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Les cadavres ne portent pas de costard de Carl Reiner

Un film expérimental et drôle, composé principalement de montages de scènes cultes des films noirs américains des années 40 et 50 ! Une parodie où l’on retrouve Lauren Bacall, Cary Grant, Humphrey Bogart, Ava Gardner, Burt Lancaster, Kirk Douglas et d’autres, qui se coule dans une nouvelle histoire. Juliette, une créature de rêve (Rachel Ward) charge le détective privé Rigby Reardon (Steve Martin) de retrouver comment et pourquoi son savant de père, fabricant de fromage a disparu. Son accident de voiture ai fait les gros titres du Los Angeles Times, mais…

Sa fille doute. S’agirait-il d’un meurtre ? Son père le savant avait trouvé une nouvelle moisissure dans son labo qui puait le fromage, établi dans un quartier périphérique où son odeur ne dérangeait pas. Mieux, elle a trouvé une liste de noms sur un fragment de billet de 1$, et voudrait savoir ce qu’elle signifie. Elle trouvera opportunément d’autres indices, clé, nouvelle liste, reste du dollar, qu’elle livrera au détective très mâle qui la subjugue, tout à fait dans le canon viriliste des années post-guerre. Deux listes, Friends of Carlotta (FOC) et Enemies of Carlotta (EOC), sont énigmatiques. Qui est Carlotta ? Une photo autographe de la chanteuse Kitty Collins, dont le nom figure sur l’une des listes, fournirait-elle des indices ?

Retrouvée, Kitty est réticente, mais convoque Rigby dans un restaurant où elle dîne avec des amis, et lâche sa broche papillon dans sa soupe. Le loufiat qui l’emporte est intercepté par le détective au prétexte sanitaire d’une plainte pour trop de bijoux dans les soupes – gag. Il trouve une liste dans le cœur de la broche. Tous les noms sont rayés – éliminés – sauf un, Swede Anderson, que Rigby retrouve, mais il est tué alors qu’il lui prépare un remède anti gueule de bois avec plus de café en poudre que d’eau et deux œufs avec leur coquille, le tout brassé – gag.

Les scènes raboutées des quelques 19 films noirs sont dans leur jus, le scénario du film de Reiner les raccorde immédiatement. Ainsi les dialogues se suivent, fluides, comme s’ils étaient vrais. Rigby appelle son mentor, Philip Marlowe, héros détective de Raymond Chandler, pour qu’il l’aide. Il y aura bagarre, autres gags, rebondissements, déguisement de Rigby en femme, inévitables nazis revanchards, prétexte fumeux de « nouvelle arme fatale ». Carl Reiner joue lui-même le rôle du maréchal Wilfried Von Kluck. Rigby appelle sa cliente Gueule d’ange (Angelface) et elle le suce lorsqu’il a pris une balle – toujours dans le bras gauche selon les conventions ; elle a appris cela au camp de jeunesse, sucer la plaie pour en extraire le venin, et elle ressort avec la balle entre les dents. Par trois fois, comique de répétition.

Quant au détective, il est amoureux mais ses principes l’empêchent de le déclarer à sa cliente. D’où gag lorsqu’il se tient devant elle avant de se laver les dents et presse le tube de dentifrice sans le vouloir, dans un jet spermatique évocateur de son désir… Mais sa faiblesse est surtout d’avoir perdu son père, parti lorsqu’il avait 7 ans avec la femme de ménage. Depuis, les mots même de « femme de ménage » le mettent dans une transe violente où il étrangle quiconque se trouve en face de lui.

DVD Les cadavres ne portent pas de costard (Dead Men Don’t Wear Plaid), Carl Reiner, 1982, avec‎ Steve Martin, Rachel Ward, Carl Reiner, Reni Santoni, Georges Gaynes, Elephant Films 2020, anglais, français, 1h25, €16,90, Blu-ray €14,88

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La Conspiration du Caire de Tarik Saleh

Au cœur de l’université islamique réputée Al-Azhar, au Caire, un pur jeune pêcheur venu du delta va contrer la toute-puissante Sûreté intérieure du régime militaire égyptien. Celui-ci veut l’accord du sabre et du goupillon, du trône et de l’autel : pas question qu’un nouvel imam soit nommé sans qu’il plaise au Maréchal Président. Des indics infiltrés vont donc œuvrer pour que ce soit le « bon » candidat qui soit choisi, pas trop Frère musulman, plutôt modéré dans son interprétation de l’islam.

Le Grand Imam, plus haute autorité de l’islam sunnite, est mort et Adam (Tawfeek Barhom, 21 ans), qui vient d’intégrer les études avec une bourse, sur la recommandation de son imam de village, voit son ami de dortoir Zizo (Mehdi Dehbi) tué sous ses yeux par les sbires de la Sécurité. Il ne tarde pas à être interrogé, puis recruté par le colonel Ibrahim (Fares Fares), à lunettes et cheveux longs qui font très peu militaires, au contraire de son commandant, jeune brute, un peu grasse déjà et entièrement corrompu. Tous ceux dont il se sert sont tués pour ne pas laisser de traces. Zizo, le précédent indic, est mort parce qu’il voulait arrêter.

Le colonel promet au jeune homme de faire soigner les calculs dans les reins de son père s’il collabore. Adam n’a pas le choix (moral). Il se rapproche donc de « ceux qui prient le matin », les fréristes qui veulent imposer un islam plus littéral et rigoriste contre les vœux du pouvoir. Lorsque le cheikh Ngem (prononcez cher – Makram Khoury), se présente de lui-même à la Sûreté pour s’accuser d’avoir tué l’étudiant, il n’est pas crédible. Aveugle, charismatique, candidat potentiel poste de grand imam, il n’a pas pu tuer un jeune homme en pleine université. Ce qu’il veut, c’est un procès public, pour clamer la vérité. Or cette vérité, il la connaît : c’est la Sûreté qui a fait le coup parce qu’elle l’a manipulé.

Adam voit régulièrement colonel, qui le rencontre de façon fort peu discrète dans un bar, toujours le même, faisant à chaque fois semblant de téléphoner mais se tournant vers lui – comme quoi tout ce cirque est inutile, la Sûreté croit en son impunité. Il reçoit l’ordre de devenir l’assistant du cheikh Al Durani (Ramzy Choukair), candidat proche des Frères musulmans. Parce que le cheikh se sert de lui comme larbin, il va lui faire acheter une tétine pour bébé, Adam se rend compte que le cheikh a un enfant secret, alors qu’il est déjà marié. Il dit que c’est pour son petit-fils, mais il n’a pas de fils… Le Coran le permet, mais pas la réputation du pays, un mariage secret avec une très jeune fille qu’il a engrossée est très mal vu, surtout pour un candidat à l’imamat.

C’est finalement le cheikh en faveur du pouvoir qui est élu, faute de combattants. Adam est alors devenu inutile et le supérieur du colonel Ibrahim veut le faire supprimer, sur l’accusation du meurtre de son ami Zizo, donc pendu. Ibrahim, qui a mesuré le caractère du jeune homme, s’y oppose. Il parvient à convaincre le général Al Sakran (Mohammad Bakri), supérieur de son supérieur, qu’Adam pourrait convaincre le cheikh aveugle Ngem de renoncer à s’accuser faussement, et donc de mettre le pouvoir en difficulté. Adam, étudiant minutieux qui a lu ses textes, moraliste pur de la religion, parvient à faire douter le cheikh de la licéité de sa voie au regard d’Allah et de son Coran. Il réussit et est libéré.

Achevant ses études, il revient à son village, diplôme d’Al Akhar. « Qu’as-tu appris ? » lui demande son imam, tout fier. Adam ne dit rien, mais il repart le lendemain pêcher au large en barque avec son oncle. Pour lui, l’habit ne fait pas le moine, l’apparence n’est pas la réalité. La religion se vit au quotidien, si l’on a la foi ; la morale qu’elle prône est la voie de la pureté. Lui Adam, au nom de premier homme, ne s’est pas laissé corrompre (sous-entendu, il est bien le seul parmi les prétendants à l’interprétation des textes sacrés !)

Tourné en Turquie (évidemment pas en Égypte…), ce thriller dénonce le népotisme et la corruption du pouvoir, la collusion entre islam et politique. Sans crier au chef-d’œuvre pour de mauvaises raisons – ce pourquoi je ne vais pas voir en général les films à leur sortie – il s’agit d’un bon cinéma. L’islam est présenté en religion comme les autres, soumise aux mêmes tentations du pouvoir ou de la morale personnelle, du relâchement au monde ou de l’intégrisme des textes, avec ses intrigues intestines dignes du Vatican, et ses jeux avec le pouvoir civil.

Prix du scénario du Festival de Cannes 2022

Prix François-Chalais 2022

Prix des auditeurs du Masque et la Plume du meilleur film étranger 2022

DVD La Conspiration du Caire (ولد من الجنة, Walad min al Janna, litt. « Garçon venant du Paradis »), 2022, Tarik Saleh, avec Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mohammad Bakri, Memento Distribution 2023, en français, 1h54, €9,99, Blu-ray €16,91

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La Tulipe noire de Christian-Jaque

Un Alain Delon de 28 ans a fait le gros succès mondial de ce film (86 millions d’entrées), principalement en URSS. Inspiré (très librement) du roman d’Alexandre Dumas, le film chante la liberté, mais sous toutes ses formes. Liberté politique, puisque l’on est en juin 1789 ; liberté des mœurs, puisque le libertinage Grand siècle perdure chez les aristos ; liberté des corps puisque l’habit obligatoire au salon se lâche à l’extérieur. Alain Delon laisse sa chemise ouverte pour montrer avec fierté sa jeunesse ; le comte de Saint Preux, son personnage, exhibe sa poitrine pour faire tomber les filles et se battre à l’aise dans les duels.

Nous sommes dans le Roussillon et Paris est loin, mais les nouvelles parviennent vite. Le Tiers-Etat a pris le pouvoir et la Reine, dit-on, en a assez de cette chienlit. Elle compte mater la rébellion le 14 juillet 1789 avec des troupes venues de l’étranger sous les ordres du prince Alexandre de Grassillac de Morvan-Le-Breau (Robert Manuel). Ces troupes doivent passer par la petite ville. Or les nobles de la contrée sont terrorisés par un justicier masqué qui signe d’une tulipe noire. Il s’agit de Guillaume de Saint Preux (Alain Delon), masqué et vêtu de noir, sur son cheval Voltaire. Disney a piqué l’idée à Dumas avec son Zorro, mais Alain Delon est plus fin et plus vivant en aristo libertin épris de liberté que le balourd Jean Dujardin dans la dernière série de dérision (hélas française) Zorro.

Saint Preux se contente de dévaliser les nobles qui tentent de fuir la France à cause des troubles révolutionnaires. Il ne redistribue pas les richesses, c’est seulement pour le plaisir. Voleur la nuit, il est la coqueluche de ces dames de la haute le jour, dans les salons. Il couche ouvertement avec la marquise Catherine (Dawn Addams), épouse de Vigogne (Akim Tamiroff), l’Intendant général de la province. Le Lieutenant général de la police, le baron La Mouche (Adolfo Marsillach), est un vantard qui assure toujours que tout va bien, que tout est sous contrôle. Il soupçonne Saint Preux mais la coterie des femmes au salon le tourne en ridicule. Il va donc lui tendre un piège.

Il remplit la patache qui transporte les impôts de soldats et la fait rouler sans escorte. Elle est évidemment attaquée par la Tulipe noire et son comparse Brignol (José Jaspe). Duels à un contre trois, La Mouche restant prudemment dans la voiture. Mais lorsque la Tulipe s’approche de la portière, une fois son épée brisée, le baron le balafre à la joue. Il réussit à s’enfuir, mais il est marqué. Tout le monde, dans les salons, saura qui il est vraiment.

Sauf que Guillaume de Saint Preux a un petit frère Julien (Alain Delon encore) qui lui ressemble étonnamment. Seul le cheval Voltaire, exclusif, distingue les deux hommes pour préférer son maître. Julien est plus jeune que Guillaume, plus timide, mais l’a toujours admiré et en a fait son modèle. Ce pourquoi, lorsque son aîné le fait venir pour endosser son rôle, il est aux anges. Lui paraîtra au salon pour se pavaner devant la cour provinciale, lui écoutera parler de la politique et des ordres confidentiels de Versailles, lui pourra se laisser lutiner la belle marquise. La Mouche, qui se vantait déjà d’avoir démasqué la Tulipe noire, est une fois de plus ridiculisé devant la joue lisse du jeune comte.

Mais Julien n’est pas Guillaume. Il n’a pas son cynisme, son appétit de vivre. Lui aussi est pour la liberté, mais pour tous, pas seulement pour lui-même. Il est pour la Révolution et pour le peuple. Il ne cède pas aux plaisirs sans lendemains. Aussi, lorsqu’il se rend au château du marquis de Vigogne, il n’a pas pour intention de sabrer la marquise qui, pourtant, ne demande que cela dans le petit salon rouge. Au contraire, il a rencontré en chemin une future mariée Caroline (Virna Lisi), qui l’a aidé lorsqu’il s’est fait mal au genou parce que son cheval, dont il savait pourtant qu’il n’aimait pas le bruit, a rué au son des cloches de l’église. Le père Plantin (Francis Blanche) est un gros popu révolutionnaire qui plaît bien à Julien. Lequel va donc garder la couronne de fleurs d’oranger de la fiancée, et le mariage ne pourra pas se faire. D’ailleurs Caroline est tombée immédiatement amoureuse de lui.

Déçu par le cynisme libertin de son frère, Julien va jouer le justicier Tulipe noire à sa place et aider les révolutionnaires du Roussillon à empêcher l’armée de rejoindre Versailles. Pour cela, voler de la poudre au baron La Mouche, faire sauter le pont, enlever le prince commandant l’armée, lui faire signer une procuration, aller trouver le colonel et lui faire faire demi-tour sur ordre.

Malgré tout, La Mouche a découvert le repaire des révolutionnaires, dans une scierie de la montagne. Il attaque en force et Guillaume comme les autres sont pris. Aristocrate, Saint Preux est condamné à être pendu tandis que la plupart sont jetés en prison. Julien décide de faire évader son frère avant l’aube, mais Guillaume se blesse à la jambe en tombant. Il est repris et pendu le lendemain devant les salonnards assemblés, tandis que Julien parvient à fuir. Et à reprendre le flambeau de la Tulipe noire.

Il se montre au-dessus du salon, effarant les aristos qui le croyaient mort. Mais c’est le cadavre du marquis qui se balance à la potence ; il a été enlevé et sitôt jugé par le peuple. La marquise de Vigogne sans mari s’enfuit avec le prince de Grasillac sans armée, tandis que le cheval tue La Mouche, Voltaire fait chuter le baron de la falaise. Et l’aristo Julien épouse la roturière Caroline le jour de la prise de la Bastille.

C’est une belle histoire, entièrement inventée, de l’aventure avec panache à la française. Ne boudons pas notre plaisir, mais il faut savoir que Dumas n’a donné que le titre, tout le reste est réécrit. La Tulipe noire n’a jamais existé, pas plus que « le prise de la Bastille : si l’on en croit l’histoire réelle, la forteresse n’était plus une bastille depuis longtemps, et elle n’a pas été prise mais les portes se sont ouvertes sans combat. Reste le mythe, que le peuple préfère toujours au vrai. Ainsi chante-t-il à l’unisson lorsque des manipulateurs moins bien intentionnés que Christian-Jaque et Alain Delon, lui livre une belle histoire prête à croire.

DVD La Tulipe noire, Christian-Jaque, 1963, avec‎ Alain Delon, Virna Lisi, Adolfo Marsillach, Dawn Addams, Akim Tamiroff, Seven7 2025, français, 1h50, €16,99, Blu-ray 4K ultra HD €34,99

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Papillon de Franklin Schaffner

Une adaptation quasi immédiate (1973) du récit romancé Papillon (1969) écrit par Henri Charrière et publié dans la regrettée Collection Vécu de Robert Laffont (13 millions d’exemplaires vendus dans le monde). Charrière dit qu’il a été condamné au bagne de Cayenne à perpétuité dans les années trente pour le meurtre d’un maquereau (le souteneur, pas le poisson) qu’il n’a pas commis (des recherches montrent cependant qu’il y avait plusieurs témoins). Il n’aura dès lors qu’une obsession : s’évader pour se venger de la société, et lui prouver que, quoi qu’il arrive, il est « toujours vivant ! ».

Sur le navire-prison La Martinière, les bagnards sont parqués comme sur un négrier. La douche est un jet d’eau à travers les barreaux, le couchage un hamac tête bêche pour gagner de la place. Les détenus ont planqué dans leur cul des tubes emplis de billets, car seul l’argent permet d’aménager sa vie au bagne, voir d’acheter un petit bateau pour tenter l’évasion. Ils doivent aller aux chiottes avant de payer (scène d’humour). Papillon (Steve McQueen), surnommé ainsi parce qu’il a un papillon tatoué sur le sternum, lie connaissance avec Louis Delga (un ancêtre de Carole ?) – un Dustin Hoffman étonnant, une fois de plus métamorphosé. C’est un faussaire réputé pour avoir contrefait des Bons de la Défense nationale, et déconfit pas mal de gens. Lui a de l’argent, et les autres pourraient bien lui ouvrir le (bas) ventre pour lui piquer son tube. Papillon se propose de le « protéger », ce qu’il réussit lorsque deux condamnés pour meurtre tentent de lui faire la peau à bord.

Dès lors, c’est à la vie à la mort entre eux. Delga tente de soudoyer une « fin de peine » chargé du tri des travailleurs pour rester au calme, mais l’officier qui surveille, entendant son nom, lui dit qu’il a ruiné sa mère et qu’il va l’affecter aux travaux de déboisement du marécage. Avec son copain, bien entendu. Les deux charrient des arbres à main nue, la corde sur l’épaule. Un garde tire sur un crocodile qui matait la chair fraîche, et charge Papillon et Delga d’aller le ramasser. Sa peau est vendue à prix d’or – par les gardes. Scène désopilante où les deux ne savent plus où est la tête et la queue, car le saurien n’est pas mort et veut mordre.

Première tentative, Papillon achète sur promesse un bateau à un garde mais, sur place, il est pris par deux chasseurs d’hommes qui touchent une prime à chaque forçat évadé repris. C’était un coup monté : appâter avec un espoir d’évasion et faire tomber dans le piège, pour se partager les beaux billets de France. Delga n’a pas voulu tenter le coup car il est persuadé que sa femme et son avocat grassement payé avec l’argent qu’il a accumulé, vont le tirer de là. Las ! Il déchantera, apprenant quelques années plus tard que la pétasse a épousé le baveux pour jouir sans lui de sa fortune mal acquise. Louis Delga est constamment le dindon de la farce, ne réussissant que de petits coups pour se mettre à l’abri, ne rêvant au fond que de survivre d’une existence tranquille en attendant que ça passe. Ce qu’il réussira à la fin dans l’île du Diable, reclus à vie dans sa cabane entouré de cochons et d’un jardinet où il sème des carottes et des tomates.

Papillon est tout l’inverse : un risque-tout qui tente toujours, avec une chance sur deux de réussir. Reclus deux ans pour sa tentative d’évasion, six mois de plus dans l’obscurité pour avoir refusé de donner le nom de celui (Delga) qui lui faisait parvenir de la noix de coco pour se maintenir, il est affaibli, malade, mais ne craque pas. A l’infirmerie, il est soigné par Maturette (Robert Deman), un jeune infirmier meurtrier homosexuel (en 1973, on commençait à parler ouvertement de « ces choses-là » au cinéma), et Delga lui fournit de la viande pour se remettre. Rien de tel que les vraies protéines pour refaire du muscle et retrouver les idées claires (les écolos végan sont des urbains sédentaires souvent fonctionnaires qui n’ont jamais eu à survivre).

Deuxième tentative, Papillon requinqué concocte un nouveau plan d’évasion. Delga se laisse convaincre de partir avec lui et Maturette exige de le suivre. Aidé par ses deux compères, un troisième canant au dernier moment devant un garde, ils font le mur, trouvent la barque et le passeur qui les mène dans les marécages jusqu’au « bateau » promis. Une fois payé, le passeur s’empresse de s’enfuir : c’est que le voilier promis existe bien, mais qu’il est tout pourri, le plancher crève au premier pied qui se pose dessus, la voile part en lambeaux. Encore raté ! Mais la chance est là et Papillon, entendant un oiseau crier, se retrouve face à un trappeur de piaf qui fait son beurre avec les oiseaux rares. Il a descendu les deux chasseurs d’hommes qui attendaient au traquenard et les aide à rejoindre l’île des lépreux où ils vont pouvoir trouver un bateau. Papillon n’a pas froid aux yeux et joue une fois de plus à quitte ou double lorsqu’il se retrouve devant le chef lépreux, au visage rongé (Anthony Zerbe). Il accepte son cigare, déjà sucé, et le fume. L’autre éclate de rire : il n’a que la lèpre sèche, celle qui n’est pas contagieuse. Cette volonté de jouer sa vie, montrant qu’il y tient, gagne la confiance du lépreux qui leur fait donner un bateau correct et une somme d’argent cotisée entre tous.

Il repart donc, manque de se faire arrêter à nouveau à un barrage mais soudoie d’une perle pour la charité une sœur quêteuse qui le mène à son couvent. La mère supérieure (Barbara Morrison), confite en bienséance bourgeoise avant toute charité chrétienne, le livre à la police. Ne jamais faire confiance à une église : quand on n’est pas de la bande, aucun principe ne tient.

Les voilà partis pour le Honduras, où les trois pensent retrouver la liberté. Mais Delga s’est cassé la cheville en tombant du mur et, malgré Maturette qui le soigne, ne peut pas courir. Sur la plage du Honduras, ils tombent sur une patrouille qui veut les arrêter. Seul Papillon parvient à fuir, rencontre un prisonnier de la patrouille qu’il délivre de ses liens, et fuit avec lui dans la jungle. Les soldats payent des Indiens presque nus pour les traquer. Le prisonnier est éventré par un piège de bambou tandis que Papillon est lardé de fléchettes et tombe dans le fleuve. Récupéré, son papillon tatoué fait merveille et le chef du village indien (Victor Jory) le garde ; il veut un tatouage semblable, qu’il paye en perles récupérées des huîtres. Papillon s’amuse sexuellement avec une jeune indienne au seins nus (Ratna Assan), se prélasse sur la plage, c’est la belle vie (hippie, post-68). Mais pas celle qu’il rêve.

Reclus à nouveau à l’isolement, Papillon ne faiblit pas moralement, même s’il s’affaiblit physiquement. Il voit Maturette sur le flanc lorsqu’il sort ; il retrouve Delga vivant mais gâteux – la trahison de sa femme l’a achevé. Tous deux, les seuls rescapés de la fournée du transport La Martinière, finissent leur temps. La loi veut qu’ils doivent passer en détenus libres en Guyane l’équivalent du temps qu’ils ont passés emprisonnés au bagne. Ils sont donc envoyés à l’île du Diable, « d’où l’on ne s’évade pas » à cause des courants et des requins.

Mais il va s’évader et réussir, à la troisième tentative. Seul, ce qu’il aurait dû être dès le début, sans Delga qui n’a plus sa tête, et sur un sac de noix de coco, pas un mythique bateau. Il a observé que, dans un fer à cheval des rochers, la mer s’engouffrait et refluait en sens inverse, renvoyant vers le large. Il attend la dixième vague, statistiquement la plus forte du rythme, pour s’en aller. Delga se détourne, il a déjà oublié.

1933-1944, Papillon n’aura passé en fait que onze ans de sa « perpétuité » au bagne. Il s’est évadé à 37 ans. Le film vieillit les acteurs et change pas mal l’histoire – le récit est d’ailleurs « arrangé » (comme le rhum) par l’auteur qui a repris plusieurs histoires de bagnard à son compte, sur la demande de son éditeur, et s’est fait aider pour l’écriture par Max Gallo. Son message est celui de l’appel de la liberté (le papillon est celui qui s’envole, sorti de sa chrysalide), de l’innocence bafouée par la « justice » sourde, de la vie chevillée au corps malgré toutes les vicissitudes. Un message de vitalité où Steve McQueen avec l’air de rien, excelle. Il n’a jamais appris à faire l’acteur et joue comme il est – comme Alain Delon. La cruauté du bagne, digne du XIXe siècle impitoyable, est mise en lumière (en Lumières…) – il sera supprimé en 1946. L’incarcération n’avait pas pour objet la réinsertion, mais la volonté de briser les hommes. Certains, parmi les très conservateurs aujourd’hui, voudraient bien le rétablir.

A noter que, dans la version DVD remastérisée (ci-dessous), ce sont les scènes coupées au montage qui se retrouvent en version originale en anglais, sous-titrées en français, alors même que l’on a choisi de lire le DVD en doublage français. Une petite déviance technique qui n’enlève pas grand chose à la qualité de cette réédition.

DVD Papillon, Franklin Schaffner, 1973, avec Steve McQueen, Dustin Hoffman, Victor Jory, Don Gordon, Anthony Zerbe, LCJ Éditions & Productions 2024 remastérisé 4K, doublé anglais et français, 2h24, €14,99, Blu-ray €19,99

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Un jour de pluie à New York de Woody Allen

Gatsby emmène Ashleigh, sa copine à l’université chic mais peu connue du nord de l’état de New York, Yardley College, pour un week-end à la Grosse pomme. Lui a gagné 20 000 $ au poker, métier qu’il exerce plus volontiers que tous les autres. Elle doit réaliser une interview du réalisateur connu Roland Pollard (Liev Schreiber) pour la gazette de Yardley et ambitionne de devenir journaliste. Tous deux sont issus de familles riches, de la classe Trompe, lui de New York, sa ville où il est expert au poker (ce jeu de deal), elle de Tucson, Arizona, où son père possède « plusieurs » banques (de quoi diviser les risques et mieux arnaquer).

