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Prends l’oseille et tire-toi de Woody Allen

Woody Allen a 90 ans aujourd’hui, né le 30 novembre 1935.

Cette comédie est un mockumentary film, où un commentaire vient interrompre les scènes pour les expliquer en donnant un contraste hilarant. Il a reçu à sa sortie des nominations – elles aussi hilarantes en français – pour Male Comedy Performance (Woody Allen) et Male New Face (Woody Allen).

Le « plot » (complot visant à ferrer le spectateur) démontre un Virgil (Woody Allen adulte, pour le bébé, je ne sais pas) joli bébé mais perdant constant depuis son enfance à lunettes (que des gros durs lui cassent à chaque fois) à sa vie adulte (où il échoue à piquer leur sac aux vieilles dames ou à braquer des banques). Il sera condamné à la fin pour 52 faits de vol à 800 ans de prison, mais il reste optimiste : pour bonne conduite, il peut voir réduire sa peine de moitié…

Ses parents, interrogés entre deux séquences, ont tellement honte qu’ils portent des masques de Groucho Marx, avec lunettes, nez juif et moustaches. Sa mère dit qu’il était affectueux mais n’a pas été compris par son père qui le traitait trop durement. Le père dit que ses gènes, venus de sa mère, étaient défectueux. Non, ce n’est pas une autobiographie de Woody Allen (né Allan Stewart Konigsberg), que sa mère a quitté très tôt sans entretenir de relations avec lui, et qui aura cinq enfants avec deux épouses et plusieurs maîtresses.

Nul en musique, il tente du violoncelle, un bizarre cadeau des parents trop gros pour lui, mais n’en tire que des sons déchirants. Nul en relations sociales car timide, fluet et emprunté, il cherche à entrer dans une bande mais est vite rejeté ; lorsqu’il en compose une, ce sont avec des nullards encore pire que lui. Nul en billard, il perd systématiquement face à un gros Noir, torse nu sous sa veste. Nul en tactique, il opère un braquage de banque en même temps qu’un autre gang, qui l’éjecte par un « vote » des clients et employés de la succursale. Il avait auparavant tenté d’opérer seul, mais son écriture illisible avait déconcerté le guichetier, et la discussion a porté plus sur le chiffre 5 de 6.35, pris pour un 9, ce qui évacuait l’idée d’une arme. En bref un perdant complet.

Il se fait foutre en tôle pour le braquage de banque raté, tente de s’évader un un pistolet sculpté dans un bloc de savon et enduit de cirage, mais la pluie le fait fondre. Volontaire pour expérimenter un vaccin, il connaît des effets secondaires qui le font se prendre pour un prédicateur mormon, barbu et prêchant sur la sexualité. Libéré sur parole comme promis, il hante les parcs pour subsister de sacs à main volés. Mais le premier, bien rebondi, ne contient qu’une chaîne interminable, tandis que le second ne peut être pris parce que la jeune fille se retourne à ce moment-là. Instant de grâce, début de conversation, « vous dessinez ? », chute amoureuse (la première fois), donc renoncement à piquer le sac. Louise (Janet Margolin) est blanchisseuse et il réussira, après plusieurs tentatives encore une fois ratées, à lui enfourner un enfant.

Un nouveau braquage pour faire vivre sa famille (il est incapable de travailler en homme normal) le renvoie au bagne. Il s’en échappe à la seconde tentative. La première, il n’avait pas été prévenu que c’était reporté. A la seconde, c’est sur l’initiative d’un gros dur, mais enchaîné à ses cinq compagnons. Une petite vieille les dénonce au shérif un peu niais qui ne voit rien, n’entend rien, ne pense rien. Lorsqu’il est à nouveau libre, c’est pour tenter de braquer un passant qui attend l’autobus, qui se révèle un vieux copain d’enfance de la fanfare… et agent du FBI. L’arrestation s’effectue sur le ton de la conversation.

C’est le second film réalisé par Woody Allen, sur le ton particulier de l’absurde et des complications amoureuses. Le ton du documentaire permet de choquer le sérieux du genre avec la dérision des petits faits vrais rapportés. On rit, mais le film est plus une suite de sketches qu’une histoire dramatique.

DVD Prends l’oseille et tire-toi (Take the Money and Run), Woody Allen, 1969, avec Woody Allen, Jacquelyn Hyde, Janet Margolin, Lonny Chapman, Marcel Hillaire, Palomar Pictures / Aventi 2004, 1h24, Français, anglais, €18,00

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Michel Weyland, Aria – Intégrale 1

Une BD de 1982 glorifiant les filles ; pour leur dire qu’elles sont « good as you » comme on le dit des mecs un peu diminués. Musclée, dynamique, avisée, la chevelure blonde flamboyante, voici Aria la femme. Son nom vient d’une musique pour voix seule, ou d’une formule magique chantée pour invoquer des pouvoirs surnaturels. Vive les filles ! Vous êtes aussi puissantes que les gars. A noter quand même qu’un sens vieilli d’aria est celui de tracas et de soucis…

Bon, les albums recueillis ici ne manquent pas de beaux gars, musclés, flamboyants très souvent torse nu. Ils sont en général vantards et peu avisés, parfois avides de pouvoir et portés à la force, mais il y a quelques exceptions. On peut garder les petits, ils feront de beaux mâles s’ils sont bien éduqués, comme Djaïr dans le premier album, ou le garçonnet bien bâti au ballon dans le dernier. Les fillettes sont dotés de « pouvoirs », comme Arcana, et pas réduites au rôle de pleureuses effrayées, ni de joueuses à la poupée. Les femmes mûres peuvent être méchantes, comme Vulga la sorcière, mais notez qu’elle est l’unique femelle de la horde magicienne qui agite ses spectres devant l’armée de Vinken.

Guerrière qui se déguise sous un casque pour entraîner une armée – ce que le « roi » n’a pas su faire, amolli par le pouvoir et les défaites, elle veut rester libre, comme une Rahan femme, mais dans un univers médiéval plus que préhistorique. Elle rencontre le fantastique sous la forme de lieux maléfiques ou merveilleux, en général créés à partir de passions mauvaises comme la vengeance ou le crime. Elle fait tout sauter, en héroïne à qui rien ne résiste.

C’est beau, optimiste, moral, clairement dessiné, lumineux. On s’y laisse prendre.

Depuis, l’imaginaire a créé la femme au bouclier, guerrière scandinave qui ne cède en rien aux hommes. Le personnage de Lagertha, épouse de Ragnar et mère de Björn, amante et guerrière, chef de clan dans l’excellente série Vikings le montre bien.

Une belle BD des temps déjà anciens en 40 albums qui plaisent bien jusqu’au Covid ; depuis, moins. Ici le volume 1 d’une intégrale.

Michel Weyland, Aria – Intégrale 1 : La fugue d’Aria, La montagne aux sorciers, La Septième Porte, Les chevaliers d’Aquarius, 2025, Dupuis, 192 pages, €29,00, e-book Kindle €9,99

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Conan le destructeur de Richard Fleischer

Suite de Conan le barbare, sorti deux ans avant, le film met en scène le puissant Conan le Cimmérien des années 1930 de Robert E. Howard – pastiché, déformé et avili depuis. Au point d’en faire un musclé sans cervelle, un Connard le Barbant comme disait un critique du Masque et la plume, ou un Déconan barbaresque, comme dessinait Pilote.

Les inquiétudes et interrogations du début du XXe siècle, qui connaît des bouleversements rapides (Première guerre mondiale, krach boursier de 1929 suivi d’une grave dépression économique mondiale, montée des fascismes) a suscité une vague de super-héros compensateurs parmi les dessinateurs juifs américains. Les BD sont devenues depuis des films : Superman de Jerry Siegel, Captain America de Hymie Simon, Batman de Bob Kane (Robert Kahn). Ils ont été inspirés par Hercule et Tarzan, passés de la littérature au cinéma, et poussé par une volonté de revanche sur l’antisémitisme. Robert E. Howard lui-même, né d’Isaac Mordecai Howard et de sa femme Hester Jane, passe son adolescence à faire de la musculation et de la boxe amateur. Conan est son double sauvage qui incarne la force dans un paysage barbare – tout à fait l’Amérique… Très (trop) proche de sa maman, Howard a eu une liaison de deux ans seulement avec une femme, mais a préféré projeter dans ses œuvres un masculinisme exacerbé – qui plaît tant aujourd’hui.

S’il y a plus de muscles, le mâle (Arnold Schwarzenegger) est constamment torse nu à l’écran, il y a aussi un peu plus d’humour, et du divertissement à l’américaine : Zula la guerrière (Grace Jones) que Conan sauve du lynchage. Moins de sexe et de nudité, moins de décapitations et empalements à l’épée, une vedette femelle – noire – qui fait de l’ombre au héros mâle – blanc -, cette resucée Conan a eu moins de succès que le premier et Arnold Schwarzenegger a arrêté la série. A vouloir trop plaire au public gnangnan, on perd des dollars… Il faut dire que Jehnna (Olivia d’Abo) en nièce vierge de reine perverse (Sarah Douglas) est particulièrement niaise. Elle a d’ailleurs obtenu le prix du plus mauvais second rôle féminin.

En bref, Conan tout seul et tout nu prie devant une auge de pierre en plein désert du centre de la Turquie (le pays des Cimmériens). Une horde de guerriers noirs à cheval, déguisés de capes et de casques à cornes l’attaque, cherchant à l’emprisonner dans un filet. Il se démène, les culbute, les tranche en deux. La maléfique reine Taramis , qui a commandité la scène, est satisfaite : elle veut de lui comme escort boy pour sa nièce nubile, Jehnna, une « femme-enfant » qui ne sait pas quoi faire avec un mec quand elle l’a agrippé. Mais elle seule peut voler la corne du démon Dagoth, cachée dans la forteresse d’un sorcier, et auquel le cœur-joyau magique d’Ahriman, caché dans un autre château magique, permet d’accéder. Conan refuse, mais Taramis lui fait miroiter pouvoir retrouver la femme de sa vie, perdue jadis, Valeria. Une promesse n’engage que celui qui la croit, disait Chirac. Connard le Barbant est évidemment dupe : muscles ou cervelle, il faut choisir.

Commence alors une quête, qui serait initiatique si Conan était un ado cherchant son identité ou à se tailler un royaume, mais il n’en est rien. D’où la déception : il fera tout ça pour rien. Juste pour le spectacle, ce qui est frustrant. Lorsque la distribution des prix aura lieu à la fin, sous la nouvelle reine Jehnna – toujours vierge – lui refusera ce corps qu’elle offre (avec son esprit benêt) préférant croire encore et toujours à la chimère Valeria.

En attendant, place à l’action. Jehnna est guidée « par son instinct » (ciel !), et la troupe de Conan, Malak le filiforme son compère voleur (Tracey Walter) et Bombaata le garde du corps de Jehnna, deux mètres de haut, tout dévoué à la reine (Wilt Chamberlain). Ils agrègent en chemin l’enchanteur Akiro (Mako) prêt à être rôti en broche par des cannibales borborygmant comme dans La guerre du feu – deux têtes volent et les autres s’enfuient. Puis Zula, la cheftaine de bandits que les villageois étaient en train de lyncher après l’avoir attachée d’une patte à un pieu. Grosses bagarres, rictus dents serrés à la Schwarzy de Jones, quelques sourires arrachés aux spectateurs.

Enfin le but du voyage, le château de Thoth-Amon au centre d’un lac, où se trouve le joyau cœur. Jehnna veut passer l’eau tout de suite, mais Conan préfère d’abord que tout le monde se repose. Le magicien du lieu, qui l’a vu dans sa boule de cristal, prend la forme d’un oiseau géant et enlève la fille pour la coucher, toujours vierge, sur un lit près d’une salle de cristal. C’est là que les autres vont la retrouver, après avoir « deviné » l’affaire, pris un bateau, trouvé une entrée « secrète » du château via un souterrain immergé. Conan casse les carreaux, où se démultiplie le mage sous la forme d’un gorille en plastique qui fait Grrr ! Et tout le monde s’enfuit, avec le cœur-joyau. Des gardes de la reine les attaquent en chemin et Conan les bousille ; Bombaata fait semblant de croire à une trahison, alors que le spectateur sait que la reine lui a ordonné de tuer Conan dès que le joyau sera trouvé. Bon, mais ça fait toujours une grosse bagarre en plus.

Malak soigne les plaies avec une crème concoctée par Akiro et, durant cet instant de détente entre deux guerres, masse la cuisse de Zula de plus en plus haut, bien au-delà des plaies. Ce seul moment un brin érotique fait sourire, même les gamins de 8 ans. Il n’y en aura pas d’autre, ça pourrait leur donner des idées. On les renvoie aux gros muscles, seuls censés les intéresser à cet âge (je parle des garçons) Je ne sais pas si les filles apprécient Conan, mais si Jehnna le trouve « beau » parce qu’elle n’a connu personne. Il porte cependant cette espèce d’armures musculeuse bizarre et inesthétique, avec des seins gros comme pour allaiter, au point de ne pouvoir supporter aucune tunique. Elle n’a rien de l’harmonie que l’on prête habituellement au « beau ». Nous sommes loin des canons grecs.

Toujours guidée par son pif, Jehnna mène la bande jusqu’à un temple perdu, où des prêtres magiciens gardent précieusement la corne de Dagoth. Seul cet appendice viril (situé sur le front) pourra lui redonner la vie – et l’apparence d’un beau mâle normalement musclé dont la reine Taramis rêve. Esseulée dans son palais, elle en caresse langoureusement la statue – sans imaginer une seconde qu’une corne sur le front et pas entre les jambes donne une idée de ce que pense le personnage : uniquement au vice. Encore une grosse bagarre dans les souterrains du temple, des inscriptions disent que Jehnna devra être sacrifiée pour que Dagoth renaisse mais Conan dit « on verra plus tard ». Une grosse porte est soulevée à la force des muscles par Conan et Bombaata, tandis que Malak se glisse dessous et actionne le levier tout bête qui permet de l’ouvrir. La corne est là, toute bijoutée de pierres précieuses. Jehnna s’en saisit, mais voilà les gardes qui rappliquent. Grosse bagarre, duel de magiciens avec Akiro, fuite dans les souterrains, Bombaata retarde les autres en faisant s’écrouler une paroi, afin de ramener Jehnna à lui tout seul.

Au palais de la reine Taramis, grosse joie (tout est gros dans ce film), cérémonie de résurrection, la corne est plantée sur le crâne de Dagoth, le magicien s’apprête à égorger la jeune fille selon les rites. Mais il prend son temps, celui du théâtre. Mal lui en prend, Conan et sa bande surgissent des souterrains, où Akiro a vu l’entrée secrète. Conan se bat avec Bombaata – grosse bagarre. Il finit par l’avoir. Il empale le grand vizir avant qu’il ne réussisse à saigner Jehnna. Puis il se mesure carrément au démon Dagoth qui renaît avec la corne sur son front bas. Ce n’est pas encore un beau jeune homme comme Taramis en rêve, mais un monstre au cuir épais et aux pattes palmées. Heureusement qu’Akiro fait parvenir au cerveau étroit de Conan l’info que la corne maintient seul Dagoth en vie, il n’y aurait pas pensé tout seul. De fait, quand il l’arrache, le monstre agonise.

Fin de la quête, distribution des prix. Conan refuse le sien pour préparer une autre aventure… qui n’aura jamais lieu : il deviendra gouverneur de Californie durant huit ans.

Selon le titre yankee, ce film est un destroyer, pas un croiseur, encore moins un porte-avion. Il fait feu de tous muscles, mais ça s’arrête là. Cela ne peut plaire qu’à des gamins (mâles) et à des ploucs des collines au QI réduit par l’isolement, le ressentiment et la malbouffe.

DVD Conan le destructeur (Conan the Destroyer), Richard Fleischer, 1984, avec Arnold Schwarzenegger, Grace Jones, Wilt Chamberlain, Mako, Tracey Walter, BQHL Éditions 2025, anglais, français, 1h39, €19,99, Blu-ray €10,33

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Détour de Christopher Smith

Harper (Tye Sheridan) est étudiant en droit à Los Angeles et assiste à un cours de pénal sur la qualification de meurtre, d’assassinat ou d’homicide involontaire. Cela l’inspire… Il rend en effet son beau-père Vincent (Stephen Moyer), homme d’affaires sans cesse en voyage, responsable de l’accident de voiture de sa mère, désormais dans un coma irréversible. Harper va la voir chaque jour à l’hôpital, mais son état ne s’améliore pas. Vincent dit qu’il l’aime mais ne va jamais la voir, sans cesse « pris par le temps ».

Le garçon n’a jamais aimé Vincent, cet homme qui lui a ravi l’amour exclusif de sa mère. Il découvre qu’il a falsifié sa signature pour rédiger un testament. A la date du soi-disant paraphe, sa mère était avec son fils à New York, et ne pouvait avoir consenti. Il confronte son beau-père, qui tente d’expliquer qu’ainsi la succession sera plus facile, sans ces délais et paperasses inhérentes à une absence de dernières volontés. Harper ne le croit pas et, à 20 ans, décide d’éliminer le gêneur.

Dans un bar où il boit du whisky en déprimant, il rencontre un mauvais garçon, Johnny (Emory Cohen), dont l’absence de scrupules et l’autoritarisme de décision le séduisent. Johnny propose de l’aider à se débarrasser de son beau-père à Las Vegas, où il doit se rendre pour affaires. Il a une séduisante théorie du dédoublement, une personne qui fait le boulot et l’autre qui reste à la maison, sans que les deux se parlent. Le film va être monté de cette façon éclatée.

Harper sortant de la douche à son lendemain de cuite a à peine le temps d’enfiler un vêtement que Johnny sonne à la porte. Harper dit non, qu’il a renoncé, qu’il était saoul, mais Johnny insiste. Il veut les 20 000 $ promis pour rembourser son dealer à qui il a – sans vérifier parce qu’il est « un crétin » – refilé de la levure au lieu de cocaïne. Il est flanqué de Cherry (Bel Powley), une strip-teaseuse plus ou moins pute, genre no future, qui n’est pas « sa meuf » mais ouvre ses cuisses quand il le lui demande, pour lui ou pour un plan.

Ce que l’on prend pour le début n’est que la suite. Le meurtre projeté a déjà eu lieu sans le vouloir. En se bagarrant avec Vincent, celui-ci s’est empalé sur un grand couteau de cuisine placé exprès dans son bagage à main d’avion pour qu’il soit importuné à l’aéroport. Vincent le découvre, le tient à la main, accuse Harper, et les deux roulent sur la pelouse avant que Vincent ne s’embroche sur le métal et tombe dans la piscine. D’où l’affolement de Harper pour se débarrasser du cadavre, le nettoyage en grand, le sang sur son tee-shirt, la douche, les activités torse nu jusqu’à ce que son copain de fac préoccupé de sexe déboule, puis que survienne Johhny – programmé la veille. Harper s’est engagé et ne peut plus reculer, surtout que son beau-père est déjà cadavre sans l’aide du bad boy. Il hésite, on sent qu’il calcule, puis accepte d’aller à Las Vegas pour son beau-père, sans dire qu’il est déjà mort. Mais il exige que l’on prenne la voiture de son père dans le garage, une puissante Ford Mustang V8 bleue, où il a fourré le corps emballé dans une bâche jaune.

