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Comment faire fuir les touristes en Polynésie française

On veut faire venir des touristes mais les touristes sont souvent malmenés et ne reviennent pas ! Règlement inexistant à Bora Bora, la Perle du Pacifique, une touriste décède dans cette île « paradisiaque » après qu’un bateau lui soit passé dessus alors qu’elle nageait dans le lagon face à son hôtel. Pas une bonne publicité ! Et encore et toujours à Bora Bora, une touriste gravement mordue par une meute de chiens… On aime les touristes ici, un peu trop, non ? Les réglementations c’est pour les touristes, même pas pour les chiens et leurs propriétaires ?

pistil

Incivisme, même dans les jardinières ! Les lampadaires de Papeete sur le front de mer ont été repeints en blanc, les jardinières construites et plantées, les ronds- points sont fleuris, c’est magnifique, non, ce serait magnifique… mais c’est sans compter les vols ! Des durante (Duranta repens, famille des Verbenaceae) ont été volés, 100 pieds qui venaient d’être plantés. Les Ma’ohi prennent les fleurs pour les revendre, pour faire des couronnes. Les fleurs les plus volées sont les ixoras (Ixora coccinea famille des Rubiaceae) et les bougainvillées (famille des Nyctaginaceae). Les mamas (mamans) viennent avec leurs sacs cueillirent, même sur les ronds-points, où l’on a vu récemment une mama à scooter à trois heures du matin ramasser des fleurs.

Toujours pas d’eau, les lettres de réclamation, les visites à la mairie, rien n’y fait, nous ne bénéficions toujours pas d’eau au robinet, je parle de l’eau pas encore de l’eau potable. Pas de douche, pas de lessive, pas de vaisselle, l’enfer continue. Un filet miraculeux peut parfois apparaître vers 23 heures, il disparaît vers 6 heures les meilleurs jours c’est-à-dire les jours où il a plu ! Malgré tout la mairie de Teva I Uta a encore augmenté ses redevances. De temps à autre, un employé de la mairie passe en voiture 4×4 constater de visu que nous ne mentons pas, que nous n’avons vraiment pas d’eau… et que nous n’arrosons pas le jardin. On pourrait la stocker et la revendre à prix d’or et devenir immensément riches ! Depuis le 15 août, la situation s’est encore dégradée. L’eau n’arrive que durant la nuit, minuit et demi ou plus tard et « disparaît » vers 4 heures. Des amis nous permettent d’aller nous doucher dans leur entrepôt sis beaucoup plus bas que notre demeure, qui bénéficie de ce fait d’une meilleure distribution d’eau mais attention pas de quoi alimenter une baignoire ou un spa ! Tearii Alpha, le maire de Teva I Uta (Mataiea et Papeari) dit : « La commune de Teva I Uta vit un grave paradoxe. Elle dispose de beaucoup d’eau, mais elle coule pas au robinet. Il y a tout à faire. Le nouveau conseil municipal aura besoin de toute une mandature pour donner de l’eau potable aux 9 400 habitants ». Et selon les pronostics des têtes pensantes, l’eau potable pas avant… je n’arrive pas à déchiffrer la date, excusez-moi. Je viens de lire que l’Onema a été sollicitée par la mairie de Mahina pour recevoir une subvention de 81,9 millions de XPF. L’Onema serait donc un robinet d’où coulent les subventions ? Ça fleure bon le moni (fric).

Vahine nue dans l eau Tahiti

La directrice du Centre d’hygiène et de salubrité publique est revenue sur les conclusions du Forum sur les plans de sécurité sanitaire des eaux de consommation : « Certaines communes ne connaissent pas du tout leur réseau d’eau ». Je dois me pincer fortement pour comprendre, j’ai du rater plusieurs épisodes. A mon âge, j’ai de plus en plus d’absences… Et puis Gaston Tong Sang, le maire de Bora Bora « la Perle du Pacifique » veut l’eau au même prix dans toute la Polynésie. Chez lui l’eau est dessalée par des osmoseurs et c’est beaucoup plus cher. Les 48 communes polynésiennes devraient mutualiser leurs moyens. Normalement, fin 2015, de l’eau – potable – sortira de tous les robinets polynésiens. Je ne miserai pas un centime !

Le Pays tente de séduire les étudiants en médecine. Après une première année à l’Université de Polynésie, les étudiants sont obligés de s’expatrier en métropole pour de longues études, et ils ne reviennent pas forcément au pays leurs études terminées. Comment les attirer ? Comment les faire revenir ? Les archipels éloignés n’attirent pas les nouveaux médecins, les difficultés de transport des malades (Evasan) nécessitent de gros moyens – onéreux. Pour les Marquises, par exemple, il faudrait un hélicoptère pour transporter ces malades des îles où il n’y a pas de piste d’aviation. On transporte alors ces malades sur un bateau, par une mer souvent houleuse, car l’heure d’hélicoptère coûte très chère. Le gouvernement aurait reçu des propositions (du privé). Des médecins urgentistes sont recherchés pour ces postes car ils possèdent une certaine polyvalence et savent réagir très vite. Encore faut-il que ces postes soient attractifs car isolés et éloignés !

Hiata de Tahiti

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Manioc et cocotier

Originaire de l’Amérique du Sud, le manioc a été introduit en Afrique centrale par les Portugais au début du 17e siècle. Il est actuellement la base de l’alimentation de nombreux pays africains. 200 millions de tonnes produites par an, le manioc occupe le 5e rang mondial parmi les plantes alimentaires mondiales après le maïs, le riz, le blé et la pomme de terre. Tubercule d’un arbrisseau aux grandes feuilles palmées de 2 à 3 m de haut, le manioc pousse dans les régions tropicales et subtropicales. Les tubercules, de forme conique ou cylindrique, possèdent une chair blanchâtre, jaunâtre ou rougeâtre sous une écorce brune ; ils peuvent mesurer 1m de long, peser 25 kg, toutefois ils deviennent alors plus durs et plus fibreux, ils sont très périssables et voyagent mal.

manioc

Plusieurs variétés de manioc qui toutes contiennent de l’acide cyanhydrique, substance toxique disparaissant à la cuisson ou à la déshydratation. L’intérêt diététique de manioc réside en sa richesse en fécule (75% d’amidon et de sucres) mais pauvre en protéine (2%), et il est sans gluten. Avant l’arrivée des Européens, les Tahitiens n’employaient qu’une fécule, celle de pia, plante poussant spontanément sur les sables coralliens dans toutes les îles. Point de manioc en Polynésie. En 1850, l’amiral Bonnard importa d’Amérique du Sud les premiers plants. Les indigènes alors s’aperçurent que les racines de cette plante fournissaient une fécule pouvant remplacer celle du pia dans tous usages et que de plus la racine du manioc était comestible contrairement à celle du pia. Le manioc fut appelé manioka aux Marquises et maniota dans les autres archipels. Les indigènes ont réservé le pia pour préparer leurs poe (dessert traditionnel) et empeser leur linge. Deux variétés principales : le manioc amer, impropre à la consommation s’il n’est pas au préalable détoxifié et dont les racines séchées sont transformées en tapioca, en cassave ou en farine et le manioc doux dont on peut consommer les racines, attention à bien cuire celles-ci ainsi que les feuilles consommables car la toxicité est due à la présence d’acide cyanhydrique (HCN).

grimper au cocotier

Omniprésent en Polynésie française, le cocotier est considéré comme indigène ici bien qu’il ait pu avoir été introduit lors des migrations polynésiennes. Il est présent partout, même sur les atolls des Tuamotu de l’Est et à Rapa (Australes), l’île extra tropicale au climat trop frais pour lui permettre de développer des fruits, et pousse même jusqu’à plus de 300 m d’altitude. C’est un monocotylédone de la famille des palmiers à port droit ou courbe pouvant atteindre plus de 30 m de hauteur pour un diamètre d’environ 30 cm. Il est en fleurs et en fruits toute l’année, c’est l’arbre le plus précieux du Pacifique, constatez vous-même. Sa noix est recherchée pour son liquide opalescent et sucré ou « eau de coco », pour l’amande à tous les stades de maturité. L’amande mature râpée et pressée permet d’obtenir le lait de coco, base de la cuisine polynésienne. On s’en sert tel quel, avec du citron, avec de l’eau de mer, fermenté, cela donne taioro et miti hue. La sève recueillie après incision de l’inflorescence permet de produire du vin de palme, et de l’eau-de-vie après distillation.

Les utilisations non alimentaires sont les suivantes. Avec te râ’au (le bois de cocotier), on fabrique des piliers, soubassements et cloisons des habitations, des meubles, des objets sculptés ; avec te ni’au rara’a (palmes) tressés des toitures, des nattes, des paniers, des filets de pêche, des nasses, des éventails, des chapeaux ; avec te tie o te ni’au ( les nervures secondaires des palmes) des balais, des tiges pour enfiler les noix du bancoulier destinées à l’éclairage, des fleurs pour confectionner des couronnes, des colliers des guirlandes ; avec te a’a i ni’a i te ‘ama’a ni’au ( tissu fibreux formé à la base de chaque palme), un filtre pour les liquides, une ceinture ou une enveloppe pour divers objets ; avec te puru (la bourre), filtre pour les liquides, calfatage des pirogues, allumage du feu, des nape (cordes) pour les habitations et les pirogues ; avec te ha’ari (les noix), des récipients divers tels gourdes et inhalateurs, du charbon par carbonisation, des prothèses crâniennes après fracture. Les applications médicales emploient l’eau, l’huile, la bourre de coco et les racines de cocotier pour traiter les empoisonnements par les poissons, les hémorragies, les contusions, entorses, luxations et fracture, les ulcères cutanés, la dysenterie.

huile vierge de coco

L’huile de coco est utilisée comme purgatif. L’eau de coco, stérile, est antidiabétique et est recommandée en boisson journalière pour les maladies des reins et de la vessie. Les huiles de noix de coco : l’huile de coprah RBD (raffinée, blanchie, désodorisée) obtenue à partir de la chair de coco séchée, raffinée à l’aide de solvants et pressée à très haute température ; l’huile vierge de noix de coco, obtenue à partir de chair de coco fraîche pressée à froid. Un conseil, ayez toujours un cocotier dans votre jardin, votre serre, sur votre balcon.

