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Croissance ou épanouissement ?

Le bien-être est mesuré par les États en termes de niveau de vie ; celui-ci est réduit au Produit intérieur brut (PIB) par habitant. Ce PIB est un agrégat comptable qui représente la production finale des unités résidentes dans un pays. On le décrit comme la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs et branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions. Il ne considère autrement dit qu’une partie de la valeur créée par l’activité économique, y compris les activités négatives comme les accidents, et les valeurs productives douteuses comme la publicité – mais absolument pas certaines activités positives non marchandes, comme l’activité artistique, les productions bénévoles (par exemple les blogs), ou le travail non externalisé au sein de la famille (aide aux devoirs, jardinage, lessive, bricolage…).

C’est commode, calculable, et sert à prélever des impôts et à répartir des subventions – mais le PIB ne mesure en rien la qualité de vie. Car qu’est-ce qu’être heureux ? C’est être matériellement à l’aise, certes, manger à sa faim, être protégé des aléas de la vie par les services publics (police, justice, armée, éducation, santé) et volontairement en plus par les assurances privées volontaires, se loger sans se ruiner, se vêtir et sortir correctement.

Mais c’est le terme « correctement » qui pose problème : il n’est pas mesurable car toujours subjectif. Si l’on raisonne en moyenne, le « niveau de vie » (PIB par habitant) ne donne qu’une chimère : tout dépend des écarts de revenus réels et de patrimoines ; si l’on raisonne en « panier de la ménagère » en ajoutant quelques services, on reste dans l’administration anonyme des choses sans considérer les gens ; si l’on prend le « revenu par foyer » (adoré par Bercy), l’évaluation est plus juste mais ne tient compte ni du patrimoine, ni du parcours éducatif, ni du réseau social. ce sont pourtant ces capitalisations financière, culturelle et sociale qui sont bien utiles pour trouver une bonne place dans la société !

sucer torse nu

Considérer alors « la croissance » comme l’augmentation du PIB est un mensonge réducteur, bien dans l’esprit positiviste gavé par l’éducation « nationale » qui ne croit qu’au calculable et qui formate des technocrates sans âme.

Le Japon a le 3ème PIB au monde, mais aussi le 4ème taux de suicides…La Chine le 2ème PIB (en parités de pouvoir d’achat) mais le 7ème rang pour les suicides. La France semble mieux lotie : 5ème pour le PIB mais seulement 18ème pour le taux de suicides ; la Suisse est encore mieux équilibrée (et il y a pourtant nettement moins de prélèvements sociaux qu’en France !). Est-ce parce que si le pessimisme français est très haut, l’optimisme familial aussi ? On aime bien les enfants, en France, on en fait plus qu’ailleurs et – non ! – ce ne sont pas seulement des rejetons d’immigrés outre-méditerranéens.

Plutôt que la croissance, peut-être faudrait-il considérer l’épanouissement ? Il ne s’agirait plus de remplir le tonneau des danaïdes des désirs mimétiques toujours insatisfaits (« toujours plus », avoir « mieux que le voisin », rivaliser avec le beauf), mais de mesurer le bien-être personnel et l’attention apportée aux autres. Ce qui voudrait dire ajouter des critères de bonne santé, de travaux domestiques et bénévoles, de liens sociaux et d’activités, de bonheur au travail. On ne produirait alors plus pour produire – mais pour des besoins et des gens. La nature ne serait plus pillée ni les bêtes exploitées, mais considérées en harmonie dans l’ensemble du vivant.

Ce sont ces idées généreuses et intéressantes qui tourmentent la pensée américaine ces derniers temps, comme le montrent John Erenfeld et Andrew Hoffman. Mais que sont-elles, ces idées, sinon l’éternelle resucée du stoïcisme et du bouddhisme ? Pourquoi chercher à inventer ce qui existait dans le passé ? Tout est dans tout car la raison humaine commande les sens de chaque individu et est une partie de l’esprit universel – qui permet de distinguer s’il y a accord entre la nature de l’homme et celle de l’univers.