Le voyage vers Vegas s’apparente à un trip. Harper, ce qui est curieux, se contente de conserver son blouson de toile enfilé directement sur son torse, sans aller prendre un tee-shirt ni un quelconque bagage. Il met de même les 20 000 $ dans son slip. Comme si le meurtre l’excitait d’une certaine façon. Quitter son uniforme d’étudiant sage pour assumer sa vraie peau, briser les conventions du droit chemin pour choisir sa propre voie, c’est à la fois une initiation au monde adulte et une tentation libertarienne qui émerge avec Trump.

Harper va se confronter à Johnny pour éviter le pire, expert en mauvais coups et violent avec Cherry. Le cadavre dans le coffre lui pèse et il ne sait comment s’en dépêtrer, mais autant ne pas ajouter des meurtres en plus, comme celui de ce flic noir, un peu trop vantard et imbu de son uniforme. Mais Harper n’est pas un crétin comme Johnny, c’est tout le sel de l’histoire.

Difficile de raconter la suite sans dévoiler l’intrigue. Harper a l’air d’un gamin, malgré son gros nez ; s’il est bien dessiné, il n’a pas la musculature cultivée qui ferait impression sur Johnny. Il trouve Cherry « jolie » et veut l’aider à se déprendre du malfrat tout en lui offrant une nouvelle chance dans la vie, mais sans désirer la baiser ; il se contente de dormir torse nu et pieds nus à côté d’elle. Harper ne se détend jamais, se courbe devant la force mais n’en pense pas moins. Comme il est intelligent – et sait trouver de l’argent – il maîtrise son destin. Il embobinera Johnny sans problème pour le faire accuser à sa place – puisque c’était son intention de perpétrer le meurtre. Tout le film tient au fond à Tye Sheridan, jeune homme banal mais décidé, qui ne rit pas. Malgré une histoire compliquée et un montage déconcertant, le film est finalement captivant.

DVD Détour (Detour), Christopher Smith, 2016, avec Tye Sheridan, Bel Powley, Emory Cohen, Jared Abrahamson, Sibongile Mlambo, L’Atelier d’images 2017, français anglais, 1h33, €3,41, Blu-Ray €11,29

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Francq et Van Hamme, Largo Winch – 1. L’Héritier

Tout financier digne de ce nom aura lu au moins une partie de la série BD Largo Winch.

Le personnage est né en 1973 dans l’imagination du belge Jean Van Hamme, licencié en sciences financières, en journalisme et en droit administratif, agrégé d’économie politique devenu ingénieur commercial pour Philips. C’étaient les années finance, depuis l’envolée des cours du pétrole 1973 au krach boursier mondial 2008. Passé du roman de gare à la bande dessinée (Thorgal, XIII, Les Maîtres de l’orge, Blake et Mortimer, Lady S), il a créé Largo Winch avec Philippe Francq. Jean Van Hamme a assuré le scénario de 1990 à 2015, jusqu’au tome 20. La saga se poursuit depuis avec un autre scénariste, mais il faut savoir s’arrêter.

Le vieux Winch est à la tête d’un empire financier de dix milliards de dollars : le Groupe W. Il est formé de 562 entreprises et de leurs filiales et emploie 400 000 employés dans 57 pays avec un chiffre d’affaires de 44 milliards. Nerio Winch est vieux et fait envie. Le numéro trois du groupe, qui a détourné de l’argent, est découvert et convoqué. Il y a un prétexte que je vous laisse découvrir, mais au final il ne voit d’autre issue que de pousser dehors le vieux pour prendre sa place. Il le jette du haut de la tour Winch à New York. Un procédé à la Trump : brutal et direct, selon la loi du plus fort.

Sauf que… le vieux avait tout prévu, y compris sa fin prochaine. Depuis vingt-quatre ans, il a adopté en secret un enfant, un Yougoslave comme son arrière grand-père, et d’ailleurs le gamin, Largo Winczlav, est de sa famille, Winczlav était le nom que le grand-père a américanisé en Winch. Sa mère n’a pas voulu dire de qui et est morte en laissant le bébé à l’orphelinat. Nerio l’a reconnu et fait éduquer.

Largo Winch est un aventurier comme tout financier a rêvé un jour d’être : universités prestigieuses dans trois pays, parlant cinq ou six langues, formé aux arts martiaux et à la débrouille. Mieux : « du culot, du sang froid, le goût du plaisir et un petit quelque chose qui ressemble vaguement à du charme ». C’est ainsi que Charity, la fille du consul de Grande-Bretagne en Turquie, fait son premier portrait à 26 ans.

Évidemment, dès qu’il est découvert par les sous-patrons du groupe, ils ne pensent qu’à le faire disparaître. On l’assomme pour le faire accuser du meurtre d’un commerçant turc ; on le colle en taule pour le miner ; on le traque chez le consul de Grande-Bretagne où il s’est réfugié avec un voleur, évadé comme lui de la prison turque ; on tente d’assassiner toute la maison pour faire croire à du banditisme ; on l’attend sur le tarmac où un avion s’apprête à le cueillir, puisqu’il a téléphoné à son copain Freddy, de Nice, mais que l’appel a été écouté… Mais Largo parvient à s’échapper, torse nu, et à retourner d’un coup de pied toutes les situations.

En bref, la finance, c’est du sport. Et des filles, comme Charity, fille de consul. Mais Largo ne tombe pas amoureux : trop jeune, trop inquiet de sa fortune, trop risqué de s’engager. Les requins de la finance n’ont aucune morale, Largo si – c’est ce contraste qui fait le sel des aventures. Une saga qui s’étire sur plus d’une vingtaine de volumes, dont les vingt premiers de Van Hamme me suffisent. Ce sont les meilleurs, le reste est commercial.

Philippe Francq et Jean Van Hamme, Largo Winch – 1. L’Héritier, 1990, Dupuis 2013, 48 pages €15,95, e-book Kindle €8,99

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Palais Madame à Turin

Le palais Madame est ainsi nommé en référence aux deux Mesdames royales que furent Christine de France, descendante d’Henri IV par Gabrielle d’Estrées, et Jeanne de Savoie–Nemours. Le palais est un ancien château-fort en briques rouges du XVe reprenant deux tours polygonales du XIIIe sur les restes de la porte Documana des remparts d’Auguste, dont la façade a été ajoutée en placage par Juvarra en 1721 pour y loger un escalier d’honneur à double révolution.

Ce palais contient le musée municipal d’art ancien. Le rez-de-chaussée est gothique et renaissance, le premier étage baroque et le troisième étage donne une vue sur la ville en plein soleil avec les Alpes enneigées au fond : un décor magnifique.

La chambre de Madame Royale a son plafond décoré d’un Triomphe par Domenico Guidobono et des vertus en stuc dans les coins. Les allégories de l’Autorité, la Bienveillance, la Fidélité et la Charité ornent les panneaux des portes.

La « tour des trésors » recèle le Portrait d’homme d’Antonello da Messina et les Très belles heures de Notre Dame de Jean de Berry, entre autres.

Parmi les œuvres, une délicate branche de corail rouge sculptée d’une Crucifixion, une peinture de la Vie turinoise par Giovanni Michele Graneri de 1752 pleine de détails vivants, un Jugement de Salomon sculpté en ivoire et bois de rose de 1741.

Un Sacrifice d’Isaac, du même et dans les mêmes matériaux est superbe. Le bras du père trop obéissant au Père est retenu par un ange filant depuis le ciel dans un contrapposto osé tandis que l’adolescent destiné au sacrifice est empoigné par son abondante chevelure bouclée et livre sa jeune poitrine finement dessinée. Il y a de l’ardeur et du mouvement dans cette scène cruciale de la foi ancienne.

Un Martyre de sainte Rufina de Julio Cesare Procaccini, en 1625, montre une sainte pâmée qui va être torturée pour avoir refusé de sacrifier aux païenneries de Vénus tandis qu’un ange nu, Eros blond, lui désigne les délices du ciel.

La Généalogie de la Vierge par Gandolfino da Roreto, en 1503, montre des femmes entourées de bambins nus – sauf le bébé Jésus et deux anges qui sont habillés, les hommes autour, dans une architecture de palais.

La Crucifixion de Jean Bapteur en 1440 montre Jésus sur la croix et les deux larrons au-dessus d’une marée de soldats et de civils mêlés. Le Christ est torse nu mais on a laissé aux larrons leur chemise ; Marie se pâme entre les bras du jeune Jean tandis que des femmes du peuple juif viennent badauder avec leurs enfants.

Une scène sculptée en bois du Maître de Sainte-Marie Majeure, peut-être Domenico Merzagora, montre un Christ déposé, mort et comme en lévitation au-dessus du sol, entouré des mères pleureuses Marie, Madeleine et une autre à genoux, et de trois hommes debout, Joseph, Nicodème et Joseph d’Arimatie.

Plus émouvante dans sa simplicité est la Pietà de 1470 d’Antoine de Lonhy, la Mère tenant sur ses genoux le corps nu de son Fils adulte, les deux mains dressée en supplique et le regard perdu sur celui de Jésus, comme s’il allait renaître à la vie (ce qu’il a fini par faire).

Un sculpteur sur bois de 1500 sans nom a réalisé une Madone en trône avec Bambin fort expressive ; l’enfant nu tient un globe d’or tandis que Marie, voilée sur les cheveux, porte un manteau doré.

Parmi les modernes, un étonnant Beethoven jeune, bronze de Giuseppe Grandi, en 1874. Le musicien est encore adolescent, pris de puberté avec le col largement ouvert et les grands yeux inspirés.

Demetrio Cosola a peint en 1893 un paysage de Gressoney-la-Trinité fort réaliste, et si montagnard que l’on s’y croirait.

Cocasserie : un vieux du groupe s’est écroulé en embrassant une Madame en robe de bal parce qu’il n’avait pas vu son support et avait buté dessus. Il est vrai qu’il est peint en noir. Il s’est étalé sur le mannequin de tout son long, comme s’il voulait posséder la femme. Rien de mal mais la gardienne n’a pas pris l’initiative de bouger la robe à terre, elle a appelé une autorité. Des fois que ça morde.

La retraitée thésarde de l’éducation nationale reste benêt. Dans le coin repos du palais Madame, elle « m’offre un café »… avec mon argent. Elle a oublié son porte-monnaie dans sa veste au vestiaire. D’ailleurs sa clé ne rentre pas dans la serrure du casier… jusqu’à ce que je la prenne et que je la tourne : elle fonctionne parfaitement. Drôle de façon de draguer.

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Galerie Sabauda de la pinacothèque de Turin 2

L’Adonis de Carlo Cignani peint vers 1660 est trop doux, adolescent presque fille avec sa tunique qui tombe à droite comme un soutien-gorge tandis qu’il regarde d’un air mélancolique son chien, comme pressentant confusément son destin tragique d’aimé d’Aphrodite tué par un sanglier sauvage. Ici, il ne semble pas avoir plus de 14 ans.

Francesco Albani fait embrasser le très jeune Hermaphrodite par la nymphe Salmacis tandis que des éros nus le tiennent fermement pour ne pas qu’il s’échappe, ce qui donne une scène équivoque où l’on croirait un accouplement de lesbiennes. La peinture a été probablement commandée par le cardinal Maurice de Savoie en 1633, ce qui donne une idée des goûts des prêtres.

Une seconde scène du même peintre, pour faire récit, montre le prime adolescent prêt à se baigner tandis que la naïade nue a le coup de foudre pour son corps tout frais admirablement modelé.

Van Dyck n’hésite pas non plus à peindre un « kissing contest » entre nymphes, dans une bacchanale intitulée Amarilli et Mirtillo où toutes s’entrebaisent à demi dévêtues dans un bosquet propice.

Giovanni Antonio Bazzi, plus connu sous le surnom de Sodoma pour ses penchants vers les garçons, a peint une somptueuse Lucrèce se donnant la mort au poignard en 1515. Violée par le fils du Tarquin roi de Rome, la jeune fille n’a pas voulu être le déshonneur de sa famille et, par son suicide, a déclenché la révolte des Romains contre leurs rois étrusques. Ses seins nus jaillissant de sa robe déchirée par le viol tiennent le centre du tableau tandis que le drame se noue par les diagonales, à gauche la lame fine du poignard qu’elle a empoigné, à droite l’air effaré du vieux mâle qui cherche à l’en empêcher tandis que le fils, jeune homme à l’arrière-plan, est égaré par ce qu’il a fait en toute bonne conscience.

Le Christ lié du Guercino, coiffé de sa couronne d’épines, vers 1659, offre un contraste sadique entre le jeune torse nu vulnérable de l’homme-dieu et l’armure glacée et brutale du soldat à sa droite. Tous deux ont cependant l’air fataliste de ceux qui obéissent à leur destin, plus grand qu’eux.

Le Christ flagellé de Ribera est moins expressif ; le jeune homme semble attendre les premiers coups sur son dos lumineux tandis que son regard est vide – comme si sa chair était lumière et ne pouvait souffrir.

Le David du même peintre présente un adolescent décidé, épaule et bras droit nus laissant voir un mamelon charnu d’énergie, le visage délicat et la dévêture sensuelle.

La dépose du Christ par Bassano est une reprise d’une œuvre de Jacopo et a vocation d’être propice à la prière privée. Le beau corps de chair est en effet sans vie, et famille et amis déplorent la perte humaine tandis qu’une torche comme un feu sacré éclaire la scène. Le Christ a la tête renversé de l’agonie.

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Galerie Sabauda de la pinacothèque de Turin 1

La pinacothèque, établie en 1832 par Carlo-Alberto pour ses collections, est très vaste et le guide court d’une salle à l’autre pour commenter « le plus important ». Ce ne sont que Van Eyck, Van Dyck, Mantegna, Véronèse, Guido Reni, Gentileschi, et des peintres flamands.

Guido Reni fait occire Abel par Caïn vers 1620 dans un paysage lugubre, la tension des corps nus avant le coup final dramatisant la scène.

La décollation du même Jean-Baptiste par Volterra montre un brutal guerrier au sourire de plaisir, nu jusqu’à la taille, qui tient encore l’épée à la main tandis qu’il saisit de l’autre par la barbe la tête du saint qui a roulé à terre. Salomé, au-delà de la fenêtre, tient prêt son plat pour présenter la tête à Hérode. Le tout est assez expressif.

Le même a commis un Saint Jean-Baptiste vers 1637, en adolescent réaliste, juvénile et vigoureux, une croix de bois en guise de bâton de berger à la main, se pâmant la main sur le torse tandis que ses yeux s’élèvent au ciel, pris d’une émotion profonde.

Tobie et les trois archanges de Filippino Lippi en 1478 montre un jeune homme de la cour, en bottes de cuir et manteau rouge, et non un fils de pauvre pêcheur, ce qu’il est dans la Bible. Les archanges Michel, Gabriel et Raphaël l’entourent, et le dernier le tient par la main. Le petit pépé du groupe, ferré en Bible, nous apprend que le jeune homme tient en laisse un poisson dont le fiel est destiné à guérir la cécité de son père. Sur le chemin, Tobie rencontrera Sarah, sa future épouse, qu’il délivrera d’un démon. Il suffit d’avoir la foi pour être sauvé, mais j’aime surtout dans ce tableau la laisse du poisson.

Bartolomeo Schedoni livre deux doubles portraits d’enfants embrassés, peints vers 1609, probablement les enfants de la famille d’Este. Les gamins et gamines ont le visage doux, et un délicat sourire de plaisir et de connivence flotte sur leurs lèvres.

Les trois enfants de Charles 1er d’Angleterre, de Van Dyck, sont tous habillés en fille bien que seule Mary en soit une – mais c’était l’usage du temps de faire porter des robes à tous pour faciliter les fonctions organiques avant la maîtrise des sphincters. Le roi a cependant réprouvé le procédé pour son fils aîné et a commandé un second tableau où il est vêtu en mâle, désormais dans la collection royale britannique. L’original est donc laissé à Turin, fort admiré par la cour pour son réalisme des visages enfantins et des vêtements.

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Voyage au centre de la terre d’Henry Levin

Un très bon film de la fin des années cinquante pour reprendre le roman de Jules Verne, chroniqué sur ce blog en 2011. Des personnages bien typés dans un décor somptueux. Évidemment, il y a des différences avec le livre : le professeur et son élève sont écossais, pas allemands (difficile après deux guerres mondiales), le descendant meurtrier du comte et la veuve, comme le cane, sont ajoutés pour pimenter l’histoire, et l’Atlantide est introduite fortuitement. Mais pour le reste, le mystère et le merveilleux scientifique demeurent.

Le professeur de géologie à l’université d’Édimbourg Oliver Lindenbrook (James Mason) a été fait chevalier. Ses étudiants le félicitent en lui offrant, outre une aubade, un encrier monté sur massacre de mouflon. Mais Alec McEwan (Pat Boone), son étudiant favori de première année de licence, ami de sa fille, lui offre en plus, avec le reste de la cagnotte récoltée, un morceau de lave négocié chez un antiquaire. Ce cadeau fait plus plaisir à Lindenbrook que le reste. Surtout que la lave, récoltée dans les épandages du Stromboli, est une lave d’Islande. Lindenbrook passe sa soirée à l’étudier pour percer le mystère de son poids, oubliant le dîner qu’il a commandé à sa gouvernante pour ses pairs. En tentant de faire fondre la lave, l’assistant fait exploser le four, ce qui révèle révèle un fil à plomb pris dans la lave, expliquant son poids. Il est gravé au nom d’Arne Saknussem, un célèbre savant islandais disparu pas moins de trois siècles auparavant (fin XVIe). Avec un message indiquant l’entrée du centre de la terre sur le volcan éteint Snæfellsjökull et l’entrée indiquée par le soleil levant passant entre les pics du volcan Scartaris.

Lindenbrook, saisi du démon de la science, part illico à Reykjavík. Alec, son étudiant, le suit, non sans lui avoir demandé la main de sa fille. Il est pauvre, il n’a que 18 ans, doit encore faire deux années de licence, rembourser ses parents – mais il est plein d’enthousiasme. Et que serait la science sans la jeunesse à qui transmettre sa flamme ? Le professeur a écrit à la sommité de la géologie européenne, le professeur suédois Göteborg (Ivan Triesault), mais celui-ci a disparu le lendemain de son message. Il est probablement parti trouver ce fameux centre de la terre tout seul, voulant coiffer Lindenbrook au poteau.