Hiata de Tahiti

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Rencontres goutsoul et laiterie d’altitude

Il a plu cette nuit et le matin se lève frais et humide. Le revers positif est que chaque couleur ressort vivement sous le gris diffus du ciel. Le gros bouquet de fleurs des champs, composé hier par Sabine la citadine, orne somptueusement la table du petit-déjeuner dans une bouteille servant de vase. La fermière aux beaux yeux et à la poitrine généreuse, la tête prise dans un foulard aux couleurs du drapeau américain, dépose près de lui nombre d’assiettes fleuries de tranches de tomate, de concombre, de saucisson, de fromage et de poivron jaune en lanières.

petit dejeuner goutsoul ukraine
Le couple qui a choisi hier soir de dormir dans la grange où le foin odorant, sur une large épaisseur, les a tentés, ne l’ont pas regretté. Ils craignaient les petites bêtes mais ils ont été plutôt dérangés par les grosses en-dessous : deux veaux, deux chiens, sans parler d’un coq et de ses poules. Tout ce petit monde remue, grogne, caquette et émet des odeurs diverses très campagne. Le chat roux et blanc vu hier soir, le poil angora avec une tache sur le nez, pourtant très familier, n’est pas venu ronronner sur leurs duvets.

refuge goutsoul ukraine
Nous partons au soleil. La descente jusqu’à la rivière est suivie, inévitablement, d’une remontée sur la colline en face qui nous fait couler de transpiration dans la moiteur relative. Les prés sont très fleuris, bien plus qu’en nos contrées de nos jours, me semble-t-il. Nous trouvons même des pensées sauvages. Je reconnais les campanules des Carpates à leurs corolles lilas en pentagone, des bleuets, des marguerites mais pas de coquelicots. Il y a parfois des myosotis d’un bleu intense « comme les yeux des enfants allemands », disait le poète. Des scabieuses poussent du col leurs fleurs chiffonnées bleu pâle ; le millepertuis fait bouffer ses pistils pubescents sur leurs cinq pétales jaunes ; la véronique dresse ses fleurs en goupillons ; des roses trémières sont comme de végétaux relais de téléphone mobile… Nous trouvons aussi la mauve, l’arnica, la camomille. Et ces petits edelweiss aux feuilles d’argent veloutées qui font l’admiration des Suisses.

fleurs des carpates
Une ferme, près du chemin, attire la curiosité. Natacha nous propose d’aller dire bonjour. Nous tombons sur trois enfants. Ils sont seuls car leurs mères, deux sœurs célibataires, sont parties cueillir des myrtilles dans la montagne. Elles les vendent 250 hvr le panier au marché. A elles deux, les mères ont onze enfants en tout, tous de pères différents. Voilà une émancipation très soviétique de la femme en ces contrées traditionnelles.

myrtilles des carpates
La vie montagnarde bâtit de beaux gamins au grand air et aux durs travaux. L’école est déjà à 9 km. L’aîné présent, Vassili, est un blond costaud de 9 ou 10 ans dont les épaules moulent bien le tee-shirt coupé et dont les biceps saillent déjà.

vassili 10 ans ukraine

Liouba a des yeux bleus magnifiques, ornés de longs cils et d’un teint pâle piqueté de légères taches de rousseur ; elle est belle et très femme déjà pour ses 7 ans. Le petit Vassil n’a que 2 ans.

liouba 8 ans ukraine
Nous laissons cette rencontre aux souvenirs. Plus loin, nous tombons sur une laiterie d’altitude qui ne fonctionne qu’en été. Le nom ukrainien de cette sorte de cabane est « kolyba ». Le fabricant de fromage garde les bêtes des autres sur le pré, les surveille et les protège. Il se paie sur la bête en faisant usage pour lui-même du lait. Il le caille à la présure d’estomac, le cuit lentement dans un gros chaudron sous lequel le feu, alimenté par le bois des forêts alentour, ne doit jamais s’éteindre de tout l’été – cela porterait malheur. Une fois caillé, le lait solidifié est mis à égoutter, puis à sécher à la fumée du feu qui monte à l’étage. Les grosses boules blanches sont alignées sous le toit. Avec le petit lait résultant de l’égouttage, le laitier fabrique un autre fromage, plus frais.

laiterie goutsoul des carpates
L’homme que nous rencontrons ne vit pas seul ici tout l’été. Il est le chef de cinq autres, partis la journée garder les vaches, les moutons, ou faire du bois. Il faut que toujours l’un d’eux reste auprès du feu pour l’alimenter et éviter qu’il ne s’éteigne, mais aussi pour tourner le fromage dans le chaudron et éviter qu’il n’attache. La nuit, deux d’entre eux gardent le troupeau dans une petite cabane en dur en forme de tente canadienne, au ras du pré. Les chiens de berger préviennent lorsqu’un lynx, un loup ou un ours – qui sont les trois prédateurs communs du pays goutsoul – s’approchent de trop près. Ils sortent alors de leur cabane au milieu du troupeau avec le fusil.

chef laitier goutsoul des carpates
Le chemin que nous reprenons monte dans la forêt de pins, appelés « smereka » dans les Carpates. La pluie de la nuit a rendu la voie boueuse et nous nous efforçons de marcher sur les bords. Le temps continue de jouer à ‘sol y sombra’, un petit vent coulant des sommets venant glacer la sueur sur la peau lors des pauses. Le pique-nique est prévu « sur la crête », mais il s’agit toujours de la suivante, vieille tactique « à la russe » de dompter les groupes militaires. L’en-cas a lieu en plein vent, mais au sommet de la dernière crête, avec vue entière sur le prochain village où nous allons ce soir. La montagne Kostritch, avec ses 1544 m, nous offre, mais sans soleil à ce moment, d’un côté les maisons de Verkhovina dans la vallée, de l’autre la chaîne des plus hauts sommets carpatiques de l’Ukraine. Des vaches à clarine broutent alentour, faisant ressurgir le souvenir de quelque alpage en nos mémoires. Nous sommes au col de Kryvopol.

carpates goutsoul ukraine
Au plus haut sur la crête, attesté par le GPS-réseau russe de Vassili, nous culminons à 1566 m. Ce sera le point le plus haut de notre séjour. Nous pouvons, de là, contempler tout notre itinéraire de ces trois jours de randonnée, de la maison de Verkhovina d’où nous sommes partis jusqu’au village de ce matin.

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Moskenes et musée du télégraphe de Sørvågan

Je pousse jusqu’à Moskenes à pied, distant de 3 km, endroit où nous prendrons le ferry de retour. Il n’y a rien à voir que quelques maisons, une petite église entourée d’une pelouse sur laquelle s’élève une stèle de granit aux morts de 1939-45, et une maison des Témoins de Jéhovah.

moskenes eglise Lofoten

Le bar près du quai d’embarquement des ferries permet de boire un pot avant de partir. Une famille de tout blond est installée et le petit garçon me regarde avec l’insistance de la curiosité. Je suis trop bronzé pour son habitude.

moskenes port de ferry Lofoten

Pas grand monde aujourd’hui, autour de 1130 habitants, mais constamment du monde dans l’histoire : des traces d’habitats de l’âge du fer, datant de 5500 ans sont déjà présentes sur ces îles. Surtout à l’est, où les conditions portuaires sont plus favorables.

moskenes Lofoten

Dans la rade, un vélo est curieusement accroché à un poteau. Il ne doit être accessible à pied que lors des grandes marées. Dans un virage, un mur de mouettes offre son abri du vent et sa chaleur à toute une colonie. Elles ne piaillent pas à gorge ouverte, comme souvent mais se dorent au soleil, savourant la chaleur.

velo sur l eau moskenes Lofoten

Sur la route qui serpente en S, suivant les sinuosités de la côte, des fleurs, des maisons en bois, des boites aux lettres.

villa ete Sørvågan Lofoten

Devant une grande maison flanquée d’un garage, un gamin en short lave au jet une voiture au soleil. Un copain habitant en face, chaussé et vêtu d’un tee-shirt bleu, l’aura rejoint à mon retour. Nous voyons très peu de gosses dans ces villages dispersés.

gamin laveur Sørvågan Lofoten

Je visite le petit musée du télégraphe qui n’ouvre que de 11 à 17 h. Pour 40 NOK (5€), le fils du dernier directeur régional du télégraphe fait visiter sa maison vouée aux souvenirs. Un siècle et demi de techniques de la communication sont recueillis ici. On se demande pourquoi le premier télégraphe a été installé en 1861 sur cette côte la plus sauvage d’Europe. Qu’à cela ne tienne, c’était pour rendre la pêche à la morue plus rentable, de 25% selon le rapport 1859 de l’inspecteur des pêcheries Motzfeldt. Appelé Lofotlinja (ligne Lofoten), long alors de 170 km reliant 9 villages dont Svolvaer, il a été remplacé dès 1906 par le télégraphe sans fil à code Morse de technologie Telefunken, le premier du nord de l’Europe. En 1908 a eu lieu le premier contact norvégien avec un bateau en mer depuis Sørvågen. En 1919 est inauguré le radiotéléphone « Cod and com », morse et morue. En 1941, durant la guerre entre Allemands et Alliés, le mât radio de Søvågan a été détruit. Mais les Allemands ont développé durant la guerre la radio à large bande pour des transmissions plus sûres. L’Autorité norvégienne des télécoms a mis la main après guerre sur des équipements Telefunken dans la bande décimétrique et a pu établir, dès 1946, le premier fil radio civil. Le musée présente une impressionnante collection de téléphones, depuis ceux à manivelle et lampe jusqu’aux derniers mobiles roses chinois à bas prix. Le fils, qui a mon âge, montre des photos de son père en exercice et de lui enfant.

musee telegraphe Sørvågan Lofoten

Du ponton du rorbu où je lis, j’observe deux ados arriver en canots à moteur, un chacun, annoncés de loin par le ronron rendu aigu par la vitesse. Ils font s’envoler en criaillant les bancs de mouettes, posées sur l’eau pour se chauffer au soleil. Ils les visent exprès, ces oiseaux leur déplaisent par leurs cris discordants et incessants. L’expression « vos gueules, les mouettes ! » n’a pas été rendue célèbre pour rien. Les ados ont peut-être 14 et 12 ans, un brun et un blond, l’aîné enveloppant et protégeant le cadet par ses virevoltes en canot. La même frime qu’en scooter dans nos rues. On dit qu’ils draguent les filles de la même façon. Habituellement en tee-shirt car c’est l’été, ils ont enfilé veste et combinaison flottante pour aller sur la mer. Élémentaire prudence de fils de marins.

