Articles tagués : couple

Alain Denizet, Voyage de noces en 1853

Alexandre Dumas a voyagé vers la Suisse en 1832, Victor Hugo a voyagé en province à partir de 1835, Stendhal a voyagé en France en 1838, Flaubert et son ami Maxime du Camp ont voyagé en 1847 en Bretagne et Normandie – mais c’étaient des écrivains, non des bourgeois commerçants en voyage de noce. Le voyage est alors une invention anglaise, un Grand tour qui donnera le tourisme, à la portée des classes moyennes – un basculement culturel. Historien dans la lignée d’Alain Corbin, Alain Denizet fait le récit de ce tour du sud de la France en deux mois, matérialisé par un manuscrit de 50 pages déposé aux archives d’Eure-et-Loir. L’ouvrage est préfacé par Pascal Ory, Académicien français et professeur émérite en histoire culturelle et politique à Paris 1. En deux parties, le livre donne le contexte du voyage, publie le texte avec ses fautes et ses repentirs, les dessins de Jenny, et quelques illustrations des lieux visités en leur époque.

La pratique du voyage de noce n’apparaît en France qu’en 1829 et il semble que ce petit carnet de cuir d’Henry Pelé (25 ans) et de son épouse Jenny (20 ans), née Courtois, mariés le 25 avril 1853, soit la plus ancienne archive sur le sujet du voyage personnel. Les préventions sociales (l’isolement de l’épouse) et médicales (les règles, le voyage en train propice aux fausses couches – croit-on), la morale (l’exposition aux plaisirs des villes d’eau et lieux à la mode, les soubresauts des diligences et des chevaux qui peuvent « échauffer » la femme) étaient autant d’obstacles et de préjugés – sans parler des bains de mer (tout habillé et avec une duègne. Ce voyage est une démarche du couple sans la famille, déjà individualiste. La façon de faire reste genrée selon l’époque : Henry écrit, Jenny reste au second plan, même si elle participe et elle dessine.

Henry et Jenny sont issus de familles de bourgeois commerçants, Henry parvenu grâce au commerce des vins développé intelligemment par son père, Jenny établie par la fortune immobilière en terres et fermes de sa lignée. Henry a été envoyé au lycée et fait partie des 70 000 privilégiés de cette époque. Pour le père d’Henry, c’est l’affirmation de sa réussite sociale et de sa modernité.

Le couple sillonne la France en 32 étapes, cap exclusivement vers le sud. Tout le nord, l’est et l’ouest sont ignorés. Départ en diligence de 5 tonnes depuis Chartres vers Orléans, Sully-sur-Loire, Blois (où ils admirent le château), Chambord, Amboise, Poitiers (« Cette ville est laide et mal bâtie »). Puis vers Niort, Saintes, Blaye et la citadelle de Vauban, Bordeaux. Pour Pau, l’épreuve, un « trajet en voiture de 21 heures » toujours en diligence. Vers Tarbes, « paysage magnifique dans la dernière moitié du chemin », mais « pas un monument remarquable dans cette ville ».

Ils poursuivent vers Bagnères-de-Bigorre et le mont Bédat pour le romantisme. Henry note que « le paysan ne parle pas le français ». Vers Campan, « le bruit des eaux est un ennui que j’ai éprouvé dans toute cette partie des Pyrénées. Il distrait sans cesse et empêche l’âme de se recueillir. Pour admirer il faut le silence et il ; est impossible de l’obtenir dans ces solitudes bruyantes. » Source de l’Adour, cascades, Luchon, Bagnères de Luchon, « une belle ville très bien bâtie ». Ils aiment les Pyrénées et y retourneront une fois dans leur vie. Un court voyage d’une journée à cheval vers Bossost en Espagne, sur un sentier via un col. Toute une expédition ! Avec, à Bossost, la surprise de l’étrange étranger : « nous sommes assaillis par une multitude d’enfants qui nous demandent l’aumône insolemment et avec menaces ». « Sur un seul seuil, nous comptons 10 têtes, dont 8 enfants et 2 petits cochons ». L’Espagne n’est pas la France, déjà on compare, on juge, on déprécie.

Depuis Toulouse, voyage en barque de poste sur le canal du Midi jusqu’à Carcassonne. A Béziers, ce que retient surtout Henry est « le marché aux eaux de vie » (il est fils de commerçant en vins et alcools). La ville de Cette, musée, mer. Ce ne sont à chaque fois que des notes rapides, la liste des monuments visités. Montpellier par chemin de fer, Marseille par la mer en bateau à vapeur où Jenny est indisposée par le mal de mer. Henry assiste au lever de soleil à 4 h du matin, mais « ce spectacle ne correspond pas à ce que j’attendais d’un lever de soleil sur la mer. » Illusion des livres, ils avaient enflammé son imagination et le réel le déçoit. A Marseille, déjà, « nous rencontrons à chaque pas des étrangers et principalement des hommes portant des costumes de l’Orient, des grecs et des musulmans ». A Toulon, force casernes, l’arsenal, les forçats. Arles par chemin de fer : « le musée renferme de belles antiquités et en très grande quantité ». Tarascon, foire de Beaucaire, commerce de gros. Nîmes, Avignon, « un pont en fil de fer », « le château des papes est aujourd’hui une caserne ».

Le couple prend le bateau à vapeur sur le Rhône jusqu’à Lyon. Ils visitent Châlons et prennent un autre bateau à vapeur sur la Saône. Puis Dijon par chemin de fer, et Paris de même. Départ pour Chartres dès leur arrivée à midi (sans avoir vu Paris). La ville ne les intéresse pas : sont-ils pressés de rentrer, ou craignent-ils les tentations ou les mauvaises rencontres ? Toute capitale fait toujours peur aux provinciaux ; elle leur apparaît comme une Babylone du vice et de la dépense (tel New York pour les Hillbillies trompistes).

2700 km en 52 jours, 10 jours à la nature, 40 promenades, 120 monuments cités, le Moyen Âge privilégié, c’était la mode, mais aussi l’antiquité, dont on commençait à peine à découvrir les vestiges. Peinture à Marseille, Dijon. Parfois le théâtre, à Poitiers et Bordeaux. Ils évaluent et notent les hôtels ; les mieux notés sont les mieux situés, aux centres-villes. « Les transports dévorent vingt pour cent des deux mois du voyage ».

Le coût total du périple, évalué par l’auteur, tourne autour de 1400 francs, soit deux fois le salaire annuel d’un instituteur, ce qui fait une belle somme même aujourd’hui. Tel est le prix d’un voyage initiatique pour prendre la mesure de la France, goût né du romantisme et de la toute nouvelle sensibilité au patrimoine. Ils ont recherché en montagne ou sur la mer « le sublime » romantique : orages, immensités, rochers aigus, mer à l’infini. « La pause pyrénéenne est une parenthèse enchantée à laquelle le récit consacre près du tiers des pages du petit carnet, signe d’un dépaysement conjugué à des souvenirs très forts pour le couple », analyse l’auteur.

Ce qui manque : les sentiments, la sensualité, la sexualité. Çà ne se dit pas, ça ne se fait pas, « pédagogie de l’ignorance » à la Émile de Rousseau et des collèges chrétiens. Les élites s’emploient à discipliner leurs émotions et prônent moralement le puritanisme. Aucune remarque par exemple sur les incommodité, la chaleur, la poussière, l’encombrement, les actualités locales pourtant riches durant leur séjour. Ni sur la guerre de Crimée contre les Turcs qui se prépare à Toulon. Ce récit de voyage n’est pas un journal intime, reflétant la sensibilité du voyageur devant l’étrangeté des hommes ou l’impression que font les paysages. C’est plutôt un carnet de notes pour « alimenter la besace aux souvenirs des fruits de leur dépaysement ».

Après ce voyage expérimental, le couple se stabilise. Trois enfants naissent entre 1854 et 1858, deux garçons et une fille. A 52 ans, Henry prend sa retraite en cédant son entreprise à son fils aîné. Ce qui fait rêver aujourd’hui – mais il meurt en 1906 à 78 ans, n’en ayant profité que 26 ans, et Jenny en 1909 à 76 ans. L’espérance de vie de nos jours est nettement plus longue, de plus de dix ans, ce qui justifie que l’on reste plus longtemps au travail – d’autant que les études avant de travailler sont longues elles aussi.

Agrégé d’histoire-géographie, Alain Denizet a été professeur au collège de Bû jusqu’en 2021 Il préside depuis 2015 le prix du Manuscrit de la Beauce et du Dunois. Alain Denizet a notamment publié Enquête sur un paysan sans histoire, L’affaire Brierre, (prix du Manuscrit de la Beauce et du Dunois respectivement en en 2007 et 2014), Le roman vrai du curé de Châtenay, Le Messager de la Beauce et du Perche, Un siècle de faits divers en Eure-et-Loir et Ne vous tourmentez pas de moi en collaboration.

Alain Denizet, Voyage de noces d’Henri et Jenny 31 mai-17 juillet 1853, 2024, Ella éditions, 268 pages, €20,00, e-book Kindle €9,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Site de l’auteur

Éditions Ella, attaché de presse Christophe Prat

Un autre récit d’Alain Denizet :

Catégories : Livres, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Alexandre Jardin, Mademoiselle Liberté

A 37 ans, déjà l’andropause ? Alexandre Jardin, auteur prolifique qui ne sait pas se poser, livre ici ce qui pourrait être son roman le plus enflé et le plus niais. Deux protagonistes s’aiment d’un amour hard. Lui, Horace, est coriace ; elle Liberté est l’idéal faite ado. Elle veut vivre l’Absolu, avec un grand Ah ! Lui reprend jeunesse auprès d’elle.

Horace est déjà une enflure. Virtuose du piano à 28 ans, il quitte la musique pour le golf où il devient champion, puis le golf pour traverser l’Atlantique à la nage, pas moins. On n’y croit pas. Décidé à se ranger dans la médiocrité la plus tarte – selon l’auteur : devenir proviseur et prof de philo dans un lycée de province, marié à une bourgeoise banale et sans envergure. Neuf ans et deux gosses plus tard, il se heurte à Liberté Byron, l’une de ses élèves post-bac, qui le provoque en philo.

Elle, descendante de l’homosexuel sceptique et misanthrope le plus célèbre de Grande-Bretagne (c’est dire !) a été élevée comme Émile, abreuvée de Bovary et de comtesse Sanseverina, de poèmes de Ronsard et de Byron – mais sans sexe, comme Rousseau l’a voulu. Une île artificielle, creusée par riche papa, lui offre sa robinsonnade. En bref, tout pour ma pomme et rien à foutre des autres. Elle n’a pas d’amis, ni « is » ni « ies ». La Liberté est emprisonnée dans le personnage qu’elle s’est créé : la figure pure de l’Idéaliste qui veut tout et ne lâche rien. A 18 ans, elle refuse d’être femme, elle veut la folie. Le bonheur est trop tiède, elle veut l’orgasme.

Ce n’est pas l’amour, cet accord de deux êtres par les sens, le cœur et l’esprit ; c’est le plaisir, forcément éphémère, toujours forcé car sans lendemain. Liberté va harceler de lettres l’épouse et le prof pour faire craquer leur couple. Elle veut plus pour lui, pas moins que la perfection, sans détester la bourgeoise – qui fait ce qu’elle peut selon son tempérament et son éducation.

D’où ces pages insipides et ces dialogues sans cesses recommencés où l’on rate son entrée jusqu’à la réussir, des pages que le lecteur saute volontiers tant c’est tarte. Horace cède à la coriace. Il ne va pas moins qu’opérer un strip-tease à sa fenêtre (ouverte) devant tous les pensionnaires du lycée. Puis se lancer dans une baise acrobatique « à 200 km/h » à contresens sur l’autoroute, avec une Liberté qui conduit. Accident, blessés, résultat : elle une simple entorse et lui une jambe cassée. Holà, niais ! A 200 km/h, il n’y a pas de blessés, seulement un écrabouillis de chair et de tôles ! Comment écrire aussi bête, à moins d’être enivré de bêtise ?

Non, je n’ai pas aimé ce roman, sorti des fantasmes enfiévrés d’un ado attardé. L’« amour vrai et pur » est un idéal, qui ne s’atteint qu’à certains moments éphémères où tout concourt d’un seul coup. Ce n’est pas un état permanent. « Une vie de passion n’existe pas davantage qu’un tremblement de terre permanent, ou qu’une fièvre éternelle », écrivait Lord Byron lui-même (Lettre à Thomas Moore du 5 juillet 1821). L’existence est faite d’imparfait, de compromis. La passion n’est pas le nec plus ultra de l’humain ; il vaudrait mieux le chercher dans la faculté intelligente. Ni le vit ou la vulve, ni le cœur et la ferveur, ne valent l’esprit et le discernement.

Un roman à fuir. Il est raté, l’auteur lui-même en convient dans sa préface 2003, où il dit avoir refait la fin. Je ne l’ai pas donné, ni abandonné, je l’ai jeté, déchiré et mis au recyclage. Il est de mauvais livres, celui-là en est un. Des livres qui confortent l’illusion que l’Absolu est de ce monde et que l’Adolescence est le seul être vrai. C’est faux, toute la vie ne cessera de le prouver.

Alexandre Jardin, Mademoiselle Liberté, 2002 raté revu 2003, Folio 2004, 243 pages, €8,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les romans de Jardin déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nevil Shute, Le dernier rivage

Un roman de fiction… toujours actuel. Car la Technique a saisi les hommes et les domine. Elle peut conduire, entre les mains de cerveaux faibles aux egos surdimensionnés (suivez mon regard…) à l’Apocalypse. Et c’est bien ce qui arriva. L’auteur, ingénieur aéronautique, pilote et écrivain, décédé à 60 ans d’un AVC en 1960 à Melbourne en Australie, anticipe la guerre mondiale possible – dont la menace culminera en 1962 lors de la crise des missiles soviétiques de Cuba.

Nevil Shute imagine, juste après la mort de Staline, un petit pays encouragé à posséder la Bombe et à qui ont été vendus par les communistes des bombardiers lourds – pour « se défendre contre le capitalisme ». Le dictateur totalitaire ultra-stalinien Enver Hodja était capable de tout – donc de provoquer l’Occident en bombardant New York. S’ensuit une guerre entre URSS et Chine pour que Moscou obtienne Shanghai, port en eaux libres, avec riposte maoïste, et une riposte américaine sur le bloc de l’Est. En bref, plus de 4000 bombes H « au cobalt » sont lancées. La bombe au cobalt était une arme nucléaire « sale », conçue exprès pour produire des retombées radioactives destinées à contaminer de vastes zones durant une centaine d’années. Dès lors, tout l’hémisphère nord est irradié, toute vie éradiquée. Ne restent que quelques pays de l’hémisphère sud épargnés, de l’Australie à l’Afrique du sud.

Mais pour peu de temps… Car le régime des vents pousse les poussières radioactives inexorablement vers l’hémisphère sud. C’est une question de mois, de semaines, de jours, avant que l’irradiation ne s’accomplisse, que les vivants aient des nausées, des diarrhées, des arrêts cardiaques. C’est cette chronique d’une mort annoncée qui fait l’intrigue de ce roman d’anticipation.

Il est poignant, car saisi au ras des gens, dans leur petite vie tranquille qui ne demande rien à personne, tout comme l’auteur s’est exilé en Australie pour vivre dans une ferme dès 1950. Le lieutenant de vaisseau australien Peter Holmes est convoqué par son amiral pour servir d’officier de liaison avec Dwight Towers, commandant le sous-marin nucléaire des États-Unis Scorpion, réfugié dans ses eaux après la disparition de son pays. Leur mission : effectuer un long périple vers le nord pour observer les côtes et repérer d’éventuels survivants à l’apocalypse. Un signal radio erratique a été capté près de Seattle.

La mission ne fait que confirmer ce que tout le monde pressent, après les arrêts successifs de toutes les émissions radios des pays non directement touchés par les bombes : plus aucun vivant, des rues vides, des maisons intactes, des lumières encore allumées parfois, des techniques automatiques qui poursuivent leur programme sans aucun humain.

De retour, le sous-marin est désarmé, son commandant va le couler au large, selon la procédure. Plus d’essence, l’Australie n’a pas de pétrole exploité dans les années cinquante ; les gens circulent à cheval, en charrette ou en trains et trams mus à l’électricité provenant des centrales à charbon, car l’Australie a beaucoup de charbon. La vie n’est paisible que dans les fermes, où l’élevage fournit le lait et la viande, tandis que le potager et le verger donnent légumes et fruits. L’argent ne sert plus à rien : dans un mois ou deux nous serons tous morts.

Curieusement, ce n’est pas l’explosion des pulsions qui vient à l’esprit de l’auteur. A la fin des années cinquante, la morale et la religion étaient encore prégnantes et disciplinait les comportements. Ce ne serait vraisemblablement plus le cas aujourd’hui, où pillages, casses, viols et meurtres seraient monnaie courante. A l’époque, pas d’orgies ni de casseurs, seulement des soûlards et des filles qui se donnent pour connaître « ça » avant la fin, faute de réaliser leur rêve social du couple avec enfants. Les solitaires vivent leur passion, comme Osborne le scientifique, qui a acheté une Ferrari rouge et ose s’inscrire à une course automobile. Ou Moïra, jeune fille qui boit des double-brandys pour oublier et tente de séduire au moins pour quelques semaines Dwight Towers. Ou ledit Towers, le commandant qui exécute les ordres et les procédures à la lettre, sa seule dignité après avoir tout perdu, dont son épouse et ses deux enfants aux États-Unis – pour qui il achète, de façon dérisoire, des « cadeaux ». Quant aux couples, ils intensifient de façon névrotique leur vie de couple centrée sur le bébé, la maison, l’aménagement du jardin (déraciner deux arbres pour planter des légumes, acheter un banc pour la saison prochaine). Pour rien.

Pour oublier qu’ils vont mourir, que c’est écrit, que c’est proche. Qu’il va falloir tuer le bébé Jennifer pour qu’elle ne reste pas toute seule au cas où les parents mourraient avant elle. Poignante décision, que refuse Mary la mère, de tout son corps, de tout son cœur, de toute son âme. Mais c’est ainsi, inutile de faire la sotte et de croire que tout cela ne pourra jamais arriver, cela arrive, et très vite. Des pilules de suicides sont d’ailleurs distribuées gratuitement dans toutes les pharmacies pour abréger les derniers instants, très douloureux et sans plus aucun organisme de soins.

Comment conserver un sens à l’existence lorsque le monde s’écroule et que la mort vient ? Les réponses, dit l’auteur sans en avoir l’air, simplement en décrivant la vie des gens, sont dans l’amour, la famille, l’amitié, le métier, la quête de soi. Rester digne, faire bien son boulot, vivre sa vie jusqu’au bout en restant debout.

Un beau film de Stanley Kramer a été tiré de ce roman en 1959, mais il suscite moins la réflexion. Comme toujours, le livre permet le recul de l’écrit, sans l’émotion des images qui inhibe la pensée. Mais on peut lire et voir, c’est complémentaire.

Nevil Shute, Le dernier rivage (On the Beach), 1957, Livre de poche 1970, 382 pages, occasion rare €25,00

DVD Le Dernier Rivage (On the Beach), Stanley Kramer, 1959, avec Anthony Perkins, Ava Gardner, Donna Anderson, Fred Astaire, Gregory Peck, MGM United Artists 2004, doublé anglais, français, allemand, espagnol, italien 2h09, €11,98, Blu-ray €11,40

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma, Géopolitique, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi

La femme qui dit « je » est doctoresse en Angleterre avec 1200 patients ; elle se trouve « bonne » avec bonne conscience. Son mari David fait dans l’écriture à la maison, des brochures d’entreprise et la rubrique de l’Homme le plus en colère d’un journal local ; il s’en prend aux vieux qui n’ont jamais la monnaie dans le bus et qui ne s’assoient jamais aux places qui leurs sont réservées. Ils ont deux gosses, Tom, 10 ans et Molly, 8 ans. Un jour, alors qu’elle se trouve dans un parking à Leeds et qu’elle appelle pour que son mari fasse un mot pour Molly, elle lui annonce qu’elle ne veut plus être sa femme.

Ainsi commence le quatrième roman de l’humoriste le plus connu du Royaume-Uni, auteur de Haute fidélité, A propos d’un gamin et autres actualités dont on a fait des films. J’en ai parlé sur ce blog (voir à la fin de la note). Kate a un amant, Steven, mais c’est plus par hygiène que pour refaire sa vie ; elle ne tarde pas à le larguer, bien qu’il vienne carrément à la maison en discuter avec David et elle. Kate, épouse depuis vingt ans du même homme, en a tout simplement marre, la quarantaine venue, de cette vie. Aime-t-elle ses enfants ? Elle n’en a guère le temps et ne les apprécie pas plus que cela – avoir des enfants, « c’est ce qui se fait », c’est tout. David et Kate sont un couple banal des années 80, révolutionnaires dans leur jeunesse et de gauche depuis, lisant The Guardian et suivant les Grandes causes à la mode. Mais bon…

David, qui s’occupe de la maison et des enfants, décide d’évoluer. Avisant par hasard un guérisseur qui se fait nommer D.J. GoodNews (disc jockey Bonnes nouvelles), il se fait masser et ses douleurs au dos disparaissent ; pareil pour sa fille Molly qui a mal à la tête. Il décide alors de copiner avec le gourou, petit homme aux mains magnétiques qui arbore deux tortues « d’eau » en piercing dans ses sourcils. Cela le change radicalement. Avec GoodNews, il décide de voir la vie autrement : non plus comme un stressé en colère contre le monde entier (donc de cette gauche réactionnaire pleine de ressentiment qui sévit dans les années 80 à 2010 en Angleterre comme en France), mais de vivre à son niveau le bien qu’il peut faire aux autres (une gauche plus écolo et plus humaine, issue de la moraline chrétienne, mais aussi de sa niaiserie).