Qu’à cela ne tienne, Lindenbrook et Alec se retrouvent en Islande, où ils explorent les pentes du fameux volcan indiqué par Saknussem. Mais on leur met des bâtons dans les roues, les empêchant d’acheter du matériel d’alpinisme, puis en les assommant pour les enfermer dans une grange à duvet. C’est là que, entendant taper sur une paroi de bois, ils se font connaître du propriétaire, un grand jeune islandais, Hans Bjelke (Peter Ronson), et sa cane à lunettes apprivoisée Gertrud. A leur auberge, Göteborg n’est pas visible. Lindenbrook ruse pour connaître le numéro de sa chambre et s’y rend pour une explication. Ils découvrent tout un matériel prêt pour une expédition : cordes, piolets, lampes électrique à bobine à induction de Ruhmkorff, appareil de respiration, sacs à dos, provisions. Alec, dans la chambre à côté, trouve le professeur suédois mort. Des particules dans sa barbe montrent qu’il a été empoisonné au cyanure. Son épouse Carla (Arlene Dahl), qui survient sur invitation de son mari, est effondrée. Elle accuse Lindenbrook mais, lisant ensuite le Journal de son mari, détecte qu’il n’en est rien. Elle propose alors le matériel au professeur pour son expédition, à condition d’en faire partie.

Récriminations machistes, objections victoriennes (l’histoire se passe en 1880), mais la femme est admise dans l’expédition d’hommes qui comprend déjà Lindenbrook et ses deux jeunes compères, Alec et Hans, avec sa Gertrud. Les voilà donc partis, suspendus à un fil au-dessus du gouffre indiqué par le rayon de soleil levant passant entre les deux pics du Scartaris. C’est la cane qui trouve une galerie qui s’enfonce en pente douce plutôt que le puits à pic et sans fond. Ils s’encordent et s’avancent, éclairés par leurs lampes. Ils trouvent de l’eau en abondance et campent dans les endroits plats, comme des spéléologues.

C’est alors que la veuve entend du bruit, des pas. Lindenbrook se moque du « rat dans le grenier » qu’entendent toutes les femmes qui fantasment de peur, mais deux hommes sont en effet passés au-dessus d’eux. Les ayant suivis, désormais ils les précèdent. Arne Saknussem a laissé trois marques pour indiquer les bonnes galeries, comme gravées sur le fil à plomb. Mais les intrus les masquent pour induire en erreur. C’est encore Gertrud qui retrouve la bonne piste. Dès lors, le paysage change : c’est une grosse boule de pierre qui dévale le corridor où ils fuient (reprise dans Indiana Jones), des gemmes énormes dans les sources d’eau où ils peuvent se laver, une suite de concrétions de sel dans laquelle Alec tombe et se perd, se dépoitraillant puis arrachant ses vêtements comme un gamin de 12 ans, à cause de la chaleur.

Il est retrouvé déshydraté et le torse souillé de sel par l’un des intrus qui n’est autre que le descendant Saknussem, le nouveau comte (Thayer David). Il considère l’endroit comme son royaume, et exige du jeune Alec qu’il lui serve de porteur, puisque le sien a succombé à l’effort. Le jeune homme refuse et le comte le blesse par balle au bras. Le coup de feu et ses échos indique l’endroit où il se trouve et le professeur Lindenbrook, muni d’un étrange gadget qui mesure l’angle du dernier écho, réussit à le rejoindre. Saknussem est jugé, condamné, son arme confisquée, mais personne ne veut l’exécuter ; ils l’emmènent donc avec eux. Une forêt de champignons comestibles offre une alternative au bœuf en boite, mais surtout des troncs pour construire un radeau. C’est en effet une vaste mer intérieure, la légendaire Téthys, qui s’ouvre devant eux. Malgré des dimétrodons préhistoriques égarés depuis près de 300 millions d’années qui survivent ici, ils réussissent à embarquer et à naviguer un moment à la voile. Mais une tempête magnétique qui leur arrache tous leurs instruments métalliques les rejette sur une côte.

Ils échouent épuisés, affamés, quasi nus, pour le plus grand plaisir des deux jeunes de 20 ans à exhiber leur corps devant la femme. Le ventre sur le sable, faisant corps avec la terre, ils récupèrent tandis que Saknussem, jeté plus loin, s’empare de la cane pour la bouffer toute crue, ne laissant que les plumes. Hans est fou de rage et veut étrangler le comte. Seraient-ils redevenus sauvages ? Les autres tentent de l’en empêcher malgré sa force, mais la nature agit pour lui et le double meurtrier comte s’écrase dans un gouffre, sous un empilement de rochers. Les rescapés découvrent, par la brèche ainsi ouverte, une cité engloutie, la fameuse Atlantide avec ses temples écroulés et la vasque d’autel en pierre dure. Le squelette du savant Saknussem gît au pied d’une ruine, mort à cause d’une jambe cassée, son bras indiquant la galerie de sortie. C’est une cheminée volcanique qui aspire l’air vers la surface, sauf qu’elle est obstruée par un gros rocher.

Qu’à cela ne tienne, les savants chez Jules Verne sont tous un peu ingénieurs et Lindenbrook a l’idée d’utiliser la poudre noire contenue dans le havresac de feu Saknussem, pour faire sauter l’obstacle. Ce qui réussit au-delà de toute espérance, malgré un saurien géant qui tente de les croquer in extremis, la vasque de pierre dans laquelle ils ont pris place est éjectée par le volcan Stromboli, entré en éruption, jusque dans la Méditerranée. Ils sont recueillis par des pêcheurs sauf Alec, projeté hors de la vasque, qui atterrit dans un pin, tout nu, au-dessus des bonnes sœurs d’un couvent.

De retour à Édimbourg, le professeur est adulé, mais il ne rapporte rien de l’expédition, ni échantillon, ni note. Il se contente de projeter d’écrire ses mémoires, et sollicite pour cela la veuve Göteborg, dont on pressent qu’ils se sont trouvés et vont convoler en justes noces. De même qu’Alec avec Jenny (Diane Baker), bien que l’énergique garçon, réchappé de tant de périls, se soit cassé la jambe… en tombant des marches de l’église.

DVD Voyage au centre de la terre (Journey to the Center of the Earth), Henry Levin, 1959, avec James Mason, Pat Boone, Arlene Dahl, Diane Baker, Thayer David, Twentieth Century Fox 2013, doublé espagnol, allemand, français, anglais 2h04, €16,89

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L’art de vendre selon Alain

En 1907, le philosophe Alain intitulait son Propos L’art de vendre. Il n’était pas commerçant, fils de vétérinaire, mais ses grands-parents étaient commerçants. Alain était surtout observateur des mœurs de ses contemporains. Pour vendre, il faut faire désirer. Violemment. Jusqu’à l’extase.

Pour cela, fuir.

La voiturette de fleurs qui s’éloigne donne le regret de n’en avoir pas acheté sitôt vu. Le vendeur de journaux qui arrive après les autres mais réalise un chiffre plus important ne cesse de courir à droite et à gauche, comme s’il était sollicité de toutes parts. Le désir s’affole et l’action se met en branle aussitôt : j’en veux un ! Tout de suite ! Il s’agit « d’un mouvement instinctif de poursuite », analyse Alain. Ce qui n’est pas si faux. Regardez un chat, ce prédateur félin que l’Évolution a tout entier bâti pour chasser les proies. Il fixe, et si ça ne bouge pas, il attend. Dès que la proie remue d’un cil, il se précipite et la cloue dans ses griffes. De même entre deux matous qui se défient. Trop proches, ils s’immobilisent, et ce n’est que par des mouvements imperceptibles, drôles à regarder, que l’un d’eux se met à bouger, levant très lentement une patte, puis reculant d’un demi-centimètre. Tout mouvement de retrait brusque initierait l’attaque de l’autre.

Autre recette, frapper le regard.

Un homme qui vendait des coupons hurlait et jetait ses coupons aux acheteurs, ce qui attirait l’attention des badauds. Il s’était de plus coiffé d’un chapeau rouge, et « on sait que le rouge éveille les passions ». Ainsi font les bateleurs, déguisés en clown ou extravagants de geste. La publicité en a tiré les fruits, visant à choquer d’un coup pour retenir l’attention. Une femme nue de dos qui déclare « demain, j’enlève le bas », à la fin des années 70, capte l’esprit par l’histoire qu’elle commence et le désir qu’elle fait monter. Un homme torse nu qui repasse, dans les années 80, détonne car ce sont habituellement les femmes qui le font. Un adolescent chemise ouverte qui saute en l’air dans ces mêmes années intrigue, car la publicité pour le sucre suscite l’idée d’énergie, quasi sexuelle. De nos jours, choquer n’est plus de mise. Les ligues de vertu religieuse et autres associations LGBTQIA+ restent en embuscade pour jouer les chiennes de garde. C’est tout juste si Dior dénude une épaule féminine. La provocation reste en revanche libre sur les écrans des réseaux sociaux ; les vertueuses se gardent bien de toucher aux doudous de la majorité. Il n’y a guère que la bouteille brune des yankees qui ose encore, en français, déclarer qu’elle a « embrassé des milliards de gens » ; ils l’ont plutôt sucée, mais bon… Pour les mac, « chez nous, devenez un client chiant » est vulgaire mais réaliste. Dommage : la vulgarité ne choque plus guère, depuis que tout le monde en est.

Dernier truc de vendeur, celui-là bien établi sur les marchés, du moins encore durant mes jeunes années : casser la vaisselle.

Les produits mal finis ou dépareillés sont bradés en-dessous de leur prix. Mais, si aucun acheteur (ou plutôt acheteuse) ne se décide, vlan ! On les flanque par terre. Rien de tel que de voir cassée la si belle vaisselle qu’on hésitait à prendre que l’on cède au lot suivant. Priver l’acheteur, c’est du génie, conclut Alain. Car frustrer le désir ne fait que l’amplifier… pour une vente future.

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

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Musée égyptien de Turin 1

Après l’Égypte, je désirais voir le premier musée européen d’égyptologie qui se trouve à Turin.

Le musée Egizio a été constitué en 1824 dans le Collège des nobles construit en 1679 par Michelangelo Garove par le roi Charles-Félix de Sardaigne. Il a acquis les collections de Bernardino Drovetti, consul général de France en Egypte de 1803 à 1839, que le Louvre a refusé d’acheter, les trouvant trop chères et sans intérêt. Le fond a été enrichi par Schiaparelli au début du XXe siècle et par Farina dans les années trente. Il ne comprend que des collections égyptiennes sur trois étages, plus le rez-de-chaussée. Il a été rénové entièrement en 2015 et présente une surface double d’auparavant. Il n’ouvre qu’à neuf heures et nous entrons les premiers. Nous y sommes avant les ragazzi des classes accompagnées, des 9 à 15 ans qui jacassent.

Le dernier étage destiné aux expositions temporaires étant fermé, nous commençons par le second, suivant la chronologie du haut en bas avec le prédynastique vers -3900 jusqu’à l’époque romaine dans notre ère. Il y a des milliers d’objets, près de 30 000 dit-on.

Les momies sont présentées dans les premiers stades, recroquevillées et desséchées au désert, avant d’être enfermées de bandelettes, amulettes, et jusqu’à trois sarcophages en poupées russes. C’est le cas évidemment des pharaons. Celui de Ramsès II est noir couleur de mort ; il contient un autre cercueil noir et doré décoré, symbolisant la transition entre la vie et la mort ; lequel contient enfin un dernier sarcophage tout d’or revêtu, symbole de renaissance à la lumière de Râ. Sa favorite, la reine Néfertari, n’a droit qu’à deux sarcophages emboîtés. Diverses momies de chats, mais aussi d’autres animaux comme des canards ou des crocodiles, sont présentées aussi.

Ramsès II apparaît en statue de pierre imposante, vêtu d’une tunique de lin plissé ou torse nu. La statuaire est particulièrement importante au musée de Turin. On y trouve des pharaons tels que Thoutmôsis III, Amenhotep II, Horemheb avec Amon, Thoutmôsis 1er, Ramsès II et Séthi II. La déesse lionne Sekhmet, fille de Râ et forme dangereuse du soleil, se reproduit en de multiples représentations, emplissant toute une galerie où les ados se prennent en selfie par trois, avec l’ami de cœur et la copine de sexe (ou l’inverse), pendant que leur prof pérore.

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D.H. Lawrence, La poupée du capitaine

Une troisième novelle de 1917, publiée seulement en 1923 (traduite aussi par L’homme et la poupée) qui reprend les thèmes qui obsèdent l’écrivain : le trio amoureux antagoniste, le mari, la femme, l’amante, l’amour possession jamais accompli, le choc des volontés et des emprises. La situation est toujours la même, la fin de la guerre de 14-18, la démobilisation, les hommes déboussolés, les femmes émancipées, les âmes retournées.

Hannele, la comtesse exilée en Rhénanie occupée par les Alliés, et dont le titre aristocratique a été aboli par l’Allemagne de 1919, survit à Cologne en cousant des broderies et des poupées reconnues pour leur qualité. Elle en réussit une fort réaliste du capitaine Alexander Hepburn, son amant non consommé. La poupée du capitaine est donc en premier un objet réel qu’Hannele manipule à l’envi, « et c’était tout à fait indécent », note l’auteur. Mais elle peut représenter aussi son autrice, la comtesse elle-même, qui exorcise ainsi son « amour » (quel que soit le nom qu’on donne à cette emprise) et l’objective à ses yeux. Car le capitaine est « mince, délicatement fait, les épaules légèrement et élégamment voûtées (…) des yeux sombres grand ouverts, et cet air de hauteur et de parfaite modestie qui caractérise l’officier et le gentleman. (…) de belles jambes fines » p.704 Pléiade.

Par ailleurs, ce capitaine est incapable d’aimer, comme de vivre. Son épouse restée en Angleterre vient le reconquérir, amie du général commandant son mari. Elle a eu vent de rumeur d’une liaison et ne veut pas quitter sa situation confortable d’épouse ayant fait son devoir, donné deux enfants au capitaine, tout en le voyant peu, toujours avec courtoisie. Une indépendance dans la reconnaissance sociale, état enviable dans la société d’après-guerre. C’est pour cela qu’ayant vu la poupée, elle veut à tout prix l’acquérir, elle assure ainsi, comme dans le culte vaudou, son emprise sur son mari. Lequel la revoit à l’hôtel, couche avec elle si elle le désire – mais lui n’en a pas. Lorsque sa femme écrit à Hannele pour la menacer de la faire expulser si elle ne lui vend pas la poupée promise, le capitaine s’aperçoit qu’elle est tombée par la fenêtre et s’est tuée. Accident ou crime ? La coïncidence est troublante, mais le sujet est éludé au profit de la métaphore d’un oiseau en cage qui se serait enfin envolé.

Après cela, Hepburn rentre en Angleterre, quitte l’armée, établit ses enfants qui lui sont indifférents en pension, et liquide ses affaires. Il n’est attaché à rien, se contente de faire son devoir, de suivre les règles. La guerre a fait dégénérer les hommes, les a rendus lâches, soumis aux ordres, donc à leur femme au retour. Hannele s’en rend compte lorsqu’elle prend le thé avec l’épouse et le capitaine, ce ne sont de la part du mari que « oui, mon amie ! Certainement. Certainement j’irai » p.740. Le militaire est la poupée de la maîtresse de maison et Hannele ne l’avait pas vu ainsi. L’amour féminin est celui d’une goule : il enserre, emprisonne, soumet – dévirilisant le mâle pour en faire une poupée (p.791). Lawrence avait une peur bleue de cette dévitalisation.

Pour lui, comme pour ses personnages masculins, l’amour est une volonté d’absorber l’autre au lieu d’être une passion égale. D’où le choc des volontés : active pour le mâle, qui veut conquérir, dompter, se faire adorer ; passive pour la femelle, qui veut agripper, conserver, soumettre. Hepburn a été chevalier servant de la dame son épouse, il envisage désormais d’être vénéré comme un dieu par sa maîtresse, qu’il veut comme nouvelle épouse. Il reste objet, mais de poupée se veut statue, aussi froid et mort, inaccessible, que cette lune qu’il contemple dans son télescope les nuits claires. Hannele reste envoûtée par sa présence physique, comme une femelle animale soumise au mâle de par la nature.

Lawrence insiste beaucoup sur le côté physique des êtres humains. Leurs corps révèlent leur désirs, leurs passions, leur âme. Leur attrait fait leur beauté, et peut permettre le lien sensuel, affectif et spirituel que l’on englobe sous le terme fourre-tout « d’amour ». Ce serait au fond une attraction universelle des énergies, analogue au magnétisme pour le minéral. Lors d’une excursion dans le Tyrol, il note la nudité des « cous virginaux », des bras, des torses, rendant les jeunes hommes blonds des Siegfried wagnériens et les jeunes femmes robustes, « corsage déboutonné », des guerrières germaines (p.768). Lorsqu’il traverse le lac dans une barque pour prendre le thé avec Hannele qui l’a invité chez des amis, Hepburn aperçoit « un grand jeune homme coiffé d’un petit bonnet rouge et vêtu d’un minuscule pagne rouge autour de ses minces et jeunes hanches (…) Un garçon dont la mue est presque achevée » p.759. Il dit son admiration pour ce corps animal, « le garçon nu, qui marchait avec sang-froid. Il ferait un homme splendide, et il le savait » p.762. Lui aurait pu « aimer » son fils, s’il était comme cela.

L’altitude exalte l’énergie génésique, chez l’homme comme chez la femme. L’écrivain le décrit bien : « Elle détestait l’effort de l’ascension, mais l’air de l’altitude, le froid dans l’air, le hurlement de chat sauvage que produisait l’eau, ces affreuses parois de roche bleu foncé, tout cela l’exaltait, l’excitait, induisant un autre type de sauvagerie » p.767. L’ex-capitaine Hepburn veut aussi soumettre la propension au sublime des romantiques anglais qui ont inventé l’alpinisme, comme des romantiques allemands qui se sont laissés griser par les montagnes à la Caspar David Friedrich. Il déteste ces paysages grandioses où le minéral règne, où toute activité demande un effort, où des hordes de touristes en short arpentent les sentiers. Mais il veut vaincre, comme la nature qui semble se mordre elle-même dans une frénésie quasi sexuelle, « les grands crocs et balafres de glace et de neige plantés dans la roche, comme si la glace avait mordu dans la chair de la terre. Et de la pointe des crocs l’eau rauque poussait son cri natal en dégringolant » p.770. Ce pourquoi il monte sans assurance sur le glacier, juste pour prouver qu’il est supérieur aux forces naturelles : « c’était son unique désir, monter dessus » p.780. Une métaphore sexuelle, d’autant que « la glace parût si pure, comme de la chair. Non pas brillante, parce que la surface était douce comme un épiderme doux et profond, mais la glace était pure jusqu’à des profondeurs immenses » p.781.

Il aurait pu glisser, tomber, périr, et le lecteur un instant s’y attend, mais non. Ce n’est pas l’objet de la nouvelle. Elle est sur l’amour – impossible sans compromis. Pour lui, une femme qui aime ne doit pas faire une poupée de son mari, mais respecter les règles. Celles du mariage selon la bonne société et la religion, que Lawrence raille lorsqu’il est proféré que l’épouse doit honorer et obéir à son époux – « cela figure dans la cérémonie du mariage » p.793. Lui préfère « une épouse, aimée et chérie en tant qu’épouse, et non en tant que femme qui flirte » p.793. La fin offre une sorte d’amour, bancal, un os laissé à ronger au lecteur.