Vivre selon la raison signifie vivre selon le bon sens, sans excès ni démesure : pas de désirs sans limites comme procréer à 60 ans ou être rajeuni à grands frais à 90, pas de grosses bagnoles qui vont très vite alors que la vitesse est collectivement limitée pour le bien de tous, pas de pub incitant la machine désirante du tout, tout de suite et tant pis pour les autres. Le sage bouddhiste qui a trouvé l’illumination est saisi de compassion pour les êtres : il aide ses semblables à trouver la voie de l’extinction des désirs sans limites qui tourmentent, il aime les enfants et les guide pour s’épanouir, il ne mange pas une bête sans nécessité, il respecte les plantes (ceux qui ont « la main verte » comprendront).

Table avec tomates

Nous avions l’humanisme, Rabelais disait même que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais l’humanisme a fait naufrage avec le positivisme technocrate d’État (droite et gauche confondues). La transformation du libéralisme en doctrine à faire de l’argent et du marxisme en exploitation forcenée de l’homme et de la nature par une clique restreinte au pouvoir ont dévoyé un peu plus l’héritage ancestral. Droite inepte, socialistes intolérants, profs syndicalistes et écolos arrivistes n’ont en rien amélioré l’espèce – toujours dans la haine et l’excès, les mauvaises notes et le mépris de l’autre. Camus l’avait bien vu !

La croissance était certes indispensable pour acquérir un niveau économique suffisant durant les années de reconstruction d’après-guerre ; mais puisque le monde est fini et que nous n’y sommes pas seuls ni les plus forts, le temps est venu de quitter le tout-production pour considérer le bien-être. Retrouver la « vie bonne » des philosophes antiques repris par Montaigne.

Hélas, stoïcisme, bouddhisme, Montaigne ? Cékiça ? On ne les apprend plus à l’école et les médias ne font pas de shows dessus ; les histrions surpayés qui tiennent les antennes seraient même capables de les confondre avec masochisme, boudin et montagne. Seul ce qui vient d’Amérique est valorisé : alors écoutons l’Amérique puisque nous ne savons plus penser utilement pour la société aujourd’hui !

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Anatole France, L’anneau d’améthyste

Où le lecteur retrouve ce bon Monsieur Bergeret, professeur de littérature latine dans une université de province, qui vient de se séparer de sa femme, d’adopter un chien, et qui commente avec un humanisme républicain l’Affaire en cours. Anatole France plonge cette fois-ci dans l’histoire de son temps, très fin de siècle, tout entière accaparée par le jugement pour trahison du capitaine Dreyfus en 1894.

L’antisémitisme se déchaîne à la fois contre le Prussien aidé par un apatride, et contre le Juif volontiers républicain et hostile à la religion catholique. La France se cherche, blessée par la défaite de Sedan sous Napoléon le petit ; elle se croit le phare universel du monde, sans voir qu’elle n’a de puissance que celle qu’elle se forge, notamment en économie. Or le rêve de toute fille à marier est d’épouser « un propriétaire, un rentier ou un fonctionnaire » – toutes professions de statut qui produisent peu mais vivent en parasites sur l’État et la société, comme sous l’Ancien régime.

L’antisémitisme est le bouc émissaire idéal qui permet d’attaquer le financier, le libre-échangiste, le rationnel libre-penseur et le républicain – tous ces industrieux optimistes aimant le progrès. Même si le Dieu des chrétiens est juif, Jéhovah comme Jésus et Saint-Esprit. La Contre-révolution veut effacer 1789 pour retrouver la société organique des ordres voulus par Dieu, dans un immobilisme national (qui n’a pas disparu en 2013) : une foi, un roi, une loi. Anatole France est le deuxième sur la pétition des intellectuels après Émile Zola pour la révision du procès Dreyfus. Ses romans contemporains ne peuvent qu’y faire allusion.