Ashleigh n’a pas le même but que Gatsby. Le garçon, mince intello un peu paumé (Timothée Chalamet, américano-franco-juif de 24 ans), imagine un week-end romantique où l’interview ne durera qu’une heure. La fille (Elle Fanning, née en Géorgie, 20 ans), blonde un peu nunuche, belle performance d’actrice en ingénue à la Marylin – sans son attrait magnétique – s‘excite en provinciale devant tout ce qui est ciné, télé, acteurs, people. Elle ne veut que « réussir » et est prête à tout pour cela, y compris livrer son corps. Deux verres de vin achèvent de la bourrer, et elle le sait ; elle manque de se faire violer, et elle y va – quitte à « accuser » ensuite « les hommes », dans la bonne tradition du Mitou. Woody Allen, en plein procès d’« agression sexuelle » de sa fille adoptive Dylan, pointe ici sans le dire, et avec humour, ce travers féminin de la génération Z – dont le pendant est Gatsby, sex-symbol en jeune homme jamais fini en pleine crise existentielle (et dans la vie un peu lâche).

Ashleigh se laisse entraîner à voir le film que le réalisateur n’aime pas, puis à boire avec le scénariste Ted Davidoff (Jude Law) qui aime le script et ne comprend pas, puis à rencontrer un acteur connu pour son physique avantageux, Francisco Vega (Diego Luna), à passer avec lui à la télé comme sa « nouvelle conquête », à picoler tant et plus, vin et bourbon, à se retrouver chez lui dans un grand appartement en duplex qui l’émerveille, à le suivre dans sa chambre, à ôter ses vêtements pour… devoir se cacher quasi nue lorsque la régulière de Francisco Vega revient à l’improviste de son voyage. Elle va piquer un imper pour se réfugier sur l’escalier de secours, en slip et soutien gorge, pieds nus, ne pouvant regagner l’intérieur puisque la porte a été refermée et verrouillée par la légitime qui a entendu du bruit et cru à un courant d’air (car la nunuche a – évidemment – fait tomber un classeur).

Gatsby, pendant que sa copine vit sa vie sans penser à lui, tue le temps en errant dans New York, où il rencontre un ancien copain qui tourne un petit film et lui demande de jouer impromptu la scène du baiser dans une voiture décapotée (autre signe d’humour subliminal Woody Allen). Sa partenaire est la petite sœur d’une ex, Chan Tyrell (Selena Gomez), qu’il n’a pas remarquée enfant. Il a du mal à l’embrasser, ses lèvres restant fermée par « respect » (incongru) envers Ashleigh (qui s’en fout bien, mais il ne le sait pas encore). Gatsby, une promenade plus tard, retrouve Chan dans le même taxi qu’ils ont hélé chacun de leur côté. Il l’accompagne dans l’appartement de ses (riches) parents, où il se met au piano et chante « Everything Happens to Me ». Ils parlent de leur amour de la Ville et trouvent que c’est le lieu le plus romantique un jour de pluie – une inversion comique à la Woody Allen de l’épreuve que traverse Ashleigh, chassée du lit de la star par la légitime. La mère de Gatsby (Cherry Jones) l’a obligé à apprendre le piano, et il aime ça, ou plutôt la seule légèreté du piano-bar, le jazz chanté. Elle l’a aussi formée autoritairement à aller aux expositions, à lire des livres, à écouter des concerts. « Il faut » aller voir ça, assénait-elle. Par conformisme ? Par snobisme ? Par culture ? Non, par avidité à accumuler pour paraître. Gatsby le saura bientôt.

Après avoir participé à une partie de poker, où il gagne 15 000 $ comme ça, il va visiter le Metropolitan Museum of Art avec Chan, qui lui avoue alors qu’elle avait le béguin pour lui jeune ado, alors qu’il ne s’était aperçu de rien, étant avec sa grande sœur. Il rencontre son oncle et sa tante par hasard et, voulant les éviter pour ne pas avoir à assister à la soirée de sa mère, qui ne sait pas qu’il est à New York, se retrouve devant eux au détour d’un mur égyptien. C’est le destin. Gatsby doit téléphoner à sa mère, doit assurer qu’il vient « avec Ashleigh », doit jurer qu’il portera une chemise et une cravate. Il était en effet vêtu habituellement en « jeune Z » d’une veste sur une chemise ouverte jusqu’au nombril avec un infâme tee-shirt bordeaux dessous, les tennis blanches de rigueur aux pieds. Mais point d’Ashleigh : que faire ? Cette interrogation à la Lénine trouve sa solution en la personne de Terry, une escort blonde (Kelly Rohrbach) qui l’entreprend et veut se donner à lui pour 500 $ ; il la paye 5000 $ pour jouer le rôle d’Ashleigh pour la soirée. Au gala chic de la Mother, il s’ennuie, il paradoxe, il fuit les mondanités, les cons bourrés de fric, le mariage – que son frère hésite à entreprendre à cause du rire bête de sa fiancée (et, de fait, il l’est – il aurait pu s’en apercevoir avant).

Sa mère le prend à part : elle a reconnu en Terry une semblable, ce qu’elle était avant de rencontrer son mari, une escort, autrement dit une pute sur rendez-vous. Elle la renvoie et dit à son fils qu’elle veut « lui parler ». Elle lui dit tout, que son acquisition forcenée de culture lui a permis de s’élever dans la société et de fonder cette société avec son mari qui les a rendus riches, ce pourquoi elle force son fils à se cultiver malgré lui. Cela le dessille. Il comprend que la vérité est finalement le seul moyen d’avancer quand on est en plein brouillard.

La nunuche Ashleigh, toujours quasi nue sous la pluie de New York, ne sait plus à quel hôtel Gatsby et lui sont descendus, elle se perd dans le métro (faut-il être bête), et parvient enfin à pieds (nus), harassée, trempée, au bon hôtel, pour aller direct se coucher. Elle expliquera demain qu’il ne s’est rien passé, même si elle n’a plus ses vêtements et que la télé a révélé publiquement sa liaison avec Vega.

Le jour d’après, le gauche Gatsby ne sait comment assumer tout ce qui s’est passé la veille. Il assure pour Ashleigh la promenade en calèche à Central Park, tourisme obligé des provinciaux à New York, puis quitte sa copine en plein voyage parce qu’elle se plaint de la pluie qui commence à tomber. Il;décide pour deux qu’elle va retourner à Yardley, vivre sa vie de journaliste couchant avec les stars, éblouie par les paillettes ; lui va rester à New York et commencer une romance avec Chan, laisser tomber l’université et Ashleigh – qui ne sait pas faire la différence entre Shakespeare et Cole Porter. La fille ne dit rien, estomaquée mais sans argument contre. A six heures tapantes à la Delacorte Clock, à l’extérieur du zoo de Central Park, il retrouve Chan et l’emporte dans un vrai baiser, cette fois.

Les spectateurs ont failli ne jamais voir le film, le woke ayant « cancelé » toute la production de Woody Allen, alors seulement « accusé » et non « prouvé » coupable ; il semble d’ailleurs que ces accusations soient des âneries, resurgies pour se faire mousser au moment de Mitou – ainsi en a décidé la justice. L’actrice Cherry Jones a défendu Woody Allen en avril 2019, déclarant (cité par Wikipédia en anglais, bien plus complet qu’en français) :  » I went back and studied every scrap of information I could get about that period. And in my heart of hearts, I do not believe he was guilty as charged […] [t]here are those who are comfortable with their certainty. I am not. I don’t know the truth, but I know that if we condemn by instinct, democracy is on a slippery slope. » En yankee dans le texte. En gros, il y a les croyants, qui jugent et condamnent sans savoir ; et il y a ceux qui doutent et demandent des faits. Si les premiers l’emportent (et ils l’ont emporté avec le démago Trompe), la démocratie a du mouron à se faire (elle en a).

DVD Un jour de pluie à New York (A Rainy Day in New York), Woody Allen, 2019, avec Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez, Jude Law, Liev Schreiber, Mars Films 2020, doublé anglais, français, 1h28, €10,80, Blu-ray StudioCanal 2025, €14,24

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Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet

Le second plus gros succès international d’un film français en langue française, 32 millions d’entrées dans le monde, 59 récompenses… Que reste-t-il, 25 ans après, de la fusée Amélie Poulain ? J’ai revu le film, dont je n’avais pas été vraiment sensible au charme la première fois. Je ne le suis pas plus cette fois-ci. Certes, le thème est original, les scènes rapides, les potacheries et les paradoxes sans nombre. Mais les aventures improbables d’une sociopathe élevée par deux névrosés ne peuvent qu’être une idéalisation sans lendemain.

Le genre « ça fait du bien » marque le déni de réalité de la société française, pourtant bien dans ses baskets (rouges) sous Chirac président et Jospin premier ministre. Juste avant le 11-Septembre et la chute brutale dans la paranoïa américaine, dont les conséquences se font jour avec le Caligula Tromp Deux et son équipe de ploucs désaxés, néo-fascistes par ressentiment profond. L’abus du filtre jaune par le directeur de la photo dans le film fait de Paris une ville au coucher de soleil permanent (alors qu’il y pleut souvent), tandis que le métro baigne dans une atmosphère verdâtre où évoluent de rares passagers tels des bébés nageurs (alors qu’il est bondé souvent). Nous sommes dans la BD, pas dans le réel.

Amélie mêle-tout (Audrey Tautou) a du mal avec les relations humaines, mais elle adore se mêler de celles des autres. Jusqu’à leur faire du « bien » malgré eux, car elle se croit responsable du malheur du monde. Un adulte taré lui a dit à 6 ans que des accidents se produisaient à chaque fois qu’elle était là, comme la mort de sa mère. Elle a pris dès lors une propension « progressiste » du politicien théoricien qui-sait-mieux-que-vous-ce-qui-est-bon-pour-vous. Typique du socialisme au pouvoir durant cinq ans, au point d’exaspérer les électeurs, qui lui préféreront Le Pen au second tour en 2002… avant de reculer, effrayés de leur audace. Heureusement, Audrey Tautou fait tout : cette jeune fille fraîche et simple, au visage expressif et à la coiffure de jeune garçon, plaît à tout le monde. Elle est la Parisienne pour les étrangers, avec ses grosses pompes de mec noires, selon la mode brutasse du temps, et son rouge à lèvres très rouge.

Le fabuleux destin est une carte postale pour Visit France, Montmartre à l’honneur avec sa bouteille de butane en guise d’hommage catho tradi sur la butte, pour expier la révolte de la Commune et la première défaite contre les Boches (il y en aura d’autres). Pourtant, le réalisateur présente la Butte comme une tanière de fous. Tout le monde est blanc, sauf Jamel Debbouze en victime du racisme ordinaire d’un épicier misogyne et célibataire (Urbain Cancelier), l’affreux Collignon. Mais tout le monde est décalé, névrosé, abîmé (au fond, seul l’arabe, « pas un génie » dit la voix off, semble sain d’esprit). Raymond aux os de verre (Serge Merlin) ne sort jamais et peint une fois par an depuis vingt ans la même copie de Renoir, le Déjeuner des canotiers, une guinguette où il rêverait d’être. La concierge Madeleine (Yolande Moreau) pleure comme une fontaine Wallace à cause d’un mari disparu il y a quarante ans. La patronne du café Les deux moulins où travaille Amélie, Suzanne (Claire Maurier), ne peut vivre l’amour à cause d’une jambe amputée, et elle surveille les amours des autres. Le comptoir du tabac voit Georgette (Isabelle Nanty), malade imaginaire à force de se triturer les méninges faute de sexe. Joseph (Dominique Pinon) est un pilier de bistro qui passe son temps à surveiller Gina la serveuse (Clotilde Mollet), avec qui il a eu une fois une liaison. Lucien le commis d’épicerie (Jamel Debbouze), traité de crétin et trisomique, sert de souffre-douleur pour se faire valoir et reste obsédé par la Didi, princesse de Galles écrabouillée dans sa Mercedes sous le tunnel de l’Alma. Le client Hipolito (Artus de Penguern) s’exhibe au bar en écrivain toujours apprenti, dont les manuscrits sont refusés car racontant l’éternelle histoire de l’époque : celle du nombrilisme, un jeune branleur qui ne fout rien et croit son histoire digne d’intéresser tout le monde. Nino Quincampoix (Mathieu Kassovitz) est un collectionneur maniaque et lunaire, circulant en mobylette dans un Paris quasi sans voiture, et qui bosse dans une sex-shop ; il est obsédé par les clichés ratés de photomatons qu’il va chercher dans les poubelles et sous les cabines ; il veut découvrir l’identité de l’homme chauve aux baskets rouges qui laisse des traces dans tous les photomatons de la capitale.

La jeune serveuse Amélie découvre, un matin qu’elle se met du parfum (pour qui ?), une boite de gâteau en métal derrière une plinthe de sa salle de bain. Un jeune garçon l’a cachée là quarante ans auparavant et elle contient des trésors de gosse : une voiture de course miniature, des secrets. La sociopathe décide d’en savoir plus : elle interroge la concierge, qui la renvoie à l’épicier, lequel l’envoie à sa mère, une véritable encyclopédie cancanière du quartier. C’est le vieil homme de verre qui lui déniche enfin le nom et l’adresse, que lui a probablement livré le « crétin » Lucien (qui ne l’est donc pas tant que ça). Amélie décide alors de faire du bien à ce gamin inconnu devenu adulte d’âge mûr (Maurice Bénichou). Plutôt que de l’aborder, elle l’espionne, pose la boite dans une cabine téléphonique (du genre qui n’existe plus) et téléphone dans le vide à son passage. L’appel du téléphone est irrésistible dans tous les films, même si la personne sait que c’est un harceleur ; l’homme décroche, elle raccroche. C’était juste pour qu’il voie sa boite. Il la découvre, l’ouvre, en est heureux. Et d’un !

Elle va faire ensuite le bonheur de la concierge en lui volant ses lettres d’amour et concoctant avec des ciseaux et une photocopieuse une lettre ultime où son mari lui dit venir la retrouver, lettre que la Poste distribue après quarante ans parce qu’elle provient d’un avion écrasé dans les Alpes – où est censé avoir disparu ledit mari amoureux. Et de deux !

Suivra l’homme de verre, avec qui elle échange des cassettes vidéo de scènes désopilantes et diverses pour le sortir de sa coquille. Ensuite Georgette et Gina, puisqu’en livrant sa consommation à Joseph, elle le persuade que la première est amoureuse de lui et pas l’autre ; ce qui aboutira à une scène d’anthologie, la baise hard dans les toilettes avec Georgette, qui fait trembler le bar et siffler le percolateur au moment de l’orgasme. Elle écrira sur un mur des mots d’Hipolito, lus dans son manuscrit impubliable. Pour son père (Rufus), qui ne l’a jamais touché que froidement sur geste médical et qui se morfond à la retraite dans son pavillon de banlieue en pierre meulière, elle fera voyager son nain de jardin via une hôtesse de l’air qui revient chaque fois au bar, lui envoyant une photo instantanée du nain devant un monument (prélude à ces selfies fétichistes des blogs des années 2000) ; son père finira par désirer voyager lui aussi et se sortir de son marasme mental. Puis ce sera le tour de Lucien qu’elle venge en s’introduisant chez le vil Collignon pour lui saccager ses habitudes : décalage du réveil à 4 h du matin, inversion du dentifrice et de la crème pour pieds, échange de la poignée des toilettes, ampoule grillée, tige de métal dans un fil électrique pour faire court-circuit, modification de la touche d’appel Maman sur le téléphone par celle des Urgences psychiatriques… Du drôle, du potache, du mesquin.

Mais l’acmé est pour Nino, le collectionneur maniaque. Elle va lui retrouver son album perdu et son chauve à baskets rouges ; elle va le retrouver lui-même, après un jeu de piste où elle se photomatonne en Zorro adolescent après l’avoir traqué à la Foire du trône où il œuvre comme squelette attoucheur. Elle aura enfin trouvé l’amour, après ces rituels névrotiques interminables.

Tout ça pour ça : est-ce que « ça fait du bien » ? J’y vois surtout l’inadaptation des urbains solitaires, mal élevés et perdus dans la grande ville, asservis aux petits boulots routiniers sans avenir, soumis à leurs tares psychiatriques. Ils ont la lâcheté de se laisser aller et le seul courage de ne rien faire pour s’en sortir. Sauf Amélie. C’est ça le message ; elle est un passeur. La musique de Yann Tiersen rythme bien ces dérives successives, décrites selon un humour dérisoire, bien porté par les acteurs secondaires. Ainsi la mort de maman, d’une chute d’une suicidée du haut de Notre-Dame lorsqu’Amélie avait 6 ans, son cœur qui bat la chamade lorsque son père l’ausculte, lui qui ne la prend jamais dans les bras à cet âge tendre. Le son lui aussi est passeur d’émotion.

Un film léger, agréable, dont il ne faut pas attendre trop.

DVD Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001, avec Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Michel Robin, Rufus, Serge Merlin, UGC 2019, français, 2h01, 9,99Blu-ray €15,00
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Un fauteuil pour deux de John Landis

La vieille histoire du Prince et du Pauvre, ici un riche courtier en matières premières, directeur chez Duke et Duke Commodity Brokers à Philadelphie, et un misérable arnaqueur de rue. Ils font l’objet du pari entre deux businessmen sûrs de leur réussite, les frères Mortimer et Randolph Duke (Ralph Bellamy et Don Ameche), patrons de Louis. Ils prennent la « liberté » de les utiliser comme cobayes pour voir ce qu’il sort de l’inversion des rôles : les gènes ou l’environnement ? Vaste débat dans l’Amérique des self-made men. Réussit-on parce que l’on est WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ou parce que l’on est immergé dans un milieu favorable ? Pour l’un des Duke (duc en français…), c’est l’évidence : « un Nègre apprend à voler avant de savoir marcher » ; pour l’autre, pas sûr, il suffit d’expérimenter. Tant pis pour la dignité humaine.

Louis Winthorpe troisième du nom (Dan Aykroyd) est sorti d’Harvard et exerce de façon talentueuse son métier de prévisionniste sur les matières premières ; il compte épouser Pénélope (Kristin Holby), la petite nièce de ses patrons, avec leur bénédiction. Billy Ray Valentine (Eddie Murphy) est un Noir pauvre qui joue les vétérans du Vietnam, faux aveugle et faux cul de jatte sur les trottoirs en plein hiver. Que se passerait-il si le premier était déshonoré aux yeux de sa classe, le club conservateur The Heritage, chassé de la boite, accusé de vol et de trafic d’héroïne, ses comptes bloqués et sans argent, mis en prison, embrassé devant sa fiancée par une pute nommée Ophélie (Jamie Lee Curtis) payée par l’employé Beeks (Paul Gleason) ? Réussirait-il par sa valeur génétique à surmonter cette déchéance du sort ? A l’inverse, comment le nègre Valentine, lavé, brossé, costumé, argenté, réussirait-il dans le job de directeur à la place de Louis ? Qu’est-ce qu’un « gagnant » ? Celui qui profite des conditions favorables ou qui réussit grâce à ses dons innés ?

La ficelle est grosse et le début est conforme aux préjugés : Louis se noie dans la pauvreté, toute son armure sociale craque, de son costume volé par ses codétenus, à ses cartes de crédit qui lui sont confisquées, ses « amis » qui le méprisent ouvertement, son majordome Coleman (Denholm Elliott) qui feint sur ordre de ne pas le connaître, malgré qu’il en ait, jusqu’à sa fiancée qui ne veut plus le voir. Malgré son arrogance, Louis n’est pas seul. Ophélie, payée cent dollars pour l’embrasser, se prend de pitié pour l’oisillon déplumé jeté du nid ; elle le recueille chez elle et lui avoue sa profession. Elle est pute indépendante, sur rendez-vous, pour se payer une retraite à 40 ans – une vraie entreprise. Au vu de ses mains, blanches et manucurées, elle croit Louis lorsqu’il dit être l’objet d’un complot pour le rabaisser à rien. Elle veut l’aider à s’en sortir.

La suite est moins conforme aux préventions sociales : le nègre Billy s’en sort très bien. Il a la tchatche, le bon sens populaire et la faculté d’adaptation qu’il faut pour se couler dans le costard taillé à sa mesure. Il fait gagner de l’argent aux Duke en supputant que les cuisses de porc devraient baisser parce que c’est Noël, et remonter ensuite, une fois les fêtes passées. Louis s’introduit dans la société lors du pot de Noël pour discréditer son rival Billy, mais se fait surprendre et chasser. Pari gagné pour Randolph : c’est bien le milieu qui compte, pas l’hérédité. Les deux frères se congratulent en se lavant les mains aux toilettes, sans savoir que Billy est dans un cabinet, en train de fumer une clope de haschisch que Louis a mis dans son tiroir pour le faire accuser. Le « nègre » s’aperçoit qu’il n’est qu’un objet entre les mains des Duke et qu’ils vont le virer après les fêtes puisqu’il n’a pas sa place dans cette société de courtages, blanche et respectable.

Dès lors, Billy va rejoindre Louis en suivant son bus dans un taxi jusque chez Ophélie, pour lui révéler le complot contre eux deux, et envisager la façon de se venger. Après avoir écarté le coup de fusil, qui mènerait en prison, quoi de mieux que de ruiner les financiers ? Pour cela monter un coup de délit d’initié, comme les Duke savent le faire – et Louis aussi, à leur bonne école. Billy sait que les Duke attendent que leur employé fantôme Beeks, qui ne figure pas dans la liste mais reçoit un copieux chèque chaque mois, doit voler une copie du rapport confidentiel sur la production mensuelle d’oranges aux États-Unis, pour le ministère de l’Agriculture. Ils s’arrangent pour monter dans le même train que Beeks avec Ophélie et Coleman, le majordome de Louis, lui subtiliser sa valise d’attaché et remplacer le rapport par un autre qui dit l’inverse. La récolte a été bonne et le cours doit baisser, mais ils font croire que la récolte a été mauvaise, ce qui fera immanquablement monter les cours. La scène dans le train est désopilante, faisant même intervenir un gorille, une sorte de sous-nègre de caricature, qui va jouer son rôle lui aussi à la perfection… et une certaine « humanité ».

La bourse des matières premières était alors dans le World Trade Center, les tours jumelles que les Arabes ont fait sauter en y jetant deux avions bourrés de passagers. Mais nous sommes sous Reagan, et les Arabes se tiennent tranquille. C’est l’effervescence sur le parquet : le rapport va bientôt tomber sur les écrans et les spéculations vont bon train. Les Duke font acheter force contrats à terme, croyant pouvoir les revendre largement au-dessus du cours d’ouverture de 102 $ ; Louis et Billy, qui ont rassemblé toutes les économies de Coleman, d’Ophélie et d’eux-mêmes, se positionnent en vendeurs à découvert, pour les racheter lorsque le cours se sera effondré. La vente à découvert est quand vous n’avez pas les titres et que vous les vendez d’abord ; vous devrez les racheter avant la clôture du marché. Opération réussie : ce qui valait 102 $ à l’ouverture est monté jusqu’à 129 $, avant de clôturer à 29 $. Une belle plus-value : la différence entre la vente vers les plus hauts et le rachat vers les plus bas. Les Duke ont perdu 394 millions de dollars qu’ils doivent couvrir immédiatement, selon le règlement de la Bourse. Ils ne peuvent pas, ils sont ruinés ; leurs biens personnels seront donc saisis en plus de leur office. Randolph en fait une crise cardiaque.

Louis, Billy, Ophélie et Coleman sont désormais riches et, selon les conventions du temps, passent des vacances sur une plage tropicale des îles Vierges à boire des cocktails, à manger du crabe et à naviguer en yacht. Louis n’épousera pas Pénélope mais plutôt Ophélie, il ne travaillera plus chez Duke et Duke qui a fait faillite, mais profitera de sa fortune – peut-être pour monter quelque chose avec ses associés Billy et Coleman ?

Gros succès dû aux acteurs, au parti-pris de comédie, mais aussi au jeu de « qui est riche ». Vu l’époque, les blagues racistes sont en nombre, ce qui ne plaît pas aux wokes d’aujourd’hui. On ne dit plus nègre, ni noir, ni black, il paraît qu’il faut dire désormais « nwar » – où s’arrêtera la stupidité sociale ? Mais on rigole, ce qui devrait plaire à tout le monde. D’ailleurs, le terme « nègre », employé à tout va, est réhabilité par Billy et même par le gorille : ces « sous-Blancs » montrent qu’ils sont aussi talentueux que les vrais Blancs ; il suffit des circonstances.

Tout le monde, dans cette société américaine, est dans le paraître. Chacun est déguisé et, pour la société, l’habit fait le moine, pas ce qu’il y a entre les oreilles. Mais c’est bien le soi qui crée la réussite réelle, pas le costume. Même la pute montre qu’elle n’est pas qu’un objet sexuel à la Marilyn, mais capable d’humanité ; même le majordome, formaté bourgeois conforme, montre qu’il n’apprécie pas la trahison des patrons. Au fond, le « rêve américain » est ouvert à tous – à condition de révéler ce qu’on est en vrai.

Un film intelligent – ce n’est pas si courant chez les Yankees.

DVD Un fauteuil pour deux (Trading Places), John Landis, 1983, avec Dan Aykroyd, Eddie Murphy, Ralph Bellamy, Don Ameche, Denholm Elliott, Paramount Pictures France 2007, 1h52, doublé anglais, français, €39,68

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Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone

Un western « spaghetti » des années 60 qui expose trois solitaires sans aucune morale. Alors qu’autour d’eux se joue une guerre de civilisation entre « esclavagistes » du sud et industriels Yankees du nord, ils ne poursuivent qu’un seul but : le fric. Il s’agit de retrouver un magot de 200 000 $ caché dans une tombe d’un cimetière situé quelque part. Un malfrat a piqué la somme à ses complices, avant de fuir. Il s’agit de le retrouver. Il a changé de nom ? Il s’agit de faire parler qui le sait – et de descendre les témoins.

