Articles tagués : couples

Complot de famille d’Alfred Hitchcock

Pour son 52ème et dernier film, Alfred Hitchcock fait interagir deux couples opposés et dissemblables. Le premier est celui de branquignols, une « voyante » tête à claques et son benêt de chauffeur de taxi qu’on dirait échappé d’un collège – et le second celui d’escrocs sans scrupules qui préparent, enlèvent et demandent une rançon en diamants pour de grands personnages. Comment vont-ils se télescoper ? Parce qu’une vieille dame de 78 ans, au bord du néant, a des remords d’avoir jadis forcé sa sœur à abandonner son enfant illégitime pour préserver la réputation de la famille.

Tout commence par le grand guignol de Madame Blanche (Barbara Harris), voyante extra-lucide, qui monte dans les aigus lorsqu’elle évoque la sœur disparue de Miss Rainbird (Cathleen Nesbitt, 88 ans) : « Hoo ! Hoo ! Hou ! Hou ! Hou ! » Qui donc, sinon une vieille bique travaillée de tourments, croirait à ces simagrées ? Mais la Blanche en rajoute, prenant une voix de rogomme pour évoquer « Harry » – et soutirer des renseignements inconscients à la Rainbird. Elle a fait enquêter George, son compagnon chauffeur de taxi et détective d’occasion (Bruce Dern), pour obtenir quelques informations auprès des relations de la trop riche vieille fille qui se repent et veut reconnaître son neveu afin de lui léguer sa fortune. C’est qu’il y a à la clé pour Blanche un beau gros chèque (the one big beautiful comme dirait Trompe en vulgaire yankee) : pas moins de 10 000 $ pour toute information venue de l’au-delà. Il s’agit de retrouver le fils bâtard, donné jadis à un couple qui ne pouvait avoir d’enfants via le chauffeur de la famille. La bique se souvient, maintenant que l’au-delà la sollicite : c’étaient les Shoebridge, et leur maison a brûlé lors d’un incendie, ils sont morts mais le corps du garçon, 17 ans alors, n’avait pas été retrouvé.

George enquête au cimetière. Il y a justement deux pierres, l’une avec le couple Shoebridge, l’autre avec Edward Shoebridge seul. Avec la même date de décès, 1950. Sauf que la plaque d’Edward est manifestement plus neuve que celle de ses parents adoptifs. Le graveur de pierres tombales retrouve la facture, elle date de 1964 et a été payée en liquide par un certain Jo (Joseph) Maloney (Ed Lauter). George enquête dans l’annuaire et trouve un garagiste à dépanneuse, comme décrit par le graveur. Mais le type se méfie des questions trop précises de « l’avocat » à la pipe à la tignasse en bataille et le corps dégingandé d’un étudiant attardé. Il a de quoi de faire du mouron : c’est lui qui a mis le feu à la maison Shoebridge !

Mais avec la complicité de son âme damnée de bâtard, Edward, qui a voulu se débarrasser des vieux pour être enfin libre d’épancher ses mauvais instincts. Il a changé de nom et se fait appeler désormais Arthur Adamson – fils d’Adam, autrement dit de lui-même – (William Devane) ; il est devenu joaillier et diamantaire, avec un commerce dans une rue chic. Il adore ce qui brille et entraîne sa compagne Fran (Karen Black) dans ses mauvais coups, préparés avec un soin maniaque : planque cachée dans la cave derrière un mur de briques dont l’une recèle la serrure, enlèvement rapide sous déguisements à l’aide d’une seringue qui injecte un soporifique et d’une voiture noire disposée tout près, demande de rançon et procédure sophistiquée pour être intraçable, planque des diamants (bien en évidence comme chez Edgar Poe) avant la revente retaillée sous forme de petites pierres plus facilement écoulées.

Fran va chercher la rançon sous la forme d’une grande blonde avec des bottes noires (allusion au film français d’Yves Robert sorti en 1972, avec un Pierre Richard qui ressemble à George, Le grand blond avec une chaussure noire). Mais tout est faux : la femme aux yeux rapprochés tels qu’on dirait qu’ils louchent, est brune et ne porte pas de talons. Si elle aime l’adrénaline du suspense, elle déteste qu’on tue, contrairement à Arthur/Edward qui a jusque-là laissé faire son ami d’enfance Maloney.

George et Blanche recherchent Edward Shoebridge reconverti en Arthur Adamson pour lui annoncer une bonne nouvelle : l’héritage Rainbird. Arthur et Fran veulent à tout pris éviter les détectives amateurs pour ne pas être sous le feu des projecteurs et rattrapés par leurs enlèvements. Deux couples opposés, deux situations incompatibles, voilà du beau cinéma. Tout ce qui est trop préparé échoue. La tentative de meurtre de George et Blanche en sabotant les freins de leur Ford sur une route de montagne – Maloney se fait prendre à son propre piège et quitte la route pour finir grillé en contrebas. La tentative de meurtre de Blanche après qu’elle ait découvert l’adresse d’Adamson, se soit plantée comme une gourde devant le garage du couple, ait découvert l’évêque enlevé dans l’auto, et se soit fait piquer et planquer – mais elle a laissé un renseignement au portier d’hôtel pour le taxi de George et un mot sur la porte d’Adamson que trouve son compagnon, ce qui lui permet de pénétrer dans la maison par un soupirail de cave. Là, il entend les Adamson rentrer et évoquer Blanche, que lui veut tuer en simulant un suicide par le tuyau d’échappement de sa propre voiture.

Blanche joue l’inconsciente mais a bien capté les conversations. Profitant que le couple entre dans la planque pour la porter inconsciente dans la voiture, elle s’enfuit avec grands bruits d’au-delà et les enferme. Puis elle joue la transe devant son compagnon béat pour « trouver » le diamant caché en évidence – avec un clin d’œil au spectateur à la fin, tandis que George appelle triomphalement la police pour la bonne nouvelle – et Miss Rainbird pour la mauvaise.

Une bonne intrigue habilement menée, de l’action et de l’humour, des personnages bien typés, tout cela fait le succès du film que l’on peut voir et revoir. C’est moins le dénouement qui compte que la progression de l’histoire et les relations entre les protagonistes. Pour ma part, je l’ai déjà vu quatre fois au fil des années, avec autant de plaisir.

DVD Complot de famille (Family Plot), Alfred Hitchcock, 1976, avec Barbara Harris, Bruce Dern, Ed Lauter, Karen Black, William Devane, Universal Pictures Home Entertainment 2017, doublé anglais, français, 1h55, €6,55, Blu-ray €7,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Alfred Hitchcock déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Anna Véronique El Baze, Le dernier bistrot

Un bar à Paris dans la rue des Filles-du-Calvaire, le patron qui entend, qui attend, s’use à vivre. Sa femme s’est tirée avec sa fille il y a trente ans. Ce bistrot est sa vie, créé par son père, résistant juif à Pétain, chassé d’Algérie en 1962 avec son seul fils, après que le FLN ait tué d’une bombe sa femme et sa fille. Toujours tout reconstruire. Le fils, « à treize ans, il y faisait la plonge après l’école. À seize, il y travaillait à plein temps » p.16.

Bar popu dans un quartier popu, « le Bar de l’Avenir n’a rien des bars et restos design où se retrouvent bobos et cadres branchés du quartier. À midi, la clientèle est celle des bureaux et commerces avoisinants. Pas exigeante, évanescente, celle qui boit de l’eau en carafe et vide la corbeille à pain. Celle qui paie en Ticket-Restaurant, réclame la monnaie, ne laisse ni pourboire ni remerciement. (…) Au Bar de l’Avenir, les cœurs se consolent, se régénèrent, se réhabilitent. Duperie. Illusion parfaite, jusqu’à la fermeture, lorsqu’il faut vider son verre, partir, passer de l’illusion au réel, de la chaleur de l’alcool au froid du dehors » p.10

En cette veille de Noël, le soir, de rares clients, des solitaires. Fred jeune handicapé de l’armée qui mate les filles et rêve, Rokia la Sénégalaise alcoolo qui a laissé son bébé, Christophe la quarantaine qui a quitté Anna sa maîtresse parce qu’il est marié à vie à une épouse collante qui a constamment « besoin de lui », Nour, jeune battante à la direction du personnel, elle attend Ethan qui ne viendra pas, un Juif qui ne « ne s’autorise même pas un verre avec une musulmane un soir de shabbat » (jolie formule p.45), Maryline aux talons aiguilles qui attend elle aussi, puis un homme viril en chemise violette, Fabrice le « soignant » – ce sont les clients de ce soir. Un soir particulier.

Car le patron a décidé de fermer – avec les clients à l’intérieur. « Plus personne ne bouge ! » Un semi-automatique pour les braquer, et il est passé de l’autre côté, comme une libération. Nous sommes au chapitre 13, chiffre porte-malheur. Il est 21h30 dans le bistrot comme ailleurs. Désormais, finie l’indifférence, c’est lui qui donne les ordres. Revanche sur l’abandon de la France par deux fois – et sur le ravage de son bistrot par les « gilets jaunes », casseurs jouissant de tout casser et qui n’en ont rien à foutre du travail et de la peine des autres.

Face au danger, chacun revoit sa vie. Fred qui a sauté sur une mine et ne peut plus sauter sur les filles et se fait des scénarios ; Rokia qui a été larguée par son Blanc avec un fils métis, constamment menacée par l’assistante sociale qui rêve de lui ôter ; Christophe attaché à son couple par lâcheté d’habitude et qui vient de tuer sa maîtresse Anna qui voulait le retenir ; Maryline qui refuse son âge et veut encore séduire, son premier champagne à 14 ans suivi d’un viol pompier ; Fabrice l’infirmier psychiatrique toujours à s’occuper des autres et qui est désespérément seul dans la vie, parce qu’il n’est pas hétéro et ne veut pas l’avouer. Ce sont toutes ces vies pauvres ou ratées qui font le sel de ce roman. L’acte fou, par désespoir. Le choc sur les consciences, pour les réveiller. Il y a les passifs qui se laissent faire, les rebelles qui résistent, et les prudents pour qui il ne faut « pas insulter le crocodile quand [on] a encore les pieds dans l’eau » autre jolie formule p. 136.

La fin ? Inévitable. Mais entre temps une longue psychanalyse collective où l’hypocrisie sociale vole en éclats, où l’émotion rend les gens vrais. Le patron y prend un prénom et chacun sait pourquoi il a agi. Un petit roman intimiste sur le malheur des temps.

Anna-Véronique El Baze grandit dans le restaurant-bar de ses parents dans l’Eure. Diplômée de l’Institut Supérieur d’Interprétariat et de Traduction, elle débute comme traductrice indépendante avant une carrière dans la Communication et les relations Presse. Maman de jumeaux de 6 ans, elle publie son premier roman en 2004.