C’est la révolution permanente. David décrète que GoodNews peut s’installer à la maison, puisqu’il y a une chambre de libre et qu’ainsi ils pourront mieux travailler ensemble. David décrète, à la majorité qualifiée de trois contre un, que Tom devra donner son ordinateur à l’association des femmes battues, puisque la maison a trois ordinateurs et qu’il n’est pas décent d’avoir trop. David décrète, de même, que les jouets superflus, mais aussi ceux qu’on préfère, doivent être donnés à ceux qui n’ont rien (Lépludémuni de Maman Ségolène). En bref, David incarne dans sa chair le politiquement correct de son époque et désoriente son épouse médecin qui croit agir pour le bien des autres. « Il ne s’agit pas du mal que tu as fait mais du mal que nous faisons tous. – Qui est ? – On ne partage pas assez avec les autres. Chacun s’occupe de soi et ignore ceux qui souffrent. Nous reprochons à nos politiciens de ne rien faire pour eux, pensant que cela suffit à montrer que le sort de tous ces pauvres gens nous tient à cœur, alors que nous continuons à vivre dans des maisons qui ont le chauffage central et sont beaucoup trop grandes pour nous » p.96

David décrète donc qu’il va « organiser une fête » (tellement à la mode!) pour convaincre les gens de la rue d’accueillir un SDF chez eux dans leur chambre d’ami. Et ça marche ! Ou plutôt, six personnes sur quarante adhèrent au projet. Trois garçons et trois filles, tous adolescents et paumés, sont amenés en bus et répartis dans les maisons. Mais cela ne dure pas ; le premier se fait la malle avec un caméscope, un bracelet qui traînait et l’argent de réserve ; le second part vite retrouver sa mère ; une fille retourne sur le trottoir plutôt que de subir la morale d’une vieille ; seules deux résistent, dont la fille accueillie par un couple gay (pas un garçon, pour éviter les tentations…). Humour anglais : les bons sentiments ne résistent pas aux dures réalités.

Et c’est ainsi que Kate, qui ne se décide pas à quitter David, finit, sur un coup du sort, de rester. Et que David, qui s’aperçoit vite que ses idées de bonté dérivent dangereusement pour l’équilibre de la famille et des enfants, met du lait dans son thé. D.J. GoodNews est viré (avec égards), les enfants ne sont plus obligés d’inviter leurs pires ennemis (la Hope qui pue, le Christopher demeuré), ni de donner leurs affaires à ceux qui n’en ont rien à foutre. Et la vie reprend, banale, avec ses hauts et ses bas, mais normale. Faire le bien commence par celui de sa famille. Les Grandes causes doivent le rester – aux associations et aux politiciens de s’en occuper, chacun son niveau. Kate continue de soigner et David d’écrire : ce sera un livre – La bonté, mode d’emploi.

Une réflexion plus profonde qu’elle ne paraît sur le « tu dois » de la moraline de gauche, les bons sentiments tenant lieu de politique. Comment être « bon » sans être une poire ? Faut-il « tendre l’autre joue », tout quitter pour suivre un gourou, se dépouiller pour vêtir ceux qui sont nus ? Faut-il suivre les admonestations des prêtres (qui se gardent bien de le faire), et des penseurs de gauche (qui restent bien confortablement dans leurs bureaux) ? Ou faut-il penser par soi-même, et pratiquer la bonté selon ses moyens personnels, avec des gens choisis, et non selon un idéal abstrait sans effet sur la société ? Faire couple, c’est déjà dresser une barrière avec les autres ; élever des enfants, c’est déjà les préférer à tout autre. Être « bon » commence par la base : ses proches, de proche en proche, et pas n’importe qui. Être « bon », c’est faire le mieux que l’on peut avec ce que l’on sait faire : soigner par la médecine, écrire des textes qui font penser. Pas des leçons à donner aux autres, ni de se conforter à être bien-pensant.

Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi (How to be Good), 2001, 10-18 2010, 288 pages, €3,18, e-book Kindle €9,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Elisabeth Kay, Sept mensonges

Le mensonge fascine l’époque. L’heure est à « la transparence », l’égalité de tous devant « la vérité », le tout savoir « démocratique ». Ce pourquoi le mensonge est la forme de Satan – celui qui séduit en disant le faux, celui qui tente par la « belle histoire ». Vieux remugles bibliques de la culture occidentale. Ce roman policier très récent est focalisé sur le mensonge – pas moins de sept. Dont la succession est une sorte d’engrenage fatal qui va aboutir au pire.

Jane et Marnie sont deux filles anglaises qui se se sont connues en sixième, à 11 ans, et ne se sont jamais séparées depuis. Elles font tout ensemble, pis que des jumelles. Elles co-louent, elles dorment dans le même lit, elles rient des mêmes choses, même si l’une est extravertie et solaire (Marnie) et l’autre repliée sur elle et maussade (Jane). Mais elles ne sont pas lesbiennes, elles ont chacune leurs peitts amis – qui changent. L’accord des tempéraments et les sentiments forme une sorte de sororité prête à la romance, sans rien de sexuel.

C’est Jane qui raconte. A qui ? A la fille Marnie lorsqu’elle est encore bébé et ne comprend pas encore. Mais devant le baby-phone qui répercute le son et l’image – donc renvoie la vérité. Jane avoue avoir menti une toute première fois à Marnie en ne raisonnant pas son ardeur pour Charles, qui va devenir son mari. Charles est associé d’un fonds d’investissement, riche, beau parleur, beau mec, bien musclé, bien habillé, content de lui. Et égoïste à faire peur – ce qui semble aller avec. Marnie ne voit rien, aveuglée par l’amour. Quand le vagin vous tient…

Oh, Jane sait ce qu’il en est : elle aussi a connu l’amour, sous la forme d’un Jonathan grand, sportif, musclé, seulement cameraman, mais gentil et attentif. Le contraire de Charles. Sauf qu’en sortant du métro, après un marathon, il a été écrabouillé par un chauffeur de taxi bourré en plein Londres – sous les yeux de sa femme. Dès lors, Jane va se réfugier dans les bras de son amie. Charles est vite lassé de ce ménage à trois et le fait savoir. Mais pas question pour Jane de voir s’éloigner Marnie. Elle n’aime pas Charles, elle ne va pas l’aider. Et il va disparaître.

Jane raconte sa vérité, tissée de sept mensonges, chiffre symbolique, dont le premier est le plus bénin. Qui aurait à cœur de doucher l’enthousiasme de son amie pour son nouvel amour ? Sauf que, si elle l’avait fait, Charles serait peut-être encore en vie… La suite des mensonges ne fait qu’enfoncer l’amitié dans les secrets toxiques qui la détruisent de l’intérieur. Jane, délaissée par sa mère qui lui a toujours préféré sa petite sœur fragile Emma, s’est reconstituée une sœur avec Marnie. Lorsque celle-ci s’éloigne, pour cause de couple avec Charles, elle ne le supporte pas et fera tout pour que cela change.

Plus : lorsque Marnie accouchera d’une petite fille, faisant famille par elle-même et excluant de fait sa meilleure amie en la faisant passer au second plan, Jane ne sait pas de quoi elle peut être capable. Surtout qu’une journaliste ambitieuse traque les témoignages de qui a fait quoi lors de la mort de Charles. Et celle de Jonathan. Et celle d’Emma. Et celle de la mère. Jane est toujours là, toute proche.

Mais s’il y a morts, il n’y a ni enquête, ni fausses pistes. Jane raconte linéairement à l’enfant de l’avenir les étapes de son amitié fusionnelle remise en cause, de sa résistance, de ses méfaits sans le vouloir, poussée par une force qui la possède.

Ce roman policier tente une approche originale, où la psychologie est une analyse en profondeur de la psyché. Une amitié trop fusionnelle, par réparation d’une enfance frustrée, ne peut donner que de l’envie obsessionnelle – et faire déraper les relations équilibrées. Quand les vérités ne sont pas égales, le mensonge les compense. Pour le pire.

L’auteur, éditrice anglaise, écrit là son premier roman, et il est réussi. J’ai beaucoup aimé ce décorticage honnête des ressorts psychologiques d‘une meurtrière malgré elle, qui ne sera jamais reconnue comme telle.

Elisabeth Kay, Sept mensonges (Seven Lies), 2020, Pocket 2024, 439 pages, €9,00, e-book Kindle €9,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Roger Vailland, Les mauvais coups

Le dandy libertin alcoolique né en 1907 raconte sous forme de roman une histoire proche de la sienne. Milan, au nom d’oiseau de proie, est marié avec Roberte, femme faussement libre et en manque d’excitation. Tous deux approchent la quarantaine, ce mitan de la vie. Ils se sont aimés, ils ne s’aiment plus ; ils se sont habitués l’un à l’autre, ils s’agacent d’être ensemble. L’amour-passion est une vaste blague, que les conditions économiques et sociales d’après-guerre condamnent irrémédiablement. Il s’agit désormais d’être camarades de travail dans le couple, comme les paysans Radiguet, pas de rêver à l’impossible.

Pour Vailland, résistant attiré alors par le communisme (il quittera le parti après la révolte hongroise de 1956 matée dans le sang par la brutalité soviétique), la condition de la femme est déterminée. Les structures masculines de la société les enferment et elles doivent s’y insérer, avec ruse, obstination, mensonge. « Je sais ce qu’il en coûte d’être ta femme, dit Roberte à Milan. Il m’a bien fallu abdiquer tout amour-propre. Pour vivre auprès de toi, il faut apprendre les vertus chrétiennes, l’humilité et la soumission » p.140 (pagination Livre de poche 1961). De celles qu’on enseigne à coups de schlague sur le torse des garçons et à coups de pied dans le ventre des filles chez les cathos Betharam. En contrepartie, pour assurer sa possession, la femme use d’artifices envers son homme : « C’est, pensa-t-il, la malhonnêteté de Roberte que d’avoir utilisé les nœuds, les replis, les ombres, les sueurs, les paniques, les hontes, tout ce qui d’une enfance opprimée subsiste de louche en un homme, pour entrer en possession de moi » p.144.

Dans le village du Bugey où le couple a décidé de passer une année entière, ils miment les attitudes de la passion devant les autres. En fait, ils se détestent, Roberte noie cela dans le marc et le jeu à la roulette à Aix-les-Bains ; Milan dans la chasse aux oiseaux et dans le flirt avec Hélène, la jeune institutrice de pas encore 20 ans qui les admire. Le mariage ? Un leurre et une apparence : « les mœurs de notre temps ne sont pas encore réformées, (…) la plupart des femmes se font honneur d’avoir leur homme, comme les gentilshommes de faire la preuve de leurs quartiers de noblesse ; c’est leur seule gloire et de le perdre la plus grande défaite qu’elles puissent éprouver » p.161. On est loin de l’amour-plaisir, du désir de l’autre assouvi ici ou là selon les besoins et les occasions. « Mais elle est la fille d’une prostituée, elle a été élevée par un homme qui ne considérait dans ses amies que sa commodité, elle a appris dès l’enfance que l’inégalité de la femme ne peut être compensée que par les artifices et les illusions de l’amour » p.162.

La passion est une emprise, on est – volontairement – « la chose » de quelqu’un. Mais cela ne dure pas. Ce ne sont pas les sens qui lient, mais le caractère. C’est l’appétit de bonheur qui prouve l’homme de cœur ; il ne subit pas la passion, il fait son destin en gardant la tête froide sous les sens allumés. « La passion, écrit Roger Vailland, offre au faible l’illusion de la violence, au solitaire le fait croire qu’il est mêlé à quelque chose, à l’impuissant qu’il agit. A ce titre, elle s’apparente à la religion. L’amour fou est une autre version de l’amour de Dieu » p.166. Cet « amour » est l’opium du peuple soumis, l’alcool de Roberte qui dépend pour tout de Milan, pour l’argent (elle ne travaille pas), pour l’affection (elle est terriblement jalouse), pour sa flamme (elle a besoin d’eau-de-vie, de jeu, de baise). Roberte est devenue pour Milan un oiseau de proie qui l’enserre, lui fait peur. Elle a des yeux de hibou, des mandibules acérées, l’air d’un corbeau noir et croassant.

Il en massacre un et lui apporte, alors qu’elle maquille Hélène pour la rendre séduisante – et avoir une raison de la jalouser. Milan refuse le « cadeau » de chair offerte, le sein qui sort de la bretelle trop lâche. Roberte va se saouler, prend la voiture et va se tuer.

Pour son second roman, Roger Vailland règle ses comptes avec l’amour – l’Hâmour, écrivait Flaubert pour railler son enflure. C’est un esclavage, une emprise, une soumission volontaire.

Roger Vailland, Les mauvais coups, 1948, Grasset poche Les cahiers rouges 1991, 266 pages, €7,95, e-book Kindle €5,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Pierre Rey, Palm Beach

Comment, en cinq jours seulement, passer de l’état de sous-chef de service contentieux brutalement licencié sans motif, à celui de PDG de la boite. C’est un thriller – français – ; il fait rêver. Bien construit, passionnant, il prouve combien l’argent appelle l’argent, et combien la jeunesse reste l’atout maître d’une carrière.

Alan Pope a 30 ans. Il a été marié mais cela n’a pas duré. Il est en couple épisodique avec Marina, une fille « libérée » (nous sommes à la fin des années 70), qui se pavane nue et fait des pompes en gants de chevreau noir et chapeau de paille. Elle habite chez qui veut la baiser et aime bien Alan, gentil garçon un peu inhibé. Alan travaille à la Hackett Chemical Company, une société pharmaceutique fondée et dirigée d’une main sans pitié par Arnold Hackett, vieux bougon cardiaque flanqué d’une femelle usée et qui se console avec Poppie, une maîtresse qui le flatte. Une fois l’an, Hackett procède à « l’élagage » de dix pour cent de son personnel pour remotiver les troupes. Le redoutable chef du personnel Murray, espion de son maître et teneur de fichiers composés de rumeurs de cafétéria et de papiers reconstitués à partir des poubelles, est chargé de cette ingrate besogne.

C’est ainsi que, sans motif autre que de ne donner prise à aucun soupçon, Alan Pope, quatre ans de maison, est mis à la porte du jour au lendemain. Murray lui signifie son indemnité de licenciement selon son ancienneté, 11704 $ exactement. Ils seront virés directement sur son compte. Le jeune homme est catastrophé et s’en ouvre à son collègue et ami Bannister, chef du service contentieux plus âgé que lui, vingt-cinq ans de mariage et d’habitudes. Ils se soignent au whisky.

Lorsqu’Alan reçoit le relevé de sa banque, il n’en croit pas ses yeux : il est crédité de 1 170 400 $ ! Erreur de la Hackett ou erreur de la banque Burger ? Comme Bannister est viré peu après, sur un caprice Hackett, ils décident de se venger du patron qui considère ses salariés comme des kleenex. Pas question de signaler « l’erreur », il faut attendre de voir et, pendant se temps, jouir de la vie. De plus, se lancer dans les affaires n’est pas compliqué lorsqu’on dispose d’un capital de départ. C’est là la clé – et les Trompe qui se prennent pour des caïds du deal ne seraient que de pauvres cloches salariées s’ils n’avaient pas hérité de papa et côtoyé les relations qu’il fallait.

Bannister convainc Pope qu’il faut tenter le coup. Pour cela, se rendre dans un palace de la Côte d’Azur qui, bien mieux que la Floride à l’époque, rassemble les milliardaires en fausses vacances. Dont Arnold Hackett, parti avec son épouse, et le banquier Ham Burger, flanqué de sa femme dominatrice et de sa belle-fille Sarah. C’est au Majestic et au casino du Palm Beach de Cannes que se nouent les affaires. Bannister fait acheter à Alan des costumes convenables, louer une Rolls Corniche avec chauffeur à son arrivée, réserver une suite au septième ciel du Majestic, changer 500 000 $ en plaques du casino. Et voilà le jeune homme embarqué. Bien qu’il en ait, Bannister lui dit que l’argent peut tout : « N’ayant aucun souci matériel, les riches n’ont pas d’inquiétude métaphysique. Leur compte en banque leur permet de se sortir d’à peu près toutes les situations délicates. Les riches n’ont pas à élever la voix, on les écoute. Ils ne se pressent jamais, on les attend. S’ils sont stupides, on leur trouve de la profondeur. S’ils se taisent, du mystère. S’ils parlent, de l’esprit. Quand ils s’enrhument, les autres toussent et il leur suffit d’émettre calmement un avis pour être exaucés sur-le-champ et en tout lieu » p.88 Imparable.

Cannes est exotique au new-yorkais fraîchement débarqué. C’était l’époque que les puritains coincés abhorrent, les filles se promenant seins nus sur les plages, les baigneurs traversant la Croisette en slip pour aller boire un verre, les accouplements le soir dans la simplicité et la camaraderie. Les cinq jours qui vont passer seront plus longs que toute une vie. Pris dans un tourbillon de mondanités, de jeu, de gains, de pertes, de reprises, de baise torride avec des femmes mûres, d’escapade à Rome en jet pour dîner de spaghettis divins, d’amitiés apparente avec un prince arabe, de promesse de mariage par Sarah l’héritière de la banque Burger qui le veut… Alan est saoulé, il a peu dormi, il ne sait plus où il en est.

Aussi part-il seul au volant de la Rolls jusqu’à Juan-les-Pins, où il fait la connaissance de Terry, une fille de 22 ans qui poursuit de vagues études de psycho en vivant l’été à la hippie avec sa bande de jeunes bourgeois en rupture provisoire de société. « Une faune passionnante où le fait d’avoir 20 ans tenait lieu de passeport, où l’identité de vêtements était un visa pour une entraide sans condition. On se refilait les adresses pour dormir, en fumer une, manger pas cher. Certains, comme Hans, étaient étudiants ou lycéens en rupture de famille et, d’autres, des traîne-patins professionnels qu‘unissaient la flemme, le refus de la société, la négation des valeurs bourgeoises pourries, l’amour de la moto, la jouissance de dire non. Il y avait aussi les indéfinissables, qu’on avait fini par baptiser les autonomes, friands de la barre de fer, de l’arme blanche, casseurs sans adresse et sans identité qui provoquaient la bagarre pour le plaisir de faire peur à ceux qui les dédaignaient » p.287. Les paumés ex-68 sont ainsi assez bien analysés. Alan et Terry tombent amoureux. Ce pourquoi Alan refusera les avances insistantes de l’héritière Burger, au grand dam de Bannister qui le voit déjà riche à la tête de la banque, et lui embauché comme fondé de pouvoir.

Mais là où Bannister a raison, c’est que le milieu et l’apparence font tout : Alan a de l’argent (qui ne lui appartient pas), il en gagne en spéculant une demi-journée sur l’or, puis au casino. Il en gagnera encore plus lorsqu’on le connaîtra dans les dîners et qu’on lui proposera deux affaires qui le rendront millionnaire (en attendant plus). La première est celle de prête-nom pour une vente d’avions militaires entre la Suède et un pays non autorisé par les États-Unis ; la seconde carrément une OPA sur la Hackett de la part du banquier Burger qui tient les refinancements. Ce n’est pas légal, d’où la nécessité, là aussi, d’un intermédiaire.

Alan, qui a vu comment les requins des affaires étaient impitoyables entre eux, et qui n’oublie pas de se venger de son licenciement sans motif, en a marre de se laisser manipuler. Il s’affirme et joue sa propre partie. Après avoir dans un premier refusé, par réflexe moral, il deale avec Arnold Hackett en personne, qui l’a fait foutre dehors sans jamais le connaître. Sa société sera déclaré en faillite s’il ne cède pas les 60 % qu’il possède en propre, car la banque Burger n’honorera pas la paye de 40 millions de $ des salariés, pas plus qu’elle ne refinancera les 42 millions de $ d’emprunts s’il ne passe pas la main. Le vieux cède, il est coincé. Il signe une cession au nom d’Alan Pope. Lequel va voir le banquier Burger qui l’a engagé, mais le fait chanter à son tour : il lui rend le chèque de 500 millions de $ qu’il a signé à l’ordre d’Alan pour lancer l’OPA, mais garde les titres Hackett pour son compte, avec une commission de 5 millions de $ pour le banquier.

Lequel, sans fortune propre, surveillé par sa femme et méprisé par sa belle-fille Sarah, achète ainsi sa liberté. Quant au contrat d’armes, il est honoré, mais l’intermédiaire américain qui a manipulé Alan Pope est assassiné par ceux-là mêmes qu’il avait chargé de liquider Alan pour préserver le secret des affaires, lorsqu’il avait dans un premier temps refusé. Il est tué parce qu’il n’a pas voulu payer aux sbires corses les émoluments prévus lorsqu’ils ont échoué.

Alan Pope rembourse les dollars indûment crédités à son compte, se retrouve riche, amoureux et PDG, nommant son ami Directeur général, retrouvant Terry miraculeusement à New York alors qu’elle avait disparu lorsqu’il avait dû s’absenter – et que tous s’étaient ingéniés à déchirer leurs messages de l’un à l’autre par jalousie.