Sørvågan Lofoten

Le groupe de trentenaires qui nous a rejoint dans le rorbu d’à côté, a eu aujourd’hui une rando folle qui a duré dix heures vers le plus haut sommet des Lofoten le Hermanndalstinden, 1029 m. Nous leur donnerons du poisson, un lieu chacun, qu’ils feront griller au retour vers 22 h, très fatigués. Leur randonnée alpine a dominé la baie avec passages à vide et, peut-être, la vue des aigles pêcheurs qui nichent en altitude. Partis trop tard, ils se sont étirés, le sommet étant toujours plus loin. Trois ont abandonné après le pique-nique (encore six heures de marche, dont trois pour monter après manger), deux autres 200 m – donc deux heures – avant la fin ; seuls quatre plus le guide ont continué, le couple de chasseurs alpins de 30 ans et les deux cousins. Ils ne sont pas venus pour jouir du paysage mais pour en chier; pas pour la culture mais pour la nature. Des bêtes.

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Anatole France, L’étui de nacre

anatole france l etui de nacre

Cet « étui » précieux est une suite de contes disparates, parus en revues et journaux sur neuf années. Ils portent sur la religion et la révolution, légendes édifiantes ou récits terribles non moins édifiants. Pour Anatole France, le sansculottisme est une religion aussi intolérante et aussi fanatique que le christianisme juif. « Tremble de me revoir ; je suis le peuple souverain ! », clame Brochet, ancien rempailleur devenu président du district. Dans Thaïs, le moine Paphnuce, était de même « rempli de Dieu » pour accuser la courtisane d’impiété.

Libérer les hommes est une bonne chose ; les livrer aux bas instincts d’envie et d’orgueil est une mauvaise chose. Anatole France est un sceptique, et nous avec lui. Ni Dieu ni les Idées ne méritent qu’on en devienne esclave, croyant agir pour le bien alors qu’on est agi par eux, pour leur pouvoir de domination. Tous les grands mots qui emplissent la bouche des prêcheurs et des leaders masquent le plus souvent le ressentiment et l’enflure de l’ego. La grenouille veut se faire aussi grosse que le bœuf et Mélenchon ou Chavez le sauveur des citoyens. Ils ne font que jouir de leur puissance.

Mais certains gardent l’âme simple et prennent les miracles comme ils viennent. Ceux-là sont innocents et peuvent être sauvés (par la postérité, sinon par le Ciel). C’est le cas du Jongleur de Notre-Dame, baladin faisant ses tours, qui s’enferme dans la chapelle chaque jour pour les faire seul devant la Vierge à qui il voue un culte. Scandale ! L’abbé, en professionnel du choqué, veut jeter dehors le manant. C’est alors qu’il voit la Vierge descendre de son piédestal de plâtre et venir essuyer de son voile bleu le front en sueur du jongleur qui l’honore. De même, le Petit soldat de plomb, garde national à la Révolution, conclut son récit d’une bataille par deux fornications qu’il fît tout uniment le soir même. Peut-on être plus humain et plus émouvant ?

L’amour est naturel, Anatole France veut dire le sexe entre adultes consentants. D’ailleurs Dieu ne le condamne pas, la Bible est pleine de ces amours charnels et vigoureux. La sainte Scolastica, au nom de pensum et d’encrier, « maintenant qu’elle n’est plus qu’une ombre vaine, regrette le temps d’aimer et les plaisirs perdus » qu’elle n’a pas consommés par « vertu ». Leslie Wood regrette de n’avoir pas connu l’amour avec son Annie, défendu au nom de Dieu par son confesseur jusqu’au moment où il est « justement » trop tard. Rose a honte, durant la Terreur, d’avoir négligé le gentil roturier Pierre pour le lâche chevalier Saint-Ange ; le premier témoigne en sa faveur, ce que le second refuse.

Dans ces contes, Anatole France cherche un autre regard que le convenu. La première nouvelle montre Ponce Pilate, procurateur de Judée, fasciné et critique envers les Juifs. Dans sa retraite de Sicile, il ne se souvient même pas avoir condamné un nommé Jésus, tant les criailleries de discordes et éternelles querelles d’impiété et de sacrilège ont lassé ses oreilles. « Cent fois je les ai vus, en foule, riches et pauvres, tous réconciliés autour de leurs prêtres, assiéger en furieux ma chaise d’ivoire et me tirer par les pans de ma toge, par les courroies de mes sandales, pour réclamer, pour exiger de moi la mort de quelque malheureux dont je ne pouvais discerner le crime… » La crucifixion ? une banalité en ces temps-là.

faune pedro torse nu dans les fleurs

Autre regard aussi que la rencontre du moine Célestin et du faune Amycus, tous deux adorateurs de la vie, chacun sous un nom différent. « Bondissant d’un fourré, un jeune garçon lui barra le passage. Il était à demi vêtu d’une peau de bête ». Célestin ne veut adorer que Dieu, mais son sacrifice est bien pauvre dans la pierre nue ; Amycus adore l’origine de la vie, le Soleil, et sait trouver les fleurs pour orner la chapelle de guirlandes. Alors « le saint prêtre disait : Le faune est un hymne de Dieu ». Ainsi le christianisme a-t-il repris les anciens cultes, l’air de rien.

Anatole France, L’étui de nacre, 1892, Kindle Amazon, gratuit €0.00

Anatole France, Œuvres tome 1, édition Marie-Claire Bancquart, Pléiade Gallimard 1984, 1460 pages, €51.30

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Civilisation de Tahiti aujourd’hui

Le ti’i (aux Marquises Tiki) est une figure anthropomorphe, témoin de la culture ancienne des Iles de la Société, représentant un ancêtre divinisé. Celui-ci donné par un expert en art océanien de Paris  au Musée de Tahiti et des Iles mesure 40 cm de hauteur, il est taillé dans un seul bloc de corail où seuls la tête de forme triangulaire et le torse sont apparents. Il pourrait provenir de Moorea. « Parti » illégalement dans les valises d’une famille de popa’a rentrant en métropole, le ti’i a heureusement retrouvé sa patrie d’origine.

Si vous arrivez à Tahiti, vos connaissances vous couronneront. Soit ils auront fabriqué une couronne avec des fleurs, soit ils auront été acheter une couronne ou collier aux mama du fare hei. La doyenne des mama a 79 ans, la plus jeune 37. Elles fabriquent sur place ces colliers, sont présentes de 15 heures à 10 heures du matin, assurent ainsi les arrivées et les départs des vols internationaux. « Atation », pour l’arrivée des fleurs odorantes, pour le départ des coquillages colorés, la phytosanitaire veille ! Des règles très strictes veillent dans ce fare hei, certains emplacements sont meilleurs que d’autres alors les emplacements sont tournants, le port d’une robe locale est impératif. A partir du mois de mai, les mama porteront toutes les mêmes robes aux motifs fleuris et en changeront en même temps. Les mama sont indépendantes mais paient une redevance à ADT (Aéroport de Tahiti). Les nouvelles arrivées remplacent souvent une mère, une tante. Hé ! le collier de tiare Tahiti est le plus beau, le plus odorant et le plus tahitien. J’espère que c’est celui qui vous couronnera à votre arrivée dans cette île du bout du monde.

HIBISCUS RAU

En 2034 les Polynésiens seraient 350 000. Les habitants des Tuamotu ne veulent pas devenir des réfugiés climatiques. Ceux qui y sont nés veulent y rester. Certes la vie n’est pas facile mais ils ont la volonté d’y rester, de développer de l’activité et permettre le retour des exilés, et préparer l’avenir des enfants. Contrairement à ceux de Tahiti, ils ne se sentent pas pauvres, vivent de peu, ne meurent pas de faim. Mais lorsqu’il faut envoyer les enfants au collège ou au lycée à Tahiti, venir à Tahiti pour se soigner ou pour régler les problèmes administratifs… ils se sentent pauvres. Ils souhaiteraient bénéficiaient de plus de service comme des cours par correspondance pour les enfants, de paramédicaux pour leurs problèmes de santé. Des logements sociaux seraient profitables à tous car beaucoup cohabitent ce qui provoquent des conflits intergénérationnels. La réglementation est pensée à Tahiti. Mais que doit faire un maire devant le refus des gendarmes de procéder à l’examen dans un véhicule de plus de 5 ans d’âge comme le précise la réglementation ?

Uniquement pour les personnes ayant vécu à Tahiti, Tati revient en centre-ville et s’installera dans le bâtiment occupé auparavant par Télectronique et Tahiti Pas Cher Décoration rue Lagarde. Un imposant escalator sera installé, d’un poids de 6.5 tonnes et d’un coût de 6.5 millions, il desservira le premier étage du futur magasin Tati de Papeete sur 900 m² de surfaces commerciales. On y vendra des vêtements, de la parfumerie, de la droguerie. Ouverture prévue mi-mai et une vingtaine de personnes embauchées.

