il a réhabilité et qui devient grand-prêtre du temple de Karnak, le policier nubien Kem et son babouin policier, et ses animaux, le chien Brave et l’âne Vent du Nord. Quant à l’entrepreneur Bel-Tran qui organise l’intendance du palais, est-il un vrai ami ?

Le juge Pazair sera déporté dans un bagne mais parviendra à s’enfuir. Innocenté, il poursuivra son enquête grâce au vieux vizir Bagey l’incorruptible, mettra en cause le général Asher qui fuira vers la Libye, et le chef de la police qui sera révoqué. A la fin du premier tome, il est réputé mort. Mais ce n’était qu’un faux. Meurtres, enlèvements et corruption se multiplient mais Pazair, devenu à la fin du second tome vizir d’Égypte, défie le ministre des Finances dont le but est de renverser Ramsès le Grand pour prendre le pouvoir et se gorger de richesses.

Une belle suite d’aventures à rebondissements, écrites sans temps mort et avec le découpage habituel des thrillers modernes, mais en ménageant des tranches de vie détaillées sur l’Égypte antique, ses maisons, sa cuisine, ses médicaments et ses techniques. De quoi passer de bons moments.

Christian Jacq, La pyramide assassinée – Le juge d’Égypte 1, 1993, Pocket 2001, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La loi du désert – Le juge d’Égypte 2, 2001, Pocket 1994, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La justice du vizir – Le juge d’Egypte 3, Pocket 2001, 384 pages, €7,70

Christian Jacq, Le juge d’Égypte – l’intégrale, coffret Pocket 2011, €24,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

L’Égypte, livres et voyages sur ce blog

Catégories : Egypte, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu

Ce n’est pas un grand menu Macdonald mais un burger honnête. On y trouve comme souvent la jeune femme belle, intelligente, professionnelle qui a le coup de foudre pour un jeune homme beau, intelligent, professionnel. Ils vont se marier, Emma déjà enceinte ; ils sont resplendissants, David pressenti pour deux interviews.

Et puis patatras ! La lune de miel se transforme en lune de fiel sous l’influence d’une méchante sorcière, recyclée gibier d’asile psychiatrique pour la modernité. C’est souvent comme cela dans l’Amérique Macdonald : la jeunesse et la richesse sont confrontées au Mal. Le couple va passer le jour d’après dans un chalet en rondins isolé. David sort couper du bois et Emma, seule dans la maison, se fait agresser par une personne à capuche et cagoule, qui a tout simplement pris la hache de David, lequel a disparu. Elle manque d’être trucidée, tandis qu’un chasseur qui passait par là avec son chien prend le coup à sa place et lui permet de se sauver.

Mais où est passé David ? Elle ne voulait pas rester seule et il l’a laissée. Il devait couper du bois et il est parti faire une promenade. Les flics le retrouvent, boueux et égaré. Serait-il le coupable de la tentative de meurtre ? Ce sont souvent les proches en ces cas-là. Mais pourquoi juste après le mariage ? Et pourquoi s’être marié ? Le refus d’Emma de faire un contrat de mariage pour préserver ses intérêts y est-il pour quelque chose ? Regrette-t-il sa vie libre de célibataire souvent en reportages à l’étranger ? A-t-il peur de se lier avec une femme et déjà un bébé ?

Emma est blessée mais son fœtus va bien (c’est très souvent le cas avec l’autrice, qui aime les enfants). Elle rentre chez elle et refuse, butée comme une ado stupide, l’aide de sa mère qui veut rester, ou l’emmener se soigner à la maison. David lui promet de ne pas l’abandonner et de la protéger. Mais il part aussitôt à New York, appelé comme un toutou par son rédac-chef pour interviewer « un écrivain français » qui est Bernard Werber (auteur de thrillers, pas vraiment de la littérature). Interview qu’il ne fera pas, le voyage de l’écrivain étant retardé, mais il ne le dit pas en rentrant.

Pendant ce temps, Emma se voit affublée d’une infirmière à domicile, payée par son beau-père. Mais elle prend l’initiative, butée comme une ado stupide, de sortir malgré les consignes, sans rien dire à l’infirmière, pour « vérifier » un cadeau qu’elle a reçu pour le mariage et qui contient une souris morte. Ce que la police pouvait très bien faire mais que la blessée fait quand même, pour se prouver qu’elle existe et qu’elle n’en fait qu’à sa tête. Le récit est raconté par elle-même, mais le lecteur (en tout cas moi) ne la trouve pas vraiment sympathique : Emma la psychologue aime trop faire n’importe quoi, en se croyant toujours dans son bon droit, tout comprendre des gens et avoir raison avant les autres.

Toujours est-il que, de fil en aiguille, David le jeune mari reste le premier suspect aux yeux de la police, de la famille et même d’Emma parfois. Il lui « ment », ce péché absolu de la mentalité yankee qui croit que la transparence intégrale permet seul les relations saines (autrement dit le droit du plus fort). Il a fermé à clé un tiroir de son bureau ; il ne dit pas pourquoi il est rentré tard de New York ; il a été aperçu par un témoin au chalet un mois auparavant alors qu’il affirme qu’il n’y a pas mis les pieds depuis ses 12 ans ; il jure de protéger Emma mais n’est jamais là en cas de besoin.

D’autres suspects émergent, tel Burke, le patron de la clinique psy dans laquelle Emma travaille, ami d’enfance de David, mais qui a perdu sa femme Natalie, suicidée du haut d’un pont parce que pas très bien dans sa tête (et carrément folle à l’occasion). Ou encore Devlin, le père incestueux d’une ado patiente d’Emma qui s’est suicidée, anorexique, et qu’Emma soupçonnait d’abuser d’elle, puis aujourd’hui de sa petite sœur de 12 ans Alida, qui devient brusquement très sexualisée et s’habille en haut mini effrangé alors qu’elle n’est qu’en cinquième. Ou peut-être un dégénéré punk de la forêt, isolé et psychopathe.

Le lecteur ne saura qu’à la fin que tout est plus compliqué qu’il n’y paraît et que la culpabilité n’est pas en noir et blanc. Ce pourquoi le roman se termine de façon un peu bancale, avec de « bonnes intentions » à l’américaine clairement forcées. Mais, au total, on passe un bon moment à observer comment la fille ado attardée Emma parvient à surmonter ses épreuves initiatiques et laissant toujours à quelques pas derrière elle le beau David solitaire.

Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu (Married to a Stranger), 2006, Livre de poche 2008, 409 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

DVD Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu de Serge Meynard (2015, 93′), Le Poids des mensonges de Serge Meynard (2017, 91′), Une mère sous influence d’Adeline Darraux (2015, 91′), avec Déborah François, Philippe Bas, Sara Martins, Thierry Godard, Caroline Anglade, Elephant films 2020, 4h35, €24,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les autres romans policiers de Patricia Macdonald déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Cinéma, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Highsmith, Sur les pas de Ripley

Un soir, Tom Ripley va boire un café au bar de son village. Un jeune garçon d’environ 15 ans en veste de jean le dévisage ; la tenancière lui apprend que c’est un Américain qui parle français, employé depuis quelques jours comme jardinier chez une dame du village d’à côté. La situation est déjà étrange, en cette fin des années 70, mais elle l’est encore plus lorsque l’adolescent suit Ripley lorsqu’il rentre chez lui à pieds, suivant la route dans la nuit noire. Va-t-il l’agresser ? Non pas, le garçon se présente et lui révèle ce qu’il a appris de lui dans les journaux après l’affaire des faux Derwatt. Son père en possède un, ce pourquoi son nom a été évoqué à table ; il voulait le connaître.

Mais pourquoi le garçon est-il en France ? A-t-il fugué ? Pourquoi justement Ripley ? Pourquoi semble-t-il se cacher sous un faux nom, un faux passeport, un faux âge ? Piqué par la curiosité, et par un certain penchant amical, Ripley l’invite à prendre une bière chez lui avant de le ramener chez la dame qui l’emploie, et qui le loge dans un cabanon de son jardin en le payant 50 francs par jour. L’adolescent avoue ; il se fait appeler Billy mais il se nomme Franck. Il est parti de la vaste demeure de milliardaire où personne ne s’intéresse à personne sur un coup de tête, après la mort de son père, tombé en fauteuil roulant de la falaise au bout de la propriété, et alors que sa petite copine Teresa ne répondait pas au téléphone, toujours partie avec des amis.

Franck a eu un père qui s’est fait tout seul, devenu très riche et très connu à la tête d’un empire alimentaire. Il a 16 ans, même s’il fait plus jeune, et a emprunté le passeport de son frère Johnny qui en a 19 pour entrer en France. A cette époque pas si lointaine, les contrôles aux frontières ne sont pas très stricts et falsifier un passeport est plus aisé qu’aujourd’hui où tout est numérisé. Dans la rue de la dame qui emploie Billy, deux hommes en voiture partent lorsque l’auto de Ripley se gare ; ils ne veulent pas être reconnus. La vieille dame vient prévenir Billy qu’on l’a demandé à plusieurs reprises et que deux hommes vont revenir. Ripley engage alors Billy/Franck à faire sa valise et à venir résider chez lui, avant de retourner aux États-Unis.

Le garçon accepte, et c’est le début d’une relation presque filiale. Tom Ripley devient à la fois père de substitution (le précédent étant autoritaire et peu aimant) et maître pour son disciple (Franck est fasciné par la réputation trouble de Tom Ripley). A 16 ans, on se cherche un modèle, surtout lorsqu’on porte un secret trop lourd – et que votre seul amour (le premier, romantique, le plus fort) vous fait faux bond.

Franck s’attache aux pas de Tom et suit ses directives. Il cherche à tester son attachement en se cachant une fois pour voir si Tom est inquiet (il l’est) ; il lui fait un cadeau une autre fois pour le remercier de son attention (une robe de chambre en soie) ; il dîne avec lui, sort avec lui, dort avec lui deux fois dans le même lit ; se montre une fois nu en rejetant volontairement sa serviette dans la douche alors que Tom lui apporte un jean. En bref tout ce qu’un garçon normal fait avec un proche, sans jamais franchir les bords de la sensualité. Franck est en quête affective, et il rencontre un Tom en quête de transmettre, comme souvent les hommes en milieu de trentaine.

Il fallait un long développement touristique pour que le lecteur finisse par le comprendre, ce qui désoriente un peu car l’action se fait attendre. Mais c’est à Berlin, ville improbable, que Franck, éloigné deux minutes pour pisser dans le Grünewald, se fait enlever. Après des démêlés rocambolesques, Tom va s’investir physiquement pour le récupérer tout seul.

Dans ce Berlin interlope, où les jeux de sexe et de travestissements explosent, l’autrice joue aux limites. Tom est sexuellement abstinent comme on dit aujourd’hui, ne baisant sa femme Héloïse que quelques fois par an (elle aime ce qu’il lui fait et s’en contente). Mais il emmène Franck dans un bar à pédés, puis se travestit en femme pour le récupérer, le déshabille entièrement pour le coucher alors qu’il est dans les vapes, dort avec lui sur le même canapé-lit. A la parution du livre, c’est l’époque : ce piment sexuel attise la curiosité, sans franchir les bornes de la morale ni de la loi. Bien que Franck soit séduisant et même « mignon » à 16 ans (surtout, dit l’auteur, quand il dort tout nu), Tom ne manifeste aucun désir ; Franck se calque sur sa conduite et continue de rêver à Teresa qu’il a tenté de baiser une fois sans conclure, parce qu’elle a ri.

Une fois Franck récupéré, la rançon restituée, le garçon ne consent à être rapatrié aux États-Unis que si Tom l’accompagne. Sa mère n’est pas venue l’accueillir à l’arrivée, prise par la crise d’une vieille servante, ce qui montre ses priorités. Seul son frère aîné Johnny se préoccupe un peu de lui, mais en bon copain, sans affection particulière. Il lui balance même tout à trac que Teresa s’est mise avec un autre garçon plus âgé, qu’il lui a présenté. Franck se retrouve tout seul avec son secret, qu’il n’a franchement avoué qu’à Tom qui l’avait plus ou moins deviné. Mais Ripley n’est pas son père, ni un parent, seulement un ami d’aventures. Il semble même ne pas le vouloir et va repartir en France pour laisser Franck à son destin. Il aurait pu lui enseigner à recommencer à zéro, comme lui l’a fait, ce que demande Franck, mais il ne l’envisage pas un instant.

Il montre ainsi sa double face : ses capacités de chaleur humaine pour un plus jeune sont réelles, mais ne vont pas jusqu’à s’investir dans une tutelle durable. Franck aurait besoin de directives, de suivi, d’affection permanente. Ripley n’y songe même pas. D’où la chute finale du roman.

Patricia Highsmith, Sur les pas de Ripley (The Boy who Followed Ripley), 1980, Livre de poche 2002, 479 pages, €3.45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de Patricia Highsmith déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi

J’ai lu dans l’avion, sur ma récente liseuse Kobo, une « romance » américaine à la mode. C’est un livre gratuit, Dans l’ombre de la loi de Toni Anderson. J’y retrouve la matrice du mâle américain et de la femelle qui en veut. C’est assez mauvais, avec un scénario conventionnel et des personnages stéréotypés, mais écrit avec le savoir-faire des séries télévisées.

Alex est un tueur d’assassins, des violeurs de femmes et des pédocriminels. Il est mandaté par un groupe privé de riches qui veulent la justice sans les procédures en excès. Le beau gosse de la trentaine est un ancien militaire des commandos en Afghanistan, décoré pour bravoure, embauché par la CIA pour liquider des trafiquants. Il a été emprisonné au Maroc pour avoir laissé la vie à l’un d’eux parce que sa fille de 12 ans venait d’entrer dans la pièce et qu’il aurait dû l’exécuter aussi. Il est sorti de geôle par l’organisation privée américaine sous condition par contrat d’obéir aux ordres de tuer durant deux ans.