David Herbert Lawrence, L’homme et la poupée, Folio 1982, 352 pages, €9,50

D.H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, Gallimard Pléiade 2024, 1281 pages, €69,00

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Les romans de D.H. Lawrence déjà chroniqués sur ce blog

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Turin, Palais royal de Venaria Reggia intérieur

Le grand hall est à la gloire de la chasse avec un ciel allégorique, diverses statues en stuc sur les murs représentant des déesses drapées ou des putti nus à l’exception d’un voile pudique sur leur zizi de crevette – vraiment, pas de quoi faire se pâmer une prude. Divers tableaux ont été rassemblés dans les pièces à dormir ou de toilette ainsi qu’une statue en buste du roi, torse nu en Apollon ou en Adam, bien idéalisée avec son abondante chevelure bouclée, un visage aux traits droits et des pectoraux galbés.

Parmi les peintures et sculptures, Guido Reni écorche Marsyas en peignant Apollon à l’huile sur toile et le satyre hurle de douleur tandis que le dieu reste froid.

Une plantureuse matrone habillée de Véronèse, le sein droit découvert, se touche le sexe en regardant un gamin à poil qui tient contre sa peau un torse mâle sculpté ; c’est une Allégorie de la sculpture autour de 1553 censée figurer l’émoi physique qui tient l’artiste au moment d’œuvrer.

La Madonna col Bambino de Van Dyck montre une belle femme qui offre son sein à téter à un enfançon mollasson aux cheveux longs.

Un Eros nu couché sur ses ailes déployées offre aux visiteurs son ventre direct et son sexe étalé, tandis qu’il est tout endormi.

Une étonnante plaque de bois par Pietro Clemente montre sur plusieurs registres, pour donner l’illusion du relief, la bataille de Guastalla où s’est illustré Charles-Emmanuel III.

La galerie de Diane est très lumineuse et technique ; la lumière est canalisée par les diverses ouvertures, orientées comme il se doit pour axer le soleil.

La chapelle octogonale dédiée à Saint-Hubert, bâtie entre 1716 et 1729, comprend les statues des pères de l’église, Ambroise, Augustin, et un autel baroque qui s’envole dans les chantournements.

Dans l’écurie sont installés une série de carrosses tirés par des chevaux en carton-pâte chamarrés, tandis que l’orangerie abrite une réplique grandeur nature du Bucentaure, la galère de Venise, avec sa figure de proue en jeune homme, flamboyant de jeunesse nue. Il a été commandé par Victor-Emmanuel II en 1729 sur un squelette de bateau authentiquement vénitien. Il a fait office de palais flottant pour la famille de Savoie lors des diverses célébrations. Donné en 1869 par Victor-Emmanuel II à la ville de Turin, il a été affecté en 2002 à la Reggia di Venaria qui a entrepris sa restauration et l’a exposé (enfin) en 2012.

J’ai discuté au déjeuner, puis dans le jardin du palais, avec une ex-conseillère d’éducation, en retraite à 55 ans, qui a alors repris des études d’histoire de l’art jusqu’à la thèse. Elle « adore » l’art contemporain, même si elle le trouve « difficile à comprendre ». La connaissant un peu mieux quelques jours plus tard, je trouve en elle l’évident snobisme de qui n’y comprend rien mais cherche à savoir, s’obstinant à « aimer » parce que cela pose intellectuellement. Plus c’est hermétique, plus c’est intéressant.

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L’homme d’Istanbul d’Antonio Isasi-Isasmendi

Un petit avion atterrit sur un plateau désertique turc attendu par un gang de Chrysler, véritables péniches des années soixante de modèle Plymouth. Un échange a lieu entre une valise de dollars et un homme, retenu en otage. La valise contient un million et l’homme est un savant atomiste, enlevé par des malfrats que le gouvernement américain veut récupérer. Las ! Une fois en l’air, l’avion explose ; une bombe avait été déposée dans les bagages de l’homme. Le million a été livré mais le savant s’est envolé.

Sauf que le FBI enquête. La radiographie d’un pied retrouvé dans les débris de l’avion, montre que ce n’est pas le pied du professeur. C’est donc un sosie qui a été négocié et le savant reste prisonnier. A quelles fins ? De puissance, probablement. Le FBI ne peut rien hors du territoire américain, sauf enquêter sur des citoyens américains ; ce sera donc à la diplomatie d’engager ses réseaux et son lent rituel impuissant.

Ce n’est pas du goût de Kenny (Sylva Koscina), rare agente du FBI alors, coiffée à la robot dans le style excentrique des swinging sixties. Elle décide son patron à lui donner un congé et part « en vacances » à Istanbul. Elle a en effet repéré sur les photos du crash une voiture dans laquelle un curieux observe l’événement. Il s’agit de Tony Mecenas (Horst Buchholz), gamin élevé à Chicago, orphelin tôt et qui s’est fait tout seul. L’acteur lui-même, Allemand né en 1933, a dû à 13 ans à Berlin se débrouiller lui aussi tout seul dans les ruines de la guerre. Tony est désormais propriétaire d’une boite de nuit où l’on pratique le jeu illégal et se joue de la police. Il est astucieux, rusé, amoral et énergique de jeunesse, mais n’y est pour rien dans l’enlèvement de l’atomiste. Kenny, qui se fait embaucher dans sa boite pour l’observer, en tombe amoureuse.

Car il finit par l’aider, moins par patriotisme (sa patrie l’a rejeté) mais par amour naissant pour cette femme volontaire au corps parfait. Il connaît Istanbul comme s’il y était né et a pour adjoints des hommes efficaces. Si Kenny réussit à récupérer l’appareil photo-cravate de l’avion détruit, Tony ne tarde pas à découvrir qui se cache derrière le bas masquant le visage de l’un des hommes qui a livré le faux professeur. Il le suit, se fait repérer, connaît une aventure dangereuse en haut d’un minaret de Sainte-Sophie, échappe à une tentative de lui faire quitter la route de la corniche dans sa Jaguar type E, trouve le repaire sous une blanchisserie, échappe aux tirs, se rend compte que les services chinois sont sur le coup, donne rendez-vous à un sbire qui est rejeté de la bande, se mesure à quatre Chrysler remplies de malfrats armés qu’il met en déroute, échappe de peu à une tentative de meurtre au bord de la piscine du Hilton, se bagarre avec le tueur sous l’eau, devant les yeux des clients en slip de bain, échappe à la police… En bref de l’action, du grand guignol mais sans la frime à la Belmondo, ni l’efficacité froide à la James Bond.

Déguisé en femme sous peignoir, il investit la boite de sauna féminin au-dessus de la blanchisserie puis fuit les tueurs (dont Klaus Kinski) quasi nu dans les rues d’Istanbul pour suivre le professeur drogué que l’on convoie sur un brancard à destination d’un yacht à moteur prêt à prendre le large. Kenny le suit. Ils réussissent à prendre le bateau, à exiler les marins sur un canot, à détruire le gang dans la cale, à découvrir qui est vraiment le chef (belle surprise !) et à délivrer le savant atomiste comme le million de dollars. Mais Tony ne fait plus confiance à l’Amérique : il donne bien volontiers le savant, mais garde pour lui le million et la belle Kenny, à qui il fait fiévreusement l’amour dans la cabine du train qui s’approche de la frontière.

C’est gai, enlevé, désinvolte, rempli d’action et délicieusement amoral – ou plutôt flirtant avec les limites conventionnelles de la société rassise de l’avant-68. Une sorte de parodie joyeuse des films de James Bond, produits dès 1961 par l’ineffable Albert R. Broccoli. Le jeune acteur de 30 ans qui incarne Tony est rempli de vitalité et exhibe son torse dès qu’il le peut. De quoi saisir petits et grandes, avec quelques scènes de second degré.

Diffusé sur Arte en septembre 2022, ce bon film de divertissement film n’a pas été édité en DVD à ma connaissance.

L’homme d’Istanbul (Estambul 65), Antonio Isasi-Isasmendi, 1965, avec Horst Buchholz, Sylva Koscina, Mario Adorf, Klaus Kinski, Perrette Pradier

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The Servant de Joseph Losey

En anglais, le « servant » est un serviteur, mais moins un domestique que quelqu’un qui se met « au service ». Ainsi appelle-t-on les clercs de Dieu ou les fonctionnaires du Civil Service, ainsi conclut-on les lettres guindées par « your obedient servant ». Quand le vocabulaire est celui des Normands, le mot a un sens noble. C’est pourquoi le personnage principal du film, Hugo Barrett (Dirk Bogarde), est plus qu’un boy ou un valet de chambre, mais apparaît plutôt comme un gouvernant (comme on dit gouvernante).

Le beau jeune blond aristocrate anglais jusqu’au bout des ongles Tony (James Fox), est un brin idéaliste et au fond paresseux. Rentré d’Afrique (du sud), il emménage à Londres le temps de proposer ses services d’architecte à un projet mirifique de bâtir des villes dans la jungle en Amérique du sud. Ainsi Brasília est-elle devenue la nouvelle capitale du Brésil, sortie de rien à l’intérieur des terres en 1960. Le projet, comme tant d’autres de Tony, n’aboutira pas. Pas plus que ses fiançailles interminables avec la jeune blonde haute-bourgeoise anglaise jusqu’au bout des ongles Susan (Wendy Craig). Mais le spectateur ne le sait pas encore.

Tony, pour se libérer des contingences matérielles, engage un domestique qui sera aussi cuisinier et gouverneur de sa maison. Hugo Barrett lui convient mieux que les deux autres qu’il a déjà vu (du moins le déclare-t-il – les a-t-il vus ? rien n’est moins sûr). L’homme est organisé, froid, il a servi dans l’aristocratie après avoir fait l’armée. Il surveille les travaux de rénovation, tient le ménage, concocte des plats savoureux. En bref une perle. Si ce n’est qu’il est omniprésent et que Susan, la fiancée, en prend ombrage, un brin jalouse. Elle veut son homme pour elle toute seule et le domestique le couve trop, comme s’il en était le tuteur ou, pire, l’aspirant amant. Il y a de la fascination homosexuelle (thème très anglais) car le brun Hugo admire la classe tout en prenant de l’emprise sur le blond Tony.

Mieux, il fait inviter sa « sœur » Vera (Sarah Miles) pour servir de bonne. Celle-ci est une fille vulgaire et délurée, qui porte les jupes courtes et dévoile sans vergogne ses jambes sexy. Elle réveille Tony qui dort torse nu dans son lit et s’en émeut ouvertement, Tony qui s’en aperçoit remontera son drap sur sa poitrine. Elle finira par le séduire alors que Barrett joue à ne pas être là, et il la baisera sur le fauteuil. Le spectateur ne verra que ses jambes nues qui s’agitent dans les soubresauts de la passion.

Tony est dès lors doublement accroché : par Hugo qui le materne et tient sa maison, par Vera qui l’excite et assouvit ses besoins sexuels. Susan est reléguée, à son grand dam. Le maître devient servant, tandis que le serviteur domine. Les bruns ont soumis les blonds, comme une revanche des esclaves saxons sur les Normands envahisseurs. Il y a de la lutte des races dans cette lutte des classes, mais aussi une lutte des sexes, le mâle dominant prenant l’ascendant pour manipuler tous les autres. L’escalier est le point central de la maison, un ascenseur social en même temps qu’un lieu de passage où tout se joue, la surveillance, la relégation et même le jeu gamin.

Tony est un faible. Né dans la soie, il n’a pas été confronté à la brutalité de l’existence ; il préfère se laisser faire, en oisif content de le rester. A noter que l’assistance de plus en plus grande des machines en nos vies, y compris « l’intelligence » artificielle, nous conduira peut-être, nous aussi, à une sorte de démission à terme. Il est doux de se laisser dominer, en échange de protection et de réconfort. Ainsi agissaient les féodaux, ainsi agissent les dictateurs, même les mafieux comme Poutine. Les Russes n’ont, comme tous les peuples, que les dirigeants qu’ils méritent ; et les Chinois sont fiers de leur réussite économique, en contrepartie de leur soumission intégrale au Parti. C’est ce que l’ami de Montaigne, La Boétie, appelait si justement la servitude volontaire. Au début des années soixante au Royaume-Uni, c’était ainsi que Losey voyait la décadence. Exilé parce que soupçonné de sympathies communistes, il avait lu Marx et Trotski et pensait que « le capitalisme » produirait la corde pour le pendre (comme si un système de production économique était un être vivant !).

Le cinéaste enrichit son huis-clos par les relations du quatuor : la domination de volonté de Barrett sur Tony, la domination sexuelle de Vera sur Tony, avant celle de Barret au final sur Susan, les tentatives de Susan de faire réagir son fiancé, puis sa soumission à sa déchéance dans une scène finale outrée, qui passe mal aujourd’hui tant elle est caricaturale. Le renversement progressif des rôles de chacun est fascinant, on sent la chute vers l’abîme et l’absence d’énergie pour y remédier.

L’amour conventionnel qu’exige la société, représenté par la froide Susan (une vraie tête à claques), dénie toute chaleur humaine à l’union, présentée comme un contrat d’affaires entre gens de la haute. Le seul instant de fièvre, par terre sur le tapis, est volontairement interrompu par Barret qui vient porter un seau à glace pour les cocktails. Tout l’inverse est la spontanéité de Vera, qui affiche ouvertement son désir de sexe et affiche sa grande bouche de déesse 19 et ses jambes érotiques à faire tourner la tête. Tout est ostentatoire dans la façon de filmer, malgré le noir et blanc frigide. Le légendaire flegme britannique est remis à sa place : celle du caractère des individus. Tony n’a pas la vigueur pour faire autrement que de le jouer ; au fond de lui, il reste un enfant qui n’a pas grandi et cède à ses abandons. Barrett le détruira.

DVD The Servant, Joseph Losey, 1963, avec Dirk Bogarde, Sarah Miles, Wendy Craig, James Fox, Catherine Lacey, StudioCanal 2015 VO sous-titres français, 1h51, €9,49, Blu-ray €14,25

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Destination finale 2 de David Richard Ellis

Suite de la première Destination finale avec, au lieu d’un crash d’avion, un carambolage d’autoroute. Même ingrédients, mêmes superstitions, mêmes effets de suspense – la série est une affaire qui marche. Le 2 est moins sombre que le 1 et plus axé sur le spectaculaire des effets en chaîne. Il est assez réussi.

Nous sommes, date symbolique, un an après le crash du vol 180. La Mort veut faucher son contingent annuel de jeunesse. Kimberly (A.J. Cook), 18 ans, tout juste le permis, prend le volant du gros 4×4 rouge de son père pour aller passer des vacances en Floride avec ses amis, adeptes de la fumette. Sur l’autoroute plutôt chargée, la conductrice, peu attentive à son volant, écoute les blagues nulles des garçons à l’arrière et regarde les passagers des voitures qui la doublent. Un gamin joue l’accident avec un camion et une voiture jouets, une fille se dresse les seins nus pour épater les mâles à l’arrière, un punk à chaîne sniffe de la coke tout en tenant son volant avec la cuisse, un chauffeur poids lourds s’enfile une bière au volant…

C’est drôle, décalé – puis soudain le flash : un gigantesque carambolage initié par un camion transportant des troncs de bois. Mal attachés, ceux-ci s’écroulent sur les voies, entraînant une suite de réactions en chaîne où le sang gicle, les corps sont écrasés dans des hurlements terribles. Kimberly se réveille alors qu’on klaxonne derrière elle : elle était arrêtée à la bretelle d’autoroute, attendant le feu vert pour passer.

Dès lors, elle se met en travers, complètement hystérique : elle a eu la « prémonition » d’un accident et ne veut plus avancer. Les conducteurs derrière elle s’énervent. Un flic de l’État (Michael Landes), en patrouille, vient voir ce qui se passe et cherche à la raisonner. C’est alors que le camion de bois passe. Les troncs se détachent, et c’est l’accident prévu !

Kimberly l’a évité par sa prescience magique, empêchant ainsi « la Mort » de prélever sa dîme parmi les conducteurs piégés derrière sa voiture. Mais un camion arrivant à toute allure emboutit son 4×4 rouge, tuant net tous ses amis dedans. L’officier de police Thomas Burke la sauve in extremis en la poussant hors de la trajectoire. Elle a déjoué la Mort. Mais ceux qu’elle a vus, le cocaïnomane Rory Peters (Jonathan Cherry), le professeur motard noir Eugène Dix (T.C. Carson), la star snob Kat Jennings (Keegan Connor Tracy), le gagnant au loto Evan Lewis (David Paetkau), la veuve Nora Carpenter (Lynda Boyd) et son fils de 15 ans Tim (James Kirk), et la femme enceinte Isabella Hudson (Justina Machado) sont des morts en sursis. La Camarde va chercher à les récupérer par tous les moyens.

Et ces moyens sont nombreux et inventifs. Evan, par exemple, rentre les bras chargés à son appartement ; va-t-il glisser sur un jouet dans le couloir ? S’exploser au gaz sous la poêle ? Laisser échapper sa bouteille d’huile à griller les saucisses surgelées (la malbouffe dans toute sa splendeur yankee) ? Curieusement, il se met torse nu pour cuisiner tout en faisant autre chose ; son téton piercé fait genre sur son torse glabre de bébé rose (la mode yankee des branchés pré-millénium). Il contemple la belle montre qu’il a achetée avec ses gains au loto, ainsi qu’une bague d’or et diamants en forme de fer à cheval (le mauvais goût dans toute sa splendeur yankee), tout en écoutant sur son répondeur à bande les messages intéressés de tout un tas de copains et copines perdus de vue mais alléchés par le fric. Évidemment la bague lui échappe et va se perdre dans le trou de l’évier ; évidemment sa main reste coincée dedans alors qu’il cherche à la récupérer ; évidemment les saucisses brûlent pendant ce temps-là, et l’huile répandue hors de la poêle s’enflamme aussi ; évidemment la poêle tombe alors qu’il cherche à distance à jeter quelque chose dessus pour étouffer le feu – elle incendie l’appartement (les logements de carton-pâte dans toute leur qualité yankee). Va-t-il périr grillé ? Non pas, il s’échappe de justesse par l’échelle de secours juste avant que la bonbonne de gaz n’explose (tout explose aux USA, les bagnoles, les maisons, les fours, les barbecues- sinon ce ne serait pas Hollywood). Il rejoint in extremis le sol… mais glisse sur les spaghettis qu’il a jetés par la fenêtre pour faire la place aux saucisses dans la poêle. Étalé sur le sol, il est vivant, sauf que l’échelle se détache… et l’empale dans l’œil. Le croque-mort (Tony Todd) – qui est la Mort elle-même – coupe à la pince l’anneau de téton du garçon avant de l’enfourner pour le réduire en cendres. Sa parure corporelle n’a pas empêché sa jeunesse d’être interrompue net.