Anna Véronique El Baze, Le dernier bistrot, 2024 (parution 7 novembre), éditions de l’Archipel, 199 pages, €20,00, e-book €14,99

Attachée de presse Emmanuelle Scordel-Anthonioz emmanuelle@lp-conseils.com

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Jeux d’été de Rolando Colla

Chronique à la suisse d’un début d’adolescence à l’italienne dans un été au camping. Nous sommes il y a treize ans à peine et c’est déjà un autre monde. Les enfants du film sont adultes, ils ont probablement voté Meloni dans le no future que fut leur jeunesse. Deux couples sur la sellette : l’un adulte, celui de Vincenzo (Antonio Merone), macho violent, et Adriana (Alessia Barela) qui n’arrive pas à s’en déprendre ; l’autre prime adolescent, celui de Nic (Armando Condolucci), le fils aîné de Vincenzo qui reproduit la violence et en souffre, et de Marie (Fiorella Campanella) en quête éperdue d’un père dont sa mère ne veut pas parler. Ils ont 30 ans, ils ont 12 ans, l’espace d’une génération et l’espoir de ne pas retomber dans les mêmes ornières…

Vincenzo est ignorant comme son père, il l’avoue, et travaille sur les chantiers, tandis qu’Adriana est caissière et vient d’obtenir une promotion. Le père aimerait qu’on le respecte parce qu’il est « le père » et « le mari », cela se fait en Italie, mais il ne mérite pas l’honneur qu’il réclame car il est jaloux et n’écoute pas, il frappe. Ses deux fils sont pris en étau entre elle et lui, la mère poussant l’aîné de 12 ans dans la compagnie de son père, cela se fait en Italie, gardant pour elle le petit dernier de 10 ans. Mais une fratrie ne se sépare pas et Nic protège Agostino (Marco D’Orazi), s’interposant lors d’une bagarre qui débute sur la plage ou mettant de la musique dans les oreilles du petit lors des disputes entre les parents. Mûri, il filme aussi avec son Nokia mobile une scène de violence partie de rien entre son père qui monte en colère jusqu’à battre sa femme qui ne voulait qu’emporter un pot de fleur pour sa mère.

Deux couples, deux générations, et le danger de la reproduction. Celle, physique, des bébés, mais surtout celle des comportements. Les disputes et les coups se terminent souvent en baise torride des adultes, là, tout de suite, sur les aiguilles de pin, car la mère ne peut se résoudre à se détacher de son mâle. Lorsque Nic rencontre Marie, c’est à l’occasion d’une dispute entre son petit frère et Lee (Francesco Huang), le copain de Marie et de sa cousine Patty (Chiara Scolari) qui aide son père chinois à l’épicerie-buvette du camping. Nic blesse Marie à la lèvre dans un mouvement violent, sans vraiment le vouloir. Il ne s’excuse pas mais en reste taraudé, jusqu’à revenir le jour suivant et se blesser devant elle à la lèvre pour « être quitte ». Où l’on sent que l’égalité entre homme et femme progresse…

Ils deviennent copains car chacun est en quête : Nic d’amour féminin enfin, Marie d’amour paternel qu’elle n’a jamais connu. Le terrain de camping en Maremme où ils passent une dizaine de jours est le lieu clos hors du temps où ces relations ont lieu et évoluent. Pourquoi ce secret de famille à propos du père de Marie ? La mère (Roberta Fossile), infantile et autoritaire parce qu’elle se sent obscurément coupable de quelque chose, cache et continue de cacher l’histoire du père, malgré les objurgations de sa sœur et celle de sa fille. Elle la juge « trop petite », mépris d’adulte pour l’enfant qu’il refuse de voir grandir. Pourquoi cette violence irrépressible de la part du père de Nic ? Par atavisme paternel, reproduction mimétique, absence de mots pour le dire qui fait parler les poings. Vaut-il mieux un père absent idéalisé ou un père présent détesté ? C’est probablement ce qui fascine Nic chez Marie, cet amour du père qu’il ne peut ressentir lui, malgré quelques moments de complicité « entre hommes » que Vincenzo tente avec lui.

Outre la plage, où faire des châteaux de sable n’est plus de leur âge, la petite bande investit un hangar abandonné dans un champ de maïs juste au-delà des dunes, pour en faire leur repaire. Nic attise leur curiosité en déclarant avoir vu, entre les interstices des planches, « un mort ». Il s’agit en fait d’un épouvantail gisant là, mais cette épouvante les soude. Sur proposition de Nic, ils jouent à la chasse à l’homme ; une fois attrapé sa victime, le chasseur peut « lui faire tout ce qu’il veux ». Marie s’empresse de tempérer ce jeu un brin sadique en lui ajoutant « un commissaire » pour arrêter le chasseur « s’il va trop loin ». Elle sent que Nic, sur l’exemple de son père, est constamment poussé à aller trop loin.

En bravache, mais aussi en victime, le garçon déclare ne rien ressentir sur son corps des tortures qu’on peut lui faire. Il suffit, dit-il, de « se croire un autre et de regarder sans ressentir ». Pas facile, mais effet d’une éducation reçue sous les coups et à observer donner les coups. Un masochisme de martyr qui fait contre mauvaise fortune bon cœur. Marie le teste en lui faisant couler sur le torse de la cire fondue sans qu’il ne batte un cil ; puis elle allume une cigarette mais se refuse à le brûler. C’est Nic qui force sa main à lui enfoncer le bout incandescent dans le bras pour en faire une plaie. Il se plantera aussi la pointe d’une paire de ciseau dans la cuisse ou se laissera étriller le dos au sable grossier. Ces tortures physiques sous le regard de Marie attisent son désir naissant pour elle. On peut se demander quel genre d’amour sado-masochiste pourra surgir de cette éducation sensuelle associée aux sévices. Nic pousse loin le bouchon, laissant Lee, qui a attrapé Marie dans les maïs, la forcer à danser sur une musique arabe, se caresser le corps avec les mains et se lécher les lèvres de sa langue, avant de déclarer : « je vais te baiser ». Ce n’est que sur les instances de Patty que Nic, « commissaire », se décide à arrêter le jeu ; il voulait voir si Matrie se laisserait faire ou si elle le préférerait.

Marie, plus mûre, est attachée à ce Nic viril mais vulnérable, mais elle repousse ses avances amoureuses tant qu’elle ne sait pas qui était son père. Par des menaces, une fugue, des disputes, elle obtient enfin de sa mère de savoir qu’il est mort d’un accident à 37 ans et qu’il est enterré au cimetière de Porto Santo, en face, dans la baie. Lee emprunte le bateau de pêche de son père pour emmener la bande au cimetière où Marie peut enfin voir la tombe et pleurer devant elle. Nic, prévenant et sensible à sa douleur, allume la bougie de son supplice pour le papa retrouvé et perdu. Car lui a perdu le sien en se rebellant tout récemment contre lui, qui voulait encore et toujours battre sa femme, malgré ses promesses et ses excuses à chaque fois.

Au retour, le petit couple reste dans une baie pour rentrer à pied au camping tandis que les autres ramènent le bateau. Nic et Marie jouent dans l’eau presque nus, s’embrassent timidement, puis retournent pour la fête de fin d’été du camping. Lorsque, au lieu des coups ou des caresses rudes au sable, Marie lui caresse la peau des épaules avec ses cheveux mouillés, Nic fond. Des larmes lui montent aux yeux. L’amour fait fondre la violence.

Les vacances se terminent, la parenthèse de la vie courante aussi, mais rien ne sera plus comme avant. Nic et Marie, à leur âge charnière, auront connu une grande tension mais aussi une catharsis. Ces jeux d’été leur auront permis de régler le problème avec leurs pères respectifs et avec le mystère de l’amour.

C’est assez bien vu et mis en scène, même si le début s’égare un peu. Si Marie reste constamment en maillot de bain deux pièces, montrant sa constance dans sa volonté de savoir, Nic reste vêtu adulte, tee-shirt et jean long, ne se mettant enfin en uniforme d’été, short et torse nu, qu’à la moitié du film, comme une libération d’un carcan paternel qu’il a enfin réussi à briser. Grâce au contre-exemple de Marie, sa moitié complémentaire.

DVD Jeux d’été (Giochi d’estate), Rolando Colla, 2011, avec Fiorella Campanella, Armando Condolucci, Alessia Barela, Antonio Merone, Roberta Fossile, Look Now! 2012, 1h41, occasion €37,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jean-François Coatmeur, Yesterday

Yesterday, c’est la chanson des Beatles qu’un juge vieux, laid et malade se remémore lorsqu’il a rencontré la femme plus jeune qui vit avec lui. Un juge antiterroriste qui a mis sous les verrous la plupart des membres du groupe gauchiste ARES qui visait à déstabiliser la société pour installer un pouvoir populaire de type trotskiste – autrement dit la dictature d’un seul sous l’acclamation des masses, à la sud-américaine. Mais ARES ressurgit. Le groupe lance un avertissement dans un communiqué selon lequel il visera cette fois à la tête.

La tête, c’est le président de ce pays de l’Ouest, imaginaire mais où l’on reconnaît sans peine (et non sans une certaine malice) la France de Mitterrand. La gauche « modérée » est parvenue au pouvoir pour contenir les surenchères communistes, mais c’est trop ou ce n’est jamais assez. Trop pour une fraction radicale de l’armée qui menace en termes à peine voilés de fomenter un putsch comme à Alger en 1962 et de prendre le pouvoir. Jamais assez pour une frange de gauche radicale qui voudrait que le mouvement engendre le mouvement et ne cesse d’agiter les masses. Mitterrand, devenu président en 1981, a été aux prises avec ces deux tendances et l’auteur les amplifie et les déforme pour en faire un thriller politique.

On y retrouve le doute sur le pouvoir qui taraude tout président, la liaison cachée avec une maîtresse malgré la façade du couple uni, les ambitions de la cour très proche qui se verrait bien calife à la place du calife, les magouilles des services plus ou moins secrets qui se tirent dans les pattes et voudraient tirer la couverture à eux. Tout à fait les années Mitterrand vous dis-je !

Le président au prénom russe – Igor – et au nom du sud – Lauza – est assassiné, comme il a été indiqué par ARES. Mais qui manipule qui ? A la veille d’être tué, ce même président convoque le juge Melchior au nom d’une ancienne camaraderie d’enfance et d’un amour commun pour la même gamine à l’époque, la fille de l’instit qui venait faire ses devoirs sur l’estrade de son père, laissant entrevoir aux garçons à peine pubères sa petite culotte blanche. Mais pourquoi cette convocation ? Pour lui dire quoi ? Le juge se trouve lui-même condamné par un cancer en phase terminale et voudrait bien boucler cette enquête qui remet en cause tout son travail d’antiterrorisme jusque-là.