Il a déjà descendu deux meurtriers violeurs avant que la police ne les trouve. Il est à chaque fois renseigné par l’organisation qui a ses sources au FBI et dans la police des États. Il intervient rapidement et utilement, sans laisser aucune trace, et les autorités officielles sont prévenues après par un appel anonyme afin de clore le dossier. C’est efficace, rapide et sans appel, tout à fait dans la mentalité yankee.

La onzième femme enlevée du dernier meurtrier est sauvée par notre héros, elle n’a pas eu le temps d’être violée puis torturée. Les dix précédentes non pas eues cette chance entre les pattes du prof de maths pervers. Deux balles entre les deux yeux règlent son compte au monstre sans autre forme de procès. Une sorte de loi de Lynch déléguée à un professionnel par ceux qui se sont instaurés gardiens du droit et de la morale (de leur temps).

Est ainsi présentée un modèle du respect des règles : respect des ordres hiérarchiques, respect de la femme que l’on baise avec préservatif, respect du consentement. La nouvelle norme en vigueur. Qui, depuis Yankeeland, DOIT se diffuser au monde entier. C’est cela le soft power.

Mallory, jumelle d’une fillette enlevée et tuée il y a 18 ans est fraîche émoulue de l’école de police. Dans le dernier crime du tueur tué, elle soupçonne quelque chose. Trois criminels ont été descendus de la même façon avant l’arrivée de la police ces derniers mois, et ce ne peut être pour elle le hasard. Alex, qui est officiellement consultant au FBI et a créé sa boîte de sécurité en couverture, la rencontre, constate ses soupçons, et la fait muter au service fédéral afin qu’elle trouve la taupe qui a failli faire capoter la dernière opération en prévenant la police trop tôt. Car Alex a à peine eu le temps de s’éloigner de la maison des horreurs et a failli se faire prendre la main sur le pistolet encore chaud.

Mais il tombe raide dingue de la fille, évidemment belle, sportive, enquêtrice obstinée, bonne professionnelle et fille de sénatrice. Elle est en outre vulnérable parce que le kidnappeur de sa sœur ressurgit et la menace. Il lui envoie une bague personnalisée et le pyjama de la petite fille de jadis. Elle veut le piéger, Alex veut la protéger, la police ne les aide pas. Seuls contre tous, mais unis, voilà aussi une face de la morale des Pionniers remise au goût du jour.

Ils sont jeunes, beaux, professionnels aguerris, et connaissent l’attirance irrésistible, le contact électrique et l’extase renouvelée des rêves de midinettes. Les descriptions de scènes de sexe, complaisamment détaillées dans leur progression, toujours attentifs l’un à l’autre, occupent une place de plus en plus grande au détriment de l’action, qui s’étiole et connaît des ratés – avant une conclusion trop rapide comme une éjaculation précoce. Le scénario est presque bâclé au profit du désir.

C’est ce qui compte au fond dans la « romance » et fait le succès de ce genre de livre, acheté et lu surtout par des femmes jeunes et des adolescentes. Ce sont des consommables à l’envie, comme les séries télévisées. Livres vite achetés, vite lus entre deux trajets, vite oubliés après l’orgasme de lecture, ils visent à provoquer l’extase par procuration comme une piqûre d’héroïne (légale). Le choc érotique entre deux êtres parfaits, aux standards américains, doit forcément aboutir à l’Amour romantique, puis au couple conventionnel avec deux enfants. Mais pas avant l’initiation des héros, le mâle par la guerre, la femelle par la police, enfin adultes après avoir traversés les épreuves.

Il fallait que je fasse l’expérience de ce genre de style. Je n’y reviendrai pas.

Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi – tome 1 Le sommeil des justes, éditions d’auteur Amazon, 414 pages, €16,08, e-book Kindle €0,00 (gratuit)

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Highsmith, Ripley et les ombres

Patricia Highsmith aime bien Mister Ripley, sa créature. Elle a pour nous éternellement les traits à 25 ans d’Alain Delon dans Plein soleil, le film tiré du premier roman d’une série de cinq. Ripley, c’est replay, « rejouer » ou réplique. Tom Ripley, en effet, n’existe pas par lui-même mais toujours en relation avec un autre qu’il imite, dont il prend les traits, la signature, la fortune. Cet être mimétique, car orphelin trop jeune, n’est pas à franchement parler « homosexuel » ni « bi » comme il est affirmé par des critiques sans profondeur, mais en miroir. Il se trouve dans le corps d’un autre. Hier Dickie Greenleaf, fils de famille riche ; aujourd’hui Philip Derwatt, peintre décédé en Grèce par noyade (comme les parents de Tom).

Après avoir acquis frauduleusement un héritage de Dickie, s’être marié par convenances avec une Hélène fille de famille aussi amorale que lui, avec qui il ne couche que pour la présence de son corps contre le sien, comme la maman qu’il n’a jamais eue, Tom Ripley a bâti une arnaque avec la peinture de Derwatt. Le peintre a acquis une certaine célébrité après sa mort et ses tableaux se sont enfin bien vendus. Mais le filon se tarit et rien de mieux que de fabriquer des faux dans le style de Derwatt pour assurer un flux régulier de revenus. Ripley ne fait que donner l’idée et toucher un pourcentage, et deux Londoniens persuadent un peintre, ami du défunt Derwatt, de poursuivre son œuvre. Un autre mimétisme, qui rend ce Bernard Tufts peu attaché à sa petite amie Cynthia, sauf comme simple amie. Une sorte de double de Ripley.

Ce pourquoi celui-ci va tout faire pour l’aider lorsqu’un Américain met les pieds dans le plat, en bon ingénieur tenant mordicus à son idée, ignare en peinture mais apte à distinguer chimiquement un violet de cobalt d’un mélange de rouge et de bleu. Le peintre avait abandonné le cobalt, pourquoi y serait-il revenu après sa mort ? Certains tableaux sont « donc » des faux. Catastrophe pour le quatuor de faussaires qui vivent – bien – de l’escroquerie. Car, après tout, qu’importe « la vérité » si les acheteurs sont contents et apprécient les tableaux ? Qu’est-qu’un « faux » lorsqu’il prolonge le style de l’auteur initial ? Le vrai participe-t-il de la Morale ?

Comme Ripley n’en a pas, préférant savoir nager plutôt qu’obéir à des règles ineptes qui lui ont volé ses parents et sa vie, il joue le jeu. Il vient ainsi à Londres pour se déguiser en Derwatt revenu du Mexique, où il est censé vivre en solitaire sans voir personne, et peindre à son gré. Cela pour confronter Murchinson et lui affirmer que le tableau qu’il affirme « faux » est bien de lui.

Mais le mieux est l’ennemi du bien. Ripley redevenu lui-même aborde à Londres Murchinson au bar de son hôtel et lui dit qu’il l’a vu à la galerie où il a rencontré Derwatt. Il s’intéresse à sa théorie des couleurs et lui propose de venir voir les deux tableaux qu’il possède de Derwatt dans sa propriété française près de Fontainebleau. Nous sommes à la fin des années soixante et le téléphone fonctionne très mal (le fameux 22 à Asnières !) et le seul aéroport international (largement suffisant pour l’époque) est Orly.

Murchinson s’invite donc à Belle ombre, la grande demeure au milieu d’un parc et brodée d’un bois. Il regarde les tableaux de Derwatt accrochés par Ripley, mais n’est pas convaincu. Il déclare aller mandater un expert à Londres et trouver la police pour enquêter sur les faussaires dont il est persuadé de l’existence. Tom Ripley cherche à le convaincre de renoncer, mais l’obsédé s’obstine et Ripley le tue en cave à coup de bouteille de Margaux. Mais, comme il est sans cesse entre deux rendez-vous, lui l’oisif, il bâcle l’enterrement du corps dans une tombe qu’il creuse fraîchement dans le bois voisin et se contente de déposer la valise, le pardessus et le tableau de Murchinson devant la porte des départs à Orly.

Madame Murchinson ne tarde pas à se manifester auprès de la police de Londres, qui mandate la gendarmerie de Melun pour interroger Ripley qui a reçu l’Américain chez lui et envoie un inspecteur directement. Tom se voit donc obligé de déplacer le corps en catastrophe, alors qu’il reçoit déjà Chris, un cousin Greenleaf de 20 ans rempli de curiosité pour tout, et Bernard, dépressif depuis qu’il se sent traqué. Il implique Bernard, qui l’aide à déterrer le corps et à aller le jeter depuis un pont dans le Loing.

Les gendarmes trouvent la tombe, mais rien dedans, sauf une pièce de 20 centimes de 1965. Bernard devient-il fou ? Il simule son suicide par pendaison dans les WC de la cave, ce qui horrifie Hélène qui vient de rentrer de trois mois en Grèce, mais ce n’était qu’un mannequin. Puis il disparaît, avec toutes ses affaires. Va-t-il dénoncer l’escroquerie ? On ne peut le laisser faire… Ripley va retourner à Londres avec un faux passeport (facile à se procurer à cette époque) pour rejouer Derwatt une dernière fois, manière d’égarer les soupçons de la police, puis va se mettre en quête de Bernard.

Lequel resurgit, l’agresse et le laisse pour mort dans le trou de Murchinson. Mais Ripley s’en sort. Il va le retrouver à Salzbourg, ville autrichienne qu’a évoqué le peintre fou qui a des tendances suicidaires. Là, il va régler la question et revenir pour présenter à l’épouse, la police et aux critiques d’art une histoire cohérente.

Ce qui compte est moins la fin que le chemin. Le lecteur jubile à suivre Tom Ripley, son amoralité vivace qui le rend apte à survivre à tout comme un chat à neuf vies. Il n’est pas impulsif ni « antisocial » comme il est trop rapidement dit par ceux qui adorent coller la réalité dans des étiquettes rassurantes qui ne décrivent rien. Ripley est plutôt indifférent à tout ce qui n’est pas lui, faute d’avoir été considéré et aimé tout petit.

Il a fait de la mentalité positive américaine son modèle : tous les moyens sont bons pour arriver – le reste, la morale, la religion, les valeurs, ne sont que justifications idéologiques sans intérêt pragmatique. Le cousin Chris, par exemple, le séduit par sa jeunesse ardente, et il le reçoit volontiers alors qu’il aurait pu éluder. Son épouse Hélène n’est pas qu’un bel objet à présenter, ni une excuse sociale pour vivre comme il l’entend, il a un réel besoin d’elle, une sorte d’affection due à la proximité, et il répond à ses besoins à elle d’ancrage dans la vie sociale.

Tom Ripley n’est pas psychopathe.

Patricia Highsmith, Ripley et les ombres (Ripley Under Ground), 1970, Livre de poche 1991, 315 pages, €1,30, e-book Kindle (nouvelle édition 2021) €10,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Mr Ripley déjà chroniqué sur ce blog :

Livre Ripley entre deux eaux (tome 5 de la série)

DVD Le talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

William McGivern, Une question d’honneur

Si vous trouvez par hasard ce roman policier dans les bacs d’occasion ou les armoires à livres, n’hésitez pas à le prendre car c’est un bon livre. Il a été écrit soigneusement, à une époque où n’existait ni Internet, ni séries télévisées, ni téléphone mobile, ce qui oblige l’auteur (pour son dernier roman avant sa mort) à construire une intrigue et à la faire progresser de chapitre en chapitre sans tout mélanger pour désorienter et étonner.

Un jeune soldat noir est assassiné par balles à Chicago. Il venait de rentrer d’Allemagne où il servait parmi les troupes d’occupation face à l’Union soviétique à l’époque. Ce serait un crime banal si ce n’était le troisième meurtre en quelques mois du même genre. Tous des soldats noirs, tous deuxième classe seulement, tous jeunes et sans guère de moyens. Y a-t-il un lien ? Évidemment, mais toute l’enquête va devoir le prouver.

Le lieutenant de police Weir, à Chicago, est le fils unique du général Tarbert Weir, l’un des rares militaires à avoir obtenu la médaille de l’honneur et qui a pris sa retraite. Son fils, qu’il a laissé tomber après la mort de son épouse lorsque le gamin avait huit ans, ne lui a pas parlé depuis une décennie. Mais il renoue avec lui à titre professionnel pour en savoir un peu plus sur ces militaires qui se font descendre un à dans son secteur.

C’est le début d’un engrenage qui va mettre en branle une journaliste, la police locale, les services secrets et l’armée, afin de mettre au jour tout un système de corruption entre l’Allemagne de l’Ouest de l’Otan et les États-Unis où l’héroïne commence à faire des ravages.

Il y a de l’action et du suspense, des caractères bien trempés et de l’amour, et ce roman noir se lie admirablement. Il est reposant après les divagations mal écrites en scènes hachées des romanciers policiers d’aujourd’hui.

William McGivern, Une question d’honneur (A Matter of Honor), 1983, Livre de poche policier 1987, 381 pages, occasion €0,55 à €3,00 ou broché occasion €4,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Deborah Crombie, Meurtres en copropriété

Comme Elisabeth George, Deborah Crombie est américaine mais situe ses histoires policière en Angleterre. Ici le Yorkshire où elle met en scène son personnage fétiche, le superintendant (commissaire) Duncan Kinkaid et son sergent Gemma James. Il en vacances dans une multipropriété dont son cousin lui a cédé sa semaine faute de pouvoir s’y rendre. Tourisme des vieilles églises en style perpendiculaire, randonnées vers les cascades parmi les feux de l’automne, tennis, enfin le calme pour décompresser des affaires criminelles et de la grande ville ! Las, dès son arrivée, un crime est commis.

Maquillé en suicide, mais bel et bien un crime : un grille-pain branché a été jeté dans la piscine où s’ébattait après son travail le directeur-adjoint de la multipropriété, Sebastian. Ce sont les deux seuls enfants présents, 7 et 5 ans, qui l’ont trouvé. Duncan, qui s’était levé tôt, trouve les deux petits prostrés, effrayés. Heureusement, ils n’ont pas touché à l’eau ! Après avoir débranché la prise, Duncan sort le cadavre. Il est chaud mais mort. La police locale est prévenue et l’inspecteur Nash, aigri et brutal, conclut à un suicide. Ce n’est pas l’avis de Kincaid, ni d’ailleurs du sergent local, et le commissaire en vacances va intriguer pour se faire habiliter à intervenir dans l’enquête.