Monsieur Bergeret est bien seul dans sa petite ville, rares sont ceux qui pensent comme lui que l’armée n’a pas forcément raison, ni que l’église catholique doive édicter ce qu’il convient de penser. Que sept ou même quatorze officiers en conseil de guerre puissent se tromper plus qu’un seul, Bergeret et Anatole France en sont convaincus. L’esprit de corps, la révérence hiérarchique et la peur de ne pas dire comme tout le monde poussent à un unanimisme fusionnel propice à toutes les erreurs judiciaires. Que vaut « la vérité » contre la raison d’État ? Eh bien tout, répond France avec esprit de libre examen ; surtout rien, rétorque la foule moutonnière avec esprit d’autorité.

Si la discipline fait la force des armées, elle fait aussi sa bêtise : il suffit qu’elle soit mal commandée, comme à Sedan, mal guidée par les politiciens, comme Napoléon III. La suite verra que rien ne change, en 1914, en 1940, sous la IVème République… Un bel outil entre des mains débiles ne fournira que de mauvais services.

Anatole France démontre la progressive inculture intellectuelle par le duc de Brécé : la déchéance de sa bibliothèque, commencée au XVIIème siècle par les grands classiques et censurée par l’actuel duc devenu prude bourgeois.

Il montre aussi la progressive influence de l’argent par les parvenus Bonmont – nés Wallstein – qui ont racheté l’antique château de Montil pour y entreposer une collection d’armes et de tableaux cosmopolites pour se créer un statut.

C’est à ces deux puissances que s’oppose le républicain cultivé Bergeret, nommé professeur à la Sorbonne à la fin du roman. Méritocratie républicaine contre le fait de naître ou la fortune spéculative : voilà Anatole France.

Antimilitariste, anticlérical, antiprivilèges – et volontiers socialiste-libéral à la Jaurès – Anatole France distille sa critique acerbe de la société de son temps dans une langue française limpide et précise. C’est un bonheur de le lire. L’histoire commencée avec L’orme du mail et poursuivie avec Le mannequin d’osier, va de l’avant avec la victoire de l’abbé Guitrel par les femmes : il obtient sa titulature d’évêque de Tourcoing du ministre et du nonce, après les multiples intrigues et coucheries des grandes bourgeoises de son milieu. L’une d’elle, juive convertie et mariée à un baron d’empire (le summum de la parvenue pour le temps), veut lui offrir une bague sertie d’améthyste (d’où le titre du roman)… mais l’oublie dans la garçonnière de son amant militaire.

amour couple printemps

Ce n’est pas le seul trait d’ironie du livre. Contre les croyances imbéciles, Anatole France évoque cette jeune Honorine « de 13 ou 14 ans » qui a « des visions de la Vierge » dans la chapelle – mais qui n’oublie pas d’aller retrouver dans la forêt Isidore « de deux ans plus jeune » : « ils se réconcilièrent. Et, comme ils n’avaient rien, ils s’amusèrent sur eux-mêmes et prirent leur plaisir l’un de l’autre. (…) Isidore (…) avait une longue habitude des choses de l’amour » p.27. C’est mignon, et berne par la nature les bons bourgeois idéalistes.

En ces temps de renouveau de la haine et de la guerre civile idéologique, il est bon de relire cet Anatole France.

Anatole France, L’anneau d’améthyste – Histoire contemporaine III, 1899, Œuvres tome 3, édition Marie-Claire Bancquart, Gallimard Pléiade 1991, 1527 pages, €61.75

Format Kindle, 434 pages, €0.89

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Anatole France, Le crime de Sylvestre Bonnard

anatole france le crime de sylvestre bonnard

Lorsqu’il publie ce roman, il se positionne contre le naturalisme à la Zola. Anatole France réhabilite le spontané et le merveilleux, le conte à la Dickens, auteur qu’il admirait fort. Nous le lisons aujourd’hui avec plaisir, l’histoire nous touche, le vieux bonhomme érudit et généreux reste un ami. N’est-ce pas lui qui fit livrer un bol de bouillon et une bûche pour le feu à la femme du grenier, pauvresse qui allait avoir un enfant ? Ce beau bébé aimé, devenu garçonnet, allait un jour lui livrer, entouré de violettes, le manuscrit qu’il convoitait pour ses chères études. La mère, devenue riche et noble par mariage, lui a rendu ses bienfaits.