Le tueur est un jeune homme de la mafia corse manipulé par un parrain qui grenouille avec certaines factions politiques peu claires. Tout est parfaitement organisé sauf que… comme toujours, le sexe vient enrayer la machine. La liaison cachée du président le rend faible, le couple mal assorti du juge le rend mou, la rencontre d’une fille par le tueur avant son acte le rend niais. Il n’appliquera pas les consignes, se fera repérer, trouvera la mort d’une blessure mal soignée qu’il aurait pu éviter. La liaison du président a failli être éliminée mais elle a de la ressource. La liaison du juge se terminera comme il se doit : dans les bras d’un éphèbe de 28 ans, architecte et beau comme un dieu. Lui-même s’effacera comme le vieil écrivain Gustav Aschenbach de Mort à Venise, en regardant au loin un jeune garçon en seul bermuda rouge sur la plage. Symbole de la vie qui continue, de l’inanité des ambitions politiques.

Au fond, tout ça pour ça… Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu présidentiel corrompt absolument. Malgré les quarante ans passés depuis, ce thriller hors du temps se lit toujours. Pour moi, c’est une relecture de hasard. Why she had to go, I don’t know… Now I long for yesterday.

Jean-François Coatmeur, Yesterday, 1985, Livre de poche policier 1988, 319 pages, occasion 4,00 e-book Kindle €6,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Irène Némirovsky, Chaleur du sang

Un manuscrit retrouvé dans une malle, et les œuvres se multiplient. Irène Némirovsky a été écrivaine, mais toutes ses publications posthumes ne sont pas abouties. En témoigne ce très court roman pas revu, écrit à la diable, où les merles comme les grenouillent « crient » alors qu’il existe un mot précis en français pour chacun de ces animaux.

Reste une histoire à personnages, dans un décor bien planté, avec une intrigue quasi policière qui ne se résout qu’à la fin.

Une histoire de couples avec l’inévitable trio du mari, de la femme, de l’amant, le mari trop vieux mais riche, la femme trop jeune qui a fui sa condition précédente pour accéder à un statut, l’amant jeune et énergique, beau à tomber.

Le décor est paysan, dans cette Auvergne du centre géographique et mental de la France, qui a donné tant de présidents de la République ou du Conseil. Des paysans madrés, égoïstes, cancaniers, avares, qui ne considèrent les gens que par leurs hectares de terres et les filles que comme de bonnes poulinières.

L’intrigue est la mort, par une nuit de lune, de Jean, l’époux de Colette, fille du couple François et Hélène, sur la passerelle de son moulin. Il s’est noyé. Car on ne sait jamais nager, chez les glébeux, on a horreur de l’eau dans cette Auvergne, déjà se laver et se raser le dimanche est tout un foin !

Quelqu’un l’a-t-il poussé ? Oui, déclare un jeune apprenti de 16 ans, tout neuf et échauffé par le vin. Il a vu deux hommes se battre et a reconnu le Jean, mais ne sait pas qui est l’autre. La rumeur court, elle court beaucoup à la campagne, que ce serait le beau Marc, l’amant de Colette mais aussi de Brigitte. Laquelle est une enfant trouvée qui a été adoptée, et mariée à un vieux qui tarde à crever.

François et Hélène apparaissent comme le couple idéal qui s’entend bien depuis plus de vingt ans. Ils ont quatre enfants, Colette l’aînée qui vient de se marier au fils du propriétaire du moulin un peu effacé mais travailleur, et trois garçons de 15, 13 et 9 ans. Les autres couples sont bancals : celui de Brigitte avec le vieux maquignon Declos, celui de Colette avec le jeune mais faible Jean. Sauf que l’apparence cache la réalité. Seuls les couples mal venus aux yeux des autres sont vrais ; le couple idéalisé cache une faille de taille. Impossible d’en dire plus sans dévoiler la fin.

L’histoire est contée par Silvio, surnom de jeune homme fringuant pour Sylvestre, le cousin d’Hélène et les garçons. Car Silvio est resté célibataire mais n’en a pas moins aimé durant sa splendide jeunesse. Il était lui aussi énergique, beau, aventureux, il comprend les passions et les désirs, la « chaleur du sang ». Aujourd’hui sur le déclin, il n’aspire qu’à la paix et, quand la jeunesse vient lui demander conseil, il la renvoie à sa conscience ; il a bien assez à faire avec ses souvenirs.

L’autrice, juive russe immigrée issue d’un couple désuni, noceuse et bosseuse selon sa wikibiographie, a publié un premier roman en français à 22 ans avant de percer avec David Golder en 1929, le portrait des Juifs nouveaux riches. Son couple est trop dépensier et elle doit publier sans cesse, du rapide, du court, du vendeur. Malgré sa conversion au catholicisme, elle est considérée comme Juive et naturalisée de papier. Aussi le couple et leurs deux filles fuient-ils en 1940 à Issy-l’Évêque, aux confins de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, décor du roman.

Si elle va au galop, pressée par l’Occupation (dénoncée par un glébeux, elle est morte à Auschwitz à 39 ans, en 1942), elle livre une tempête de pulsions dans une société réputée immobile où la terre est censée ne pas mentir (selon le mot du maréchal cacochyme, chef de l’État à l’époque après un coup d’État légal). Non, ce n’« était pas mieux avant ! Et surtout pas dans ces campagnes que les citadins en chambre célèbrent à l’envi aujourd’hui, eux qui n’ont jamais vu une vache autrement que dans les Salons parisiens où, chaque année, les industriels productivistes à la terre amènent en camion leur meilleur cheptel. En mettant à jour l’âme humaine sous les dehors sociaux, Irène Némirovsky démasque ces paysans du Centre, le cœur de la France.

Irène Némirovsky, Chaleur du sang, 1932, Folio 2008, 197 pages, €7,40, e-book Kindle €6,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Irène Némirovsky déjà chroniquée sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Françoise Sagan, Un peu de soleil dans l’eau froide

Devenue célèbre pour son Bonjour tristesse, écrit à 18 ans, Françoise Quoirez, dite Sagan, poursuit dans la veine cruelle et légère qui est la sienne depuis ses débuts. Elle décrit son milieu, sa vie même, toujours futile et souvent tragique. Elle ne fait que varier les facettes d’un même entre-soi de riches bourgeois contents d’eux mais vides.

Le thème de ce roman, dont le titre est tiré, comme Bonjour Tristesse, d’un vers de Paul Eluard, est la dépression : comment un homme encore jeune (35 ans), le beau Gilles viril, journaliste reconnu, en arrive à sombrer sans avoir plus le goût de rien, malgré ses copains, ses nuits alcoolisées, ses débauches et même la double tendresse d’un collègue ami Jean plus âgé et d’une mannequin pour photographe, Eloïse.

La dépression est « la maladie du siècle », issue de l’abus des dopants de toutes sortes et du néant existentiel qui a suivi la guerre et la décolonisation. Les activités superficielles de la ville – commenter l’actualité internationale, discuter lors de beuveries entre copains, aller voir des spectacles déconstruits, baiser le soir venu sans but – ne peuvent qu’aboutir à un dégoût de soi.

Sagan oppose la ville à la campagne, Paris à Limoges, la vie intello toute d’illusions à la vie provinciale toute d’apparences. A Paris, chacun se croit obligé de s’adjoindre un giton, c’est la mode, « un Chéri de 19 ans » très minet pour une femme de 48, un adolescent pour le directeur pressenti de la rubrique diplomatie du journal, qui n’aura pas le poste pour avoir fricoté avec « un petit garçon »… de 17 ans qui l’aime. A Limoges, chacun couche avec qui il veut à condition de ne pas se faire voir et les couples officiels ne tiennent que lors des salons et réceptions régulièrement offerts aux autres.

C’est ainsi que Gilles le dépressif est envoyé auprès de sa sœur du Limousin par Jean son ami, afin qu’il se refasse, au calme et avec une bonne nourriture. C’est moins le retour au cocon familial qui va le guérir que la rencontre de Nathalie, épouse d’un magistrat du lieu. D’un regard, elle sait que c’est LUI ; et lui sait que c’est ELLE. Le coup de foudre mythique (dont Sagan se moque un brin, vue la fin) : ils sont faits l’un pour l’autre et fusionnent en un tourbillon de passion qui va elle la faire divorcer et lui quitter sa tendre Eloïse.

Ils rient pour rien, s’exclament des mêmes choses, baisent à n’en plus pouvoir. Il doit rentrer à Paris où le poste de directeur refusé au collègue plus mûr mais pris la main dans la culotte de l’éphèbe lui est donné ; elle monte à la capitale pour le voir et le revoir encore, déjà séparé de son mari Pierre, emménageant avec lui.

Et puis… C’est la tragédie facile des fins de romans de Sagan, depuis son premier. Tout ce qui semblait s’emboîter parfaitement se déboite, Gilles n’est pas fait pour la routine, la vie de couple, le ronron de la tendresse. Il lui faut la passion et la liberté en même temps – ce qui est incompatible. Lorsque Nathalie s’en aperçoit en surprenant une conversation de Gilles avec Jean, elle ne le supporte pas. Le superficiel l’a emporté.

Un livre qu’on consomme et qu’on jette, ainsi écrit Sagan. Un thème simple, pas plus de deux cents pages, du rêve alcoolisé et transgressif, de la passion inutile, une fin tragique. Mais nous ne sommes plus dans les années soixante, pas sûr que la sauce prenne encore.

Françoise Sagan, Un peu de soleil dans l’eau froide, 1969, Livre de poche 2011, 256 pages, €7.70 e-book Kindle €5.99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Valentins

Petits couples, grands couples, la saint Valentin est un hymne à l’amour, au désir, au printemps.

Après Peynet, la mode.

Dans l’Antiquité Télémaque et Eucharis par Jean-Louis David

.

Jolan, 14 ans, le fils de Thorgal, et Aaricia.

Just married dans la cucuterie yankee.

Sébastien 11 ans parmi les hommes – et les filles.

Catégories : Société | Étiquettes : , , ,

Retour à San Cristobal

Le bus Chevrolet, au moteur V8, finit quand même par crever l’un de ses pneus sur les caillasses aigües de la piste. C’est l’occasion pour Thomas, Christophe et moi, de tester les trois VTT pour rejoindre la ville par la piste – en descente – puis la route – vallonnée. Nous parcourons près de 20 km jusqu’à San Cristobal. Mon VTT a le cadre trop bas pour mes jambes et je l’ai réglé au maximum de sa hauteur. Aussi, le bus me rattrape-t-il dans la dernière côte où je suis à la traîne. Le sous-gonflage peut être utile sur la piste en raison des cailloux mais adhère trop sur le bitume de la route et oblige à peiner un peu plus. Christophe et Thomas continuent, ils n’ont plus que de la descente. Ignorant ce détail, je remonte dans le bus pour aller jusqu’à l’hôtel. Je ne regrette pas cette parenthèse en VTT. Cet engin de plain pied change les relations avec les gens. Nous sommes à leur niveau, sans vitre de séparation ni moteur agressif, nous ne leur faisons pas peur comme lorsque nous sommes enfermés dans une grosse machine et ils n’hésitent pas à nous adresser la parole.