Nous sommes dans un huis-clos classique du roman policier anglais. Deborah Crombie, pour son premier opus de sa série Kincaid, joue l’Imitation d’Agatha Christie comme hier les clercs jouaient l’Imitation de Jésus-Christ. La psychologie joue un rôle majeur dans l’intrigue, la question est de trouver qui l’a fait dans la brochette de personnages en vacances. Il y a Cassie, a directrice ambitieuse, toujours impeccablement mise, qui se tape les meilleurs mâles parmi les clients ; le couple Hunsinger, rétro-hippies reconvertis dans les produits bios, parent des deux enfants en pleine santé qui ont trouvé le corps ; les Frazer père et fille, lui en instance de divorce, elle ado de 15 ans dépressive maquillée en vampire ; les sœurs MacKenzie, vieilles filles amoureuses des oiseaux dont le père pasteur vient de décéder ; Hannah Alcock, biogénéticienne dans un labo clinique à Oxford spécialisé dans la maladie à prions de Creutzfeld-Jacob ; le député Patrick et sa femme alcoolique ; les Lyle, lui ancien militaire tatillon et « parfait crétin ».

Sebastian portait un regard amusé sur la faune de sa résidence et tenait des notes sur chacun. Fils unique resté célibataire, on ne lui connaissait aucune petite amie ni aucun petit-ami, même si le militaire le croyait pédé. Il était surtout sensible et portait attention à ceux qui le méritent : Angela l’ado paumée, les enfants rétro-hippies, Penny, la vieille demoiselle qui perdait la boule, Kincaid lui-même pour ses dons d’observation.

L’enquête piétine jusqu’à ce qu’un deuxième meurtre survienne, celui de Penny sur un banc du jardin, le crâne défoncé par une raquette de tennis. Pas vu, pas pris. Qui avait intérêt ? Aucune idée. Duncan Kincaid demande à sa sergente Gemma à Londres de faire des recherches sur les personnages du drame, ce que l’inspecteur Nash, trop bête et imbu de lui-même n’a pas eu l’idée de faire. Il va découvrir in extremis le mobile… mais non sans quelques frayeurs supplémentaires ; Hannah a été violemment poussée dans l’escalier, où elle aurait pu y rester si elle ne s’était protégée des mains. Qui en veut à qui et pourquoi ?

Le roman est assez bien mené, avec quelques maladresses et caricatures dues à l’inexpérience. Mais l’intrigue se dévore littéralement.

Deborah Crombie, Meurtres en copropriété (A Share in Death), 1993, Livre de poche 2005, 318 pages, occasion €1,24, e-book Kindle €5,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , ,

Alain Schmoll, Un drôle de goût !

L’auteur reprend les personnages de La tentation de la vague, paru en 2020, pour distiller un nouveau thriller financier à la manière de Sulitzer (et de ses nègres) jadis. C’est plutôt réussi, avec les mêmes défauts que dans le roman précédent : un début poussif, trop long, qui s’étale sur la vie privée passée sans enclencher l’action. La « préface » (datée de « mai 2029 »!) d’un faux rédacteur qui aurait connu les personnages est inutile et alourdit l’intrigue, d’autant qu’elle n’ajoute rien. Mais, une fois parti et passé le premier quart, c’est passionnant.

Werner Jonquart est fils de famille entrepreneur, patron depuis sept ans d’une multinationale familiale suisse du fromage de bonne réputation. Il sait déléguer et il finit par s’ennuyer. Alors, pourquoi ne pas vendre ses parts ? Il en possède assez peu, conservées dans une holding de tête qui elle-même possède des participations qui… au total une fraction du capital, mais suffisant pour assurer la direction.

Une fois cette idée instillée en lui, il est approché par deux groupes, l’un américain et l’autre chinois. Tous deux sont des fauves redoutables du capitalisme. Le premier en égocentré libertarien qui n’hésite pas à user de tous les moyens pour parvenir à ses fins, y compris les alliances troubles avec les mouvements extrémistes de droite trumpiste et les cartels colombiens. Le second en mandataire de l’Etat-parti chinois qui a le temps et les moyens pour lui et qui n’hésite pas à manipuler les banquiers des Triades qui font du trafic en tous genres ; des malversations tolérées par le régime s’il affaiblit l’Occident.

Werner a la fatuité de vouloir lui-même fixer les règles du jeu : une date et heure précise pour les offres ultimes, la possibilité de refuser, le cautionnement de 90 % du prix proposé à l’achat qui sera ferme et définitif une fois l’offre acceptée, le tout scruté et bardé par une bataillon d’avocats. Comme si les requins de la finance allaient obéir à des règles…

D’ailleurs, un drôle de goût survient dans certains fromages du groupe, pas partout et pas tout le temps. C’est un hacking habile qui a introduit un cheval de Troie dans le système informatique régissant les dosages. Le pentester (je ne connaissais pas ce métier neuf !) mandaté pour trouver les failles est curieusement retrouvé mort peu après s’être vanté de pouvoir remonter à la source ; il aurait succombé à une overdose dans sa baignoire, lui qui ne prenait aucune drogue… Cette déstabilisation ne serait-elle pas opérée pour faire baisser les cours de bourse et disposer d’un moyen de pression sur le « deal » ?

Comme la pression ne fonctionne pas, objectif sa vie privée. Werner est un homme à femmes depuis tout petit, mais l’homme d’une seule femme depuis son adolescence attardée lorsqu’il fut gauchiste à Cuba. Julia est son alter ego, avocate vouée aux causes libératrices, des femmes battues aux écolos anti-pollution. Elle est restée idéaliste, lui devenu réaliste. Ils se voient, se quittent se remettent, s’ennuient et se séparent, se regrettent et se remettent : drôle de goûts… Julia est mère d’une petite fille qu’elle a eu avec un avocat de Bordeaux, duquel elle s’est séparée, et qui a refait sa vie avec une autre en lui enfournant quatre enfants, elle qui en avait déjà deux. L’auteur s’amuse.

Mais Julia fréquente à Paris des gauchistes attardés de plus en plus radicaux depuis qu’ils voient que ça ne marche pas et que la jeunesse se détourne de leurs idéaux utopistes et irréalisables. De quoi être prêts au terrorisme de type Brigade rouge ou Action directe. De dangereux « insoumis » qui provoquent et paradent, agitateurs professionnels pour bouter le chaos dans la politique, l’économie, la société. Bizarrement, pour un auteur très au fait de l’actualité, la connexion islamiste n’apparaît jamais dans ces dérives sectaires à la Mélenchon, pourtant elles existent dans les mentalités. Reste que le gauchisme activiste est aussi un ennemi pour Werner, outre l’extrême-droite affairiste yankee et les Triades du parti communiste chinois.

De quoi s’en inquiéter, d’autant que l’affaire traîne à se faire. D’ailleurs, une question se pose : pourquoi diable un conglomérat américain et une entreprise chinoise veulent-ils à tout prix acheter une entreprise familiale suisse de fromages ? Certes, elle est installée à Genève, certes, elle a une excellente réputation auprès des banques, certes, elle est à proximité des Ports-francs et Entrepôts de Genève, zone peu réglementée qui abrite très souvent des œuvres d’art stockées comme en banque en dépôt sous douane illimité – parfois volées ou pillées. Est-ce la raison ? Mais la Fromagerie Jonquart ne loue aucun entrepôt dans les Ports-francs.

L’Américain mandate un commando de Colombiens pour zigouiller les Chinois, lesquels tentent d’enlever au GhB en plein Paris une Julia trop confiante. L’affaire se corse, si l’on ose dire. Werner va tout d’abord se rapprocher dune amie d’enfance devenue major à Interpol, puis, comme les enquêtes sont lentes et les menaces de plus en plus précises, il va devoir actionner ses petites cellules grises pour trouver une parade. Il s’agit de sauver sa vie, celle de sa compagne et de leur fille (il a adopté celle de Julia, dont son père biologique se désintéresse), et celle de son entreprise.

Il va trouver… et c’est plutôt original même si l’on se dit (mais après coup) que « bon sang, mais c’est bien sûr ! » Je ne vous en dis rien, ce serait ôter le suspense, même si c’est le cheminement du thriller qui passionne plutôt que la fin.

Alain Schmoll, Un drôle de goût !, 2024, éditions CIGAS SAS, 333 pages, €13,90, e-book Kindle €4,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Les romans d’Alain Schmoll déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jefferson Parker, La mue du serpent

Un bon roman policier ancien, sur ce qui devenait à la mode : la pédocriminalité. La loi californienne venait, quelques années auparavant, de pénaliser la diffusion d’images pornographiques mettant en scène des enfants et l’air du temps était à dénoncer le crime. Il s’agit, vu sous l’œil policier, d’un psychopathe perverti durant l’enfance par sa mère et ses sœurs, qui en est resté au stade infantile de jouir seulement en présence de fillettes de 5 ou 6 ans. Il ne leur fait « rien », seulement les enlever et les relâcher vêtues de tulle blanc et d‘une cagoule noire, comme des anges…

Il les appelle des « colis », façon de chosifier des êtres vivants pour les mettre à distance et s’’en servir comme objets, sans aucun affect. Typique du psychopathe qui ne pense qu’à lui et n’a aucune empathie. Tripoté petit enfant par ses sœurs prépubères, il s’est attardé à cet âge incertain, tandis que sa mère l’accusait de toutes les perversions et l’enfermait dans le placard pour mieux baiser à tout va avec son amant du moment. Il a donné à bouffer la marâtre à son crotale « horridus » apprivoisé lorsqu’il est devenu adulte. A imaginer qu’un horridus puisse s’apprivoiser. Car le pédo est fan de serpents, ce qui le perdra.

Il en est à son quatrième enlèvement de « colis » lorsqu’il est enfin traqué et pris, mais non sans mal. Car son chef lieutenant poursuit Terry sergent de sa hargne pour lui avoir piqué sa femelle, tandis que ledit Terry, terrassé par la mort récente de son fils de 5 ans Matthew, noyé sous ses yeux d’une embolie suivie d’une asphyxie, carbure à la tequila au gallon. Il alpague, avec son équipe efficace, devenue célèbre dans le comté, un couple de pédocriminel qui prostitue leur fille de 10 ans sous couvert de proposer un « modèle » esthétique. Mais la perquisition révèle une enveloppe où plusieurs photos compromettantes mettent en cause Terry. Il est tout nu et en situation : il caresse, pénètre, puis se fait faire une fellation, le tout avec une gamine de 10 ans.

Il jure qu’il n’y est pour rien, qu’il n’a jamais vu la môme, que les photos sont des montages, mais… Nous sommes avant l’an 2000 et la technique n’est pas encore peaufinée, mais les photos sont vraiment ressemblantes. On dirait du vrai. Imaginez aujourd’hui ce qu’on peut produire avec l’IA ! Mis à pied, réduit à enquêter tout seul pour lui-même, Terry s’en sort en embauchant à prix d’or le meilleur avocat et le meilleur spécialiste, car tout a un prix aux États-Unis, notamment la liberté. Il va même jusqu’à payer 10 000 $ pour tenter de piéger Horridus, le pédocriminel qui enlève les fillettes – et qui semble expert dans l’art de produire contre argent de parfaites « photos » de personnes en situations sexuelles explicites.

Est-ce le lieutenant jaloux, qui brigue la succession du shérif qui l’a piégé ? Veut-il le séparer de son ex-femme par jalousie ? Terry va enquêter et s’apercevoir que la réalité est plus complexe qu’il ne croyait.

Mal écrit mais efficace, ce roman policier raconte la traque du pédocriminel qui, malgré ses précautions et son intelligence, ne saurait penser à tout. Sa dernière victime, ravissante petite blonde de 5 ans, a été livrée au gros serpent qui veut se la faire sans laisser de traces, mais Terry parvient in extremis à découvrir l’endroit et le moment.

Se lit bien, ne laisse pas de trace, sauf un écœurement évident pour les fantasmes sexuels des pervers mis en scène (encore qu’il ne se passe pas grand-chose, « seulement » un enlèvement traumatique). Le personnage principal du flic n’a rien d’un héros ; c’est un père défaillant, alcoolo et amant qui trahit. Mais il a cette obstination « d’Irlandais » qui fait le bon flic californien.

A lire et à jeter, comme souvent, dans le style de la consommation américaine. La couverture en France n’a aucun rapport avec l’histoire : aucun petit vélo ni aucune clope dans le roman. Encore raté, les éditeurs ! Il vaudrait mieux lire le livre avant d’ordonner l’illustration. Mais c’est sans doute trop demander.

Jefferson Parker, La mue du serpent (Wher Serpent Lie), 1998, Pocket 2005, 571 pages, €1,79 occasion

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , ,

Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé

L’auteur est connu pour ses romans policiers, dont le célèbre Nécropolis – la cité des morts, paru en 1976. Décédé il y a un an à 89 ans, en mai 2023, Herbert Lieberman était New-yorkais et possédé par toutes les hantises de l’Amérique des pionniers. Ce roman-ci met en scène une bande d’adolescents des deux sexes, frères et sœurs, élevés en cage dorée dans un vieux château français du XIIe siècle transporté pierre à pierre dans une île du nord-est des États-Unis et entouré de grandes forêts où vit une tribu de nains consanguins dégénérés aux mœurs primitives. Nous sommes entre le roman policier, la science-fiction et la fable philosophique.

Car il y a une intrigue policière : le meurtre du père, venu comme chaque année passer une semaine à interroger un à un ses enfants sans qu’ils le voient, pour se garder de toute émotion. Il ne veut juger que des résultats de l’éducation et de l’hygiène qui leur est imposée. Un policier est venu du continent, le colonel Porphyre, accompagné de quelques-uns de ses hommes. Qui a tué ? Chaque adolescent voulait le faire, mais qui l’a vraiment fait ? L’énigme se résoudra à la fin.