Pierre Rey, Palm Beach, 1979, Livre de poche 1980, 447 pages, occasion €2,21

(Mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia MacDonald, Un étranger dans la maison

Dans une maison chic de Stanwich, dans le comté de Fairmont près de New York, Paul, un beau bébé blond de 4 ans, disparaît au bout du jardin. Il a vu un petit chat. Sa mère l’a rattrapé, mis en garde, a fermé le loquet du jardin mais, lorsqu’elle est partie s’occuper de Tracy, son bébé malade, le petit Paul est obstinément retourné au jardin. Puis il a disparu. Le loquet était mal fixé. Drame habituel des parents qui ne font pas attention.

Anna, sa mère, est effondrée. Elle l’a cherché, elle ne l’a pas retrouvé. La police est bienveillante, en la personne de l’inspecteur Mario Ferraro, mais n’a guère enquêté ; elle aurait retrouvé sinon le béret Popeye du gamin dans un fossé de l’autoroute qui passe à proximité – détail indiqué dès la fin du premier chapitre…

Onze ans plus tard, coup de téléphone de la police : Paul est retrouvé ! Il a désormais 15 ans et a été élevé par le couple Rambo, qui l’a enlevé à 4 ans. Elle était infirmière et, à l’article de la mort, a avoué. Ils l’ont appelé Billy durant toutes ces années. Paul est ramené chez ses parents biologiques, ce n’est plus un beau blond mais un adolescent maigre et mal dans sa peau, mal vêtu et inadapté. Il devient un étranger dans la maison.

Sa sœur Tracy, d’environ deux ans plus jeune, est en pleine rébellion de sensibilité adolescente et un brin jalouse du retour du fils prodigue. Thomas, le père bien musclé, avait fait son deuil du fils et a du mal à se faire à son retour inopiné ; il tente timidement une approche en lui achetant une nouvelle veste. Seule Anna, en névrosée obsessionnelle durant toutes ces années, se met en quatre pour accueillir le rescapé. Elle le surcouve, s’inquiète sans cesse pour lui, angoissée perpétuelle. Paul sent qu’il est peu désiré dans la famille, agacé par les attentions fusionnelles de la femme qui n’est pas pour lui sa mère, et reste méfiant. Thomas n’en peut plus et s’éloigne ; il ne peut plus vivre ainsi avec une épouse qui ne pense encore et toujours qu’à Paul, et Paul seulement.

Mais l’intrigue résiste dans le secret de sa disparition. L’adolescent fait sans cesse le même cauchemar où il est allongé sur un sol froid tandis que surgit un aigle toutes ailes déployées et qu’une ombre gigantesque se penche sur lui pour faire mal. Il fait une fausse route avec un morceau de viande, s’évanouit devant les copines moqueuses de Tracy, se réveille en sursaut la nuit pour aller se recroqueviller dans un coin. Et Rambo, son père adoptif, psychologiquement instable et habité par les voix de la Bible, rôde dans les parages. Il ne veut pas reprendre Billy-Paul, non, mais il a tout vu de sa disparition à l’âge de 4 ans. La police le recherche, il n’a plus guère d’argent, et compte sur le chantage pour se renflouer et partir. Las ! Rien ne se passe comme prévu. Paul, que sa mère a amené à l’aéroport pour saluer son mari parti pour Boston, ne le retrouve pas dans la voiture où elle l’a laissée. A 15 ans, Paul a de nouveau disparu !

Est-ce une fugue de mal aimé, ou un nouvel enlèvement ? Mais par qui ? Pourquoi ? Les voisins Stewart sont obligeants, mais leur couple va mal lui aussi. Iris, l’épouse qui prend du poids, est méprisée par le beau Edward son mari, qui l’a épousée pour ses relations de fille de sénateur et lancer sa carrière. Lui a acquis tous les signes de la réussite, une belle demeure dans le Fairmont, une Cadillac où il a fait monter un aigle doré sur la calandre, des maquettes de bateau qu’il assemble méticuleusement dans le moulin au fond du jardin. Iris veut le quitter et part « en cure » pour maigrir. Edward en profite pour tenter de régler le problème qui le préoccupe de plus en plus depuis que Paul a été retrouvé. La tension monte…

Un bon cru MacDonald, en ces années où les gadgets techniques (smartphone, internet, caméras de surveillance, police scientifique) n’ont pas encore envahi les romans policiers, au détriment des ressorts de l’intrigue et de la psychologie. Un enlèvement d’enfant, les obsessions d’une mère, comment se sentir père, les secrets d’une ambition – tels sont les thèmes remués dans ce roman captivant.

Patricia MacDonald, Un étranger dans la maison (Stranger in the House), 1983, Livre de poche 1988, 253 pages, €8,40, e-book Kindle €9,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les romans policiers de Patricia MacDonald déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , ,

Christian Signol, Sur la terre comme au ciel

Un enfant devient libre dès qu’il est né, disait sa mère, Marie, décédée depuis. Ambroise, le vieil homme, l’a accepté lorsque son fils unique Vincent l’a quitté pour vivre sa vie, loin de lui, dans les étendues glacées de la Baie d’Hudson au Canada. Là où l’avait porté sa passion des oiseaux, acquise tout petit sur les étangs du Touvois avec son père. L’enfant préférait la nature à l’école, mais a su assurer des études qui l’ont conduit à l’observation des oiseaux.

Dix ans qu’il est parti, le fils, et les trois dernières années de silence. Le père, ancré dans les marais de la réserve naturelle de la Brenne, ne comprend pas. Vincent a toujours été taiseux, mais trois ans sans nouvelles… Jusqu’à ce que les gendarmes, un matin, viennent frapper à sa porte. Un homme a été retrouvé amnésique au Canada, après un accident d’avion, sans aucun papier. A son accent, on a compris qu’il était français, et quelques mots murmurés ont fait penser au Touvois. Il est dans un hôpital psychiatrique à Paris.

Le père espère, il est viscéralement attaché à ce fils qui est comme lui, et qu’il aurait voulu garder sous son aile comme une mère poule. La solitude lui pèse, et ne pas savoir ce qu’il est devenu est une souffrance. Or c’est bien lui, rétabli de ses blessures mais vide de la tête. Le père l’a reconnu, par les yeux surtout. Il se dit qu’en retrouvant la maison de son enfance, le marais et son univers familier, les oiseaux, il peut récupérer un sens à sa vie et sa mémoire. Il signe tous les papiers et le prend avec lui.

C’est alors un lent réapprentissage de la vie, comme une nouvelle enfance. Le père retrouve son rôle, il est heureux. Vincent renaît, reconquiert les gestes automatiques de la pagaie, le goût d’observer les oiseaux migrateurs. Il s’attache à Charlène, guide du parc, une jeune fille de son âge qui a sympathisé avec son père Ambroise. Ces deux-là vont se rencontrer, et soigner la blessure secrète de Vincent, la mort par le froid d’une Inuit qu’il a aimée et qui attendait un enfant de lui. L’accident a bouleversé son psychisme et enfoui le souvenir cruel, mais celui-ci l’empêche de parler, de penser. Ce n’est qu’avec l’aide d’une amie de Charlène que Vincent va se réapproprier ses souvenirs, même les pires, et commencera à revivre.

Sauf que soigner les oiseaux blessés, observer les migrateurs passer sans s’arrêter plus que quelques heures sur le Touvois, ne comble pas son avidité des grands espaces, cette liberté qu’il trouve plus dans le ciel que sur la terre. Son père est attaché au terroir, le fils est attaché aux oiseaux qui volent sur de longues distances, les grues, les oies sauvages. Il doit repartir. C’est dans le vent des oiseaux qu’il sera au plus proche de la jeune Inuit disparue. Le père l’accepte, malgré son amour fusionnel avec son fils unique ; Vincent aura Charlène, ils s’aiment, il sera heureux. Or le bonheur est de savoir ceux qu’on aime heureux.

Même si Ambroise vit mal sa solitude retrouvée. Il a accompli son devoir de père, par deux fois, durant l’enfance puis dans la rééducation, il n’a plus aucun but. Il se laissera dériver vers les grands oiseaux blancs qui migrent en hiver.

Le roman du terroir, spécialité de l’auteur, est ici revu version écologie, modernisé en réserve naturelle. Ce n’est plus mieux avant, c’est mieux sans l’humain. Le lecteur saura tout sur les balbuzards, les hérons cendrés, les garzettes blanches, les bécassines et les sarcelles, entre autres innombrables volatiles. Il faut assurer les nids, piéger les prédateurs, ragondins ou brochets qui croquent les canetons, faucarder les rives, faire abattre l’excès de peupliers qui pompent trop d’eau. En gardien du parc naturel, c’est depuis des décennies le travail d’Amboise. Celui de Charlène est de faire connaître la nature aux touristes, visiter les marais, les inciter à observer les oiseaux à l’affût. Quant à Vincent, il est dans la modernité des études ornithologiques et des documentaires animaliers.

Les oiseaux donnent aussi des leçons aux humains : la fidélité de couple, la défense acharnée des petits, la discipline des vols au long cours. Surtout la grande liberté du ciel et des vents, avec la planète entière pour territoire.

Christian Signol, Sur la terre comme au ciel, 2020, Livre de poche 2022, 233 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte

Les actes du perturbateur sont un mauvais titre en anglais, bien qu’il vienne d’un ancien hymne à Osiris ; mais la onzième plaie d’Égypte n’en est pas un meilleur, laissant rêver ce qui n’est pas. Les Emerson père, mère et fils, Radcliffe, Amelia et Ramsès, sont retournés à Londres l’été 1896, après une saison de fouilles. Mais l’Égypte les poursuit sous le climat brumeux et pollué de la capitale de l’empire. En cause, le British Museum, où une momie donnée par un mécène aristocratique, fait parler d’elle. Un prêtre d’Isis, masqué et déguisé comme il se doit, surgit parmi la foule et interdit par exclamation de la toucher. Panique chez les bourgeois du dimanche…

La presse à sensation en fait ses choux gras et n’hésite pas, pour faire vendre, à impliquer Amelia Peabody et son époux le professeur Emerson. A eux deux, à l’en croire, ils vont se mêler de l’enquête et résoudre l’affaire ! Ce n’était pas l’intention du couple, mais… Amelia est toujours éperdue de curiosité pour la quête policière et le mystère criminel, tandis que Radcliffe adore mettre hors d’état de nuire les pilleurs de tombe et autres mécréants de la science.

La momie d’une femme de la XIXe dynastie, même pas apparentée à la famille royale, a tué un gardien de nuit, retrouvé mort à ses pieds dans un monceau de débris. Un étudiant du directeur est ensuite trouvé mort au pied de l’obélisque de Londres, près de la Tamise. Comment ne pas évoquer la malédiction des pharaons ? Les aristos désœuvrés adorent les canulars, la presse adore les scoop mystère, le public adore les sensations fortes. Quant au directeur du Museum, c’est moins pour ses compétences (faibles) en égyptologie que pour ses pillages éhontés qu’il est parvenu par piston à ce poste. Tout cela concourt à la belle histoire.

C’est sans compter sur la rectitude scientifique du professeur Emerson, la foi morale de son épouse Amelia, et la sagacité du trop précoce fils surnommé Ramsès. Malgré la famille – un frère de Peabody, James, qui impose ses deux infects rejetons au couple durant « la cure » de leur mère, les époux et le gamin vont agir. Emerson en actionnant son réseau égyptien à Londres, Amelia en usant de ses relations orageuses avec deux journalistes, un Irlandais et une petite-fille de duchesse décatie, Ramsès en se déguisant fort adroitement en gamin des rues à la Dickens, pieds nus et chemise déchirée, pour espionner à loisir.

On veut la peau des Emerson, dans certains milieux aristos et peut-être familiaux. Heureusement qu’ils ne se laissent pas faire et qu’ils ont la tête dure. Radcliffe manie ses poings, Amelia son ombrelle d’acier et Ramsès son art d’écouter aux portes et de se déguiser pour mettre à mal les plans des tueurs. Jusqu’à un vieux manoir élisabéthain, où se déroulent d’étranges cérémonies sexuelles et sacrificielles pour guérir les maladies honteuses – et mortelles (la syphilis).

Ce cinquième opus de la série policière historique de l’écrivaine américaine Barbara Mertz, dite Elisabeth Peters, est toujours conté de façon enlevée et drôle, l’érudition ne pesant jamais, l’action ne manque pas, et les personnages restent hauts en couleur. Le complot familial double le crime de la momie.

Ramsès, né en juillet 1887, a 9 ans, parle couramment plusieurs langues, lit tout ce qui lui tombe sous la main, et n’hésite pas à corriger les erreurs de son père sur son manuscrit d’Histoire de l’Égypte antique. Son cousin Percy, du même âge, lui est mis dans les pattes et il ne l’aime pas. C’est un garçon anglais classique, gibier de pension, discipliné à être sournois ; sa petite sœur Violet est une gourde gourmande qui grossit en s’empiffrant de sucreries, elle est toujours du côté de son frère malgré les avances de son cousin. Percy fait faire à Ramsès de mauvaises choses en lui affirmant que l’autorisation en a été donnée par les adultes, tout en le dépouillant de ses biens (montre, couteau, argent de poche). Ramsès, qui a la rectitude de son père, subit sans rien dire, et sa mère ne s’aperçoit de rien avant longtemps. Mais le gamin est capable de se débrouiller tout seul, et il aime ses parents ; il fera tout pour les aider dans leurs aventures périlleuses, entraînant le majordome Gargery et le robuste valet Bob. Plus que les autres, il apparaît comme le héros de cette histoire.

Elisabeth Peters, La onzième plaie d’Égypte (The Deeds of the Disturber) suivi par Le secret d’Amon-Râ, 1988, Livre de poche illustré 2023, 960 pages, €15,90, e-book Kindle €10,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans de la série policière historique déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Egypte, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

James Cain, Assurance sur la mort

L’auteur immortel du roman policier Le facteur sonne toujours deux fois a fait l’objet de nombreuses adaptions au cinéma (Visconti, Rafelson, Garnett). James Cain a fait la guerre de 14 côté américain et est décédé en 1977 à 85 ans. Il livre ici trois longues nouvelles policières ou psychologiques dont la dernière, Assurance sur la mort, a fait l’objet elle aussi d’un film.

Il s’agit d’une escroquerie à l’assurance décès, perpétrée par une épouse qui n’en est pas à son premier meurtre en toute impunité pour arriver, et d’un agent d’assurance bêtement tombé amoureux de ses formes. C’est assez bien troussé pour être crédible, le spécialiste aidant la volonté meurtrière. La fin sera épique, faisant intervenir d’autres personnages, dont la belle-fille de l’épouse et son petit ami, mais aussi le directeur de la compagnie d’assurance et son détective en chef.

Les deux autres nouvelles sont sur une escroquerie à la banque, et sur la rivalité d’un couple où seul l’homme est amoureux. Toujours le même schéma, l’homme spécialiste et la femme séductrice qui le manipule.

Sauf que dans Carrière en do majeur, l’homme se rebelle. Ingénieur en ponts et chaussées, inactif à cause de la grande Dépression des années 30, l’époux laisse faire sa femme qui se croit une vocation de chanteuse d’opéra. Mais elle ne suit pas le rythme et déraille. Le mari rencontre à cette occasion Cecil, véritable chanteuse d’opéra, qui trouve que lui a une belle voix de baryton et qu’il peut aisément la seconder, d’autant qu’il apprend vite les rôles. Et les voilà embarqués dans une tournée. Cela ne se passe pas trop mal, sauf que le chanteur néophyte ne garde pas toujours les yeux fixés sur le chef d’orchestre, et passe parfois la mesure. Erreur fatale à l’opéra. Le flop de l’épouse est compensé par le flop de l’époux – et les voilà réconciliés, lui toujours amoureux, elle rassérénée dans son narcissisme.

Ancien, mais efficace, ce recueil de nouvelles est un moment du roman policier psychologique, volontiers porté au cinéma.

James Cain, Assurance sur la mort (nouvelles Career in C Major, The Embezzler et Double Indemnity), 1944, Folio policier 2003, 370 pages, occasion €24,99, e-book Kindle 2017, €6,99

Autre édition (introuvable), utilisée pour cette note : Livre de poche 1964, 432 pages

DVD Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944, avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Porter Hall, Jean Heather, Arcadès 2009, anglais doublé français, 1h47, €8,80, Blu-ray €9,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

D.H. Lawrence, Le renard

Deux femmes, une bête et un homme, pour cette novelle de 1918 – plus intéressante que la précédente. L’histoire se passe dans le sud de l’Angleterre à la fin de la guerre de 14-18. Les hommes commencent à être démobilisés, les femmes se sont émancipées et ont tenu des rôles inédits durant leur absence. Deux amies, Banford et March, ont décidé de vivre dans une ferme, en quasi autarcie. Elles forment un couple sans le dire, dans cette société bouleversée où les mâles manquent. Elles se sont isolées à la campagne loin du qu’en-dira-t-on et de l’existence artificielle des villes.

Mais on ne s’improvise pas paysan. Banford a financé l’achat de la ferme à un grand-père ; il les a aidées un an, puis est mort. Les deux filles de 30 ans (l’âge fétiche de Lawrence) se sont débrouillé seules, plutôt mal. Les génisses s’enfuyaient de leur pré, elles ont vendu les génisses. Les poules somnolaient après la pâtée, elles ont changé l’horaire. Mais rien n’y fait, elles n’ont pas la main verte. Pire : le rusé renard roux rôde – et dérobe un volatile à l’occasion. Le roux est la bête noire de March, l’homme de la maison, fille en combinaison d’agricultrice qui marche à grandes enjambées comme un adolescent.

Un jour, March dont l’esprit vague souvent sans objet, se rend compte que le renard est prêt d’elle, la regarde attentivement, et se moque même. Elle a sa carabine, mais elle est paralysée par la présence mâle ; elle ne tire pas. Cette langueur d’algue marine accroché au fond de la mer et qui se laisse battre par le flot est l’image que Lawrence se fait de la Femme, femelle en attente du mâle.

Celui-ci se présente sous la forme d’un jeune soldat de 20 ans, tout juste revenu du front d’Orient après avoir été mobilisé au Canada où il était parti voici trois ans, ne pouvant s’entendre avec son grand-père. Il a vécu jusqu’à ses 17 ans dans cette ferme et ignore la mort du vieux. Avisant les deux femmes, leur incapacité à gérer le domaine, il se dit qu’il pourrait ruser pour en épouser une et regagner la ferme. Il est robuste, blond brun, la voix enjôleuse. March en est toute retournée. Elle voit en lui l’incarnation du renard, animal emblème de Loki, le dieu nordique de la ruse maléfique. La notice de la Pléiade ne le mentionne pas, bien que Lawrence ait été fasciné par la mythologie du nord. March apparaît aussi comme un garçon manqué, habillée en homme malgré sa grâce encore adolescente. Le jeune mâle Henry est attiré par cette androgynie ; comme Lawrence, il aime qui lui ressemble, tout en repoussant toute idée homosexuelle. March sera digne de lui, plus que Banford, pense-t-il.

Banford gémit et s’insurge contre la proposition de mariage, mais March reste curieusement passive, comme n’attendant que cela. Elle dit oui en pensant non, puis écrit non en pensant oui. Henry opère sa transition d’adolescent à homme en tuant tout d’abord le renard, un beau mâle puissant digne de lui et dont la jeune fille caresse la queue en rêvant… Puis en investissant de sa personne dans la conquête de March. Elle est son étoile fantasmée, la planète de son soleil, la femme de sa vie. Il est prêt à l’envelopper de tout son amour, à condition qu’elle soit entièrement à lui, soumise à son aura. Il donne, elle doit donner en retour, sans condition. Le « véritable démon » qui volait ses poules s’est incarné pour March en ce jeune homme qui s’introduit dans sa vie. Elle est réticente, elle a appris l’indépendance avec et malgré son amie, mais son âme est vague ; elle se laisse faire pour combler son néant intérieur. Sa relation avec Banford ne mène à rien, elle reste insatisfaite. Ses rêves parlent pour elle, le renard la mord, sa queue de feu lui brûle la bouche, Banford est ensevelie dans le coffre de la cuisine. Aussi March marche, elle est une proie pour Henry le renard.

Le jeune soldat Henry doit rejoindre son régiment pour être démobilisé et, durant le temps où elle n’est plus sous « emprise », March retrouve ses habitudes et lui écrit une lettre où elle rompt sa promesse de l’épouser. Mais Henry ne l’entend pas de cette oreille. Il lui faut l’éloigner de l’influence de Banford pour qu’elle soit entièrement sienne. Il demande une permission de 24 h à son capitaine, enfourche un vélo, et parcourt en quatre heures les quelques cent kilomètres jusqu’à la ferme, poussé par la colère. En lui le mâle veut dominer ; ce n’est pas une femelle qui fera la loi.

Arrivé sur place, avec les parents de Banford, il avise un arbre mort que March tente de faire tomber. Mais ses bras ne sont pas assez puissants pour bien manier la hache et c’est lui qui, en deux coups, achève le travail. Il a prévu que l’arbre allait vriller dans sa chute et qu’une grosse branche pouvait toucher Banford, et ainsi l’éliminer. C’est ce qu’il désire, mais la prévient de s’éloigner au cas où. Rien de tel que de donner un conseil à quelqu’un qui ne vous aime pas : il s‘empressera d’agir dans l’autre sens. Banford ne bouge pas, une branche l’atteint à la tête, elle crève – mission accomplie.