L’hôtel de San Cristobal est l’annexe de celui de l’aller. Il n’a pas un aussi joli patio qu’El Rincon (qui accueille un groupe de 50 personnes ce soir) mais il est placé plus près du centre-ville, à l’enseigne de Don Quijote. Le reste de l’après-midi est libre pour visiter la ville à nouveau, écrire ou téléphoner, effectuer nos achats. Il est déjà 17h et la nuit tombe vite pour les photos. A 17h45, la lumière devient insuffisante, à 18h il fait carrément nuit.

Je retrouve sans peine le Zocalo et j’en profite pour revisiter, seul et à fond, l’église et les chapelles. Le temple saint Nicolas, accolé au chevet de la cathédrale, a été construit en 1613 et sa façade est flanquée de deux tourelles de style mujédar. Le Mozarabe est le chrétien de culture arabe, le Mujédar est le musulman converti au christianisme.

Alphonse X le sage est le modèle des souverains d’Espagne qui a permis la cohabitation entre les trois types de population. Rodrigue de Bivar, dit le Cid, vient de l’arabe sidi qui signifie seigneur. Il y a eu acculturation entre les trois civilisations chrétienne, juive et musulmane dans l’Espagne médiévale qui explique la « réaction » intégriste du catholicisme espagnol, une fois réussie la Reconquista. A trop s’acculturer, on ne sait plus qui l’on est.

Une famille locale est en visite. L’adolescent de douze ans, très petit mâle déjà, vêtu d’une chemise chic, est chargé de prendre les photos souvenirs pour le couple et la sœur. Il les fait poser devant la façade de la cathédrale au soleil couchant, devant les saints.

Je photographie pour ma part des couples d’amoureux, des femmes, des enfants, des policiers en tenue. Les amoureux dans le parc sont jeunes et isolés du reste de l’univers comme partout. « Je prévois un homme-soleil et une femme-lune, lui libre de son pouvoir, elle libre de son esclavage, et des amours implacables rayant l’espace noir. Tout doit céder à ces aigles incandescents. » Le prix Nobel de Littérature 1990 Octavio Paz, parle si bien des amoureux dans Liberté sur parole (p.113).

Une campagne pour le port de la ceinture de sécurité en voiture mobilise des jeunes volontaires de la Croix Rouge. Je prends en photo un cire-bottes (« limpiabotas ») et son client, des journaux à l’étal, anciens, évoquant la révolte du Chiapas. Je me fonds dans la ville et parviens à me faire oublier, seule façon d’être photographe selon la leçon des maîtres.

J’entre au supermarché afin d’acheter une babiole pour faire de la monnaie et rendre ainsi à qui je dois. Je tente une bouteille de « brandy » de marque « Don Pedro » de 40 cl. Je le goûte une fois revenu à l’hôtel avec un sachet de tacos secs pimentés. Il s’agit d’un rhum doux, presque liquoreux, titrant 38°. Le supermarché propose aussi toute une série de sauces de piment du plus doux (bouteille verte) à l’extra-fort (bouteille orange) en passant par le fort habituel (bouteille rouge).

A l’hôtel, je me plonge dans un livre pour attendre 20h, l’heure du rendez-vous pour le dîner. Le restaurant s’ouvre en face de la « Casa del Jade » et appartient, comme de juste, au beau-frère d’Herberto ! Nous y retrouvons Freddy buvant une bière. Comme ce repas est à notre charge, chacun choisit selon son goût. Ce sera une grillade et une salade pour moi, et nous partageons à trois une bouteille de vin rouge Califia. Les prix sont devenus « touristiques », l’ensemble coûtant 200 pesos.

Thomas ne veut pas terminer la soirée comme cela et propose d’aller « boire un verre » dans un bar à musique non loin de là. Nous ne sommes que trois à l’y suivre pour une demi-heure. Marie-Abel et Thomas tentent une piñacolada, Gilles et moi restons à la bière. Nous parlons de choses et d’autres mais l’on s’entend peu avec la musique forte. La clientèle est peu touristique, surtout composée de jeunesse locale venus s’évader du quotidien.

Catégories : Mexique, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Sophie Chauveau, Fragonard

sophie-chauveau-fragonard

Ceux de ma génération se souviennent-ils d’une forte exposition au Grand Palais, en 1988 ? Voir une peinture reproduite dans le manuel de littérature Lagarde & Michard n’incitait pas à aller plus loin ; voir toutes ces œuvres exposées en un même lieu et mises en scène par la lumière était autre chose ! C’était un univers : légèreté, galanterie, jubilation… Frago, de son nom d’état-civil Jean-Honoré Fragonard, nait à Grasse en 1732 sous Louis XV, dans un milieu d’artisans et commerçants gantiers. Il meurt en 1806 sous Napoléon 1er, patriarche et peintre reconnu, créateur du musée du Louvre. Il a vécu entre deux mondes et s’est fait tout seul.

Deux mondes car il quitte la côte d’Azur à 6 ans parce que son père a naïvement cru un couple de jeunes escrocs qui lui ont fait miroiter un investissement rentable dans « le progrès ». Ses parents montent à Paris avec lui pour tenter de regagner la perte. Des lumières, des couleurs et des odeurs du sud, l’enfant restera à jamais nostalgique, au point d’en déprimer et de s’anémier à 13 ans. On le renvoie pour six mois à Grasse, où il assiste à la naissance de sa femme… Ce sera bien sûr pour plus tard, mais il reste très attaché à la famille, aux femmes, aux enfants. Même s’il se méfie des Grassois, trop volontiers inquisiteurs de la communauté, il restera Grassois.

fragonard-italie

Deux mondes car il connait l’acmé de l’Ancien régime sous Louis XV, le moralisme du roi bigot Louis XVI qui finira sous le rasoir républicain à 38 ans, les bouleversements iniques de la Révolution où l’on massacre ou viole sur simple soupçon, et la nouvelle pruderie bourgeoise de l’ordre moral sous l’empire.

fragonard-enfants

Deux mondes car il nait peuple et devient l’un des grands de sa profession et de son art, bâtissant sa réputation de ses propres mains. Sans jamais lécher de bottes, il a toujours su se faire aimer de ses maîtres Boucher, Chardin, Natoire, et s’entourer d’amis chers comme Hubert Robert, l’abbé de Saint-Non, Jacques-Louis David.

fragonard-le-modele

Deux mondes car il est mâle et aime par-dessus tout le monde des femmes ; il en a plaisir, il les consomme à loisir, il séduit. Qui les a peintes mieux que lui, dans tous leurs atours, physique et fanfreluches ? Vierge nue qui s’évanouit, belle gentiment forcée par un galant, privilégiée qui s’amuse au jardin sur une balançoire, jeune fille modèle dont la mère dévoile les seins au peintre qui veut la faire poser, mère mignotant un petit ou deux, adolescente jouant sur son lit cul nu avec son chien, petite fille se faisant voler un baiser par son garnement de voisin… « Il s’y entend à déshabiller les femmes, les filles, les faciles comme les austères, les bourgeoises comme les ouvrières, les fermières… » p.209.

fragonard-la_lutte_inutile

Son existence, son siècle et son talent ont fait de Fragonard le peintre du bonheur. Celui d’une époque galante et sans préjugés sur le plaisir, celui des Lumières naissantes, celui des émois et des élans du romantisme qui pointait tout juste. Il a le « libertinage léger, brossé de couleurs délicates, et d’un pinceau trop rapide pour s’appesantir. Il suggère avec esprit sans charger jamais » p.209.

fragonard-baiser

Son jaune de lumière est resté célèbre, ses traits vifs de pinceau également. Il brosse un portrait en moins d’une heure, directement à l’huile, et son Diderot donne une impression de dynamisme, malgré le moralisme du philosophe sur sa fin. Fragonard aime les gens, les bêtes et les enfants. Son atelier au Louvre en est rempli.

fragonard-diderot

Être entouré d’affection, épouse, famille et amis ; bien baiser, si possible avec les jeunesses et à deux ou trois couples qui s’échangent les corps (p.127) ; peindre et toujours peindre pour exprimer et décrire, pour dire la joie de vivre et le bonheur d’exister – Fragonard est le parfait exemple de l’être humain équilibré selon Wilhelm Reich : qui baise bien va tout bien.

fragonard-jeune-fille-et-son-chien

Certes, si l’auteur ne dit pas à quel âge ce Frago fut déniaisé, gageons que cela fut fort tôt et avec suffisamment de douceur et de plaisir pour qu’il en garde sa vie entière une empreinte bénéfique. Certes, sa vie ne fut jamais facile, n’ayant pas de fortune, sa mère s’échinant à Paris au travail, son père étant un incapable, et sa formation devant passer par les étapes obligées de l’atelier, du concours, de l’Académie et du séjour à Rome. Certes, il est tombé désespérément amoureux d’une putain de haut vol qui lui a commandé quatre tableaux qu’elle ne lui a jamais payés, sauf à baiser une fois entre deux portes avec lui. Certes, il a épousé sa cousine par amour et lui a fait une fille mais n’a pas hésité à se laisser baiser par sa belle-sœur pour lui faire un garçon. Sa fille est morte dépressive à 15 ans et son garçon, trop gâté, lui a toujours voulu du mensonge de sa naissance.

fragonard-enfant-au-beret-vert-1770-1790

Mais le peintre comme l’homme ont traversé tout cela. Parce qu’il était bien dans sa peau, le talent dans le regard et les mains, « peintre de l’harmonie » disait Diderot (p.157). Il a regardé la vie avec optimisme et les gens avec bienveillance. Il est l’un des derniers grands de la peinture classique et c’est un bonheur non seulement de lire ce bonheur de peindre, mais aussi de lire ce livre et de revoir ses œuvres. Certes, Sophie Chauveau se perd parfois dans les détails et saute quelques transitions, mais le sujet était un ogre difficile à embrasser.