Mais pas sans un passage obligé par les autres thèmes du roman. Il est d’anticipation car il se situe vers les années 2070, bien longtemps après l’époque de son écriture ; là encore, le lecteur découvrira pourquoi vers la fin. Science car le père est un milliardaire excentrique (l’argent conduit à tout pouvoir, ou presque), qui a décidé de faire faire des recherches sur la longévité. Il a embauché pour cela un ancien médecin nazi (la grande mode aux États-Unis au début des années 1990), lui a installé un laboratoire secret dernier cri où il peut réaliser toutes es expériences sur les souris blanches, les rats de laboratoire, les chiens et les singes. Les années passent et les recherches sont prometteuses. D’où son application à l’humain.

Fiction car Jones, le père, teste la molécule, ça marche. Il décide alors d’une expérimentation à grande échelle dans des conditions soigneusement contrôlées depuis la naissance ; pour cela, il lui suffit d’engendrer ses propres enfants avec différentes femmes choisies sur plan, en fonction de paramètres génétiques, d’hygiène et de santé. Engrosser une femme par jour (comme Georges Simenon), lui permet assez vite de disposer d’un cheptel suffisant pour tester son protocole de longévité. D’où ce château fermé où les ados vivent en vase clos.

Des sept adolescents du château (il existe d’autres centres de par le monde), Jonathan est le narrateur. Il est le puîné derrière Cornélius, un peu retardé. Puis suivent Sofi, Ogden et Leander, Letitia, et la plus petite : Cassie. Les âges ne sont pas à très assurés car nul ne connaît sa date de naissance, ni ne fête son anniversaire, et il n’y a pas de miroir dans les pièces pour se regarder. Tout est soigneusement maîtrisé dans ce château, l’éducation classique littéraire, mathématique, musicale et sportive, le nombre de calories par repas, pas plus de 600, et la température extérieure fraîche qui garde les corps en légère hypothermie à 32° centigrades. Les fenêtres sont closes et les ados ne sortent jamais pour conserver une atmosphère contrôlée, comme en laboratoire. Ce sont les conditions les meilleures pour vivre le plus longtemps.

L’assassinat de Jones va briser cette routine et remettre en question l’expérience. Devant le colonel policier, Sophie avoue avoir transpercé d’une fléchette la gorge de son père qui dormait, après la soirée et le bal en son honneur. Puis c’est Jonathan qui avoue l’avoir d’abord étouffé avec un oreiller. Mais la cause de la mort n’est, selon le légiste, ni la plaie au cou, ni l’asphyxie… Tous sont perturbés par la disparition brusque de Leander, le plus joli et le plus gentil de la fratrie. Il est plus jeune que Jonathan et son frère préféré. En revanche, Ogden le défie sans cesse et le hait. La rumeur veut qu’une fois l’an l’un des enfants soit appelé ailleurs, après entretien avec le père. Cette année, c’est le tour de Leander, qui disparaît lors d’un tour de magie de l’oncle Toby. Ce dernier, frère cadet de Jones, assure avec le signor Parelli et Madame Lobkova, l’éducation des enfants et la bonne marche du château. Amateur de jeunesse, il couche volontiers avec ses nièces.

D’ailleurs, la sexualité est non seulement permise mais aussi encouragée chez les adolescents. Cassie vient rejoindre Jonathan la nuit dans son lit :« J’embrasse les seins de ma petite sœur, elle gémit doucement. Nous nous frottons l’un à l’autre, exactement comme nous l‘ont appris oncle Toby et Madame Lobkova au début de notre puberté – que Jones considère comme l’âge idéal pour commencer sa vie sexuelle. N’ayez de relations qu’avec les membres les plus proches de votre famille, ceux dont vous savez qu’ils n’ont pas de maladie. Ressentez de la joie, nous prêchait-t-il. Pas de la concupiscence. La concupiscence vous ravale au rang des bêtes » p.43. Une philosophie libérale de l’éducation contrôlée bien loin de Rousseau. Le sexe, la reproduction, tiennent d’ailleurs une grande part dans ce roman d’anticipation.

Leander est peut-être encore vivant et Cassie part à sa recherche, une porte de poterne étant mystérieusement ouverte alors que les issues restent toujours closes. Pourquoi ? Elle laisse un message à Jonathan, son grand-frère préféré, qui part à sa recherche en pleine nuit. La forêt est sombre et les huttes des Hommes des bois ne tardent pas à apparaître, avec de grands feux devant. Cassie est-elle prisonnière ? Jonathan n’a pas le temps d’en savoir plus, il est assommé et se retrouve nu, enchaîné, dans une hutte crasseuse où il est laissé dans boire ni manger durant une journée entière. 

Puis un groupe de jeunes des bois viennent le rosser avant que surgisse une femelle adulte qui les chasse, le nettoie, l’abreuve et le nourrit, avant de l’exciter et de le chevaucher sauvagement. Il jouit comme jamais, dans la crasse alentour et sous le corps difforme de la naine qui se tortille en un rythme savant. Il est alors rhabillé d’une simple tunique et emmené enchaîné vers un temple où on le place dans un cercueil, celui de Jones, et où il reste enfermé, couvercle vissé, une nuit complète. Au petit jour il en est extirpé, puis emmené devant la foule, où il est couronné roi. Sa seule fonction sera de baiser chaque nuit avec la Femme des bois pour l’engrosser et engendrer une espèce moins dégénérée. Il ne peut rien faire d’autre. Il revoit Leander et Cassie, prisonniers, mais ne peut les approcher. Leander est comme absent, terrifié par ce qui lui est arrivé. Lui qui devait être roi n’a pas supporté l’épreuve de l’enlèvement et du cercueil. Trop sensible, il est devenu fou et parqué avec les spécimens dans un baraquement de camp entouré de barbelés.

C’est le colonel Porphyre qui va délivrer Jonathan, Leander et Cassie, avant de les ramener à grand peine au château. Où les Hommes des bois ne tardent pas à les assiéger, tandis que les membres du personnel et les savants ont fui en emportant richesses, armes et nourriture. Porphyre attend des renforts du continent, mais le téléphone est coupé par les sauvages et le siège devient critique. Occasion pour les adolescents d’apprendre quel âge ils ont et à quoi leur existence a pu servir… La trame ne se dévoile en effet qu’à la fin, et tout ce que j’ai pu dire ci-dessus n’est qu’en guise d’apéritif.

Il y a quand même une incohérence logique due au temps qui passe. Les adolescents ne cessent d’apprendre et de s’exercer, durant des années. Mais on se demande à la fin pourquoi ils ont si peu retenu durant tout ce temps passé. Avec ce protocole d’éducation soigné, ils devraient être devenus des génies, ou du moins des garçons et des filles avisés et intelligents. Or il n’en est rien – paradoxe de l’intrigue… Leur développement mental ne semble pas suivre leur développement corporel.

Curieux roman inclassable que ce policier de science-fiction philosophique, quelque part entre Dix petits nègres (réédité sous le titre woke Ils étaient dix), L’île du docteur Moreau, La ferme des animaux, Sa majesté des mouches et Le monde perdu. Une puissance onirique rare en ce siècle de spécialisation étroite où les gens ne veulent plus sortir de leur case, ni les romans de leur nombrilisme ou de l’Hâmour convenu. A lire ou relire !

Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé (Sandman, Sleep), 1993, Points Seuil 1995, 459 pages, occasion €1,97

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Maurice Daccord, Le préleveur

On m’informe de la parution d’une nouvelle enquête du duo de Crevette et Baccardi. Je ne l’ai pas lue, contrairement aux autres fois. Contrairement aux autres fois, je n’ai eu qu’un faire-part – et je vous en fait part. Cela fait toujours une note en ces temps de vacances scolaires.

« Qu’arrive-t-il à Eddy Baccardi, ? il est à l’hôpital plongé dans une sorte de coma artificiel, entre la
vie et la mort. Colombe, Léon, et Valentina se relaient à son chevet. Les nerfs de Colombe sont à
vif, que va-t-elle devenir sans l’amour de sa vie ?
Heureusement, les secours de la thérapeutique vont tirer Eddy de ce mauvais pas, il va pouvoir
efficacement seconder son ami Léon, le Commandant Crevette, embarqué dans une enquête hors
norme dont il ne voit pas l’issue, et qui pour la première fois semble caler.
Eddy ne sera pas seul, un nouveau venu, le Lieutenant Merlu vient d’arriver dans le service de Léon
Crevette, et ils ne seront pas trop de trois pour trouver le responsable d’une nouvelle série de
meurtres.
Trois, pas tout à fait car une mystérieuse personne qui n’est ni une inconnue de Crevette, ni de
Baccardi, va les guider tout au long de cette enquête.
Après avoir résolu l’énigme de Tantum ergo, percé le Secret des mages du trident rouge, démasqué
le Docteur Tweed dans l’Affaire des flambeaux noirs, Crevette et Baccardi, dans la Lanterne des
morts, vont devoir débusquer celui que toute la presse a baptisé « Le Préleveur ».
Comme les précédents romans, la Lanterne des morts est un polar dans la tradition des romanciers
fétiches de Maurice DACCORD, les auteurs en « ar » : Michel Audiard, Alphonse Boudard,
Frédéric Dard…
Argot, parler caillera, verlan, mauvais jeux de mots, contrepèteries sont au rendez-vous de cette
nouvelle enquête, ainsi que les chansons, toujours présentes.
 » (Faire-part de parution)

Maurice Daccord, Le préleveur, 2024, éditions L’Harmattan avril 2024, 208 pages, €19,00 (lien amazon sponsorisé)

Les autres romans policiers de Maurice Daccord déjà chroniqués que ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , ,

Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses

Kerry McGrath est procureuse et son mentor, le sénateur Jonathan Hoover, envisage pour elle de la faire nommer juge. Elle est divorcée et mère d’une fille de 10 ans, Robin. Son ex-mari, Bob, ancien procureur, est devenu avocat des malfrats, notamment d’un certain Jimmy Weeks, affairiste sans scrupule qui n’hésite pas à commanditer des gros bras pour intimider ou tuer.

Robin a eu un accident de voiture avec son papa, qui conduit trop brutalement, et elle n’avait pas attachée vraiment sa ceinture. Blessée au visage, elle est soumise aux soins du docteur Charles Smith, chirurgien esthétique réputé. Il la soigne, elle n’aura aucune séquelle, sa beauté sera préservée. C’est que le docteur Smith attache une importance vitale à la beauté ; elle est pour lui comme une porcelaine fragile qu’il faut préserver. D’ailleurs passe, au sortir de son cabinet, une stupéfiante belle jeune femme, refaite du visage. Kerry se dit qu’elle l’a déjà vue quelque part, mais où ?

Cela la turlupine, et elle finira par faire l’association d’idée avec un crime commis jadis, dont elle a condamné le coupable selon la justice, celui de Suzanne Reardon, épouse de Skip l’entrepreneur. Suzanne était magnifique vivante, mais horrible en cadavre avec les yeux exorbités et la langue pendante. Elle a été étranglée et une brassée de rose de la race Sweetheart répandue sur elle (d’où le titre en américain). La fille que Kerry a vue chez le docteur Smith ressemblait trait pour trait à Suzanne. D’ailleurs, elle ne tarde pas a à apprendre que la Suzanne assassinée était sa fille…

Elle se penche alors sur l’accusé Skip Reardon, désormais en prison, et qui en a pour trente ans. Est-ce vraiment lui le coupable ? Il jure que non, les jurés ont été d’un avis opposé, mais l’enquête a-t-elle été au bout ? Kerry va donc la reprendre sur son temps libre. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que personne ne veut plus en entendre parler, ni son patron qui aspire au poste de gouverneur et voit d’un sale œil surgir le spectre d’une erreur judiciaire sous sa responsabilité, ni son mari Bob que son client malfrat presse de faire abandonner Kerry, ni son mentor le sénateur Hoover qui fait suspendre sa nomination comme juge, ni le docteur Smith qui commence à filer sa nouvelle réussite esthétique dans la rue.

D’ailleurs, Robin se fait poursuivre dans la rue par une voiture qui fonce sur elle après que son conducteur l’ait prise en photo… Il en faut plus pour impressionner la procureuse qui désire devenir juge. Elle prend toutes les précautions possibles pour sa fille et va de l’avant. Elle reprend les témoignages écartés, comme celui de la voisine en face de la maison du crime, qui a vu le soir une voiture noire arrêtée devant la maison. Et le petit garçon handicapé de 5 ans qu’elle gardait qui s’est exclamé : « c’est la voiture de grand-père », signifiant par là que c’était un vieux modèle. Aidée de Geoff, un avocat encore célibataire, devenu ami et qui se prend de béguin pour elle, et de son enquêteur Joe, elle va creuser l’affaire.

Et découvrir la vérité.

Le roman est bien ficelé mais les personnages surgissent à profusion, ce qui déroute au début. On se demande ce que viennent faire Grace, l’épouse du sénateur, Jason Arnott, le dandy richissime qui aime les belles choses, Haskell le comptable qui cherche à se dédouaner, et ainsi de suite. Les coupables potentiels du meurtre de Suzanne sont au moins quatre et le lecteur ne peut décider entre eux jusqu’à ce que cela s’éclaire sur la fin. Tous les fils se nouent pour un final imprévu. Un bon cru Clark des années 1990.

Mary Higgings Clark, Ce que vivent les roses (Let Me Call You Sweetheart), 1995, Livre de poche 1998, 316 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de Mary Higgings Clark déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , ,

Maxime Chattam, La constance du prédateur

Maxime Chattam renoue avec ses obsessions de jeunesse : les tueurs en série. Il met cette fois en scène un tueur multiple, intelligent, insaisissable, issu inévitablement d’une enfance malheureuse et même perverse. Le meurtrier est fort, méticuleux, précis, il ne laisse pas de traces. L’ADN, « reine des preuves » depuis trente ans, devrait aider mais… il n’est pas fiable à cent pour cent. Ici, il est même déconcertant…

Tout commence par une phrase sibylline : « Claire n’aimait pas sucer ». Mais ce n’est pas ce que vous croyez, il s’agit de sucre et d’une adote dans un bus clapant de la langue sa sucette avec des bruits mouillés. Un substitut freudien, peut-être, qui agace clairement Claire. L’infirmière rentre chez elle et, à sa porte, se fait enlever. Le tueur a encore sévi. Il va s’en servir quelques jours, jusqu’à épuiser sa jouissance, puis l’étrangler dans l’orgasme, comme il l’a appris dès son plus jeune âge.