Vous êtes loto keno euromillions ou kikiri ? Les jeux clandestins sont légion ici, illégal le kikiri est très apprécié des joueurs du fenua. C’est l’égal du bonneteau. Les abords du marché de Papeete sont des lieux connus des joueurs et de la police qui y fait des descentes régulières avec d’importantes sommes d’argent saisies. Des parties sont improvisées dans des cours, sous des préaux, à l’abri des regards. On joue beaucoup d’argent parfois la paie entière. Ces cercles mettent en place un service de guetteurs afin de se prémunir contre l’arrivée des forces de l’ordre. Il y a aussi les combats de coqs, activité illicite mais tolérée. On y mise pour 200 000 CFP, sur certains sites la mise au kikiri est plafonnée à 5 000 CFP.

MME VASTHY

Il y a fort longtemps que vous n’avez pas pris une leçon de langue tahitienne, pour ce jour ce sera se saluer et prendre congé.

Ia ora na =  que tu aies la vie ou bonjour, bon après-midi, bonsoir, bonne nuit.

Ia ora na ‘ oe i teie po’ipo’i = vivre toi à ceci matin

Ia ora na ‘orua i teie avatea ! = vivre à ceci midi ; pour répondre au salut d’une personne, on bouge la tête vers le haut, on fait un geste de la main, ou on répond Ia ora na en retour.

E aha te huru ? = Etre quoi la forme ou Comment ça va ?

Maita’i = Bien ou Ca va bien.

Parahi ! = Rester ou Au revoir, restez-en paix !

Parahi iho ! = Rester ou Au revoir (restez en paix là où vous êtes).

Te haere nei teie = Aller celui-ci ou Je m’en vais maintenant.

Te haere ra vau = Aller moi ou Je m’en vais ou je vais m’en aller.

Ia ora na = Nana = Au revoir.

Nana, mea ma ! = Au revoir chose et ceux-avec ou Au revoir à vous tous (vous et les vôtres) !  

‘E, na reira ia ! =  Oui, là ou Oui, vas-y ou Fais-le ainsi.

‘E, a haere ia ! = Oui, aller ou Oui, d’accord (alors) !

‘E a fa’aitoito ! =  Oui, courage ! ou Oui, bon courage !

Pour aujourd’hui, ce sera tout à étudier et à la prochaine

Hiata de Tahiti

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Fin avril à Paris

Le printemps pointe timidement son nez cette année. Les jours alternent entre froid de mars et tiédeur de mai ; en avril, ne te découvre pas d’un fil, dit la sagesse ancestrale.

chat Paris rue de la harpe

Ce pourquoi le chat de la rue de la Harpe, campé au-dessus d’un restaurant de kebabs, se garde bien de mettre autre chose que le museau à la fenêtre ; il a gardé toute sa fourrure.

cerisiers en fleurs Paris polytechnique

Mais les cerisiers fleurissent déjà comme au Japon. Le rose délicieux des fleurs rappelle le teint des jeunes filles derrière le mur austère de l’ancienne Polytechnique.

culs de pouliches Paris luxembourg

Au Luxembourg (le jardin, pas le paradis fiscal), les ponettes ont la queue fournie et baladent des gamines pas très rassurées d’un pas lent de sénateur.

feuilles de marronniers printemps

Les feuilles des marronniers sont du vert tendre de la jeunesse annuelle. Leur transparence donne envie de ventrées de salade.

pelouse printemps Paris luxembourg

Les pelouses sont de nouveaux « autorisées » par la haute autorité fonctionnaire en charge de définir les règles. Nombreux sont ceux qui se vautrent déjà sur l’herbe encore humide des pluies incessantes de l’hiver.

filles bronzant Paris luxembourg

Des filles se sont mises déjà presque nues, préparant le bronzage plage pour les mois qui viennent.

ados au printemps Paris

Les ados flirtent, allongés, caressés, nonchalants. Le bac est pour bientôt, même si des vacances arrivent, juste avant le premier mai pour les Parisiens. Il restera peu de temps pour réviser après, cette année.

filles Paris au printemps luxembourg

Les touristes de province déambulent déjà depuis près de deux semaines dans un Paris tour à tour gris et lumineux, à 15° ou 25° selon les jours. Le faune dansant incite à l’exubérance devant la perspective ouverte par les marronniers sur la coupole triste du Panthéon, en piteux état et en restauration pour des années.

printemps Paris luxembourg

Il est agréable de marcher dans les allées du jardin le plus parisien peut-être.

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Yasunari Kawabata, Kyoto

Yasunari Kawabata Kyoto

Tout commence par les violettes au creux du vieil érable, puis se prolonge par les cerisiers en fleurs du sanctuaire shinto Hiean Jingu. L’ancienne capitale, Kyoto, est pour Kawabata l’essence du Japon, de la nipponité. Le cerisier au printemps, c’est la vie même : « l’arbre semblant moins avoir produit ses fleurs que les branches n’être le simple support de ce foisonnement » p.13. A l’origine, il y a la nature, l’élan de vie qui s’épanouit en fleurs fragiles aux pétales roses comme les joues teintées d’émotions des très jeunes filles. Chieko se promène sous les cerisiers avec le jeune homme de 18 ans, Shininchi, son ami d’enfance choisi pour sa beauté à 7 ans comme Chigo (éphèbe) sur un char de parade de la fête de Gion. Il aura le privilège symbolique de se marier avec le dieu.

« Que c’est féminin, si on regarde bien… observa-t-il. Les fines branches qui penchent, les fleurs, tout est à la fois luxuriant et d’une extrême délicatesse » p.13. Car la nature est la Mère, à l’origine, celle qui met au monde et laisse pousser, indifférente. Chieko est une enfant trouvée, adoptée par un couple de commerçants en gros de tissus. De qui est-elle la fille ? Au fond, de la nature même, par-delà la mère porteuse – qui l’a abandonnée à la naissance et a disparue. Car c’est bien la nature qui va faire retrouver à Chieko sa sœur jumelle Naeko. En allant voir les troncs lisses des cryptomères de Kitayama, son amie reconnaît un double de Chieko parmi les paysannes. Les jumelles vont lier peu à peu connaissance, malgré l’écart des conditions sociales.

Et ce n’est pas par hasard si la reconnaissance a lieu lors de la fête de Gion, durant les Sept dévotions aux divinités du sanctuaire de Yasaka. Ce sanctuaire est dédié à Susanoo le petit frère provocateur d’Amaterasu, déesse du soleil qui tisse la toile de l’univers et arrière grand-mère du premier empereur du Japon Jimmu. Shinichi/Chigo se confond avec Naeko, l’ami d’enfance avec la sœur jumelle. Ainsi sont les meilleures unions « naturelles », dirait-on. Chacune aura un amoureux, mais l’ambigüité demeure de savoir de quelle sœur est amoureux chaque prétendant : de la fille-nature ou de la fille-héritière ? L’auteur a la délicatesse de laisser dans l’avenir la réponse.

kiyomizu dera kyoto

Loin des pays de neige et des amours impossibles, Kawabata signe ici son meilleur roman, dix ans avant son suicide. Tout est jaillissement, enracinement et exubérance. La vie encore traditionnelle de Kyoto se voit menacée par la modernité. Les artisans reculent devant l’industrie, les relations d’homme à homme devant la gestion, le contact avec la nature devant l’urbanisation et l’automobile. Même les geishas doivent attendre 18 ans avant de se livrer aux plaisirs. Ce que regrette Takichirô, père adoptif de Chieko, lorsqu’il rencontre celle qui accompagne une tenancière de maison de thé qu’il connait : « vraiment adorable, si blanche de carnation. Elle devait avoir quatorze ou quinze ans » p.111.

Le début des années 1960 bouleverse le Japon autant que la guerre et Kawabata le déplore. Il relie ici ce qui ne doit pas mourir, malgré l’accélération contemporaine : l’émerveillement devant la vie, le chant des hormones, le goût du travail bien fait. Chaque être naît artiste dans son domaine, de la préparation du thé au tissage de ceintures, du polissage des troncs au commerce de gros, de la création de motifs à la perfection des geishas. Il ne faut pas perdre ce contact de l’esprit avec les choses, de la création avec les êtres. On ne crée pas plus « en soi » qu’on « échange » tout court. Chacun est relié, pas égocentré ; l’individu est unique, mais ne se révèle qu’au travers des autres.

C’est le message des jumelles, nées de la même femme mais ayant eues chacune un destin différent, jusqu’à l’amour de la nature qui les a rapprochées. « Les fleurs vivent. Vie brève, mais vie évidente. Les années reviennent et les boutons s’ouvrent – comme vit la nature » p.58. « Elles fleurissent de toute la force de leur vie. » De même les jumelles, ou le jeune Shinichi : « Comment est-il possible que de si beaux enfants viennent au monde ? » p.68.

Si vous ne connaissez pas Kyoto, ce roman devrait vous donner envie d’y aller. Certes, la ville a changé, mais subsistent dans ses parcs et parmi ses temples l’atmosphère ici décrite par Kawabata : la nature parmi les hommes. Vous y verrez les cerisiers en fleurs au printemps, les bambous de l’été, les érables aux feuilles rouges à l’automne, les troncs lisses des cryptomères et le vert des pins en hiver. Décors vivants dans lesquels passent les êtres jeunes, pleins de vie, les vêtements ouverts aux souffles. Tout cela crée des « dieux » innombrables au cœur des sources et des pavillons de bois, et laisse une impression de sacré, d’union avec le tout, de sacrément vivant.