Désormais, Henry a March tout à lui. Mais où cela aboutira-t-il ?

David Herbert Lawrence, Le renard, Sillage 2009, 128 pages, €9,50

D.H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, Gallimard Pléiade 2024, 1281 pages, €69,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les romans de D.H. Lawrence déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Joseph Connolly, Vacances anglaises

L’humour anglais n’est pas à la portée de tous les esprits, mais si l’on entre dedans, quels délices ! La différence de l’humour avec l’ironie est que cela n’est jamais méchant. Plutôt un étonnement ravi devant les excentricités des gens. Ils sont ce qu’ils sont et persévèrent dans leur être, comme les chats, source de pitreries et folies sans nombre. Joseph Connolly, que je viens de découvrir jeté dans une boite à livres, est redoutable d’efficacité dans la satire cruelle et amusée de ses contemporains. Nous finissons par aimer chacun des personnages, même les plus incorrects.

Nous sommes dans la Grande Bretagne des années 90, subissant « la crise » comme tout le monde, c’est-à-dire à la fois la mondialisation économique qui bouleverse les économies et le retard politique qui ne comprend encore rien à rien. Les conséquences arrivent comme une vague sur les gens.

Deux couples de voisins en lotissement se décident d’aller passer une semaine de vacances au bord de la mer, sans aller pour une fois à l’étranger, de façon à « faire un break ». Mais qu’a-t-elle besoin de break, Elizabeth, épouse oisive du riche Howard, patron d’une agence immobilière florissante ? Elle dépense sans compter, tandis que lui finance pour avoir la paix. Un équilibre d’habitudes qui leur convient à tous les deux. D’ailleurs, lui décide de rester à Londres pour Zouzou, qu’il désire. Quant à leur fille, Katie, à peine 17 ans, elle leur apparaît encore comme une oie blanche alors qu’elle a déjà vu le loup, en étant à son deuxième avortement clandestin. Dès les premières pages, elle s’active d’ailleurs avec ferveur sous le bureau de Norman, l’employé de son père, avant de s’envoler pour Chicago avec lui, sous prétexte d’accompagner sa copine Ellie.

Dotty et Brian sont à peine sortis de la classe ouvrière, avec tout ce que cela emporte de jalousie de classe de la part de l’épouse qui « n’a rien à se mettre » devant son armoire pleine – mais démodée. Brian tombe de Charybde en Scylla par la faillite, l’endettement et la course au pognon pour rembourser, donc économiser à outrance. Dotty, qui ne travaille plus après la mort de leur petite fille Maria, voudrait prendre les mêmes vacances exactement qu’Elisabeth pour tenir son rang social. Mais son mari lui impose une autre façon, au même endroit. Colin, leur fils de tout juste 15 ans, se languit d’une fille – n’importe laquelle – avec qui enfin « le faire ». C’est de son âge. Il lorgne les seins de Katie, mais aussi ceux d’Elisabeth ; il va rencontrer une Carol de son âge, mais tergiverser alors qu’elle le veut bien (pas comme aujourd’hui), avant d’en finir d’un coup, une fois déniaisé par une autre.

Ceux qui partent emmènent aussi Melody, ancienne maîtresse d’Howard, jeune mère célibataire d’un bébé fille, Dawn, qui pleure tout le temps parce qu’elle n’a jamais le temps de s’en occuper. Dotty se prendra d’amour pour ce bout de chou, la gardera volontiers, l’apaisant immédiatement, et songera même à l’adopter si la mère n’en veut plus… A l’hôtel cinq étoiles, Elisabeth, Dotty et Melody font des connaissances. Elisabeth rencontre Lulu dont le mari est fou – de jalousie, mais probablement aussi tout court. Et le séducteur sûr de lui Miles McInerney, vendeur hors pair, marié, deux enfants, qui a gagné une semaine à l’hôtel pour ses performances. Melody l’adore, songeant à faire sa vie avec lui… Or il n’a qu’un but : coucher.

D’ailleurs, tropisme très anglais, chacun ne pense qu’à baiser. Le puritanisme victorien a accouché d’une explosion de n’importe quoi, à la fois sordide et réjouissante. Les mâles ne pensent qu’à ça, les femelles qu’à se donner. Mais pas avec n’importe qui. Il faut être jeune et bien membré, baratiner assez pour qu’on les croie. Encore que Katie se contente du membre puisque Norman est vraiment nul pour le reste, et qu’Elisabeth goûte à l’extrême jeunesse, le seul luxe qu’elle n’ait pour l’instant pas encore eu. Quant à Dotty, elle préfère les bébés, même la bouche maculée « de ragoût de chien aux pruneaux » ou « comme si une bouse lui avait explosé au visage ».

« Mais pourquoi avons-nous besoin des hommes, s’enquit Lulu ? Parce que je veux dire, finalement, ils ne nous apportent que des ennuis, n’est-ce pas ? – Ce doit être affreux d’être un homme, affirma Dotty. Jamais je n’aurais voulu naître homme. Et toi, Elisabeth ? – Je n’arrive pas à imaginer ça… non, je crois que je demanderais à changer – parce que j’adore être une femme, j’adore tout ce qui est féminin. Ce doit être d’un ennui mortel, d’être un homme. Et puis il faut travailler et tout ça. – La seule fois où je ressens jamais le désir du pénis, déclara Lulu en souriant – ce qui mobilisa aussitôt, on s’en doute, l’attention des deux autres – c’est quand je fais la queue pour aller aux toilettes des dames… » p.309. Irrésistible, n’est-il pas ?

Ce roman a été adapté au cinéma en 2002 par Michel Blanc et transposé au Touquet, sous le titre Embrassez qui vous voudrez, avec lui-même, Carole Bouquet, Karin Viard, Charlotte Rampling, Jacques Dutronc, Gaspard Ulliel. Mais la comédie estivale à la française ne vaut pas le féroce humour britannique.

Joseph Connolly, Vacances anglaises (Summer Things), 1998, Points Seuil 2001, 462 pages, €17,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

La chambre du fils de Nanni Moretti

Un ménage italien moyen à Ancône, port italien sur la côte adriatique. Giovanni, barbu, dans le vent, est psychanalyste (Nanni Moretti), Paola travaille dans une maison d’édition (Laura Morante). Ils ont deux adolescents, Irene en seconde (Jasmine Trinca) – prononcez iréné – et Andrea en fin de collège (Giuseppe Sanfelice, bien que 17 ans au tournage). L’atmosphère est très familiale, petit-déjeuner et dîner en commun, conversation apaisée, parents qui se préoccupent des enfants, cohésion du chant dans la voiture. Le père assiste aux matchs de basket de sa fille et de tennis de son fils ; il lui semble que la fille a plus d’esprit de compétition que le fils. Mais il aime se sentir en sa compagnie et courir avec lui au matin. Même si son attitude est un peu artificielle, notamment lorsqu’il se prend à essayer de faire les gestes du sport devant son fils avec la maladresse de sa quarantaine.

Un jour, le principal du collège l’appelle (Renato Scarpa) : Andrea et son copain Luciano (Marcello Bernacchini) sont accusés d’avoir volé une ammonite en cours de sciences naturelles ; il s’agit d’un fossile rare. A force de discuter et d’argumenter, l’accusation est abandonnée sous la pression des parents. Pourtant, Andrea l’a bel et bien « emprunté » avec son copain pour « faire une blague », mais l’ammonite s’est cassée – il l’avoue à sa mère mais n’ose le dire à son père.

Ce pourquoi, lorsqu’un dimanche matin il part faire de la plongée sous-marine avec bouteilles dans les rochers, et qu’il meurt d’embolie pour avoir paniqué sous une grotte et lâché sa bouteille, le doute subsiste : s’est-il volontairement donné la mort par honte de lui-même ? Les patients de Giovanni lui en racontent de bien tristes sur le suicide, la névrose maniaque, la dépression, le sentiment de ne rien valoir… Justement, en ce dimanche matin, le père avait persuadé le fils de venir courir avec lui, et c’était décidé, au moment où un patient suicidaire avait téléphoné pour dire qu’il allait très mal. Le psy avait lâché sa famille pour se rendre chez son patient ; le père avait abandonné son fils à son destin. Il ne se le pardonne pas.

Quant à la mère, ce sont de grandes démonstrations d’émotions, pleurs et tremblements, refus de parler, chambre à part. Une hystérie à l’italienne plutôt pénible à voir pour les non-Italiens. Elle remarque au courrier une lettre adressée à son fils décédé et l’ouvre. C’est une lettre d’amour d’une copine rencontrée le dernier jour des vacances dernières, où Arianna (Sofia Vigliar) avoue à Andrea qu’elle s’est entichée de lui. La mère, curieuse et probablement un brin jalouse, veut la rencontrer. Le père trouve cela presque indécent. Ces deux tempéraments sont voués à s’opposer, donc le couple à se séparer.

Lui tente d’écrire à Arianna mais rien de simple ne lui va ; elle lui téléphone carrément et se heurte à une réticence de la fille car le temps a passé. Elle n’a jamais revu Andrea, dont on peut supposer qu’il avait à peine 15 ans, mais ils se sont écrit et le fils lui a envoyé des photos de sa chambre avec lui en situation, prises au déclencheur automatique. C’est un fils intime, bien que décent (rien à voir avec les selfies qui vont sévir dans les années Smartphone) ; il sourit et blague sous sa table ou sur son lit. Un fils que son père découvre, finalement. Il croyait le connaître mais l’adolescent réservait son coin secret, comme tous les ados. Dès lors, à quoi sert la psychanalyse si l’on ne parvient pas même à connaître son propre enfant ? Les patients, bien qu’attachés à leur séance et à leur psy de façon névrotique, disent que cela leur sert peu. L’un même casse tout dans le bureau lorsque Giovanni lui dit qu’il arrête la profession.

La fille qui leur reste, Irene, survit mais ses parents la délaissent. Elle devient agressive, se fait pénaliser au basket. On s’occupe du passé, pas du présent. C’est Arianna surgissant à l’improviste, lors d’une visite en passant, qui va remettre les pendules à l’heure. Giovanni la reçoit, voit les photos de la chambre du fils ; il comprend qu’il le connaissait peu. Paola revient du travail et s’amourache de l’ex-fiancée de son fils, qu’elle embrasse et étreint comme une bru. Mais Arianna a un petit copain, Stefano (Alessandro Ascoli), qui l’attend au pied de l’immeuble ; ils vont passer quelques jours en France en stop. Le temps passe, les amours changent, la vie continue. Andrea est mort, on ne saura jamais trop pourquoi ; Arianna est passée à autre chose, elle donne l’exemple à suivre. Irene le conçoit, les parents s’en aperçoivent. Ils accompagnent les deux ados, pour prolonger leur enfance et le sentiment qu’ils ont de leur responsabilité de parents, jusqu’à la frontière française. Si les ados sont si secrets envers leurs parents, n’est-ce pas parce que ceux-ci ne les reconnaissent pas en presque adultes ?

Naïveté du père et psy lorsqu’il demande à sa femme en désignant Arianna et Stefano : « tu crois qu’ils sont ensemble ? » Englué dans sa routine familiale et professionnelle, Giovanni a perdu le contact avec la réalité. Il ne voit ses patients qu’au travers des concepts et ses enfants que d’après l’image qu’ils donnent. La vraie vie est ailleurs… Mais, dans le deuil, il se referme sur lui-même au lieu de s’ouvrir aux monde et à ceux qui restent.

Film un peu lourd, certaines scènes trop appuyées privilégiant l’émotion à la psychologie, ce qui donne des caractères peu fouillés. Le père est omniprésent mais on en sait peu sur la mère, la fille, et surtout le fils. Je n’ai pas trop aimé, le film est déjà daté…

Palme d’or Festival de Cannes 2001

DVD La chambre du fils, Nanni Moretti, 2001, avec Nanni Moretti, Laura Morante, Jasmine Trinca, Giuseppe Sanfelice, Stefano Abbati, Universal Pictures 2002, 1h35, €21,30

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Cujo de Lewis Teague

Tiré d’un roman de Stephen King paru en poche, ce film est d’une horreur absolue (réservée aux plus de 12 ans sous peine de cauchemars). Jamais peut-être le cinéma n’avait torturé autant un petit garçon à l’image. Stephen King a creusé l’angoisse la plus profonde d’un enfant, celle d’être croqué par un monstre. Le mythe de l’Ogre – sauf qu’un fait divers réel l’a inspiré.

Tout commence comme d’habitude par les scènes d’une vie idéale d’un couple idéal dans une maison idéale au milieu d’un paysage idéal. Vic Trenton (Daniel Hugh Kelly) est cadre dans la publicité et bien payé, sa femme Donna (Dee Wallace) lui a donné Tad, leur petit garçon blond (Danny Pintauro). Un amour de gosse qui, à 6 ans, a peur des monstres du placard (comme Stephen King). Son papa le rassure et écrit même un exorcisme à prononcer le soir pour qu’ils disparaissent. Ils habitent une grande maison de bois sur la côte californienne, et lui roule en Jaguar type E rouge, tandis que sa femme achève une vieille Ford Pinto, bagnole pourrie célèbre pour ses défauts de conception. Parallèlement, Cujo est un saint-bernard de cent kilos, le meilleur ami des enfants dont son maître Brett Camber, 13 ans (Billy Jayne), fils d’un garagiste à quelques kilomètres de la ville, en pleine campagne. Cujo adore batifoler et poursuivre les lapins qui pullulent dans les prés verdoyants.

Puis tout se dégrade. Cujo chasse un lapin qui se réfugie dans une petite grotte hantée par des chauves-souris. Agacées par ses aboiements idiots qui les réveillent en plein jour, l’une d’elle le mord au museau. Le chien se retire, blessé. Donna continue de subir les avances de Steve Kamp (Christopher Stone), un ami de lycée avec qui elle a récemment trompé son mari mais le regrette. Lui ne l’entend pas de cette oreille et la poursuit de ses assiduités en profitant de l’absence du mari. Lequel a vu l’une de ses pubs télé contestée par le client et doit régler le problème par un déplacement de dix jours. Dans le même temps, la Ford Pinto hoquette et doit être réparée. Il n’a pas le temps de s’en occuper avant son départ et sa femme doit la mener au garage dans les collines, où Vic a découvert un artisan efficace et disponible, celui de Joe Camber (Ed Lauter) alors que celui de la ville est engorgé.

L’épouse du garagiste a gagné 5000 $ à la loterie et a fait cadeau à son mari d’une machine pour son garage ; elle demande en retour de pouvoir partir une semaine chez sa sœur avec leur fils Brett. Lequel a bien vu que leur chien Cujo avait une attitude agressive et qu’il bavait, mais sa mère lui dit que son père s’en occupera lorsqu’il va le nourrir et qu’il ne faut pas lui en parler avant de partir car cela pourrait remettre en cause leur séjour. On le voit, remettre à plus tard les ennuis ne conduit qu’à en attirer de pires.

Vic part, Donna emmène la Ford au garagiste, accompagnée de Tad. Il fait chaud, c’est l’été, grand soleil sur la Californie. Mais Joe Camber n’est pas là et la maison est vide. En fait, voulant profiter de l’absence de sa femme et de son gosse, l’artisan primaire a voulu entraîner son ami et voisin aussi vulgaire que lui Gary (Mills Watson) pour un festival de « bières, putes et baseball » – c’est dire le niveau. Mais Gary ne répond plus. Agacé par le bruit des canettes de bière que Gary déverse sur son tas d’ordures, le chien Cujo l’a attaqué et bouffé. Lorsque Joe s’introduit dans la maison, Cujo le trouve et, bien qu’étant son maître, lui fait son affaire. Il est devenu un chien enragé. Comme quoi les chauve-souris, affectionnées des Chinois, donnent diverses maladies dont le Covid 19 est la dernière mais la rage depuis longtemps.

Dès lors s’enclenche la tragédie : personne n’est présent, ni à la maison des Trenton, ni à celle des Kemp. La Ford Pinto rend l’âme dans la cour du garage, impossible de redémarrer et la batterie ne tarde pas à s’épuiser, éliminant la possibilité d’user du klaxon. Pire, la ceinture de sécurité de Tad s’est coincée et sa mère se préoccupe de l’aider, sans apercevoir le chien baveux qui se précipite pour les dévorer. Elle réussit à grand peine à remonter la vitre de Tad et à refermer sa propre portière avant l’assaut enragé. Ils vont rester deux jours dans la voiture, isolés sans presque rien à boire et sous une chaleur de four. Le petit blond est terrorisé et réclame son père contre le monstre ; sa mère est impuissante. Elle tente bien, de façon dérisoire, de sortir du véhicule pour… elle ne sait quoi faire et, avec ses chaussures ridicules, sortes de claquettes à hauts talons, elle n’est pas vraiment mobile. Le chien l’attaque et la mord ; elle réussit à grand peine à le repousser hors de la voiture qu’elle n’aurait jamais dû quitter. A-t-elle chopé la rage ? Pendant ce temps Tad, presque nu, fait une crise. Il s’arrête de respirer de terreur et elle le ranime à grand peine.

Vic téléphone chez lui et retéléphone, mais personne ne répond. Inquiet de cette absence et de leur dispute récente à propos de Steve, il abandonne sa réunion importante et revient à la maison. Il la trouve vide, la porte ouverte, et saccagée. La police est prévenue, c’est Steve Kamp qui a fait le coup, outré du refus de Donna – mais il jure qu’il ne l’a pas enlevée, ni Tad. Elle devait aller faire réparer la voiture et le shérif se rend à la ferme garage. Un gros et lourd shérif comme souvent, pas très futé ni très sportif. Arrivé au garage, Cujo l’égorge en moins de deux car le balourd tremblant a perdu son revolver.

Donna, qui dormait, n’a pas l’idée de se ruer vers la voiture du shérif – une qui fonctionne et qui a la radio. Non, elle se contente, hébétée, de se demander quoi faire alors que le chien enragé continue de rôder et attaque à nouveau la voiture, cherchant à briser les vitres et à défoncer les portières, tous crocs écumants dehors. Tad est out, évanoui de terreur et déshydraté. Donna a alors la suprême énergie de réagir (enfin !). Elle quitte l’auto cercueil pour se battre. Elle a repéré la batte de baseball de Brett qui gît dans la cour et s’en empare. Elle défie le chien. Lequel, affaibli par sa maladie, n’est plus aussi fringuant. Elle le frappe, le frappe encore, l’esquive, et parvient à l’assommer mais au prix de casser la batte. Évidemment, avec ses chaussures de pétasse, elle tombe et le chien se rue sur elle ; il va lui faire son affaire mais… s’empale sur le morceau de batte. Ouf !

Ce n’est bien sûr que partie remise car le film n’est pas terminé. Donna extirpe son fils de la voiture, dont les portières ne s’ouvrent plus, en brisant la vitre arrière à l’aide de la crosse du revolver abandonné par le shérif. Elle l’emmène dans la maison où elle lui jette de l’eau sur le torse et lui en fait couler un peu dans la bouche. Tad est sur le point de passer l’arme à gauche mais sa mère lui fait du bouche à bouche et lui masse la poitrine : il renaît. C’est à ce moment que le chien, que Donna n’avait pas achevé d’une balle dans la tête, s’élance au travers de la vitre pour leur sauter dessus. Comme quoi il faut toujours finir ce que l’on a commencé, dans le combat comme dans la vie. Cette fois, elle tire. Inutile de me reprocher le « spoil » (mot à la mode), tout est déjà dévoilé pour les Wikipèdes et, je continue à le répéter, dans un bon film ce n’est pas la fin qui compte mais le chemin pour y parvenir. D’autant que la fin du livre est différente…

La cavalerie arrive trop tard en la personne de Vic venu à chevaux déchaînés de Jaguar voir ce qui se passe, mais juste à temps pour récupérer le fils dénudé des bras de sa mère, en piéta sur le seuil.

Filmé souvent de très près, ce qui affole l’œil, il a fallu pas moins de cinq chiens pour le rôle, sans parler d’une tête mécanique et d’un acteur sous fourrure. Mais le suspense est dosé et la sauce prend, bien que certains personnages soient d’une fadeur rare. Steve est une tare dont on voit mal comment Donna a pu s’enticher ; Vic est un père attentif mais un piètre mari ; ses collègues en pub de vrais losers ; Joe un gros con des campagnes et son ami Gary encore pire ; le shérif un nœud de première. Ce qui fait ressortir la mère en premier plan, d’abord effacée comme maman et comme amante, puis se révélant in extremis en battante qui ne compte que sur elle-même. Quant à Tad, il est trop mignon. Danny Pintauro obtiendra un Young Artist Awards pour son rôle dans Cujo en 1984, avant de faire son coming-out out homo à 21 ans. Il incarnait le type même du « petit blond craquant des années 70 » comme Hollywood les aimait. Le générique déclare qu’il a été « introduit » pour Cujo, j’espère que cela ne lui a pas fait trop mal. Il a joué la terreur à la perfection.