Mais c’est l’intérêt porté à la petite-fille de Clémentine, son amour de jeunesse, qui va élever Sylvestre, ancien élève de l’École des chartes et membre de l’Institut, au rang d’homme de cœur. Jeanne, devenue orpheline, est placée en pension où règne une vieille demoiselle. Son héritage se dissipe bientôt et elle est réduite à laver les cuisines. Le « crime » du vieil érudit est de la faire évader, elle qui était encore mineure à 18 ans, contre son tuteur, un notaire véreux. Heureusement que ce dernier vient de s’enfuir avec la caisse (et accessoirement la jeune fille d’un de ses clients). Le juge nomme donc tuteur Sylvestre Bonnard, sur la recommandation de la femme qu’il a aidée jadis.

Il voudrait bien garder sa nouvelle pupille pour lui quelques années, voyant en sa jeunesse un printemps revenu. Mais il se résigne par honneur à faire son bonheur et ne tarde pas à la fiancer selon son souhait avec le jeune homme qui lui fait la cour, un étudiant qui vient de passer sa thèse d’histoire avec ses conseils érudits.

Nous sommes dans les Misérables, mais de la classe moyenne, et l’auteur tire sa morale plus de l’exemple des héros antiques que des personnages outrés de la révolution ou de l’empire. Anatole France n’est pas Victor Hugo, mais être de raison. Pour lui, l’humanisme n’est pas la déclamation de grands mots mais l’accomplissement de petits actes.

Ni ressentiment social, ni misérabilisme d’apitoiement, il est en ce sens plus chat que chien, aimant confort et tendresse plus que force ou que rage, comme en témoigne dès les premier mots le portrait du félin Hamilcar. France reconnait l’amour, sans le sacraliser, et rien ne lui paraît plus beau pour l’avenir de l’humanité qu’un enfant aimé de sa mère ou de ceux qui en ont la charge – comme le maître aime son chat. Rêve et douceur de vivre en sont les souverains mots.

Bien sûr, l’auteur use de masques pour élaborer sa fiction. Sa chronologie présente des invraisemblances, il n’hésite pas à plagier des guides touristiques et des auteurs anciens, ses personnages ont un peu lui mais pas tout, il écrit en se vieillissant de plusieurs décennies. C’est que tous ces artifices sont nécessaires pour établir la distance raisonnable envers les émotions. Par là même, il les fait passer en douceur au lecteur, séduit par le ton – tour à tour badin ou ironique, précis ou déclamatoire. L’écriture est un art, comme le croyais Flaubert, et l’apparente simplicité de l’œuvre cèle des jours entiers de labeur et de remaniements.

Reste un roman social qui se lit bien aujourd’hui, des personnages attachants qui nous émeuvent, une philosophie libérale de l’existence tout à fait moderne pour cette fin de l’avant-dernier siècle.

Anatole France, Le crime de Sylvestre Bonnard, 1881, Hachette livres BNF 2012, 331 pages, €14.63

Anatole France, Œuvres tome 1, édition Marie-Claire Bancquart, Pléiade Gallimard 1984, 1460 pages, €51.30

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Albert Camus contre l’humiliation

Dans ses Carnets IV, de 1942 à 1945, Albert Camus note au vol les idées qui lui viennent. Il ne les développe pas toujours mais ses intuitions persistent. Ainsi de l’humanisme en psychologie.

Albert Camus chez Gallimard

« On aide plus un être en lui donnant de lui-même une image favorable qu’en le mettant sans cesse en face de ses défauts. Chaque être normalement s’efforce de ressembler à sa meilleure image. » Tout parent le sait, tout éducateur devrait le savoir (hum !), un enfant et a fortiori un adolescent qui exacerbe en lui les réactions d’enfance, est extrêmement sensible à ce que les autres pensent de lui. Ses référents, parents, adultes et professeurs ; ses pairs pour se comparer ; ses frères et sœurs et tous ceux qui comptent dans sa vie. Un ado est une éponge sensible à tout ce qui renvoie une image de lui. L’exemple qu’on lui donne est le meilleur, l’encouragement pour ce qu’il entreprend, une méthode, les félicitations pour ce qu’il accomplit devrait être une exigence.