La nouvelle de cette fin rocambolesque alerte l’officier Burke et Kimberly. Ils font une réunion entre survivants de l’autoroute à la suite de laquelle Kimberley rend visite à Claire Rivers, la dernière du vol 180. Elle s’est volontairement enfermée en centre psychiatrique et refuse toute visite avec objet tranchant. Elle déjoue la Mort depuis un an. Claire refuse d’aider Kimberley (l’individualisme dans toute sa bonne morale yankee), mais se rend compte brusquement que les survivants meurent dans le sens inverse de l’ordre du carambolage. Elle sort de son isolement pour prévenir Kimberly de faire attention aux signes prémonitoires de « la Mort ». Kimberly a la vision d’une attaque de pigeons et c’est Tim, sortant de chez le dentiste, qui en fait les frais. Il s’avance comme un gamin (il a 15 ans) pour chasser les volatiles… et se prend en pleine tronche une vitre détachée de la façade dans laquelle les pigeons désorientés vont se crasher souvent. Exit l’ado (même la jeunesse peut mourir). Sa mère, Nora, sera décapitée par des portes d’ascenseur alors qu’elle cherche à échapper à un porteur d’un bac contenant des bras articulés qui la rendent hystérique à la suite d’une nouvelle « vision » de Kimberley.

La suite est du même effet : Kat est empalée par un tuyau qui l’avait épargné dans l’accident de son véhicule. Le matériel de désincarcération du sauveteur active l’airbag… qui rejette violemment la, tête en arrière, juste sur le pieu tranchant. La cigarette qu’elle venait d’allumer en étant sûre d’être sauvée tombe de sa main dans une fuite d’essence menant à la camionnette des journalistes, qui ont reculé sur une pierre, provoquant l’explosion et l’envol d’une clôture de barbelés qui coupe Rory en trois au niveau des reins et du torse (bel effet spécial). Eugène, le motard de l’autoroute qui n’y croyait pas, explose dans sa chambre d’hôpital, après une suite de mouvement des machines (qui semblent douées d’une vie propre, l’angoisse proprement yankee de la technique comme un destin).

Isabelle donne le jour à son bébé, malgré le docteur que Kimberly a vu en prémonition l’étrangler. Une vie contre une mort, telle est la superstition basique du film, et les survivants se croient sauvés. Mais point ! Jusqu’au gamin de la ferme (Noel Fisher) où a eu lieu le dernier accident avec Kat – rien à voir avec l’autoroute – qui a été sauvé par Rory d’une camionnette folle : il explose en manipulant le barbecue lors de la fête de survie. Son avant-bras grillé à point atterrit sur la table juste devant sa mère.

Un humour noir du second degré bien mis en scène. Pas vraiment intello, ni flippant, juste délassant. Jouer avec la Mort fait toujours recette. Les acteurs sont fades, surtout Kimberly, à l’exception de l’officier de police peut-être.

DVD Destination finale 2 (Final Destination 2), David Richard Ellis, 2003, avec Ali Larter, A.J. Cook, Michael Landes, David Paetkau, James Kirk, TF1 Vidéo 2004, 1h27, €11,94, Blu-Ray €10.00

DVD Destination finale de 1 à 5, New Line 2024, 7h16, €29,99, Blu-ray €32,93

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A Single Man par Tom Ford

George Falconer (Colin Firth) est un professeur anglais d’université américaine qui aborde l’âge mûr. Il a perdu huit mois plus tôt l’amour de sa vie, son compagnon durant seize années Jim (Matthew Goode), décédé avec leurs deux chiens d’un accident de voiture lors d’une virée enneigée pour aller voir ses parents. C’est un ami de George qui l’a prévenu du décès, la famille n’ayant pas eu cette décence, réservant la cérémonie à l’entre-soi des « normaux ». Car George, le professeur de littérature, comme Jim l’architecte, sont gays. Dans ce début des années soixante, cela reste très mal vu, y compris en Californie.

George déprime et décide d’en finir avec l’existence. Il ne vit plus que comme acteur d’un rôle qu’il n’aime plus. Chaque matin, il se cuirasse d’une chemise blanche, d’une cravate noire et d’un costume bien sous tous rapports ; il entre dans sa vieille Mercedes coupé noire pour aller distiller ses cours. Mais, ce matin-là, malgré la grâce des jambes dansante d’une fillette voisine en robe rose très courte, puis des muscles roulant sur les torses nus des jeunes hommes qui jouent au tennis sur les courts universitaires, il ne se sent plus de continuer. Il n’est que masque, sans personne devant qui l’ôter. Cette solitude est le fond du film ; elle engendre une aliénation de soi, due à la société rigoriste, qui détache l’individu du rôle qu’il joue.

Devant ses étudiants, George commente un roman d’Aldous Huxley. Il les laisse dire avant de recadrer le débat sur la peur et les minorités ; il se garde bien d’évoquer les minorités sexuelles (ce n’est pas encore la mode, ni l’obsession d’aujourd’hui), mais parle plutôt des blonds ou des taches de rousseur. Un étudiant évoque « les Juifs », il évacue : ce n’est pas le sujet. Une minorité, c’est un concept bien plus vaste que sa réduction aux « Juifs ». « On ne pense à une minorité que lorsqu’elle constitue une menace pour la majorité. Une menace réelle ou imaginaire. Et c’est là que réside la peur. Si la minorité est en quelque sorte invisible, la peur est alors bien plus grande. C’est cette peur qui explique pourquoi la minorité est persécutée. Vous voyez donc qu’il y a toujours une cause. La cause, c’est la peur. Les minorités ne sont que des êtres humains. Des êtres humains comme nous. » Ce qu’il évoque en filigrane, ce sont « les invisibles », autrement dit les gays. Ils ont l’apparence des autres, se comportent comme les autres, mais sont différents au-dedans d’eux-mêmes. D’où la « menace » qu’ils feraient peser sur tous : bien qu’en apparence comme nous, ils ne sont pas comme nous.

Un étudiant, Kenny Potter (Nicholas Hoult, 20 ans au tournage), est fasciné par ce prof qui parle simplement et écoute ses élèves. Il est toujours avec une fille, et chacun croit qu’elle est sa petite copine, mais ce n’est qu’une amie et ils ne « sortent » pas ensemble, dira-t-il. Lui aussi joue les invisibles et il quête l’attention, sinon l’affection, d’un homme plus âgé, grand-frère ou père de substitution, comme souvent. Il aborde son professeur après le cours pour lier mieux connaissance, dit-il. George élude, cela ne l’intéresse pas. Il reste obnubilé par Jim, son grand amour, et ne voit rien d’autre. Même le prostitué espagnol Carlos (Jon Kortajarena, mannequin de 24 ans), beau comme une statue antique en tee-shirt blanc moulant, ne lui prend qu’un moment d’attention, bien que le garçon le drague ouvertement.

Il a décidé d’en finir le soir même et se rend dans une armurerie acheter des balles pour son revolver. C’est un très jeune homme qui le sert, à l’âge du lycée, il ne le voit même pas. Il se rend à sa banque pour emporter tout ce que contient son coffre. Il écrit diverses lettres de suicide pour ses collègues et amis. Sa vieille amie et voisine Charley (Julianne Moore), elle aussi rongée de solitude, l’invite à passer prendre un verre – il doit apporter le gin. Il accepte, ne sachant au fond s’il va s’y rendre. Comme elle le rappelle le soir, il y va. Ils dînent, dansent, fument, boivent. Un peu ivres, ils partagent leurs souffrances dans un moment d’amitié nostalgique. Charlotte voit sa fille unique grandir et supporte mal son rôle de femme au foyer divorcée. Elle déclare à George qu’elle l’a toujours aimé et pense que sa relation avec Jim n’était qu’un substitut. Charley représente la doxa, la voix de la société « normale », qui croit que la déviance n’est qu’un accident et qu’il suffit d’une femme pour retrouver la voie droite.

Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe dans la vraie vie. Le désir est sans loi. Les garçons jeunes connaissent une fille ou deux, mais le sexe n’est pas l’amour. Pour George, l’amour n’est que pour les garçons, c’est ainsi. Il quitte Charley et, avant de revenir chez lui pour en finir, prend un dernier whisky dans le bar où il va d’habitude, près de chez lui. Le bar où il a rencontré Jim, comme le montrent des images en flash-back. Là, il retrouve Kenny, qui a demandé son adresse à la secrétaire à l’université et l’a suivi. Il fait parler George qui se remémore d’anciens souvenirs. Ils évoquent le vieillissement et la mort – inévitables – donc le sens de la vie et ce que cela implique. La conclusion est qu’il vaut mieux cueillir le jour qui vient, carpe diem. Kenny, incarnation de la vie, de la beauté, de la jeunesse, est tout fraîcheur, enthousiasme vital. Il le convainc de prendre un bain de minuit dans la mer, toute proche. Allez ! Il se déshabille en un tour de main et, entièrement nu, plonge dans les vagues. Entraîné par sa fougue, George fait de même. Ils nagent, plongent et jouent comme de jeunes animaux.

Puis Kenny a froid, il sort de l’eau et s’invite chez George pour se sécher. Il partirait bien nu, « parce que nous sommes invisibles », mais George l’incite à se rhabiller à cause des voisins. Kenny reste chemise ouverte, torse juvénile offert au regard de son professeur mûr tandis qu’il le soigne d’une plaie au front. On sent qu’il le désire, mais que l’autre se restreint. Encore une bière, qu’ils boivent à la bouteille, suçant le goulot comme un baiser. Kenny prend une douche tandis que George enfile un peignoir. Le garçon a vu sur la table où sont soigneusement rangés, avec un soin maniaque, les papiers, clés et lettres de George, le revolver et s’en empare. Il veut empêcher son professeur de se suicider et, peut-être, vivre avec lui. Mais George s’endort. Lui se couche alors sur le canapé, nu sous une couverture. Il a pris le revolver contre lui.

Pour la première fois depuis la mort de Jim son amour, George retrouve avec Kenny un certain goût de vivre. Il reprend délicatement l’arme sur la peau nue du jeune homme, l’enferme dans un tiroir qu’il ferme à clé et brûle ses lettres de suicide. Quand il veut se rendormir sur son lit, il ressent soudain une vive douleur dans la poitrine et tombe, terrassé par une crise cardiaque.

Une fin brutale et tragique pour cet homme qui se remet tout juste de sa peine et pourrait commencer une nouvelle vie avec un être jeune et amoureux. Le film est tiré d’un roman de Christopher Isherwood, écrivain anglais homosexuel exilé aux États-Unis. Il y romance sa rencontre en 1953, à 48 ans, le jour de la Saint-Valentin, de Don Bachardy, portraitiste américain de 18 ans, chez des amis sur la plage de Santa Monica. Il ne l’a plus quitté jusqu’à sa mort.

Le format un peu compassé du film fait écho à la dépression du personnage ; il voit les choses en gris et les gens avec rigidité. Ce n’est que l’arrivée de Kenny qui met de la couleur, après les brefs flashs de la fillette et des joueurs de tennis. Mais George a vécu, il arrive à la fin. La jeunesse et ses élans ne sont plus pour lui, atteint au cœur – physiquement après sa passion douloureuse. Une leçon selon laquelle chacun doit vivre sa vie sur le moment, intensément, et cueillir les fruits qui se présentent. L’existence ne repasse jamais les plats.

DVD A Single Man (Un homme au singulier), Tom Ford, 2009, avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult, Matthew Goode, Jon Kortajarena, StudioCanal 2023 en français ou anglais, 1h35, €9,49,

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Vers Abou-Simbel

Après le déjeuner de purée de sésame, de tajine de poisson et de frites, de banane et d’orange, le bateau fonce sur Abou-Simbel pour que nous puissions voir le temple depuis le large, comme le pharaon le faisait lorsqu’il venait en visite il y a 3300 ans et 65 m plus bas. Car le temple a été remonté de cette hauteur et a été déplacé de 200 m pour rester sur la colline ; du large, nous en voyons la coque artificielle de l’arrière en béton. Nous faisons un tour d’honneur avant de repartir dans une anse du port, près du pont où s’effectue l’amarrage. Des gamins de pêcheurs piaillent et crient, allant même jusqu’à se baigner, mais tout habillé selon la pudeur rigoriste néo-islamique, un seul torse nu. Pourtant, ils sont cachés par les herbes et nul ne peut les voir.

Nous faisons un petit tour dans le quartier où s’ouvrent des boutiques le long de la rue principale. Nous croisons des commerçants, dont un avec sa machine à pain qui les enfourne sur une plaque tournante dont la durée de révolution suffit à cuire la pâte. Comme toujours, nous avons droit à des gamins accrocheurs, intrigués par ses touristes différents de ceux qui passent en car climatisé.

Nous allons assister, sauf Prof qui le snobe, au son et lumière de 18h30 qui dure 50 minutes devant le temple d’Abou-Simbel. L’ensemble est assez banal, le texte grandiloquent n’apporte pas grand-chose, l’intérêt principal est de voir les deux temples de Ramsès II et de Néfertari illuminés. Plus d’Espagnols que de Français ce soir et nous devons porter les écouteurs de traduction.

Nous ne dînons qu’après de jus de tamarin, d’une soupe minestrone, d’un curry de légumes et de bœuf, d’une salade mixte et de gombos épicés, enfin de melon d’eau. À midi, le plat principal était présenté en barquette d’aluminium comme s’il était décongelé. Peut-être le cuisinier a-t-il préparé en grande quantité ses plats à terre pour se simplifier la vie et les servir selon nombre de convives ?

C’était notre dernier jour de navigation. Nous nous couchons tôt car nous nous levons à cinq heures pour être à l’ouverture des temples d’Abou-Simbel avant tout le monde.

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Plein soleil de René Clément

Alain Delon en héros solitaire, self-made man qui, par imitation, veut prendre la place du gosse de riche oisif et incapable. Tom Ripley (Alain Delon) est un jeune homme pauvre mais intelligent – un véritable pionnier américain. Mandaté par le père de Philippe Greenleaf pour ramener son fils noceur (Maurice Ronet) à San Francisco, Tom se coule dans le rôle du copain à tout faire, cuisinier, homme de chambre, confident, souffre-douleur. Philippe, qui se sait minable, adore humilier celui qu’il considère inférieur. Par sa naissance et son argent, il a le pouvoir sur les autres et en use comme de jouets pour son bon plaisir.

Adapté du roman de Patricia Highsmith publié en 1955, Monsieur Ripley, René Clément épure l’intrigue et donne une fin différente, pour en faire un film où Tom est jaloux de Philippe au point de lui prendre non seulement son identité, mais aussi sa fiancée. C’est seulement le destin qui brisera ce rêve tout près d’aboutir.

Si Tom avait payé les 500 000 lires restantes pour l’achat du bateau, il aurait peut-être coulé des jours heureux. Philippe était en effet propriétaire d’un cotre racé de 18 m fabriqué au Danemark en 1940 pour le roi du Danemark et offert à Eva Braun, la petite-amie d’Hitler. Mais Tom n’aime pas la mer, il craint l’eau. S’il apprend avec Philippe à hisser les voiles, barrer et tenir un cap, le bateau n’est pas sa tasse de thé. Lorsque Philippe, par caprice après un coup de barre malheureux de Tom, le jette à demi-nu dans la yole attachée à l’arrière du bateau, que le filin se rompt et que Tom est laissé au large un long moment avant que Philippe et sa fiancée Marge (Marie Laforêt) ne s’en aperçoivent, Tom est déshydraté et brûlé par le soleil. Le bel animal, concurrent de Philippe, est dompté.

C’est à ce moment que Tom, s’apercevant que Philippe n’a nulle intention de revenir en Amérique avec lui, décide de le tuer. Le père de Tom ne lui donnera pas les 5 000 $ promis, mais c’est moins l’argent qui l’intéresse (dans le film) que Marge. Celle-ci prépare un livre sur Fra Angelico et Philippe s’en fout. Il ne s’intéresse pas à ce qu’elle fait, ni à ce quelle est, il déclare seulement qu’il « l’aime ». Mais il n’existe pas d’amour en soi (contrairement à la niaiserie platonico-chrétienne dans laquelle se complaisent les midinettes) : il n’existe que des preuves d’amour. Parce qu’il discute entre garçons avec Tom, et que Marge l’interrompt pour qu’il lui prête attention, Philippe l’enfant gâté soupe-au-lait se fâche. Il empoigne tous les papiers d’études de Marge et les jette par-dessus bord. C’en est trop pour la fiancée : elle se fait débarquer.

Philippe regrette, mais seulement de ne pas maîtriser la situation. Aime-t-il vraiment Marge ? la poupée sexuelle qu’elle représente ? ou l’image de « l’Hâmour » qu’il s’en fait ? « Je comprends que vous aimez un Philippe qui n’existe pas », dira Tom à Marge. A l’inverse, Tom est attentif à la personne ; il a du sentiment pour Marge, jusqu’à l’amour au final. Lorsqu’ils sont tous les deux, les grands gamins se défient au poker. Philippe payera Tom s’il joue à quitte ou double la montre que le père de Philippe lui a donné. Ainsi, il sera défrayé de sa mission car Philippe ne veut pas retourner à San Francisco et continuer le farniente et la bella vita de la jeunesse dorée. Il a surpris Tom à endosser ses vêtements et à imiter sa voix devant la glace ; il se demande si leur complicité garçonnière irait jusqu’à devenir lui, en miroir. Tom lui avoue cyniquement que oui : il lui suffirait de le tuer, d’imiter sa signature, d’écrire sa correspondance avec sa machine à écrire portative et de falsifier son passeport.

Philippe en est bluffé ; il perd volontairement en trichant pour payer Tom et s’en débarrasser, mais celui-ci s’en aperçoit. Philippe le défie et Tom lui plante froidement un couteau de marin dans le cœur, celui-là même avec lequel il a coupé le saucisson de son en-cas. D’ailleurs à chaque fois qu’il tue, en vrai prédateur, cela lui donne faim. Il l’enveloppe ensuite dans des cordages et, mauvais marin, au lieu de stopper le bateau en affalant les voiles pour avoir le temps de tout préparer, envoie le cadavre de Philippe lesté d’une ancre et tout ficelé à la mer. Il revient alors à terre, rejoint le quai comme maladroitement, en le cognant un peu, puis décide de s’en débarrasser. Mais cela prend du temps.

Juste assez de temps pour réaliser son plan : faire croire que Philippe s’isole après sa rupture avec Marge, lui faire écrire plusieurs lettres puis un testament à la machine ; vider le compte en banque en imitant sa signature après s’être entraîné au mur avec un projecteur ; prendre des chambres d’hôtel et un appartement. Malheureusement, le hasard vient mettre son grain de sable. Freddy (Billy Kearns), l’ami lourdaud et riche de Philippe, a obtenu son adresse par l’agence de bateaux et débarque à l’appartement que loue Tom sous le nom de Philippe. Il n’a jamais apprécié Tom, qui n’est pas de leur milieu, et se méfie de lui qui prend trop à son gré les vêtements et les manières de Philippe. Par un quiproquo de la concierge, Tom est obligé de tuer Freddy, et de se débarrasser de son corps dans la campagne.