Yasunari Kawabata, Kyoto, 1962, traduction Philippe Pons, Livre de poche 1987, 192 pages, €5.32

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Palais d’été

Aujourd’hui, nous nous prenons en main, seule façon à mon sens de pénétrer un peu le pays. Nous allons seuls au Palais d’été en taxi. Il existe trois catégories de taxis en 1993 : les jaunes avec un forfait de dix yuans et un supplément de un yuan par kilomètre au-delà du troisième ; les « luxe » avec un forfait de douze yuan et un yuan soixante par kilomètre au-delà du troisième ; enfin les minibus, où l’on négocie la course. Nous optons pour le minibus à l’aller ; nous prendrons des taxis pour le retour.

palais d ete pekin

Nous avons déjeuné « là où l’on écoute les loriots » en prenant le menu impérial à cent yuans. Une liste impressionnante, composée en entrée de poisson en gelée, de lamelles de porc, de haricots blanc et poulet, de chou aigre-doux ; en plats chauds de poisson coupé en épis sauce gingembre, de bœuf épicé, de pétoncles. Il y avait surtout les plats typiquement chinois, originaux à la vue comme au palais : la cigale de mer, caoutchouteuse, en sauce brune, les algues blanches qui craquent sous la dent, les œufs en saumure très forts en goût et plus encore à l’odeur, un coquillage qui ressemblait à une tête ovale de champignons et… les scorpions ! Un silence s’est fait lorsque le plat a été apporté sur la table. Les uns se demandaient à quoi correspondaient ces filaments ornés de choses noires, les autres restaient incrédules en reconnaissant les bêtes. Une douzaine de scorpions frits, friandise d’empereur, nous ont été servis sur un nid de cheveux d’ange en pâte de riz. J’en ai goûté un par curiosité, devant les cris d’horreur des femmes. Il suffit cependant d’enlever la tête, les pattes et la queue, comme une crevette, pour décortiquer la carapace. Au goût, c’est fade et un peu farineux, comme de la purée de marron. Les scorpions m’ont rappelé les termites frits. Une amie a la malice d’emporter dans un kleenex deux scorpions pour ses neveux de 12 et 9 ans restés en France.

pavillon qui annonce le printemps

Au Palais d’été, nous avons le double plaisir du soleil brillant et du lac gelé. Des Chinois vont s’y promener, insoucieux de l’épaisseur de la glace. Ils y font des photos de famille ou entre copains. Je prends moi aussi quelques photos de chinois anonymes. Je revois un père et son fils remarqué à la Cité Interdite, un tout jeune adolescent au teint pâle, frêle, presque dansant, au visage de fragile porcelaine.

palais d ete galerie couverte 730m

Nous nous promenons ensuite dans la très longue galerie couverte (elle mesure 730 mètres) qui longe le lac. Elle relie la salle de la Longévité et du Bonheur à un embarcadère près du Bateau de Marbre. Elle s’étend devant nous à l’infini : comme entre deux miroirs qui se font face, les portiques se succèdent à l’identique, de plus en plus petit au regard. La galerie a été entièrement restaurée, mais sur les dessins d’origine. Sur les montants et les poutres faîtières sont peintes des scènes naïves, champêtres et bien composées. On y voit des oiseaux, des fleurs, des paysages. Nous passons du temps à les observer et à en photographier quelques-unes. La tradition chinoise voulait que, devant une telle beauté, des amoureux ne savaient en ressortir sans s’y être fiancés. Nous ne sommes pas chinois.

palais d ete loriots

Nous montons ensuite au Palais de la Doctrine bouddhique, tout en haut de la colline de la Longévité. La pierre ajourée s’ouvre sur le paysage, les bois et le lac en contrebas. Le Pont aux 17 arches se dessine au loin, délicate courbe sombre sur l’horizon blanc du lac gelé. Nous nous dirigeons vers lui.

palais d ete pont aux 17 arches

Passe une jeune fille en fleur ; elle peut avoir entre treize et dix-huit ans, il est difficile aux Occidentaux de donner un âge aux jeunes asiatiques. Sa bouche est pincée, ses yeux sont deux traits d’encre noire, son nez et ses joues doux comme un ivoire. Elle a le visage ovale qui fait sa beauté, encadré de cheveux noirs tenus par un bandeau rose. Elle porte une veste rouge et une écharpe au cou. Ce pourrait être une amie d’enfance, cet exotisme rêvé des livres de Pierre Loti. Elle passe sans me voir, toute à ses pensées, mais moi je la remarque. Une étincelle aurait suffit.

palais d ete jeune fille en fleur

Nous passons devant le pavillon qui Annonce le Printemps, pour nous diriger vers l’île du Lac Sud, voir le temple du Dragon. Une autre fille me jette un regard malicieux. Elle porte un col en dentelle blanche et un chat qui sourit, brodé au-dessus du cœur. Devant les eaux gelées du lac, borné par une balustrade de pierre froide, la vie naît d’un sourire. C’est une enfant au blouson rouge bordé de fourrure blanche, au chapeau rouge, au foulard rouge et blanc, qui sourit au photographe. La prise est pour son père mais j’en vole une aussi à cet instant. La petite a les lèvres rouges qui brillent dans son visage pâle. Toutes ces filles sont belles ; elles ont l’insouciance de l’enfance encore et la puissance de la Chine en elles. Je les admire, j’aime à observer leur fragilité apparente, sous laquelle, comme la branche de saule, se cache une volonté farouche.

sanctuaire des sutras

De retour à l’hôtel, nous prenons un thé dans la chambre. Le dîner a lieu à notre heure favorite au rez-de-chaussée dans notre restaurant favori, avec nos plats favoris. Et défilent à nouveau les crevettes setchuanaises, le bœuf émincé aux oignons, le riz frit aux œufs, le chou aigre-doux, les nems frits, le tout arrosé de bière chinoise Tsin Tao. Nous poursuivons au bar par des glaces (pas terribles) en discutant, pendant que certaines vont négocier férocement une théière, une soupière, deux aubergines-boites en bois, une nappe, et j’en passe. La fièvre acheteuse est une épidémie contagieuse.

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Voyage aux Gambier 2 : les missionnaires

L’église catholique débarque aux Gambier le 7 août 1834. Quelques prêtres et frères convers s’étaient embarqués au Havre à bord de La Delphine. Les prêtres étaient en soutane blanche, les frères en redingote noire. Ils appartiennent à la Congrégation des Sacrés-Cœurs dite de Picpus, fondée par l’abbé Coucrin en 1805. Le symbole des religieux évangélisateurs des Gambier sont les Sacrés-cœurs de Jésus et Marie, emblème de l’ordre missionnaire.

Un voyage difficile et assez inconfortable de 5 mois. Une escale à Valparaiso après 4 mois de navigation où, dans la chapelle du couvent des Cordeliers, ils sentiront le sol bouger, une secousse de 4 à 5 minutes. Le tremblement de terre se situait à Conception… [Était-ce une autre visite de l’archange Gabriel ? – Arg.] Monsieur Charles Darwin, savant anglais, arriva à Talcahuano trois jours après le séisme.

Nos missionnaires embarquent le 4 avril 1835 sur La Peruviana. Le 9 mai 1835, 8 heures du matin, l’archipel des Gambier leur apparaît. Ils débarquent sur l’île d’Aukena. Qui sont ces indigènes qui viennent frotter leur nez contre le nez des arrivants ? Les accueillant avec des Enakoe, Enakoe ! (bonjour). Les autochtones décrits par les Pères ont la peau cuivrée, des cheveux noirs, le front haut et le nez épaté, les dents très blanches. Les hommes portent une longue barbe. Hommes, femmes et enfants vont nus. Les pères essaieront de les vêtir, cela ne se fera pas sans difficultés ! Ils voudront aussi leur apprendre le travail. Les pères éprouveront des difficultés à comprendre l’autochtone et ses habitudes.

Les missionnaires catholiques ont été bien accueillis par la population car la prophétesse Toapere avait, en 1830, vu deux bateaux avec voiles blanches. Le premier arrivé, anglais, n’a pas été autorisé à débarquer, il a du rester au large car il ne correspondait pas à la description de Toapere. Le second, celui des catholiques était le bon, ils débarquèrent. Les Gambier sont depuis le cœur du catholicisme polynésien.

Les constructions édifiées par ce clergé du bout du monde, avec des moyens limités, demeurent belles malgré les outrages du temps. Ils ont beaucoup construit. Certains édifices ont été ensevelis par la végétation, d’autres ont résisté mais nécessitent de sérieux travaux. La cathédrale de Rikitea a pu bénéficier d’une restauration dans les règles de l’art grâce à des moyens financiers conséquents. D’autres églises et couvents s’éteignent lentement.

Les pères s’attaquent aux idoles et avec l’autorisation du roi, de la reine et du peuple vont les détruire en les brûlant. Quelques-uns échappent à l’autodafé, tel Tu à quatre jambes, dieu supérieur invoqué pour une bonne récolte de maiore (uru). Échappe aussi Nitita-en-corde, qui entortille l’âme de ceux qui lui ont manqué de respect. Puis Rao, le Dieu de la débauche évidemment : on baise toujours dans les îles, malgré les curés célibataires. Ronao l’arc-en-ciel qui attire la pluie, un tambour que le roi a donné aux missionnaires, un coquillage sacré, un bâton dont le dieu Mapitoïti se servait pour assommer les hommes et onze autres idoles prendront le chemin de Rome et de Paris. Les lecteurs qui ont vu l’exposition des Gambier ont pu faire connaissances avec quelques-unes de ces idoles.

L’action missionnaire est une réussite à Magareva (1500 habitants), à Aukena (80 habitants), à Akamaru (300 habitants), à Taravai (150 habitants). Depuis le baptême du roi le 25 août 1896, il n’y a pratiquement plus « d’infidèles ». Si les pères parlent de succès aux Gambier, c’est un échec à Tahiti. C’est que Monsieur Evans Pritchard, sujet de sa très gracieuse Majesté, missionnaire protestant de son état, menace le clergé catholique, impose sa volonté à Tahitison et abuse de son influence auprès de la reine.

Le soir de notre arrivée, turamara au cimetière. Il faut honorer les morts. Tombes peintes en blanc, sable (corail) blanc, fleurs à foison, bougies… Toutes les fleurs poussent ici en particulier en cette saison orchidées et lys.