Tuco Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez, le Truand (Eli Wallach), est un criminel. Blondin le Bon (Clint Eastwood, 35 ans à l’époque) le délivre des chasseurs de prime et noue un contrat avec lui. Il va livrer Tuco aux autorités, encaisser la prime et couper d’une balle de fusil la corde qui le pend pour qu’il puisse s’enfuir. De quoi se partager les dollars et recommencer ailleurs. La belle vie – qui dépend quand même de l’adresse de Blondin. Par ailleurs, la Brute Sentenza (Lee Van Cleef), tueur sans remords, a été payé comme mercenaire par Baker (Livio Lorenzon) soldat confédéré qui a piqué l’or avec Stevens et Carson. Il paye Sentenza 500 $ pour savoir où est son complice parti avec le magot. Il devra l’assassiner. Sentenza apprend de Stevens que le dernier se fait appeler désormais Bill Carson. Il tue Stevens pour honorer son contrat – ainsi qu’un de ses fils qui a surgi avec une arme. Mais Stevens vient de le payer 1000 $ pour tuer Stevens, ce qu’il fera sans état d’âme : « j’honore toujours mes contrats ». Il va ensuite traquer le Bill, dans son régiment en fuite devant les Yankees.

Lassé, Blondin rompt son contrat avec Tuco, garde la dernière prime sans partager et l’abandonne dans le désert. Quelques 120 km avant le premier village. Mais Tuco est un dur et s’en sort. Il se refait une arme avec plusieurs revolvers de l’armurerie bancale du vieux du coin, pique un chapeau, et part sans payer. Il traque Blondin pour se venger. Alors qu’il va réussir, Blondin déjà la corde autour du cou dans une chambre d’hôtel où il l’a surpris par la fenêtre après qu’il ait massacré de trois balles les trois complices recrutés par Tuco pour faire diversion, une canonnade yankee fait s’écrouler la façade – et Tuco se retrouve un étage plus bas, dans les décombres. Blondin en profite pour filer. Tuco va cependant le retrouver et inverser les rôles : c’est Blondin qui doit marcher dans le désert, sans chapeau et sans eau, en suivant le cheval où Tuco se pavane, gourde bien remplie et parasol rose de pute pour le protéger du soleil.

C’est presque la fin pour Blondin, ravagé par la soif et brûlé par les rayons, lorsqu’un véhicule confédéré tiré par six chevaux surgit sur la piste. Tuco l’arrête et trouve des Confédérés morts, sauf un caporal qui s’appelle Bill Carson. Il révèle l’emplacement du magot, le nom du village, le lieu du cimetière, mais réclame de l’eau avant de donner le nom sur la tombe. Tuco part chercher sa gourde mais, le temps qu’il revienne, Carson est mort. Blondin, qui avait rampé jusque là, a recueilli le nom de la bouche du mourant. Info ou intox ? Tuco le con le croit, et Blondin lui devient alors un ami précieux qu’il faut sauver pour qu’il se rétablisse. Bien joué ! Il conduit le déshydraté vers une mission franciscaine où son frère Pablo (Luigi Pistilli) est père supérieur. Blondin est soigné, Tuco sermonné. Il a toujours été fils de pute, et a abandonné sa mère qui est morte sans le revoir.

Reprenant le véhicule, et déguisés en soldats confédérés, ils croisent une troupe qui s’avance. De loin, les uniformes sont gris et le con Tuco hurle alors « vive la Confédération ! ». Dommage… ce n’tait que la poussière du chemin sur des uniformes bleus de Yankees. Les voilà prisonniers en camp – où Sentenza joue le sergent. Il escroque les prisonniers et fait vendre leurs effets par ses complices, dont le caporal Wallace (Mario Brega), gros tas sadique qui adore tabasser les prisonniers sudistes récalcitrants, tandis qu’un orchestre imposé joue de la musique pour masquer les cris. Tuco se fait mettre une raclée par le gros Wallace pour qu’il avoue le nom de la tombe au magot dans le cimetière, mais c’est Blondin qui le sait, pas lui. Sentenza change alors de tactique. Blondin ne parlera pas, autant feindre de s’allier avec lui pour aller chercher l’argent. Non sans recruter six hommes de main dans le régiment pour contrer Blondin. Tuco, lui, est emmené par Wallace en train pour être fusillé plus loin. Il ne tarde pas à tomber volontairement du convoi sous prétexte de pisser, entraînant le gros Wallace qui s’assomme sur une pierre et que Tuco achève sans remord. Sauf qu’il reste menotté à lui et qu’il doit trouver comment couper la chaîne. Un autre train fera l’affaire, les roues vont la couper.

Blondin se méfie de Sentenza et de sa bande. Il descend le premier un petit matin en feignant d’être surpris par sa survenue subreptice ; il descend le second dans un village dévasté parce qu’il le suit sur ordres de Sentenza et que le moment est propice. Tuco, parvenu au même endroit, prend un bain moussant dans un claque et descend un troisième qui le braque, sans savoir que le revolver de Tuco est caché sous la mousse. Ce qui nous vaut une sentence bien frappée, comme souvent dans le film : « quand on doit tirer, on tire, on ne raconte pas sa vie ». Blondin reconnaît le son du revolver de Tuco et le rejoint pour s’associer contre Sentenza, qui garde encore quatre sbires. A deux, ils vont les descendre car ils tirent plus vite. Sentenza se terre.

Les voilà partis pour le village, que seul Tuco connaît. Ils suivent la carte et doivent traverser un pont. Ce sont encore les soldats qui les en empêchent, les Yankees de leur côté qui les font prisonniers, les Confédérés sur l’autre rive. On se canonne, on s’étripe rituellement chaque jour, on ramasse ses blessés. Tout ça pour rien, pour un pont que chacun veut garder intact comme « point stratégique ». Le capitaine yankee en a marre de cette guerre absurde et de ce pont qui tue. Son rêve, il le dit aux deux lascars, serait de le faire sauter et qu’on n’en parle plus. Mais il a des ordres. Tuco a clamé qu’ils étaient là parce qu’ils voulaient s’engager. Le capitaine les prend sous son aile pour leur montrer que c’est idiot. Lors d’une attaque traditionnelle à mi-journée, Tuco et Blondin avisent des explosifs dans une caisse. Ils profitent de la trêve destinée à ramasser les blessés pour mettre la caisse sur une civière et aller piéger le pont. Le capitaine est blessé, mourant, mais veut survivre jusqu’à entendre l’explosion du pont. Il est vite soulagé.

Une fois le pont ruiné, les troupes vont s’amuser ailleurs et les deux compères peuvent traverser à gué sans problème. Ils trouvent le village, l’église détruite, et le cimetière. Blondin, humain, assiste aux derniers instants d’un jeune Confédéré en lui faisant fumer l’un de ses cigares, dont il semble avoir une provision sans jamais se réapprovisionner ; pendant ce temps, Tuco l’avide enfourche le cheval et galope pour être le premier. Blondin, avisant un canon, y applique le bout incandescent de son cigare et tire. Tuco tombe. Il court à pied jusqu’au cimetière. Mais, avec la guerre, il est devenu immense et Tuco le con erre en courant entre les tombes, ayant le tournis (ainsi que le spectateur à cause de la caméra). C’est qu’en piégeant le pont, menacés de sauter avec lui en cas de fausse manœuvre, chacun a livré à l’autre sa bribe d’information sur le magot : le cimetière s’appelle Sad Hill (la colline de la tristesse) et sur la tombe est marqué Arch Stenton. Blondin avait donc dit vrai, il n’a pas menti pour que Tuco le sauve de la soif.

Tuco trouve enfin la tombe d’Arch Stenton. Il creuse avec une planche de cercueil mais Blondin, qui l’a rejoint tranquillement, lui jette une pelle et énonce une nouvelle sentence définitive : « il y a deux sortes de gens : ceux qui ont un revolver et ceux qui creusent. Tu creuses » Une seconde après, une nouvelle pelle est jetée. C’est Sentenza qui les a suivis. Sauf que le magot n’est pas dans la tombe, le cercueil ne recèle qu’un squelette ancien. Blondin n’a pas tout dit mais sait où il est. ll va s’écarter d’eux, inscrire le nom sur une pierre, et que le meilleur tireur gagne. Longs moments de caméra sur les visages, les mains, l’attente. Avec une musique lancinante. Pas difficile : Blondin est le meilleur. Il abat Sentenza, tandis que Tuco cherche frénétiquement à tirer mais son revolver est vide. Blondin en a ôté les balles pendant qu’il dormait. Il le fait donc creuser là où il faut et Tuco sort six sacs de pièces d’or très lourds. Blondin reprend alors le contrat initial : part à deux.

Mais il fait monter Tuco sur une croix branlante et se passer la corde autour du cou, mains attachées dans le dos : les dollars, ça se mérite. Il s’éloigne à cheval, laissant le complice méditer sur sa fin dernière. A distance, misant sur son habileté mais aussi sur la chance (une sur deux), il tire pour couper la corde. Dieu le veut, il réussit. Tuco a sa part, lui la sienne (mais pas de cheval pour la porter), stridulations de coyote de la musique de Morricone, fin de l’épisode – qui a duré près de trois heures.

On ne s’est pas ennuyé. A chaque scène qui tourne mal, un retournement de situation intervient, souvent comique. L’action rebondit, toujours dans le même sens : le magot, le seul sens de la vie pour un Yankee d’origine. Il aurait pu n’y avoir qu’un seul gagnant, le plus habile, le plus intelligent, le plus complet. Mais il y en a deux, l’autre est un pauvre gars qui mérite aussi de vivre.

Celui qui se dit le Bon est anarchiste et perso, un sans nom comme la tombe du magot, fils de pute comme les deux autres, en plus humain ; le Truand est un bâtard à l’humanité blessée ; il n’y a que la Brute qui soit un robot sans âme, un pro à l’américaine sans rien d’humain. Et pourtant, on aimerait y croire : le Bon serait l’Europe idéaliste, la Brute l’ordure Poutine, le Truand le foutu Tromp. Mais ce n’est pas si simple. De leur point de vue, chacun a partiellement raison ; leur tort est de se croire missionnés pour gagner seul, sans aucun égard pour les autres. Or nous voulons croire que la Force ne crée pas le Droit et que l’entraide est un bien mutuel… Toute l’Evolution d’Homo Sapiens. Le miracle de Sergio Leone est donc cet équilibre ; il ne prend position ni pour l’un, ni pour l’autre, mais les laisse vivre leur vie, s’affronter, et voir ce qu’il en reste.

DVD 2025 03 16 Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo), Sergio Leone, 1966, avec‎ Clint Eastwood, Eli Wallach, Lee Van Cleef, Aldo Giuffrè, Mario Brega, MGM 2006,doublé Allemand, Français, Anglais, 2h51, €10,00, Blu-ray MGM 2020, anglais, français, €14,50

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Au nom du père de Jim Sheridan

Tiré de faits réels, une erreur judiciaire britannique dans son combat contre le terrorisme de l’IRA, et inspiré du livre autobiographique de Gerry Conlon, publié en 1990, Proved Innocent.

Nous sommes en 1974, l’IRA, l’armée révolutionnaire irlandaise d’Irlande du nord, multiplie les attentats, dont un – fatal – dans les pubs autour de Londres. Jusqu’ici, ils prévenaient quelques minutes avant ; pas cette fois-ci. Les endroits sont fréquentés par des militaires anglais et le trop facile « nous sommes en guerre » est la justification « morale ». Tant pis pour les innocents ; dans une « guerre » nul n’est innocent.

L’immature garçon de 18 ans Gerry Conlon (Daniel Day-Lewis) est sans emploi ; la guerre de religion empêche les Britanniques qui tiennent le haut de l’économie à Belfast d’engager un catholique. Cheveux longs, col pelle à tarte largement ouvert de ces années-là, croix d’or au cou, le jeune homme est resté immature, pas « élevé ». Il subsiste de menus vols de plomb sur les toits avec ses copains, tout aussi paumés. Les soldats qui surveillent la zone croient voir un sniper dans la silhouette qui se profile à contre-jour et qui tient un tuyau comme une guitare. Nous sommes dans les années rock. C’est la poursuite, les blindés, l’émeute, les portes défoncées des maisons. Malheur pour lui, les soldats qui le poursuivent sont attirés près d’une maison où l’IRA planque des armes. On ne rigole plus : la punition est une balle dans la cuisse. Le père s’interpose (Pete Postlethwaite), on le connaît, ça va pour cette fois, mais Gery ne peut rester à Belfast. Il est envoyé à Londres, le nid de l’ennemi, où il lui sera plus facile de trouver du travail.

Mais c’est à Londres que les terroristes froids de l’IRA vont frapper. Gerry et son ami Paul (John Lynch) sont accueillis dans une communauté hippie pour « l’amour libre », à la mode en ces années-là. Des Anglais de la communauté ne veulent pas d’eux, la « religion » étant le prétexte de garder pour eux les filles. Les deux amis vont alors zoner dans les parcs, ne sachant où dormir. Ils rencontrent un clochard sur un banc, qui déclare que c’est le sien pour dormir ; ils s’éloignent, après lui avoir donné quelques pièces. Sur un trottoir, une fille à hauts talons et manteau de fourrure monte dans une belle voiture, la porte tenue par un chauffeur. Elle a laissé tomber à terre quelque chose. Gery l’interpelle, mais le chauffeur, méprisant, les repousse : « elle n’est pas de votre classe ». Bon, Gerry ramasse la chose, ce sont des clés. Il entre dans l’appartement, qui se révèle être celui d’une pute de luxe. Il n’a aucun scrupule à fouiller, trouver 700 £ et à les empocher. Cela leur permettra de dormir à l’hôtel.

Les immatures ne savent pas se poser, ils ne pensent qu’à frimer. Ils s’achètent des vêtements hippies comme dans ces années-là, manteau afghan en peau de mouton, pompes bicolores, et… retournent stupidement à Belfast pour montrer leurs billets. Las ! le soir du 5 octobre 1974, dans la banlieue londonienne de Guildford et Woolwich, deux pubs sautent, attentat revendiqué par l’IRA. Cinq morts, cinquante blessés. Fichés, les deux ados attardés se font arrêter à Belfast, où ils n’auraient jamais dû retourner. Ils ont été dénoncés par un membre de la communauté hippie, indic irlandais ou anglais revanchard.

Le peuple est exaspéré par les attentats à répétition, il veut de l’ordre et de la force – ainsi Poutine a-t-il commandité les attentats de Moscou lors de son arrivée au pouvoir, pour accuser les Tchétchènes et assurer son pouvoir. Une loi anglaise vient de porter à sept jours le délai de garde à vue en cas de terrorisme, largement le temps de cuisiner les suspects et de leur faire avouer n’importe quoi, sous la menace et la pression psychologique, comme aux beaux temps de Goebbels et Staline. Paul craque, dénonce Gery ; Gery craque, un fonctionnaire lui susurrant qu’il va tuer son père s’il n’avoue pas. La police récuse les alibis du clochard et de la pute, selon elle, « ils n’existent pas ». Le verdict tombe au procès : trente ans incompressibles pour les deux, plus deux autres de la bande des « quatre de Guilford » – et de deux à quinze ans pour « les sept de Maguire », son père et la famille de la tante de Gerry qu’il est allé voir à Londres, soupçonnée d’avoir produit la bombe, son mari et ses deux fils de 17 et 14 ans. Selon la police scientifique, des traces de nitroglycérine ont été retrouvées sur leurs mains et sur les gants de vaisselle.

Il fallait un bouc émissaire, et ces Irlandais (même pas affiliés à l’IRA) étaient tout trouvés. Des grands gamins stupides, des familles trop modestes pour qu’on leur prête attention. Père et fils sont emprisonnés dans la même cellule. Les autres ne les aiment pas, mais ce n’est pas le goulag, les cellules sont ouvertes le jour, les détenus peuvent se réunir, jouer au puzzle (trempé dans le LSD), lire et écrire des lettres, afficher ce qu’ils veulent. Gerry lie connaissance avec un rasta, opposé comme lui à « la colonisation » de l’empire britannique. Mais son père décline, une avocate se préoccupe de son sort, écoute les deux hommes. Le véritable auteur des attentats de l’IRA (Don Baker) est arrêté, emprisonné, il avoue son rôle dans l’attentat à la police, mais celle-ci ne veut pas se dédire et laisse en prison les innocents condamnés à tort. Il se fait respecter parce qu’il menace quiconque de lui faire la peau, ou de s’en prendre à sa famille à l’extérieur. Un surveillant chef en fait les frais. L’avocate Gareth Peirce (Emma Thompson), mise au courant des aveux du vrai coupable, va enquêter elle-même, jusque dans les archives de la police, obtenant une injonction du juge ; elle va dénoncer la négation des alibis, pourtant dans les procès-verbaux de la police, les hésitations de la police scientifique sur la substance qualifiée de nitroglycérine.

Mais le père va mourir en 1980, ce qui déclenche des manifestations et le procès en révision de 1989. La police est confondue et les détenus libérés par « non-lieu » – aucun policier de quelque grade que ce soit ne sera pourtant inquiété. Ni même le véritable auteur de l’attentat, condamné pour autre chose. Dans cette « affaire Dreyfus » anglaise des années 70 et 80, la raison d’État emporte tout. La justice est biaisée. Gerry Colon va mourir à 60 ans en 2014 d’un cancer du poumon : il a trop fumé, et pas que du tabac. C’est Tony Blair, alors Premier ministre, qui, en 2005, a présenté des excuses publiques pour cette erreur judiciaire. Heureusement que nous sommes en démocratie… Sous Poutine, Xi, Erdogan ou Trump, ce ne serait pas la même chose.

Un beau film de justice, avec un Daniel Day-Lewis en grande forme, en jeune imbécile porté par ses désirs et ses émotions.

Ours d’Or au Festival de Berlin 1994

Nommé sept fois aux Oscars et quatre fois au Golden Globes 1994

DVD Au nom du père (In the Name of the Father), Jim Sheridan, 1993, avec Daniel Day-Lewis, Emma Thompson, Pete Postlethwaite, Saffron Burrows, Mark Sheppard, Lancaster 2007, 2h12, anglais doubléfrançais, occasion 2,04, Blu-ray‎ L’Atelier d’Images 2021 €17,08

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La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud

Tout commence comme un camp scout, le feu allumé dans la nuit, la meute emmêlée dans l’abri sous roche. Les amis proches dorment enlacés et se font des papouilles. Au matin, les plus jeunes vont au ruisseau à moitié nus prendre leur bol d’eau et se débarbouiller, occasion de s’enfiler dans l’euphorie du réveil.

Tout change brutalement lorsqu’une horde voisine vient attaquer à coups de massue les êtres vulnérables, puis la tribu sous l’abri. Car nous sommes, dit-on, il y a 80 000 ans, et pas dans un camp de vacances. Ce sont des Homo erectus tout poilu, simiesques et jaloux. La tribu des Wagabou veut voler le feu des Oulhamr néandertaliens. La force gagne sur le droit, et les Oulhamr, décimés, doivent fuir en emportant un ou deux blessés – qui vont succomber en route. Les loups, alléchés par l’odeur du sang, s’en donnent à cœur joie. La petite bande survivante se réfugie dans les marais, où le gardien du feu les rejoint, non sans risque de choir dans un trou d’eau et de noyer la flamme fugitive, conservée dans une lanterne ouverte. Las ! Lorsqu’il les rejoint, le feu s’est éteint, faute de combustible sec.

Dès lors, le vieux chef mandate les plus vigoureux de la tribu Oulhamr pour aller quérir le feu, soit dans la nature s’il y a un incendie, soit en le volant à d’autres hommes. Naoh (Everett McGill), Amoukar (Ron Perlman) et Gaw (Nameer El-Kadi) se mettent en route. Ce sont des Néandertaliens, mais le film leur donne exprès une allure de singe, soi-disant pour que le public reconnaisse ses propres préjugés et « aime ». Les préhistoriques se dandinent et sont vêtus en loques de pauvres bêtes non cousues ; ils portent des bâtons qui ont plus l’air destinés au feu qu’à se défendre. Un couple de tigres à dents de sabre les poursuit et veut en faire son repas. Les trois se réfugient sur un arbre rachitique durant des heures, perchés inconfortablement, sans rien à manger que les feuilles qu’ils dépouillent. Un instant de sommeil, une branche qui craque, et l’un d’eux se retrouve par terre, affolé de remonter au plus vite. Mais les tigres sont partis, lassés. Ils ont choisi un autre restaurant.

Les trois Oulhamr voient de loin fumer un foyer. Ils n’ont rien mangé depuis la veille et le gibier qui fuit les fait saliver. La tribu Kzamm, elle aussi néandertalienne, fait cuire des morceaux. Deux Oulhamr font diversion pour attirer les Kzamm tandis que Naoh part voler le feu. Il y parvient, mais se fait attaquer par un puissant Kzamm qui, dans la lutte, lui bouffe les couilles qu’il garde à l’air, à l’écossaise. C’est l’Ivaka Ika (Rae Dawn Chong), prisonnière Homo sapiens toute nue et couverte de boue, capturée pour être mangée, qui se délivre de ses liens et vient faire allégeance au mâle dominant Oulhamr. Son compagnon juvénile, un bras déjà croqué, n’a pas survécu. Elle applique des plantes écrasées sur la blessure de Naoh et, plus tard, lui taillera une pipe pour savoir si tout est réparé. Le jeune mâle, qui n’avait jamais vu ça, est conquis. Malgré les autres, il accepte qu’Ika les suive, et empêche que ses copains la baisent. Il se la réserve pour lui tout seul. Une rencontre avec une harde de mammouths met en fuite les Kzamm poursuivants, car Naoh a l’intelligence de soumettre au chef de la harde, une poignée d’herbes tendues en guise d’hommage.

Mais il doit rapporter le feu, tandis qu’Ivaka veut rejoindre sa tribu. Dilemme. Lorsqu’elle part un matin, il la suit, au grand dam de ses compagnons, qui ne peuvent que lui emboîter le pas. Aux abords de la tribu Homo, Noah s’aperçoit qu’ils vivent en village, des cahutes faites de bois entrecroisés sur lesquels des peaux protègent de la pluie. Mais un marais protège l’endroit, et le rustre s’y enlise, n’ayant aucune conscience. Il est délivré par les Sapiens Ivaka, qui rient de le voir en position inférieure. Tous babillent en langue inconnue, inventée dit-on par Anthony Burgess, l’auteur d’Orange mécanique. Pas de sous-titres, d’ailleurs cela ne vaut pas la peine. Les Néandertaliens communiquent par des grognements d’orang-outan, des criailleries de chimpanzé et quelques onomatopées de gorilles soulignées de gestes éloquents. Les Ivaka, plus évolués, parlent car ils sont Sapiens, mais leurs comportements dit bien assez.

Après avoir été nourri, l’Oulhamr est invité fortement à engrosser une « vénus » callipyge, comme celle trouvée à Willendorf. Cela pour le bien de la tribu, trop endogame, qui doit renouveler ses gènes. Et il est vrai, on ne le savait pas à l’époque du roman de Joseph Henri Rosny aîné (dit J.H. Rosny avec son frère Séraphin), La Guerre du feu, paru en 1909 – ni à celle du film, sorti l’année de la gauche au pouvoir et des mammouths du PS, que des Sapiens se sont croisés avec des Néandertaliens (même si c’était 30 000 ans plus tard). Il en subsiste des gènes résiduels dans notre génome. En revanche, les Erectus (style Tautavel) avaient disparu depuis au moins 120 000 ans. Les Sapiens Ivaka apprennent au Néandertalien Oulhamr leurs techniques avancées : l’art de peindre son corps, la construction d’abris, se laver dans l’eau claire, orner son cou, les sentiments pour une personne, fabriquer une poterie primitive (ce qui n’est pas avéré par l’archéologie avant au moins 60 000 ans plus tard). Ils savent surtout produire le feu en frottant deux bâtons (dans les milieux humides, l’étincelle de silex est plus efficace).

Les deux compagnons de Naoh sont capturés de la même façon, en s’enlisant dans le marais. Ils sont bizutés et reconnaissent Naoh, déguisé en Ivaka, tout nu sauf, cette fois, un cache-sexe, et le corps peint de boue. La nuit, Gaw et Amoukar l’assomment car il ne veut pas venir avec eux. Ika, qui connaît l’amour, contrairement aux néandertaliens selon le film, les suit. Elle les aide à trouver le chemin entre les fondrières. Gaw, entendant un couinement dans une grotte s’avance par curiosité et trouve un ourson. Sa mère, ulcérée, le lacère comme elle peut et Gaw est sérieusement blessé, mais pas mort (ce qui n’est guère réaliste). Son ami si proche Amoukar le porte sur ses épaules.

A proximité de leur clan, Aghoo (Franck-Olivier Bonnet) et ses frères, veulent leur voler le feu pour avoir du prestige auprès du clan. Mais Naoh et Amoukar ont appris auprès des Ivaka à fabriquer autre chose que les épieux rudimentaires des néandertaliens. Ils les tuent à distance à l’aide des propulseurs de sagaies (qui n’existaient pas il y a 80 000 ans, mais seulement 40 000 ans plus tard…). La tribu exulte lorsqu’ils rapportent le feu dans sa lanterne ouverte : Aaahhh ! Le gardien du feu s’en empare mais, toujours aussi niais, tombe à l’eau – et le feu s’éteint : Ooohhh ! Les survivants sont désespérés.

Mais Naoh a appris auprès des Sapiens à faire naître le feu. Il s’y essaie maladroitement, vite remplacé par Ika, qui réussit sans peine. Aaahhh ! Ainsi Néandertal a-t-il évolué grâce à Sapiens, suggère le film comme le roman. Une belle histoire qui n’a pas grand-chose de vrai, selon les restes archéologiques. Néandertal s’est éteint parce que Sapiens lui a plutôt ravi ses territoires de chasse, et parce qu’il était plus social, donc plus intelligent collectivement.