Le décor est posé, les personnages entrent en scène. C’est d’abord Ludivine, la lieutenante criminelle qui passe au DSC, le Département des sciences du comportement, une section de profilage nouvelle chez les gendarmes français. Ludivine Vancker n’en est pas à sa première enquête, Maxime Chattam l’a déjà mise en scène dans des situations limites, glauques comme il les aime, dans trois autres volumes précédents (La conjuration primitive, La patience du diable, L’appel du néant).

La gendarmette, experte en combat rapproché, vient de rentrer de vacances après une enquête qui l’a fort éprouvée. Elle a trouvé entre les bras de Marc, capitaine DGSI (le Renseignement intérieur) la protection et le réconfort que toutes les femmes normales de l’auteur recherchent selon lui (il a demandé conseil à sa compagne). Sitôt de retour à la brigade, direction le chef : elle est mutée illico au DSC à Pontoise, ils ont besoin d’elle immédiatement.

C’est du lourd. Avec sa cheftaine capitaine Lucie, direction l’hélicoptère qui file vers l’est. Ludivine a à peine le temps d’être briefée, un paquetage de fortune lui est attribué pour quelques jours et qu’elle puisse se changer. C’est qu’une vingtaine de cadavres ont été découverts dans une mine d’aluminium désaffectée. Certes aux puits obturés, mais pas noyée comme les autres, pour ne pas polluer les nappes phréatiques. Le béton a été fissuré, on s’est introduit dans les galeries, à plusieurs reprises, et des cadavres ont été déposés là. C’est un photographe local qui aime prendre des lieux isolés et des ruines macabres de l’abandon industriel qui a prévenu les gendarmes.

Ce sont toutes des femmes, jeunes, entre 20 et 40 ans, pas moins de dix-sept, habillées mais sans aucun sous-vêtements. Des croix ont été tracées avec du sang sur les murs, puis effacées. Mais le fameux bluestar les révèle. La gendarmerie est à la pointe de la technique désormais (Chattam en rajoute un peu) et son labo mobile est capable d’analyser l’ADN en 48 h pour un coût modeste. Un ADN est justement révélé dans chaque vagin – mais aussi un objet curieux et symbolique, un crâne de piaf. Aucune référence dans la base de donnée du Fnaeg, le fichier des empreintes génétiques qui ne date guère que de vingt ans. Car les corps remontent aux années 1970.

Mais le même ADN est retrouvé dans le sexe de femmes récemment tuées, jetées cette fois sans mise en scène dans la nature. Y aurait-il deux tueurs ? Deux rituels distincts ? Ou le prédateur a-t-il été isolé durant deux décennies, par exemple en prison ou à l’étranger ? Chloé, autre jeune femme bien vivante, en fait l’expérience. A un stop sur son trajet de travail, un 4×4 Dacia Duster noir emboutit son feu arrière. C’est le piège classique pour la faire sortir de sa voiture et s’emparer d’elle. Elle ne peut rien faire, le prédateur est physiquement trop puissant. Il va dès lors la violer régulièrement dans une cave, la jetant nue dans une cuve d’égout en plastique le reste du temps.

Ludivine est sur les dents – ce qui contraste avec son prénom qui signifie en germanique ‘longue patience’. Le tueur est désormais surnommé Charon, le passeur aux yeux noir d’abîme du fleuve des morts de l’Antiquité. Puisqu’on n’a pas retrouvé le cadavre de Chloé, c’est que le tueur en jouit encore, il y a peut-être une chance de la sauver si l’on fait vite. Et c’est « l’urgence », habituelle à notre époque de linottes ; tout se fait à la va-vite, stressé, sans recul. La raison recule devant l’« émotion », autre scie à la mode, qui fait faire n’importe quoi sans réfléchir, trop vite. Jusqu’à prendre des risques insensés : envers l’enquête, les collègues, les personnes, envers soi-même.

Le thriller est bien distillé, avec son lot d’horreurs inouïes – que l’auteur s’excuse d’imaginer, comme si elles étaient en lui seul. Ce pourquoi la fin s’étire, Chattam répugnant à couper court une fois l’enquête bouclée, désirant « réparer » les atteintes psychologiques faites au lecteur – autre scie à la mode.

Malgré cette démagogie constante, son roman policier se lit bien, ponctué d’action comme il le faut, sans trop se perdre dans les affres des personnages. Du sadisme, de la technique scientifique, de l’intuition policière, de l’audace militaire (les gendarmes en sont), un arrière-plan familial édifiant : tout dans ce roman d’imagination oppose la noirceur orientée vers la mort, le sexe égoïste, l’obsession familiale névrotique – à la lumière qui va vers la vie, l’amour, le compagnon, les enfants.

De quoi scruter les ténèbres bien armé.

Maxime Chattam, La constance du prédateur, 2022, Pocket 2023, 526 pages, €9,50, e-book Kindle €9,45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les thrillers de Maxime Chattam déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Robert Daley, L’année du dragon

L’année du dragon, nous y sommes, c’est cette année ; la cinquième année d’un cycle qui revient tous les douze ans. L’auteur situe son roman policier en 1980, dans une New York confrontée à l’effervescence des communautés chinoises qui se développent. Un courant continu de très jeunes arrive clandestinement depuis Hong Kong, important les habitudes frustres de brutalité et de solidarité de clan. Les vieilles Triades (qui sont des mafias) avaient investi le jeu et sont poussées, par cette immigration avide, à se mettre à la drogue.

Chinatown connaît ses fusillades pour faire perdre la face et imposer le nouveau pouvoir. La police reste inerte, bien contente de laisser aux Triades le soin de réguler la communauté. Ne croyez pas que c’est de l’histoire ancienne ! Ce qui se passe dans nos cités françaises est exactement du même type : les mafias maghrébines trafiquantes font leur police et le pouvoir politique local est bien content de voir l’ordre assuré, en fermant les yeux volontairement sur les trafics. La route nationale du RN qui paraît si dégagée sur ces questions changera-t-il les choses ? Trop d’intérêts en jeu, je n’y crois pas une seconde.

A New York, un capitaine de police ne l’entend pas de cette oreille. Il est entré dans les forces de l’ordre pour le faire régner, et a pour croyance (sans doute naïve) que tous les Américains, quelle que soit leur origine, doivent bénéficier du même traitement par la loi. Pas question donc de tolérer l’embrigadement de gamins de 15 ans dans les clans de tueurs, recrutés dès la sortie de l’école où ils sont bizutés pour n’être pas de « vrais » Américains parlant l’anglais comme les autres. Pas question non plus de tolérer les règlements de compte entre bandes ou contre les commerçants.

C’est une fusillade perpétrée dans un grand restaurant chinois, par deux jeunes de 17 et 18 ans venus de Hong Kong, celui du « maire » de Chinatown Mr Ting, dans lequel dîne le capitaine Powers avec la journaliste de télévision Cone, qui va ancrer sa détermination. Il se fait nommer commissaire provisoire du district et met sous surveillance le nouveau parrain et « maire » Koy, qui prend un maximum de précautions. En effet, Koy a été policier à Hong Kong, ville alors très corrompue, et est parti avec plusieurs millions de dollars s’installer aux États-Unis où il a eu la patience d’attendre la durée nécessaire pour devenir citoyen sans faire parler de lui. Il s’y est marié une nouvelle fois, a eu deux enfants en plus du fils laissé à Hong Kong avec sa mère Orchid, de laquelle il n’est pas divorcé. Désormais, il veut lancer ses affaires en grand et, pour cela, importer de l’héroïne directement depuis le Triangle d’or thaïlandais où les « seigneurs de la guerre », anciens du Kuomintang refoulés par Mao, s’adonnent à la production d’opium base sur leur territoire.

Koy est sans scrupule moral, il ne voit que ses intérêts et use du « deal », comme le bouffon dangereux Trump, pour régler toutes ses affaires. Sauf que la « face », si importante pour un Chinois, risque de lui être retirée par le petit capitaine armé de sa seule détermination. Powers enquête, obstiné, se rend à Hong Kong où il manque de perdre la vie, pour acquérir des informations supplémentaires, met en jeu sa carrière face à des supérieurs sceptiques et jaloux. Contrairement aux grévistes vantards, lui « ne lâche rien ».

L’auteur, qui écrit très bien, a été commissaire délégué de la ville de New York en 1971 et 1972, et sait de quoi il parle. Il est aussi très sensible à la psychologie des gamins de 15 ans, tout comme à celle des bureaucrates de la police. Il entrelace ses actions d’une romance entre la journaliste Cone de 42 ans, qui passe chaque jour plus d’une heure à se refaire la façade et s’empresse de séduire tous ceux qui peuvent lui apporter un quelconque scoop, et le capitaine Powers de 46 ans, toujours amoureux de sa femme après 25 ans de mariage et de ses deux fils à l’université, mais qui se laisse enflammer pour la belle femelle médiatique.

L’intrigue est plutôt bien menée, dans une langue littéraire fort agréable et rare dans le roman policier américain. Le roman est puissant et rempli de passion : l’attirance sexuelle, mais aussi la ferveur de la quête, le culte de la vérité, la vénération de la morale.

En 1985, Michael Cimino en tirera un film plus caricatural sous le même titre, L’année du dragon, chroniqué sur ce blog.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Robert Daley, L’année du dragon (Year of the Dragon), 1981, Livre de poche 1984, 543 pages, occasion €4,48

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Camilla Grebe, Le journal de ma disparition

Suspense, mystère, et deux personnages : Malin qui fut adolescente et est désormais flicesse, et Jack qui aborde l’adolescence avec ses 14 ans déconcertés.

Lorsque Malin flirtait avec son petit copain dans la forêt, elle est allée pisser par hasard sur une curieuse pierre blanche qui s’est révélée être le crâne d’une fillette à demi enterrée là, dans la forêt de Ormberg. Dans cette petite bourgade isolée de Suède, tout le monde se connaît mais tout le monde vieillit, s’aigrit ou émigre à la ville. Ce pourquoi le gouvernement a décidé d’installer un centre pour demandeurs d’asile dans l’ancienne usine désaffectée. Ce qui suscite inévitablement de la « réaction » dans tous les sens du terme.

La gamine morte n’a jamais pu être identifiée et Malin y est affectée aux côtés de la profileuse Hanne qui perd la mémoire et note tout dans un petit carnet, ainsi que de l’inspecteur Peter Lindgren, qui disparaît vite sans laisser de traces. Hanne est trouvée blessée et ahurie par Jack qui s’est déguisé en femme, dans la forêt autour de chez lui. L’a-t-elle tué ? Le jeune garçon a perdu sa mère et se trouve désorienté ; son père boit, sa sœur ne pense qu’à ses flirts. Lui se cherche, sans boussole. Il aime la douceur du tissu lamé de la robe de sa mère sur sa peau nue, la torsion des hauts talons sur ses mollets, le maquillage sur son visage qui le rend autre. Est-il pervers ?

Il en a honte et pense que tout le monde va se moquer de lui. Ce pourquoi, lorsqu’il trouve Hanne, il appelle le voisinage mais ne reste pas pour témoigner. Il s’éclipse discrètement pour retourner chez lui se changer et emporte même le carnet où Hanne note tout et qu’elle a laissé tomber. Lorsqu’il entreprend de le lire, chapitre par chapitre, ce texte direct et sincère d’une adulte va l’initier. Il va peu à peu devenir un homme et même faire preuve d’un courage certain dans les derniers chapitres.

Quant à Malin, une nouvelle victime est découverte et pose une nouvelle énigme. Cet écheveau de faits juxtaposés aux lecteur en préambule, et qui lui donnent un brin le tournis, sont-ils liés ? S’agit-il de trafic, de haine raciste ou de psychopathie de voisinage ? Qui est le coupable ? Sont-ils plusieurs ? Y a-t-il plusieurs raisons sans liens ? C’est assez bien mené. A découvrir.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Camilla Grebe, Le journal de ma disparition (Husdjuret), 2017, Livre de poche 2021, 477 pages, €9,40, e-book Kindle €8,49

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre

Tony Hillerman, décédé à 83 ans en 2008, était fils de descendants allemand et anglais, mais il est né en Oklahoma et s’est intéressé en anthropologue journaliste aux Indiens Navajos et Hopi. Il invente en 1980 le personnage de Jimmy Chee, Navajo élevé à l’université des Blancs mais qui n’oublie pas ses racines car son univers indien crée harmonie et beauté. Bien loin de celui des Blancs, prédateurs et violents.

Chee est membre de la police des réserves et envisage d’intégrer le FBI, dont il a passé les épreuves avec succès. « Ce premier pas consistait, pour Jimmy Chee, à étudier l’homme blanc et ses coutumes. Lorsqu’il serait parvenu à comprendre le monde de l’homme blanc, ce monde où se mouvait son Peuple, il pourrait prendre une décision. S’incorporerait-il au monde de l’homme blanc ou resterait-il un Navajo ? » Pour cette affaire policière, il est contacté par Madame Vines, épouse d’un riche ex-prospecteur de la région, pour retrouver un coffret volé, alors que son mari est à l’hôpital. Elle sait qui a fait le coup, un Indien du Peuple de l’ombre, membre de l’église américaine dit du peyotl car elle use des pouvoirs hallucinogènes de ce petit cactus contenant de la mescaline pour avoir des visions.

Justement, il y a trente ans, une vision du grand prêtre a écarté du puits de mine en cours de forage pour y trouver du pétrole six Navajos. Le puits a explosé, tuant tous les employés à proximité, y compris le géologue. On n’a retrouvé que de rares restes humains tant le souffle a été puissant. B.J. Vines et arrivé deux ans plus tard et a racheté le terrain délaissé, prospectant pour son propre compte. Il y a trouvé de la pechblende, autrement dit du minerais d’uranium hautement radioactif, qui a fait sa fortune. Il a revendu sa mine et jouit d’une immense richesse, mais ne parle jamais de son enfance ni de sa jeunesse. Il garde dans une cassette déposée dans un coffre de son bureau, derrière la tête empaillée d’un tigre qu’il a tué, diverses babioles souvenirs. Il a été un grand chasseur et des trophées sont exposés un peu partout dans sa maison.