C’est alors que la police ouvre une enquête et remonte la piste. Tom est interrogé, mais fait semblant d’avoir été absent de Rome et de rentrer le lendemain. Il revoit Marge, qui boude dans son coin, et fait « mourir » Philippe en signant un testament envoyé par avion à ses parents depuis Mongibello, et un mot pour laisser les liasses de lires en liquide à Marge. Cela fonctionne et Marge, qui sait maintenant que Philippe n’est plus, répond aux avances de Tom. Ils sortent ensemble et vont même se baigner. Tom a enfin réussi ; en plein soleil sur la plage, un verre à la main, il n’a jamais été aussi heureux.

Puis Marge est appelée pour la vente du bateau, que les chantiers navals sortent de l’eau… Et tout est remis en question.

Un thriller psychologique impeccablement mené, avec un héros attirant, souple comme un félin, fascinant de cynisme et d’un appétit de vivre à la James Dean. Bien meilleur à mon avis que la copie américaine 1999 d’Anthony Minghella qui tire Tom du côté de l’homosexualité avec un Matt Damon au torse de dieu grec, alors que René Clément en fait un enfant d’après-guerre, amoral aux dents longues. Guido di Pietro, dit Fra Angelico, le pauvre absolu qui use d’une lumière très forte qui annule les ombres, est le peintre des anges : Alain Delon en est un d’apparence, ce pourquoi il séduit Marge dans la fiction, avant Romy Schneider dans la réalité, petite-amie de Freddy dans le film.

Une ambiguïté qui trouble : jusqu’où une ambition de pauvre peut-elle aller lorsque le riche la provoque ? Le strip-tease dans la cabine au moment où il ôte sa chemise pour monter sur le pont torse nu est un grand moment de rivalité mimétique. Philippe comme Marge regardent sa sauvage beauté sensuelle. Alain Delon, 24 ans, domine le casting. Maurice Ronet et surtout Marie Laforêt (pourtant au beau visage) apparaissent bien pâles, mal fagotés dans leurs corps, en comparaison avec la bête jeune et souple au charme magnétique. Eux jouent alors que lui vit ; ils sont comédiens et lui acteur.

Pour l’anecdote, j’ai noté une petite ressemblance du visage d’Alain Delon dans les premières scènes avec celui d’Emmanuel Macron en 2017.

DVD Plein soleil, René Clément, 1960, avec‎ Alain Delon, Marie Laforêt, Maurice Ronet, Elvire Popesco, Erno Crisa, StudioCanal 2013 remastérisé, 1h53, €12,84

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Les romans Ripley de Patricia Highsmith sur ce blog

Le talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella, 1999, avec Matt Damon

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Accident de Joseph Losey

Tout commence par un accident de voiture, de nuit, près de la propriété d’un professeur de philosophie à Oxford. Deux étudiants venaient le voir pour parler de quelque-chose. L’auto s’est renversée, le garçon est mort, la fille survit ; c’est elle (qui n’avait pas son permis) qui semble-t-il conduisait. William, en jeune homme trop sain, tenait mal l’alcool. Cette « crise » au sens médical va révéler les dessous des apparences sociales.

Anna Von Gratz und Loeben (Jacqueline Cassard) est une princesse brune comparée à une chèvre par William (Michael York), jeune aristocrate anglais féru de sport qui sortirait bien avec elle. Mais William, le blond solaire, est en admiration envers son professeur de philosophie d’Oxford Stephen (Dirk Bogarde), qui lui demande pourquoi il étudie la philo puisqu’il est un guerrier et rêve de devenir éleveur. Le prof est sensible au charme vénéneux de la vide et mutique Anna, venue d’Autriche et qui laisse toujours sa porte ouverte, comme si elle accueillait tous les mâles qui passent. Elle ne les décourage pas, ce qui présente peut-être un défi pour William, peu porté sur la gent féminine de par son éducation typiquement anglaise, de collèges de garçons en sports violents.

A ce trio s’ajoute Charley (Stanley Baker), autre quadragénaire, recteur de l’université ami de Stephen, qui couche impunément avec la belle autrichienne et parle à la télé de tout et de rien. Il est l’inverse de Stephen. Marié lui aussi, trois gosses comme Stephen (dont l’épouse attend le troisième), il a réussi là où Stephen n’a pas osé. Stephen est troublé par Anna quand il découvre qu’elle est la maîtresse de Charley tout en flirtant avec lui et déclarant bientôt se marier avec William. Lui mène une vie paisible, ennuyeuse même, auprès de sa femme Rosalind (Vivien Merchant) et de ses deux enfants, un garçon de 6 ans déjà petit mâle et une fillette de 3 ans. Son fils est celui qu’il n’a pas osé être, tapant le ballon, courant sur la pelouse, grimpant comme Tarzan aux arbres, jardinant torse nu avec papa dans l’été anglais, lisant une histoire d’éléphant. William étudiant a quelque chose de ce gamin, ce pourquoi Stephen s’intéresse à lui, son avenir, ses amours. Il en est presque paternel tandis que le jeune homme, dans une sorte de culte homoérotique, observe qu’il est bien conservé pour son âge qui avance, digne même dans les pires situations, mais qu’il devrait cultiver ses muscles.

Stephen, pris par la quarantaine, vit les amours et le désir par procuration. Il invite son favori William et la nouvelle étudiante Anna dans sa maison de campagne avec sa famille, tandis que Charley s’incruste. Stephen contient sa libido par convenance et confort moral, admirant en retour la jeunesse, Anna en femme désirable et William en idéal physique et social qu’il n’a jamais pu atteindre. Mais Charley est le grain de sable, le démon qui va enflammer la situation. Il est un double maléfique par sa réussite comme recteur et expert télévisé, et sa réussite amoureuse puisqu’il vit pleinement sa sexualité avec Anna – là où Stephen ne peut que fantasmer. Stephen se promène avec Anna mais n’ose pas tenter de l’embrasser ; il se rend à Londres pour proposer ses services à la télévision mais le producteur est malade et son adjoint le rembarre. C’est un ancien élève qui lui rappelle Francesca, la fille du recteur, avec laquelle Stephen sortait jadis. Le prof se dit qu’après tout, il peut se rabattre sur Francesca comme maîtresse ; il lui téléphone, dîne et couche avec elle, mais l’enthousiasme n’y est plus de part et d’autre. A quoi bon ce jeu s’il n’y a pas de sentiments ?

L’accident nocturne montre les ténèbres où se révèlent les désirs réprimés et la mort au bout du chemin, tandis que la dernière scène reprend le thème en plein jour en les masquant sous le réel familial de la vie. Mais au fond, Anna n’est pas si innocente qu’elle le paraît. Elle parle peu, agit sans dire, mais son regard ne cesse de séduire. Peut-être pour se rassurer, peut-être pour répondre aux canons sociaux de l’époque qui faisaient d’une femme un objet de la convoitise et de la rivalité des mâles. La haute société anglaise avant 1968 est corsetée et enfermée dans des codes sociaux où l’agressivité ne trouve à s’exprimer qu’entre hommes dans des sports d’autant plus dérisoires qu’ils sont violents, et où la parole est vide. L’alcool apparaît comme un remède à l’impasse existentielle et une fuite en avant désespérée. Stephen ressent un mal-être derrière son apparence sociale de prof d’Oxford et d’une maison de famille vaste et paisible. Il pousse Charley à parler de l’envers du décor, ce qui désespère William, lequel croit que Stephen a des vues sur Anna. Ce pourquoi il boit, ce pourquoi il ne peut conduire, ce pourquoi il meurt.

Lorsqu’il se retrouve lors d’un match près du père de Francesca, Stephen en profite pour lui dire qu’il l’a rencontrée et qu’elle l’embrasse. L’ancien recteur, imperturbable, réplique : « Embrassez-la donc pour moi, quand vous la reverrez ! ». Ce cynisme de père qui se fout que sa fille mariée couche avec n’importe qui fait exploser d’un coup devant le spectateur les faux-semblants sociaux et l’hypocrisie de classe.

L’accident, au fond, n’était pas un accident – mais la résultante des non-dits de tous les personnages : la frustration de Stephen, l’engouement trouble de William, le comportement poupée séductrice d’Anna, le cynisme hédoniste de Charley. Un film subtil, bien lent pour notre époque, mais qui mérite d’être dégusté comme un vieux whisky.

DVD Accident, Joseph Losey, 1967, avec Dirk Bogarde, Stanley Baker, Jacqueline Sassard, Michael York, Vivien Merchant, StudioCanal 2009, 1h45, occasion €13,27, version simple anglais seulement €11,14, version restaurée anglais/français Blu-ray €34,99

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Henry de Montherlant, Les Olympiques

Ils sont rares, les écrivains sportifs qui ont chanté le sport. Parmi les presque contemporains : Antoine Blondin pour le cyclisme, Albert Camus et Blaise Cendrars pour le foot, Jean Giraudoux.

A l’occasion des jeux olympiques à Paris de 1924, il y a un siècle, Henry Marie Joseph Expedite Millon de Montherlant, auteur trop oublié aujourd’hui, reprend des articles et textes qu’il a déjà publiés en revues et les romance pour en faire un hymne au sport. Il les publie en 1924 chez Bernard Grasset dans Les cahiers verts où le numéro 31 offre la Première Olympique, Le Paradis à l’ombre des épées, et dans le numéro 41, la Deuxième Olympique, Les Onze devant la porte dorée. Ces textes sont repris en volume unique en 1926, puis révisés en 1938. Montherlant est un auteur qui écrit, corrige, revient et recorrige ; il se précise, s’approfondit, s’euphémise. Pour lui, cette époque où hantait les stades, était le bonheur.

Sorti de la « grande » guerre où il s’était engagé volontaire en 1918, il a connu le combat et la fraternité des tranchées. Revenu à la vie civile et regrettant ce monde viril et hors classes sociales, le sport lui a permis durant plusieurs années, de 1920 à 1925, soit de 25 à 30 ans, de conserver un peu de cette fraternité virile qu’il a connu dès son enfance chez les pères et qu’il a poursuivi à l’armée. Le football ressemble à la guerre, mais euphémisée, sublimée (à l’époque, où le fric n’avait pas investi le sport). « De la violence ordonnée et calme, du courage, de la simplicité, de la salubrité, quelque chose de vierge et de rude et qui ne s’examine pas soi-même : voilà ce que j’ai aimé dans la guerre, oui, aimé malgré toute la détresse et l’horreur, et voilà ce que j’ai retrouvé ici, voilà ce que me donnent ces trois jours par semaine. »

Il vante « les heures de poésie que le sport nous fit vivre, dans la grâce — la beauté parfois — des visages et des corps de jeunesse, dans la nature et dans la sympathie ». Il a pratiqué le foot et l’athlétisme sur les stades, se réjouissant du mélange des milieux et des âges. Le sport est aristocratique car il sélectionne les meilleurs et pas seulement pour leurs qualités physiques. Dans le foot, par exemple, il faut avoir le coup d’œil pour juger de la situation, la volonté de décision pour agir et l’esprit d’équipe pour apporter sa force à la stratégie d’ensemble. Pour cela, le sport forme « un esprit sain dans un corps sain », ce qui est la maxime antique.

L’idéaliste formé aux lettres classiques hors sol et élevé sous serre dans les pensions cathos, se voit infliger « une bonne leçon de réalisme » par les autres, notamment par un gamin de 15 ans, Jacques Peyrony. Un être ardent comme un chiot, qui se roule dans l’herbe pour la sentir sur sa chair nue, habile de ses pattes et né capitaine de l’équipe de foot. « Dents de chien » ne recherche pas la performance mais, en bel animal racé qui se défoule, tout en lui est « style ». « Peyrony court, à longues foulées reposées, sur les frontières de la force et de la grâce. La simplicité de son déplacement évoque ces fleurs qui se promènent par les airs. » Il y a de la grâce grecque dans ces jeunes sportifs, dont les corps pâles, dévêtus après l’effort, évoquent les statues de marbre.

La nudité des poitrines mâles, si rare en ce siècle bourgeois prude et corseté, donne cependant à tous, y compris aux illettrés, une idée de la Beauté. C’est ainsi que, lors d’une préparation à un match de boxe, un corps humain apparaît dans sa gloire, bien avant le combat. « Tout d’un coup, dans la galerie à trois mètres au-dessus de nos têtes, la première apparition du corps humain. (…) Et, au milieu des cinquante vestons qui émergent de la balustrade, ce torse nu, un boxeur de seize ans peut-être, déjà en tenue de combat, dont on entrevoit à peine le visage, dont la lumière n’éclaire que le torse, très réceptif de la clarté, parce qu’il est presque uni, comme le sont les corps de jeunesse… » Pour les Français d’entre-deux guerres enfermés dans le petit, « ce premier torse nu (…) c’est la porte soudain ouverte sur un monde plus haut, qui leur arrive avec une ondée de gravité. » Le sport ennoblit l’humain parce qu’il révèle sa nature.

Les femmes aussi ; le sport leur rend l’égalité. Montherlant fut taxé de misogyne parce qu’il ne s’est jamais marié (quoique laissant probablement un fils, qui fut son exécuteur testamentaire), et parce qu’il a écrit Les jeunes filles (gros succès d’époque entre 1936 et 39) où il décrit la femme comme une entrave à la liberté de l’homme. Mais il évoque dans Les Olympiques les « vraies » femmes que sont les sportives, égales de l’homme : Mademoiselle de Plémeur, Le chant des jeunes filles à l’approche de la nuit, A une jeune fille victorieuse dans la course de mille mètres. Il les oppose à « Madame Peyrony », la mère du jeune footeux, matrone oisive et castratrice qui voudrait empêcher son oisillon de grandir pour le maintenir au nid et pour cela se moque, persifle, le rabaisse constamment (tandis que le père, pris par ses « affaires », s’en fout). Féministe malgré les critiques, Montherlant écrit en note de Mademoiselle de Plémeur, championne du 300 m : « L’homme cherche à rendre la femme ‘poupée’, voire franchement ridicule, pour garder l’avantage sur elle. La femme s’y prête par bêtise. » A l’inverse, le sport les révèle. Montherlant exalte la fille sportive, dans son poème A une jeune fille victorieuse dans la course de mille mètres, « Fleur de santé ! fraîche et chaude ! fine et forte ! douce et dure ! exacte et pas falsifiée et telle que sortie du ventre de Nature, égale à moi et plus peut-être, si j’en crois je ne sais quelle émotion. »

Le sport annule les différences, il rend « amis par la foulée », belle formule de l’athlétisme. « Quand nous avons accéléré, j’ai eu tant de plaisir que j’ai souri. La vitesse montait en eau comme de l’eau dans un conduit. Dans les virages inclinés, j’étais un peu appuyé sur lui. Ralentir avec la même décroissance a une douceur qui vous clôt les yeux. » La poésie sourd de l’émotion en quelques textes rares, car Montherlant ne réussit pas toujours ses poèmes. Il a cependant des trouvailles heureuses comme au foot, « un ailier est un enfant perdu ». Ou ce poème, Vesper, le plus beau du recueil peut-être. Il chante le vrai sportif, pas féru de performance mais vivant sa passion solitaire de mouvoir son corps et de jouer avec ses muscles. Comme une prière païenne à sa mère Nature.

« Il n’y a plus qu’un garçon, là-bas, qui lance le disque dans la nuit descendue.

La lune monte. Il est seul. Il est la seule chose claire sur le terrain.

Il est seul. Il fait pour lui seul sa musique pure et perdue,

son effort qui ne sert à rien, sa beauté qui mourra demain.

Il lance le disque vers le disque lunaire, comme pour un rite très ancien,

officiant de la Déesse Mère, enfant de chœur de l’étendue.

Seul – tellement seul – là-bas. Il fait sa prière pure et perdue. »

Henry de Montherlant, Les olympiques, Livre de poche 1965, 192 pages, occasion €7,50. Existe aussi en Folio et en collection « bande velpeau » Gallimard – tous d’occasion.

Henry de Montherlant, Romans tome 1, Gallimard Pléiade 1959, 1600 pages, €70,00

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Jeux d’été de Rolando Colla

Chronique à la suisse d’un début d’adolescence à l’italienne dans un été au camping. Nous sommes il y a treize ans à peine et c’est déjà un autre monde. Les enfants du film sont adultes, ils ont probablement voté Meloni dans le no future que fut leur jeunesse. Deux couples sur la sellette : l’un adulte, celui de Vincenzo (Antonio Merone), macho violent, et Adriana (Alessia Barela) qui n’arrive pas à s’en déprendre ; l’autre prime adolescent, celui de Nic (Armando Condolucci), le fils aîné de Vincenzo qui reproduit la violence et en souffre, et de Marie (Fiorella Campanella) en quête éperdue d’un père dont sa mère ne veut pas parler. Ils ont 30 ans, ils ont 12 ans, l’espace d’une génération et l’espoir de ne pas retomber dans les mêmes ornières…

Vincenzo est ignorant comme son père, il l’avoue, et travaille sur les chantiers, tandis qu’Adriana est caissière et vient d’obtenir une promotion. Le père aimerait qu’on le respecte parce qu’il est « le père » et « le mari », cela se fait en Italie, mais il ne mérite pas l’honneur qu’il réclame car il est jaloux et n’écoute pas, il frappe. Ses deux fils sont pris en étau entre elle et lui, la mère poussant l’aîné de 12 ans dans la compagnie de son père, cela se fait en Italie, gardant pour elle le petit dernier de 10 ans. Mais une fratrie ne se sépare pas et Nic protège Agostino (Marco D’Orazi), s’interposant lors d’une bagarre qui débute sur la plage ou mettant de la musique dans les oreilles du petit lors des disputes entre les parents. Mûri, il filme aussi avec son Nokia mobile une scène de violence partie de rien entre son père qui monte en colère jusqu’à battre sa femme qui ne voulait qu’emporter un pot de fleur pour sa mère.

Deux couples, deux générations, et le danger de la reproduction. Celle, physique, des bébés, mais surtout celle des comportements. Les disputes et les coups se terminent souvent en baise torride des adultes, là, tout de suite, sur les aiguilles de pin, car la mère ne peut se résoudre à se détacher de son mâle. Lorsque Nic rencontre Marie, c’est à l’occasion d’une dispute entre son petit frère et Lee (Francesco Huang), le copain de Marie et de sa cousine Patty (Chiara Scolari) qui aide son père chinois à l’épicerie-buvette du camping. Nic blesse Marie à la lèvre dans un mouvement violent, sans vraiment le vouloir. Il ne s’excuse pas mais en reste taraudé, jusqu’à revenir le jour suivant et se blesser devant elle à la lèvre pour « être quitte ». Où l’on sent que l’égalité entre homme et femme progresse…

Ils deviennent copains car chacun est en quête : Nic d’amour féminin enfin, Marie d’amour paternel qu’elle n’a jamais connu. Le terrain de camping en Maremme où ils passent une dizaine de jours est le lieu clos hors du temps où ces relations ont lieu et évoluent. Pourquoi ce secret de famille à propos du père de Marie ? La mère (Roberta Fossile), infantile et autoritaire parce qu’elle se sent obscurément coupable de quelque chose, cache et continue de cacher l’histoire du père, malgré les objurgations de sa sœur et celle de sa fille. Elle la juge « trop petite », mépris d’adulte pour l’enfant qu’il refuse de voir grandir. Pourquoi cette violence irrépressible de la part du père de Nic ? Par atavisme paternel, reproduction mimétique, absence de mots pour le dire qui fait parler les poings. Vaut-il mieux un père absent idéalisé ou un père présent détesté ? C’est probablement ce qui fascine Nic chez Marie, cet amour du père qu’il ne peut ressentir lui, malgré quelques moments de complicité « entre hommes » que Vincenzo tente avec lui.