DVD Cujo, Lewis Teague, 1983, avec Dee Wallace, Daniel Hugh-Kelly, Danny Pintauro, Christopher Stone, Ed Lauter, Arcadès 2019, 1h35, €8,97, Blu-ray €10,12

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Cinéma, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Alice Ferney, Paradis conjugal

J’aime bien Alice Ferney, chercheuse économiste passée féministe et qui écrit des romans sur l’intimité des couples. J’ai ainsi chroniqué avec bonheur sur ce blog La conversation amoureuse, puis Grâce et dénuement.

Mais je renâcle sur Paradis conjugal. Je n’ai pu dépasser la page 120 sur 380 et j’ai stoppé ma lecture – ce qui est rarissime chez moi en ce qui concerne les romans. Je me suis surpris à sauter des phrases, à lire parfois en diagonale tout un paragraphe. De là à sauter carrément des pages ou même des chapitres, il n’y aurait eu qu’un pas. Mieux valait arrêter.

Pourquoi cet ennui ? Parce que l’autrice, qui publie à peu près un roman tous les deux ans, a cédé semble-t-il à la facilité. Je me souviens qu’à cette période d’écriture (2007-2008) avait éclaté une lourde crise économique et peut-être l’autrice, qui fait profession d’économie, en a-t-elle été perturbée ?

On dirait le texte dicté à la va-vite, délayé par l’oralité, sans substance. Des groupes interminables de phrases pour ne rien dire, ou pour répéter en maniaque les derniers mots que le mari a dits avant de partir travailler. Avec les interludes des enfants qui veulent chacun quelque chose.

Le thème du roman ? La perte de « l’amour » – ce mot si galvaudé qui amalgame bien imprudemment, en français, le désir sexuel, l’admiration érotique pour la beauté, l’attrait affectif, l’habitude du vivre ensemble, les projets en commun, les liens familiers de la vie quotidienne, et ainsi de suite. L’amour n’est pas le sexe, même s’il en contient ; l’amour n’est pas l’idéalisme benêt que Flaubert a stigmatisé en Hâmour et que diffusent à longueur d’antenne les « séries » télé ou les bluettes romancées pour ados, même si ce mythe social participe des rencontres. L’amour, est un lien spirituel et affectif qui se construit sur le long terme, après l’éventuel « coup de foudre » ou les premiers émois désirants.

Dans ce roman, une femme, ex-danseuse, s’ennuie en couple après quatre enfants, dont le dernier a 6 ans et l’aînée 16. Elle regarde en boucle un film ancien du réalisateur Joseph L. Mankiewicz, Chaînes conjugales. Toute l’histoire est bâtie sur l’effet-miroir de la fiction sur la réalité. Trois « amies » partent en voiture en délaissant leurs maris. Une quatrième leur écrit pour leur dire qu’elle est partie avec le mari de l’une d’elles. Mankiewicz raille la société américaine de son temps (les années 1940) et l’autrice a l’air de dire que rien n’a changé depuis cette époque, deux générations plus tard. Il y a toujours la femme-enfant capricieuse et immature, la femme fatale qui n’est qu’objet de séduction, l’épouse qui réussit au travail comme à la maison – et la vamp qui pique les mecs des autres par plaisir, selon son désir.

Où se situe-t-elle ? Elle ne le sait pas trop. La danseuse qui ne danse plus a atteint la limite d’âge. Elle se sent délaissée par son mari qui lui a dit peut-être ne pas rentrer ce soir, car lui aussi s’ennuie. Cette cascade d’ennuis suinte dans le roman, en tout cas dans le premier tiers que j’ai péniblement réussi à lire. Je n’irai pas plus loin.

Peut-être un lecteur/lectrice est-iel allé au bout de ce roman et en a-t-iel une autre vision que la mienne ?

Alice Ferney, Paradis conjugal, 2008, J’ai lu 2015, 384 pages, €7,30, e-book Kindle €11,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans d’Alice Ferney déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu

Ce n’est pas un grand menu Macdonald mais un burger honnête. On y trouve comme souvent la jeune femme belle, intelligente, professionnelle qui a le coup de foudre pour un jeune homme beau, intelligent, professionnel. Ils vont se marier, Emma déjà enceinte ; ils sont resplendissants, David pressenti pour deux interviews.

Et puis patatras ! La lune de miel se transforme en lune de fiel sous l’influence d’une méchante sorcière, recyclée gibier d’asile psychiatrique pour la modernité. C’est souvent comme cela dans l’Amérique Macdonald : la jeunesse et la richesse sont confrontées au Mal. Le couple va passer le jour d’après dans un chalet en rondins isolé. David sort couper du bois et Emma, seule dans la maison, se fait agresser par une personne à capuche et cagoule, qui a tout simplement pris la hache de David, lequel a disparu. Elle manque d’être trucidée, tandis qu’un chasseur qui passait par là avec son chien prend le coup à sa place et lui permet de se sauver.

Mais où est passé David ? Elle ne voulait pas rester seule et il l’a laissée. Il devait couper du bois et il est parti faire une promenade. Les flics le retrouvent, boueux et égaré. Serait-il le coupable de la tentative de meurtre ? Ce sont souvent les proches en ces cas-là. Mais pourquoi juste après le mariage ? Et pourquoi s’être marié ? Le refus d’Emma de faire un contrat de mariage pour préserver ses intérêts y est-il pour quelque chose ? Regrette-t-il sa vie libre de célibataire souvent en reportages à l’étranger ? A-t-il peur de se lier avec une femme et déjà un bébé ?

Emma est blessée mais son fœtus va bien (c’est très souvent le cas avec l’autrice, qui aime les enfants). Elle rentre chez elle et refuse, butée comme une ado stupide, l’aide de sa mère qui veut rester, ou l’emmener se soigner à la maison. David lui promet de ne pas l’abandonner et de la protéger. Mais il part aussitôt à New York, appelé comme un toutou par son rédac-chef pour interviewer « un écrivain français » qui est Bernard Werber (auteur de thrillers, pas vraiment de la littérature). Interview qu’il ne fera pas, le voyage de l’écrivain étant retardé, mais il ne le dit pas en rentrant.

Pendant ce temps, Emma se voit affublée d’une infirmière à domicile, payée par son beau-père. Mais elle prend l’initiative, butée comme une ado stupide, de sortir malgré les consignes, sans rien dire à l’infirmière, pour « vérifier » un cadeau qu’elle a reçu pour le mariage et qui contient une souris morte. Ce que la police pouvait très bien faire mais que la blessée fait quand même, pour se prouver qu’elle existe et qu’elle n’en fait qu’à sa tête. Le récit est raconté par elle-même, mais le lecteur (en tout cas moi) ne la trouve pas vraiment sympathique : Emma la psychologue aime trop faire n’importe quoi, en se croyant toujours dans son bon droit, tout comprendre des gens et avoir raison avant les autres.

Toujours est-il que, de fil en aiguille, David le jeune mari reste le premier suspect aux yeux de la police, de la famille et même d’Emma parfois. Il lui « ment », ce péché absolu de la mentalité yankee qui croit que la transparence intégrale permet seul les relations saines (autrement dit le droit du plus fort). Il a fermé à clé un tiroir de son bureau ; il ne dit pas pourquoi il est rentré tard de New York ; il a été aperçu par un témoin au chalet un mois auparavant alors qu’il affirme qu’il n’y a pas mis les pieds depuis ses 12 ans ; il jure de protéger Emma mais n’est jamais là en cas de besoin.

D’autres suspects émergent, tel Burke, le patron de la clinique psy dans laquelle Emma travaille, ami d’enfance de David, mais qui a perdu sa femme Natalie, suicidée du haut d’un pont parce que pas très bien dans sa tête (et carrément folle à l’occasion). Ou encore Devlin, le père incestueux d’une ado patiente d’Emma qui s’est suicidée, anorexique, et qu’Emma soupçonnait d’abuser d’elle, puis aujourd’hui de sa petite sœur de 12 ans Alida, qui devient brusquement très sexualisée et s’habille en haut mini effrangé alors qu’elle n’est qu’en cinquième. Ou peut-être un dégénéré punk de la forêt, isolé et psychopathe.

Le lecteur ne saura qu’à la fin que tout est plus compliqué qu’il n’y paraît et que la culpabilité n’est pas en noir et blanc. Ce pourquoi le roman se termine de façon un peu bancale, avec de « bonnes intentions » à l’américaine clairement forcées. Mais, au total, on passe un bon moment à observer comment la fille ado attardée Emma parvient à surmonter ses épreuves initiatiques et laissant toujours à quelques pas derrière elle le beau David solitaire.

Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu (Married to a Stranger), 2006, Livre de poche 2008, 409 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

DVD Patricia Macdonald, J’ai épousé un inconnu de Serge Meynard (2015, 93′), Le Poids des mensonges de Serge Meynard (2017, 91′), Une mère sous influence d’Adeline Darraux (2015, 91′), avec Déborah François, Philippe Bas, Sara Martins, Thierry Godard, Caroline Anglade, Elephant films 2020, 4h35, €24,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les autres romans policiers de Patricia Macdonald déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Cinéma, Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , ,

Henri Troyat, La barynia

Quatre ans ont passés depuis le retour en Russie du couple Nicolas et Sophie. Avec la naissance du bébé Serge, premier héritier mâle, le vieux Michel, boyard de Katchanovka, met de la voda dans sa vodka* et se précipite à Saint-Pétersbourg où le jeune couple s’est exilé. Mais le bébé est mort à quatre jours d’une probable malformation du cœur. Cependant, Sophie a appris le russe, qu’elle parle avec un accent délicieux. Michel, le père de Nicolas, opposé jusqu’alors au mariage, est séduit. (* de l’eau dans son eau-de-vie)

Il propose à son fils et à sa bru de revenir habiter avec lui à la campagne. Sophie y est favorable, la vie de la capitale ne l’intéresse pas, les mondanités superficielles entre Russes surtout. Nicolas, au contraire, est réticent. Lui aime refaire le monde avec ses amis, réunis dans un cercle étroit d’aristocrates, et qui lancent justement « une société secrète », l’Alliance pour la Vertu et pour la Vérité emplies de mots en majuscule pour faire universel. C’est que les militaires qui ont occupé la France ont été contaminés par les idées occidentales et en reviennent les yeux emplis des Lumières. Les yeux seulement car la Russie est la Russie et le tsar un dieu vivant : nul ne songerait à le remettre en cause, tout au plus une petite constitution… Seuls des radicaux veulent extirper l’absolutisme jusqu’aux racines en zigouillant le tsar et, peut-être sa famille (cela reste à négocier avec les « modérés »), et réaliser l’égalité de tous sans barguigner – autrement dit remplacer un absolutisme par un autre. Toujours totalitaire, la mentalité russe, de l’orthodoxie au Dieu impérieux aux révolutionnaires qui veulent formater le peuple et la nature à leurs idées en passant par le tsar, monarque absolu de droit divin.

Après Les compagnons du coquelicot, chroniqué sur ce blog, où Nicolas a fait la connaissance de Sophie à Paris et l’a ramenée dans ses fourgons, ce tome second des cinq volumes de La lumière des justes est plus intéressant par les portraits contrastés des personnages et l’analyse du pays. Nous plongeons dans la vaste et sainte Russie, fort arriérée et destinée à le rester par son immensité physique, son inertie morale et le poids des traditions où « Dieu » justifie tout (au point que Poutine, deux siècles plus tard, a repris la religion comme un pilier de son régime). « Évidemment, nous n’étions pas encore sortis de chez nous, nous n’avions aucun point de comparaison. Mais, dès qu’on a eu l’imprudence de nous lâcher dans le vaste monde, nous avons compris. Nous sommes allés en France combattre le tyran Bonaparte, et nous en sommes revenus malades de liberté  ! – C‘est cela même ! dit Shédrine. Pour ma part, j’ai souffert de retrouver dans ma patrie la misère du peuple, la servilité des fonctionnaires, la brutalité des chefs, les abus de pouvoir ! » p.22.

Sophie va s’en rendre compte à Katchanovka, isolée loin de tout. Elle s’entend à merveille avec son beau-père qui aime sa résistance et fait de sa vie avec elle un jeu d’échecs, jusqu’à la désirer de façon trouble. Il perçoit à l’inverse son fils Nicolas un peu fade et léger. Normal, lui répond Sophie, il a constamment subi votre autorité sans partage ! Même chose avec le tsar, qui ne supporte pas qu’on le conteste, même avec civilité et ménagements. « L’ancien élève de La Harpe [son précepteur vaudois républicain libéral choisi par sa grand-mère Catherine II] vit dans la terreur des doctrines prêchées par les Encyclopédistes. Dès qu’un groupe d’individus redresse la tête, Alexandre découvre dans cet acte d’indépendance la manifestation de l’esprit du mal. La tâche d’un monarque chrétien lui paraît être de veiller à ce que le pouvoir absolu, émanation de la volonté divine, ne soit nulle part menacé. (…) Il rêve de devenir le policier de l’Europe. D’ici à ce que nos régiments soient obligés d’aller rétablir l’ordre partout ou un peuple se soulève contre ce gouvernement, il n’y a pas loin ! » p.134. Écrites par Henri Troyat en 1959, à l’apogée de l’URSS qui lançait le premier satellite artificiel dans l’espace, ces lignes apparaissent prophétiques. S’il n’y a pas d’âmes des peuples, il y a des constantes historiques. Et le conservatisme, l’absolutisme, l’autoritarisme armé, semblent faire partie intégrante de la Russie depuis les Mongols, quel que soit son régime. Remplacez le tsar Alexandre par le président Poutine, et il n’y a rien à changer à la phrase ci-dessus.

Mais Sophie ne renonce pas. Si Nicolas se vautre avec délices dans les grandes idées abstraites tirées de ses lectures de Voltaire, Montesquieu, Rousseau et quelques autres, il ne fait rien de réel. Comploter vaguement entre amis ne change pas la Russie. Sophie préfère le concret. Ainsi va-t-elle visiter les moujiks des villages appartenant au boyard son beau-père. Le jeune serf Nikita de 15 ans, beau blond svelte comme un saule, est en admiration devant elle. Il veut apprendre à lire et à écrire et Sophie convainc le pope de lui donner un livre ; Nikita devra tenir un cahier d’écriture où décrira sa vie quotidienne qu’il destinera à Sophie. Elle constatera ainsi ses progrès. Le jeune homme étant assidu et obstiné, elle l’enlèvera à la terre et en fera un domestique au manoir avant que Michel ne lui confie à 20 ans la comptabilité du domaine avant, à 22 ans et pour l’éloigner de Sophie, de l’envoyer à Saint-Pétersbourg faire sa vie en échange d’un affranchissement prochain. Sophie la barynia, l’épouse du seigneur appelé barine, est pour Nikita comme le tsar pour les Russes : une adoration hors d’atteinte. Il lui est entièrement soumis et dévoué. Les tomes suivants décriront cette passion absolue, jusqu’à la mort.

Entre temps, Nicolas rencontre sa voisine, la veuve Daria Philippovna, mère du jeune Vassia qu’il a connu à 12 ans avant de partir combattre en France. Le jeune homme, fade et malléable, l’admire comme un modèle et Nicolas l’enrôle dans son Alliance pour la Vertu. Ce qui ne l’empêche pas de lutiner sa mère, laquelle est demandeuse car elle n’a encore que 38 ans et que ses filles adolescentes sont amoureuses du beau Nicolas. Sophie ne voit rien, elle n’y prêterait peut-être aucune importance tant son amour est constant. Mais une lettre anonyme adressée à Vassia par le beau-frère de Nicolas, qui lui avait refusé 10 000 roubles, va engendrer un duel, heureusement sans lendemain. Michel est mis au courant, puis Sophie. Le couple se déchire. Car si les moujiks copulent dans les prés, les buissons et les foins pour faire une dizaine d’enfants, le couple des barines ne semble pas pressé de produire des héritiers. Ainsi se reproduit la misère et l’ignorance, tandis que l’aisance et l’intelligence se perdent.

L’auteur se plaît à opposer les deux enfants de l’autocrate boyard Michel : Nicolas comme Marie sa jeune sœur sont faibles à cause de son emprise. Mais Nicolas ramène de France une épouse qui le soutient comme un tuteur ; il n’y a que lorsqu’elle n’est pas auprès de lui qu’il se laisse aller à ses penchants frivoles de gamin égoïste, baisant ici ou là selon son plaisir. A l’inverse, Marie est une fille qui sèche sur pied en ne se sentant pas belle ni bien fagotée ; elle se jette dans la mariage avec le premier venu qui lui fait sentir son emprise pour échapper à son père. Mauvaise pioche : elle sera vite délaissée, réduite à vivoter dans le bourbier campagnard, nantie d’un mioche non désiré. Abandonnée par son père, son mari et par Dieu, elle se suicide en laissant le nourrisson qu’elle a prénommé Serge aux bons soins de Sophie. Qui l’impose à Michel son beau-père.

Ces intrigues nouées promettent de nouvelles aventures pour les tomes suivants. Henri Troyat est un admirable conteur.

Henri Troyat, La barynia – La lumière des justes 2, 1959, J’ai lu 1974, 374 pages, occasion €1,77

Henri Troyat, La lumière des justes : Les compagnons du coquelicot, La Barynia, La gloire des vaincus, Les dames de Sibérie, Sophie et la fin des combats, Omnibus 2011, €31,82

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les romans d’Henri Troyat déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Russie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi

J’ai lu dans l’avion, sur ma récente liseuse Kobo, une « romance » américaine à la mode. C’est un livre gratuit, Dans l’ombre de la loi de Toni Anderson. J’y retrouve la matrice du mâle américain et de la femelle qui en veut. C’est assez mauvais, avec un scénario conventionnel et des personnages stéréotypés, mais écrit avec le savoir-faire des séries télévisées.

Alex est un tueur d’assassins, des violeurs de femmes et des pédocriminels. Il est mandaté par un groupe privé de riches qui veulent la justice sans les procédures en excès. Le beau gosse de la trentaine est un ancien militaire des commandos en Afghanistan, décoré pour bravoure, embauché par la CIA pour liquider des trafiquants. Il a été emprisonné au Maroc pour avoir laissé la vie à l’un d’eux parce que sa fille de 12 ans venait d’entrer dans la pièce et qu’il aurait dû l’exécuter aussi. Il est sorti de geôle par l’organisation privée américaine sous condition par contrat d’obéir aux ordres de tuer durant deux ans.

Il a déjà descendu deux meurtriers violeurs avant que la police ne les trouve. Il est à chaque fois renseigné par l’organisation qui a ses sources au FBI et dans la police des États. Il intervient rapidement et utilement, sans laisser aucune trace, et les autorités officielles sont prévenues après par un appel anonyme afin de clore le dossier. C’est efficace, rapide et sans appel, tout à fait dans la mentalité yankee.

La onzième femme enlevée du dernier meurtrier est sauvée par notre héros, elle n’a pas eu le temps d’être violée puis torturée. Les dix précédentes non pas eues cette chance entre les pattes du prof de maths pervers. Deux balles entre les deux yeux règlent son compte au monstre sans autre forme de procès. Une sorte de loi de Lynch déléguée à un professionnel par ceux qui se sont instaurés gardiens du droit et de la morale (de leur temps).

Est ainsi présentée un modèle du respect des règles : respect des ordres hiérarchiques, respect de la femme que l’on baise avec préservatif, respect du consentement. La nouvelle norme en vigueur. Qui, depuis Yankeeland, DOIT se diffuser au monde entier. C’est cela le soft power.

Mallory, jumelle d’une fillette enlevée et tuée il y a 18 ans est fraîche émoulue de l’école de police. Dans le dernier crime du tueur tué, elle soupçonne quelque chose. Trois criminels ont été descendus de la même façon avant l’arrivée de la police ces derniers mois, et ce ne peut être pour elle le hasard. Alex, qui est officiellement consultant au FBI et a créé sa boîte de sécurité en couverture, la rencontre, constate ses soupçons, et la fait muter au service fédéral afin qu’elle trouve la taupe qui a failli faire capoter la dernière opération en prévenant la police trop tôt. Car Alex a à peine eu le temps de s’éloigner de la maison des horreurs et a failli se faire prendre la main sur le pistolet encore chaud.

Mais il tombe raide dingue de la fille, évidemment belle, sportive, enquêtrice obstinée, bonne professionnelle et fille de sénatrice. Elle est en outre vulnérable parce que le kidnappeur de sa sœur ressurgit et la menace. Il lui envoie une bague personnalisée et le pyjama de la petite fille de jadis. Elle veut le piéger, Alex veut la protéger, la police ne les aide pas. Seuls contre tous, mais unis, voilà aussi une face de la morale des Pionniers remise au goût du jour.

Ils sont jeunes, beaux, professionnels aguerris, et connaissent l’attirance irrésistible, le contact électrique et l’extase renouvelée des rêves de midinettes. Les descriptions de scènes de sexe, complaisamment détaillées dans leur progression, toujours attentifs l’un à l’autre, occupent une place de plus en plus grande au détriment de l’action, qui s’étiole et connaît des ratés – avant une conclusion trop rapide comme une éjaculation précoce. Le scénario est presque bâclé au profit du désir.

C’est ce qui compte au fond dans la « romance » et fait le succès de ce genre de livre, acheté et lu surtout par des femmes jeunes et des adolescentes. Ce sont des consommables à l’envie, comme les séries télévisées. Livres vite achetés, vite lus entre deux trajets, vite oubliés après l’orgasme de lecture, ils visent à provoquer l’extase par procuration comme une piqûre d’héroïne (légale). Le choc érotique entre deux êtres parfaits, aux standards américains, doit forcément aboutir à l’Amour romantique, puis au couple conventionnel avec deux enfants. Mais pas avant l’initiation des héros, le mâle par la guerre, la femelle par la police, enfin adultes après avoir traversés les épreuves.