Une petite idée des constructions entreprises par les pères et frères :

  • 1839 à 1858 cathédrale de Rikitea
  • 1836 église de Taku
  • 1847 Sainte Anne à Rikitea
  • 1847 Saint Pierre à Rikitea
  • 1842 presbytère à Rikitea
  • 1847 tissanderies à Rikitea
  • 1842 maison du roi
  • 1848 les tourelles du roi
  • 1860 goélette
  • 1842 « couvent » de Rouru
  • 1861 porte monumentale de Rouru
  • 1837 St Raphaël de Puireau à Aukena
  • 1853 collège de Aukena
  • 1847 croix en pierre du cimetière à Aukena
  • 1837 Notre-Dame de la Paix à Akamaru
  • 1841 Saint Gabriel à Taravai
  • 1856 première cathédrale de Papeete par les Mangaréviens.

C’était juste une petite idée de ce qu’ont entrepris les pères et frères bâtisseurs des Gambier. Nous allons visiter ce chapelet d’îles pieuses.

Commençons par Aukena dont la tour de guet veille sur la mer.

L’église Saint-Raphaël date de 1840 mais est pratiquement inaccessible.

Le Père Laval avait fait construire un collège pour les jeunes Mangaréviens. Restent les murs qui, si rien n’est fait, seront recouverts par la végétation.

Il demeure un four à chaux, une meule et une tour de guet. Les magnifiques perroquets qui nagent en contrebas de la tour sont énormes, mais ne rejoindront pas les assiettes : ils sont non consommables.

Hiata de Tahiti

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Mégalithes de Karahunge et pétroglyphes d’Ouktassar

Deux jeeps russes et un van 4×4 nous attendent devant l’hôtel de Sissian, en Arménie.

Indispensables car le bus ne peut rouler que sur la vraie route. Les routes secondaires sont pleines de nids de poule et s’achèvent en pistes défoncées. Cela pour aboutir à un site mégalithique appelé Karahunge, ce qui veut dire « les pierres qui parlent ».

Se dressent des alignements de 222 menhirs d’un demi-mètre jusqu’à 3 m de hauteur, des cromlechs, des dolmens. Certains menhirs ont un trou à leur sommet. Serait-ce pour les transporter ? Non pas, la pierre n’est pas assez solide. Ce serait plutôt pour observer.

Quoi ? Les étoiles et les planètes, comme à Stonehenge ou Carnac. Les alignements et les orifices creusés volontairement auraient servi d’observatoire astronomique, imaginent les scientifiques d’aujourd’hui Probablement pour prévoir le temps des semences et des récoltes : 17 pierres servent à observer le soleil aux solstices et 14 pierres servent à observer la lune. La pierre n°63 servait de calendrier. D’où le nom du site, « les pierres qui parlent ».

L’académicien arménien Paris Heruni a étudié cet ensemble de 1994 à 2001. Un cercle central est composé de 40 pierres sans trou. Au centre du cercle, une construction souterraine de 7 m sur 5 m. Le cercle nord est composé de 80 pierres sur 136 m, dont certaines sont à trou. L’aile sud comprend 70 pierres dont 25 à trou, sur 115 m. Le chemin de pierres nord-ouest part du cercle central vers le lever du soleil le jour du solstice d’été. Il comprend 8 pierres dont 2 à trou sur 36 m et 5 pierres isolées trouées. En reconstituant le ciel de l’époque, visible à travers les alignements et les trous, le site serait daté de 7500 ans avant notre ère. Des fouilles entreprises par l’archéologue Hasratian ont permis de découvrir des bijoux en bronze, des miroirs, de la poterie et des tombes, le tout daté de -3000.

La piste continue, largement défoncée, vers les montagnes Oukhtassar qui culminent à 2800 m. La température se rafraîchit et le chauffeur, qui me voit en débardeur, s’inquiète de savoir si je parle russe pour me demander si j’ai un pull pour là haut. J’en ai tout un sac, avec la gourde et le pique-nique car nous allons « marcher ». Prudent, le chauffeur encore jeune, avec sa jeep encore neuve (dans les 14 000 km au compteur), a pendu une croix arménienne au rétroviseur. Il ne fait pas vraiment confiance à la mécanique socialiste. Si les jeeps grimpent jusqu’au sommet, elles nous lâchent une heure avant pour que nous puissions accomplir notre randonnée quotidienne.

A mille mètres de plus qu’hier, ce n’est pas une sinécure, trop brutal. Mais l’air est frais et les fleurs alpines parmi l’herbe bien verte. Un lac glaciaire étend ses eaux huileuses, immobiles. Quelques rares papillons volent encore malgré la température de 15° le jour qui doit chuter la nuit, des hirondelles trouvent leurs insectes ici l’été. Poussent des fleurs à profusion, œillets, boutons d’or, arnicas, marguerites, campanules… Nous supportons la polaire malgré l’effort. Un petit vent monte de la plaine qui accentue le frais.

Des pierres plates de basalte érodé, auxquelles la chimie, la glace et le soleil ont donné une belle patine orange foncé, servent de fond pour les gravures. Des piquetages d’il y a 5000 ans montrent des chars attelés, des animaux, des humains armés… On reconnait des bouquetins, des guerriers se battant, des animaux à cinq pattes (mais comprenant la queue). Nous prenons le pique-nique de tomate, pomme de terre cuite et porc froid parfumé aux herbes au bord du lac avant d’errer parmi les blocs.

Les pétroglyphes paraissent sévères, figés au bord de leur eau noire, au sommet du massif. Ils sont d’un seul côté du lac, face orientée au soleil levant, dispersés sans ordre apparent. A quoi servaient-ils ? Témoignage d’existence face aux dieux et aux puissances ? Offrandes d’art propitiatoires ? Délimitation de territoire ? Piotr O’Glyphe, expliquez-nous.

Petite descente digestive, histoire de marcher encore en altitude, puis nous reprenons les jeeps et enlevons nos fourrures. Dès que nous descendons, la chaleur monte. Nous revenons au croisement de routes d’après les mégalithes du matin et, cette fois, tournons à droite au lieu d’aller tout droit. Le bus nous attend à une station service où nous pouvons acheter de l’eau fraîche et de la bière.

Nous voyons peu de stations service sur les routes. Le bus, qui fonctionne au diesel, est obligé de planifier ses pleins. Le diesel vient d’Iran et est mal raffiné, c’est pourquoi les véhicules roulent surtout au gaz. Des camions portent des bonbonnes orange sur le toit ou sous le châssis. Les stations sont des rangées de murets de béton avec un compteur tout petit. Nous voyons des voitures ainsi rangées le long de murs et nous avons mis plusieurs jours à comprendre qu’elles se ravitaillaient en gaz plutôt qu’en essence.

Une heure et demie de bus nous conduisent à la petite ville d’Egueghnadzor où nous allons loger chez l’habitant. Nous sommes dans une grande maison de ville flanquée d’un jardinet de devant et d’une tonnelle sur l’arrière, dont l’étage est réservé aux chambres. Un gamin d’une dizaine d’année, fils de la maison, s’est déjà baigné dans la piscine sous la treille, juste en-dessous des chambres. Il a les pieds nus et les cheveux mouillés et joue avec un mignon chiot tout poilu. Une fois les touristes installés, il se plongera à nouveau dans l’eau glauque qui ne nous tente guère. Après dîner à la cuisine ouverte, un peu en retard sur nous, il ira jouer à des jeux vidéo sur l’ordinateur antique installé dans la loggia de l’étage.

Une fois rafraîchis à la douche, changés, l’apéritif nous convie en bas avant le dîner. Les bouteilles de vin de cerise et de grenade sont sorties avec l’Areni 1991. Tout cela s’oxyde vite une fois ouvert, à moins que cela ne soit du à la chaleur accablante. La table est dressée avec tous ses plats d’entrée en une fois. Nous n’avons plus que le choix de l’ordre pour nous servir. Cette profusion est réjouissante et toutes ces couleurs mettent en appétit.

Deux sortes de salade crue (tomate concombre et carottes râpées), deux sortes de fromage (type feta et blanc frais), olives noires. Suit le plat chaud, un riz pilaf de bœuf aux gousses d’ail, cuisiné pour trente et mijoté des heures. Ce pourquoi l’heure du dîner a été retardé d’une demi-heure. Il faut toujours cuisiner pour qu’il en reste et la proportion est habituellement d’un pour deux : il doit en rester à peu près autant que nous avons mangé. Rien n’est perdu, la suite sera finie par les hôtes le soir même ou le lendemain. Une pastèque juteuse et savoureuse termine par du frais aqueux ce lourd repas pour la chaleur qu’il fait encore. Pas de thé mais une infusion de thym, c’est meilleur. Les chambres qui nous attendent sont écrasées de la chaleur restée du jour. Problème des constructions arméniennes : l’aération. Tout semble fait pour se calfeutrer soigneusement, peut-être pour les six mois d’hiver. Mais dès que l’été vient, les pièces sont des étuves.

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Randonnée vers les nuages

Le départ de cette « vraie » randonnée aujourd’hui est interminable : les sacs sont trop lourds, on n’a jamais assez d’eau, et puis il faudra marcher… Remuer un groupe de quarantenaires n’est pas une sinécure ! Nous finissons par partir via le village de Tatev aux pistes défoncées, allègrement parcourues par les vieilles jeeps russes des paysans. La maison du peuple, souvenir du socialisme réel qui sert aujourd’hui de mairie et de salle commune, a l’apparence d’un kolkhoze à cochons.

Sur le chemin fleuri qui serpente lentement vers la montagne nous croisons un mulet grimpé par trois gamins tout heureux de se montrer en exercice. Nous suivons les traces molles et odorantes des vaches qui vont au pré. De multiples fleurs de campagne alpine mettent leur note de couleur sur le vert de l’herbe : mauves, millepertuis jaune, achillées blanches, œillets sauvages roses… Le soleil voilé est favorable à la marche, plus que la canicule implacable de l’autre jour. Mais monter en altitude nécessite un rodage. Nous avons bu et rebu, retenu de l’eau en raison de la chaleur des jours précédents, l’effort nous fait mouiller la chemise sous les sacs à dos.