Jimmy Chee découvre vite qui a volé le coffret, malgré les bâtons dans les roues mises par le shériff de l’État Sena, dont le grand frère a été tué lors de l’explosion, et qui garde jalousement toutes les informations sur cette enquête qui n’a jamais abouti. Le « sorcier » navajo du peyotl est mort d’un cancer, son fils aussi, et son petit-fils se meurt également. Très vite, son cadavre est volé à l’hôpital, ainsi que ses effets. Pourquoi ? A quelles fins ? Chee enquête, usant de la langue navajo autant que de l’anglais pour interroger vieilles femmes et jeunes garçons et remonter la piste de qui sait quoi. Il rencontre Mary, une Blanche et blonde anglo à une vente de charité et l’adjoint à son enquête. Ils prospectent la presse, se font tirer dessus.

Car un mystérieux tueur qui ne laisse aucune trace élimine des gêneurs sur commande anonyme depuis plusieurs années dans divers États sans que le FBI puisse lui mettre la main dessus. Il va croiser involontairement la route de Jimmy Chee…

Un bon roman policier ethnologique qui change des rodomontades et du machisme habituel des Yankees avec leur lot de défouraillement à tout va et d’explosions spectaculaires. Ici, c’est plus la relation humaine et l’usage des petites cellules grises qui importe.

Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre, 1980, Folio 2015, 272 pages, €9,40

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Sarah Dars, La morte du Bombay-Express

Ce livre est au croisement d’une fan de romans policiers et d’une spécialiste des langues orientales qui a beaucoup voyagé en Mongolie et en Inde entre autres. Sarah Dars, française, écrit sur la mentalité et les mœurs indienne comme si elle y était née. C’est ce qui fait son charme et ravira ceux qui sont allés en Inde du sud et connaissent ses paysages et ses habitants.

Bien sûr, son brahmane médecin détective amateur, expert en art complet du Kerala, art martial et art médical en même temps – le Kalarippayatt qui apprend à tuer et à soigner – est un peu « trop », comme disent encore les ados, trop parfait, séduisant, souple, invincible, intuitif. Mais c’est un plaisir de lire ses déductions et de suivre ses aventures. Une sorte de Sherlock Holmes en plus convivial, bien que végétarien et abstinent de tout alcool. A l’anglaise, il ne se promène jamais sans parapluie, moins contre la pluie ou le soleil que comme bâton de combat.

Doc – il ne porte que ce surnom – est flanqué d’un compère médecin à la Watson, le fidèle Arjun. Habitant Madras, ils prennent le train pour Bombay, Mumbai comme on dit aujourd’hui par nationalisme hindou anti-anglais – bien que le nom de Mumbai vienne du portugais… Le Bombay-Express se traîne sur les plaines assommées de chaleur et se tortille sur les pentes des ghats qui traversent la péninsule indienne entre deux océans. C’est lors d’une nuit à bord que, dans le compartiment des premières, une femme en sari synthétique meurt d’un incendie, la porte verrouillée.

Qui l’a fait ? S’est-elle suicidée par le feu comme les veuves traditionnelles qui suivent leur mari dans la mort ? Mais le sien de mari, le jeune producteur de Bollywood Bijal, fils de la célèbre star Tâmrâ, tous deux dans le même train, est bien vivant. Il est fusionnel avec maman et dédaigne sa jeune Priyânka, fille d’un magnat de l’industrie probablement épousée pour sa dot – que son père a finement cantonnée pour éviter que le mari ne mette la main dessus. Alors, est-ce un meurtre ? Mais quid de la porte verrouillée ? Et que vient faire le trop beau secrétaire de Bijal dans cette affaire, lui qui a tiré le signal d’alarme mais est retourné dans son compartiment immédiatement après ?

A Bombay, aux 18 millions d’habitants sous la mousson, l’enquête policière piétine et Doc joue les intermédiaires entre la famille du mari, dont il soigne la star éprouvée par ces événements, la famille de la morte, qui soupçonne fortement l’époux bollywoodien Bijal, et la police, dont l’inspectrice névrosée irascible ne sait comment avancer. Il en profite pour établir un régime pour Kaustubh son beau-frère, dont l’épouse Kamalâ cuisine trop bien pour son tour de taille. En se promenant, il est pris à partie par un malfrat à qui il fait son affaire – sans le tuer. Raghunâth le jeune secrétaire bengali disparaît, il se sent menacé, Doc le recherche. Est-il coupable de quelque chose ?

Doc le brahmane expert en arts du Kerala, se veut un homme complet, un sage qui déverse sa bienveillance sur ses semblables trop accrochés par leurs émotions. « Il devait être en plus ferré sur la philosophie, la morale, la stratégie, et capable, par conséquent, de participer à des joutes verbales comme à toutes sortes d’affrontements purement doctrinaux » p.200. Mais si cette mort n’était au fond qu’une sinistre plaisanterie ? Un rire du destin ? Un karma qui se gondole ?

Sarah Dars, La morte du Bombay-Express – Une enquête du brahmane Doc, 2002, Picquier poche 2013, 245 pages, €7,10 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Inde, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Jego & Lépée, La conspiration Bosch

Un bon roman historique qui se passe dans l’Europe du XVIe siècle, durant la Renaissance. La profusion et l’étroitesse de chacun des 64 chapitres donne un peu le tournis, d’autant que l’on passe d’un personnage à l’autre et d’un lieu à un lieu différent, mais la mayonnaise réussit à prendre.

Tout commence à Bois-le-duc, au nord du Saint-Empire romain germanique, sous le règne de Maximilien de Habsbourg. Des églises sont profanées par des cadavres découpés en morceaux et arrangés en singeant le calvaire du Christ. Ce sont des croix à l’envers, des torses affublés de têtes de cochon ou des troncs flanqués de pattes de bouc. Comme si le diable était revenu sur la terre et plantait sa griffe en cette année 1510, pour préfigurer l’Apocalypse prévue par les textes. D’autant que le chiffre de la Bête, 666, apparaît mystérieusement sur les restes de chair – ce qui est tu par l’Église…

La terreur monte dans les chaumières et le peuple des villes commence à gronder. Des émeutes éclatent, des incendies s’étendent. Le pape Jules II ne fait rien, hésitant à excommunier tout le Saint-Empire, d’autant qu’il n’a pas couronné encore l’empereur récemment élu. Les grandes puissances autour s’agitent, car il s’agit bel et bien de politique. La religion n’a que faire dans ces événements, elle ne sert (comme toujours) que de prétexte pour agiter les âmes simples.

Le jeune et bouillant Henri VIII d’Angleterre veut envahir la France avec l’aide de Maximilien du Saint-Empire ; la France veut faire excommunier ledit Saint-Empire pour éviter l’alliance des États allemands avec l’Espagne. Le Saint-Empire bouillonne de révolte contre l’Église de Rome, sa corruption et ses prévarications. Le pape vieillissant est au carrefour de ces intrigues et doit mesurer sa parole et ses actes.

Mais ne voilà-t-il pas que les artistes s’en mêlent, réunis en confrérie puissante pour défendre leurs propres intérêts, ou simplement la libre expression de leur art ? Léonard de Vinci reprend la peinture devant la fille de Ginevra, peinte sans les mains 25 ans plus tôt. Hiéronymus (Jérôme) Bosch poursuit ses figures hantées d’humains tentés par le vice et en parsème ses tableaux. Il semble curieusement inspirer certaines des compositions de chair humaine qui profanent les lieux sacrés. Le beau Raphaël, auprès du pape, intrigue avec un sourire cruel. Le vieux peintre Giorgione cherche à s’opposer aux malversations mais finit mal. L’Europe gronde, les peuples y voient la fin du monde, tandis que les hérétiques allemands relèvent la tête.

La belle Gabriela, noble florentine d’un père banquier très riche et fille de Ginevra, tombe amoureuse de Philippe le Beau, fils de Maximilien. Mais celui-ci est enlevé brutalement un soir à Milan alors que la jeune fille venait de le quitter. Elle n’aura de cesse de le retrouver, mettant au jour par son obstination un sombre complot dont les ramifications s’étendent à toute l’Europe, avant de disparaître. Philippe non plus ne reparaîtra jamais devant son père, soi-disant mort de la peste qui sévit à Venise, laissant l’éducation à la royauté de son fils Charles à son père. Le gamin de 10 ans deviendra quand même Charles Quint.

Léonard, vieillissant, diminué, cherche l’essence qui anime le corps humain en disséquant des cadavres, tout en s’appuyant sur l’épaule lisse du bel éphèbe blond Lorenzo qui le sert. Il lui caresse la tête, constamment ébouriffée comme s’il sortait du lit (ce qui est souvent le cas, suggère l’auteur), ou passe sa main le long de ses côtes pour une caresse tendre. Il est mandaté par le pape pour enquêter de façon scientifique et esthétique sur les compositions de morceaux humains que la crédulité populaire attribue au diable – mais que le pape, prudent, veut croire à la méchanceté humaine. Tandis que le chevalier Bayard, sous les ordres de Louis XII de France, cherche à modérer les forces qu’il a lancées en premier pour déstabiliser le Saint-Empire.

C’est une course échevelée pour mettre au jour la vérité, un faisceau d’intrigues croisées qui mêlent comme d’habitude la politique à la foi, la communication à la vérité, les manigances humaines au diable sous prétexte de stratégie chrétienne. Le roman est assez bien composé, un peu rapide malgré passion et aventure, mais le lecteur ne s’ennuie pas.

Yves Jego & Denis Lépée, La conspiration Bosch, 2006, Pocket thriller 2007, 410 pages, occasion €2,73 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Hélène Rumer, Mortelle petite annonce

Un bon roman à suspense écrit de façon originale. Tout part d’une petite annonce pour trouver une baby-sitter pour enfant de 5 ans, nourrie à condition qu’elle prépare les repas et logée dans un studio de 25 m² indépendant à côte de la grande maison dans un parc. Résumé par « un commandant » de police, il s’agit « d’un truc bien glauque dans une ville bien bourge » (p.166). On dirait plutôt les propos d’un adjudant, qui jadis menait les enquêtes, aujourd’hui, il faut qu’il ait au moins le grade de commandant – à quand le général ? L’histoire commence donc par un massacre en pleine nuit d’une famille aisée de Versailles avec trois enfants, par le père lui-même, au bout du rouleau. Un drame à la Dupont de Ligonès avec famille catho tradi, modèle maths-sup pour les garçons et machisme ambiant dans le couple.

Seule la baby-sitter en réchappe, puisqu’elle devait partir pour une semaine de vacances et que son train vers l’ouest a été supprimé par la SNCF pour « travaux » jusqu’au lendemain matin. Les éternels « travaux » de la SNCF qui, comme Sisyphe, pousse chaque année son rocher pour recommencer l’année suivante parce qu’il a dévalé. Laurie est décalée, issue d’un milieu populaire et élevée par sa mère seule, une égoïste inculte. Mais elle s’est attachée au petit dernier, Paul dit Polo, 5 ans, qui manque d’amour à la maison.

En effet, le père travaille beaucoup dans la sécurité informatique pour une société d’armement et n’est pas reconnu par son N+1, pervers narcissique typique. La mère est prof de maths mais en dépression depuis huit ans pour avoir perdu une petite Pauline de quelques mois à cause de la mort subite du nourrisson. Les deux autres enfants sont des mâles de 17 et 15 ans qui gardent leurs distances avec la jeune baby-sitter, poussés par leur père vers les maths et la physique, et engueulés pour leurs résultats pas toujours en progression.

S’ajoute à ce tableau de stress et d’amertume le fantôme d’un mystérieux « Nicolas » dont personne ne veut parler, et dont la chambre occupée un temps à l’étage a été condamnée, laissée en l’état et fermée à clé. Sauf qu’une fuite d’eau, due à une branche tombée du cèdre sur le toit lors d’une tempête versaillaise, exige son ouverture, ravivant des souvenirs qu’on aimerait mettre sous le tapis.

L’histoire est racontée par les témoins du drame, les principaux personnages de la famille, la baby-sitter la tante, les voisins, le commandant de police, des amis, des témoins au travail. Elle progresse ainsi par des visions croisées, partielles et complémentaires, dévoilant à mesure le drame de couple complexe qui s’est joué.

Le père a toujours été fêtard et flambeur, il est rattrapé par sa propension aux addictions en sombrant dans l’alcoolisme, d’autant que ça va mal dans son couple, mal à son travail, mal avec son banquier – et mal dans sa tête. Curieuse façon d’écrire, il « ouvre une bouteille de scotch ou de whisky » (p.94), comme si le scotch n’était pas un whisky d’Écosse – dirait-on « un scotch-terrier ou un chien »… ? Le père se sent coupable du naufrage qui vient, de plus en plus coupable.

La mère subit la violence de l’alcoolique qui sert d’exutoire aux frustrations, d’autant qu’elle reste passive, dans son rôle tradi de catho effacée, bien que n’étant pas mère au foyer. Ses enfants sont des garçons, ce pourquoi elle n’intervient pas pour eux. Laissé sans échanges sur l’oreiller ni à table, fautif d’avoir eu un moment de colère qui a fait rompre les ponts à « Nicolas », le père monte en pression. Son épouse et mère ne sert à rien, ni de raison ni de soupape, elle ne songe au contraire qu’à le fuir, dénier les problèmes, divorcer peut-être malgré la réprobation sociale catholique bourgeoise de la ville. Chacun se révèle victime et coupable, tournant en rond dans le huis-clos familial, accentué par les confinements Covid.