Sophie Chauveau, Fragonard – l’invention du bonheur, 2011, Folio 2013, 531 pages, €8.20

Les livres de Sophie Chauveau déjà chroniqués sur ce blog

fragonard-le-berceau

Catégories : Art, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Kiev Saint-André et Sainte-Sophie

Nous ressortons de la place Saint-Michel pour longer le Ministère des Affaires Étrangères et descendre la rue Desiatyna vers la vieille église de Saint-André, perchée sur sa terrasse. Quatre clochetons à bulbe entourent le dôme central, tels les minarets musulmans. Elle fut bâtie par Bartolomeo Rastrelli au milieu du 18ème siècle, après une visite de la fille de Pierre-le-Grand, Élisabeth, sur le site où l’apôtre André prêcha l’Évangile et érigea une croix. Nous sommes au cœur du vieux Kiev, dans une rue musée où les platanes ombragent des façades presque allemandes, assoupies dans un calme d’Europe centrale. Des étals de « souvenirs » touristiques proposent matriochkas, boîtes en papier mâché et laquées des principales Écoles russes, tee-shirts en cyrillique, la plupart en russe d’ailleurs, et autres babioles.

kiev ministere affaires etrangeres

L’heure étant venue d’aller déjeuner, Natacha nous emmène au self, à l’enseigne « Aux deux oies », qui nous assure un choix de plats typiques pour moins de 30 hryvnias (prononcez grivnia). Le nombre de jeunes serveurs et serveuses est impressionnant : les « petits boulots » semblent ne pas manquer à qui veut travailler ! Ces étudiants, en uniforme à la mode américaine, sont avenants et plutôt curieux de rencontrer des étrangers. Nous y déjeunons à notre gré de plats populaires locaux : une salade de pommes de terre et malassols (ces gros cornichons conservés au sel), une autre de concombre et aneth à la crème aigre, une assiette de légumes cuits comprenant courgette, aubergine, chou et navet, un filet de poisson grillé, diverses crèmes et parts de tartes. Il y a aussi du riz et quelques viandes, un choix plus large que dans certains selfs de chez nous.

kiev hetman Bogdan Tchielnitski tombe

Sur Volodymyrska s’ouvre, au bout d’une place, la cathédrale Sainte-Sophie. Devant elle gît Bogdan Tchielnitski dans sa tombe, Hetman de l’Ukraine (1593-1657), restaurateur et héros de l’État ukrainien. La tombe en photo ci-dessus est celle de Volodymyr Romaniuk (1925-1995) – comme il est écrit dessus en cyrillique. Ce personnage au goulag des années sous le régime soviétique, émigré au Canada, revint en Ukraine pour y mourir officiellement d’une crise cardiaque. Devant le refus des autorités religieuses de l’enterrer à Sainte-Sophie, plusieurs morts et une dizaine de blessés sur la place parce que Volodymyr était populaire, le compromis fut de mettre sa tombe sur la place devant Sainte-Sophie. [Merci à Joseph T. de ces précisions]. La photo de l’hetman Bogdan est celle de la statue en bronze à cheval plus bas.

La cathédrale a été élevée de 1017 à 1037 par Iaroslav-le-Sage sur le modèle de son homonyme de Byzance. Première bibliothèque de Russie, première école, place du couronnement des premiers tsars, cryptes des rois morts, cette cathédrale originelle du royaume de Russie est appelée à juste titre la « Mère de toutes les églises russes », c’est dire si les liens historiques ont été étroits entre l’Ukraine et l’ex-Grand Frère. La cathédrale a la rare particularité d’être plus large que longue, et pyramidale. Elle se compose de cinq nefs et de cinq absides, ce qui est inhabituel dans l’architecture byzantine. Elle est entourée sur trois côtés de galeries à deux étages et est dominée par un beffroi à bulbe doré surmonté de treize coupoles symbolisant le Christ et ses douze apôtres. La cathédrale a été la nécropole des premiers souverains de la Rus de Kiev, notamment Vladimir II Monomaque, Vsevolod Ier et son fondateur Iaroslav-le-Sage, dont la tombe est la seule qui ait survécu.

kiev eglise saint andre

Autour d’elle s’élèvent des bâtiments pas aussi anciens, du 14ème au 18ème siècle, de même que le clocher haut de 78 m. Les visiteurs entrent sur un plancher d’acier pour protéger la pierre antique. Un panneau de verre permet d’en voir les restes. Dans l’escalier qui mène à l’étage se voient de petits trous aménagés par l’architecte. Ils contiennent des pots en terre cuite pour assurer un système d’amplification des sons. D’en haut, les voix des officiants sont particulièrement claires. Fresques et mosaïques du 11ème siècle sont émouvantes en ce qu’elles témoignent de l’avancée de la civilisation gréco-romaine en ces contrées lointaines. Ces mosaïques, en 180 nuances de couleurs, représentent la Vierge et les Apôtres. Au plus haut intérieur, sous la voûte de la coupole centrale, trône le Christ Pantocrator, Maître du monde.

kiev eglise
Aucune photo n’est autorisée dans les églises orthodoxes d’Ukraine : une icône ne se reproduit pas, elle est le geste inspiré d’un artiste, intermédiaire entre le divin et l’ici-bas. Un escadron de matrones et de vieux gardiens veille pour empêcher tout manquement à cette interdiction. Ce contrôle incessant d’adjudant est fatigant mais l’emploi qu’il promeut oblige à la discipline. Nous sommes dans le monde des années 50, celui que certains regrettent de nos jours, « réacs » ou « souverainistes ». Une visite en Ukraine permettra aux nostalgiques de retrouver l’expérience in vivo.

kiev statue 1888

L’une des fresques représente les filles de Iaroslav-le-Sage, dont Anne, reine de France (1051) et régente au nom de son fils Philippe 1er. Après la Révolution russe de 1917 et la campagne de persécution religieuse des années 1920, le gouvernement planifia la destruction de la cathédrale et sa transformation en parc dédié aux « Héros de Perekop » (une victoire de guerre civile). La cathédrale fut préservée grâce aux efforts de scientifiques et d’historiens. Néanmoins, en 1934, le gouvernement confisqua le bâtiment pour en faire un musée avant de la rendre au culte à la fin des années 1980, « par roulement » selon les confessions.

kiev cafe

Nous prenons une bière à la terrasse ombragée d’un café ouvert sur une petite place avec fontaine. Nous ne sommes pas les seuls, les gens du cru badaudent comme en Italie. Un petit garçon de 3 ans joue avec les jets de la fontaine. Il en finit par mouiller son léger débardeur et revient vers sa mère, déconcerté. Celle-ci lui ôte et le laisse peau nue pendant que le vêtement sèche. Durant ce temps, elle fait goûter au garçonnet une demi-gorgée de sa bière Corona, toute dorée dans son haut verre tulipe, une première habitude sociale à cet alcool qui fait des ravages dans les populations slaves. Autour de nous, un couple de moins de vingt ans est isolé dans sa bulle, le garçon a l’air vraiment juvénile. Deux matrones épaisses, boudinées et mal attifées, issues tout droit de l’ère soviétique, échangent les derniers potins sur les voisines.

kiev biere et gamin debardeur

Poursuivant l’avenue, nous parvenons aux Portes d’Or, autre monument du 11ème siècle signalé dans les chroniques européennes comme porte d’entrée de la ville jusque vers le 17ème siècle. Détruite en 1240 lors des incursions tatares, elle a été rebâtie à l’identique en 1982, à l’occasion du 1000ème anniversaire de Kiev.

kiev clocher

L’Université de Saint-Vladimir a été fondée en 1835 et fut dotée dès l’origine de laboratoires, de cliniques, de collections diverses (médailles, antiquités préhistoriques, zoologie, minéralogie) et d’une riche bibliothèque. Dans le même quartier ont été construits les observatoires météorologique et astronomique, l’amphithéâtre d’anatomie et l’école de chimie. Le 19ème siècle a été, ici aussi, le temps de l’exploration de la nature et d’émerveillement pour la technique, dont il reste cet optimisme industrieux propre aux pays slaves. Face à l’université et à son vaste jardin botanique s’élève la cathédrale Saint-Vladimir. Elle fut érigée avec sept coupoles pour le 900ème anniversaire de la christianisation de l’Ukraine, entre 1862 et 1896. Nous n’entrons pas voir l’intérieur bien que ses murs soient couverts de peintures des artistes russes les plus connus du temps.

Catégories : Ukraine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Arnaldur Indridason, La muraille de lave

arnaldur indridasson la muraille de lave

Le commissaire Erlendur est en vacances, sur les traces de son enfance dans les fjords de l’est. L’un de ses adjoints au curieux prénom composé, Sigurdur Oli (prononcez le ‘u’ comme un ‘ou’), se colle aux enquêtes. Il surveille le journal d’une vieille, amie de sa mère, volé chaque matin dans sa boite ; il surveille le clochard Andrès, ex-petit garçon violé systématiquement par son beau-père ; il surveille Lina, comptable échangiste envolée, un brin tentée par le chantage. C’est la routine.

C’est aussi le quotidien déprimé d’une Islande où le ciel est trop souvent bas, les gens trop souvent bornés, élevés trop souvent par des couples à la dérive. Les mères divorcent, se prostituent, picolent ; elles laissent faire les hommes violents, taiseux et ivrognes ; les rares qui ont fait quelques études s’empressent d’appliquer les méthodes de voyous apprises à l’école primaire dans la finance internationale. Il était étonnant qu’Indridason, auteur sociologique de l’Islande, n’ait pas encore abordé le sujet : voilà qui est fait !

La « muraille de lave » est à la fois la falaise que bat l’océan et qu’il ne faut arpenter qu’avec précaution, surtout lors de tempêtes imprévisibles, mais aussi la façade de la plus grande banque du pays, tout aussi dangereuse et soumise au climat imprévisible des capitaux, malgré son air de luxe policé. La spéculation sur les comptes en devises bat son plein ; de quoi s’en mettre plein les poches pour pas cher. Tout le monde vit à crédit, pourquoi pas vous ? Avant la crise, le délire. Depuis, bien sûr, tout a changé… mais il faudra attendre les romans suivants d’Indridason pour en avoir l’écho.

La psychologie est comme d’habitude creusée et polie, le lecteur voit vivre les gens, un peu isolés dans ce quasi désert très au nord de l’Europe. Le Brennivin (brandevin, alcool local fort), la baise, les épices de l’échangisme, de la pornographie et de la pédophilie, font passer le temps et compensent le soleil trop rare. Connaissant l’Islande, je suis étonné de l’obsession de l’auteur pour la pédophilie : le phénomène y serait-il particulièrement fort, plus qu’ailleurs ? Ou Indridason se défoule-t-il d’une expérience personnelle aux lourds souvenirs ?

Il fait de son pays une peinture un brin poétique, mais désabusée et noire. Familles déstructurées, morale qui se délite, laisser-aller social. Il n’y a pas que dans la finance que les requins attrapent toute proie à portée : les « encaisseurs » aussi pour récupérer l’argent de la drogue, les maîtres-chanteurs aussi pour monnayer des photos porno, les machos aussi pour violer et faire taire les petits garçons, les gens-comme-vous-et-moi aussi pour châtier les violents que la justice relâche trop facilement en leur trouvant des excuses. Indridason accuse l’époque de chacun pour soi, accuse le pays de compenser la déprime par la violence gratuite, ses compatriotes de ne penser qu’à eux et rarement aux autres. Lui les regarde et les peint, pour le meilleur et pour le pire.

arnaldur indridasson maitre du polar

Même le froid Sigurdur Oli, qui méprise les petits malfrats (trouillards quand ils ne sont pas en bande ou sous l’emprise de substances illicites), remet en question sa mère, son couple, ses amis et sa façon de voir. Le visage d’un gamin l’a touché. Un gamin des années 1990 sur un bout de pellicule de film, tout nu et suppliant. Alors quand les Vikings de la finance rencontrent les pornographes violeurs d’enfants, il ne fait pas de quartier. Et Dieu « fit tomber sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu » (Genèse XVIII, 19). Dans un pays luthérien, rien d’étonnant à ce qu’un auteur de polar contemporain reprenne le symbolisme biblique.