Il fallait que je fasse l’expérience de ce genre de style. Je n’y reviendrai pas.

Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi – tome 1 Le sommeil des justes, éditions d’auteur Amazon, 414 pages, €16,08, e-book Kindle €0,00 (gratuit)

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

A dix minutes des naturistes de Stéphane Clavier

Un film familial et drôle, qui prône la tolérance – mais qui n’est pas édité en DVD, sujet sulfureux oblige. Pourtant, rien d’indécent dans ce film à la gloire des vacances, du soleil et de la nudité naturelle. Plutôt les contradictions de notre société patriarcale, catholique, bourgeoise, coincée, déclinées avec un humour à la fois bienveillant et acide.

Valérie Morin (Christine Citti) se trouve trop grosse malgré « vingt ans de régime » ; elle veut se faire refaire les seins, les fesses, les genoux… Mais cela coûte cher et ce n’est pas avec son salaire de bonne à tout faire, ni avec celui de son mari concierge, tous deux à Bruxelles, qu’ils vont pouvoir se payer cette fantaisie. Car c’est bien une fantaisie : Valérie est ronde et plantureuse car elle adore cuisiner les desserts, mais ne s’accepte pas. La norme masculine exige le format 90x60x90 et tout ce qui est en excès est mal vu ; la norme bourgeoise catholique belge exige la tempérance des chairs et la jeunesse renouvelée. D’où problème.

Le mari, Michel Morin (Lionel Abelanski), est prêt à sacrifier la semaine de vacances en croisière prévue pour contenter sa femme durant l’absence des patrons, partis en couple « visiter la Chine » durant trois semaines. En revanche, c’est dommage pour le gamin Sam (Jean-Baptiste Fonck), dont les 10 ans remplissent bien ses tee-shirts. Une idée vient au père : pourquoi ne pas échanger les maisons durant deux semaines ? Puisque les bourgeois ne sont pas là, autant en profiter.

Aussitôt dit, aussitôt fait sur le net. Patrick et Laure Dulac (Bruno Ricci et Maëva Pasquali) sont enthousiastes. Ils échangent volontiers leur maison sur l’île du Couchant (pastiche de l’île réelle du Levant) pour la demeure bourgeoise en plein Bruxelles centre, près du Parlement européen. C’est qu’ils ont eux aussi une idée : étant naturistes, ils veulent manifester nus en plein Bruxelles et porter une pétition aux parlementaires pour légaliser la nudité en Europe. Ce qui engendre une série de sketches croustillants et drôles avec le bourgmestre, les voisins, les passants dans les rues où passe le vélo-nu, et même l’assistance convoquée dans la maison bourgeoise pour un apéro-nu.

Pendant ce temps, la famille se rend dans le sud de la France où la maison à la cuisine aménagée leur plaît. Sauf que… Suzy, la tante des Dulac (Macha Méril), qui devait être hospitalisée pour une intervention au cœur, a décidé de ne pas aller à l’hôpital et de rester vivre ce qu’elle pouvait encore, mais chez elle. Dès le matin, elle pratique le taï-chi nue dans la cour. Scandale de pudeur offensée ! Les Morin ne se doutaient pas qu’ils étaient sur une île naturiste. Non sans contradictions, d’ailleurs, puisque la nudité est « obligatoire » sur tout le littoral mais « interdite » à l’intérieur. Nulle plage possible aux « textiles », on doit ôter son slip et tous ses vêtements (sauf peut-être la casquette ?) pour accéder à la mer. Seuls les enfants, pour éviter la censure du film, peuvent porter un cache-sexe.

Sam a fait la connaissance sur le ferry d’une petite copine, Léa (Prune Richard), avec qui il voudrait bien jouer sur la plage. Il entraîne donc son père avec lui « pour le surveiller » tandis qu’il navigue en canot plastique ou bâtit des châteaux de sable. Michel est obligé de se mettre nu, ce qui le gêne parce qu’il n’est pas vraiment bien bâti. La mère de Léa, belle jeune femme que son mari vient de quitter, l’encourage avec bienveillance, lui disant que c’est comme faire l’amour pour la première fois : on a peur mais, très vite, on ne peut plus s’en passer. De fait, Michel s’habitue.

Pas son épouse Valérie, qui n’accepte pas son corps et refuse obstinément d’aller se montrer à poil sur la plage. Elle assiste impuissante à la drague que subit son mari, qui semble y prendre goût. Suzy la console, en bonne soixante-huitarde mûrie qui prend tout à la cool. Elle l’encourage à se laisser-aller, à accepter ce qu’elle est. Donc à pâtisser puisqu’elle aime cela et réussit magnifiquement. Elle la présente à son chef cuisinier dans son restaurant pour qu’elle fasse en bénévole les desserts, notamment ses incomparables profiteroles au chocolat qui sont un délice. Le couple se délite tandis que le gamin, qui prend tout comme il vient, s’amuse et que Suzy recolle les morceaux.

Mais Bruxelles fait scandale. Le voisin bourgeois (Alain Leempoel) téléphone aux patrons « partis en Chine », les Langlois, dont lui Édouard (Philippe Magnan) est chef du parti conservateur au Parlement européen : il a vu circuler nue à la fenêtre une femme chez lui. Que font les concierges, se demande Langlois ? Et sa femme Solange (Catherine Jacob) l’incite à les asticoter. « C’est une cousine danoise », ment Michel, interpellé.

Laquelle épouse nudiste voudrait bien un bébé, que son mari militant lui refuse obstinément. Lui impose toujours ce qu’il veut, et c’en est trop. En gardant le bébé fille de la voisine, gynécologue (Cécile Vangrieken), Laure l’interroge sur les moyens de surmonter le veto marital. On peut toujours « oublier » de prendre la pilule, répond la doctoresse, ou crever discrètement le préservatif en le sortant de l’emballage – « ce sont des pratiques que je réprouve, mais certaines le font… ». Dont elle-même, on l’apprendra avec humour ensuite. Laure, qui lit ostensiblement Le rose et le rosaire de Paul Claudel, une réflexion sur la Vierge, ne veut pas se dessécher sur pied et cherche comment Marie a réussi sans Joseph – autre trait d’humour catho belge bon enfant. Elle lira ensuite un guide pratique, 101 trucs pour tomber enceinte, sans que son mari n’y fasse attention.

Les Langlois, qui ne sont pas en Chine mais en clinique pour se faire re-lifter une jeunesse, ne sont pas présentables ; ils doivent ronger leur frein avant que la cicatrisation du visage leur permette d’aller en société sans se faire questionner sur leur mensonge. Le conservateur s’est montré en effet tout à fait opposé à la chirurgie esthétique pour des raisons morales, une belle contradiction. Lorsqu’ils parviennent enfin chez eux, « revenus par avance à cause d’une intoxication alimentaire en Chine », ils trouvent une réception qui bat son plein dans leur maison de ville. Des gens tout nu partout et tous les parlementaires amis invités pour un apéro-nu via le réseau social des Langlois, que le bourgeois trop sûr de lui avait laissé cession ouverte, et que Michel avait autorisé sans le savoir par téléphone.

Comment résoudre le problème sans dévoiler le mensonge ? Il est évident que les Morin sont virés, mais encore ? Eh bien, il faut accepter l’inévitable. Comme Valérie va accepter son corps, Patrick le bébé désiré par sa femme, les Langlois vont accepter officiellement de soutenir le mouvement nudiste, « au final plutôt familial et qui ne remet nullement en cause les valeurs, etc… », comme le politicien le soutient sans rire face au micro de la journaliste. Les Morin, ayant pris goût au climat et à la gentillesse des gens sur l’île nudiste, vont s’y installer, et peut-être envisager un autre enfant. Le Sam suffit ne suffit plus.

Cette gentille histoire franco-belge est agréable à regarder et tout à fait correcte question mœurs. A l’opposé de l’époque des régressions et intégrismes, elle prône sans provocation la tolérance mutuelle, le naturel des relations, la réconciliation avec son corps et avec la nature. Bien mieux que les drag queens complaisantes de cérémonie !

DVD A dix minutes des naturistes, Stéphane Clavier, 2011, avec Lionel Abelanski, Christine Citti, Macha Méril, Catherine Jacob, Philippe Magnan, Jean-Baptiste Fonck, TF1 2012 rediffusé NRJ12 replay 2024 (création d’un compte exigé), 1h45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay

Décédé en 1956, Louis Bromfield est un Américain injustement oublié. S’il a surtout été fermier et adapté l’agriculture biologique à sa ferme du comté de Richland, qui fait encore école aujourd’hui, il a été aussi guerrier durant la « Grande » guerre en France, journaliste et écrivain. Il s’intéresse aux gens.

Ici à la faune internationale à Bombay, capitale des Indes alors britanniques entre les deux guerres. Le pays est immense et pauvre, régenté par les rajahs richissimes qui n’ont que frivolités, jeu et bijoux en tête tandis que crève le peuple misérable qui les adore comme des dieux. Seuls quelques Blancs « missionnaires » se préoccupent des indigènes pour leur enseigner l’hygiène, l’agriculture et les rudiments de lecture. Homer Merrill est de ceux-là, jusqu’à se tuer à la tâche.

Il a perdu sa femme puritaine qui l’a enfermé, réprimé et méprisé jusqu’au bout, un vrai fléau de Dieu (qui l’a créée). Il doit se séparer de Tommy, son petit garçon de 9 ans qu’il adore, pour l’envoyer par bateau en pensionnat aux États-Unis afin qu’il fasse son éducation. Il ne garde que le petit Hindou Ali, aveuglé par une maladie qu’il espère bien faire opérer à ses frais à Bombay par un spécialiste.

Il va rencontrer dans le train son contraire absolu en la personne de la jeune Carol Halma, nom de scène d’Olga Janssen, une Suédoise robuste, saine et belle comme une déesse nordique. Son wagon de luxe ayant un essieu cassé, il doit l’accueillir dans son compartiment où il vivait jusque là demi-nu comme les jeunes garçons, à cause de la chaleur écrasante du pays. Il doit se rhabiller un peu et connaît une migraine sévère, due au paludisme et à la moiteur. Après avoir étalé ses bijoux aux yeux émerveillés des gamins, Carol en est touchée, elle lui caresse la tête et l’apaise comme on le fait d’un enfant.

Au grand hôtel Tadj Mahal de Bombay, où descendent tous les Occidentaux, Carol retrouve Bill, son ex-mari américain, fêtard comme elle mais qui s’est assagi en entrant dans les affaires paternelles. Il se trouve qu’Homer a été le copain de chambre d’université Cornell de Bill. Le trio va donc évoluer ensemble, chacun avec ses problèmes et ses affinités. Bill aimerait bien se remarier avec Carol, laquelle a eu le béguin pour Homer, qui en est tombé amoureux. Mais la réputation douteuse de Carol, adonnée au gin et qui s’affiche avec des escrocs et d’ex-putes venues recruter de la chair fraîche ou se refaire au jeu, la fait expulser du pays. Bill va rattraper in extremis la situation et Carol choisira de quitter sa vie de patachon pour enfin servir l’humanité avec Homer, à qui Bill va faire une donation et que l’Inde récompense par un diplôme et un prix.

Tout le sel du roman est moins dans ces histoires d’amour qui finissent bien que dans le cheminement plein d’humour qui y mène. La peinture des vieilles solitaires qui se pavanent dans les soirées mondaines et aux courses, cherchant à gagner quelques milliers de roupies pour payer leur chambre ou renouveler leur garde-robe défraîchie, est un bonheur de lecture. Une « baronne » tchèque est l’ex-tenancière d’un claque chic rue de la Chaussée d’Antin ; elle possède plusieurs établissements qui lui permettent suffisamment d’argent pour compenser sa laideur. Une « marquise » qui a épousé un général italien (alors fasciste) est une ancienne pute qui renseigne le gouverneur anglais. Mrs Trollope est une viveuse au bout du rouleau qui n’hésite pas à voler après s’être accrochée à la chance de Carol.

L’auteur est très sévère envers le puritanisme, les calvinistes et autres peine à jouir : ils ternissent la vie et pourrissent le moral des gens. Ce n’est pas pour cela qu’il faut baiser à couilles rabattues ou se donner au premier venu, mais le plaisir peut être pris lorsqu’il ne porte aucune conséquence néfaste pour quiconque. Reste qu’un couple complémentaire est la meilleure chose pour un projet commun, que ce soit élever un enfant ou entreprendre une aide au développement.

Un vrai roman agréable à lire et captivant, plein d’humour.

Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay (Night in Bombay), 1940, Livre de poche 1967, 448 pages, occasion €10,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,

Pierre Lemaitre, Le silence et la colère

Dans ce second tome de la trilogie, après Le Grand Monde, l’auteur poursuit son feuilleton dans le style enlevé d’Alexandre Dumas. Nous y retrouvons tous les personnages, suivis dans leur être et leurs déboires avant que, ultime pirouette, leur créateur ne les récupère in extremis pour les sortir par miracle des ennuis dans lesquels ils se sont fourrés.

Occasion de peindre l’épouse venimeuse, Geneviève femme de Jean le fils aîné, enfant gâtée devenue femelle frustrée, se faisant engrosser par le premier venu pour niquer son mari et se faire plaindre par la société indulgente aux mères souffrantes, mère indigne qui voit sa fille de 3 ans grimper sur la fenêtre sans intervenir, au risque de basculer trois étages plus bas – ce qu’elle va réussir dans l’escalier de l’immeuble sur un étage seulement. En bref la vraie salope, faussement vertueuse, qui pousse son mari trop faible à des pulsions meurtrières périodiques.

Peinture aussi de Jean en mari entrepreneur qui gâche toujours tout par ses initiatives de lâche, mais réussit à inventer le magasin premier prix en self-service qui devrait connaître à Paris le succès au sortir de la pénurie. Aucun de ses deux enfants n’est de lui. La première est d’un boxeur blond au Liban, la seconde du vil gérant du magasin, réembauché après l’avoir viré pour trafic de tissu à l’encontre des Juifs durant l’Occupation. Pas très reluisant. Les grands-parents, patrons de la savonnerie à Beyrouth, s’empressent d’aider le père biologique boxeur à gagner des matchs et de prendre sous leur aile la petite Colette pour la sauver des griffes haineuses de sa mère.

Quant au frère, François, journaliste des faits divers, il réussit dans son métier et consolide son couple avec Nine, la sourde qui a menti sur son passé. Le reporter enquête et finit par découvrir la vérité, ce qui conforte son amour… et fait tomber enceinte la fille.

Il introduit sa sœur Hélène, photographe de presse, dans la rédaction. Celle-ci part suivre l’épopée du barrage en province, destiné à produire de l’électricité au prix de la noyade d’un vieux village. Les pour et les contre se divisent naturellement, les avisés qui s’en sortent en vendant à bon prix et ceux qui retardent stupidement en croyant encore et toujours au miracle alors que le barrage se dresse déjà. D’où les portraits au village dans la province profonde à peine sortie de la période noire des années de guerre. Il y a la grande gueule en vrai con, le harcelé communal devenu ingénieur, le boulanger dans le pétrin, le cafetier qui ne pense qu’à ses sous, la mère d’un débile heureux, le curé qui fricote (peut-être) avec ses enfants de chœur. Tous autant de grenouilles jetées dans le bain de la modernité qui, progressivement, monte en température. Une vraie expérience in vivo.

Hélène, qui a couché avec son patron le directeur du journal, se retrouve enceinte et veut avorter, par convenance : ce n’est pas le moment. Occasion de traiter ce sujet sensible à l’époque, qui ne trouvera que vingt ans plus tard sa traduction dans la loi Veil. Il reste pratiqué clandestinement par des avorteuses formées sur le tas ou par des médecins qui craignent pour leur réputation – mais demandent aux patientes pour procéder à l’avortement deux mois de salaire moyen, le prix de leur culpabilité. Hélène trouvera cependant dans les bras placides du correspondant local au nom à particule le pied correspondant à sa chaussure, qu’elle a élastique si l’on se souvient du premier tome.

Excellente occasion pour l’auteur d’évoquer l’hygiène des femmes françaises, peu reluisante ces années-là. « La Française est-elle propre ? » titre Françoise Giroud dans Elle en 1952, article complaisamment repris tel quel en annexe du roman. La réponse à cette enquête est NON, certaines ne changent de culotte qu’une seule fois par semaine. Quant à se laver… La situation a-t-elle vraiment changé ? Pas si sûr si j’en crois mes amies qui fréquentent les salles de sport : ces dames ne prennent pas de douche après les exercices pour ne pas abîmer leur maquillage ! Comme écrit Françoise Giroud, cela finit par se sentir.

Pierre Lemaitre, Le silence et la colère – Les années glorieuses 2, 2023, Livre de poche 2024, 756 pages, €10,40, e-book Kindle €10,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Rob Roy de Michael Caton-Jones

Inspiré d’un roman de Walter Scott lui-même inspiré d’une histoire vraie (mais amplifiée et déformée), ce film trop long (plus de 2h !) tente de dénoncer à la fois le colonialisme anglais, la morgue aristocratique et la perte des valeurs de la noblesse. Objectifs un peu ambitieux pour le résultat obtenu. Certes, les paysages des Highlands sont superbes, encore que sous-utilisés ; certes, le couple de Rob et Mary avec leurs deux fils bagarreurs est sympathique et sain – mais l’action se perd parfois dans des bavardages d’« explications » trop longs et le duel sur la fin est gagné sur une ambiguïté : Rob Roy (Liam Neeson), en saisissant la lame de son adversaire, a triché alors qu’il avait un genoux en terre.

Reste un film d’aventures qui met en scène surtout l’Écosse sous le joug anglais et la pourriture morale de la noblesse qui a oublié, en ce début du XVIIIe siècle, ses valeurs morales que sont l’honneur et la vertu d’exemple.

En 1713, Robert Roy MacGregor est le jeune chef du clan MacGregor qui comprend quelques deux cents âmes – toutes pauvres. Bien qu’il assure la protection du bétail des nobles en pourchassant les voleurs, il tient à réaliser une opération pour renflouer les siens. Il emprunte pour cela mille livres au quatrième marquis de Montrose (John Hurt) pour acheter des vaches, qu’il ira revendre avec bénéfices dans une ville à plusieurs journées de marche. Mais le marquis s’est entiché d’un fils de famille anglais que les siens ont exilé pour scandale dans la lointaine Écosse. Archibald Cunningham (Tim Roth) est le type du muguet de cour efféminé et sournois, qui cache sous les apparences policée une âme noire de sociopathe mal aimé petit, donc sans aucune empathie (Tim Roth est un excellent acteur dans ce rôle). Dépensier, couvert de dettes pour ses affiquets d’apparence, il veut se refaire. L’intendant du marquis Killearn (Brian Cox), un gros cynique qui admire les grands sans arriver à leur cheville, lui propose un marché : plutôt que le billet à ordre réclamé par Rob au marquis (et accepté par lui), un sac bien rempli de pièces qu’il sera facile de voler.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le fidèle mais niais Alan McDonald (Eric Stoltz) ami proche de Rob Roy, accepte les pièces et part seul (en bel imbécile !) les livrer à son chef. Inévitablement, il est attendu dans la forêt et, malgré son pistolet à un coup qu’il ne sait pas manier juste, est poignardé par l’implacable Cunningham qui prend plaisir à voir sa souffrance et le moque. Le corps est ensuite éventré, lesté de pierres, et jeté dans le lac. On ne retrouvera jamais et il est soupçonné avoir volé la somme pour s’embarquer pour les Amériques.

Rob Roy, trop honnête et trop droit, qui a de l’honneur à l’ancienne et a donné sa parole de rembourser, négocie du temps pour retrouver McDonald mais le marquis de Montrose lui propose d’effacer sa dette s’il témoigne que son adversaire de la noblesse, John Campbell, second duc d’Argyll (Andrew Keir) est un Jacobite (partisan des Stuart). Rob refuse, il est alors déclaré en défaut et menacé de la prison. Comme il s’enfuit dans les collines, Montrose charge Cunningham de le ramener « brisé mais vivant ». Les tuniques rouges anglaises vont alors saccager et brûler sa maison, tuer son bétail – et Cunningham violer sa femme Mary (Jessica Lange) à grands coups de reins. Laquelle, un peu naïve, est restée pour défendre son bien alors qu’elle a fait fuir ses fils et aurait du se douter des conséquences…

Rob Roy rejoint sa femme dans une autre maison des collines et se rend à ses raisons. Il ne gagnera rien à s’opposer frontalement à Montrose, il n’en a pas les moyens. Betty (Vicki Masson), une femme de chambre du marquis follement amoureuse du muguet de cour, a été engrossée par Cunningham qui adore baiser depuis qu’il a quitté, selon ses dires, les jeunes garçons (vice anglais selon les Écossais) pour les femmes. Enceinte, elle est chassée et se réfugie auprès des MacGregor auxquels elle apprend le complot pour voler l’argent qu’elle a entendu entre deux portes. Rob Roy enlève l’intendant du marquis Killearn et Mary lui propose la vie sauve s’il témoigne contre Cunningham. Mais celui-ci lui rappelle son viol et qu’il la dénoncera. Comme la situation est insoluble, car elle n’a pas avoué à son mari qu’elle a été violée pour lui éviter de se jeter dans la gueule du loup en voulant se venger, elle blesse sérieusement Killearn et Alastair (Brian McCardie), le frère de Rob qui est arrivé trop tard pour avoir dormi au lieu de veiller, au courant du viol, l’achève en le noyant.