Le dénivelé d’aujourd’hui passe de 1500 m à 2100 m avant de redescendre. Nous suivons « le corridor qui conduit au cosmos », selon les termes locaux, toujours fleuris. Il surplombe le bassin de Chamb pour rejoindre le village de Ltsen. La vue est plongeante sur Sissian devant et sur Tatev derrière. Nous pique-niquons au col, allégeant les sacs mais après la montée. Outre la viande hachée sur sa brochette, il y a une tomate et un concombre, en dessert deux biscuits maison fourrés à la confiture de figue.

Un berger local laisse ses moutons errer pour venir tenir conversation avec notre guide. Il est content de voir des étrangers visiter son petit pays ; lui est né ici et a parcouru tous les chemins depuis tout gamin, il en est fier et il l’aime, son coin de montagnes à moutons. Et puis nous sommes « propres » dit-il : nous ne laissons ni mégots par terre ni bouteilles plastiques vides. Il aurait envie qu’il y ait plus de touristes qui viennent admirer son paysage, des gens comme nous « qui respectent ». Pas des socialistes réels aux comportements de grossièreté prolétarienne, comme il était de mode sous feue l’URSS.

A la redescente, des sources ruissellent en travers du chemin. Des centaines de papillons me rappellent mon enfance, ils étaient encore nombreux à la campagne, éradiqués depuis par la chimie agricole. Ici volettent des blancs, des mauves, des oranges à pois, des noir et gris – je ne sais plus leur nom que j’avais pourtant appris dans un petit livre Hachette, jadis. De jolis coquelicots sauvages éclatent de pourpre, le cœur barré d’une croix noire bordée d’un filet blanc. Le soleil est revenu peu avant le col mais une brise montant de la vallée rafraîchit l’atmosphère. C’est une belle marche en moyenne montagne, pas trop dure, dans la verdure, et où l’on respire bien. Le plus difficile sera la fin, dans la poussière et sous le cagnard. Nous y prendrons des couleurs.

Seuls les abords du village de Ltsen sont rafraichissants, les maisons bordées de vergers touffus de pommiers, pruniers et poiriers, ou de treilles de vigne. Sous les ramures qui font ombre, des hordes d’enfants demi-nus s’amusent. Une jolie petite fille à queue de cheval noire se met au portail pour nous regarder passer effrontément. Pas un sourire mais des yeux noirs perçant. Son petit frère rit, en slip sous un pommier.

Malgré nos semelles brûlantes, nos gosiers secs et nos genoux fatigués, la visite est prévue au monastère de Vorotnavank qui est sur le chemin défoncé pour rallier Sissian.

Érigé peu après l’an mil, son église triconque, son mausolée et son cimetière herbu remplis de serpents sont bien délabrés. Les pierres à croix s’élèvent du sol comme pour revendiquer leur trace dans l’existence du monde.

Le petit tchèque Stefan, pris en stop dans le bus avec ses parents, court de ci delà, empli de curiosité. Le père fait des photos tandis que des serpents rampent dans l’herbe, qu’il chasse en faisant sonner le sol sous ses talons.

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Champignon polynésien

L’hôpital Mamao (Papeete) a fermé ces portes. Le matériel et les malades ont été transférés à l’hôpital du Taone (Pirae). La mégalo-ma’ohi a accouché d’un magnifique, gigantesque, moderne mais surdimensionné paquebot qui a coûté une fortune. Certain rêveur y voyait soigner tous les habitants du Pacifique sud, rien que cela. Le hall intérieur est splendide, à vous de juger.

La Polynésie est le royaume des fleurs. Fleurs en colliers pour accueillir les amies ; fleurs en couronne de tête ; fleurs au jardin ; fleurs au cimetière ; fleurs partout y compris dans les toilettes des restaurants et hôtels comme ici.

Quelle heureuse surprise de trouver de beaux champignons dans le gazon. Je rêve d’une succulente omelette aux champignons…

Mais qui pourrait me dire si ce champignon est comestible ou mortel ? Quelqu’un connaît son nom ? Serait-ce une fausse morille ?

[Et pourquoi « fausse » d’ailleurs ? ça change en tout cas des champignons atomiques dont on parle beaucoup à Tahiti – Argoul]

Hiata de Tahiti

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Albert Camus, Noces

Dans le recueil ‘Noces’, écrit vers 1937 à 24 ans, le premier texte est une merveille. ‘Noces à Tipasa’ chante le bonheur de vivre, d’être tout simplement au monde, dans le paysage, en accord avec ses dynamiques. La richesse présente est si vaste qu’elle submerge. Il n’y a plus ni riche ni pauvre, ni puissants ni misérables, ni vallée de larmes ni promesse de paradis. Aucun plus tard offert à l’imagination ne peut égaler l’écrasante omniprésence de l’instant.

Tipasa est une cité romaine ruinée à quelque distance d’Alger, au bord de la Méditerranée et au pied du Chenous. « Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la mer à gros bouillons dans les amas de pierres. » Ainsi commence le texte, tout empli d’observation attentive et d’empathie pour l’univers. Camus jeune est un païen qui vibre aux rythmes naturels ; il a en lui cette grande joie de vivre, cette énergie qu’il ressource au soleil et au vent, aux flots et à l’odeur des herbes.

« Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l’amère philosophie qu’on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. » Foin des grands mots, des attitudes théâtrales, des postures héroïques tourmentées – la philosophie n’est pas dans la masturbation intello à la Hegel, ni dans les engagements à la Sartre, ni dans les prises de position des vertueux clamant leur vertu à la face des autres. La philosophie est l’art de bien vivre, dans la lignée des Grecs et de Montaigne. Elle est d’être ici et maintenant, et de réaliser au mieux sa condition d’homme.

« Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa nature profonde. » Pour cela, il faut s’accorder à ce qui nous entoure, sans vouloir le contraindre, ni imaginer un ailleurs meilleur. « J’apprenais à respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais. Je gravissais l’un après l’autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense… » Fais ce que dois, tu n’es ni dieu ni diable mais homme tout simplement. Roule donc ton rocher comme le titan sur la montagne, puisque telle est ta condition. « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

« Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux Mystères d’Eleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. » Le bonheur est le simple accord de l’être avec ce qui l’entoure. Bonheur encore plus grand dans le plus simple appareil, sens en éveil, tout entouré de nature.

Car la vérité humaine est la vie éphémère, celle du soleil qui précède celle de la nuit comme la vie précède la mort. Toute cité devient ruines et le bâti retourne à sa mère la nature. Est-ce pour cela qu’il ne faut point bâtir ? L’homme n’est pas un dieu, il ne vit pas dans l’éternité et son destin est tragique : il vit d’autant plus au présent qu’il n’existait pas au passé et qu’il n’existera plus au futur. Il se condamne à mourir par le seul fait de naître. Mais, durant sa courte vie, il construit pour lui et avec les autres. D’où son exigence d’agir ni pour plus tard ni pour ailleurs mais ici et maintenant son vrai destin d’homme.

« J’aime cette vie avec abandon et je veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. » C’est la grandeur de la bête intelligente d’être consciente de son destin. Lucide comme la lumière, exigeant la vérité qui tranche comme le rai de soleil. « Je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir vivre. » La société, en effet, déforme. Trop contrainte de puritanisme paulinien, de mépris d’Eglise pour l’ici-bas, de convenances bourgeoises. Il faut se découvrir, se construire, se prouver. « Connais-toi toi-même », exhortait le fronton  du temple d’Apollon à Delphes ; « deviens ce que tu es », exigeait Nietzsche ; « fais craquer tes gaines » proposait Gide ; soit « ami par la foulée » criait Montherlant. Ce sont les références d’Albert Camus en ses années de jeunesse, auxquelles il faut ajouter Jean Grenier, qui fut son professeur.

« Tout être beau a l’orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd’hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierai-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre ? Il n’y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd’hui l’imbécile est roi, et j’appelle imbécile celui qui a peur de jouir. » Les ‘Noces’ de Camus sont celles de l’être et du monde, celles de l’auteur avec sa terre maternelle. Les autres textes du recueil sont dans le ton : le vent à Djémila, l’été à Alger, le désert dans la peinture italienne. Il s’agit toujours de se plonger dans le monde, de se mettre en accord avec lui, d’accomplir pleinement son destin humain. Ce n’est pas simple hédonisme, mais bel et bien vertu. Le soleil égal donne la même couleur aux gens ; l’amour et l’amitié font jouir et faire ensemble ; le respect de la nature qui exalte et qui permet rend libre, avec le sentiment d’éphémère. Égalité, fraternité, liberté, c’est toute une philosophie de jeunesse qui est donnée là. L’élan, la vigueur, l’entente.

Le persiflage intello français aime à répéter ce bon mot qu’Albert Camus serait un philosophe pour classes Terminales ; il apparaît plutôt comme un philosophe de la jeunesse. En mon adolescence j’aimais bien Sartre pour son exigence de liberté ; je me suis très vite senti plus attiré vers Camus, à mon œil moins histrion. Chacun choisit selon son tempérament.

Albert Camus, Noces suivi de l’Eté, 1938, Folio €5.41

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Se soigner par les plantes polynésiennes

Une gamme de boissons façon alicaments (raau Tahiti) a été créée par une jeune Polynésienne. Ce sont des boissons « bien-être » fabriquée à l’aide de plantes de la pharmacopée locale. Leurs vertus sont connues aussi bien des Polynésiens que des botanistes, qui les ont recensées dans divers ouvrages scientifiques dont celui de Paul Pétard, ‘Plantes utiles de Polynésie et Raau Tahiti’. Vous avez cinq goûts au choix :

  • Maora élimine les toxines
  • Komiri est réputée antistress
  • Mapé facilite l’élimination rénale
  • Tamaka est immuno-régulateur (?)
  • Pol’Noni est une boisson… au noni.