Arnaldur Indridason, La muraille de lave, 2009, Points policier 2013, 402 pages, €7.51

Les romans policiers d’Arnaldur Indridason sur ce blog

L’Islande sur ce blog

Catégories : Islande, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Yasunari Kawabata, La danseuse d’Izu

Il y a l’avant-guerre et l’après-guerre, la jeunesse et l’âge mûr, mais ces cinq nouvelles parlent toujours d’homme et de femme, et d’amour impossible. La nature donne l’exemple des saisons qui passent, des éléments qui se déchaînent, de la lune qui se mire et disparaît. Dureté du roc et voiles de brume, le style de Kawabata est un paysage du Japon, élégant et cruel.

yasunari kawabata la danseuse d izu

La danseuse d’Izu est une adolescente qui suit sa famille de baladins errants d’auberge en auberge de montagne. Elle est jeune, belle, innocente ; et pourtant s’offre en spectacle, vend son corps en mouvement, récolte de l’argent. Elle ensorcelle mais ne se donne pas, encore fille et toujours rêve. Pour Kawabata à 20 ans, frustré de mère trop jeune, la femme est ce mystère, appel érotique et angoisse de dégradation, pureté de fleur et anticipation du fruit mûr.

Lycéen mélancolique dans la première nouvelle, il marche avec la jeune fille et parle avec son frère. Jeune fille morte il dit le bouddhisme pour qui tous les esprits s’unissent après la vie dans la seconde nouvelle, ce don d’aimer que l’on prend dans l’existence si l’on est vertueux. Célibataire dans la trentaine, il tente l’amour avec les bêtes, élevage de chiens et d’oiseaux, mais ne peut les garder dans la troisième nouvelle, car la nature n’est pas la cage ou la maison. Soldat de retour de la guerre, après la défaite et l’occupation dans la quatrième nouvelle, le narrateur mûr retrouve une femme qu’il a aimée avant, bien que marié, et l’emmène baiser dans les ruines de Tokyo en retrouvailles – sans savoir de quoi demain sera fait pour tous les deux. L’ultime nouvelle voit le narrateur malade, n’ayant vue du monde que par un miroir de poche que sa femme lui a donné afin qu’il regarde le potager, le jardin, les enfants qui jouent – et son visage aussi, qui se dégrade.

La réalité n’est-elle pas plus belle dans le souvenir qu’elle nous laisse ? L’au-delà ne nous fait-il pas aimer plus encore l’ici-bas ? Les couples d’oiseaux ne nous montrent-ils pas l’exemple de l’amour accompli jusqu’à la mort entre mâle et femelle ? Les destructions de la guerre ne remettent-elles pas les valeurs de vie à l’endroit ? Le monde n’est-il pas plus brillant vu dans un miroir ? Ce sont toutes ces questions qu’agitent imperceptiblement ces nouvelles. Légèreté des amours défuntes ou ratées, silences malheureux, émotions incommunicables, désirs impossibles… Pas de joie sans tristesse, pas de lumière sans ombre, pas de vie sans la mort.

Et la nature, toujours, en fond de décor, écrite au scalpel d’une plume directe : « Vers le soir, une pluie violente se mit à tomber. Le paysage de montagne, blanchi par l’averse, perdait toute profondeur. La rivière qui coulait devant l’auberge, devenue trouble et jaune en un instant, grondait fort » p.14. Dans cet écrin, les corps apparaissent comme éléments de la nature, brins de vie comme des arbres ou des bêtes. « Puis aussitôt je vis une femme nue sortir en courant de la salle de bain sombre ». Dans les auberges traditionnelles japonaises, les bains publics sont à l’extérieur, bordés d’une véranda de bois. « Elle n’avait même pas une serviette sur elle. C’était la danseuse. A la vue de ce corps blanc, de ces jambes sveltes comme de jeunes paulownias, je sentis de l’eau fraîche couler dans mon cœur et, poussant un profond soupir, soulagé, je souris paisiblement. Elle n’était encore qu’une enfant. Enfant au point que, tout à la joie de nous apercevoir, elle sortit nue sous le soleil et se haussa sur la pointe des pieds. Mon sourire s’attarda longtemps sur mes lèvres, une joie claire m’emplissait ; j’en eus la tête comme nettoyée » p.16. Il lui croyait 17 ans, la danseuse n’en a que 14 : impossible érotisme.

Raffinement et désespérance, le bonheur est avidement recherché mais s’en va aussitôt. Tout est vain parce que tout est éphémère ou décalé. Seule la mémoire, révélée par l’écriture, sauve l’existence de ce qu’elle a de fugace.

Yasunari Kawabata, La danseuse d’Izu (5 nouvelles), 1926-1953, Livre de poche 1984, 124 pages, €4.37

Catégories : Japon, Livres, Yasunari Kawabata | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Yvette Jaget, Le dernier voyage connu de Tom Bradford – tome 2

Dommage, ce second tome est moins réussi que le premier (chroniqué ici). Les héros poursuivent leur vie, mais au sens propre : sans cesse au galop, entre avions, mails, adresses et téléphones. Ils ne sont jamais présents. D’ailleurs les époques se mêlent, je vous laisse découvrir pourquoi. A mon avis, la première partie de ce tome est à éliminer – entièrement et sans aucun état d’âme. Elle ne fait en rien avancer l’histoire, s’étend en maelström où le seul mot que l’on retient est « partir ». Et le lecteur a foutrement envie de le faire avant la fin…

Yvette Jaget Le dernier voyage connu de tom bradford 2Les deux autres parties s’éveillent in extremis. Le lecteur sort du tournis et commence à reprendre le fil de l’histoire, pourtant fort bien abordée dans un premier tome nettement mieux réussi. Nous retrouvons le double duo de Matt et Tom, de Simon et Teddy. Ce sont des couples de garçons qui s’aiment, très tendance. Il y a aussi deux filles, Diane et Isabelle, mais elles font de la figuration. Tous sont centrés sur Tom. Il prend plusieurs figures : Thomas Le Guen, Tom Parsons, Tom Bradford, Tom Backer. Est-ce bien le même ? Il a toujours l’air « d’avoir quinze ans » (scie qui revient en leitmotiv depuis le premier tome).

Tom est beau, éternellement jeune, égoïste, séducteur. Il prend toutes les formes et n’a jamais aucun souci d’argent. Ne voyez-vous pas qui je veux dire ? – C’est la parfaite définition du Diable ! Sauf qu’il ne garde pas sa queue dans sa poche, comme dans les fabliaux du moyen-âge. Devinez-vous où l’auteur vous conduit ? Presque… et puis non : Tom meurt page 112, suivi bientôt de Matt, son amant depuis l’âge de 13 ou 14 ans, page 123. Euh… son amant dans une autre vie, car c’est interdit aujourd’hui, un « inspecteur fou » de la police des Mœurs à Paris le fait bien comprendre aux lecteurs bornés et, peut-être, agit comme Surmoi à l’inconscient de l’auteur.

Et puis Tom réapparaît page 145, mais page 187 il n’a plus que 15 ans à nouveau… Ce qui fait ressurgir un Matt de 16 ans page 195. Dès lors, la psychologie des êtres disparaît complètement dans le tourbillon des voyages, la rotation des avions, les séjours à Paris, Londres, New York ou Toronto « pour vérifier quelque chose ». Bravo pour la planète ! Aucune profondeur des âmes et un zapping fébrile permanent où le décor est indifférent. Pour quoi faire ? On le comprend à peine. C’est vaguement révélé sur la fin, mais sans que cela enthousiasme le lecteur. Nous ne sommes ni dans la terreur, ni chez les vampires, ni dans la réalité fantasmée. C’est « déjà suffisamment incompréhensible sans entrer dans les détails », avoue ingénument une fille page 129. On la croit volontiers.

« Tom revit sans fin une histoire d’amour qu’il n’a pas pu connaître », p.257. Et si c’était le fin mot de l’énigme ? Dommage qu’elle ait fort tiré en longueur… L’éditeur n’a manifestement pas fait son travail de conseil et d’élagage, l’éditeur est là pour imprimer et diffuser, pas plus – c’est dommage ! Car souvenez-vous de Murakami : « L’opération suivante consistait à supprimer de la nouvelle version les ‘passages non indispensables’. » La réduction (comme en cuisine) peut aller jusqu’à 70% du nouveau texte ! Un bon conseil aux auteurs novices un peu présomptueux. Seule l’écriture, fluide et sans aucune faute hors des tics de vocabulaire d’époque, fait rester fidèle.

Yvette Jaget, Le dernier voyage connu de Tom Bradford – tome 2 : Une nouvelle clé tourna dans la serrure, 4ème trimestre 2012, éditions Baudelaire, 377 pages, €20.90

Chronique du tome 1 sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse

Il est difficile aujourd’hui de lire ‘Julie ou la nouvelle Héloïse’. Deux siècles et demi nous séparent, mais surtout les mœurs. Écrit sous l’Ancien régime patriarcal et chrétien, où la femme était serve de son père puis de son mari selon l’ordre voulu par Dieu et par le roi, ce roman épistolaire en 6 parties et 163 lettres est incongru à notre époque d’émancipation de la femme et d’égalité des droits. Comment imaginer que deux amants qui se plaisent résistent six ans avant de baiser une fois (le coup du bosquet ne compte pas), puis obéissent aux injonctions des adultes avant de ne se revoir que six autres années après. Toujours amoureux mais assagis, les sens apaisés par « la vertu », le sentiment sublimé en platonique ? Et – pire – ils établissent un ménage à trois, bientôt à quatre avec la cousine, puis à cinq avec le père repenti ! Qui aurait encore envie d’avaler les 1935 pages en six volumes de l’édition originale à l’ère du livre de poche ? les lettres de trente pages au temps des Short Message Service (SMS) et des 140 signes de Twitter ? de suivre une agonie qui dure 37 pages en édition Pléiade ? et où l’agonisante à l’article de la mort ne répugne pas à écrire encore 4 pleines pages à son ancien amant ?

Il reste que ‘La nouvelle Héloïse’ a été un grand succès de son temps, a révolutionné la littérature en rendant compte de l’évolution des mœurs, et demeure un idéal de vie élevée, retirée et amicale. Difficile à croire, d’autant que Rousseau, dans sa préface, énonce par précaution que ce recueil de lettres (qu’il fait passer pour réelles) « convient à très peu de lecteurs ». C’était sans compter sur l’engouement du siècle pour l’histoire d’Héloïse et d’Abélard, réécrite par Bussy-Rabutin, dont le tombeau est élevé au Père-Lachaise. Abélard est un jeune homme, précepteur d’une jolie demoiselle de 18 ans, dont il tombe amoureux. Mais la ressemblance s’arrête là : Rousseau trouve qu’Abélard est « un misérable » parce que ses sens l’aveuglent et qu’il adore la ville et la société. Tout le contraire de son héros pour qui le mariage est au fond un obstacle à la vie spirituelle, la seule qui vaille, et qui ne s’épanouit qu’à la campagne où l’on peut vivre de la nature, retiré des vanités.