C’est loin, malheureusement d’être toujours le cas – notamment dans l’éducation dite « nationale » qu’on pourrait nommer plus proprement « bureaucratique ». « Peut s’étendre à la pédagogie, à l’histoire, à la philosophie, à la politique », précise Camus. Sauf que les pédagogues, les historiens, les philosophes et les politiciens ont d’autres chats à fouetter que de rendre hommage à la vertu. Confits en eux-mêmes et occupant une position dominante, ils tentent d’en profiter. Lorsque leur petit moi est fragile, ils adorent écraser les autres, notamment les immatures qu’il est trop facile de prendre en défaut. Combien de profs jouent les fachos ? Combien de parents les caporaux ? Combien d’aînés les petits chefs ?

Mais il y a plus grave. C’est toute une civilisation que Camus met en cause. « Nous sommes par exemple le résultat de vingt siècles d’imagerie chrétienne. Depuis 2000 ans, l’homme s’est vu présenter une image humiliée de lui-même. Le résultat est là. » Il est là, en effet, l’écrasement par les corps constitués, les privilégiés, les riches, les puissants, les savants imbus, les âgés acariâtres, les aînés physiquement plus forts, les mâles, blancs, bourgeois et croyants en l’une des religions du Livre ! Ni le Juif, ni le Mahométan n’ont mauvaise conscience. Mâles ils sont, érudits s’ils le peuvent, ils n’ont pas honte d’être hommes. Mais le Chrétien ? Certes, les femmes y sont peut-être mieux traitées par l’idéologie (depuis peu), mais l’être humain reste quand même réduit au péché originel, fils déchu qui doit mériter la grâce de son Père, redevable d’avoir vu crucifier comme esclave le Fils venu les racheter…

gamin ligote torse nu

Comment peut-on glorifier un esclave souffrant sur un instrument de torture pour en faire une religion, s’interrogeaient les antiques ? Au lieu d’encourager les vertus humaines, comme le bouddhisme le fait ; au lieu d’appeler au meilleur en chacun, comme le zen le tente ; au lieu de prôner une élévation spirituelle en ce monde – et pas dans l’autre – le christianisme a écrasé l’homme, l’a humilié, l’a rendu pourriture vouée à l’enfer éternel s’il ne rendait pas hommage ni ne faisait allégeance complète et inconditionnelle. Le christianisme, pas le Jésus des Évangiles, mais le texte est submergé par la glose d’église.

« Qui peut dire en tout cas ce que nous serions si ces vingt siècles avaient vu persévérer l’idéal antique avec sa belle figure humaine ? », s’interroge Camus. En effet, qui ? On ne refait pas l’histoire ; peut-être peut-on tenter de se refaire soi-même, c’est déjà ça.

Albert Camus, Carnets 1935-48, Œuvres tome 2, Gallimard Pléiade, 2006, p.941, €62.70

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Alix, L’Ibère

César se bat contre les fils de Pompée en Espagne. Le scénario est calqué sur la conquête napoléonienne, avec factions rivales et paysans-résistants de l’intérieur. Quand un village choisit un camp, le camp adverse vient piller, violer, massacrer. César va triompher, militairement et moralement, en ralliant à lui le peuple local. Mais non sans politique. C’est là que paraît le cynisme du scénariste notre époque, qui n’a jamais été celui de Jacques Martin, élevé en collège religieux et chez les scouts.