C’est dire que ce film n’est PAS un documentaire sur la préhistoire, mais une fiction tirée d’un roman On savait alors peu de choses sur les homininés anciens et le roman de 1909, comme le film de 1981, amalgament dans une bestialité grossière les diverses branches du genre Homo, sans souci des dates, ni de la vraisemblance. Il y a 80 000 ans, les Homo n’étaient pas des singes échappés des arbres, comme la caricature des cons (servateurs) le voulait, niant la science de Darwin au profit de la croyance biblique. Ils étaient à l’inverse des êtres sociaux qui avaient un langage autre que de grognements, enterraient leurs morts depuis 20 000 ans déjà, savaient tailler savamment le silex et user d’outils et d’armes en os. Contrairement à ce qu’affirme le réalisateur pour se défendre, aller dans le sens des croyances n’est PAS de la pédagogie à l’usage des masses. La société française en 1981 était-elle moins « évoluée » que celle de 2025 ? Ou fallait-il préparer les gens à « croire » plutôt qu’à vérifier, à préférer le mythe et la belle histoire à la vérité scientifique ?

Le film d’Annaud, trop près du roman de Rosny, use plus de l’imaginaire collectif que des connaissances archéologiques. Le roman, pour sa part, a suscité nombre de vocations, dont celle du grand préhistorien Henry de Lumley, fouilleur de Tautavel et du Lazaret, qui avait 9 ans lorsqu’il l’a lu à Marseille, lorsque son collège a été bombardé et qu’il a dû rester à la maison. Même chose pour le préhistorien François Bordes, à 11 ans. L’histoire reste une aventure, située loin dans le temps. Y est condensée toute une série de comportements humains acquis progressivement : le rire, l’hygiène, l’amour de face qui fait jouir sa partenaire (par frottis du clitoris), les sentiments, l’usage du feu, la construction, les armes. Si les dialogues sont surtout des borborygmes ou des glapissements, la musique de Philippe Sarde ponctue avec bonheur les moments dramatiques, d’horreur ou de joie. Ika est enceinte et Naoh la prend contre lui pour regarder la lune – début d’une religion et d’un avenir. Le triomphe de la volonté.

César 1982 du meilleur film et meilleur réalisateur

Saturn Awards 1982 du meilleur film international

DVD La guerre du feu, Jean-Jacques Annaud, 1981, avec Everett McGill, Rae Dawn Chong, Ron Perlman, Nameer El-Kadi, Gary Schwartz, Gaumont 2021, 1h36, €13,00

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L’armée des douze singes de Terry Gilliam

Gros succès en son temps pour ce film de science fiction d’il y a trente ans. Il faut dire qu’il parle d’un virus mortel qui éradique cinq milliards de terriens en un rien de temps, l’année 1997. Échappe d’un laboratoire, comme très probablement le virus chinois, mais pas par inadvertance : par la faute d’un terroriste en col blanc, le chercheur aigri du labo travaillant dans le privé pour la Défense.

Mais cela, personne ne le sait, puisque les protagonistes sont morts. C’est pour cela que, dans le futur de vingt ans, les 1 % survivants réfugiés loin sous terre décident d’envoyer dans le passé un mauvais garçon, prisonnier mais vigoureux et observateur. Ils veulent savoir d’où le virus est parti et quelles sont les causes de son apparition. L’espion doit appeler une boite vocale pour rendre compte. James Cole (Bruce Willis, qui joue très bien les abrutis) doit se renseigner sur l’armée des douze singes, organisation terroriste qui envisage de libérer le virus, selon un message laissé par une femme. James est un cas psychiatrique, il revoit sans cesse dans ses cauchemars le meurtre par balle d’un homme dans l’aéroport de Philadelphie. Il l’a vécu enfant, il était lui-même cet enfant. Quant à l’homme tué… le spectateur apprendra qui il est.

La technologie n’est guère au point : viser le passé n’est pas très fiable. Voilà que James se retrouve non pas en 1996, mais en 1990. Erreur technique. Il est très vite arrêté par la police et enfourné en hôpital psychiatrique pour ses délires sur le futur. Le séduisant docteur Kathryn Railly (Madeleine Stowe) le soigne. Contrairement à ses collègues masculins, et sans doute séduite par la carrure mâle du patient, elle cherche à comprendre. James, assommé par les médicaments, est coaché à l’intérieur par le déjanté Jeffrey (Brad Pitt, excellent en taré). Il apprend que le garçon est fils du scientifique qui travaille sur les virus, dont celui qui va agir. Jeffrey croit que son père veut supprimer l’humanité, ce qui lui paraît tout à fait génial. Il hait la société de consommation, et l’enfermement des bêtes dans les zoos. D’ailleurs, tout ce qui dépare de la Norme est mis en cage : les fous, les marginaux, les criminels, les bêtes. Ne serait-ce pas la société qui serait folle ?

Avec l’aide de Jeffrey, James s’évade. Repris, il est mis en cellule d’isolement, attaché seul dans une cave obscure. Mais il disparaît mystérieusement. Il a été « rappelé » dans le futur, et les humains au présent ne peuvent l’imaginer. Après avoir été interrogé, il est renvoyé dans le passé. Il atterrit en pleine Première guerre mondiale, encore une erreur. Il y croise son codétenu du futur José (Jon Seda) ! Entre les tranchées, il se fait tirer dessus et prend une balle dans la cuisse.

C’est cette balle que le médecin psychiatre Kathryn va extraire après avoir été prise en otage par James, renvoyé dans le futur exact de 1996 cette fois, et qui veut en finir avec cette mission absurde. Il veut retrouver avec son aide Jeffrey, car il croit qu’il sera l’auteur de la pandémie qui doit se déclencher dans quelques semaines. Le garçon a été réintégré dans la société et prépare en secret un coup de terrorisme vert : libérer les animaux du zoo de la ville. Cette « armée des douze singes », selon un conte pour enfants, doit tourner en dérision la société humaine.

Le docteur Railly convainc James qu’il est sujet à des hallucinations et que le futur n’existe pas, sauf dans son esprit. Il finit par s’en persuader, car qui est fou ou sain d’esprit ? En même temps, elle-même finit par douter car le monde se décompose et va dans le mur. C’est la disparition du petit Richard dans un puits de mine, que James qualifie de canular car le gamin s’est caché dans une grange – ce qui s’avère un peu plus tard ; c’est la balle qu’elle extrait, expertisée, qui prouve qu’elle vient de 1917. Elle prend contact avec le père de Jeffrey pour le mettre en garde : que son fils n’ait surtout pas accès aux virus du laboratoire. Le savant (Christopher Plummer) se dit qu’il est peut-être utile de prendre des précautions supplémentaires, et en charge son assistant (David Morse) – précipitant sans doute sa décision d’en répandre un mortel. Elle appelle aussi le numéro que James devait appeler en 1990, alors pas activé, pour laisser un message sur l’armée des douze singes – celui-là même qui a motivé la mission de James.

Mais désormais, Kathryn et James sont tombés amoureux et décident de vivre au présent, sans plus se préoccuper des scientifiques qui veulent réguler l’humanité jusque dans la chambre à coucher. Ils sont toujours à évaluer, juger, donner des notes, formater. Les abîmes du temps et de la psychologie finissent par lasser et désorienter : autant en revenir au solide de la tradition. Et de bien vivre avant la catastrophe. Pour cela aller en Floride, la mode à l’époque, avant la fréquence augmentée des cyclones dus au réchauffement. Railly prend les billets, les deux se déguisent, recherchés par la police, James s’arrache les dents car on lui a appris qu’il était suivi dans le futur par un émetteur dans une dent – illustrant une fois de plus les dangers de la technologie. Les voilà prêts.

James laisse un dernier message téléphonique avertissant les scientifiques du futur qu’il reste dans son présent (ce qui perturbe l’ordre du temps) et que l’Armée des douze singes n’est pas cause de la diffusion du virus. Immédiatement repéré par la technique, il est abordé par un émissaire du futur qui lui remet un revolver pour tuer le Dr Peters, l’assistant du père de Jeffrey. Comme quoi le futur savait, ou l’avait deviné en suivant James à la trace. Kathryn Railly voit en effet Peters prendre l’avion devant elle avec une valise pleine d’échantillons virologiques, que le contrôle fait ouvrir. La préposée aux billets s’exclame du tour du monde qu’il s’apprête à faire… et dont les escales dont dans l’ordre de la propagation du virus que James a appris dans le futur. Vont-ils réussir à l’empêcher ?

Même pas… James se fait descendre par les flics de l’aéroport alors qu’il tente maladroitement de viser Peters qui s’empresse avec sa valise. Un enfant d’une dizaine d’années observe la scène de ses grands yeux bleus (Joseph Melito). Il est James vingt ans avant. Quant au Dr Peters, il s’assoit dans l’avion à côté d’une femme qui dit travailler dans les assurances, alors qu’elle est l’une des scientifiques du futur qui a envoyé James en 1996. Ce qui laisse au spectateur le soin de conclure… par diverses hypothèses, selon son pessimisme. Cette ultime fin énigmatique fait beaucoup pour l’attrait du film – tiré d’ailleurs d’un court métrage français de 1962 intitulé La Jetée.

DVD L’armée des douze singes (Twelve Monkeys), Terry Gilliam, 1995, avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer, Brad Pitt, David Morse, DVTY 2002, anglais vo doublé français, 2h05, €6,79, Blu-ray version restaurée L’Atelier d’Images 2024, anglais vo doublé français €19,99

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Destination finale 3 de James Wong

Après l’accident d’avion et le carambolage sur autoroute, voici les montagnes russes du parc d’attraction. Wendy l’héroïne (Mary Elizabeth Winstead) et ses amis lycéens de 17 ans, fêtent la fin de l’année scolaire dans un parc de loisirs américain classique. L’attraction principale est The Devil’s Flight, le vol du Diable, où une statue rouge vif ricanante incite les ados à venir transgresser la peur et les tabous religieux pour se faire jouir. C’est un gigantesque cercle roulant (roller coaster), un défi à la gravité, avec tous les excès à l’américaine : plus grand que grand, plus spectaculaire que solide, plus effrayant que tout.

Et le Diable s’en mêle, autrement dit la Mort, le tueur en série de la série des films Destination finale. Le script ne dépare pas des précédents : une fille a un pressentiment, elle « voit » avant de partir l’échafaudage des montagnes russes se démantibuler et ses amis se faire éjecter, écrabouiller, sectionner… en bref, du grand art qui cloue au fauteuil au premier quart d’heure. Le reste paraîtra plus fade.

Évidemment Wendy panique et quitte l’attraction in extremis, moquée par tous et jetée dehors par les appariteurs en colère. Son petit ami Jason reste, ainsi que la petite amie de Kevin (qui voulait d’ailleurs le larguer). Ils seront tués, leur fierté obstinée leur sera fatale. Wendy gâche le spectacle, péché suprême après « le mensonge » dans les comportements sociaux yankee. Sauf qu’elle a vu juste. Tout s’écroule dans un concert d’étincelles et de bruits discordants. Ceux qui sont restés sont tués. Il y a sept survivants, ceux qui sont sortis à temps. Ceux-là vont inévitablement mourir, dans l’ordre de leur place, comme précédemment. Wendy, qui a pris des photos avec l’appareil numérique du lycée pour faire un compte-rendu de la fête, étudie chaque portrait, cherchant à y déceler des signes annonçant leur fin. Cela afin de déjouer la Mort au dernier moment.

C’est trop tard pour les deux mijaurées snobinardes du lycée, qui ne pensent que fringues, bronzage et sucreries pour parader devant les jeunes mâles – sans en accepter aucun (ce serait mauvais pour leur teint). Égoïstes comme des ados gâtées, elles n’en font qu’à leur tête et le lit à U.V. leur sera fatal. C’est une suite de circonstances imprévues qui aboutit à ce qu’elles grillent tout vif, à poil au four pour se faire « belles ». Le Diable devrait apprécier ces poulettes apportées toutes rôties.

Pour les autres, ce sera un camion lâché sans conducteur, une presse de musculation, un pistolet à clous, les feux d’artifice, un cheval emballé, un mât de drapeau, une catastrophe de métro : à chaque fois l’impéritie des hommes face à la technique qui leur échappe. Sans parler des vantardises des garçons comme des filles, qui défient la Mort par orgueil de jeunesse et hubris yankee. Que peut-il arriver à la jeunesse la plus saine du pays le plus puissant du monde, en avance sur tout le monde en économie et en technique ? Eh bien… tout. Comme les autres. Plus que les autres peut-être, puisqu’ils défient sans cesse les lois physiques et les lois morales.

Se regarde, mais pas le meilleur de la série.

DVD Destination finale 3 (Final Destination 3), James Wong, 2006, avec Mary Elizabeth Winstead, Ryan Merriman, Kris Lemche, Alexz Johnson, Sam Easton, Metropolitan Film & Video 2006, 1h29, anglais doublé français + st, €3,99, Blu-ray 2012 €22,59

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Les films précédents :

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Voyage au centre de la terre d’Henry Levin

Un très bon film de la fin des années cinquante pour reprendre le roman de Jules Verne, chroniqué sur ce blog en 2011. Des personnages bien typés dans un décor somptueux. Évidemment, il y a des différences avec le livre : le professeur et son élève sont écossais, pas allemands (difficile après deux guerres mondiales), le descendant meurtrier du comte et la veuve, comme le cane, sont ajoutés pour pimenter l’histoire, et l’Atlantide est introduite fortuitement. Mais pour le reste, le mystère et le merveilleux scientifique demeurent.

Le professeur de géologie à l’université d’Édimbourg Oliver Lindenbrook (James Mason) a été fait chevalier. Ses étudiants le félicitent en lui offrant, outre une aubade, un encrier monté sur massacre de mouflon. Mais Alec McEwan (Pat Boone), son étudiant favori de première année de licence, ami de sa fille, lui offre en plus, avec le reste de la cagnotte récoltée, un morceau de lave négocié chez un antiquaire. Ce cadeau fait plus plaisir à Lindenbrook que le reste. Surtout que la lave, récoltée dans les épandages du Stromboli, est une lave d’Islande. Lindenbrook passe sa soirée à l’étudier pour percer le mystère de son poids, oubliant le dîner qu’il a commandé à sa gouvernante pour ses pairs. En tentant de faire fondre la lave, l’assistant fait exploser le four, ce qui révèle révèle un fil à plomb pris dans la lave, expliquant son poids. Il est gravé au nom d’Arne Saknussem, un célèbre savant islandais disparu pas moins de trois siècles auparavant (fin XVIe). Avec un message indiquant l’entrée du centre de la terre sur le volcan éteint Snæfellsjökull et l’entrée indiquée par le soleil levant passant entre les pics du volcan Scartaris.

Lindenbrook, saisi du démon de la science, part illico à Reykjavík. Alec, son étudiant, le suit, non sans lui avoir demandé la main de sa fille. Il est pauvre, il n’a que 18 ans, doit encore faire deux années de licence, rembourser ses parents – mais il est plein d’enthousiasme. Et que serait la science sans la jeunesse à qui transmettre sa flamme ? Le professeur a écrit à la sommité de la géologie européenne, le professeur suédois Göteborg (Ivan Triesault), mais celui-ci a disparu le lendemain de son message. Il est probablement parti trouver ce fameux centre de la terre tout seul, voulant coiffer Lindenbrook au poteau.

Qu’à cela ne tienne, Lindenbrook et Alec se retrouvent en Islande, où ils explorent les pentes du fameux volcan indiqué par Saknussem. Mais on leur met des bâtons dans les roues, les empêchant d’acheter du matériel d’alpinisme, puis en les assommant pour les enfermer dans une grange à duvet. C’est là que, entendant taper sur une paroi de bois, ils se font connaître du propriétaire, un grand jeune islandais, Hans Bjelke (Peter Ronson), et sa cane à lunettes apprivoisée Gertrud. A leur auberge, Göteborg n’est pas visible. Lindenbrook ruse pour connaître le numéro de sa chambre et s’y rend pour une explication. Ils découvrent tout un matériel prêt pour une expédition : cordes, piolets, lampes électrique à bobine à induction de Ruhmkorff, appareil de respiration, sacs à dos, provisions. Alec, dans la chambre à côté, trouve le professeur suédois mort. Des particules dans sa barbe montrent qu’il a été empoisonné au cyanure. Son épouse Carla (Arlene Dahl), qui survient sur invitation de son mari, est effondrée. Elle accuse Lindenbrook mais, lisant ensuite le Journal de son mari, détecte qu’il n’en est rien. Elle propose alors le matériel au professeur pour son expédition, à condition d’en faire partie.

Récriminations machistes, objections victoriennes (l’histoire se passe en 1880), mais la femme est admise dans l’expédition d’hommes qui comprend déjà Lindenbrook et ses deux jeunes compères, Alec et Hans, avec sa Gertrud. Les voilà donc partis, suspendus à un fil au-dessus du gouffre indiqué par le rayon de soleil levant passant entre les deux pics du Scartaris. C’est la cane qui trouve une galerie qui s’enfonce en pente douce plutôt que le puits à pic et sans fond. Ils s’encordent et s’avancent, éclairés par leurs lampes. Ils trouvent de l’eau en abondance et campent dans les endroits plats, comme des spéléologues.

C’est alors que la veuve entend du bruit, des pas. Lindenbrook se moque du « rat dans le grenier » qu’entendent toutes les femmes qui fantasment de peur, mais deux hommes sont en effet passés au-dessus d’eux. Les ayant suivis, désormais ils les précèdent. Arne Saknussem a laissé trois marques pour indiquer les bonnes galeries, comme gravées sur le fil à plomb. Mais les intrus les masquent pour induire en erreur. C’est encore Gertrud qui retrouve la bonne piste. Dès lors, le paysage change : c’est une grosse boule de pierre qui dévale le corridor où ils fuient (reprise dans Indiana Jones), des gemmes énormes dans les sources d’eau où ils peuvent se laver, une suite de concrétions de sel dans laquelle Alec tombe et se perd, se dépoitraillant puis arrachant ses vêtements comme un gamin de 12 ans, à cause de la chaleur.

Il est retrouvé déshydraté et le torse souillé de sel par l’un des intrus qui n’est autre que le descendant Saknussem, le nouveau comte (Thayer David). Il considère l’endroit comme son royaume, et exige du jeune Alec qu’il lui serve de porteur, puisque le sien a succombé à l’effort. Le jeune homme refuse et le comte le blesse par balle au bras. Le coup de feu et ses échos indique l’endroit où il se trouve et le professeur Lindenbrook, muni d’un étrange gadget qui mesure l’angle du dernier écho, réussit à le rejoindre. Saknussem est jugé, condamné, son arme confisquée, mais personne ne veut l’exécuter ; ils l’emmènent donc avec eux. Une forêt de champignons comestibles offre une alternative au bœuf en boite, mais surtout des troncs pour construire un radeau. C’est en effet une vaste mer intérieure, la légendaire Téthys, qui s’ouvre devant eux. Malgré des dimétrodons préhistoriques égarés depuis près de 300 millions d’années qui survivent ici, ils réussissent à embarquer et à naviguer un moment à la voile. Mais une tempête magnétique qui leur arrache tous leurs instruments métalliques les rejette sur une côte.

Ils échouent épuisés, affamés, quasi nus, pour le plus grand plaisir des deux jeunes de 20 ans à exhiber leur corps devant la femme. Le ventre sur le sable, faisant corps avec la terre, ils récupèrent tandis que Saknussem, jeté plus loin, s’empare de la cane pour la bouffer toute crue, ne laissant que les plumes. Hans est fou de rage et veut étrangler le comte. Seraient-ils redevenus sauvages ? Les autres tentent de l’en empêcher malgré sa force, mais la nature agit pour lui et le double meurtrier comte s’écrase dans un gouffre, sous un empilement de rochers. Les rescapés découvrent, par la brèche ainsi ouverte, une cité engloutie, la fameuse Atlantide avec ses temples écroulés et la vasque d’autel en pierre dure. Le squelette du savant Saknussem gît au pied d’une ruine, mort à cause d’une jambe cassée, son bras indiquant la galerie de sortie. C’est une cheminée volcanique qui aspire l’air vers la surface, sauf qu’elle est obstruée par un gros rocher.

Qu’à cela ne tienne, les savants chez Jules Verne sont tous un peu ingénieurs et Lindenbrook a l’idée d’utiliser la poudre noire contenue dans le havresac de feu Saknussem, pour faire sauter l’obstacle. Ce qui réussit au-delà de toute espérance, malgré un saurien géant qui tente de les croquer in extremis, la vasque de pierre dans laquelle ils ont pris place est éjectée par le volcan Stromboli, entré en éruption, jusque dans la Méditerranée. Ils sont recueillis par des pêcheurs sauf Alec, projeté hors de la vasque, qui atterrit dans un pin, tout nu, au-dessus des bonnes sœurs d’un couvent.

De retour à Édimbourg, le professeur est adulé, mais il ne rapporte rien de l’expédition, ni échantillon, ni note. Il se contente de projeter d’écrire ses mémoires, et sollicite pour cela la veuve Göteborg, dont on pressent qu’ils se sont trouvés et vont convoler en justes noces. De même qu’Alec avec Jenny (Diane Baker), bien que l’énergique garçon, réchappé de tant de périls, se soit cassé la jambe… en tombant des marches de l’église.

DVD Voyage au centre de la terre (Journey to the Center of the Earth), Henry Levin, 1959, avec James Mason, Pat Boone, Arlene Dahl, Diane Baker, Thayer David, Twentieth Century Fox 2013, doublé espagnol, allemand, français, anglais 2h04, €16,89

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Môle Antonielliana, musée du cinéma de Turin

Il est situé dans la tour Eiffel de Turin, un édifice construit par Antonelli dès 1863. Le guide nous montre auparavant un palais nobiliaire Juvarra, bâti en 1716 avec cour d’honneur et décors curvilignes, trois portails et corniches ornées de balustrades. Des statues de « Vénus » en marbre, les couronnent, qui proviennent probablement des jardins de Venaria Reggia et ont été offertes au comte Borgaro fin XVIIIe. Nous passons aussi devant la statue de Charles-Albert, roi de Sardaigne mort en 1849, puis devant le « palais » de l’Université, dessiné par Michelangelo Garove et terminé en 1730. Il abrite aujourd’hui le rectorat.

Le Môle Antonielliana mêle tous les styles et sa flèche de métal s’élève à 167 m. L’ange doré qui la couronnait par défi a été abattu par un ouragan en 1904, puis l’étoile qui l’a remplacée abattue aussi en 1953, punition de l’orgueil démesuré de l’architecte. Il était à destination de synagogue, mais les Juifs ont revendu le bâtiment inachevé pour faire construire ailleurs, plus modeste, et la ville l’a racheté. Ne sachant qu’en faire, elle y a mis le cinéma, une accroche populaire qui doit permettre de nombreuses entrées. Malgré le froid qui descend des Alpes, un jeune enfant asexué en slip (qui tend vers le modèle fille) se morfond devant une porte fermée, les mains en coupe pour abriter une lueur. Il s’agit d’une sculpture contemporaine à ambition symbolique.

Le Môle Antonielliana a son ascenseur en panne (ce qui paraît courant en Italie) et nous ne pouvons accéder au sommet de la tour où un vaste panorama est pourtant offert. Nous avons 1h30 de visite libre et c’est trop. Une heure suffirait largement. Après quelques salles sur « l’archéologie du cinéma » avec un labo de développement ambulant, les kaléidoscopes et autres stroboscopes, sont exposés dans des alcôves des souvenirs de films et, sur les murs, des affiches.

Il s’agit de spectacle plus que de pédagogie, avec son labyrinthe de visite, ses recoins obscurs, son ascension en spirale vers les sommets récents du septième art, son hall éclairé de vert fluo qui fait kitsch, et ses quelques alcôves adonnées au « sexe ». Ce sont des salles obscures « réservées aux plus de 14 ans ». Mais montrer des nus 1900 ou des scènes « osées » des années 50 n’a rien de pornographique, ni même de choquant pour un gamin sous cet âge. N’importe quel film contemporain montre pire, si l’on considère que le sexe est une animalité qu’il faut cacher.

Dehors, le spectacle vivant de la rue est plus intéressant que le spectacle mort des vieux films. Je vois une jeune fille harmonieuse de formes, habillée chic qui porte une couronne de lauriers et de roses rouges sur la tête. Le guide me dit qu’il s’agit d’une tradition de l’université italienne pour ceux qui ont obtenu leur Master et soutenu leur mémoire. La « laurea » est symbole de réussite et de pouvoir depuis César. Notre mot « lauréat » vient d’ailleurs de là : celui qui est couvert de lauriers.

La couleur fait référence à la matière. Pour l’économie c’est le jaune, je n’ai pas retenu quelle matière pour le rouge. Une fois que le jury s’est prononcé, vos copains vous jettent des poignées de confetti, au joli mot italien de « coriandoli », et vous pouvez arborer la couronne. Dans un café, une fille porte une couronne plus mince, peut-être seulement pour un mémoire de licence – le grade en-dessous.

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James Cain, Assurance sur la mort

L’auteur immortel du roman policier Le facteur sonne toujours deux fois a fait l’objet de nombreuses adaptions au cinéma (Visconti, Rafelson, Garnett). James Cain a fait la guerre de 14 côté américain et est décédé en 1977 à 85 ans. Il livre ici trois longues nouvelles policières ou psychologiques dont la dernière, Assurance sur la mort, a fait l’objet elle aussi d’un film.

Il s’agit d’une escroquerie à l’assurance décès, perpétrée par une épouse qui n’en est pas à son premier meurtre en toute impunité pour arriver, et d’un agent d’assurance bêtement tombé amoureux de ses formes. C’est assez bien troussé pour être crédible, le spécialiste aidant la volonté meurtrière. La fin sera épique, faisant intervenir d’autres personnages, dont la belle-fille de l’épouse et son petit ami, mais aussi le directeur de la compagnie d’assurance et son détective en chef.

Les deux autres nouvelles sont sur une escroquerie à la banque, et sur la rivalité d’un couple où seul l’homme est amoureux. Toujours le même schéma, l’homme spécialiste et la femme séductrice qui le manipule.