Ce n’est pas par hasard que le jeune homme de Rousseau n’a pas de nom. Julie lui donnera un pseudo vers le tiers du roman, Saint-Preux, mais le lecteur ne connaîtra ni son vrai nom (roturier), ni son prénom ! Il est du monde enchanté dont rêvait Jean-Jacques, inspiré de Pétrarque. Double de lui-même en mieux, timide, romanesque, sensuellement panthéiste, mais jeune et beau, désiré de toutes les femmes et ami de tous les hommes qui le connaissent. Rousseau a fort peu « possédé » mais « joui beaucoup » par l’imagination, avoue-t-il dans ‘Les confessions’. « Mon cœur trop tendre a besoin d’amour, dit Julie-Rousseau, mais mes sens n’ont aucun besoin d’amant » p.51. Il associe le modèle chrétien (saint) au modèle chevaleresque (preux), sur l’exemple italien. Pays de la passion, des sentiments « vrais » et de l’exaltation musicale, l’Italie fait office de paradis pour un Rousseau brimé et rabaissé par la société de cour française, pour lui pays d’hypocrisie et de la vanité. Passion ou vertu ? Rousseau sublime l’une par l’autre, il a des pages acerbes sur la légèreté parisienne, sur les têtes de linottes qui jouent aux philosophes, sur la mode qui trotte et sur les cruautés envers ceux qui ne sont pas dans l’air du temps. Il méprisait les salons littéraires, il aurait détesté Facebook, il vilipendait l’affectation de moralisme qui en rajoute en paroles pour masquer l’indigence des actes concrets.

Rousseau est larmoyant, ses lettres sont souvent trop longues, les sentiments décrits vont à l’excès. Un exemple : « Cette subite apparition, cette chute, la joie, le trouble, saisirent Julie à tel point, que s’étant levée en étendant les bras avec un cri très aigu, elle se laissa retomber et se trouva mal. Claire voulant relever sa fille, voit pâlir son amie, elle hésite, elle ne sait à laquelle courir. Enfin, me voyant relever Henriette, elle s’élance pour secourir Julie défaillante, et tombe sur elle dans le même état… » (je vous passe la suite !) p.599. Comment comprendre ces comportements cyclothymiques qui alternent l’exaltation la plus haute au plus profond désespoir ? Faut-il sans arrêt invoquer les dieux et faire intervenir la tempête pour évoquer ce qu’on sent ? Rousseau, critique de la société de cour, sacrifie pourtant bien au théâtre. Sauf qu’il le chante, comme à l’opéra : qu’il écrit bien la langue française classique ! Seule l’orthographe, guère fixée, qu’il manie à sa sauce et que la Pléiade restitue telle quelle, n’arrange pas l’œil qui bute à chaque fois sur tant « d’erreurs ».

Nous avons donc Saint-Preux qui aime Julie mais qui est roturier. Le père, féru d’honneur nobiliaire, ne peut consentir à une telle union et donne sa fille à son meilleur ami Wolmar, noble de Russie qui lui a sauvé la vie à l’armée. Claire la cousine, véritable « sœur » de Julie, s’entremet pour éloigner Saint-Preux via un milord anglais, Édouard, qui va jouer le rôle de protecteur et occuper le jeune homme à ses affaires et jusque dans un tour du monde. Claire se marie à Monsieur d’Orbe, Julie est mariée à Monsieur de Wolmar. Exit l’amour sensuel, désormais impossible. Place à la vertu, faite de nécessité… Amour pur débarrassé des tentations charnelles, amour platonique, chrétien, absolu – secret du bonheur. De quoi exalter Rousseau et la vertu du temps… dont il fait cependant la critique à propos du moralisme de salon : « Mettre la vertu si haut que le sage même n’y put atteindre » p.249 !

Wolmar invite Saint-Preux guéri par l’éloignement aux plaisirs de l’amitié pure entre son ex-amante et lui-même. Il fait société à la campagne, sur les bords champêtres du lac Léman, car pour lui il y a des correspondances entre la nature sauvage et la nature de l’homme. La forêt exalte, la montagne purifie, la campagne apaise – au contraire de la ville qui entasse et inquiète. Suisse, Français, Anglais, Russe et même une italienne entremêlent leurs passions en bonne régulation dans la communauté : deux couples, un veuf, un amant écarté, trois enfants. Nous sommes hors des nations, hors des normes, guidés seulement par la vertu (de tradition depuis la Bible) et la nature (grand « sentiment » en réaction à la contrainte sociale). Les enfants sont à tous, chacun éduque selon son cœur et ses talents, y compris la petite fille de sept ans sur « son petit mali » [mari] de cinq. Nous serions presque dans la promiscuité de mai 68… la pilule en moins.

Dans sa Seconde préface, Rousseau explique l’utilité de son roman : « ramener tout à la nature ; donner aux hommes l’amour d’une vie égale et simple ; les guérir des fantaisies de l’opinion ; leur rendre le goût des vrais plaisirs ; leur faire aimer la solitude et la paix ; les tenir à quelque distance les uns des autres ; et au lieu de les exciter à s’entasser dans les villes, les porter à s’étendre également sur tout le territoire pour le vivifier de toutes parts » p.21. Égalité, écologie, question sociale, hédonisme : tous les thèmes « révolutionnaires » sont contenus dans le propos.

  • Ne pas encourager la vanité envieuse des moins riches envers les très riches ;
  • préférer l’existence naturelle à la campagne, notamment pour éduquer sainement les enfants, et cultiver son jardin pour être autonome en un sain exercice ;
  • vivre à plusieurs en bonne entente sentimentale ;
  • éviter la promiscuité des villes en occupant le territoire – on dirait aujourd’hui déconcentrer les banlieues pour éviter les ghettos…

Il y a de tout chez Rousseau : depuis « la terre ne ment pas » des pétainistes aux aspirations pour le durable et la mesure écologique, en passant par un certain socialisme républicain et à l’hédonisme soixantuitard. « Que le rang se règle par le mérite, et l’union des cœurs par leur choix, voilà le véritable ordre social » p.194.

Mais pas question de se laisser aller : « Chère amie, ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que pour y vivre on a toujours quelque combat à rendre contre soi ? » p.682. Une vie bonne se mérite : elle se construit. Maintenir la mesure en tout, tel doit être la vigilance de la raison : « Vous le savez, il n’y a rien de bien qui n’ait un excès blâmable ; même la dévotion qui tourne en délire » p.685. Une parfaite philosophie pour classe moyenne naissante, que le mouvement démocratique allait promouvoir. Nous y sommes encore, ce qui garde à ce roman, ‘La nouvelle Héloïse’, la grâce d’une certaine actualité.

Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse, 1761, Œuvres complètes t.2, Gallimard Pléiade 1964, 795 pages + 495 pages de notes et variantes sur 2051 pages du volume, €61.75

Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse, 1761, Folio t.1, 1992, édition Henri Coulet, 550 pages, €9.45  t.2, 573 pages, €7.69

Catégories : Jean-Jacques Rousseau, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Paris et ses ponts amoureux

Les amoureux de Paris ont-ils leur pont attitré ? Certes, la pratique du French kiss est universelle et se fait ici où là, dans la rue selon Doisneau, au gré des bancs publics selon Brassens.

Mais le pont est ce qui relie. Il est allégorie du temps qui passe avec l’eau qui coule au-dessous. Le couple traverse cette période incertaine de l’enfance à l’âge adulte et envisage la suite des années… Le pont de Paris est donc symbolique. Mais lequel ?

Peut-être le pont Mirabeau chanté par Verlaine, sous lequel coule la Seine.

Peut-être le pont Alexandre III, ornés d’amours enfantins, éros nus exubérants et gamines dans le même état. Nombre de mariages du quartier viennent sur lui faire les photos par beau temps.

Mais plus sûrement aujourd’hui l’itinéraire obligé des touristes étrangers et provinciaux qui viennent à Paris. Autrement dit la passerelle des Arts qui relie l’Académie française au Louvre, puis le pont de l’Archevêché au cul de Notre-Dame. La preuve ? Plusieurs centaines de cadenas accrochés là, la clé jetée à l’eau, un message très court d’amour éternel entre deux prénoms feutré dessus.

On dit que la coutume vient d’Allemagne, jamais en reste de romantisme. Les couples y agrippent leur amour chancelant au-dessus du Rhin, au pont Hohenzollern. Inévitablement, l’Europe centrale, l’Italie l’ont adoptée. Avant l’Asie et l’Amérique. J’ai vu les premiers cadenas au Japon en 2004, mais je peux attester que Paris en était encore vierge en 2005. Depuis…

Ce sont des milliers de cadenas de toutes formes, de toutes marques et de tout poids qui sont enchaînés aux grilles. Ils disent beaucoup du couple qui les a posés là.

Les plus gros et les plus brillants apparaissent les plus popu. Les plus petits sont les plus mignons, amours timides, pudiques, presque chastes. Il y a les moyens et les frimeurs, les techniques et les gros bruts, les lourdingues et les discrets.

Mais tous alourdissent le pont, fragilisent les rambardes, gaspillent de l’acier et polluent la Seine. Au point que la Mairie les a fait un temps couper à la pince. Plus aujourd’hui, à genoux devant l’art nouveau. Que disent les écolos ? Évidemment rien, toujours branchés les écolos, pas rationnels pour un sou. Car les cadenas sont de l’art, n’est-ce pas ? Comme Jack Lang le disait des tags, jamais en reste de « populisme bobo ».

La mode… Rien de plus que le vent qui passe. L’amour « éternel » ne dure pas toujours. Le plus souvent, lorsque la fièvre sexuelle retombe, c’est le divorce assuré. L’infantilisme égoïste fait qu’on ne s’inscrit plus dans la durée mais pour jouir tout de suite. Les gosses payent les pots cassés, avant de reproduire à leur tour. Le cadenas tente de conjurer le sort, ce qui est risible.

Nul ne peut enchaîner l’amour, ce gamin espiègle qui n’en fait qu’à sa tête et tire ses flèches où il veut. Ne pas confondre le désir, qui peut s’assouvir s’il est partagé au présent, et l’amour, qui exige quand même plus que des serments intenables ou des symboles idiots. Jetez la clé, la pince suffira. Combien de ceintures de chasteté ont été forcées avant le retour des croisades ? Combien d’hymens recousus pour masquer l’écart dans les pays machos ? Combien de Claudia & Andreas verrouillés 2008 sont-ils encore « en couple » en 2012 – comme on dit sur Fesses-book ?