Quant à Rob Roy, il reste passif devant les exactions outrées des Anglais et ne fait rien pour leur tendre une embuscade ou tuer Cunningham. Le jeune Alastair, tête de linotte mais actif, se fera tuer en tirant à coup de fusil sur les Anglais (en ratant Cunningham). A l’agonie, il avouera le viol de Mary par Cunningham à son frère Rob. On se demande si une telle troupe de bras cassés restés au moyen-âge est vraiment apte à défendre l’Écosse et les droits de ses clans… Inévitablement, l’initiative insensée d’Alastair va aboutir à faire tuer un homme et à faire prendre Rob Roy. Lequel est amené brisé mais vivant devant le marquis, qui ordonne qu’on le pende au pont où il le rencontre. Rob entoure le cou de Cunningham qui s’apprêtait à exécuter la besogne avec la corde qui le lie et se jette dans la rivière tumultueuse, ce qui étrangle le muguet vicieux, mais pas assez longtemps pour qu’il en crève. La corde est coupée et Rob se sauve dans les eaux en furie, se cachant dans une carcasse de bœuf puante lorsque les hommes fouillent les berges.

Mary se rend alors chez le duc l’Argyll pour lui demander de protéger son mari qui a sacrifié à l’honneur en refusant de témoigner contre lui sur la demande du marquis. Le duc accorde asile à la famille et arrange un duel entre MacGregor et Cunningham, enjoignant Montrose d’effacer sa dette si MacGregor gagne. Confiant en les qualités de bretteurs de l’Anglais, le marquis accepte ; sinon, il paiera lui-même la dette. Bien que moins habile que le muguet de cour à l’épée, et portant une arme trop lourde qui le fatigue, blessé plusieurs fois par Cunningham, MacGregor finit par s’en sortir par une ruse médiévale et gagne. Il peut alors rejoindre épouse et fils avec son honneur intact, voire vengé – même si cet honneur obsessionnel a failli détruire son clan. Quant au bébé engrossé par Cunningham, il le fera sien…

DVD Rob Roy, Michael Caton-Jones, 1995, avec Liam Neeson, Jessica Lange, John Hurt, Tim Roth, Eric Stoltz, MGH United Artists 2000, 2h13, €11,60 Blu-ray €8,11

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Rosemary’s Baby de Roman Polanski

A la veille de mettre le pied pour la première fois sur la lune, l’Amérique intello s’angoisse de ce qu’elle vit sur la terre. Tout va mal depuis l’assassinat de Kennedy et la guerre du Vietnam : le Mal (biblique) est en nous. Il suffit de peu pour le révéler. Le film de Roman Polanski est tiré du roman d’Ira Levin, paru en 1967, Un bébé pour Rosemary. Ira Levin était juif athée new-yorkais, ce qui n’est pas neutre pour comprendre cette histoire.

Un jeune couple décide de s’installer à Manhattan, dans le vieux New-York dont le travelling de titre donne le contraste avec les immeubles neufs alentour. Rosemary (Mia Farrow) et Guy (John Cassavetes) sont bien un peu préoccupés de la réputation de la maison Bramford, où ils visitent l’appartement d’une vieille dame récemment décédée (mais à l’hôpital). Il se dit que les sœurs Trench y mangeaient de jeunes enfants, que le sorcier Mercato y fut et qu’une sorcière nommée Adrian y tuait les gens dans les corridors pour leur sang – tous personnages inventés, comme le building. Ce Dakota Building, qui fait office de maison Bramford, a été construit dès 1880 et John Lennon y fut vraiment assassiné en 1980. Mais Rosemary et Guy n’y croient pas, en bons Yankees de leur époque scientiste.

Sauf que : la vieille dame a mystérieusement bouché un placard par un gros secrétaire ; l’immeuble tout entier incite à faire l’amour, comme ils le font à l’emménagement par terre, dans la pièce encore vide ; la jeune fille au pair des Castevet, Terry Gionoffrio (Angela Dorian), qui l’ont recueillie dans la rue où elle se droguait et dont Rosemary a fait la connaissance à la laverie commune du sous-sol, s’est jetée du 7ème étage pour mourir, justement leur étage – mais aussi les 7 jours de la création du monde, les 7 branches du chandelier juif, les 7 péchés capitaux, les 7 sceaux de l’Apocalypse, tous symboles juifs ; Minnie et Roman Castevet (Ruth Gordon et Sidney Blackmer) sont leurs voisins de palier et s’invitent chez eux sans discuter, inquisiteurs et impérieux ; Minnie va même jusqu’à offrir un vieux bijou « porte-bonheur » à Rosemary, une boule ajourée qui contient de la racine de tanis puante (herbe inventée soi-disant venue de la ville d’Égypte du même nom), un porte-malheur plutôt car c’est le même qu’elle avait offert à sa jeune fille au pair.

Tout cela n’est pas très catholique, comme on dit en France, or Rosemary est catholique et le dit ; son jeune mari Guy ne croit pas, bien qu’élevé dans la norme protestante américaine. Il sera le passeur du Mal qu’il considère, en tant qu’incroyant, comme un fantasme. Il sera d’autant plus manipulé par les forces sectaires qu’il socialise avec elles volontiers, alléché par ses perspectives de carrière comme acteur. Roman, en effet, lui raconte les acteurs qu’il a connus et veut l’aider à obtenir son premier grand rôle. Cette naïveté, accompagnée d’une certaine lâcheté, sera fatale à sa femme et au bébé. Lequel n’est pas le sien mais celui de Satan. Ou comment vendre sa femme au diable pour obtenir des bienfaits.

Car Guy est vite appelé au téléphone pour un rôle qu’il a raté, celui qui avait été choisi étant brusquement devenu aveugle. Il devait en attendant tourner des spots publicitaires, notamment pour les motos Yamaha. Et c’est Hutch (Maurice Evans), un vieil ami de Rosemary, venu en visite dans leur nouvel appartement bien redécoré et repeint par la jeune femme, qui perd un gant et se retrouve brutalement dans le coma, d’où il ne sortira pas. Roman Castevet était venu en voisin justement au même moment. Guy l’avait prévenu… Et posséder un objet de la personne à laquelle jeter un sort est le b.a. ba de la sorcellerie.

Rosemary s’inquiète de tous ces événements, d’autant que Minnie leur offre un soir le dessert, une mousse au chocolat bien « chargée » pour elle, afin qu’elle tombe en sommeil et se laisse faire. Elle n’en mange qu’un peu et jette le reste, à l’insu de son mari qui insiste pour qu’elle finisse. Ce pourquoi elle sera à demi-consciente de ce qui lui arrivera dans la nuit. Une GHB de sorcière qui permet à Satan de venir la violer au vu et su de toute la secte. Guy prétend, au matin, que c’est lui qui s’est emparé d’elle tant il était en vigueur, et puisqu’ils voulaient tous eux un enfant. Mais, après tout, le mâle n’est-il pas « le diable » pour les angoisses féminines ? Il s’agit dans cette histoire d’un viol, d’une pénétration non consentie, même si l’époque considérait les choses autrement, le mariage étant un contrat implicite de relations sexuelles permises dès le départ.

Rosemary se retrouve enceinte, elle en est heureuse, mais la vieille Minnie, un brin vulgaire lorsqu’elle mange, ce qui révèle son caractère profond, lui conseille de laisser son gynécologue le docteur Hill (Charles Grodin) pour avoir recours, sur sa recommandation et avec des prix réduits, au docteur Sapirstein au nom yiddish (Ralph Bellamy). Lequel demande à Minnie d’offrir chaque jour à la femme enceinte une potion vitaminée de sa composition. Rosemary ressent des douleurs, mais le docteur lui affirme que c’est normal et qu’elles passeront. Dans les faits, l’épouse et future mère se retrouve entièrement sous la coupe de son mari, de ses voisins, du docteur qui lui est attribué, de la secte satanique, de ce qu’elle ingère… Elle n’a plus aucune autonomie, ses amis sont écartés, parfois au prix de leur vie. La femme n’est pas encore libérée, l’emprise est totale.

C’est qu’il s’agit de donner un fils au diable, tout simplement, tout comme la Vierge en a donné un à Dieu. Mitou ! s’exclame Satan en globish, et il va de ce pas y pourvoir, sans envoyer un ange comme l’Autre. On voit ses mains brunes et griffues caresser le corps nu et tendre de Rosemary inerte sur le lit. Mia Farrow nue se fantasme sur un bateau. Il la chevauche comme un bouc et lui enfourne sa semence jusqu’à plus soif. Son fils sera un bébé comme lui, yeux fendus, doigts crochus, pieds fourchus – toute la mythologie judéo-biblique inventée par les puritains en manque, sur l’exemple ésotérique de la Kabbale. Le spectateur peut noter que tous les sorciers passés et présents sont juifs, du couple Castevet (ex-Mercato, au docteur Sapirstein), jusqu’à l’auteur de l’histoire Ira Levin et au réalisateur du film Roman Polanski. De là à évoquer un Complot kabbaliste, l’intromission du germe juif dans le ventre d’une catholique tel le coucou dans le nid des autres, il n’y a qu’un pas symbolique. Ce contre quoi l’ami Hutch met en garde Rosemary par-delà la mort, via un livre sur le sujet qu’il lui fait parvenir par une amie : Tous des sorciers. Il y est révélé qu’un sorcier célèbre qui habitait le bâtiment et qui a été lynché par la foule, Mercato, était le père de Roman, lequel a changé son nom par anagramme.

Les sciences occultes ne sont pas des sciences mais des croyances et des savoirs rituels, il ne faut pas se laisser circonvenir par les mots. Les apparences sociales ne sont pas la réalité des êtres, et même les paranoïaques ont des ennemis. La confiance ne droit pas rester inconditionnelle, même envers son mari, ses voisins et son médecin. Se laisser enfermer par le couple, l’appartement, la sociabilité de convenance, n’est pas un bon moyen de penser par soi-même et d’être libérée des déterminismes. Le corps personnel n’est pas inviolable, or Rosemary a été carrément violée : oralement par les potions, génitalement par Satan, moralement par son mari, socialement par ses voisins, et religieusement par le diable (le Juif incarné pour les catholiques). Se souvenir qu’un an plus tard, le 9 août 1969, Sharon Tate enceinte de Roman Polanski, a été assassinée à Los Angeles par la secte de Charles Manson, un meurtre rituel. Elle avait d’ailleurs été violée par un soldat à 17 ans, comme elle le raconte à son mari en 1966, qui l’épouse en janvier 1968…

Malgré tout, Rosemary est mère et cela compte dans sa mythologie personnelle. Elle ressent le besoin naturel et social de s’occuper de son bébé, même s’il est diabolique et probablement maléfique dans le futur. Le mal est banal et ordinaire, pourquoi s’en faire ? Ne vaut-il pas mieux faire avec ? Une mère aime toujours son petit monstre.

L’histoire monte savamment en paranoïa. Tout paraît de moins en moins normal, mais à chaque fois une explication rationnelle peut fonctionner… jusqu’à la scène finale et la dépression post-partum. Le fameux placard, bouché par la vieille et que le couple a rétabli, ouvre chez les voisins sataniques et là tout se révèle à cru, la réalité soupçonnée derrière l’apparence. Le dénouement, à mon avis inutile, est bien amené avec les doutes qui se lèvent, le cœur qui s’interroge, le corps qui se rebelle – les maux pour le dire. Peut-être aurait-il mieux valu laisser le doute…

DVD Rosemary’s Baby, Roman Polanski, 1968, avec Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sidney Blackmer, Maurice Evans, Paramount Pictures France 2023, 2h17, 4K Ultra HD + Blu-Ray €32,78

DVD simple 2021, €19,79

(Mention obligatoire : mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Garde à vue de Claude Miller

Les flics à l’ancienne, en province, dans les années Mitterrand. Pas d’ADN ni de téléphonie, ni de caméras de surveillance à l’époque, mais une enquête toute psychologique, un choc entre personnalités. Deux petites filles de 8 ans ont été retrouvées mortes étranglées, violées, jetées dans un fossé ou sur une plage en l’espace d’une semaine. Un notaire, dont la voiture a été retrouvée à proximité de la plage par les gendarmes le soir du second meurtre, est interrogé.

C’est la veille du Nouvel an, la ville de Cherbourg est en effervescence, il fait froid et il pleut. Pas de quoi avoir la trique pour violer, comme le note un inspecteur facétieux. L’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura), confronte Maître Jérôme Martinaud (Michel Serrault) dans son smoking de sortie, et le met devant ses contradictions. Ce sont de petits détails insignifiants, mais qui dessinent une cohérence policière.

Le notaire a fait son devoir de citoyen et il devient suspect numéro un. Il a prévenu la police pour le premier meurtre : que faisait-il dans ce lieu marécageux plein de ronces ? Comment a-t-il pu reconnaître la fillette de loin dans l’obscurité s’il ne savait pas qui elle était et où il l’avait mise ? A-t-il promené le chien Tango du voisin ce soir-là ? Lui a déclaré que oui, des voisins ont témoigné que non. Est-ce un oubli ou un mensonge ? Le notaire voulait un chien mais sa femme n’en voulait pas, elle préfère les chats, mais lui n’en veut pas, ça fait des saletés. Pas d’enfant non plus, sa femme l’a répudié de son lit. Pourquoi ? Elle aimait la chose avant de se marier mais en est révulsée après. A moins que ce soit lui qui l’ait choquée, mais elle ne l’avoue pas.

Qu’a-t-il fait le soir du second meurtre, si près de la plage où le cadavre a été retrouvé ? Lui déclare qu’il s’est promené dans les dunes vers le phare. A-t-il entendu quelque chose ? Non, rien, sauf le bruit du ressac, rien d’autre. Et la corne de brume, alors ? Il a dissimulé le fait qu’il est allé ce soir-là aux putes après avoir été voir sa sœur. Mais un mensonge rend aussitôt le policier soupçonneux : menteur une fois, menteur toujours !

La nuit s’étire et l’interrogatoire n’avance pas. Martineau s’enferre mais il dit ne pas avoir tué. L’inspecteur-adjoint Belmont (Guy Marchand) tape le procès-verbal (en deux exemplaires avec carbone) et se marre ; il le croit d’évidence coupable et en a marre. A cette époque d’autorité toute-puissante, aucun avocat n’était autorisé durant la garde à vue. L’inspecteur est impulsif et lorsque Gallien doit sortir, appelé pour aller voir l’épouse du notaire qui veut retrouver son mari (ce qui n’est pas permis), Belmont l’impulsif frappe Martineau pour le faire avouer. Le scandale ne sera qu’en interne, rien ne sort publiquement à cette époque des violences policières.

Gallien reçoit Chantal Martineau (Romy Schneider), qui confirme les chambres à part et évoque sa répulsion envers son mari. Un soir de Noël, il a longuement conversé avec sa nièce Camille (la mignonne Elsa Lunghini de 8 ans à l’époque), et est resté avec elle seul dans la pièce aux cadeaux. L’épouse les a surpris très proches l’un de l’autre mais juste en train de parler. Ils se sont tus à son arrivée. Elle déclare que son mari lui disait des choses qui n’étaient pas de son âge, ce qui est très subjectif vu ce qu’elle a pu entendre, et plutôt ignoble, on n’en saura pas plus. Mais elle ajoute une « preuve » : le ticket de caisse du teinturier auquel le notaire a confié l’un de ses deux imperméables le lendemain du second meurtre. Pourquoi ? Etait-il souillé de quelque fluide ?

Cela suffit pour conforter l’orientation de l’enquête. Une intime conviction se forme, même si l’inspecteur Gallien préfère les faits. Or les faits convergent vers le notaire, faute d’autres preuves. Le fil de la réalité est écarté pour la cohérence du scénario. Martineau, lassé, comprend qu’il est pris et enserré dans une toile sociale de on-dits et de ratages familiaux. Sa nièce Camille, qu’il aime comme un père, risque d’être appelée à témoigner à la barre. Sa femme ne l’aime pas, elle ne veut pas divorcer, ils n’ont pas d’enfants ni de chien. Lorsqu’il s’intéresse au chien ou à l’enfant du voisin, c’est pour être aussitôt soupçonné de mauvaises intentions. Sa vie est foutue : pour avoir la paix, il avoue tout ce qu’on voudra. La garde à vue à la française est (était ?) un entonnoir vers l’inculpation directe. Les flics se faisaient un film et y tenaient mordicus, écartant les autres pistes. Tous les témoins, sentant le sens du vent, orientaient leurs déclarations vers l’opinion la plus forte.

Sauf qu’un inévitable coup de théâtre empêchera l’erreur judiciaire. Car le vrai coupable n’a pas d’histoire et ne présente aucune contradiction : il est bête, et transparent.

Aujourd’hui, le suspect serait lynché par les réseaux sociaux avant même de pouvoir s’expliquer. Aimer les enfants fait grimper l’hystérie, même si c’est en tout bien, tout honneur. On ne peut mignoter que les siens, et encore, pas trop en public. On serait dénoncé à moins, la délation étant le sport favori des « bonnes âmes » en France depuis toujours. La raison des faits est trop volontiers ignorée au profit des croyances et des fantasmes – même chez les flics.

En 1981, le public éclairé était plus en faveur des libertés que du soupçon – l’époque a changé, et pas toujours en bien.

Un bon film psychologique, avec une brochette d’acteurs comme on n’en fait plus, posés, cultivés, patients, talentueux. Lino Ventura est très bon en flic à qui on ne la fait pas mais qui ne s’énerve jamais. Romy Schneider joue les trop belles femmes, déçues donc vénéneuses (elle mourra quelques mois plus tard). Michel Serrault le notable voit s’écrouler toute respectabilité en même temps que les apparences de son couple. Il croit que sa femme l’attend au sortir de sa garde à vue, parce qu’elle est garée devant le commissariat et au volant, mais…

DVD Garde à vue, Claude Miller, 1981, avec Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider, Guy Marchand, Michel Such, TF1 studio 2017, 1h21, €9,36

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Aftermath d’Elliot Lester

Ce film intimiste et dépouillé recycle Arnold Schwarznegger comme on ne l’imaginait pas : en vieux papa brisé par un accident d’avion où sa femme, sa fille et le bébé à naître ont péri. Le scénario reprend la tragédie de la zone d’Überlingen en Allemagne arrivée réellement en Juillet 2002, où une erreur du contrôle aérien a fait entrer en collision deux avions, un de ligne et un cargo. Le film transpose les faits aux États-Unis et fait se crasher deux avions de ligne avec 271 victimes.

Roman Melnyk (Arnold Schwarzenegger) est un contremaître en bâtiment qui part attendre l’arrivée de sa femme Olena et de sa fille enceinte Nadiya par le vol AX112 en provenance de New York. A l’aéroport, le vol est « délayé » et, lorsqu’il se renseigne, on le conduit à part dans une salle vide, où on lui apprend que l’avion s’est crashé et qu’il n’y a aucun survivant. Son petit bouquet de fleurs à la main, Roman est anéanti. La guirlande souhaitant la bienvenue pour Noël dans sa maison l’avait averti : elle s’était détachée et pendait à terre.

Le vieux mari et père mettra des mois à se remettre, envisageant le suicide du haut du bâtiment en construction qu’il entreprend. Il cherche surtout à comprendre, à trouver un coupable. Ni la compagnie aérienne, avec ses avocats, ne lui présentent d’excuses publiques, personne ne regarde sa famille. Les gens ne sont que des numéros de dossier, pas des personnes. Les bâches sous lesquelles sont les cadavres récupérés au sol le montrent. Alors que Roman s’est engagé comme sauveteur volontaire pour retrouver sa fille morte ; il a tenu son corps sans vie dans ses bras, c’était une personne, pas un numéro. L’argent est censé compenser la perte affective, mais c’est dérisoire. Roman se promène avec la photo de sa femme et de sa fille, mais nul ne les regarde, c’est cela qui lui fait le plus mal. Il veut que chacun reconnaisse sa responsabilité et avoue, présentant ses excuses. Mais ce n’est plus la norme dans la société bureaucratique d’aujourd’hui.

Au fond, dans cette catastrophe que personne n’a voulue, chacun cherche à se défausser : c’est pas moi, c’est l’autre ; je n’ai commis aucune erreur, c’était un accident ; je ne suis pas coupable, c’est le système. Le contrôleur aérien était seul dans sa tour, en soirée. Son acolyte était parti « manger » et deux techniciens sont venus permuter le téléphone (donc le couper provisoirement) en pleine activité de la tour de contrôle. Jonglant entre le fameux téléphone pas réactivé et ses écouteurs de contrôle sur deux postes, Jacob Bonanos (Scoot McNairy) n’a rien vu de la collision proche. Ce n’est pas de sa faute mais c’est de sa faute. Juif, il se sent coupable des vies perdues, ses voisins ne lui font sentir en taguant sa maison de sigles « assassins, meurtrier » ; employé, il est recyclé dans une autre ville sous une autre identité avec un autre travail, après une confortable indemnité. Façon de dire que la compagnie reconnaît ses manquements et son peu de rigueur, et les masque sous la banalité du destin.