Sauf que dans Carrière en do majeur, l’homme se rebelle. Ingénieur en ponts et chaussées, inactif à cause de la grande Dépression des années 30, l’époux laisse faire sa femme qui se croit une vocation de chanteuse d’opéra. Mais elle ne suit pas le rythme et déraille. Le mari rencontre à cette occasion Cecil, véritable chanteuse d’opéra, qui trouve que lui a une belle voix de baryton et qu’il peut aisément la seconder, d’autant qu’il apprend vite les rôles. Et les voilà embarqués dans une tournée. Cela ne se passe pas trop mal, sauf que le chanteur néophyte ne garde pas toujours les yeux fixés sur le chef d’orchestre, et passe parfois la mesure. Erreur fatale à l’opéra. Le flop de l’épouse est compensé par le flop de l’époux – et les voilà réconciliés, lui toujours amoureux, elle rassérénée dans son narcissisme.

Ancien, mais efficace, ce recueil de nouvelles est un moment du roman policier psychologique, volontiers porté au cinéma.

James Cain, Assurance sur la mort (nouvelles Career in C Major, The Embezzler et Double Indemnity), 1944, Folio policier 2003, 370 pages, occasion €24,99, e-book Kindle 2017, €6,99

Autre édition (introuvable), utilisée pour cette note : Livre de poche 1964, 432 pages

DVD Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944, avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Porter Hall, Jean Heather, Arcadès 2009, anglais doublé français, 1h47, €8,80, Blu-ray €9,90

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Jean-François Coatmeur, Des croix sur la mer

Décédé en 2017 à 92 ans, Jean-François Coatmeur, enseignant en lettres breton, est surtout l’auteur de romans policiers. Des croix sur la mer est son seul roman classique, où les croix font bien dans le titre, mais ne sont absolument pas représentatives du contenu. Inspiré d’un événement biographique brièvement relaté en préface, l’histoire laisse la religion accessoire. Il faut dire que l’auteur a subi les curés lors de ses études secondaires.

Sébastien Palu, le personnage principal, est infirmier « auxiliaire » après avoir entrepris des études de médecine, interrompues par la tuberculose. Puis la guerre est venue, la Seconde, l’effondrement de l’armée française « la plus puissante du monde », mais archaïque à cause des badernes qui la gouvernent ; toute la France est occupée, y compris un petit village breton qu’aucun Astérix ne défend, sauf quelques trop jeunes, exaltés de la dernière heure, au moment où les Allemands se replient.

Ils prennent des otages pour couvrir leur fuite. Ils sont sans cesse harcelés par les partisans, attaqués au coin de chaque bois. Ils raflent les villageois qui ont le malheur, ou plutôt la bêtise, de passer dans la rue, comme si de rien n’était. Or tout « est », justement, et les plus imbéciles se font pincer, au lieu de rester chez eux en attendant que la tempête vert de gris passe. Les soldats en fuite sont les plus dangereux, tout le monde le sait, ou devrait le deviner – mais non, il y a toujours des plus malins qui « croient » que…

En ce mois d’août 1944, la chaleur règne sur la Bretagne et les Américains repoussent l’armée allemande qui se replie en véhicules et tient les otages, dix-sept raflés parce qu’ils passaient par là. Dont Sébastien Palu, infirmier à ausweis, mais dont la soldatesque se fout comme de l’an 40. Heureusement, l’officier commandant est blessé à la cuisse et réclame un docteur. Palu en fait office, pansant sa plaie, pas bien grave car ni l’os ni les tendons ne sont atteints ; il suffit que la chair ne s’infecte pas. L’officier, un brin philosophe, garderait bien l’infirmier pour son repli, il peut toujours servir, mais le niais écoute l’appel d’un benêt qui est venu le chercher pour « soigner » sa mère soûlarde, une fois de plus beurrée à mort. C’est pour cela qu’il s’est fait pincer, en allant la secourir. Et le benêt en rajoute une couche en l’appelant à nouveau, pour lui cette fois, car il n’a pas su rester tranquille, il s’est fait salement tabasser. Une fois pansé, il croche la main de l’infirmier, ne veut pas qu’il le quitte. Et le niais cède – une fois de plus. Palu, au nom de maladie, n’est pas une personnalité forte, ni même sympathique.

Par d’incessants retours en arrière, l’auteur nous apprend qu’il a non seulement engrossé trop jeune la fille de hobereaux qui ont dû consentir au mariage, et l’ont méprisé, lui et sa famille, mais qu’il a échoué en médecine, pour cause de maladie, échoué à entrer dans la Résistance comme le cousin de sa femme, pour cause de faible santé, échoué à élever son fils Olivier, qu’il voit très peu, échoué à dire non au benêt inopportun, échoué à revenir auprès de l’officier allemand… En bref un « perdant » congénital.

De plus, cet être sans volonté, qui se laisse ballotter par le destin, a envisagé de dénoncer le jeune cousin fringuant, qui tringle sa femme en aparté. Il les a surpris en plein ébats lorsqu’il est revenu en vélo d’une tournée. Il s’est bien gardé d’apparaître et de jeter dehors le défonceur de chatte, faute de virilité. Avec ses 31 ans, il ne se sent pas de force contre un jeune homme en pleine vigueur de ses 18 ans. Il a donc écrit par vengeance de ressentiment une lettre de dénonciation à la Kommandantur, sur beau papier, toute en pleins et déliés tracés sur des lignes tirées à la règle. Comme si la maniaquerie du style compensait la lâcheté du procédé. Cette lettre, il a eu la faiblesse de ne pas l’envoyer, oh, pas pour de nobles motifs, mais par couardise d’avoir à en supporter les conséquences. Il a même eu la faiblesse ultime de ne pas la brûler, comme il en avait vaguement l’intention au moment où le benêt, au prénom inadéquat de Valentin, est venu gémir à sa porte pour le tanner de le suivre.

Lorsqu’il sait qu’il va être fusillé, comme les autres otages, les otages comme les partisans blessés pris sur le fait, cette lettre l’obsède. Il l’a enfermée à clé dans un tiroir, mais elle est intacte, et lui mort, elle survivra. Palu le cocu, connu de tout le village, sera vengé, mais dans le déshonneur d’avoir trahi un compatriote alors que l’ennemi est vaincu. Pas bien beau, comme souvenir pour le fils Olivier… Comme Marie, la putain des boches, passe pour donner de l’eau, il voit une sorte de double rachat en lui demandant, à voix basse, d’aller détruire cette lettre qu’elle trouvera dans le tiroir du bureau, dont la clé est dans le pot à tabac sur le meuble. Marie, qui a cédé trop facilement à l’argent allemand pour soigner son vieux père irascible, fera une bonne action, et lui Palu sera soulagé de gommer sa succession d’erreurs et de faiblesses.

Tout cela est pitoyable, pas tragique, même si la mort est au bout. L’auteur n’est pas un bon romancier car il privilégie trop, comme dans les romans policiers, le fil du récit à la profondeur des personnages, et il ne brosse les décors qu’avec un excès d’adjectifs. Malgré le « prix », donné pour motifs régionalistes, le livre reste de série B. Il se lit – et s’oublie.

Le roman a fait l’objet en 2001 d’un téléfilm de Luc Béraud, édité en DVD pour 9,99 euros. Il est probablement meilleur que le livre – une fois n’est pas coutume.

Prix Bretagne 1992

Jean-François Coatmeur, Des croix sur la mer, 1991, Presses Pocket 1993, 215 pages, occasion €3,64, e-book Kindle €5,49

DVD Des croix sur la mer, Luc Béraud, 2001, avec Laurent Malet, Isabelle Renauld, Marie Guillard, Jérôme Pouly, Stéphane Brel, LCJ Editions & Productions 2014, 1h35, €9,90

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Sudden impact, le retour de l’inspecteur Harry de Clint Eastwood

Du viol, de la vengeance, d’un inspecteur hors limites. L’avant Reagan voyait une Amérique à la dérive, où tout était permis, en toute impunité. Laxisme, bureaucratie, corruption, la police était impuissante ou laissait faire. Un courant a réagi à cette lâcheté publique ; il fera voter Reagan dès 1981, le cow-boy conservateur contre le démocrate Jimmy Carter. Ce qui n’est pas sans rappeler l’aujourd’hui avec Trump contre Harris. Tel était le contexte lors de la sortie du film.

Harry Callahan est un battant, comme Ronald Reagan ; il veut des résultats, et tant pis si cela piétine les plate-bandes des comtés ou des services, ou les statistiques des gouverneurs. Dans ce quatrième épisode de la saga L’Inspecteur Harry, Clint Eastwood (Harry) fait des étincelles. Là où Callahan passe, la pègre ne repousse jamais. Il sème les cadavres, au fil des attaques. Il ne peut voir un casse sans intervenir, et ses méthodes – expéditives – sont rarement en faveur des malfrats. Ceux qui veulent se le faire sont refaits, d’une balle bien ajustée ou d’un dérapage en voiture dans le bassin du port. Il n’hésite pas à aller voir un parrain de la pègre lors du mariage de sa petite-fille pour lui rappeler devant tout le monde le cadavre d’une pute à lui, trouvée les seins lacérés, les pieds calcinés et le visage écrasé. Ce n’est pas de sa faute si le pégreux clamse d’une crise cardiaque devant tant d’audace – et le soi-disant témoignage de la pute, faite de papiers blancs, que Callahan sort de sa poche. Après tout, Dieu a sa justice.

Mais sa hiérarchie s’exaspère de ses méthodes, bien peu orthodoxes. Il saisit des preuves sans procédure, ce qui les rend invalides devant un tribunal, il applique la peine de mort au bout de son Smith & Wesson police, sans aucun jugement. S’il n’est pas suspendu, c’est que chacun reconnaît qu’il obtient des résultats. Mais plus question de le garder à San Francisco. On lui confie une enquête qui va l’éloigner à San Paulo (ville fictive de Californie, État dont Reagan fut gouverneur), le temps de se faire oublier des pontes.

Le fil de l’enquête est une série de meurtres avec le même mode opératoire : uniquement des hommes dans la trentaine, tués d’une balle dans les couilles, puis d’une autre dans la tête. Avec la même arme, un pistolet .38 Special. Tous originaires de San Paulo, tous en photo avec le fils du chef Jannings lorsqu’il était jeune, dans son bureau. Callahan commence à se douter qu’il s’agit d’une vengeance, même si Jannings (Pat Hingle) ne veut pas qu’un flic « de la ville » vienne contester ses méthodes.

En effet, dans cette station balnéaire, une fête foraine désormais à l’abandon, a été le théâtre d’un viol collectif douze ans auparavant. La « gouine » Ray Parkins (Audrie Neenan) invitait des filles à faire la fête, et les faisait violer par son frère abruti Mick (Paul Drake) et la bande de jeunes cons à sa botte. C’est ainsi que Jennifer Spencer (Sondra Locke) a été pénétrée successivement par quatre jeunes hommes, de même que sa sœur encore au lycée Elizabeth. Celle-ci ne s’en est jamais remise et végète depuis, catatonique, dans un hôpital du nord de l’État. Jennifer, devenue peintre tourmentée qui expose, a décidé de se venger elle-même, puisque la police locale et la « justice » s’en foutent.

Trois hommes vont ainsi payer de leur bite et de leur vie leur prédation en bande, et une femme, la gouine Ray qui rigolait vulgairement devant les viols successifs. Le dernier, le fils du chef Jannings, a eu tant de remords qu’il a tenté de se jeter contre un mur avec sa voiture ; il en est resté paralysé et débile, un légume. Jennifer l’épargne, pour qu’il expie selon la justice que Dieu a choisi pour lui.

Callahan a fait la connaissance de Spencer lorsqu’il promenait son chien bouledogue, offert par son ami Horace pour « ses vacances » ; la fille tombe de vélo devant le monstre à patte Patate. Il la retrouvera au bar et aura une conversation avec elle sur la justice, devant une bière. Elle l’a vu arrêter un braqueur en pleine rue, sautant d’un camion de retraités réquisitionné pour suivre le bandit qui avait tiré sur un jeune policier. Elle lui dit que la justice officielle prend peu en compte les véritables crimes et qu’il faut parfois se faire justice soi-même, si on le peut. Callahan est d’accord.

La fin est épique. Chez le chef Jannings, Jennifer est devant le fils légume, écoutant le père lui avouer qu’il a bloqué l’enquête à l’époque pour protéger son fils unique, qui n’a suivi les autres que pour éviter de se faire traiter de pédé. C’est alors que Mick et sa bande arrivent, abattent Jannings avec l’arme de Spencer, et l’emmènent avec eux pour la revioler à loisir dans la même baraque de la fête foraine – comme au bon vieux temps. Ils ont auparavant tabassé Callahan et tenté de le tuer, mais il a survécu en tombant à la mer et récupéré une autre arme, son .44 Magnum très efficace. Dans sa chambre d‘hôtel il découvre son ami Horace venu le retrouver pour dire que cela se tassait à San Francisco assassiné – et Callahan décide de se venger des racailles de la gouine.

Chez elle, il découvre son cadavre ; non loin, les cris excités de la bande de violeurs qui recommencent. Jennifer réussit à s’échapper vers le manège, qu’elle met en route, mais elle est reprise. Callahan réussit à descendre les deux frères poissonniers de la bande à Mick, puis Mick lui-même, à moitié dément d’hubris sexuelle. Il va tomber des hauteurs où il était monté juste sur la corne de licorne d’un cheval du manège en contrebas – violeur devenant violé, symboliquement.

Quant à Jennifer Spencer, l’inspecteur Callahan sait tout de ses crimes, mais la police locale retrouve l’arme qui a servi à les perpétrer dans la main de Mick. C’est donc lui le coupable présumé, et Callahan laisse faire. La procédure peut servir à la justice immanente, si elle épargne la victime délaissée par la justice bureaucratique.

Outre la jouissance de voir les violeurs punis, les malfrats cassés, les braqueurs descendus ou arrêtés, le film prône des méthodes moins tatillonnes et une administration moins pesante pour l’efficacité des enquêtes. La loi est une chose, sa gestion une autre. Outre la beauté de Sondra Locke (compagne de Clint Eastwood à l’époque), ce qui retient l’attention, ce sont les phrases choc prononcées par l’ineffable Callahan, telles que : « Malfrat : Qui c’est « nous » ?… Connard. – Callahan : Smith… Wesson… et moi ! ». Ou encore une formule que Reagan retiendra deux ans plus tard devant le Congrès qui menace d’augmenter les impôts : « Go ahead, make my day, Vas-y, allez ! Fais-moi plaisir !» Gros succès au box office.

DVD Sudden impact, le retour de l’inspecteur Harry, Clint Eastwood, 1983, avec Clint Eastwood, Sondra Locke, Pat Hingle, Bradford Dillman, Paul Drake, Warner Bros. Entertainment France 2001, anglais vo, doublé français, italien, 1h53, €7,95

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Bobby d’Emilio Estevez

Évocation de l’espérance Kennedy, en la personne du frère Robert dit Bobby (Dave Fraunces), sénateur démocrate en campagne aux primaires pour la présidentielle de 1968. Le 5 juin, il est assassiné lui aussi, à l’hôtel Ambassador de Los Angeles où il prononçait un discours.

Le film vaut pour les stars qu’il accumule, on appelle ça un « film choral », grand mot du jargon pour dire mosaïque, autrement dit éclaté façon puzzle… Le spectacle est trop long, afin de donner à chacune des pas moins de 22 vedettes ses dix petites minutes de gloire dans la première partie. Le réalisateur aurait pu amputer une demi-heure de bavasseries futiles des débuts pour renforcer son message. C’est dommage, car le thème de l’espérance messianique qu’incarne les Kennedy fut réelle, et elle est bien rendue dans le restant du film. Elle me rappelle l’engouement pour John Kennedy bien sûr, mais aussi celle pour Barack Obama et celle – inversée – pour Donald Trump 2. Ce genre de messianisme charismatique des politiciens fait beaucoup de déçus dans la durée, mais il transporte sur le moment.

Aucun rôle principal pour incarner l’espérance, si ce n’est Bobby lui-même, déjà fantôme sur pellicule enregistrée, d’autant qu’on connaît sa fin. Aucun des personnages du film n’est d’ailleurs vrai, tous ont été inventés, sauf le cuisinier latino qui tient la tête de Bobby abattu. Mais l’époque est bien rendue car, si tous étaient différents, tous étaient frappés de la même espérance. John Casey (Anthony Hopkins), le portier d’hôtel à la retraite qui passe ses journées dans le hall à jouer aux échecs avec son ami pré-alzheimer Nelson (Harry Belafonte) et qui n’a jamais vu ça ; Diane (Lindsay Lohan), qui épouse son ami William (Elijah Wood) dans l’espoir que le mariage lui permettra d’être envoyé sur une base militaire en Allemagne plutôt qu’au Vietnam ; Virginia Fallon (Demi Moore), une chanteuse vieillissante devenue lentement alcoolique parce que sa carrière décline ; Miriam Ebbers (Sharon Stone), une esthéticienne qui travaille dans le salon de l’hôtel, et son mari Paul (William H. Macy), le directeur de l’hôtel, qui a une liaison avec la standardiste Angela (Heather Graham) ; l’acheteur d’hôtel pour les aliments et boissons Daryl Timmons (Christian Slater), licencié pour ne pas avoir autorisé noirs et latinos à quitter leurs portes pour voter aux primaires ; le sous-chef afro-américain Edward Robinson (Laurence Fishburne) et les serveurs américano-mexicain José (Freddy Rodriguez) et Miguel (Jacob Vargas) ; Susan (Mary Elizabeth Winstead) la serveuse du café de l’hôtel ; Jimmy (Brian Geraghty) et Cooper (Shia LaBeouf) volontaires Kennedy qui sèchent la campagne, avides d’essayer un trip d’acide pour être « stone » avec le dealer hippie Fisher (Ashton Kutcher) – et peut-être coucher ensemble, inhibitions levées, puisqu’on les voit un moment tout nu ; les mondains mariés et donateurs de la campagne Samantha (Helen Hunt) et Jack (Martin Sheen) ; le directeur de campagne Wade (Joshua Jackson) et son collaborateur pressenti secrétaire d’État aux transports Dwayne (Nick Cannon), lequel est amoureux de la collègue d’Angela, Patricia (Joy Bryant) ; enfin la journaliste tchécoslovaque Lenka Janáčková (Svetlana Metkina), qui se dit « socialiste, pas communiste », et veut obtenir une interview avec Bobby Kennedy.

Elle ne l’aura pas : Sirhan Sirhan, un Palestinien, lui tire plusieurs balles alors qu’il sort après son discours par les cuisines ; trois l’atteignent et il décèdera vingt-six heures plus tard au Good Samaritan Hospital. Samantha, Daryl, Cooper, Jimmy et William sont blessés par balles avant que le tireur ne soit maîtrisé. Le tueur sera condamné à mort, peine commuée en prison à vie – il est toujours derrière les barreaux, ses demandes de libération étant toutes rejetées, la dernière en 2023.

Des scènes d’actualité de l’époque, notamment des discours de Bobby Kennedy, sont intercalées avec bonheur pour souligner les propos des comédiens. Dommage là encore que la voix off moraliste use les nerfs du spectateur par son lamento interminable de fin.

Shiran Shiran accusait les Kennedy d’avoir livré des avions de chasse à Israël, mais était-ce la vraie raison ? Les résistances conservatrices aux changements de la société américaine étaient fortes en 1968, aussi fortes qu’aujourd’hui, un demi-siècle et deux générations plus tard, avec la radicalisation de droite trumpiste. La guerre du Vietnam était de plus en plus impopulaire, sans buts stratégiques clairs pour les Américains, et inégalitaire car les riches et les étudiants pouvaient y échapper. La déségrégation portée par la Cour suprême avait ouvert les écoles publiques aux non-Blancs par l’arrêt l’arrêt Brown v. Board of Education. Le mouvement des droits civiques était exalté par Malcolm X, assassiné en février 1965, le Ku Klux Klan multipliait les attentats racistes. Malgré cela, le Civil Rights Act et le Voting Rights Act furent adoptés et promulgués en juillet 1964 et août 1965, Lyndon Johnson poursuivait la politique de John Kennedy, voule par la majorité sociale, tout en annonçant qu’il ne se représentait pas à la présidentielle – il avait trop peur pour sa peau. Il n’est pas exclu que Shiran ait été poussé par des ultra-droitiers, dans la lignée de l’assassinat de John Kennedy. Le film n’en dit rien, se contentant de chanter le paradis perdu. Malgré le troisième candidat Wallace, et en l’absence de Bob Kennedy assassiné, ce sera le républicain Richard Nixon qui sera élu. On sait comment il finira lamentablement, lors de son second mandat, par espionnage interne et mensonges dans l’affaire du Watergate.

Malgré les chansons de Stevie Wonder, Marvin Gaye, The Miracles ou Simon et Garfunkel, le propos de l’espérance politique est noyé dans les scénettes de vedettes au début et la moraline sirupeuse de la fin. Une belle idée, gâchée par trop vouloir en faire.

DVD Bobby Kennedy, Emilio Estevez, 2006, avec Harry Belafonte, Joy Bryant, Nick Cannon, Emilio Estevez, Laurence Fishburne, Brian Geraghty, ‎TF1 Studio 2007, vo anglais doublé français + st, 1h52, €4,00

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Le chien des Baskerville de Terence Fisher

La légende veut qu’au 18ème siècle, sir Hugo Baskerville (David Oxley), triste sire mâle, blanc et dominateur, ait chassé, violé et tué une jeune fille d’auberge dans la lande de Dartmoor, dans les ruines d’une abbaye. Romantique, is’nt it ? La fille, épaules découvertes jusqu’aux seins mais affublée de jupes, jupons et falbalas qui l’empêchent de courir s’est sauvée dans la lande, tombant ici ou là comme les femmes savent le faire dans tous les films avant aujourd’hui, poursuivie par la meute de chiens courants des Baskerville et par le sire à cheval. Jusqu’à ce que… Aaooouuuhhh ! Un hurlement de bête sortie des enfers ne stoppe la meute qui reflue, la queue entre les jambes. Sages bêtes ! Ce n’est pas le cas du diabolique sir Hugo qui persévère dans l’erreur, sinon dans le péché de serial violeur. Il garde sa queue droite et la brandit, sous la forme d’un poignard courbe (signe traître du Croissant) sur le corps tombé à terre de la belle pâmée. Il la viole en la poignardant au sein, c’est pareil. A cet instant, Aaooouuuhhh ! Le monstre infernal lui fond dessus et croq ! croq ! L’égorge en un seul branle de mâchoires. Dès lors, une malédiction pèse sur les Baskerville : tous finissent morts dans la lande la nuit. Pas tous croqués, mais tous terrorisés.

Le dernier est sir Charles Baskerville, dont le docteur du coin Mortimer (Francis De Wolff) qui sert de notaire, de confesseur et de médecin, vient soumettre le cas à Sherlock Holmes (Peter Cushing) dans son appartement de Londres. Il est mort sans blessures, mais d’une frayeur inouïe – et de faiblesse cardiaque. Car, dans l’esprit de Holmes, il ne saurait y avoir une quelconque once de romantisme. Les faits, rien que les faits. Toute la rigueur scientifique pour observer, disséquer, comprendre. Les émois du docteur ne sont pas recevables, mais la destinée du dernier des Baskerville, le neveu de sir Charles qui revient de Johannesburg, lui importe. Il va donc le visiter à son hôtel de Londres, avant qu’il ne parte pour la lande de Dartmoor prendre posession du manoir ancestral sur la lande.

Sir Henry Baskerville (Christopher Lee) a perdu une chaussure, mise à cirer dans le couloir de son hôtel. De la seule qui lui reste sort une araignée monstrueuse et velue, une tarentule (devenue célèbre avec le film Un Indien dans la ville). Elle n’est pas en soi mortelle, mais peut saisir de frayeur un cardiaque ; or sir Henry, comme tous les Baskerville mâles, l’est. Sherlock tue la bestiole d’un coup de canne bien ajusté mais s’interroge : ce n’est pas un démon qui veut éliminer le dernier des Baskerville, que ce soit sous la forme d’un chien-garou ou d’un arthropode inédit à Londres. Ne serait-ce pas l’héritage, qui s’élève à des millions de livres sterling, qui susciterait la convoitise ? Pas question que sir Henry se rende seul dans son manoir du Devon ; Sherlock a encore des affaires en cours à régler à Londres, mais le docteur Watson (André Morell) va l’accompagner.

Les domestiques Barrymore ne sont pas clairs, un criminel s’est évadé de la prison à dix miles de là, le voisin fermier Stapleton (Ewen Solon) et sa curieuse fille renfrognée et provocatrice Cecile (Marla Landi) – en haut bleu décolleté et jupe rouge vif – sont étranges. Tout comme le pasteur Frankland (Miles Malleson), bavard lunaire passionné d’entomologie et qui élève… des tarentules – dont une « s’est échappée ». D’étranges lumières errent sur la lande et semblent faire des signes au manoir la nuit ; des gens sortent et arpentent les marais, traîtres aux ignorants des bons sentiers ; les ruines de la chapelle luisent de façon inquiétante sous la lune. Et Aaooouuuhhh ! Le cri de la bête retentit toutes les nuits.

Sherlock Holmes, arrivé incognito dans le Dartmoor, active sa loupe et ses cellules grises tandis que sa fonction medium lui sert à prédire le possible. L’intrigue diffère de celle du livre, et c’est heureux. Elle dépouille l’irrationnel de ce qu’il peut avoir de fascinant, ce qui est normal après une guerre mondiale due à ces mêmes forces d’irrationnel, arrière-garde de romantisme dévoyé. D’où la légère déception du spectateur d’aujourd’hui. Mais les paysages brumeux à la clarté lunaire et les formes des rochers qui prennent des allures fantastiques restent. Ils sont inspirés de près par les illustrations de Sidney Paget publiées dans The Strand Magazine, bien connu des lecteurs de Sherlock Holmes. Si la raison tente de se frayer un chemin parmi ces décors d’un autre âge, c’est autant de plaisir. La Hammer a donné le premier film en couleurs du célèbre détective, dans son histoire la plus connue.