Dès la première page, la morale des personnages est campée crûment : Alix défend les « victimes innocentes », César « Ne soit pas naïf » – quant à Enak, il bouffe… A croire que le colonialisme mental a imprégné la génération récente : Enak n’apparaît-il pas proche de l’animal ? Comme lui il va presque à poil, fidèle comme un chien et avide de plaisirs terrestres : les frottements sur sa peau nue, la viande avalée goulument, l’eau qui dégouline sur son torse, une main amie sur son épaule, la sensualité des liens… Jacques Martin ne l’avait pas fait évoluer ainsi, jusqu’à ce qu’il passe la main. C’est le danger de faire continuer la série, après la mort de l’auteur : la trahison.

Tarago est fils de chef, orgueilleux et fanatique. En vrai caudillo, il est le seul à avoir raison et impose ses vues par la violence. Plusieurs cases « justifient » la violence en la présentant comme normale, habituelle, à reproduire en cours de récré. Quant à la torture pour obtenir des renseignements, pas de problème : placer une lame sur la gorge nue d’un gamin suffit à son aîné pour déballer tout ce qu’il sait. Morale : ça marche, donc essayez !

En contrepartie, Tarago apprécie le courage et donne une chance aux braves. Voilà du bon machisme méditerranéen, qui justifie qu’on ait « des couilles ». Et pas touche à sa sœur – sauf si elle trahit la famille et le clan.

En bref, voilà tout le catalogue valorisé des poncifs attachés à l’Espagne et aux maquisards de Méditerranée, tous vaguement corses ou siciliens dans l’imaginaire essentialiste du scénariste. Notons les mœurs issues des Arabes (touche pas ma sœur, le cimeterre recourbé à égorger). Elles sont bien anachroniques puisque nous sommes censés être au temps de César et que le Prophète n’est pas même né !

Entre Alix, Tarago et César va se jouer une partie de poker politique où l’argent, l’honneur et la terre sont l’enjeu. Alix est trop donquichottesque pour tirer un quelconque intérêt de l’aventure, César trop obstiné pour échouer et Tarago trop fanatique pour réussir. Voilà le schéma.

Restent les comparses : Enak, toujours torse nu, sur le point de se faire égorger comme en Afghanistan avant d’être flanqué avec brutalité à terre par Tarago ; Celsona, sœur de Tarago, qui aime évidemment un opposant modéré et qui le paye de sa vie, étant donnée la brutalité du frère qu’imitent ses sbires ; Labiénus, général romain renégat, qui joue triple jeu et s’y perd ; les paysans qui cultivent la terre rude et dont les jeunes enfants gambadent de joie au soleil.

La morale de l’aventure est un peu obscure aux jeunes lecteurs et c’est le plus gênant. A croire que la génération trentenaire qui tient les commandes de la série n’a plus de morale. Elle souscrit au cynisme girouette du temps tout en jouissant de la torture des jeunes corps adolescents. Les gamins suivent Alix puisqu’il est le héros ; ils aiment Enak, plus à leur portée par son âge et sa faiblesse, plus raisonnable et attaché à son aîné ; ils admirent César puisqu’il est le chef, personnage historique et bon républicain.

Mais Alix laisse la vie sauve à son ennemi et met en péril tous les autres, à commencer par la sœur dudit ; Alix refuse le cadeau de César au nom d’un humanisme qui n’existe pas encore alors qu’il aurait pu accepter et donner lui-même la ferme aux paysans (ce qu’il fera, mais à la toute fin !) ; Labienus trahit tous ceux qui l’approchent, bien que général (donc discipliné) et Romain (donc civilisé) ; Tarago, soudard brutal et fanatique au début, devient sympathique par son combat de résistant contre les colonisateurs, avant de déraper dans l’allégeance aux fils de Pompée, encore plus cyniques que César… Comment les jeunes têtes pourraient-elles se retrouver dans cet imbroglio ?

Heureusement, le dessin de Christophe Simon sauve l’album. Les corps souples, les visages expressifs, les attitudes naturelles, la dramatisation des ombres qui disent la rudesse du combat ou la tendresse des amoureux, parlent plus que le texte.

Au total, comme toujours depuis la renonciation de Jacques Martin, voici un mauvais Alix. Une dégradation d’époque sans morale. Bel exemple pour la jeunesse !