Outre la plage, où faire des châteaux de sable n’est plus de leur âge, la petite bande investit un hangar abandonné dans un champ de maïs juste au-delà des dunes, pour en faire leur repaire. Nic attise leur curiosité en déclarant avoir vu, entre les interstices des planches, « un mort ». Il s’agit en fait d’un épouvantail gisant là, mais cette épouvante les soude. Sur proposition de Nic, ils jouent à la chasse à l’homme ; une fois attrapé sa victime, le chasseur peut « lui faire tout ce qu’il veux ». Marie s’empresse de tempérer ce jeu un brin sadique en lui ajoutant « un commissaire » pour arrêter le chasseur « s’il va trop loin ». Elle sent que Nic, sur l’exemple de son père, est constamment poussé à aller trop loin.

En bravache, mais aussi en victime, le garçon déclare ne rien ressentir sur son corps des tortures qu’on peut lui faire. Il suffit, dit-il, de « se croire un autre et de regarder sans ressentir ». Pas facile, mais effet d’une éducation reçue sous les coups et à observer donner les coups. Un masochisme de martyr qui fait contre mauvaise fortune bon cœur. Marie le teste en lui faisant couler sur le torse de la cire fondue sans qu’il ne batte un cil ; puis elle allume une cigarette mais se refuse à le brûler. C’est Nic qui force sa main à lui enfoncer le bout incandescent dans le bras pour en faire une plaie. Il se plantera aussi la pointe d’une paire de ciseau dans la cuisse ou se laissera étriller le dos au sable grossier. Ces tortures physiques sous le regard de Marie attisent son désir naissant pour elle. On peut se demander quel genre d’amour sado-masochiste pourra surgir de cette éducation sensuelle associée aux sévices. Nic pousse loin le bouchon, laissant Lee, qui a attrapé Marie dans les maïs, la forcer à danser sur une musique arabe, se caresser le corps avec les mains et se lécher les lèvres de sa langue, avant de déclarer : « je vais te baiser ». Ce n’est que sur les instances de Patty que Nic, « commissaire », se décide à arrêter le jeu ; il voulait voir si Matrie se laisserait faire ou si elle le préférerait.

Marie, plus mûre, est attachée à ce Nic viril mais vulnérable, mais elle repousse ses avances amoureuses tant qu’elle ne sait pas qui était son père. Par des menaces, une fugue, des disputes, elle obtient enfin de sa mère de savoir qu’il est mort d’un accident à 37 ans et qu’il est enterré au cimetière de Porto Santo, en face, dans la baie. Lee emprunte le bateau de pêche de son père pour emmener la bande au cimetière où Marie peut enfin voir la tombe et pleurer devant elle. Nic, prévenant et sensible à sa douleur, allume la bougie de son supplice pour le papa retrouvé et perdu. Car lui a perdu le sien en se rebellant tout récemment contre lui, qui voulait encore et toujours battre sa femme, malgré ses promesses et ses excuses à chaque fois.

Au retour, le petit couple reste dans une baie pour rentrer à pied au camping tandis que les autres ramènent le bateau. Nic et Marie jouent dans l’eau presque nus, s’embrassent timidement, puis retournent pour la fête de fin d’été du camping. Lorsque, au lieu des coups ou des caresses rudes au sable, Marie lui caresse la peau des épaules avec ses cheveux mouillés, Nic fond. Des larmes lui montent aux yeux. L’amour fait fondre la violence.

Les vacances se terminent, la parenthèse de la vie courante aussi, mais rien ne sera plus comme avant. Nic et Marie, à leur âge charnière, auront connu une grande tension mais aussi une catharsis. Ces jeux d’été leur auront permis de régler le problème avec leurs pères respectifs et avec le mystère de l’amour.

C’est assez bien vu et mis en scène, même si le début s’égare un peu. Si Marie reste constamment en maillot de bain deux pièces, montrant sa constance dans sa volonté de savoir, Nic reste vêtu adulte, tee-shirt et jean long, ne se mettant enfin en uniforme d’été, short et torse nu, qu’à la moitié du film, comme une libération d’un carcan paternel qu’il a enfin réussi à briser. Grâce au contre-exemple de Marie, sa moitié complémentaire.

DVD Jeux d’été (Giochi d’estate), Rolando Colla, 2011, avec Fiorella Campanella, Armando Condolucci, Alessia Barela, Antonio Merone, Roberta Fossile, Look Now! 2012, 1h41, occasion €37,99

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15 Rundale

Le bus nous mène au château baroque de Rundale, résidence d’été du duc de Courlande Ernst Johann Biron. Il est du 18e de style italien, érigé par l’architecte Francesco Rastrelli de 1736 à 1740 et restauré en 2014. Sa façade est peinte en jaune crème et l’intérieur est immense. Des putti en stuc sont collés au plafond par le sculpteur Johann Michael Graff et les murs sont peints par Francesco Martini et Carlo Zucchi. Au mur, des fleurs, des paysages, des portraits de Catherine II, de Paul son fils, de Pierre le Grand. Plus loin, un jeune David torse nu tenant la tête de Goliath sanguinolente. La chambre de la duchesse est chauffée par deux grands poêles en faïence engoncés dans le mur et alimentés par l’arrière. Mais c’est la salle de bal ou de réception qui est impressionnante, tout en parquet à chevron, plafond peint de scènes allégoriques, encadrements de fenêtre et bordures de plafond à l’or fin. Sur un pilier de marbre près de la fenêtre donnant sur le jardin, un soldat de Napoléon a laissé un graffiti. Dans la salle de jeu, un jeu de l’oie est en français.

L’aile ouest expose de l’art décoratif letton et européen « du style gothique à l’art nouveau ». Des meubles gothiques, empire ou art nouveau, de la porcelaine de Berlin de 1790

Un jardin baroque à la française et sa roseraie d’un hectare s’ouvrent derrière le château, mais nous n’aurons pas le temps de l’arpenter car le château ferme à 17 heures.

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2 Riga musée d’art national

Dès notre arrivée, nous prenons le bus pour le musée national des Beaux-arts de Lettonie, un bâtiment du XIXe siècle. Il présente surtout de la peinture locale, principalement du début du XXe siècle. Je vois de belles choses sur la nature, les hommes, les saisons, mais rien de mondial. Il s’agit d’une peinture traditionnelle et régionale, centré sur le pays. Guita, notre guide de la journée, est purement lettone de culture mais lituanienne de nationalité. Elle parle un français chantant un peu archaïque, très clair et plutôt précis. Elle vante la sensibilité à la nature des gens de son pays, capables de manifester contre la coupe des arbres plus que pour l’âge de la retraite. C’est une sensibilité « un peu païenne », dit-elle. Elle est issue de la culture des Vieux Prussiens avant les conquêtes teutoniques et polonaises des XIIe-XIVe siècle.

Un grand escalier s’ouvre pour accéder à l’étage. Ses vitres donnent sur le parc solitaire et glacé où trois ados en survêtement font du skate à grands raclements de planche. Ils ne sont pas très doués. Le hall du premier est orné de cartouches présentant les paysages du pays, dans le style Europe centrale de tradition.

Une belle femme de Johan Nepomuks Hibers en 1845 : elle est sereine en mauve pâle sur fond de vert. La nature, les bouleaux, les lacs gelés, la neige, sont chantés par Janis Roberts Tilbergs.

Les paysages de Mihaels Aleksandrs Mihelsons, peintre du plein 19ème, sont à la fois réalistes et romantisés. Julijs Feders, à la même époque, fait de même. Il présente la nature telle qu’il la voit et la célèbre en sa natureté.

Arturs Baumanis va jusqu’à en faire une Arcadie pour des humains au naturel, demi-nus, vivant en communauté sous l’égide d’un patriarche. Johans Walters fait se baigner des enfants nus en 1904. Janis Rozentals n’hésite pas, en 1901, à peindre des enfants jubilant, au printemps, le torse nu, le garçon de 12 ans comme la fille du même âge. Ils sont amis par la nature. Leur chair chante de joie au soleil renaissant ; ils sont le cosmos qui bouillonne, la sève qui monte, la vie qui s’élance.

Le même peintre expose une mère apaisée, tenant son bébé dans les bras en 1905.

J’aime aussi ce moulin pâteux, coloré, exacerbé, d’Uga Skulme en 1936. Une maison est au fond, un bois sur la gauche ; la forêt et le vent fournissent l’énergie aux hommes. Nikolajs Breikss, en 1936, chante la marqueterie des champs et des prés aux abord d’un village, la nature domptée, adaptée à l’humain par l’humain, havre de paix et de douce prospérité… qui va être bouleversé et ravagé par la guerre qui vient et qui est déjà prévisible en cette fin des années trente.

Le printemps de Vilhelms Purvitis n’en est que plus éclatant, explosant de pétales, la vie en fleurs en 1933 encore, le tragique du végétal exubérant.

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Egocratie galopante

L’égocratie est le pouvoir des egos, des personnalités tyranniques qui imposent leur emprise – par orgueil. C’est le cas de Trump le trompeur, de Poutine le boucher mafieux, de Xi Jinping l’apparatchik communiste nationaliste, d’Erdogan le national-islamiste – et le rêve affirmé d’un Mélenchon et d’un Zemmour, moins d’une Le Pen (tante ou nièce) plutôt tentée par un pétainisme de conservation.

Dans la lignée de Staline, Mao, Castro et des tyranneaux d’Europe de l’Est, Claude Lefort théorise l’égocratie, terme repris de Soljenitsyne, dans L’invention démocratique. (lien sponsorisé). C’est pour lui non pas une « démocratie » directe charismatique à la Max Weber mais une véritable tyrannie au sens d’Aristote. Selon ce philosophe, la tyrannie cumule les vices de l’oligarchie et ceux de la démocratie. Le tyran cherche à accumuler les richesses et opprime le peuple comme l’oligarchie ; il persécute les élites, comme la démocratie. Sa tyrannie est une oligarchie poussée à l’extrême, l’oligarchie étant déjà la tyrannie d’un petit groupe : le Parti en Chine, la mafia en Russie.

Le dictateur omniscient incarne à lui tout seul le Parti, le Peuple, le Pays, voire la Civilisation. C’est éminemment le cas de Poutine. Claude Lefort caractérise ce système de totalité par 1/ la destruction de l’espace public et sa fusion avec le pouvoir politique ; 2/ l’affirmation de la totalité lorsque toute organisation, association ou profession est subordonnée au projet totalitaire, lorsque la diversité des opinions, une des valeurs de la démocratie, et même les goûts personnels, sont abolis afin que tout le corps social tende vers un même but.

Une « simple » dictature subordonne la société à l’État – c’est le cas de Mussolini, de Pétain ou de Franco qui toléraient la concurrence de principes transcendants, comme la religion ou la morale. A l’inverse, une égocratie est une religion en soi, avec un dieu-vivant à la tête du pays. Ainsi Poutine définit-il « la » civilisation russe selon ses propres normes, qu’il va puiser dans les textes slavophiles du XIXe et dans le nationalisme du XXe. Tout Russe doit être d’accord sous peine de prison, de goulag, d’empoisonnement ou d’une rafale de balles. Même fermer sa gueule ne suffit pas : il faut manifester positivement son adhésion en soutenant le Génial dirigeant, en votant pour lui, en adulant ses actes. Sans vendre la mèche : ainsi un blogueur ultra-nationaliste et pro-Poutine qui vantait la guerre en Ukraine, a-t-il révélé par inadvertance le nombre de Russes tués à Avdiivka (plus de 16 000) – on l’a retrouvé « suicidé » deux jours plus tard, probablement de deux balles dans la nuque…

religion

Claude Lefort souligne combien le pouvoir de l’égocrate réside non dans sa capacité de charisme personnel, mais dans sa brutalité. L’emploi de la force la plus brutale sidère les indécis, effraie les opposants, et fascine les adhérents. La Boétie avait théorisé le mécanisme de la « servitude volontaire », les égocrates l’utilisent à fond. La brutalité est la manifestation des désirs les plus secrets, ceux que l’on n’ose pas ; on est reconnaissant à l’égocrate de dire et de faire ce que « tout le monde pense » sans vouloir le dire. Par exemple comme Trump vilipender le politiquement correct et rabaisser les féministes, comme Poutine affirmer son machisme torse nu dans la steppe, menacer ses ennemis, se vanter comme un gorille de la puissance de ses armes. Cela flatte l’orgueil des citoyens et, en Chine, des membres du Parti qui réélisent le Grand dirigeant Xi.

Pourtant, analyse Claude Lefort, jamais le totalitarisme égocrate ne parvient entièrement à ses fins. Les contradictions ne cessent de se faire jour pour inhiber le contrôle total – d’où les « purges pour corruption » en Chine, les assassinats en Russie : Politkovskaïa, Litvinenko, Nemtsov, Prigogine, Navalny…, la fuite des dissidents en exil. Car le Peuple-Un mythique, conduit par système à supposer l’existence d’un Ennemi permanent, « l’Autre maléfique » selon Lefort, qui ne cesse de « comploter » : pour Hitler les Juifs, pour Staline les bourgeois, les trotskistes et… les Juifs, pour Poutine la CIA, l’OTAN, l’ancienne société bourgeoise, les citadins opposés au « peuple » qui se convertissent aux idées démocratiques de l’Occident, voire « homosexualisée » à l’américaine (ce fantasme obsessionnel particulier à Poutine qu’il ferait bon d’analyser).

La violence contre ces « maladies » est légitime, ce pourquoi l’Ukraine, pays-frère et originaire de la Rus est attaquée comme inféodée aux « nazis ». La guerre est présentée comme une réaction normale, une fièvre, symptôme du combat du corps social contre la maladie, « l’opération spéciale » est un acte chirurgical pour amputer la société malade de ses éléments pro-européens et pro-OTAN, voire pro-pédophiles.

Pas de fin pour un tel régime, sinon l’élimination même de l’égocrate (on l’a vu avec Staline, Mao, Hitler), car le développement du système entraîne nécessairement contradictions et oppositions. La Russie de demain sera encore plus inégalement peuplée, socialement et ethniquement plus clivée, suscitant sans cesse dès aujourd’hui des tendances à combattre, des opposants à éradiquer, des provinces irrédentes à reconquérir (Crimée, Taiwan) – au contraire de la démocratie qui fait société de l’institutionnalisation des conflits, et où les intérêts divergents et les opinions contraires sont légitimes à s’exprimer et à s’affronter.

Au fond, contrairement aux présidents élus démocratiquement et librement qui sont des citoyens comme les autres, les égocrates se croient des dieux-vivants, des « rois » d’Ancien régime, oints de Dieu et son représentant sur la terre. Ils ne sont pas du peuple, mais au-dessus, ils font la loi, ils disent le vrai, ils incarnent le pays à eux tout seul (« la République, c’est moi » hurlait Mélenchon).

C’est cette ouverture du processus démocratique à l’indétermination, au nouveau, à l’inconnu, qui fait peur au totalitarisme. Lui veut figer le Peuple et le Pays dans un âge d’or mythique, une « civilisation » immémoriale qu’il faut défendre contre tous, car tous sont ennemis : il fallait hier défendre le peuple Aryen pour Hitler, aujourd’hui la Chine millénaire pour Xi, la Turquie islamique pour Erdogan, la troisième Rome pour Poutine.

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La vie est une danse, dit Nietzsche

Dans ce chapitre-poème, Zarathoustra s’enivre de la vie. « Je viens de regarder dans tes yeux ô vie  : j’ai vu scintiller de l’or dans ton œil nocturne – cette volupté a suspendu les battements de mon cœur ». La vie agite sa crécelle et déjà les pieds de Zarathoustra dansent. Cette métaphore dit bien comment les instincts sont plus forts que l’esprit, combien le corps mène la danse. La vie tressaille en chacun et tout l’être se met en branle. « Mes talons se cambraient, mes orteils écoutaient pour te comprendre  : le danseur ne porte-t-il pas son oreille dans ses orteils ! »

La vie est une femme : « lieuse, enveloppeuse, séductrice, chercheuse qui trouve ». Que trouve-t-elle ? Mais sa perpétuation, bien-sûr ! Sa « froideur allume » – sentez combien le désir sexuel est stimulé par le froid vif, d’où ces ados qui se défient torse nu dans la neige ; sa « haine séduit » – d’où la proximité de l’amour et de la haine jusque dans les couples qui se tuent à cause d’aimer ; sa « fuite attache » – qui s’écarte de la vie y revient de suite, par peur de la non-vie qu’est la mort. La vie a des «yeux d’enfant », est « enfant prodige et coquine » comme un petit – innocente et emplie de désir comme l’enfant au naturel, avant le carcan disciplinaire de la civilisation, et plus de la morale puritaine bourgeoise, et pire de la moraline des Commandements de la religion castratrice car jalouse de son pouvoir.

La vie est une fuite en avant, un jeu de gosses, une chasse d’adulte. Elle égare, elle montre ses « petites dents blanches » de fauve cruel, des « yeux méchants » de l’appel à la force, une « petite crinière bouclée » de fauve ou de chatte. Volupté et cruauté, telle est la vie, désirable et impitoyable. Elle est sorcière et serpent – comme dans la Bible – elle égare et se faufile. Les « sentiers de l’amour » sont un rêve de bonheur apaisé et une illusion car la vie ne fait jamais de cadeau et le bonheur est fugace. Mieux vaut la joie, qui n’est pas un état mais un éclat – même si « toute joie veut l’éternité, – veut la profonde éternité ! »

Comme la vie est femelle, le mâle doit se munir d’un fouet. « Tu dois danser et crier au rythme de mon fouet ! », s’exclame Zarathoustra qui en a assez d’être la de la suivre sans jamais le rattraper. Dès lors qu’on veut la dompter, la vie se fait aimable, au sens propre de prête à être aimée. « C’est par-delà le bien et le mal que nous avons trouvé notre île et notre verte prairie – seuls à nous deux ! C’est pourquoi il faut que nous nous aimions l’un l’autre ! » Ainsi parlait la vie à Zarathoustra. « Et ne sais-tu pas que je t’aime, que je t’aime souvent de trop : la raison en est que je suis jalouse de ta sagesse. »

« Le monde est profond.

Et plus profond que ne pensait le jour.

Profond est son mal.

La joie est plus profonde que l’affliction.

La douleur dit : passe et périt.