DVD Le chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), Terence Fisher, 1959, avec Peter Cushing, André Morell, Christopher Lee, Maria Landi, David Oxley, BQHL Éditions 2024, anglais ou français, 1h23, €24,00, Blu-ray €22,54

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Tueurs de dames d’Alexander Mackendrick

Humour anglais, absolument délicieux. Le film croque les déboires de grands gamins qui tentent un casse d’adulte, mais qui font tout foirer, soit par trop de sophistication intello, soit par trop d’épaisse bêtise. La morale sociale est donnée par une petite vieille sortie tout droit d’un cottage d’Agatha Christie, avec thé à cinq heures et napperons de dentelle, qui habite dans la ville une bicoque au-dessus des voies de chemin de fer. Tchou ! Tchou ! La fumée des locomotives à vapeur jouera un rôle dans l’histoire, comme les limbes entre la vie et la mort éternelle.

Madame Wilberforce (Katie Johnson, 76 ans) est veuve et a hérité d’un officier mort durant la guerre – mais de la marine marchande, tué par un banal typhon. Humour typiquement anglais sur le décalage entre les apparences et la réalité. L’une de ses amies de thé a cru avoir vu atterrir de petits hommes verts d’une soucoupe volante, et Madame Wilberforce a été le dire à la police – les soucoupes étaient monnaie courante à l’époque de la guerre froide, où USA et URSS testaient de nouveaux engins d’espionnage. Humour typiquement anglais sur le décalage entre l’insignifiance des divagations et la vertu d’en informer la police. Au début de l’histoire, Madame Wilberforce revient justement au poste de police pour dire que son amie a reconnu s’être trompée, et que c’est de son devoir d’en informer dûment les autorités.

C’est alors qu’une ombre menaçante à chapeau plane sur la rue, et qu’une silhouette patibulaire commence à suivre la vieille dame. Laquelle s’enfile dans une boutique où elle évoque son intention de louer deux chambres de sa maison pour conforter sa maigre pension ; mais non, personne n’a encore répondu à l’annonce en vitrine. Revenue chez elle, elle commence à nourrir le Général, l’un des trois perroquets laissés par son défunt mari, et à faire le thé, en devant taper au maillet sur la tuyauterie qui ne laisserait pas couler l’eau autrement. Humour typiquement anglais sur le décalage entre la banale opération du thé, qui a lieu plusieurs fois par jour, et la procédure complexe due à la bureaucratie plombière.

A ce moment, coup de sonnette. L’ombre au chapeau est derrière la porte. Madame Wilberforce n’est pas impressionnée (elle devrait) et ouvre. C’est le « professeur » Marcus (Alec Guinness) qui vient louer la chambre pour, dit-il, air faux et mâchoire veule, répéter à loisir avec ses amis d’un quintette à cordes. Ils préparent en fait le vol d’un transfert de fonds à la gare voisine. Tout en discutant du plan entre eux, ils passent un disque à l’électrophone pour donner le change. Lorsque Madame Wilberforce, importune à force d’amabilité sociale, monte frapper à leur porte pour leur proposer l’éternel thé anglais, ils se précipitent pour saisir leurs instruments, arrêtent et cachent le disque. Bis repetita placent, comme on apprend dans les collèges anglais, ce ne sera pas la dernière fois qu’ils seront dérangés, et forcés à l’amabilité sociale. La plus drôle sera avec le perroquet vert, à qui la vieille veut donner une potion qu’il n’aime pas ; il ne se laissera pas attraper, mordra le doigt d’un des malfrats, en fera tomber un autre, obligera un troisième monter sur le toit… avant de se laisser cueillir dans la rue par le « professeur » qui revient et lui tend la main. Mais comment se fâcher avec une Madame Wilberforce ? Elle représente la dame anglaise dans toute sa splendeur : petite-bourgeoisie pauvre mais digne, garante de la morale et des mœurs, une mamie qui réprimande tout écart à la norme.

Le casse se passe comme prévu, la fameuse logeuse Wilberforce jouant à son insu le rôle d’entremetteuse entre le butin et la maison. Les caisses de fric sont mises dans une malle, déposée à la consigne de la gare, et Madame Wilberforce est chargée par son locataire « professeur » d’aller la réceptionner pour lui ; elle est censée parvenir de Cambridge. Les convoyeurs ont été assommés, des témoins ont vu une voiture s’enfuir, poursuivie par les policemen à pied pour faire diversion. Pendant ce temps, un cab d’époque a chargé la malle et l’a déposée à la gare, ni vu ni connu. La police soupçonne que les bandits vont tenter de fuir par le train et demande une liste de tous les bagages entrés et sortis de la gare. Mais Madame Wilberforce, avec son ingénuité d’honnête veuve, récupère la malle et la fait porter en taxi jusqu’à sa demeure.

Évidemment, le retour ne se passe pas sans anicroche. Avisant un commerçant ambulant en primeurs (Frankie Howerd) qui se fâche contre un cheval qui le suit pour lui bouffer ses pommes, elle fait arrêter le taxi et s’insurge contre le mauvais traitement à animal, autre cause classique des vieilles gens britanniques. Tout dégénère et, humour anglais, l’écart entre l’incident mineur et les proportions qu’il prend engendre le rire. Madame Wilberforce en sort blanche comme neige, ayant pourtant déclenché la catastrophe, primeurs répandus dans la rue, taxi bousillé, commerçant et chauffeur en prison.

Les bandits ont eu des sueurs froides, mais le butin est chez eux ; ils montent la malle dans leur chambre et partagent les billets, qu’ils planquent dans les étuis des instruments de musique. Le lendemain, ils prennent congé. Tout s’est bien déroulé, bien que trop complexe pour éviter tous les pièges, mais ils ont eu de la chance. Jusqu’à ce que la bêtise du plus épais (Danny Green) ne gâche tout. En effet, en disant au revoir, et encore adieu, et toujours à bientôt, le plus gros qui porte un étui de violoncelle, coince une bride dans la porte. Au lieu de sonner pour la faire ouvrir et libérer l’attache, l’âne tire comme un forcené et, lorsque la digne Madame Wilberforce vient ouvrir, son étui s’ouvre en deux et répand les billets devant elle.

Shocking ! Cela ne se fait pas : de mentir en disant qu’on est musicien alors qu’on est malfrat, de berner une vieille dame qui ne leur a rien fait, d’avoir volé un argent qui ne leur appartient pas, de vouloir partir avec pour en profiter. Toutes les sonnettes de la morale se mettent à tinter et Madame Wilberforce est outrée. Tellement que le « professeur », finalement aussi benêt que les autres, revient pour lui expliquer, au lieu de fuir dans la voiture toute prête. Il a besoin de replacer son méfait dans une certaine norme, ce qui est inacceptable, mais il n’en peut mais. Toute une théorie de petites vieilles vêtues de couleurs pastel et portant des chapeaux ridicules déferlent chez Madame Wilberforce, qui les a invitées pour le thé. Elle aurait voulu que le quintette joue un morceau pour elles, mais ce n’est manifestement plus possible.

En tout cas, la vieille dame confisque les étuis de violon et violoncelle pour les rendre à la police. Les bandits se laissent faire. Ils complotent de tuer l’ancienne, mais personne ne s’y résout, et le plus bête est carrément contre ; elle lui rappelle sa grand-mère. Les cinq commencent à se chamailler et, comme dans les Dix petits nègres, les malfrats se zigouillent l’un après l’autre, presque par inadvertance. Chacun disparaît dans la fumée des locos, jetés par les pieds dans les wagons vides qui résonnent. Le dernier est assommé et jeté lui aussi, mais par un signal ferroviaire. Humour typiquement anglais qui fait intervenir le destin là où la succession des actes humains ne peut plus continuer.

Et Madame Wilberforce, comme le chat de la chanson allemande, est toujours vivante. Son moral et sa morale sont intacts. Les malfrats envolés, elle se rend au poste de police pour dire qu’elle a le fric, que les bandits se sont évanouis, qu’elle a été complice involontaire – mais on lui dit de fermer son clapet et d’oublier tout ça. Désormais riche, elle distribue les billets aux mendiants…

D’une histoire féroce, le réalisateur fait une bouffonnerie morale, où les choses les plus tarabiscotées tiennent droites par la rectitude d’une petite vieille, quintessence de la morale victorienne. Déjà la maison branlante, au bord du fossé du chemin de fer, ne tient que par miracle ; « depuis un bombardement », les murs ne sont plus droits ; elle a tout du manoir lugubre des films d’horreur mais la sérénité aveugle de la mamie anglaise, certaine de sa vertu, la fait tenir debout – comme l’empire, qui se déglingue en ces années cinquante. Un humour so british, que le remake américain inévitable des années 2000 ne parviendra pas à égaler avec ses grosses bottes hollywoodiennes.

DVD Tueurs de dames (The Ladykillers), Alexander Mackendrick, 1955, avec Alec Guiness, Cecil Parker, Herbert Lom, Peter Sellers, Danny Green, StudioCanal 2004, vo anglais doublé français ou st, 1h26, occasion €21,90, Blu-ray €19,51

DVD Alec Guinness 100ème Anniversaire : Tueurs de Dames, Noblesse oblige, L’homme au Complet Blanc, De l’or en Barres, StudioCanal 2014, vo anglais doublé français, 6h29, €57,38

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La grande course autour du monde de Blake Edwards

Dans le même style que Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, sorti la même année, il s’agit cette fois-ci d’une course automobile. C’est un film un poil plus long, dans lequel s’enchaînent les anecdotes et où l’on ne s’ennuie jamais. Toujours le même thème : l’hubris de l’Amérique, le culte des records, la meilleure industrie du monde, en bref, le prouver. Un héros américain, technicien gentleman, est affronté par un « professeur » d’origine germanique, qui sait tout mieux que tout le monde et qui veut le descendre. Une fille, ici féministe, veut couvrir la course comme journaliste et vient semer la zizanie comme un chien dans un jeu de quilles. Tout cela se terminant bien-sûr par la victoire… de l’amour.

La course est inspirée par le New York-Paris 1908, dit The Great Race, une sorte de Tour du monde en 80 jours reformaté à l’américaine. Le Grand Leslie (Tony Curtis) – ainsi l’a surnommé la presse people, jamais en mal de superlatifs – s’élance dans sa Super Leslie, auto peaufinée avec le moteur Weber, pur produit de l’industrie des États-Unis – une authentique Thomas Flyer 35, voiture américaine qui remporta la vraie course New York-Paris en 1907. Il est défié par nombre de concurrents, dont le professeur Fate (Jack Lemmon) – dont le nom signifie Destin, autrement dit le diable contre le bon Dieu. Fate et son âme damnée Max (Peter Falk) sont inspirés de Laurel et Hardy, d’où les gags, et ont probablement inspiré la série de dessins animés américains des années 69-70 Satanas et Diabolo. Ils sont les trublions dans la voie du Progrès, le Mal en embuscade sur le chemin du Bien.

Cette vision biblique n’est pas sans fondement. En effet, c’est une femme qui va tenter le héros et le faire chuter. Maggie Dubois (Natalie Wood), au nom bien français pour dire combien elle ne saurait être yankee, se dit féministe et revendique haut et fort non seulement le droit de vote, mais aussi « l’égalité avec les hommes ». Elle veut donc être reporter dans la course. Comme le directeur du Sentinel (Arthur O’Connell),dont le nom Goodbody (Grosbonnet en français) dit tout le pouvoir du mâle, dit non. Elle se présente chez Leslie qui l’éconduit après champagne, et chez Fate qui la boute dehors à coups de pied dans le faux-cul de sa robe. Elle décide alors de participer en tant que concurrente. Évidemment, si elle a la volonté, elle est munie comme il se doit (selon les normes des années 60) d’une cervelle d’oiseau et choisit une guimbarde faite plus pour le week-end à la campagne que pour un raid de 20 000 km. Ce pourquoi elle échoue, moteur cassé, dans une pampa américaine. Leslie qui passait par là la recueille, prêt à la mener à la ville. Mais la femme est traîtresse, on le sait depuis Eve, et elle dit oui tout en n’en pensant pas moins. Elle va éliminer l’assistant de Leslie Hezekiah (Keenan Wynn) – au nom de prophète d’Ancien testament – pour prendre sa place.

Pendant ce temps le professeur Fate, jaloux aigri des succès sans cesse renouvelés du jeune américain sport, construit sa propre automobile, la Hannibal VIII – en souvenir du Carthaginois qui a fait trembler Rome. Max a saboté sur son ordre les voitures des cinq premiers concurrents, qui perdent successivement leur direction, leur boite de vitesse, leurs roues, leur moteur. Mais comme il est discipliné, donc bête (critique usuelle de la rectitude bornée prêtée aux Allemands), un ordre est un ordre, il a aussi saboté sa propre voiture, la numéro 5. Car le mal est dans le Mal, ainsi va le monde voulu par Dieu.

La course se poursuit avec les deux autos en tête, la Super Leslie et la Hannibal VIII dotée de gadgets techniques à la Mercedes comme s’élever sur ses roues, cracher un écran de fumée, tirer au canon par l’avant. Fate, arrivé en premier dans une ville du Texas au nom de Borracho (qui signifie bourré, aviné, schlass, en espagnol), veut rafler l’essence, mais le maire ne l’entend pas de cette oreille. Il y aura fête et essence seulement le lendemain. C’est alors le prétexte à french cancan avec girls levant les gambettes, goualante d’une fille de pionnier féministe avant l’heure (Dorothy Provine), féroce jalousie de son super macho de mari Texas Jack (Larry Storch) – et grosse bagarre comme dans les films. Une fois le saloon détruit, Fate en profite pour faire main basse sur le carburant et brûler ce qu’il ne peut emporter, laissant Leslie le gentleman qui avait bien gentiment accepté la fête, faire la course jusqu’à la ville voisine tiré par des chevaux.

La fille Maggie, toujours traîtresse, s’est cachée dans la voiture de Fate, abandonnant Leslie qui l’a pourtant recueillie sur la route. Mais Fate, contrairement à l’autre, ne se laisse pas faire, et il laisse la féministe se débrouiller comme un homme en la lâchant au bord de la route. Elle usera évidemment de sa séduction, si féminine mais fort peu féministe, pour se faire enlever à nouveau par Leslie jusqu’à la ville où est le train – et commander à l’avance grâce à ses pigeons voyageurs qui lui servent de téléphone pour ses articles, de l’essence pour la Super Leslie. C’est là qu’elle menottera Hezekiah dans le train pour New York et qu’elle prendra sa place auprès de son beau patron.

Suit une séquence en Alaska où les deux voitures se côtoient, les quatre passagers sous la même couverture en buvant du champagne, tandis qu’un ours blanc erre dans la Hannibal, le tout finissant sur un iceberg qui se détache de la côte et fond inéluctablement. Passage en Russie (alors URSS) dont on ne sait ni ne voit rien – d’où peut-être le prix d’argent au Festival international du film de Moscou 1965. Ils arrivent en Carpanie, une principauté des Carpates mythique, du genre Syldavie ou Bordurie à la Hergé. Là, il a bal et chœur d’enfants, un programme plus culturel qu’au Texas mais tout aussi conventionnel social.

Là, le prince est bête et bourré toute la journée, avec un rire benêt. Il doit être couronné le lendemain, mais le général commandant l’armée et le baron ministre fomentent un coup d’État pour prendre sa place. Ils tombent sur le professeur Fate et lui trouvent une ressemblance étonnante avec le prince. Il l’arrêtent donc pour qu’il prenne sa place au couronnement et abdique dans la foulée,comme dans Le prisonnier de Zenda, confiant le pouvoir au ministre nommé chancelier. Fate n’a pas le choix, c’est oui ou pan ! Il accepte de jouer le jeu et fait emprisonner Leslie, tandis que le baron enferme le Prince et Hezekiah. Mais Max, déguisé en moine, réussit à délivrer Leslie et à faire diversion avec sa voiture à fumée, laissant courir les soldats dans le brouillard. Leslie s’immerge dans les douves, franchit les remparts au grappin, et affronte torse nu le baron au sabre. Mais il est plus habile que lui et l’autre rompt, se jetant dans les douves en défonçant la barque qui l’attendait. Fate est juste couronné dans l’église quand Max, qui a réussi à se faufiler sous sa traîne, le pousse à fuir. Leur course atterit dans les cuisines du palais où se préparent toute une série de pâtisseries. Grosse bagarre de tartes à la crème où chacun en prend pour son grade (2357 tartes furent nécessaires), jusqu’à Leslie qui y avait échappé mais qui, en évitant une tarte lancée, s’étale dans la tarte que tenait Maggie, traître par omission.

La course reprend pour Paris, où la ligne d’arrivée les attend sous la tour Eiffel. Maggie est montée avec Leslie et Hezekiah. Fate est persuadé de gagner la course à cause de la femme qui va empêcher Leslie d’arriver. En effet, celle-ci multiplie les piques d’un féminisme de caricature, se poussant du col avec excès du genre qu’affectionnera Goebbels et que Staline reprendra : « tout ce qui est à moi est à moi et tout ce qui est à vous est négociable ». Elle veut faire tout comme les hommes, mais pas se baigner nue comme eux, ni embrasser qui lui plaît comme eux, ni s’habiller en costume et pantalon comme eux, ni se priver de maquillage et de parfum comme eux, ni… En bref, Leslie se prend une baffe. A cinquante centimètres du ruban d’arrivée, arrivé premier, il arrête sa voiture pour convaincre la fille qu’il en est amoureux et qu’il préfère perdre la course qu’elle.

Fate gagne donc, mais ce n’est pas une vraie victoire. Il en est humilié, ulcéré, il éructe. Et lance un nouveau défi, une course retour Paris-New York qui commence dès maintenant. Sauf qu’il ordonne à Max de « pousser le bouton » pour démarrer, mais ce n’est pas le bon. Le gadget canon sort et tire un obus… qui fait s’écrouler la tour Eiffel. Ce monument phallique symbole de la France a toujours irrité les Yankees dominateurs et sûrs d’eux-mêmes. Le film opère une vengeance populiste de fin, appelée à concourir au succès du spectacle.

Un bon divertissement, surtout pour les enfants. Les gags sont hilarants et les aventures qui suivent palpitantes. Quant à Nancy Wood, ses tenues sexy et affriolantes restent dans les convenances.

DVD La grande course autour du monde (The Great Race), Blake Edwards, 1965, avec Tony Curtis, Jack Lemmon, Natalie Wood, Peter Falk, Vivian Vance, Warner Bros 2008 vo anglais, doublé français, plus sous-titres, 2h26, €9,59 (attention, le Blu-ray associé, proposé par Amazon n’est qu’en espagnol)

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Le village des damnés de John Carpenter

Pas de damnés dans ce film, mais des enfants nés le même jour d’une étrange façon. Dans le village isolé de Midwich, deux mille âmes, des femmes rêvent d’être enceintes. Lors d’une fête communautaire, tout le monde tombe évanoui dans un cercle restreint, durant six heures précisément, comme après le passage d’un nuage empoisonné. Mais tous ceux qui ne se sont pas crashés dans leur bagnole, ou grillés en tombant sur le barbecue, ou noyés dans leur bain, se réveillent comme si de rien n’était.

Sauf que quelque chose est : les femmes en âge se retrouvent enceintes, parfois même la mère et la fille en même temps (au moins 16 ans pour la décence). L’une reste vierge (justifiant Marie), une autre est fidèle et n’a pas baisé avec son mari en déplacement, une troisième ne pouvait pas avoir d’enfant selon la Science. Alors ? Parthénogenèse auto-suggestive ? Expérience secrète de la CIA (elle en a fait d’autres) ? Viol collectif sans consentement après sédation comme à Mazan ? Ce serait trop facile, ou plutôt trop rationnel. Ici la queue de l’homme n’a pas mis le pied, c’est probablement venu du « ciel », ce n’est que suggéré.

Les enfants sont nés, ils étaient dix, comme dans le roman agathachristique et le film qui en a été tiré – sauf qu’une est morte-née, laissant orphelin un petit David (Thomas Dekker), « fils » de l’ami du docteur, explosé dans sa voiture lors du nuage. Il n’en restait que neuf, tous blonds aryens, dont un non-accouplé. Car chacun a sa chacune, comme si c’était programmé (ça l’est). La grande executive arrogante du FBI, le docteur épidémiologiste Suzanne Verner (Kirstie Alley), autopsie le cadavre du bébé fille : elle est clairement extraterrestre, du genre E.T. yeux fendus à l’asiatique, air mongolien – tous les fantasmes du péril japonais en ce début des années 1990 où les États-Unis se sentaient dépossédés de leur industrie et de leurs savoir-faire jusque dans le cinéma par les Nippons en mal de puissance.

Les mères sont incitées à choisir, « mais » à garder leur bébé grâce à une allocation d’État pour que « les services » (secrets) puissent étudier l’évolution de « leurs pouvoirs ». Car ils sont très clairement « anormaux », hors des normes. Très vite en effet, les enfants montrent leur intelligence ; ils montrent aussi qu’ils n’ont aucune empathie, ne ressentent aucune émotion. De parfaits nazis ou kamikazes, seule leur survie compte et qui les menace ou leur fait du mal, même par inadvertance, doit le payer. « La vie est une lutte impitoyable où le plus fort gagne », dit Mara la fillette (Lindsay Haun), leur cheftaine. Leurs yeux s’allument alors, en vert pour prendre le contrôle de l’humain comme se plonger le bras dans l’eau bouillante, ou en rouge pour tuer, comme s’empaler sur un balais en tombant d’un toit où l’on est monté de force, en retournant le fusil contre soi, ou en brûlant avec la torche censée faire un bûcher de sorcières de ces êtres maléfiques. Car le pasteur l’a dit, les humains sont à l’image de Dieu, ils ne sont pas purs esprits (n’y a-t-il pas contradiction ? Dieu, justement, n’est-il pas pur esprit ?). « Donc » être « parfait » ne signifie-t-il pas être « diabolique » ? Loin de leur vraie « nature » divine (encore une contradiction) ?

Les adultes, qui devraient représenter l’ordre et la sécurité, sont dépassés par ces êtres plus intelligents qu’eux. Ils les élèvent à part, dans une école pour eux seuls, où ils se rendent sagement en rang deux par deux, comme des robots écoliers (l’idéal des profs…). Les autres gamins ont été éloignés, on n’en voit plus un seul. De morts en morts adultes, par faux suicides ou folies diverses, les autorités décident d’en finir une fois pour toutes, ce qui est fait dans d’autres pays qui ont connus le même phénomène – et qui n’ont pas les scrupules biblico-humanistes des Yankees imbibés de foi chrétienne. Bien que le pasteur vise au fusil à lunette la belle Mara, il hésite trop longtemps avant d’appuyer sur la détente ; trois enfants sont derrière lui qui captent son attention, le fusillent de leurs yeux rouges et lui font tirer dans sa propre tête. Un essaim de flics toutes sirènes hurlantes et camions de l’armée déboulent pour les éliminer comme des rats, mais les enfants, qui ont établi domicile dans une grange au bord du village en attendant de grandir suffisamment pour « essaimer », mettent leurs yeux en batterie devant la horde bien armée, qui finit par se tirer dessus sans laisser un seul humain belliqueux en vie.

C’est le docteur (Christopher Reeve) qui va trouver la solution. Car, s’ils lisent dans les pensées les plus secrètes, les enfants le respectent car il ne les considère pas comme des monstres. Il a aussi une personnalité plus forte que les autres, mes Américains moyens de la cambrousse. Il peut d’élever un mur mental contre l’intrusion télépathique. Du moins pendant un temps… Le veuf de sa moitié, le gamin David, qui ressent quelques émotions mais reste soudé à la horde de ses semblables comme un bon petit Coréen du nord, sera le seul sauvé. Je ne vous dis pas comment, ce serait dévoiler le suspense insoutenable des secondes qui s’égrènent lentement à la pendule.

John Carpenter reprend le film britannique de Wolf Rilla 1960, lui-même adapté du roman The Midwich Cuckoos (Les coucous de Midwich) de John Wyndham paru en 1957. Un film pas très bon mais qui se laisse regarder, intéressant surtout par le contraste entre l’humanisme chrétien du Yankee moyen opposé à l’implacable logique cybernétique de la perfection incarnée.

DVD Le village des damnés (Village of the Damned), John Carpenter, 1995, avec Christopher Reeve, Kirstie Alley, Linda Kozlowski, Michael Paré, Mark Hamill, Elephant films 2023 anglais ou français, 1h35, €16,90

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L’homme d’Istanbul d’Antonio Isasi-Isasmendi

Un petit avion atterrit sur un plateau désertique turc attendu par un gang de Chrysler, véritables péniches des années soixante de modèle Plymouth. Un échange a lieu entre une valise de dollars et un homme, retenu en otage. La valise contient un million et l’homme est un savant atomiste, enlevé par des malfrats que le gouvernement américain veut récupérer. Las ! Une fois en l’air, l’avion explose ; une bombe avait été déposée dans les bagages de l’homme. Le million a été livré mais le savant s’est envolé.

Sauf que le FBI enquête. La radiographie d’un pied retrouvé dans les débris de l’avion, montre que ce n’est pas le pied du professeur. C’est donc un sosie qui a été négocié et le savant reste prisonnier. A quelles fins ? De puissance, probablement. Le FBI ne peut rien hors du territoire américain, sauf enquêter sur des citoyens américains ; ce sera donc à la diplomatie d’engager ses réseaux et son lent rituel impuissant.

Ce n’est pas du goût de Kenny (Sylva Koscina), rare agente du FBI alors, coiffée à la robot dans le style excentrique des swinging sixties. Elle décide son patron à lui donner un congé et part « en vacances » à Istanbul. Elle a en effet repéré sur les photos du crash une voiture dans laquelle un curieux observe l’événement. Il s’agit de Tony Mecenas (Horst Buchholz), gamin élevé à Chicago, orphelin tôt et qui s’est fait tout seul. L’acteur lui-même, Allemand né en 1933, a dû à 13 ans à Berlin se débrouiller lui aussi tout seul dans les ruines de la guerre. Tony est désormais propriétaire d’une boite de nuit où l’on pratique le jeu illégal et se joue de la police. Il est astucieux, rusé, amoral et énergique de jeunesse, mais n’y est pour rien dans l’enlèvement de l’atomiste. Kenny, qui se fait embaucher dans sa boite pour l’observer, en tombe amoureuse.