C’est l’impasse, donc le drame. Quand tout repose sur les épaules du père, accusé un peu vite de machisme par le féminisme d’ambiance, quand l’épouse reste sans rien tenter ni dire, préférant le confort mental de sa dépression et ses médocs adjuvants, quand les garçons n’osent pas dire ce qu’ils veulent et s’opposer – il finit par craquer. A l’effarement de Laurie, qui en parle au moins avec son psy. Les non-dits des souffrances sont ravageurs pour la personnalité, qu’on se le dise.

Oui, c’est un bon roman à suspense, original.

Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, 2023, Pearlbooksedition Zurich, 201 pages, €18,00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi

Mary Higgings Clark, décédée en 2020 à 92 ans, adorait écrire à la fin de sa vie avec sa fille Carol, morte à 66 ans en juin 2023 d’un cancer colorectal. Catholique fervente en bonne descendante d’Irlandais, Mary a été membre de l’ordre de Saint Grégoire le Grand, de l’ordre de Malte et de l’ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem. C’est dire si la religion imbibe son œuvre. Il faut y voir sa patte dans ce court roman de Noël, où tout commence aux portes du Paradis chrétien.

Sterling Brooks attend depuis 46 ans au Purgatoire et voit passer devant lui des hordes de gens moyens, ni bons ni mauvais, mais pires que lui, juge-t-il. Il ne fait même pas partie de cette « amnistie de Noël » que (probablement Carol, qui a de l’humour) imagine aux juges du Paradis. Mais il est convoqué illico devant un jury d’ex-humains devenus saints chargés de juger les affaires courantes. Sterling en est une. Il a en effet fait preuve d’un égoïsme flemmard toute son existence, terminée d’une balle dans la tête à 56 ans : une balle de golf. Le jury le taxe même d’« agressif passif », un comportement à la mode et mal défini qui voit dans la méfiance envers les autres une sourde hostilité plus ou moins consciente et un déni de responsabilité qui fait se défiler au maximum. Sterling a, par exemple, fait languir durant des années sa « fiancée » sans jamais conclure, ce qui l’a conduite à rater sa vie, ce qui signifie rester célibataire et sans enfants.

Le jury céleste condamne donc Sterling à une épreuve : il devra retourner sur la terre comme un fantôme et aider quelqu’un, tel « une vieille dame à traverser » (autre trait d’humour du roman, les « vieilles » dames de nos jours étant fort capables de traverser toutes seules les rues au feu rouge !). Il doit ainsi montrer qu’il est capable d’empathie, donc d’entrer au Paradis. Expulsé sur la terre, il se retrouve au Rockefeller Center, au pied de l’arbre de Noël géant de tradition.

Sur la patinoire du Centre, une fillette de 7 ans, Marissa – elle aura 8 ans le jour de Noël. Elle est virtuose et aime patiner, mais elle est triste parce qu’elle le faisait avec son papa, qu’elle n’a pas vu depuis un an. Il lui téléphone souvent, tout comme sa grand-même, mais il ne peut pas la voir et elle croit qu’il ne veut pas, qu’elle a fait quelque chose de mal et qu’il la met en quarantaine. Ce qui est faux et poignant. Sterling est saisi de compassion, lui qui en s’est jamais intéressé aux enfants faute de les connaître, et veut tout faire pour aider cette bambine. Il va pour cela demander l’aide du Ciel, qui lui accorde volontiers.

Il va ainsi remonter dans le temps pour connaître les causes, découvrir la grand-mère Nor et son fils Billy, la première ex-chanteuse de cabaret tenant un restaurant-spectacle à succès, le second chantant et devenant de plus en plus apprécié. Jusqu’à ce qu’on les engage tous deux pour l’anniversaire de la vieille mère de deux truands, les frères Badgett. Mama Heddy-Anna vit au Kojaska, une contrée (imaginaire) à l’est où les mafias règnent, d’ailleurs le père est en prison. Les fils ont dû fuir, risquant la geôle à vie, et ils ne peuvent retourner voir leur mère qui s’ingénie, à chaque appel, à détailler ses maux imaginaires (écrits sur une ardoise à côte du téléphone) pour les appeler à elle. Bourrée à la vidéo lors de la retransmission pour son anniversaire à la réception de ses fils, à New York, Mama envoie foutre tous les invités chics. Les frères sont en colère et, comme l’un de leurs débiteurs réclame un délai, ils mandatent un truand pour incendier son entrepôt en signe d’avertissement ; l’informaticien qui tirait le diable par la queue en a une crise cardiaque. Billy et Nor, qui les avaient suivis dans la maison pour savoir s’ils devaient continuer à chanter ou partir après l’esclandre, entendent par inadvertance l’intimidation au téléphone et, s’ils s’éclipsent sans se faire voir des frères, l’avocat des mafieux les observe.

Ce Charlie est entré dans un engrenage dont il ne peut se dépêtrer sans craindre pour sa vie. Il a eu le tort d’accepter une mission légale pour les Badgett sans se renseigner sur eux puis, de fil en aiguille, a été forcé de recourir aux menaces pour les débiteurs en retard et, lorsqu’il s’agit d’aller jusqu’au meurtre, il se trouve acculé. Il va trouver une ruse pour s’en sortir, suggérée par Sterling qui va ainsi le sauver en même temps que la petite Marissa, son père et sa grand-mère. Et tout ira bien qui finira bien, juste pour Noël, cette fête du renouveau chrétien. Sterling a incarné le rôle du sauveur (sans majuscule) et il est donc digne du Paradis. Mais, dernier trait d’humour, il a pris goût à ce rôle d’aider les gens et il demande à accomplir d’autres missions…

Le scénario gentillet ne s’élève pas au-dessus de celui du Club des Cinq, et la naïveté de la foi du charbonnier fait sourire les non-Yankees. Mais c’est une belle histoire, sentimentale et sans trop de violence qui plaît aux lectrices de MHC. Il semble qu’elle tombe dans le rose bonbon dès qu’elle écrit avec sa fille Carol, élevée sans les épreuves qu’elle-même Mary a connues dans son existence.

Il en a été tiré un film par David Winning en 2002.

Mary et Carol Higgings Clark, Ce soir je veillerai sur toi (He Sees You When You’re Sleeping), 2001, Livre de poche 2003, 255 pages, €7,40

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Mary Higgins Clark, Douce nuit

C’est un conte de Noël. Un conte policier avec un enlèvement d’enfant, et un conte catholique où la prière et saint Christophe sauvent le gamin, comme le saint a porté le Christ. Tout pour faire une belle histoire, avec du sentiment et un peu de suspense, même si la lectrice (majoritaire chez MHC) « sait » que ce sera une happy end. Malgré cela, la mayonnaise prend et le savoir-faire de la narration envoûte ; la nuit est douce à consommer le livre.

« C’était la veille de Noël à New York » est la première phrase. Catherine, une mère gourde, toujours à « oublier », à craindre et en général à penser à autre chose qu’à l’instant présent, emmène ses deux fils, Michael et Brian, 10 et 7 ans, voir les vitrines de la Cinquième avenue et le sapin illuminé. Un violoniste de rue chante Douce nuit et la gourde saisit son portefeuille trop garni – car elle a « oublié » de laisser la liasse de dollars à la maison – pour donner un billet à chacun des enfants afin de donner au musicien. Michael y va, Brian tarde. Il s’aperçoit que sa gourde de mère a laissé tomber le portefeuille à côté de son sac, toujours ailleurs, jamais à ce qu’elle fait.

Et une femme le ramasse, hésite et part avec. C’est une pauvre, elle en a besoin, mais a un peu honte quand même pour la morale. Brian la suit car il veut surtout récupérer la médaille de saint Christophe, grosse comme une pièce de 1 $ et suspendue au bout d’une chaîne, qui a sauvé son grand-père d’une balle allemande durant la Seconde guerre mondiale. Granny l’a donnée à maman pour quelle la porte à son mari qui est son fils, hospitalisé pour une grave opération. Elle « croit » qu’elle peut le sauver, elle a la foi et Brian veut partager la même.

Le petit garçon de 7 ans disparaît donc en suivant Cally qui revient chez elle. Un minuscule appartement miteux où elle vit avec sa fille de 4 ans, venant tout juste de sortir de prison pour avoir aidé son vaurien de frère Jimmy à fuir la police. Or le vaurien s’est évadé le jour même, blessant à mort un gardien. Il compte une fois de plus sur sa sœur pour lui donner des vêtements civils et quelque argent. Brian est là au mauvais moment.

Alors qu’il écoute à la porte, Jimmy l’entend, l’attrape et le menace. Il apprend par le gamin que Cally a un portefeuille bien garni qui ne lui appartient pas et s’en empare. En tombant, la bourse laisse échapper la médaille que Brian accapare pour se la passer au cou sous son pull, directement sur sa poitrine. Jimmy l’emmène avec lui comme otage pour museler sa sœur, l’avertissant que, si elle prévient la police qu’il est passé, il tuera le gamin d’une balle dans la tête.

Et la cavale commence pour Jimmy et Brian, et le calvaire commence pour la maman et Michael. Après avoir claironné qu’il voulait joindre le Mexique, Jimmy part naturellement vers le Canada, plus proche. Il vole une voiture à des bobos insouciants. Brian a peur mais se dit que s’il parvient à se jeter par la portière… Sauf qu’il y a de la neige et que les voitures mal conduites font des tête à queue. Jimmy conduit bien, il a bricolé des voitures dès l’âge de 12 ans, et sa manœuvre empêche Brian de mettre son dessein à exécution.

Il faudra des heures avant que Cally ne se décide enfin à appeler l’inspecteur de police qu’elle connaît pour lui révéler où va Jimmy et qu’il a pris avec lui le gamin disparu, recherché partout à la télé. Elle cède à l’émotion de la gourde, pardon, de la mère, qui n’a rien surveillé, rien vu, rien pensé. Elle ne fait que culpabiliser et pleurer. C’en est écœurant. A croire que seul le père hospitalisé est l’élément stable de la famille et que sa femme est une incapable de naissance. Michael, 11 ans, est comme son père, il guide sa mère devant les médias de façon raisonnable pour un garçon de son âge.

Après moult péripéties de savoir qui a vu qui et quand, du shérif local astucieux et des supérieurs pas idiots, tout se terminera par un doux carambolage et Brian sera sauvé. Non sans avoir provoqué lui-même l’accident en balançant la fameuse médaille de saint Christophe dans l’œil du ravisseur, s’aidant afin que le Ciel l’aide. C’est mignon, édifiant, catholique. On applaudit le gamin de 7 ans qu’on serait fier d’avoir comme fils.

Un roman qui se lit bien, malgré la niaiserie de la mère. Dans le froid glacial de l’hiver new-yorkais, l’espoir demeure dans l’église illuminée et pleine de monde en prières. Un polar de la foi, un policier de Noël.

Mary Higgins Clark, Douce nuit (Silent Night), 1995, Livre de poche 2004, 187 pages, €7,70, e-book Kindle6,49

Les romans policiers américains de Mary Higgins Clark chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Henning Mankell, Les chiens de Riga

Second roman policier de la série Kurt Wallander par un auteur suédois décédé du cancer en 2015 à 67 ans, cet opus a toutes les caractéristiques de l’auteur et de son personnage : le pessimisme, la dépression, l’impression d’un monde qui se délite. C’est que la Suède, au début des années 1990, est encore cet État provincial, conservateur, content de son modèle social et de sa neutralité géopolitique. Elle n’est pas encore gangrenée d’immigrés musulmans qui importent leur djihad, ni menacée par son voisin impérialiste Poutine. Au fond, la Suède et les Suédois s’isolent du monde et sont contents d’eux.

Alors, lorsqu’un canot pneumatique s’échoue sur la côte avec deux cadavres à bord, c’est un événement. Surtout que les cadavres sont ceux d’hommes jeunes, vêtus richement et tués par balle après tortures. Le canot s’avère provenir d’une fabrication yougoslave, largement utilisée sur les cargos du bloc de l’Est. Ces hommes seraient donc venus des rivages prosoviétiques, peut-être des pays baltes où la contrebande fleurit avec la Suède.

L’URSS s’effondre en cette année 1991 et les pays satellites n’ont qu’une hâte, s’émanciper du « grand frère » soviétique. Bien avant la propagande mensongère de Poutine, qui accuse les autres de pratiquer les horreurs qu’il pratique avant eux, les pays baltes sont « comme des provinces coloniales » p.136. C’est dit en toutes lettres en 1991 dans le roman, et c’était dans les paroles de l’époque. Il n’y a que les aveuglés de l’idéologie extrémiste de droite, les intellos qui se prennent pour des historiens, comme Zemmour, pour « croire » le dictateur mongol, au mépris des faits historiques.

Wallender, chargé de l’enquête, se voit adjoindre rapidement un major venu de Riga en Lettonie, d’où les deux morts sont originaires. Enquête bouclée ? Pas si sûr. Il est appelé en Lettonie quelques jours après le rapatriement des corps et le départ du major Liepa pour compléments, sur la requête de Riga. Là, deux commandants de police lui apprennent que le major Liepa a été assassiné, ce qui pourrait avoir un lien avec ce qu’il avait découvert en Suède. Car c’est la pratique habituelle des services de force (KGB, police, armée) d’éliminer les gens qui dérangent.

Kurt Wallender ne sait pas trop ce qu’il fait là et comment il peut aider. Le major ne lui a dit que des généralités, mais il a compris que le régime soviétique, dans les pays baltes comme dans tout l’empire, était une alliance étroite des services de force avec les mafias criminelles. Il y a longtemps que « l’Etat » n’est plus régi par le droit mais par le bon vouloir des parrains qui se tiennent et se surveillent mutuellement – et c’est plus que jamais le cas aujourd’hui, où l’idéologie communiste est passée dans les poubelles de l’Histoire. La Lettonie veut s’en émanciper, mais les Bérets noirs russes ont tiré sur la tour de télévision et le Parlement en janvier 1991, juste avant la chute de l’URSS, réprimant toute velléité d’indépendance. Une guerre sourde fait rage entre les pro et les anti soviétiques et le major Liepa a été pris entre les deux.