Mais toute joie veut l’éternité,

– veut la profonde éternité ! »

Le poème est la danse de la langue, l’expression en mots de la vie. Le mal-être est profond en l’humain mais la joie doit submerger l’affliction car la joie est la vie, l’exaltation de l’être (« l’homme est le berger de l’être », dira Heidegger), la source et l’explosion de la vie, sa jouissance. Ainsi est-elle éternelle, comme la vie même.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

(liens sponsorisés Amazon partenaire) :

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

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Le Caveau de la terreur de Roy Ward Baker

L’horreur des années 70 : être enfermé avec des inconnus dans une pièce, où chacun est sommé de raconter le pire de son inconscient. Dans un grand immeuble à multiples étages, cinq hommes montent successivement dans l’ascenseur, au fil des arrêts vers le rez-de-chaussée. Mais la machine n’en fait qu’à sa tête, elle n’obéit pas aux injonctions et ne stoppe qu’au sous-sol. Là, les portes s’ouvrent comme un rideau de théâtre… et dévoilent une pièce ronde avec une table centrale et cinq sièges judicieusement disposés autour. Des boissons alcoolisées attendent les convives, tous mâles bien entendu. Impossible de sortir, il n’y a qu’une seule issue : l’ascenseur qui s’est refermé. Aucun bouton ne permet de l’appeler.

Le club des cinq se résigne alors à s’asseoir, à attendre et à deviser. Sur une idée de l’un d’eux, due à l’atmosphère oppressante du lieu, chacun doit raconter son rêve le plus fort, son cauchemar récurrent. Ce sont donc cinq histoires « de la crypte » qui sont successivement livrées à l’attention du spectateur.

Le Repas de minuit met en scène l’un des cinq qui rêve de rechercher sa sœur (alors qu’il n’a pas de sœur) via un détective très privé, qu’il tue une fois la mission accomplie. Il récupère l’argent et se rend au domicile de la jeune femme, dans un quartier mystérieux où, lorsque la nuit tombe, chacun se calfeutre chez soi. Les monstres vont apparaître, ainsi qu’il est prédit. Le narrateur ne peut dîner au restaurant car celui-ci ferme à la nuit tombée, à 19h30. Il va donc sonner à la porte de sa sœur, une rousse au visage étrange qui lui ouvre, le reconnaît, le fait entrer. Mais pourquoi voulait-il la voir ? Parce que leur père est mort et qu’il l’a désigné elle comme unique héritière (pas de part réservée en droit anglais, chacun fait ce qu’il veut de sa fortune). Tandis qu’elle lit le papier, il la poignarde par trois fois, comme trois reniements de Pierre envers le Christ. Lorsqu’il ressort de la maison, le restaurant est à nouveau ouvert et il s’y rend pour dîner. Mais le maître d’hôtel, qui n’est plus le même, lui sert un cocktail de mauvais goût, une soupe au sang et lui demande comment il se veut rôti. Le meurtrier s’aperçoit alors dans le miroir qu’il est seul dans la salle et que tous les autres sont des fantômes. Ou plutôt des vampires, et que le rôti, c’est lui. Sa sœur, désormais décédée, entre alors et entreprend de le pomper… à la veine jugulaire.

Le métier de faire le nid montre comment le narrateur, fortune faite en son âge mûr, désire une épouse pour s’occuper de lui. Il se marie avec la fille d’un ami, une Eleanor vieillissante qui n’a pas trouvé chaussure à son pied. Mais il est maniaque et veut que tout soit comme avant, les choses à leur place et une place pour chaque chose. La femme est une intruse qui bouleverse sans le savoir, et sans le vouloir, ses chères habitudes. Mais elle veut bien, trop bien faire. Un soir qu’il doit rentrer à 18h – tapantes – elle entreprend de ranger l’infime désordre qu’elle a mis dans la maison durant la journée où elle s’ennuie. Mais chaque acte de ménage engendre sa catastrophe : bidon de nettoyage renversé, tableau qui se décroche, clou impossible à trouver, marteau qui emporte son portant… Le mari rentré en devient fou, et elle folle. Avec le marteau encore en main, elle lui en flanque un bon coup sur la tronche.

Ce truc va vous tuer présente Sebastian en magicien en vacances aux Indes avec sa femme. Il cherche un nouveau truc pour relancer son spectacle et est prêt à tout pour l’avoir. Avisant un gourou qui transperce un panier empli d’un jeune garçon, le sabre remontant ensanglanté, il montre que le panier est ouvert sur le fond et que le garçon s’est planqué avant de ressortir frais comme une rose ; de même le sabre qui traverse la mâchoire est truqué. Mais l’assistante du gourou veut lui donner une leçon. Elle effectue le lendemain, seule, le tour de la corde indienne, une corde qui sort verticalement d’un vase en osier et ondule comme un serpent sous la son de la flûte, avant de s’élever rigide, au point qu’on peut y grimper. Sebastian cherche le truc, ne le découvre pas : voilà ce qu’il voulait. Il convoite alors de l’acheter, mais la grosse somme n’y fait rien, c’est non. Le lendemain, il joue alors l’époux prévenant qui veut distraire sa moitié souffrante dans la chambre de leur hôtel. Il invite la fille à faire une démonstration devant elle, ce qu’elle réussit à merveille. Puis il la tue d’un coup de poignard dans le dos. Il possède enfin les accessoires, le truc de fou, joue de la flûte et, malgré sa maladresse, fait s’ériger la corde. Mais celle-ci ne l’entend pas de la bonne oreille et elle prend vie autonome, fouettant le tueur et va jusqu’à l’étrangler et le pendre.

Unis dans la mort dévoile une belle escroquerie à l’assurance-vie. Maitland veut se faire passer pour mort à l’aide d’un poison qui ralentit le cœur jusqu’à ce qu’il ne soit plus perceptible. Son copain Alex est chargé d’aller déterrer son pseudo-cadavre, une fois le cercueil dans la fosse. Mais l’air manque et Maitland trouve le temps long. Dans son logis, deux étudiants en médecine désirent un cadavre frais pour réviser leur anatomie et se rendent au cimetière, où ils soudoient le fossoyeur pour déterrer le plus récent. Pendant ce temps, Alex passe en voiture, désirant garder le magot pour lui seul et laisser crever Maitland dans sa bonbonnière en sous-sol. Lorsque le cercueil est ouvert, le cadavre espéré se dresse d’un coup en aspirant l’air, ce qui effraie les deux apprentis médecins et les fait fuir hors du cimetière. Ils croisent la voiture qui fonce en sens inverse et qui, voulant les éviter, va percuter un arbre. Exit Alex. Lorsque les deux reviennent voir le cadavre, le fossoyeur l’a arrangé d’un bon coup de pelle afin qu’il ne bouge plus… Exit Maintland.

Dessin fatal raconte le rêve du dernier des cinq. Il est peintre et se voit à Haïti, sous les tropiques, en train de s’essayer aux portraits tandis que son œuvre est mal considérée à Londres où les marchands de tableaux lui disent que ce sont des croûtes et où un critique d’art réputé l’assassine. Un ami de passage lui apprend que l’une de ses peintures s’est quand même très bien vendue récemment aux enchères et le peintre se dit qu’il a été roulé. C’est le jeu des marchands, lui dit-on, mais il veut se venger. Il va pour cela voir un jeune prêtre vaudou, torse nu dans sa case, orné de colliers de coquillages. Le jeune homme lui dit que, s’il veut un sort, il doit tremper sa main dans l’eau bouillante de la marmite, elle en ressortira chargée de magie. Le peintre hésite, sa main est son outil de travail, mais à quoi bon si ses œuvres ne sont pas reconnues à leur juste valeur ? Il la plonge donc dans l’eau qui bout et la ressort un peu grasse de ce qui mijote, mais intacte. Désormais, tout ce qu’il va dessiner ou peindre sera lié à lui : s’il dessine un trait, le trait sera reproduit sur l’objet où l’être vivant, via un événement réel imprévu. Rentré à Londres, il va se confronter à ses escrocs et leur annonce sa vengeance. Il peint un portrait de chacun d’eux et, pour le critique qui n’a pas vu la valeur de son œuvre, lui crève les yeux ; pour l’un des marchands, il lui coupe les mains ; pour le dernier, il va le voir une dernière fois pour dessiner sous ses yeux un point rouge sur le front. Chacun va subir le sort assigné : le critique sera rendu aveugle par sa maîtresse qu’il quitte sans élégance et qui lui balance du vitriol à la figure ; le second aura ses mains coupées par le massicot qu’il manie pour donner l’exemple à son apprenti qu’il humilie ; quant au dernier, il brandit un revolver face au peintre mais la magie l’oblige à se le retourner entre les deux yeux. Le peintre ridiculisé est vengé. Sauf qu’il a peint un portrait de lui avant que ses mains soient chargées et qu’il ne peut le détruire sans se détruire lui-même. Il l’a donc enfermé dans un coffre-fort, mais l’air vient à manquer ; il doit le ressortir et y parvient in extremis. Mais il s’aperçoit qu’il a oublié sa montre dans le bureau du marchand suicidé et s’y précipite. Las ! Un peintre (en bâtiment) qui œuvre au-dessus de son atelier fait tomber accidentellement un bidon de dissolvant sur le portrait laissé à l’air libre et le visage se décompose – tout comme celui du peintre qui est renversé brutalement par un camion.

Chacun a raconté son histoire, celle de leur inconscient profond. La porte de la pièce où ils sont enfermés s’ouvre, mais sur un cimetière. Les hommes sortent un à un et disparaissent. Le dernier, Sebastian, donne la leçon de tout cela : ils se sont tous damnés et doivent revivre pour l’éternité leurs méfaits en racontant sans cesse leur histoire.

C’est d’un fantastique étrange, plutôt sophistiqué, tout à fait dans les explorations esthétiques des années post-68 à Londres. Les histoires vont crescendo dans le bizarre et captivent. Un bon spectacle, servi par un coffret cher, mais réédité en remastérisé et haute définition, qui comprend un livret écrit et un second DVD de suppléments.

DVD Le Caveau de la terreur – les contes de la crypte (The Vault of Horror), Roy Ward Baker, 1973, avec ‎ Dawn Addams, Tom Baker, Michael Craig, Denholm Elliott, Curd Jürgens, 1h26, ESC nouveau master haute définition, Blu-ray €40,98

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Colette, Journal à rebours

Comme toujours, il s’agit de « la croûte » (Colette dixit). En 1940 la débâcle, l’éditeur juif fermé, Paris rationné. Il faut écrire pour manger, d’où cette parution fourre-tout, recueil d’articles déjà publiés dans les journaux et revues de 1935 à 1940. Colette les toilette, les rend présentables à la littérature, mais il y a peu de neuf, surtout des choses vues et des reportages remaniés.

Le terme même de « journal à rebours » est un mensonge : le livre n’a rien d’un journal, et l’ordre des textes n’est pas chronologique. Il y a au contraire de tout dans ce recueil.

Huit textes écrits durant l’Exode, fin juin 40 ouvrent le livre, mais la guerre reste lointaine, abstraite, sans informations. Comme si les généraux stupides et le gouvernement inepte n’étaient pour rien dans la débâcle ; comme si l’événement n’était vécu qu’à la terre, à ras de terre, seulement au présent atterrant. On parle des hirondelles, d’un « poète » de 13 ans paysan qui aime la solitude, des ruines, de la fièvre, des Parisiens qui ont faim… de livres – absents des campagnes (arriérées).

Oum-el-Hassem chronique un procès de putain au Maroc en novembre 1938 pour Paris-Soir. La maquerelle dans la quarantaine a tué une pensionnaire et affamé quatre autres, dont un adolescent de 13 ans. C’est qu’elle a été élevée à la dure et ne voit pas pourquoi quelques coups et un peu de jeûne ne serviraient pas à la discipline de ses putes. Elle a toujours aimé les militaires – donc français – et croit ainsi mériter. Le procès, dans les règles, dit tout de ce décalage horreurs.

La suite est disparate, un texte sur l’automne, saison préférée ; un salon en 1900, une comparaison avec sa mère Sido, la chaufferette, le cœur des bêtes, le petit chat retrouvé (par sa mère chatte toute fière), les papillons collectionnés par les grands frères, un hymne au « plein air » des clochards de Paris.

Enfin la Provence, six textes parus dans le Journal en 1935, recyclés en conclusion du recueil. De jolis textes d’ailleurs, améliorés par la publication en « œuvre ». L’auteur dit le mistral et le froid d’hiver en Provence – contrairement au mythe. Elle dit les nuits de lune et les « petits passants » touristes l’été, « les fillettes qui, d’un ruban froncé au milieu, noué dans le dos, se font un corsage, et leurs compagnons demi-nus » p.195 Pléiade. Gageons qu’il faut lire les jeunes filles et un foulard assez large pour cacher les seins, la chemise bien ouverte pour les garçons et pas le torse nu – car la sensuelle Colette aime à jouer de l’ambiguïté pour émoustiller ses lecteurs. Elle dit aussi les campeurs : un Anglais, un jeune couple, des boy-scouts – « une poignée de garçonnets guidés par deux chefs adolescents » p.197 – la relève du matin qu’appelle Pétain en 40. Et deux vendeurs d’huile d’olive en camion, la débrouille. Au fond toute la jeunesse bien vivante. Et puis le commerce des marchés colorés, la couleuvre qui veut obstinément remonter sur la table, la tchatche, les plaisirs.

La vie qui va et continue, malgré la guerre, la défaite, l’Occupation – la résignation pour des années.

Colette, Journal à rebours, 1941, Fayard 2004, 198 pages €16,00 e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

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Tim Powers, Sur des mers plus ignorées…

Malgré une traduction en français un peu bizarre, ce livre de Fantaisie (plus que de Science-fiction) est un roman d’aventures qui se lit agréablement. Il ne laisse pas un grand souvenir tant les personnages sont convenus et l’histoire tordue par une « magie » un peu abracadabrantesque. Pour adolescent ou adulte attardé qui lit encore, mais régulièrement réédité.

John Chandagnac est un jeune homme dans sa vingtaine qui, en six mois, va accomplir son initiation d’adulte à la fin du XVIIe siècle. Son père marionnettiste étant mort, le garçon s’est embarqué pour les Caraïbes afin de rejoindre la plantation dont il a hérité. Mais son oncle l’occupe et cela le préoccupe. Attaqué par des pirates, il perd sa commandite et ses marchandises mais blesse d’une feinte à l’épée, apprise en tirant les marionnettes, un pirate qui voulait lui faire la peau. On lui laisse dès lors le choix : être tué ou rejoindre la bande.

Un choix évident : il devient pirate des Caraïbes. D’autant qu’il est tombé amoureux de Beth, une jeune fille de son âge sous l’emprise de son père sorcier, veuf qui trimbale la tête de sa femme dans un coffre à sa ceinture et qui a livré volontairement le navire aux pirates en échange d’une herbe antimagie. Son grand dessein est d’utiliser Beth comme médium pour faire revivre sa femme, vouant sa fille a rester une âme en peine, sans corps où s’incarner. John ne l’entend pas de cette oreille et va tout faire pour vaincre la magie, être gracié, conquérir Beth et se marier avec elle.

Ce qui n’ira pas sans mal. Le livre qui commence comme une belle aventure sous les tropiques, viandes boucanées, navigations à voiles, feux de camp et torse nu, devient vite un cauchemar. Il s’agit de joindre une fontaine de jouvence sise au-delà des marais putrides et défendue par une horde de goules, fantômes et autres morts-vivants. Barbe Noire, le fameux pirate, y est ressuscité, usant de magie depuis son enfance avec les nèg’ marrons des collines de la Jamaïque. Le vaudou actionne des loas via les bocors… Des morts-vivants accomplissent en esclaves ce que leur maître sorcier leur ordonne. Toute une initiation aux mystères.

John se fait accepter par une fausse trahison qui sauve le capitaine du bateau pirate, par un spectacle de marionnettes monté de bouts de toiles et de ficelles, puis par son art de la cuisine. Il deviendra capitaine lorsque l’autre passera de vie à trépas lors d’un abordage.

Ici, la magie sert à tout, mais il est dit qu’elle perd de son pouvoir devant le fer froid. La société moderne faisant de plus en plus usage de fer par les armes, les marmites, les compas, les outils, la magie disparaît peu à peu. John et Beth vivront sans doute dans un monde où elle se sera dissipée.

Tim Powers, Sur des mers plus ignorées(On Stranger Tides), 1988, Bragelonne 2011, 336 pages, €20,00 e-book Kindle €13,99 – on peut le trouver aussi en J’ai lu d’occasion, publié en 1988 et 1994.

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Giacometti et Ravenne, Conjuration Casanova

Les auteurs sont écrivains et mettent en commun leurs connaissances pour écrire des thrillers. Le premier a été journaliste d’investigation économique et a enquêté sur la franc-maçonnerie à la fin des années 1990. le second est franc-maçon et étudie les manuscrits. Ils veulent tous deux nettoyer l’obédience des rites folkloriques et des fantasmes complotistes sur le sujet. Ce pourquoi les amis d’adolescence poursuivent depuis 2005 une série qui met en scène un commissaire franc-maçon, Antoine Marcas.

Le ministre de la Culture découvre au matin dans son lit sa maîtresse morte. Aucune plaie apparente, lui ne se souvient de rien. En fait, elle est morte d’extase, de sexe un firmament. Il l’aimait d’amour fou, de son corps, de son cœur, de son âme, et il en devient fou. Il est interné dans une clinique privée de la région parisienne où sont mis au vert les politiciens surmenés. Le commissaire Marcas est chargé de l’enquête car il ne faut pas faire de vague. Le ministre est en effet franc-maçon.

Dans le même temps, une jeune femme près de Cefalu en Sicile réchappe d’un bûcher allumé par leur gourou de la Magia Erotica tirée des œuvres écrites et de chair de Giacomo Casanova. Anaïs avait suivi ce beau-parleur riche au goût exquis, qui savait parler de l’amour comme un accomplissement. Mais pour aller au bout de la chair, une fois les êtres appariés, il était nécessaires de les unir dans l’éternité de la mort, donc de les brûler tout vifs. La jeune femme en a réchappé par miracle, mais pour combien de temps ? Car le Maître ne lâche jamais sa proie, il lui faut accomplir le grand œuvre. En attendant, elle est séduite par le jeune Sicilien qui parle français, dont elle voit le torse nu svelte et musclé dans la vigueur de ses 18 ans lorsqu’il change de chemise, et elle s’offre à lui sur le capot de sa Fiat alors qu’il la conduit à l’aéroport de Palerme pour fuir la Sicile. C’est chaud, comme l’amour et le feu.

Il a pour cela acquis un manuscrit rarissime de Casanova, qui vient de passer en vente à Paris pour une somme astronomique. Mais il veut rester discret, donc anonyme. Pourquoi ? Que recèle de si sulfureux ce manuscrit rédigé à la fin de sa vie par le grand séducteur vénitien, après ses Mémoires ?

Bien construit et haletant, avec le sexe en prime alléchante, c’est un bon thriller qui n’a rien perdu de son mordant avec les années.

Eric Giacometti et Jacques Ravenne, Conjuration Casanova, 2006, Pocket 2011, 447 pages, €18,60 e-book Kindle €9,99

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