Le noni est un arbuste endémique de 3 à 6 mètres de haut en Polynésie Française. Ses plus beaux fruits sont obtenus sur un sol coralien et volcanique, très riche en minéraux. Le fruit a la forme d’un petit ananas vert virant au jaune-blanc à maturité de 5 à 15 cm de diamètre. Le noni produit des fleurs blanches en forme d’étoile au coeur or. Cité dans la médecine ayurvédique (indienne), il apparaît comme “la mère de toutes les plantes curatives”. Les guérisseurs polynésiens (kahunas) utilisent tout du noni, les fleurs, les feuilles, l’écorce, les racines. Mais ce sont les fruits dont le jus est apprécié le plus.

Le site Vital Noni, qui commercialise la production « biologique » explique : « Découverte en 1953, par le docteur R. Heinicke à l’Institut de Recherche d’Hawaï, la pro-xéronine est une enzyme (molécule) active très fortement présent dans le Noni. Présente en faible quantité naturellement dans tous les organismes vivants, elle est stockée dans le foie, libérée dans le sang toutes les deux heures pour être acheminée aux cellules de nos organes où une enzyme, la proxéroninase, la transforme en xéronine, un alcaloïde métabolisé par nos cellules qui sert à réguler de nombreuses fonctions physiologiques dont la régulation de la conformation spatiale des protéines, leur repliement et le maintien de leur intégrité. Les protéines étant les acteurs essentiels du bon fonctionnement cellulaire, un certain nombre d’entre-elles sont incapables d’effectuer correctement leur rôle (rôles d’hormones, d’anticorps, d’enzymes….) sans un apport suffisant en xéronine. De plus, les nouvelles méthodes de cultures recourant aux pesticides, herbicides, insecticides… ont considérablement épuisé les sols privant les récoltes de certains nutriments qui nous sont essentiels (dont la proxéronine) et qui ne peuvent être apportés par des fertilisants chimiques. » Ouf ! quel jargon médico-marketing ! Anti-oxydant, régulateur et anti-âge, le noni est la panacée des îles…

Si le noni a fait une extraordinaire percée, au plan local et international, surtout aux Etats-Unis, est apparue à la même époque, dans les années 1990, l’huile de tamanu qui n’a pas connu le même succès. Le tamanu est un arbre indigène de bord de mer de la famille des clusiacées, omniprésent en Polynésie Française, originaire d’Asie du sud-est. Certains tentent de changer la donne en créant de nouveaux produits. Le succès escompté n’est pas au rendez-vous. Alors, les petites entreprises polynésiennes ont créé le lait corporel au tamanu, le gel au tamanu parfumé au gingembre, le baume de tamanu parfumé au santal, le vaporisateur d’huile de tamanu « originale et pure à 100%. »

L’odeur du tamanu, un peu déroutante, est peu appréciée, surtout des femmes. En la parfumant de nouvelles senteurs, plus attirantes, on essaie d’ouvrir de nouveaux désirs. Une entreprise projette de fabriquer de la lotion anti-moustiques à l’huile de tamanu parfumée cannelle.

J’oubliais : l’huile de tamanu est censée quand même avoir des vertus curatives. Enfin, elle serait bonne pour tout : cicatrisante, apte à régénérer les tissus, notamment après brûlures, analgésique. La noix est utilisée telle quelle dans l’artisanat marquisien pour confectionner des colliers.

Raimana Ho, nouveau docteur ès sciences spécialité chimie, a fait sa thèse sur le metua pua’a. Il s’agit d’une fougère, mais médicinale le microsorum scolopendria, populaire dans la pharmacopée traditionnelle polynésienne. Elle est présente à l’état sauvage dans les vallées des cinq archipels polynésiens. Elle comprend six espèces, dont l’une ne se développe qu’au-dessus de 1000 m d’altitude. Deux sont employées pour la préparation du raau (pharmacopée). De nombreux tahua l’utilisent depuis longtemps comme fortifiant et vermifuge. « On a trouvé une famille de molécules qui appartient à celles des stéroïdes. Ces molécules sont bien connues pour leurs bienfaits sur la santé et permettent entre autre une augmentation de la masse musculaire, d’où son utilisation dans la pharmacopée traditionnelle », explique Raimana.

 « L’arbre miracle », lui, est le cocotier. Végétal le plus répandu et le plus utile de Polynésie, il sert à l’alimentation à l’habitat, à l’artisanat… et à la santé ! Avant l’arrivée des Européens, les guérisseurs savaient réparer des fractures du crâne en se servant d’un morceau de noix de coco nia (noix avec albumen liquide). A ce stade de croissance, la noix a la même épaisseur que la boite crânienne. Ils découpaient un fragment qui venait s’insérer dans la cavité, puis replaçaient le scalp par-dessus. L’os se ressoudait au fragment et le blessé pouvait reprendre une vie normale.

Hiata de Tahiti

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Tracy Chevalier, La dame à la licorne

Article repris par Medium4You.

Un rendez-vous musée de Cluny a été l’occasion de revoir le chef-d’œuvre Renaissance : la Dame à la licorne. Donc de relire le livre de Tracy Chevalier.

La tenture de la Dame à la licorne a été redécouverte en 1841 par Prosper Mérimée dans le château de Boussac en Creuse. Elle entre dans la légende avec George Sand. Aujourd’hui conservée au musée du moyen-âge de Cluny, à Paris, la tenture est complète et comprend six pièces. Cinq illustrent les cinq sens, la sixième est ornée d’une devise, “à mon seul désir”. Une dame vêtue de brocart rouge et de soie semble se défaire de ses bijoux, qu’elle dépose dans un coffret tenu par la servante, à moins qu’elle ne les prenne. Ce geste pourrait évoquer le renoncement au luxe, aux passions terrestres, à la sensualité de l’amour.

Mais cet entre-deux du geste le laisse ambigu, inachevé. Est-ce renoncement ou, au contraire, retour au monde ? Les animaux fabuleux représentés que sont le lion et la licorne portent sur oriflammes les armoiries du commanditaire, Jean Le Viste, de famille lyonnaise et proche du roi Charles VII. La commande a sans doute été réalisée dans les ateliers bruxellois réputés en cette fin du 15ème siècle  Les animaux familiers des landes médiévales (lapin, oiseaux) ou de l’exotisme (singe), créent sur fonds de mille fleurs un univers magique, hors du temps, en référence à l’Eden.

De cette tenture superbe, étonnamment vivante après les siècles, nous savons peu de choses. Tracy Chevalier, Américaine vivant à Londres, s’est fait une spécialité de romancer certaines œuvres où figurent des femmes. Les lecteurs cultivés se souviennent de sa « Jeune fille à la perle », publiée en 2000. Elle s’attaque en 2003 à cette « Dame à la licorne » (Folio, 2005) avec toutes les qualités du premier livre. Son exigence de « vrai », typiquement américaine, l’a poussée à se documenter soigneusement sur l’époque et sur l’art du tissage ; elle en livre les sources en fin de volume. Son parti-pris féministe, là encore typiquement américain d’époque, l’a conduit à privilégier le point de vue des femmes, l’épouse du commanditaire, sa fille et sa servante, l’épouse et la fille du lissier, les frasques féminines du peintre.

Comme on ne sait rien, son imagination a pu se débrider. Elle n’est pas tendre pour celui qu’elle nomme « Nicolas », créateur des cartons. Le fils qu’elle avoue dans l’incipit aurait-il pu l’inspirer ? Elle en fait un beau gosse artiste mais avide de baiser tout ce qui passe en délaissant les suites. Elle n’a en revanche que pure tendresse complice pour les ardeurs des jeunes filles dont la première partie nous livre un récit ciselé et haletant. Claude, fille de Jean Le Viste, est prise de fièvre sensuelle à 14 ans lorsqu’elle pense au beau Nicolas. Lisez la page 52 pour en savoir plus…

Le roman est divisé en 5 périodes plus un épilogue, tout comme les tentures. Est-ce voulu ? Involontaire ? Le lecteur peut retrouver la vue lorsque les protagonistes se rencontrent dans la première partie.

Suit le goût en partie 2, chez ces Bruxellois gourmands pour qui une tapisserie terminée est « proche de la sensation que vous avez à manger de petits radis craquants et printaniers » (p.100), où l’on accueille l’artiste avec un plat d’huîtres « dignes d’un Parisien » (p.129) et où une jeune fille aveugle se complaît à produire des herbes et des légumes au jardin.

La partie 3 serait-elle l’ouïe, toute de dialogues qui font avancer l’intrigue ?

La 4ème partie est dédiée au toucher, tout au tissage de la laine dans l’atelier bruxellois et au culbutage de l’amoureuse parmi les fleurs du jardin : « je frissonnai tandis que nos peaux entraient en contact dans l’air frais. » (p.292)

La 5ème partie est à nouveau en Paris mais l’odorat y est parcimonieux malgré « le vin aux épices » et « les figues rôties » du repas de fiançailles de Claude Le Viste avec un noble seigneur. Son père Jean se tient quand même « près de la tapisserie de l’Odorat » pour accueillir ses visiteurs, même s’il préfère l’Ouïe parce que « l’étendard y est très beau et le lion a noble allure. » (p.340)

L’épilogue est doux amer ; comme la dernière tenture intitulée « à mon seul désir », il montre que les humains font rarement se qu’ils voudraient le plus au monde. « Ces tapisseries traitent non point de la seule séduction mais aussi de l’âme. » (p.341)

Les 359 pages se lisent bien, dans cette vogue du roman historique pénétré de pédagogie et enrobé de sentiments. Hier vaut mieux que demain pour une population qui vieillit. Mais le charme médiéval agit. Nous sommes à l’aube de la Renaissance.

Tracy Chevalier, La dame à la licorne, 2005, Folio, €6.93

La tapisserie de la Dame à la licorne est visible à Paris, au musée national du moyen-âge, à Cluny.

Le rendez-vous n’est pas venu. Il semble que l’erreur était mienne, une date mal notée. On soupçonne toujours Internet, souvent l’univers du n’importe quoi, où tout est apparemment permis. Mais pas cette fois et je renouvelle mes excuses à la personne concernée. C’est grâce à cette erreur que j’ai pu remarquer les lapins, dans un coin de la tapisserie du Goût. Deux petits conins mignons qui batifolent.

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