Alix, L’Ibère, 2007, Jacques Martin, Christophe Simon, P. Weber, Maingoval, Casterman, 48 pages, 9.88€

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Albert Camus, Les Justes

Au sortir des actions de Résistance, durant le clivage pro et anti-stalinien de guerre froide, alors que commencent les événements d’Algérie et deux ans après ‘Les mains sales’ de Sartre, Camus écrit une tragédie en cinq actes sur le terrorisme. Les Justes sont ceux qui se mettent au-dessus des lois et de la simple humanité pour revendiquer les Idées pures. Ils se prennent pour Dieu, récusant le présent forcément imparfait pour l’avenir toujours radieux. Ils sont du côté de Platon et du Bien, flottant au-dessus des hommes, les incitant à sortir de la caverne terrestre pour accéder à la lumière absolue, éternelle.

Camus s’inspire de faits réels et de personnages ayant existé. « En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l’ont précédé et suivi font le sujet des ‘Justes’ », écrit-il dans sa prière d’insérer. Lui admirait ces hommes et ces femmes épris d’absolu. Il opposait leur idéalisme en actes à ce qui est devenu la bureaucratie socialiste, ce « système confortable » de la terreur où les commanditaires ne se salissent plus les mains, bien à l’abri derrière des décrets anonymes.

Tout le tragique de ce monde réside entre l’exigence de justice et l’inhumanité des moyens pour y parvenir. Est-ce que tuer des enfants fait avancer la justice humaine ? Faut-il accepter d’en tuer deux pour que des milliers connaissent une vie meilleure ? Lancer la bombe contre un Principe inacceptable n’a-t-il pas pour conséquence de massacrer un être vivant réel qui n’incarne pas forcément le mal absolu ? S’habituer à tuer, sans état d’âme, n’ôte-t-il pas l’humanité en nous ? Ce sont toutes ces questions que Camus remue. Elles restent actuelles, le fanatisme islamiste n’a fait que remplacer le socialisme révolutionnaire.

L’auteur s’efforce de dépasser l’émotion devant l’horreur. Certes, le terroriste Kalialyev s’abstient de lancer sa bombe parce que la calèche du grand-duc emporte aussi deux enfants, ses neveux. Cet épisode s’est d’ailleurs passé tel quel dans la réalité historique : les socialistes de 1905 avaient encore une conscience, celle que Lénine et ses affidés staliniens vont piétiner une génération plus tard. Mais Kalialyev lance sa bombe quelque jours après et tue le grand-duc seul. L’objet de la pièce est de montrer que tout n’est pas permis et que l’action elle-même a des limites.

Camus oppose ainsi les nihilistes et les révolutionnaires :

  • Les nihilistes sont réactifs, haineux, solitaires emplis de ressentiment, intransigeants parce qu’ils ne sont pas purs dans leur volonté de changer le monde : ils n’aiment ni leurs semblables, ni l’amour… Ils se mettent en retrait de l’humanité qu’ils méprisent. Stepan est leur porte-parole. Pour lui, « la bombe seule est révolutionnaire » (I).
  • Les révolutionnaires sont amoureux, veulent être aimés de tous, ils désirent le monde meilleur et acceptent de se salir les mains ou de faire sacrifice de leur amour terrestre, de leur vie même, si cela peut faire avancer la conscience de l’injustice. Kalialyev est leur symbole. Il aime Dora mais refuse cet égarement au nom de la Cause. Pour lui, il s’agit de « la révolution pour la vie, pour donner une chance à la vie » (I). Donc « tuer des enfants est contraire à l’honneur » parce qu’une révolution authentique ne peut oublier l’honneur d’être un homme, « la dernière richesse du pauvre » (II).

Stepan : « Je n’aime pas la vie, mais la justice qui est au-dessus de la vie ». Camus dira plus tard, à propos du terrorisme en Algérie, qu’il préfère sa mère à la justice. Le monde des Idées n’est pas le sien, trop abstrait, trop fumeux, permettant de justifier n’importe quoi. Il lui préfère le monde des hommes, ici-bas et imparfait, qu’il faut patiemment réformer plutôt que de se croire Dieu, le pouvoir de mort de la bombe à la main. Il décrit parfaitement l’engrenage qui va de l’idéalisme pour la justice à la réalité d’une Organisation inhumaine qui pense à la place de ses citoyens, leur imposant son pouvoir absolu.