Car il finit par l’aider, moins par patriotisme (sa patrie l’a rejeté) mais par amour naissant pour cette femme volontaire au corps parfait. Il connaît Istanbul comme s’il y était né et a pour adjoints des hommes efficaces. Si Kenny réussit à récupérer l’appareil photo-cravate de l’avion détruit, Tony ne tarde pas à découvrir qui se cache derrière le bas masquant le visage de l’un des hommes qui a livré le faux professeur. Il le suit, se fait repérer, connaît une aventure dangereuse en haut d’un minaret de Sainte-Sophie, échappe à une tentative de lui faire quitter la route de la corniche dans sa Jaguar type E, trouve le repaire sous une blanchisserie, échappe aux tirs, se rend compte que les services chinois sont sur le coup, donne rendez-vous à un sbire qui est rejeté de la bande, se mesure à quatre Chrysler remplies de malfrats armés qu’il met en déroute, échappe de peu à une tentative de meurtre au bord de la piscine du Hilton, se bagarre avec le tueur sous l’eau, devant les yeux des clients en slip de bain, échappe à la police… En bref de l’action, du grand guignol mais sans la frime à la Belmondo, ni l’efficacité froide à la James Bond.

Déguisé en femme sous peignoir, il investit la boite de sauna féminin au-dessus de la blanchisserie puis fuit les tueurs (dont Klaus Kinski) quasi nu dans les rues d’Istanbul pour suivre le professeur drogué que l’on convoie sur un brancard à destination d’un yacht à moteur prêt à prendre le large. Kenny le suit. Ils réussissent à prendre le bateau, à exiler les marins sur un canot, à détruire le gang dans la cale, à découvrir qui est vraiment le chef (belle surprise !) et à délivrer le savant atomiste comme le million de dollars. Mais Tony ne fait plus confiance à l’Amérique : il donne bien volontiers le savant, mais garde pour lui le million et la belle Kenny, à qui il fait fiévreusement l’amour dans la cabine du train qui s’approche de la frontière.

C’est gai, enlevé, désinvolte, rempli d’action et délicieusement amoral – ou plutôt flirtant avec les limites conventionnelles de la société rassise de l’avant-68. Une sorte de parodie joyeuse des films de James Bond, produits dès 1961 par l’ineffable Albert R. Broccoli. Le jeune acteur de 30 ans qui incarne Tony est rempli de vitalité et exhibe son torse dès qu’il le peut. De quoi saisir petits et grandes, avec quelques scènes de second degré.

Diffusé sur Arte en septembre 2022, ce bon film de divertissement film n’a pas été édité en DVD à ma connaissance.

L’homme d’Istanbul (Estambul 65), Antonio Isasi-Isasmendi, 1965, avec Horst Buchholz, Sylva Koscina, Mario Adorf, Klaus Kinski, Perrette Pradier

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Tess de Roman Polanski

Le roman romantique de Thomas Hardy, publié en 1891, est adapté par un autre Roman – Polanski – dans un long film de près de trois heures. Tess d’Urberville est devenu un classique de la littérature, censuré en son temps par la pruderie victorienne. C’est que Tess, 18 ans (la superbe Nastassja Kinski qui n’en a que 17), est une avenante jeune femme, typique de la nature anglaise. Elle est en harmonie, malgré son père flemmard qui boit (John Collin), sa mère qui pond un gosse tous les deux ans (Rosemary Martin) et sa flopée de petits frères et sœurs. Lorsque le film commence, elle est fille de mai, habillée de blanc, dansant sur un pré reverdi par le printemps. Une fille de Botticelli.

Mais cette pureté va être souillée par la société, par l’étroitesse puritaine du christianisme anglais de l’époque Victoria (due d’ailleurs à son mari, le prince « qu’on sort » quand c’est utile). Et par la génétique, dont Darwin vient de montrer, à l’époque, qu’elle explique largement l’Évolution – autre nom du péché originel. En effet, le pasteur local salue en passant John Durbeyfield, le père de Tess d’un « bonjour, sir John ». Le poivrot met du temps à réagir, l’alcool ralentissant ses neurones déjà grevés par sa lourde hérédité. Il demande des explications, obligeamment fournies par le révérend : il a découvert dans les archives que les Durbeyfield descendaient probablement des d’Urberville, une famille de la conquête normande ; le nom aurait été déformé avec le temps, après la perte des terres et de la fortune par les héritiers affaiblis.

John se glorifie, lui qui n’est rien, d’avoir eu des ancêtres qui ont été tout. Cela l’encourage a encore moins travailler, et à encore plus boire pour oublier. Au point qu’il n’a plus de cheval et que sa famille s’appauvrit. Tess est alors encouragée par sa mère, qui se monte la tête avec les nobles origines supposées, à aller voir la vieille Madame d’Urberville en son manoir ; elle aura peut-être de l’ouvrage pour elle et pourra se faire accepter dans la famille. Tess, naïve, obéit à cette invite au proxénétisme. Mais la d’Urberville lui annonce tout de gob qu’elle n’est qu’une Stroke, le nom ayant été achetés par son mari puisque le titre était en déshérence. Néanmoins, elle veut bien confier à la jeune fille la gestion de son poulailler modèle, étant amoureuse des oiseaux et notamment des coqs.

C’est le début de l’engrenage. Alec, le fils d’Urberville (Leigh Lawson), est un coureur, beau jeune homme charmeur et moustachu, petit-bourgeois entiché de noblesse. Il tombe en désir pour sa « cousine » Tess (on ne peut vraiment parler d’amour, mais plutôt d’attirance sexuelle). Laquelle, oie blanche qui ne voit le mal nulle part, se laisse plus ou moins courtiser, résiste en disant non et montrant que oui, finit par repousser brutalement Alec qui se blesse à la tête avant de le soigner avec tendresse… Bref, elle se laisse avoir. Alec l’embrasse, la caresse, la viole. Sans méchanceté dans le film, mais avec l’égoïsme du fils de famille à qui rien ne doit être refusé. Il s’attache à Tess et veut l’attacher à lui. Mais, au bout de quatre mois, quand la jeune fille s’aperçoit qu’elle est enceinte, elle ne lui en parle pas, bien qu’il ait dit qu’il pourvoirait à tout s’il devait survenir un incident. Au contraire, elle quitte son emploi, le domaine et l’amant. Elle ne veut plus le voir. C’est ainsi que la hantise du « péché » victorien rend stupide les jeunes filles.

Pour la société du temps, ce sont des animaux qui doivent être domptés, à peine des êtres humains. La religion, la société, les pères, sont impitoyables aux filles qui ont commis le « péché » de chair hors des sacrements admis, reconnus et consacrés du mariage. Ce sont des païennes, des chiennes, des impures. Tess met au monde un fils souffreteux qui ne vit qu’une semaine. Son père a refusé de le faire baptiser par souci du Ciel et le pasteur refuse de l’enterrer au cimetière par souci du Qu’en-dira-t-on villageois. Tess baptise son enfant elle-même, selon les rites exacts de l’Église, ce qui est admis pour tout chrétien. Et elle l’enterre elle-même au bord du cimetière puisqu’il n’a pas le « droit » d’y être admis.

Elle retrouve du travail dans une laiterie où les vaches, comme les femmes, produisent du lait pour les enfants de la ville – d’ailleurs coupé d’eau car « trop riche » pour les amollis citadins. Les bidons partent chaque jour en train à vapeur pour Londres. Dans la ferme, un fils de pasteur apprend à devenir fermier ; il veut étudier les procédés avant de se lancer dans la culture. Angel Clare (Peter Firth) ignore les filles de ferme mais tombe sous le charme de Tess, en qui il voit une fille de la nature, paysanne saine et vierge, qu’il se souvient avoir vue au bal de mai. Il en ferait volontiers une épouse, pour l’aider aux travaux des champs et d’élevage qu’il projette. Son « amour » est ainsi biaisé par l’image idéale qu’il s’en fait, et par l’exploitation qu’il envisage de faire d’elle.

Tess sent bien que cet « amour », comme l’autre, est faux. Il est sur une image d’elle, pas sur ce qu’elle est vraiment. Elle tente d’en avertir Angel mais ne peut jamais lui parler, l’autre n’écoute pas – il ne parle que de lui, de son désir, de son romantisme ; elle lui écrit une lettre, mais en la glissant sous la porte, elle passe sous la carpette, donc il ne la voit pas – il ne voit d’ailleurs que ce qu’il veut, pas le réel. Ainsi envisage-t-il d’aller s’installer au Brésil, pays neuf dont il ne connaît rien et dont il reviendra quelques années plus tard, ayant enfin perdu son aveuglement. Le romantisme comme le puritanisme, leurre les sens, le cœur et la raison. Il voile la réalité et la colore selon le désir, créant de « fausses vérités » – comme les politiciens populistes en exploitent aujourd’hui. Ce n’est pas ainsi que l’on est « un homme ». Les femmes paraissent plus proches de la nature, donc du réel, qu’eux qui sont menés par leur désir immédiat plus que par la gestation à long terme.

Lorsque Tess finit par raconter à Angel son histoire, après le mariage, et parce qu’il lui a confessé avoir eu une liaison avec une autre avant de la rencontrer, elle croit que le pardon qu’elle lui, accorde va être réciproque. Sauf que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas de mise dans la société chrétienne, bourgeoise et victorienne de l’Angleterre 1880. Les mâles sont libres comme des poulains au pré, leurs frasques sexuelles n’ont pas de conséquence sur la famille et l’héritage. Les femelles, en revanche, sont bridées car elles peuvent tomber enceintes, ce qui a d’inévitables conséquences sur la famille et l’héritage. Avant pilule et avortement (acquis du milieu du XXe siècle seulement), toutes les religions et les sociétés entravaient les désirs féminins pour ce motif. Tess se rend compte, à la tête que fait son mari, que ce qu’elle vient d’avouer entache leur union. Angel, malgré son prénom, n’a rien d’un ange. Il a épousé une image de jeune fille pure et se retrouve avec une femme souillée par un autre, qui a menti à Dieu, au prêtre et à son mari.

Il la quitte – sans divorcer – il a besoin de « réfléchir ». Comme il est fils de pasteur, frère de deux révérends, et peu éduqué car préférant les travaux pratiques de la ferme aux livres, il pense lentement. Trop lentement pour l’existence. Tess doit vivre durant ce temps. Elle retourne dans sa famille, mais son père est mort et sa mère est chassée de la maison car le bail était « à vie » pour le mari, mais pour lui seulement. Elle se retrouve à camper près de l’église avec sa marmaille.

C’est encore une fois Alec qui retrouve Tess, employée à déterrer des betteraves en hiver et à battre le blé avec la machine en été. Il lui propose de l’aider ainsi que sa famille. Elle commence par refuser, obstinée par réflexe, avant de consentir, faute de mieux. Tel son destin : obéir à sa condition et aux désirs des autres. Alec établit sa famille, envoie ses frères à l’école, et fait de Tess sa maîtresse car elle ne peut l’épouser étant déjà mariée.

Angel Clare revient de ses illusions brésiliennes et de son échec patent. Son orgueil est rabattu par le réel de la nature, sa raison a dompté son imagination. Il a « réfléchi » et veut bien reprendre Tess car, après tout (c’est l’évidence !) seul l’avenir compte, pas le passé sur lequel on ne peut rien. Il cherche Tess, qui a déménagé, retrouve sa mère, qui ne sait pas où elle est sauf le nom d’une ville en bord de mer. Lorsqu’il parvient à elle, elle lui déclare que « c’est trop tard », qu’il n’a jamais daigné écouter ses supplications, ni répondu à ses lettres, ni surtout accorder (chrétiennement !) son pardon. Car la foi n’est que singeries si elle n’est pas vécue, et la religion un prétexte hypocrite si elle sert la société avant les êtres humains.

Dans la chambre où Alec s’éveille, elle pleure et il la méprise pour cet abandon. Elle ne le supporte plus, son attention initiale pour elle ayant disparue avec la réalisation de son désir ; elle ne supporte plus sa condition de femme, soumise par sa condition et son hérédité – une « fin de race ». Elle le poignarde et quitte la maison en hâte pour la gare où, in extremis, elle parvient à sauter dans le train qui emporte Angel.

Dès lors, c’est la fuite du couple retrouvé. Mais Caïn a tué Abel et la Bible veut qu’il soit châtié mais non tué. Ici, c’est Tess qui a tué Alec et, en tant que femme, elle sera pendue. Angel ne peut jouer son rôle de protecteur jusqu’au bout, laissant son épouse étendue sur un autel païen de Stonehenge, ayant failli dès l’origine à pardonner. « Je vous croyais une enfant de la nature, mais vous êtes le rejeton tardif d’une aristocratie dégénérée. » Elle vient justement se régénérer dans le cercle de pierres de Stonehenge, au soleil qui se lève – dans l’axe du monument. Eve-Tess est coupable et Adam-Angel est chassé du paradis. Il gardera la trace du péché en lui à vie – lui qui aurait pu comprendre et pardonner. Tess a vécu son destin tragique en quelques années, depuis le moment où le pasteur a révélé à son père une origine noble douteuse jusqu’au moment où, deux fois flétrie, elle s’est condamnée à mourir par son crime.

Un film un peu long, un peu lourd, dédié « à Sharon », épouse de Roman assassinée enceinte par le sectaire Charles Manson et qui lui avait offert Tess d’Urberville pour qu’il fasse son cinéma. Un film qui déconstruit le romantisme, critique impitoyablement l’hypocrisie religieuse puritaine, qui expose l’exploitation des femmes dans l’Angleterre du XIXe. Beaux paysages, bonne musique accompagnante, bons acteurs malgré Nastassja Kinski qui reste retenue, comme sans désirs ni passion. Un bon film des années 70.

Césars 1980 du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure photographie.

Oscars 1981 de la meilleure photographie, de la meilleure direction artistique, des meilleurs costumes.

Golden Globes 1981 du meilleur film étranger.

DVD Tess, Roman Polanski, 1979, avec Nastassja Kinski, Peter Firth, Leigh Lawson, John Collin, Rosemary Martin, Pathé 2014 version remastérisée 2012 doublée anglais-français ou vo, 2h44, €9,41, Blu-Ray €14,10

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Planète hurlante de Christian Dugay

Nous sommes téléportés en 2078, sur une petite colonie minière de la planète Sirius 6B. La Terre exploite le bérynium, qui résout les problèmes d’énergie. Mais des radiations ont été détectées dans les mines et les mineurs, contaminés, ont refusé de continuer, soutenus par les scientifiques. Le Nouveau Bloc Économique (NBE) a donc fait la guerre à l’Alliance des mineurs, autrement dit le patronat contre le syndicat. Le NBE n’a pas hésité, depuis dix ans, à larguer carrément des bombes A sur la population pour faire plier les travailleurs.

Mauvaise pioche : les humains ont quasiment disparus de la planète et l’exploitation n’a plus lieu ; seuls les soldats se combattent. En contrepartie, les scientifiques de l’Alliance ont créé des épées-robot, les « hurleurs » (Screamers), qui donnent le titre globish du film. Ce sont des scies circulaires qui régénèrent leur courant électrique en absorbant les éléments organiques et attaquent tout ce qui porte cœur battant, en hurlant pour terroriser comme les Stukas nazis. D’où ces bracelets portés au poignet qui annulent les bruits de battement et préservent les humains « amis ».

Un poste avancé de l’Alliance est resté dans un bunker comme devant le désert des Tartares ; ses soldats se préservent de la radioactivité en fumant des cigarettes rouges. D’ailleurs, en ces années 90, le cinéma offre force de héros clopeurs à admirer, ce qui n’est pas vraiment pédagogique – mais la profession s’en fout (tout comme, un peu plus tard, d’user du téléphone mobile en conduisant).

Un soldat isolé du NBE surgit devant le bunker de l’Alliance et brandit un message, mais il est tronçonné et englouti par les hurleurs avant d’arriver à ses fins. Le colonel Joe (Peter Weller) commandant le poste sort armé pour aller chercher le message, contenu dans un tube métallique. C’est une offre de trêve de la part du commandant en chef des troupes du NBE, qui constate l’inanité de poursuivre les combats faute de combattants. Rapport communiqué à la Terre, il leur est répondu par « le ministre » en personne, sous hologramme (Bruce Boa), de ne pas s’en faire car ils négocient eux-même la paix avec le NBE. Un bérynium non radioactif a été découvert sur une autre planète.

Mais c’est une ruse des robots… Car Ace (Andrew Lauer), le seul rescapé d’un vaisseau de l’Alliance qui s’écrase on ne sait pourquoi près de leur bunker, leur apprend que le ministre dont ils ont vu l’image virtuelle n’est plus en poste depuis deux ans. Il semble donc que les « hurleurs » aient pris leur autonomie, qu’ils s’auto-répliquent, usent d’hologrammes-pièges, et qu’ils combattent eux-mêmes les humains.

Difficile après cette généralité de raconter plus avant l’histoire, car tout son sel consiste justement dans la découverte progressive de ce nouvel état de fait – imprévu, malsain, tragique. Les robots vont jusqu’à prendre forme humaine, jusqu’à pousser le réalisme d’inspirer la pitié sous la forme de gamins perdus ou de soldats blessés, voire d’une belle femme (Jennifer Rubin).

Puisqu’il se sent manipulé, le colonel Joe Hendricksson décide d’en savoir plus en se rendant avec le jeune tireur d’élite Ace Jefferson, rescapé du vaisseau, vers le quartier général du NBE sur la planète. Cette quête connaîtra ses incidents, prouvera qu’il n’y a plus personne, que tous ont été massacrés par les « hurleurs » de modèles de plus en plus sophistiqués, que les chefs les ont abandonnés à leur sort, et qu’il ne reste plus qu’une solution : fuir cette planète ingérable et retourner sur la Terre. L’ubiquité des « hurleurs » plonge le colonel et son tireur dans la paranoïa, entretenant le suspense, malgré le côté caricature de chacun des autres personnages. Chacun se méfie des autres qu’il rencontre : même citant Shakespeare, étant capables de rire et buvant du vrai whisky – voire plus… -, et s’ils étaient eux-mêmes des « hurleurs » de modèle 3 ou 4 ?

Le film est tiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, Nouveau Modèle (Second Variety), publiée en mai 1953. La question philosophique qu’il pose est : qui est humain ? Suffit-il d’en avoir l’apparence et les mœurs ? Faut-il de la compassion ou de « l’amour » ? Un soldat professionnel n’est-il pas plus proche d’un robot sans âme que d’un humain qui croit en avoir une ? La ruse de guerre peut-elle prendre toutes les formes ? Si on le sait, faut-il céder à ses émotions ? Ou se condamner à se faire avoir ?…

Pour préparer la suite, il semble qu’un « hurleur » s’est peut-être introduit dans le vaisseau, à cause justement de cette « l’émotion » trop humaine. Dans la dernière, scène il remue une patte.

DVD Planète hurlante (Screamers), Christian Dugay, 1995, avec ‎ Peter Weller, Roy Dupuis, Jennifer Rubin, Andrew Lauer, Charles Edwin Powell, ESC éditions 2021 français ou anglais, 1h43, €5,34, Blu-ray €14,10

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Joseph Connolly, Vacances anglaises

L’humour anglais n’est pas à la portée de tous les esprits, mais si l’on entre dedans, quels délices ! La différence de l’humour avec l’ironie est que cela n’est jamais méchant. Plutôt un étonnement ravi devant les excentricités des gens. Ils sont ce qu’ils sont et persévèrent dans leur être, comme les chats, source de pitreries et folies sans nombre. Joseph Connolly, que je viens de découvrir jeté dans une boite à livres, est redoutable d’efficacité dans la satire cruelle et amusée de ses contemporains. Nous finissons par aimer chacun des personnages, même les plus incorrects.

Nous sommes dans la Grande Bretagne des années 90, subissant « la crise » comme tout le monde, c’est-à-dire à la fois la mondialisation économique qui bouleverse les économies et le retard politique qui ne comprend encore rien à rien. Les conséquences arrivent comme une vague sur les gens.

Deux couples de voisins en lotissement se décident d’aller passer une semaine de vacances au bord de la mer, sans aller pour une fois à l’étranger, de façon à « faire un break ». Mais qu’a-t-elle besoin de break, Elizabeth, épouse oisive du riche Howard, patron d’une agence immobilière florissante ? Elle dépense sans compter, tandis que lui finance pour avoir la paix. Un équilibre d’habitudes qui leur convient à tous les deux. D’ailleurs, lui décide de rester à Londres pour Zouzou, qu’il désire. Quant à leur fille, Katie, à peine 17 ans, elle leur apparaît encore comme une oie blanche alors qu’elle a déjà vu le loup, en étant à son deuxième avortement clandestin. Dès les premières pages, elle s’active d’ailleurs avec ferveur sous le bureau de Norman, l’employé de son père, avant de s’envoler pour Chicago avec lui, sous prétexte d’accompagner sa copine Ellie.

Dotty et Brian sont à peine sortis de la classe ouvrière, avec tout ce que cela emporte de jalousie de classe de la part de l’épouse qui « n’a rien à se mettre » devant son armoire pleine – mais démodée. Brian tombe de Charybde en Scylla par la faillite, l’endettement et la course au pognon pour rembourser, donc économiser à outrance. Dotty, qui ne travaille plus après la mort de leur petite fille Maria, voudrait prendre les mêmes vacances exactement qu’Elisabeth pour tenir son rang social. Mais son mari lui impose une autre façon, au même endroit. Colin, leur fils de tout juste 15 ans, se languit d’une fille – n’importe laquelle – avec qui enfin « le faire ». C’est de son âge. Il lorgne les seins de Katie, mais aussi ceux d’Elisabeth ; il va rencontrer une Carol de son âge, mais tergiverser alors qu’elle le veut bien (pas comme aujourd’hui), avant d’en finir d’un coup, une fois déniaisé par une autre.

Ceux qui partent emmènent aussi Melody, ancienne maîtresse d’Howard, jeune mère célibataire d’un bébé fille, Dawn, qui pleure tout le temps parce qu’elle n’a jamais le temps de s’en occuper. Dotty se prendra d’amour pour ce bout de chou, la gardera volontiers, l’apaisant immédiatement, et songera même à l’adopter si la mère n’en veut plus… A l’hôtel cinq étoiles, Elisabeth, Dotty et Melody font des connaissances. Elisabeth rencontre Lulu dont le mari est fou – de jalousie, mais probablement aussi tout court. Et le séducteur sûr de lui Miles McInerney, vendeur hors pair, marié, deux enfants, qui a gagné une semaine à l’hôtel pour ses performances. Melody l’adore, songeant à faire sa vie avec lui… Or il n’a qu’un but : coucher.

D’ailleurs, tropisme très anglais, chacun ne pense qu’à baiser. Le puritanisme victorien a accouché d’une explosion de n’importe quoi, à la fois sordide et réjouissante. Les mâles ne pensent qu’à ça, les femelles qu’à se donner. Mais pas avec n’importe qui. Il faut être jeune et bien membré, baratiner assez pour qu’on les croie. Encore que Katie se contente du membre puisque Norman est vraiment nul pour le reste, et qu’Elisabeth goûte à l’extrême jeunesse, le seul luxe qu’elle n’ait pour l’instant pas encore eu. Quant à Dotty, elle préfère les bébés, même la bouche maculée « de ragoût de chien aux pruneaux » ou « comme si une bouse lui avait explosé au visage ».

« Mais pourquoi avons-nous besoin des hommes, s’enquit Lulu ? Parce que je veux dire, finalement, ils ne nous apportent que des ennuis, n’est-ce pas ? – Ce doit être affreux d’être un homme, affirma Dotty. Jamais je n’aurais voulu naître homme. Et toi, Elisabeth ? – Je n’arrive pas à imaginer ça… non, je crois que je demanderais à changer – parce que j’adore être une femme, j’adore tout ce qui est féminin. Ce doit être d’un ennui mortel, d’être un homme. Et puis il faut travailler et tout ça. – La seule fois où je ressens jamais le désir du pénis, déclara Lulu en souriant – ce qui mobilisa aussitôt, on s’en doute, l’attention des deux autres – c’est quand je fais la queue pour aller aux toilettes des dames… » p.309. Irrésistible, n’est-il pas ?

Ce roman a été adapté au cinéma en 2002 par Michel Blanc et transposé au Touquet, sous le titre Embrassez qui vous voudrez, avec lui-même, Carole Bouquet, Karin Viard, Charlotte Rampling, Jacques Dutronc, Gaspard Ulliel. Mais la comédie estivale à la française ne vaut pas le féroce humour britannique.

Joseph Connolly, Vacances anglaises (Summer Things), 1998, Points Seuil 2001, 462 pages, €17,99

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20 ans de blog !

Le mercredi 08 décembre 2004, j’ai ouvert pour la première fois mon blog. Il s’intitulait Fugues et fougue et était hébergé par lemonde.fr. Ce quotidien parisien avait en effet décidé d’offrir gratuitement à ses abonnés la possibilité de créer un blog, hébergé par ses services, en développement avec la plateforme WordPress. L’exemple de l’élection présidentielle de George W. Bush avait montré l’intérêt démocratique de cette nouvelle forme d’expression (avant Facebook et Twitter), et la perspective des élections présidentielles 2007 en France alléchait tout Le Monde. L’anonymat du pseudo était au départ la règle du jeu, demandé par lemonde.fr – d’où « Argoul ». Il a servi ensuite à ne pas mêler la vie professionnelle et l’expression privée dans les métiers sensibles que j’ai pu exercer.