Ils sont la suite des cœurs gravés sur l’arbre, des graffitis au couteau sur les bancs de collège, des tags à la bombe sur les murs. Aussi gentils, aussi infantiles, aussi vains.

Ce n’est pas une tradition de Paris mais une mode venue d’ailleurs. Bonne pour les affaires : le vendeur de cadenas officie à 5€ la chose, comme on vendait des oublies aux temps renaissants. Le désir est marchandise, pas l’amitié ; elle n’a pas besoin de menottes pour durer.

Verlaine disait juste, qui était amoureux de l’adolescent Rimbaud, espiègle et cruel comme l’Amour grec…

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

La liste commence à être longue des références sur ce phénomène :

Catégories : Paris, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Natalité tahitienne

Enfin je me mets devant mon papier pour écrire quelques lignes. Depuis mon retour au fenua, mon stylo n’a pas servi et se languit. Je suis atteinte de fiu. Il n’existe aucun médicament pour soigner le fiu. Il faut seulement attendre qu’il aille contaminer une autre colonie.

Le papa de mon amie V. était un original. Après avoir tourné plusieurs films à Hollywood, de retour au fenua il fonda une famille. Il alla déclarer  en mairie la naissance de ses enfants et la secrétaire de mairie (institutrice de son état) eut quelques surprises mais elle connaissait le phénomène :

  • Le premier enfant, il le prénomma E (OUI en tahitien !) il était donc le bienvenu celui nanti du prénom le plus court qui soit.
  • Le second enfant fut déclaré sous le prénom AITA (NON en tahitien !). La maîtresse d’école l’a elle-même modifié en AIDA. C’est dire si cette arrivée (verdie) d’un nouveau-né était malvenue !
  • Le troisième devait porter le prénom de NOATU (PEU IMPORTE en tahitien). La secrétaire de mairie a refusé. Trop, c’est trop, ce sera ISABELLE. Réponse du papa : peu importe.

Au 1er janvier 2011, 270 000 personnes résident en Polynésie française, soit une augmentation de 1,1% par rapport à 2010. 4 579 naissances, 1 261 décès, l’accroissement naturel est de 3 318 personnes. L’espérance de vie à la naissance atteint 73,2  ans pour les hommes et 78,3 ans pour les femmes, soit une moyenne de 75,6 ans pour les résidents de Polynésie française (à comparer avec la France métropolitaine : hommes 78,1 ans et femmes 84,8 ans). Globalement la durée de vie moyenne augmente régulièrement de 4,4 mois par an sur les 10 dernières années. La mortalité infantile reste globalement stable.

1 330 mariages ont été célébrés à Tahiti en 2010 soit 100 de plus qu’en 2009. Le mariage intervient de plus en plus tard dans la vie des couples. En 2009, les femmes se marient à 33 ans en moyenne et les hommes à 37 ans, contre respectivement 31 et 35 ans en 1999 (en métropole, l’âge au premier mariage continue d’augmenter et atteint 29,8 ans pour les femmes et 31,7 ans pour les hommes). En 2010, 4 579 bébés sont nés en Polynésie française.

La fécondité globale se stabilise autour de 2,1 à 2,2 enfants par femme (2.01 en France métro). L’âge moyen à l’accouchement continue d’augmenter. Il est de 27,5 ans en 2010 contre 27 ans en 2000 et 26 ans en 1990 (30 ans en France métro).

Faites des enfants, pas la guerre : sauf que durant la guerre 1939/45 dans le Pacifique sud, les Américains auraient engendré entre 2000 et 3000 enfants. Aux Cook, 56 enfants sont connus, à Bora Bora 132 enfants ont été recensés. Pas de chiffres pour les Salomon et les Nouvelles-Hébrides. Conclusion hâtive de la sagesse popu : on peut faire la guerre et aussi des enfants !

Comment sécher une réunion de famille ? Le tonton de V. (82 ans) n’avait nulle envie d’assister à l’une d’elle. Prévenu depuis plusieurs semaines afin de régler des affaires de terre, il a téléphoné le matin pour avertir qu’il ne pourrait venir car… il avait perdu la clé du portail. Il était donc incapable de sortir sa voiture.

Volontiers farceur, il était garçon d’honneur d’un ami lors du mariage  arrangé de ce dernier. Tout se déroula pour le mieux à la mairie, à l’église. Il tenait son rôle très au sérieux. A la fin du dîner, on chercha la mariée : disparue. Le garçon d’honneur fut lui aussi déclaré absent… Tonton avait enlevé la mariée le soir des noces ! Les deux tourtereaux s’étaient éclipsés, cachés dans un fare ami… Ils vécurent longtemps ensemble, eurent des enfants (huit) et ne régularisèrent que très tardivement.

Portez-vous bien, nana.

Hiata de Tahiti

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Élucubrations écologiques polynésiennes

Une société de la place, à Tahiti, cherche à acheter des rori cuits et congelés. La technologie de traitement est fournie, l’équipement est payant. Si vous avez un intérêt dans ce commerce voici les tarifs offerts : Rori titi 1000 FCP le kilo ; Rori anana 1000 FCP le kilo ; Rori récif 300 FCP le kilo ; Rori vermicelle 300 FCP le kilo. Rappel : le rori est une holothurie. Et le FCP est le Franc Pacifique. Bonne chance à tous ceux qui sont intéressés !

Le ministre de l’agriculture du Fenua veut répandre son usage car le vétiver a mille vertus. Connu surtout par sa fragrance, il est désormais reconnu pour ses nombreuses applications. Ses racines plongent jusqu’à 6 mètres de profondeur. Voilà un moyen naturel (bio, écolo, divin, ce que vous voulez…) pour freiner l’érosion des sols, surtout dans l’archipel des Marquises. Ces terres pourraient servir à la culture d’arbres fruitiers (s’ils étaient ensuite plantés, entretenus, récoltés, expédiés…). Mais cet herbacé vétiver peut fournir également un excellent fourrage. La plante peut atteindre 2 m de haut et possède la faculté de pousser dans un environnement salin. Peu cher, se multipliant rapidement,  le vétiver sera-t-il la panacée aux maux dont souffre la Polynésie française ?

Un enfant de 11 ans a mis le feu à son fare… parce que sa mère ne le gâtait pas assez. Le feu a détruit un autre fare et un habitant en colère a frappé au visage un mutoi (flic). Le feu donne chaud dans la société de consommation locale où tout est dû.

Vous connaissez cet atoll de Tetiaroa, à quelques miles de Papeete et ancienne propriété de l’acteur Marlon Brando. Une association, Conservation Tetiaroa, recherche dans toute la Polynésie des plantes qui étaient présentes sur l’atoll et qui ont disparu. Tetiaroa est le seul atoll des Iles du Vent et ses 6 km2 sont rattachés à la commune de Arue. Par temps clair, des hauteurs de Tahiti on distingue nettement Tetiaroa. C’est un lagon de 7 km de diamètre cerné de 13 motu. Ce fut également la résidence d’été, jadis, de la famille Pomare (reine du pays). Cherchant ses mutins déserteurs, le capitaine Bligh l’avait découvert en 1789. En 1962, durant le tournage du film ‘Les Mutinés de la Bounty’, Marlon Brando tombe amoureux de l’endroit et en 1965 négocie un bail emphytéotique. Il est devenu ainsi « propriétaire » de Tetiaroa pour 99 ans. En 2012, ouverture prévue de l’hôtel The Brando qui « serait le plus écologique au monde » d’après les concepteurs du projet. A surveiller !

C’est les rats (scélérats !) qui ont eu raison des plantes de Tetiaroa. Il semble que deux des plantes typiques de ces rivages polynésiens aient été retrouvées : le ‘Ofai (Sesbania coccinea subsp.atollensis var. parkinsoni) arbuste endémique des îles de la Société, et le Rama (Ximenia americana var. americana) arbuste indigène en Polynésie française trouvé uniquement dans les îles de la Société et des Tuamotu. Menacées dans leur milieu naturel en raison des rats, de la coprah-culture, de l’urbanisation du littoral, de certaines activités touristiques, de la perte des savoirs culturels, de la perte du savoir de l’utilisation des plantes…. Encore présent en 1973 à Tetiaroa, l’Ofai a complètement disparu depuis, il était encore en 1983 sur l’atoll de Tupuai. Le Rama donne des fruits comestibles. Il est très rare, mais peut être trouvé dans quelques sites littoraux de Bora Bora. Sauvez, sauvez ce qui peut encore l’être mais pressez-vous !

Aujourd’hui, 80% des granulats utilisés dans la fabrication du béton proviennent du lit des rivières ou des abords. Bien qu’une délibération officielle interdise l’extraction dans les cours d’eau, la direction de l’Equipement a accordé au fil du temps des dérogations. Le CESC, en 2010, remarquait que seuls 225 779 m3 d’agrégats étaient autorisés mais que 758 000 m3 ont été extraits sans compter les volumes qui ont « chappé » (échappé en langage local) à tout contrôle et ceux qui n’ont pas été déclarés. Les conséquences écologiques sont dramatiques. Plus on creuse le lit d’une rivière, plus le courant augmente, plus les berges se creusent et deviennent instables. Les lieux de ponte des poissons et des crustacés sont détruits. Si au fond du lagon se dépose un millimètre de terre, 90% des organismes (oursins, algues, éponges) sont tués. Il faudrait agir, vite, vite, vite… mais en Polynésie on ne se presse que très lentement ! [Surtout pour l’environnement. Mieux vaut le fric tout de suite pour consommer tout de suite que le paradis d’équilibre qui fait partie du mythe occidental. Suicide lent par dépression coloniale ? – Argoul]

On ne se presse jamais… sauf pour faire la fête. Au milieu de tous ces militaires qui défilaient sur les Champs-Élysées le 14 juillet dernier à Paris, il y avait 280 stagiaires et bénévoles des trois océans et parmi eux 32 Polynésiens ont battu le pavé. Le puissant hakka de l’équipe militaire de rugby faisait vibrer les spectateurs. Originale, la démonstration de force des jeunes Pacifique !

Et sauf pour l’accueil. Le 22 juillet à 0h05, les Australiens ont débarqué : viva Australia ! J’ai préparé les chambres ; 60 litres d’eau Vaimato attendent d’éponger leur soif ; 5 kilos de papayes espèrent être dévorées ainsi que 3 kilos de bananes; 5 pots de confitures de goyaves et de jacquier dans le frigo ; il y a aussi un grand sac de cocos verts (excellents pour nettoyer les reins). Vous pensez que nous attendions un avion complet d’Australiens ? Pas du tout, seulement deux couples ! David, Rob et leurs femmes respectives. Oui, le conducteur de notre camion-bus et son assistant lors de nos voyages en Australie. J, le frère de David a tout vu en grand …

Catégories : Polynésie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,