C’est ce que comprend laborieusement Wallender, trop provincial pour la géopolitique et trop dépressif pour l’histoire qui se fait. Le lecteur touche ainsi les limites du personnage, qui deviendra plus allant dans les enquêtes suivantes. Mais là, tout est gris : le ciel, l’atmosphère, les gens, le régime, la Scanie même. Son père ne sait pas pourquoi Kurt a voulu devenir flic et le lui reproche sans cesse, tout comme il peint obsessionnellement le même paysage suédois avec coucher de soleil, avec parfois un coq de bruyère dans un coin. Son chef Björk chercher toujours à se couvrir, son adjoint Martinsson toujours à agir. Wallender boit trop de café, supporte de plus en plus mal les cuites, s’entend encore moins avec sa fille partie à Stockholm, et se demande s’il ne devrait pas démissionner pour prendre le poste de chef de la sécurité dans une boite provinciale.

Mais la résistance de groupes lettons l’entraîne malgré lui. Il veut savoir ce qui est arrivé au major Liepa ; la femme du major lui donne des rendez-vous secrets dans une Riga grise, où il doit semer ses surveillants. Un document dans lequel le major résumait ses enquêtes sur la mafia et les services doit bien être caché quelque part, il faut le trouver. D’autant que Wallender cherche moins à savoir qu’il ne tombe amoureux de l’épouse, Baiba Liepa.

Malgré l’atmosphère crépusculaire du héros, des personnages, et l’ambiance de fin du monde soviétique, il y a quelques séquences d’action assez prenantes, entrecoupées de séances de réflexions intéressantes. L’enquête progresse, tout se dévoile, non sans un ultime retournement.

Henning Mankell, Les chiens de Riga (Undarna i Riga), 1992, Points policier Seuil 2004, 336 pages, €8,50, e-book Kindle €7,99, livre audio gratuit avec l’offre d’essai Audible

Les autres romans policiers d’Henning Mankell déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Caleb Carr, L’aliéniste

Un grand roman policier décalé, par un auteur new-yorkais né en 1955 et fils de beat. Il situe son histoire en 1896, dans un New York en plein essor dû à l’afflux d’immigrants et fait intervenir des protagonistes de choix, les trois amis d’Harvard que sont Theodore Roosevelt (pas encore président mais préfet de police de la ville), le journaliste criminel de la bonne société Schuyler Moore et l’aliéniste d’origine hongroise Laszlo Kreizler. La psychiatrie n’existe pas encore vraiment et l’on nomme aliéniste ceux qui s’occupent des « fous ».

Le livre offre un triple intérêt : d’abord une bonne histoire policière de tueur en série et de sa traque minutieuse ; ensuite une peinture imagée de la ville de New York à la fin du XIXe, alors que les États-Unis ne sont pas encore une économie-monde et que les grandes fortunes (dont J.P. Morgan) règnent sur son gouvernement ; enfin des méthodes d’enquêtes tout à fait révolutionnaires, modernes pour l’époque, en faisant appel à toutes les techniques para-policières, y compris la philosophie de William James – les flics étant embauchés au bas de l’échelle et notoirement corrompus.

Tout commence par un meurtre, celui d’un prostitué mâle adolescent de 13 ans, immigré italien pauvre qui avait quitté sa famille parce que son père le fouettait pour avoir cédé dès 7 ans aux plus grands qui lui demandaient des fellations puis ses fesses. Non seulement le garçon déguisé en fille a été tué, mais mis en scène sur une tourelle en construction du pont sur l’East River, atrocement mutilé, éviscéré, énucléé et châtré, une main coupée. Post mortem heureusement. Mais pas violé. Pourquoi ce rituel ?

L’horreur se double d’une information et d’un constat amer : ce n’est pas le premier crime a avoir été commis de cette façon sur des adolescents invertis des bas-fonds de New York  – et tout le monde s’en fout. La « bonne » société ignore tout simplement ces disparitions par le déni des miséreux étrangers ; les religieux chrétiens y voient – de façon peu chrétienne – le châtiment normal de pécheurs irrécupérables ; les flics en profitent pour violenter, violer et se faire offrir des pots de vin – ils ne vont pas se mettre en quatre pour des rebuts de la société que personne ne considère ; les malfrats qui tiennent la ville, enfin, tout comme les grandes fortunes, ont intérêt à « tenir » le bas-peuple immigré par ce genre de violence : c’est ce qui leur pend au nez s’ils ne se tiennent pas tranquille, dotés d’un travail décent et avec une morale irréprochable.

Ce roman va donc bien plus loin que la simple enquête policière. Il traque les origines de la violence, non seulement personnelle, mais aussi institutionnelle et sociale. Un psychopathe peut assouvir ses instincts en toute liberté si la société est permissive à ce type de comportement, car sur des personnes ne présentant aucun intérêt social. La méthode d’enquête va donc bien vite quitter la police pour créer une cellule à part, sous les ordres du préfet Roosevelt, 38 ans et six enfants, président du pays dans cinq ans et futur prix Nobel de la Paix en 1906. Deux détectives, une assistante, le journaliste et l’aliéniste vont se mettre au travail, aidés par les domestiques de ce dernier, le nègre Cyrus et le jeune Stevie, 12 ans, petit délinquant récupéré après qu’il ait tué un gardien qui tentait de le violer.

Dès lors, ils vont traquer ce Jack L’Éventreur américain mais, contrairement à l’anglais, vont le trouver. Ils usent pour cela de la méthode inverse : partir des caractéristiques des crimes pour remonter au profil du tueur, puis identifier l’individu réel. Le lecteur mis en appétit ne sera pas déçu. Aucun chapitre ne se termine sans un quelconque progrès et les tâtonnements, observations, déductions et raisonnements sont aussi passionnants que ceux de Sherlock Holmes. Leur travail est collectif et chacun apporte sa vision.

Le meurtrier continue à frapper, mais un schéma commence à se dessiner : c’est toujours lors de fêtes chrétiennes du calendrier, toujours sur de jeunes garçons qui offrent leur corps, toujours après les avoir enlevés sans que personne ne le voie ; toujours sans viol mais avec des mutilations post mortem. Il doit y avoir dans le passé du tueur des traumatismes violents qui le poussent à détruire la jeunesse en fleur. Peut-être un rejet de sa mère, maltraitante même si cette façon de voir fait socialement l’objet d’un déni ; peut-être des scènes d’horreur qui l’ont marqué enfant ; peut-être même un viol à l’âge de ses victimes…

Malgré le sujet de la vie sexuelle des jeunes garçons devenu « tabou » pour la pruderie conservatrice d’aujourd’hui ; malgré la tendance très bourgeoise et chrétienne du déni envers tout ce qui dérange la morale commune bienséante ; malgré les abominations parfois décrites de façon clinique, ce qu’on n’ose désormais plus dans les livres, à la télé ni à la radio (mais qui se défoule sur le net) – ce roman policier est très prenant et se dévore littéralement jusqu’au bout.

Grand Prix de littérature policière et le prix Mystère de la critique 1995, le roman a fait l’objet en 2018 d’une série en 18 épisodes sur (évidemment) Netflic et Anal+. Le roman est probablement bien plus intéressant que sa déclinaison télé – forcément résumée, altérée et formatée grand public.

Caleb Carr, L’aliéniste (The Alienist), 1994, Pocket 2004, 574 pages, occasion €1,88, e-book Kindle €13,99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Lisa Unger, L’île des ombres

Un roman policier américain un tantinet bavard, avec des personnages contrastés par paires, et qui fait la part belle aux femmes. C’est d’elles que tout vient – qu’on se le dise. Les mâles ne sont que des comparses, plus ou moins de hasard, jamais fiables ou jamais là quand « on » aurait besoin d’eux, voire carrément des non-existences, comme ce bel éphèbe qui fait flasher Chelsea, 16 ans, parce qu’il aime la musique et la littérature plus que la baise ou le sport, mais qui est totalement inventé par sa copine et son petit ami pour la forcer à sortir.

Kate est une mère sans cesse en mouvement, divorcée évidemment d’un premier mari écrivain alcoolique et violent (choisi on ne sait pourquoi, par faiblesse de vagin ?), et qui lui a donné Chelsea. Laquelle est une jeune fille sage qui ne s’intéresse pas aux garçons parce que ceux-ci ne s’intéressent pas à elle, n’ont aucune passion en commun avec elle, ne la regardent même pas. Car, selon Lisa Unger, autrice yankee dans le vent, les garçons de 16 ans ne voient dans une fille que le cul, la femelle en chaleur, la possibilité de se vider… Telle est Lulu, la grand copine de Chelsea, qui est populaire sur Fesses-book parce qu’elle couche, mais qui est nulle en maths et en littérature et exploite sa grand copine pour qu’elle fasse ses devoirs à sa place. Triste Amérique.

Kate a aussi un fils, Brendan, mais il n’a que 10 ans et reste donc encore mignon car dépendant, bien que fan de foot américain, donc casse-cou. Il sera probablement comme le grand-frère de Kate, Gene, un athlète qui s’émancipera de maman et de toutes les femmes pour agir en prédateur – comme ils ne font tous, selon l’autrice yankee dans le vent.

Quant à Sean, le second mari et père de Brendan, il est sûr et protecteur, mais jamais là quand il le faut. Pas plus que Joe, le père de Kate et mari de Birdie, laquelle ne l’a épousé que par raison car son grand amour était pour un écrivain alcoolique et violent, dépressif, qui s’est noyé. Le lecteur saura pourquoi et comment tout à la fin.

Surgit aussi Emily, une pauvre conne de 20 ans qui ne sait jamais où elle en est, commençant des études d’institutrice pour les arrêter très vite parce qu’elle est amoureuse de Dean, un loser qui n’a jamais rien fait de bien, jamais sûr de lui, mal élevé par un père qui l’humiliait, et qui s’est lié avec un malfrat psychopathe, Brad, qui lui fait faire à peu près tout ce qu’il veut. Emily sait, par raison, ce qu’elle devrait faire, mais choisit systématiquement l’inverse, par lâcheté du bas-ventre. Elle « aime » son nullard Dean qui la manipule et l’exploite, mais voudrait « le sauver »… Triste niaiserie américaine.

Nous avons donc une suite de paires : Birdie et Kate, mère et fille – qui ne s’entendent pas mais ne peuvent s’ignorer (on ne sait pourquoi) ; le frère de Kate, Théo, est absent, il ne veut plus voir sa mère trop rigide. Chelsea et Lulu, deux copines – le jour et la nuit mais qui s’admirent l’une l’autre pour ce qu’elles ne sont pas et qu’elles trouvent en complément. Joe et Sean, le grand-père et le père, qui évitent la famille, pris par « leur travail » mais soucieux surtout d’un peu d’air. Emily et Dean – deux amants que tout oppose, reliés seulement par la lâcheté vaginale de la femelle. Dean et Brad, deux compères dont l’un suit l’autre comme un toutou soumis.

Tout va se nouer autour d’une île privée, isolée au milieu d’un lac à quelques heures de New York. Birdie y vit presque à l’année, c’est « son » île, sa mère y a vécu et aimé, elle y a grandi, l’a gardée par héritage. Elle invite rituellement tous ses enfants et petit-enfants à venir passer quelques jours chaque année pour les vacances. Cette obligation ennuie tout le monde, malgré quelques souvenirs d’enfance ravie à nager, canoter et jouer au Robinson sur une île loin de tout et sans électricité – dont l’eau est à 15° – et qui capte très mal le réseau. Joe s’enfuit pour la ville ; Sean prétexte une maison à vendre comme agent immobilier, Brendan est pris par une entorse au foot brutal en vogue aux USA. Restent les filles : Birdie, Kate, Chelsea et la comparse Lulu, « une traînée » selon la grand-mère qui voit bien qu’elle ne fout rien d’autre que d’aguicher.

Pendant ces longs préliminaires d’exposition bavarde, Emily fait des siennes. Elle travaille comme serveuse à mi-temps dans un restaurant de la banlieue de New York et sa patronne Carol l’aime bien ; elle assure le viatique du ménage car Dean est incapable de trouver du boulot ou, quand il en décroche un, est foutu dehors très vite pour avoir pété les plombs. Mais Dean a un plan : il rameute Brad, un copain de tôle rencontré quand il était mineur, pour voler la recette hebdomadaire en liquide du restaurant de Carol. Emily doit leur ouvrir la porte arrière en prétextant vouloir s’épancher auprès de sa patronne. Elle sait qu’elle devrait lui dire d’appeler la police mais n’en fait rien, par lâcheté. Elle trahit sciemment son substitut de mère qui est bonne pour choisir le mal, par faiblesse. C’est une conne, une larguée, une femelle tenue par la touffe comme dirait Trump – qui en sait quelque chose. En 2012, le trumpisme est passé dans l’écriture des romans américains, on s’en rend compte ici.

Évidemment tout se passe mal, il y a des morts, des blessés. Emily persiste et signe, elle emballe ses malfrats meurtriers avec elle pour rejoindre l’île de « son père » (qu’elle croit), sorte de refuge protecteur comme un paradis, où tout pourrait recommencer (qu’elle croit). Tant de stupidité laisse pantois. Et puis c’est le huis-clos sur l’île entre la bande de femelles et les deux potes. Évidemment, rien ne va comme prévu et les secrets de famille s’en mêlent. Vous ne pourrez que noter, à la fin, que tous les morts de ce roman sont mâles. Un « féminisme » qui dérive vers l’extermination de la moitié humaine, un signe des temps. Un extrémisme américain à fuir.

Au total, un roman intéressant, plus sur ce qu’il montre des États-Unis en train de se métamorphoser en un pays de plus en plus étranger aux nôtres, malgré la colonisation des esprits qui adorent parler globish et écrire bancal comme là-bas. Un style bavard et des personnages un peu caricaturaux, mais dans une ambiance à la Mary Higgings Clark. Peut se lire, mais ne se relit pas, signe d’une qualité littéraire médiocre. Il est fait pour faire du fric, très vite, selon la mode du temps.

Lisa Unger, L’île des ombres (Heartbroken), 2012, Livre de poche 2014, 549 pages, €7,90 e-book Kindle €11,99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,