Outre les vies fauchées dans le crash aérien, ce sont deux couples qui sont aussi brisés par cette catastrophe. Aftermath est en anglais une seconde coupe, une séquelle. Roman n’a plus de famille, lui qui était venu d’Europe centrale avec le rêve américain en tête ; Jacob voit son couple exploser parce qu’il devient irritable et obstiné, servant des œufs pas cuits à son fils Samuel que pourtant il adore, et ne comprenant pas pourquoi son épouse veut les faire recuire – comme s’il était incompétent, comme dans son travail de contrôleur aérien.

Un an plus tard, tout serait-il apaisé ? Non pas, Roman cherche à retrouver Jacob et use pour cela d’une journaliste qui s’asseoit sur la déontologie en lui donnant le nouveau nom et la nouvelle adresse de l’ex-contrôleur. Un cancer que cette presse qui veut tout savoir sur tout et exige la vérité de chacun, au risque du pire. Car c’est bien le pire qui survient. Si l’hypocrisie et la poussière sous le tapis de la compagnie aérienne doit être dénoncé, la vérité sur le bouc émissaire commode aussi. Ni le mensonge, ni la vérité ne sont absolus – mais relatifs aux circonstances, aux nuances, à l’humain. Les médias comme les compagnies aériennes ne le veulent pas. Pas plus Jacob que la compagnie ne veut penser à lui, Roman, à sa famille et aux victimes. Lorsque Roman vient sonner à la porte de son appartement, après avoir hésité (il est déjà venu une fois et est parti sans attendre), Jacob se contente de crier que c’était un accident, refusant de voir la réalité en face : la photo de la femme et de la fille – enceinte. C’en est trop pour Roman, vous le découvrirez dans le film.

Dix ans plus tard le fils de Jacob, Samuel (Lewis Pullman), est jeune adulte. Il retrouve Roman mais n’applique pas la loi du talion, qui est celle de sa religion. Il laisse aller Roman avec sa peine et avec la séquelle de son acte qui lui a valu la prison. Il lui donne une leçon : la vengeance ne sert à rien, qu’à perpétrer le crime. Roman aurait dû agir comme lui au lieu de s’enfermer dans sa douleur.

Tout le film se passe en hiver ou dans des atmosphères froides, grises, anonymes, comme une tristesse sur le monde. L’aéroport est banal, la maison de Roman conventionnelle, le nouvel appartement de Jacob sans âme. La musique même de Mark Todd insiste de façon lancinante. Tout le début est en rodage, comme un moteur grippé par l’ampleur de la catastrophe. Ce n’est que lorsque les deux personnages sont présentés alternativement, Roman et Jacob, que l’histoire peut commencer.

Au total un petit film avec le grand Schwarzy, endormi dans l’intimisme et qui se révèle bon acteur.

DVD Aftermath, Elliot Lester, 2017, avec Arnold Schwarzenegger, Maggie Grace, Scoot McNairy, Kevin Zegers, Hannah Ware, Metropolitan Films et Video 2017, 1h31, €8,99 Blu-ray €14,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Henri Troyat, La gloire des vaincus

Chaque tome peut se lire indépendamment, même si les cinq volumes forment un cycle romanesque.

Dans celui-ci, nous suivons Nicolas, 31 ans, qui tente un coup d’État avec ses amis nobles de Saint-Pétersbourg, lors de la transition du trône après la mort d’Alexandre 1er en décembre 1824. Ces révoltés seront dès lors nommés les Décembristes. Les jeunes nobles sont pour Constantin, mais celui-ci a décliné la couronne impériale. C’est Nicolas qui va l’endosser et devenir Nicolas 1er. Les conjurés, idéalistes, mal préparés et toujours respectueux du tsar, lieutenant de Dieu sur la terre, hésitent, bafouillent, brouillonnent, ne peuvent se décider.

Ils sont bientôt encerclés sur la place du Sénat, face au palais, sans avoir rien fait. Les régiments restés fidèles au serment les encerclent et ils sont sommés de se rendre. Par bravade stupide, ils n’en font rien. Les canons tirent, les chevaux les enfoncent, ils sont sabrés. Peu en réchappent. Les meneurs sont condamnés à être pendus, les autres répartis en plusieurs groupes selon l’importance de leur faute. Nicolas est condamné au bagne, 12 ans, puis à la relégation, après déchéance de tous ses titres et confiscation de tous ses biens.

Il est amer, mais se tient. Il a voulu la liberté, cherché à imposer la monarchie constitutionnelle plutôt que l’autocratie absolue. Sa femme, Sophie, est française. Il l’a rencontrée à Paris à 20 ans, lorsque les Russes ont envahi Paris le 19 mars 1814 – il y a 210 ans – et qu’il était l’un de leurs officiers. Sophie lui a appris les Lumières et la valeur des libertés. Il ne conçoit désormais plus qu’un peuple puisse s’en passer. Et pourtant… Le peuple russe est habitué au servage depuis les Mongols et même avant ; il ne veut rien, ne rien décider, toujours obéir – c’est plus sécurisant de n’avoir jamais à prendre aucune décision mais d’attendre les ordres. Ceux venus de Dieu, ceux venus du tsar, ceux venus du barine.

Henri Troyat écrit sur la Russie d’il y a deux siècles, mais on croirait qu’il évoque celle d’aujourd’hui : « Chez nous, [le Russe] accepte l’épreuve comme un signe de la colère de Dieu. Plus le coup est inattendu et douloureux, plus il lui semble venir de haut. L’autocratie finit par trouver sa justification dans l’iniquité même de ces actes. Des siècles de soumission forcée nous ont préparé à cela. Ne sommes-nous pas fils d’une nation qui a connu la domination des Varègues, des Tartares, le joug d’Ivan le Terrible, la poigne de Pierre l le Grand ? Que nous le voulions ou non, nous avons tous un respect atavique du pouvoir » p.139.

La version noire est celle du tsar, « petit père des peuples » implacable et vengeur, ou du père de Nicolas, autocrate égoïste et borné. La version rose est celle de Nikita, le fidèle serf de Nicolas, qui se mettra au service de Sophie lorsqu’elle rejoindra son mari dans l’Extrême-orient sibérien. Beau, grand blond, musclé, candide, il tombe amoureux d’elle, elle le sent. Mais si elle est sensible à la sensualité du corps du jeune homme, elle n’aime que son mari prisonnier. Nikita, par une intrigue du beau-père puis du général donnant les autorisations de voyager, sera privé de passeport ; il enfreindra l’interdiction pour se lancer à la poursuite de la barynia afin de la protéger, d’être auprès d’elle. Il se fera prendre, sabrera un policier, et périra sous le knout qui lacère les chairs, avant le centième coup.

L’autocratie, la mise à mort des opposants, le goulag pour les réfractaires, le peuple ignorant et servile, c’était la Russie des tsars, ce fut celle de Staline, c’est encore celle de Poutine. La liberté ? C’est l’esclavage – Orwell n’aurait pas dit mieux : « Une révolution ne peut réussir sans l’appui du peuple et de l’armée. Or, ni l’un ni l’autre, en Russie, n’était préparé à comprendre le sens de la liberté et à lutter pour elle. Il aurait fallu éduquer les masses, les éveiller, les former, avant de passer à l’attaque » p.182.

Après des mois de forteresse en attente de son jugement, Nicolas est déporté au goulag des tsars, dans la lointaine Sibérie, à Tchita, à l’est du lac Baïkal, à 6200 km de Moscou. Il ne sera jamais autorisé à revenir.

Henri Troyat, La gloire des vaincus – La lumière des justes III, 1959, Folio 1999, 375 pages, occasion €2,32

Henri Troyat, La lumière des justes (5 tomes : Les compagnons du coquelicot, La barynia, La gloire des vaincus, Les dames de Sibérie, Sophie ou la fin des combats), Omnibus 2011, 1184 pages, €21,61

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Brainstorm de Douglas Trumbull

Enregistrer les émotions, les partager, léguer une bande intégrale des âmes mortes… tel est le propos ambitieux de ce film de science-fiction du tout début des années 1980, époque où la science apparaissait comme un espoir et comme un danger. Espoir pour approfondir l’humain en l’homme, danger parce qu’elle tentait diablement les militaires.

Lilian Reynolds (Louise Fletcher) est une femme chercheuse toujours la clope au bec – manie de ces années-là. Elle décédera d’une crise cardiaque, emportée par son projet, en léguant à son chercheur associé Mike Brace (l’étrange Christopher Walken) l’enregistrement de sa mort effectué in extremis alors qu’elle est à l’agonie. Mais la Science exige le sacrifice ultime. Tous deux ont expérimenté un casque qui absorbe et restitue les sensations d’un corps et d’un cerveau. On peut ainsi lire dans l’âme humaine, bien mieux que les psy, ou piloter à distance un aéronef. Mais aussi, ce qui est plus dangereux, se repasser en boucle un orgasme jusqu’à épuisement ou diffuser à ses proches des traumatismes enfouis. Car la science reste un outil, elle est comme la langue d’Esope la meilleure ET la pire des choses – à la fois, selon son usage.

C’est ainsi que le couple de Mike et de Karen (Natalie Wood), lassé d’une douzaine d’années de mariage, peut se ressourcer lorsque Mike revit les émotions enfouies toujours intactes de son amour premier. Le gamin issu du couple, Chris (Jason Lively), un ado de 12 ans toujours en slip et curieux de ce que fait son père, n’est qu’un accessoire, « innocent » selon l’imagerie d’Hollywood. Le chercheur s’occupe peu de lui et le rattrape in extremis lorsqu’il coiffe le casque aux émotions et qu’il en reçoit un choc psychotique qui le mènera à l’hôpital.

Le film est assez peu explicite sur les recherches et sur ses buts, préférant les effets spéciaux, ce qui le rend touffu. La romance du couple compense l’obsession de la chercheuse tandis que les dangers sont démontrés par plusieurs expériences de choc émotionnel. Mais l’humanisme prévaut. Mike, après le décès au travail de sa chef et partenaire Lilian, va visionner en entier sa bande et pénétrer son âme morte. Même si les captations sont espionnées par les militaires qui cherchent à faire de cette découverte une arme pour laver le cerveau ou piloter de futurs drones plutôt qu’un soin psychique, Mike monte tout un scénario pour déjouer les codes auxquels il n’a plus accès, la surveillance de son chef de centre qui l’a viré et a mis sous coffre la bande.

C’est là que l’ironie apparaît, dans le centre de recherche où les robots affolés par les instructions pirates de Mike déglinguent leur atelier, menacent les gardiens comme des bandits humains, protègent la bande qui tourne alors que Mike la pirate. Car la Science peut tout, y compris contrer ceux qui s’insurgent contre elle ou veulent la faire servir à de mauvais desseins.

Au total, un film assez bizarre aujourd’hui, aux effets spéciaux vieillis, mais qui incite comme toujours à la réflexion. Natalie Wood s’est noyée inexplicablement durant le tournage, sans rapport apparent avec le film, mais cela a contribué à son aura sulfureuse.

Grand prix du Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1984 pour le réalisateur.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

DVD Brainstorm, Douglas Trumbull, 1983, avec Christopher Walken, Natalie Wood, Louise Fletcher, Warner archives 2016, €29,20 Blu-Ray €29,20

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

L’Arrangement d’Elia Kazan

Trop long, trop « lourd », surjoué, ce pensum de la fin des années 60 est devenu un film culte sur le fait d’avoir raté sa vie. Quoi de plus triste en effet que d’être le spectateur de son existence ? Eddie Anderson (Kirk Douglas), la quarantaine et publicitaire à succès pour des cigarettes qui donnent le cancer, vit dans une grande villa avec gens de maison et sa femme Florence (Deborah Kerr) dans la banlieue de Los Angeles. Il a des maîtresses, mais il n’est pas heureux. Tout lui semble formaté, casé, faux – comme les sièges sagement alignés devant sa piscine vide. C’est tout le spleen des années 60 qui aboutira au mouvement hippie et au refus de la « société de consommation ». Avoir toujours plus ne rend pas plus heureux – au contraire – l’avoir est au détriment de l’être.

Rien de plus parlant que la première scène où l’on voit le couple dormir dans des lits jumeaux identiques, se lever au même moment sur le son de la même radio, prendre chacun sa douche dans son cabinet de toilette séparé, et se mettre à table pour le petit-déjeuner en mangeant la même assiettée d’œufs tout en écoutant la même radio qui passe sempiternellement la même publicité pour les cigarettes Z – dont Eddie a fait la pub. Tout est mensonge, depuis l’amour de convention dans le couple, l’amour en apparence filial pour la fille qui s’en fout, l’amour du métier qui conduit aux mensonges publicitaires, l’amour du patron pour son collaborateur à idées qui ne voit que son intérêt en dollars.

Tout est lourd de sens, caricatural, jusqu’à la maîtresse Gwen (Faye Dunaway), sorte de joker dans l’existence bien réglée, qui se montre comme l’envers absolu de l’épouse fidèle et soumise. Elle est mystérieuse, sourit sans raison ; elle est directe et sans faux-semblant, se moque du mâle dans son rôle professionnel ; elle joue la pute à la perfection, l’excite en lui énumérant tous les mecs qui l’ont baisée dans la même soirée, avoue un bébé dont elle dit ne pas savoir qui est le père bien qu’il puisse être d’Eddie lui-même. Elle en fait trop, hystérique dans ses colères, putassière dans ses enlacements nus sur le lit ou sur le sable ; elle le quitte brusquement en déclarant vouloir vivre seule, déçue des hommes, mais lui revient sans cesse comme un moustique attiré par la chaleur mâle pour piquer la peau et pomper le sang vital.

Kirk Douglas passe d’une outrance à l’autre, Eddie provoque son accident de voiture sous un camion – symbole de la Consommation sur la route américaine – tout en se baissant quand même pour éviter d’être tué. Il manifeste par là non son désir de mort mais son désir de rupture, de recommencer à zéro. Soigné, il est muet devant sa femme, puis déclare à son patron qu’il ne reviendra pas au travail. Il passe d’un air torturé à des fous-rires nerveux de grand malade. Le psy de l’épouse, l’avocat du couple, le frère d’Eddie, se liguent pour le ramener à la « normale » mais lui renâcle. Il se met du côté de son père, vieillard dont la fin est proche, qu’il n’a pourtant jamais aimé. Il s’est construit contre lui, contre son désir de le faire entrer dès 14 ans dans « le commerce » comme le Grec qu’il était, alors que sa mère, en apparence soumise, l’a forcé à aller au collège et à suivre des études comme un bon petit Américain intégré. Eddie s’est construit contre son père mais comprend sa révolte contre les institutions et les règlements qui voudraient l’envoyer en maison de retraite. C’est d’ailleurs ce que complote sa femme avec son avocat et son psy, de l’envoyer lui dans une maison « de repos » pour qu’il « se retrouve », alors qu’il délire hors des normes. Elle lui fait signer tous les papiers pour cela : il renonce à ses biens, à son libre-arbitre.

Le film d’Elia Kazan est issu d’un livre qu’il a écrit et lui-même publié en 1967. Bien qu’il s’en défende, c’est une sorte d’autobiographie sociale, montrant le décalage des années 60 qu’il vit avec les années 50 de son enfance. Le modèle familial sain avec réussite professionnelle et reconnaissance des pairs, sinon des pères, a vécu, effondré sous les objets achetables. Mais le bonheur n’est-il pas factice si l’on n’est pas soi-même ? Jouer un rôle social suffit-il pour être heureux ? Intégré, oui, épanoui, non. Eddie et Florence n’ont pas eu d’enfant et ont dû adopter une fille. Est-ce cela l’accomplissement de son destin d’humain ?

Lorsque Eddie rencontre le bébé Andy, il mesure le décalage entre son couple factice d’adoptant avec Florence et le couple biologique qu’il forme avec Gwen. Ce choc provoque des étincelles dans le Golem qu’il est devenu. Il redevient vivant en quittant son costume social pour réendosser la peau de compagnon et peut-être de père. Est-ce son fils ? Gwen dit que non, elle a « fait les calculs ». Mais que valent les calculs contre l’humain ? Eddie se réfugie hors du monde social, chez les fous qui sont l’inverse des normaux. Il ne veut plus accumuler pour avoir, il veut seulement être. C’est là qu’il peut dire à Gwen qu’il « l’aime ». Et ce sentiment apparaît plus vrai que les fois précédentes où il l’a dit, mais où il n’était pas lui-même, seulement un rôle social – même lorsqu’il courait tout nu sur la plage avec elle, sans le costume social et le démon de sa quarantaine. Gwen la sauvageonne, semble le comprendre et cette fois l’accepter.

DVD L’Arrangement (The Arrangement), Elia Kazan, 1969, avec Kirk Douglas, Faye Dunaway, Deborah Kerr, Richard Boone, Hume Cronyn, Warner Bros Entertainment France 2006, vo st ou doublage français, 2h05, €35,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Hélène Rumer, Mortelle petite annonce

Un bon roman à suspense écrit de façon originale. Tout part d’une petite annonce pour trouver une baby-sitter pour enfant de 5 ans, nourrie à condition qu’elle prépare les repas et logée dans un studio de 25 m² indépendant à côte de la grande maison dans un parc. Résumé par « un commandant » de police, il s’agit « d’un truc bien glauque dans une ville bien bourge » (p.166). On dirait plutôt les propos d’un adjudant, qui jadis menait les enquêtes, aujourd’hui, il faut qu’il ait au moins le grade de commandant – à quand le général ? L’histoire commence donc par un massacre en pleine nuit d’une famille aisée de Versailles avec trois enfants, par le père lui-même, au bout du rouleau. Un drame à la Dupont de Ligonès avec famille catho tradi, modèle maths-sup pour les garçons et machisme ambiant dans le couple.

Seule la baby-sitter en réchappe, puisqu’elle devait partir pour une semaine de vacances et que son train vers l’ouest a été supprimé par la SNCF pour « travaux » jusqu’au lendemain matin. Les éternels « travaux » de la SNCF qui, comme Sisyphe, pousse chaque année son rocher pour recommencer l’année suivante parce qu’il a dévalé. Laurie est décalée, issue d’un milieu populaire et élevée par sa mère seule, une égoïste inculte. Mais elle s’est attachée au petit dernier, Paul dit Polo, 5 ans, qui manque d’amour à la maison.

En effet, le père travaille beaucoup dans la sécurité informatique pour une société d’armement et n’est pas reconnu par son N+1, pervers narcissique typique. La mère est prof de maths mais en dépression depuis huit ans pour avoir perdu une petite Pauline de quelques mois à cause de la mort subite du nourrisson. Les deux autres enfants sont des mâles de 17 et 15 ans qui gardent leurs distances avec la jeune baby-sitter, poussés par leur père vers les maths et la physique, et engueulés pour leurs résultats pas toujours en progression.

S’ajoute à ce tableau de stress et d’amertume le fantôme d’un mystérieux « Nicolas » dont personne ne veut parler, et dont la chambre occupée un temps à l’étage a été condamnée, laissée en l’état et fermée à clé. Sauf qu’une fuite d’eau, due à une branche tombée du cèdre sur le toit lors d’une tempête versaillaise, exige son ouverture, ravivant des souvenirs qu’on aimerait mettre sous le tapis.

L’histoire est racontée par les témoins du drame, les principaux personnages de la famille, la baby-sitter la tante, les voisins, le commandant de police, des amis, des témoins au travail. Elle progresse ainsi par des visions croisées, partielles et complémentaires, dévoilant à mesure le drame de couple complexe qui s’est joué.

Le père a toujours été fêtard et flambeur, il est rattrapé par sa propension aux addictions en sombrant dans l’alcoolisme, d’autant que ça va mal dans son couple, mal à son travail, mal avec son banquier – et mal dans sa tête. Curieuse façon d’écrire, il « ouvre une bouteille de scotch ou de whisky » (p.94), comme si le scotch n’était pas un whisky d’Écosse – dirait-on « un scotch-terrier ou un chien »… ? Le père se sent coupable du naufrage qui vient, de plus en plus coupable.

La mère subit la violence de l’alcoolique qui sert d’exutoire aux frustrations, d’autant qu’elle reste passive, dans son rôle tradi de catho effacée, bien que n’étant pas mère au foyer. Ses enfants sont des garçons, ce pourquoi elle n’intervient pas pour eux. Laissé sans échanges sur l’oreiller ni à table, fautif d’avoir eu un moment de colère qui a fait rompre les ponts à « Nicolas », le père monte en pression. Son épouse et mère ne sert à rien, ni de raison ni de soupape, elle ne songe au contraire qu’à le fuir, dénier les problèmes, divorcer peut-être malgré la réprobation sociale catholique bourgeoise de la ville. Chacun se révèle victime et coupable, tournant en rond dans le huis-clos familial, accentué par les confinements Covid.

C’est l’impasse, donc le drame. Quand tout repose sur les épaules du père, accusé un peu vite de machisme par le féminisme d’ambiance, quand l’épouse reste sans rien tenter ni dire, préférant le confort mental de sa dépression et ses médocs adjuvants, quand les garçons n’osent pas dire ce qu’ils veulent et s’opposer – il finit par craquer. A l’effarement de Laurie, qui en parle au moins avec son psy. Les non-dits des souffrances sont ravageurs pour la personnalité, qu’on se le dise.

Oui, c’est un bon roman à suspense, original.

Hélène Rumer, Mortelle petite annonce, 2023, Pearlbooksedition Zurich, 201 pages, €18,00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,