Genèse du blog

J’écrivais dans ma première note (j’étais un brin idéaliste) « J’ai la conviction profonde que tout ce qui est authentiquement ressenti par un être atteint à l’universel. Nous allons parler de tout, montrer beaucoup. Je suis curieux, attentif et grand voyageur. J’aime l’espace, celui des étendues comme celui de l’esprit ou du cœur. Explorons-le. Retenons ce qui fait vivre. »

J’en appelais au dialogue, aux commentaires, aux échanges. Et c’est bien ce qui est advenu un long moment. Surtout que les blogueurs du monde.fr étaient un peu l’élite intellectuelle du pays, aptes à se servir d’un ordinateur, bien avant le mouvement de masse entraîné par les smartphones.

J’écrivais donc : « Je ne conçois pas un blog comme un texte gravé dans le marbre, définitif comme une pierre tombale. Même pas comme un livre. Je ferai des erreurs, je me tromperai, mon expression ne sera pas toujours le reflet exact de ma pensée. Ce pour quoi le blog se doit d’être interactif pour corriger, nuancer, apprécier, compléter. »

Las ! L’euphorie n’a eu qu’un temps. Très vite, comme d’autres, je suis revenu des « commentaires ». Ce sont rarement des enrichissements sur l’agora, plutôt des interjections personnelles. Nous avons affaire plus à des réactionnaires qui « réagissent » (en général par l’indignation), qu’à des lecteurs éclairés qui apportent des arguments pour ou contre. Giuliano di Empoli l’a bien montré !

Je croyais toute opinion recevable, j’ai désormais changé d’avis. Comme responsable (juridiquement « directeur de la publication« ), je dois être attentif à tout ce qui peut passer outre à la loi (insultes nominales, invites sexuelles, propos racistes, spam et physing etc.). Les seuls « commentaires » recevables sont ceux qui sont posés et argumentés, je le dis dans « A propos ».

J’ai été repris sur Agoravox, Naturavox, Medium4You, Paperblog et quelques autres. J’ai surtout fait, grâce aux blogs, plusieurs belles rencontres. Qui ont commencé par le texte et qui se sont poursuivies dans la vie. Certaines (pas toutes) durent encore. La plateforme du monde.fr a déçu : plantage intégral de tous les blogs deux jours entiers sans informations en 2010, perte des photos et illustrations, dérive gaucho-écolo-bobo devenue de moins en moins supportable, avec censure implicite par mots-clés, avertissements par mél de retirer une illustration ou un propos – en bref de la dérive autoritaire idéologique. Exit Le Monde, ses blogs et son journal. WordPress restait, facile d’usage, avec abonnement très abordable.

Dons 6 ans de monde.fr plus 14 ans de WordPress, cela fait 20 ans.

Pourquoi j’aime le blog – plus que Facebook, Instagram ou X

Un blog oblige à écrire souvent, voire quotidiennement. Cet exercice a pour effet de préciser la pensée, de vérifier les sources et de choisir les mots, évitant de rester dans la généralité et le flou pour toutes ces opinions qui font notre responsabilité d’individu, de parent, de professionnel et de citoyen.

Écrire exige un autre regard sur ce qui arrive, dans l’actualité, l’humanité et les pays traversés. Mettre en mots rend attentif aux détails comme aux liens avec l’ensemble.

Un blog offre l’occasion de rencontres : littéraires (avec les livres qu’on m’envoie à chroniquer), de témoignages (serais-je allé à cette réunion ou à cet événement s’il n’y avait pas le blog ?), mais aussi personnelles (entre blogueurs et invités).

Il permet surtout de transmettre une expérience, une vision de l’existence, une perspective historique (je commence à accumuler les ans). Il vise à donner aux lecteurs ce qu’ils recherchent sur les moteurs (images, lectures, méthode, idées).

Bilan

2 446 040 visiteurs sur fugues & fougue en 6 ans + 6 138 000 visites au 7 décembre sur Argoul.com en 14 ans = 8 584 040 visites. Ce blog est multimillionnaire.

Les meilleurs jours sont le dimanche ou le lundi, les meilleures heures le soir vers 18h.

Les requêtes via les moteurs de recherche ont évolué. Les moteurs ont établi une censure des images, donc des textes qui les contiennent, les associations de profs et autres éducateurs se méfient des blogs généralistes qui débordent les programmes et les opinions admises et déréférencent facilement « au cas où », le sectarisme croissant des citoyens sur la politique inhibe tout débat constructif. Et puis les images, les vidéos, les interjections en 140 signes sont tellement plus ludiques ! Lire ennuie, surtout sur le petit écran du téléphone. Injurier, agonir, ravit l’anonyme qui déverse sa haine ou son ego en direct sur les réseaux.

Je ne vais pas changer de personnalité pour suivre la foule. Mon blog reste élitiste, réservé à ceux qui aiment lire, qui savent lire, et qui lisent avec un œil critique, faisant leur miel de ce qu’ils trouvent. Le jeu de la performance et du nombre de clics, en vogue dans les débuts, n’a plus court.

Dans les catégories de notes, les livres arrivent en premier avec 2707 chroniques, suivis des voyages avec 1925 notes, puis le cinéma avec 605 compte-rendus de films, la politique (559), la philosophie (408) avec notamment une chronique chapitre après chapitre d’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche (111 notes) et des Essais de Montaigne (109 notes, une lecture pas encore achevée) – et des thèmes de métiers exercés : l’économie (225), la géopolitique (196) et l’archéologie (61).

Mais les désirs des lecteurs ne sont pas représentatifs des articles publiés. Les statistiques du système « depuis le premier jour » donnent comme les articles les plus « vus » :

  • Page d’accueil / Archives 2 498 149
  • Rencontrer un troisième type à Tahiti : mahu et raerae 38 121
  • Plage ados 35 172
  • Sexe entre utopie et réalité en Polynésie 28 619
  • Le mythe de la vahiné 28 210
  • Un État peut-il quitter l’euro ? 21 379
  • Vie tahitienne à la pointe Vénus 19 443
  • Sur la plage de Jean-Didier Urbain 17 171
  • À propos 17 048
  • François Bourgeon érotique 16 940
  • Le Clézio, Le chercheur d’or 16 173
  • Pourquoi Céline était antisémite 15 500
  • Stevenson, L’île au trésor 15 311
  • Le Clézio, Mondo et autres histoires 14 931
  • Ironies de plage 14 771
  • Alix, Enak, amitié érotique 14 769

La vie est passée, les kids sont désormais adultes et l’adolescence est un thème moins présent aujourd’hui, je n’exerce plus de métier, ayant pris – au-delà de l’âge légal – ma retraite. Sur un an, les thèmes sont donc plus diversifiés :

Parmi les pays lecteurs, la France arrive évidemment en tête de façon écrasante 4 077 968 au 1er décembre, suivie des États-Unis 331 747, puis des pays francophones Belgique 226 623, Canada 206 649, Polynésie française 125 795, Suisse 114 189, Algérie 81 283, Maroc 51 353, Tunisie 33 133, La Réunion 25 273, Nouvelle-Calédonie 19 332, Guyane française 5 134.

Chez les Européens, ce sont dans l’ordre Allemagne 86 777, Italie 41 783, Royaume-Uni 40 254 (notons le peu d’intérêt de ce grand pays), Espagne 37 917, Pays-Bas 33 903, Pologne 15 228.

Dans le reste du monde, les plus peuplés : Brésil 27 858, Russie 20 738, Mexique 11 915, Australie 11 558, Japon 10 823, Turquie 7 722, Ukraine 6 637, Inde 6 527 (seulement), R.A.S. chinoise de Hong Kong 3 450, Arabie saoudite 3 207, Corée du Sud 3 064, Chine 2 120 – le plus probablement les expatriés.

Vais-je poursuivre ?

Probablement. Peut-être pas tous les jours, prenant une semi-retraite si nécessaire.

Et si la survenue d’une moraline intolérante ou d’un gouvernement traditionaliste autoritaire ne vient pas remettre en question la liberté de s’exprimer.

Donc, pour le moment, à demain !

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The Servant de Joseph Losey

En anglais, le « servant » est un serviteur, mais moins un domestique que quelqu’un qui se met « au service ». Ainsi appelle-t-on les clercs de Dieu ou les fonctionnaires du Civil Service, ainsi conclut-on les lettres guindées par « your obedient servant ». Quand le vocabulaire est celui des Normands, le mot a un sens noble. C’est pourquoi le personnage principal du film, Hugo Barrett (Dirk Bogarde), est plus qu’un boy ou un valet de chambre, mais apparaît plutôt comme un gouvernant (comme on dit gouvernante).

Le beau jeune blond aristocrate anglais jusqu’au bout des ongles Tony (James Fox), est un brin idéaliste et au fond paresseux. Rentré d’Afrique (du sud), il emménage à Londres le temps de proposer ses services d’architecte à un projet mirifique de bâtir des villes dans la jungle en Amérique du sud. Ainsi Brasília est-elle devenue la nouvelle capitale du Brésil, sortie de rien à l’intérieur des terres en 1960. Le projet, comme tant d’autres de Tony, n’aboutira pas. Pas plus que ses fiançailles interminables avec la jeune blonde haute-bourgeoise anglaise jusqu’au bout des ongles Susan (Wendy Craig). Mais le spectateur ne le sait pas encore.

Tony, pour se libérer des contingences matérielles, engage un domestique qui sera aussi cuisinier et gouverneur de sa maison. Hugo Barrett lui convient mieux que les deux autres qu’il a déjà vu (du moins le déclare-t-il – les a-t-il vus ? rien n’est moins sûr). L’homme est organisé, froid, il a servi dans l’aristocratie après avoir fait l’armée. Il surveille les travaux de rénovation, tient le ménage, concocte des plats savoureux. En bref une perle. Si ce n’est qu’il est omniprésent et que Susan, la fiancée, en prend ombrage, un brin jalouse. Elle veut son homme pour elle toute seule et le domestique le couve trop, comme s’il en était le tuteur ou, pire, l’aspirant amant. Il y a de la fascination homosexuelle (thème très anglais) car le brun Hugo admire la classe tout en prenant de l’emprise sur le blond Tony.

Mieux, il fait inviter sa « sœur » Vera (Sarah Miles) pour servir de bonne. Celle-ci est une fille vulgaire et délurée, qui porte les jupes courtes et dévoile sans vergogne ses jambes sexy. Elle réveille Tony qui dort torse nu dans son lit et s’en émeut ouvertement, Tony qui s’en aperçoit remontera son drap sur sa poitrine. Elle finira par le séduire alors que Barrett joue à ne pas être là, et il la baisera sur le fauteuil. Le spectateur ne verra que ses jambes nues qui s’agitent dans les soubresauts de la passion.

Tony est dès lors doublement accroché : par Hugo qui le materne et tient sa maison, par Vera qui l’excite et assouvit ses besoins sexuels. Susan est reléguée, à son grand dam. Le maître devient servant, tandis que le serviteur domine. Les bruns ont soumis les blonds, comme une revanche des esclaves saxons sur les Normands envahisseurs. Il y a de la lutte des races dans cette lutte des classes, mais aussi une lutte des sexes, le mâle dominant prenant l’ascendant pour manipuler tous les autres. L’escalier est le point central de la maison, un ascenseur social en même temps qu’un lieu de passage où tout se joue, la surveillance, la relégation et même le jeu gamin.

Tony est un faible. Né dans la soie, il n’a pas été confronté à la brutalité de l’existence ; il préfère se laisser faire, en oisif content de le rester. A noter que l’assistance de plus en plus grande des machines en nos vies, y compris « l’intelligence » artificielle, nous conduira peut-être, nous aussi, à une sorte de démission à terme. Il est doux de se laisser dominer, en échange de protection et de réconfort. Ainsi agissaient les féodaux, ainsi agissent les dictateurs, même les mafieux comme Poutine. Les Russes n’ont, comme tous les peuples, que les dirigeants qu’ils méritent ; et les Chinois sont fiers de leur réussite économique, en contrepartie de leur soumission intégrale au Parti. C’est ce que l’ami de Montaigne, La Boétie, appelait si justement la servitude volontaire. Au début des années soixante au Royaume-Uni, c’était ainsi que Losey voyait la décadence. Exilé parce que soupçonné de sympathies communistes, il avait lu Marx et Trotski et pensait que « le capitalisme » produirait la corde pour le pendre (comme si un système de production économique était un être vivant !).

Le cinéaste enrichit son huis-clos par les relations du quatuor : la domination de volonté de Barrett sur Tony, la domination sexuelle de Vera sur Tony, avant celle de Barret au final sur Susan, les tentatives de Susan de faire réagir son fiancé, puis sa soumission à sa déchéance dans une scène finale outrée, qui passe mal aujourd’hui tant elle est caricaturale. Le renversement progressif des rôles de chacun est fascinant, on sent la chute vers l’abîme et l’absence d’énergie pour y remédier.

L’amour conventionnel qu’exige la société, représenté par la froide Susan (une vraie tête à claques), dénie toute chaleur humaine à l’union, présentée comme un contrat d’affaires entre gens de la haute. Le seul instant de fièvre, par terre sur le tapis, est volontairement interrompu par Barret qui vient porter un seau à glace pour les cocktails. Tout l’inverse est la spontanéité de Vera, qui affiche ouvertement son désir de sexe et affiche sa grande bouche de déesse 19 et ses jambes érotiques à faire tourner la tête. Tout est ostentatoire dans la façon de filmer, malgré le noir et blanc frigide. Le légendaire flegme britannique est remis à sa place : celle du caractère des individus. Tony n’a pas la vigueur pour faire autrement que de le jouer ; au fond de lui, il reste un enfant qui n’a pas grandi et cède à ses abandons. Barrett le détruira.

DVD The Servant, Joseph Losey, 1963, avec Dirk Bogarde, Sarah Miles, Wendy Craig, James Fox, Catherine Lacey, StudioCanal 2015 VO sous-titres français, 1h51, €9,49, Blu-ray €14,25

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Destination finale 2 de David Richard Ellis

Suite de la première Destination finale avec, au lieu d’un crash d’avion, un carambolage d’autoroute. Même ingrédients, mêmes superstitions, mêmes effets de suspense – la série est une affaire qui marche. Le 2 est moins sombre que le 1 et plus axé sur le spectaculaire des effets en chaîne. Il est assez réussi.

Nous sommes, date symbolique, un an après le crash du vol 180. La Mort veut faucher son contingent annuel de jeunesse. Kimberly (A.J. Cook), 18 ans, tout juste le permis, prend le volant du gros 4×4 rouge de son père pour aller passer des vacances en Floride avec ses amis, adeptes de la fumette. Sur l’autoroute plutôt chargée, la conductrice, peu attentive à son volant, écoute les blagues nulles des garçons à l’arrière et regarde les passagers des voitures qui la doublent. Un gamin joue l’accident avec un camion et une voiture jouets, une fille se dresse les seins nus pour épater les mâles à l’arrière, un punk à chaîne sniffe de la coke tout en tenant son volant avec la cuisse, un chauffeur poids lourds s’enfile une bière au volant…

C’est drôle, décalé – puis soudain le flash : un gigantesque carambolage initié par un camion transportant des troncs de bois. Mal attachés, ceux-ci s’écroulent sur les voies, entraînant une suite de réactions en chaîne où le sang gicle, les corps sont écrasés dans des hurlements terribles. Kimberly se réveille alors qu’on klaxonne derrière elle : elle était arrêtée à la bretelle d’autoroute, attendant le feu vert pour passer.

Dès lors, elle se met en travers, complètement hystérique : elle a eu la « prémonition » d’un accident et ne veut plus avancer. Les conducteurs derrière elle s’énervent. Un flic de l’État (Michael Landes), en patrouille, vient voir ce qui se passe et cherche à la raisonner. C’est alors que le camion de bois passe. Les troncs se détachent, et c’est l’accident prévu !

Kimberly l’a évité par sa prescience magique, empêchant ainsi « la Mort » de prélever sa dîme parmi les conducteurs piégés derrière sa voiture. Mais un camion arrivant à toute allure emboutit son 4×4 rouge, tuant net tous ses amis dedans. L’officier de police Thomas Burke la sauve in extremis en la poussant hors de la trajectoire. Elle a déjoué la Mort. Mais ceux qu’elle a vus, le cocaïnomane Rory Peters (Jonathan Cherry), le professeur motard noir Eugène Dix (T.C. Carson), la star snob Kat Jennings (Keegan Connor Tracy), le gagnant au loto Evan Lewis (David Paetkau), la veuve Nora Carpenter (Lynda Boyd) et son fils de 15 ans Tim (James Kirk), et la femme enceinte Isabella Hudson (Justina Machado) sont des morts en sursis. La Camarde va chercher à les récupérer par tous les moyens.

Et ces moyens sont nombreux et inventifs. Evan, par exemple, rentre les bras chargés à son appartement ; va-t-il glisser sur un jouet dans le couloir ? S’exploser au gaz sous la poêle ? Laisser échapper sa bouteille d’huile à griller les saucisses surgelées (la malbouffe dans toute sa splendeur yankee) ? Curieusement, il se met torse nu pour cuisiner tout en faisant autre chose ; son téton piercé fait genre sur son torse glabre de bébé rose (la mode yankee des branchés pré-millénium). Il contemple la belle montre qu’il a achetée avec ses gains au loto, ainsi qu’une bague d’or et diamants en forme de fer à cheval (le mauvais goût dans toute sa splendeur yankee), tout en écoutant sur son répondeur à bande les messages intéressés de tout un tas de copains et copines perdus de vue mais alléchés par le fric. Évidemment la bague lui échappe et va se perdre dans le trou de l’évier ; évidemment sa main reste coincée dedans alors qu’il cherche à la récupérer ; évidemment les saucisses brûlent pendant ce temps-là, et l’huile répandue hors de la poêle s’enflamme aussi ; évidemment la poêle tombe alors qu’il cherche à distance à jeter quelque chose dessus pour étouffer le feu – elle incendie l’appartement (les logements de carton-pâte dans toute leur qualité yankee). Va-t-il périr grillé ? Non pas, il s’échappe de justesse par l’échelle de secours juste avant que la bonbonne de gaz n’explose (tout explose aux USA, les bagnoles, les maisons, les fours, les barbecues- sinon ce ne serait pas Hollywood). Il rejoint in extremis le sol… mais glisse sur les spaghettis qu’il a jetés par la fenêtre pour faire la place aux saucisses dans la poêle. Étalé sur le sol, il est vivant, sauf que l’échelle se détache… et l’empale dans l’œil. Le croque-mort (Tony Todd) – qui est la Mort elle-même – coupe à la pince l’anneau de téton du garçon avant de l’enfourner pour le réduire en cendres. Sa parure corporelle n’a pas empêché sa jeunesse d’être interrompue net.

La nouvelle de cette fin rocambolesque alerte l’officier Burke et Kimberly. Ils font une réunion entre survivants de l’autoroute à la suite de laquelle Kimberley rend visite à Claire Rivers, la dernière du vol 180. Elle s’est volontairement enfermée en centre psychiatrique et refuse toute visite avec objet tranchant. Elle déjoue la Mort depuis un an. Claire refuse d’aider Kimberley (l’individualisme dans toute sa bonne morale yankee), mais se rend compte brusquement que les survivants meurent dans le sens inverse de l’ordre du carambolage. Elle sort de son isolement pour prévenir Kimberly de faire attention aux signes prémonitoires de « la Mort ». Kimberly a la vision d’une attaque de pigeons et c’est Tim, sortant de chez le dentiste, qui en fait les frais. Il s’avance comme un gamin (il a 15 ans) pour chasser les volatiles… et se prend en pleine tronche une vitre détachée de la façade dans laquelle les pigeons désorientés vont se crasher souvent. Exit l’ado (même la jeunesse peut mourir). Sa mère, Nora, sera décapitée par des portes d’ascenseur alors qu’elle cherche à échapper à un porteur d’un bac contenant des bras articulés qui la rendent hystérique à la suite d’une nouvelle « vision » de Kimberley.

La suite est du même effet : Kat est empalée par un tuyau qui l’avait épargné dans l’accident de son véhicule. Le matériel de désincarcération du sauveteur active l’airbag… qui rejette violemment la, tête en arrière, juste sur le pieu tranchant. La cigarette qu’elle venait d’allumer en étant sûre d’être sauvée tombe de sa main dans une fuite d’essence menant à la camionnette des journalistes, qui ont reculé sur une pierre, provoquant l’explosion et l’envol d’une clôture de barbelés qui coupe Rory en trois au niveau des reins et du torse (bel effet spécial). Eugène, le motard de l’autoroute qui n’y croyait pas, explose dans sa chambre d’hôpital, après une suite de mouvement des machines (qui semblent douées d’une vie propre, l’angoisse proprement yankee de la technique comme un destin).

Isabelle donne le jour à son bébé, malgré le docteur que Kimberly a vu en prémonition l’étrangler. Une vie contre une mort, telle est la superstition basique du film, et les survivants se croient sauvés. Mais point ! Jusqu’au gamin de la ferme (Noel Fisher) où a eu lieu le dernier accident avec Kat – rien à voir avec l’autoroute – qui a été sauvé par Rory d’une camionnette folle : il explose en manipulant le barbecue lors de la fête de survie. Son avant-bras grillé à point atterrit sur la table juste devant sa mère.

Un humour noir du second degré bien mis en scène. Pas vraiment intello, ni flippant, juste délassant. Jouer avec la Mort fait toujours recette. Les acteurs sont fades, surtout Kimberly, à l’exception de l’officier de police peut-être.

DVD Destination finale 2 (Final Destination 2), David Richard Ellis, 2003, avec Ali Larter, A.J. Cook, Michael Landes, David Paetkau, James Kirk, TF1 Vidéo 2004, 1h27, €11,94, Blu-Ray €10.00

DVD Destination finale de 1 à 5, New Line 2024, 7h16, €29,99, Blu-ray €32,93

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Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert

Clin d’œil au parti républicain américain de l’éléphant et de son Trump de chef macho, ce film français des années soixante-dix relate les mœurs des quadragénaires parisiens tentés par le démon de l’âge. Quatre mâles, copains de tennis, tous avec des situations confortables, se mêlent de draguer ailleurs qu’au bercail et subissent les conséquences des femelles émancipées qui s’essaient à leur liberté.

Étienne Dorsay (Jean Rochefort) est un directeur de ministère qui voit sa libido se réveiller, lors du passage dans le parking souterrain du ministère, d’une belle jeune femme élancée (Annie Duperrey) en robe rouge fendue sur les cuisses, au-dessus d’une grille de chauffage qui fait voler son linge en la dévoilant jusqu’à l’entrejambe, comme la Marilyn du mythe. Dès lors, il change. Il est marié à Marthe (Danièle Delorme) qui lui a donné deux jeunes filles de 14 et 12 ans et reprend ses études abandonnées il y a vingt ans ; mais elle est en butte aux avances lourdes d’un lycéen de 17 ans qui joue aux intellos (Christophe Bourseiller) en lui déclarant aimer ses seins, particulièrement le gauche, et vouloir passer une nuit torride avec elle. Marthe résiste, Étienne non.

Il va inviter « Charlotte », qu’il reconnaît comme mannequin servant à la publicité pour un nouvel emprunt d’État, changer son costume et sa coiffure sur une remarque qu’elle lui fait, faire du cheval au bois parce qu’elle monte régulièrement, se faire donner rendez-vous à Londres pour une nuit sexuelle – mais son avion est détourné sur Bruxelles en raison des conditions météo, enfin l’imposer chez sa marraine… qui l’attend avec sa femme et toute sa famille parce que c’est son anniversaire.

De quiproquos en scènes cocasses, les quatre amis ne réussissent pas vraiment leurs amourettes. Simon (Guy Bedos) est un médecin étouffé par sa mère juive, Mouchy (Marthe Villalonga). Daniel (Claude Brasseur) vend des voitures mais se fait jeter par son petit ami homosexuel à cause d’un jeune blond nommé Eric. Quant à Bouly (Victor Lanoux), machiste de caricature qui saute sur tout ce qui porte jupe et bouge encore, il revient un jour chez lui alors que femme, enfants et meubles se sont envolés. Les amis doivent se monter des bateaux les uns pour les autres afin d’acquérir chacun un espace de liberté dans toutes ces conventions sociales et habitudes conjugales.

C’est justement le cadeau que lui font ses amis qui permet à Étienne de passer une vraie nuit avec Charlotte, dans son appartement au 4 avenue de la Grande-Armée. Las ! Au matin, son mari revient – car elle est mariée – et Simone – qui ne s’appelle pas Charlotte – pousse Étienne sur la corniche sous les fenêtres, au dernier étage, en attendant que son mari reparte. Mais il s’incruste, ferme fenêtre et volets roulants, et part avec elle pour Marrakech en voiture. Étienne se résigne, en peignoir, à devoir sauter du haut de l’immeuble dans la toile tendue par les pompiers appelés par les badauds qui se sont progressivement massés dans la rue.

Il s’agit d’amuser le spectateur de ces années Giscard avec la vanité mâle, les mensonges, les petites lâchetés, les faiblesses (qui plaisent tant aux femmes), sous le couvert de la solidarité masculine et de l’amitié (qui plaît tant aux hommes) parce qu’elle est plus fidèle que « l’amour » (qui n’est souvent que sexe refroidi).

Du vaudeville chez les grands gamins, sous le titre d’une comptine scoute, « Un éléphant, ça trompe ». Un film de pote où le comique réside dans les situations, mais surtout entre le commentaire off d’Étienne Dorsay et la réalité des choses. Les gays et lesbiens ont jugé que Claude Brasseur dans le film est le premier personnage homosexuel « positif » du cinéma français – ce qui est bien anodin aujourd’hui malgré les Zemmour, les Poutine et les Trump. Le monde a quand même changé depuis cette époque pré-woke et anté-Mitterrand du « mieux avant ».

Ce film a reçu trois Césars et un Golden Globe en 1977.

DVD Un éléphant ça trompe énormément, Yves Robert, 1976, avec Jean Rochefort, Claude Brasseur, Guy Bedos, Victor Lanoux, Danièle Delorme, Anny Duperey, Marthe Villalonga, Gaumont 2013, 1h43, €9,77, Blu-ray €13,65

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