Le dialogue entre Dora (porte-parole de Camus) et Stepan (qui ressemble à Sartre) est édifiant :

  • « Dora – Ouvre les yeux et comprends que l’Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.
  • Stepan – Je n’ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.
  • Dora – Ce jour-là, la révolution sera haïe de l’humanité entière.
  • Stepan – Qu’importe si nous l’aimons assez fort pour l’imposer à l’humanité entière et la sauver d’elle-même et de son esclavage.
  • Dora – Et si l’humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ?
  • Stepan – Oui, s’il le faut, et jusqu’à ce qu’il comprenne. » (II)

Toutes les dérives des régimes révolutionnaires sont contenues dans ce simple dialogue. Pour les socialistes (hier les robespierristes, aujourd’hui les islamistes et les mélenchonnistes), le peuple est aveuglé. Seuls les révolutionnaires professionnels qui se mettent en retrait des réactions humaines peuvent leur faire prendre conscience par des actes choquants. Puis les guider, malgré eux, vers ce qui est bon pour eux. Croient-ils. Car il s’agit de croyance : obéir dispense de penser par soi-même, obéir aux ordres ne rend pas responsable de ses actes – c’est pas moi c’est l’Organisation. Dora : « C’est facile, c’est tellement plus facile de mourir de ces contradictions que de les vivre » (V) !

Évidemment, chez les socialistes révolutionnaires nous sommes loin de toute démocratie, loin de l’humanisme, loin de toute humanité même – malgré les grands mots :

  • Les enfants sont quantité négligeable, seule compte la Cause.
  • Ce que veulent les citoyens est quantité négligeable, seule compte l’Organisation du parti.
  • La conscience humaine est quantité négligeable, seule compte l’obéissance.

Cela fait de bons petits soldats du socialisme, sans état d’âme, parfait rouages inhumains de la Machine – celle qui remplace Dieu sur cette terre. Au nom du Bien… « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police » (IV).

Si la violence est parfois inévitable, montre Camus, elle est toujours injustifiable. Elle doit donc rester à chaque fois l’exception. Ses limites sont et seront toujours – pour nous Occidentaux – l’honneur de mériter le nom d’humain.

Albert Camus, Les Justes, 1950, Gallimard Folio théâtre, €4.37

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Albert Camus, Le premier homme

Mort dans un accident de voiture le 3 janvier 1960, Camus est resté longtemps oublié, ou presque. Les intellos ont suivi Sartre et sa mauvaise foi marxiste, son mépris pour Albert le non-normalien né à Alger et non dans les beaux quartiers parisiens, pas même agrégé de philo. D’autant que l’Algérie est restée une épine dans la mentalité française : une terre annexée un siècle que les politiques ont abandonnée malgré la victoire militaire, au nom du réalisme. Une bonne chose vue d’aujourd’hui, mais une belle entorse à l’époque à ces principes « universels » qui étaient sensés faire du Français l’instituteur du monde. Camus était sorti du peuple, il n’était pas membre actif du sérail, en somme. Avoir eu raison contre Sartre est resté son péché majeur. Le tempérament de Camus, sensuel et peu théorique, violent et hédoniste, préférant sa mère aux Grands Principes et l’humaine condition ici et maintenant à la Justice immanente, ne pouvaient qu’irriter les crânes d’œuf jamais sortis de Saint-Germain des Prés qui adoraient refaire le monde en théorie depuis les cafés enfumés.

D’où le malentendu de la France avec Albert Camus. Qu’un président bonapartiste, agité, touche à tout, le rallie à sa cause, idée susurrée on s’en doute par le préfet Guaino – n’augure rien de bon. Qu’Alain Finkielkraut, depuis longtemps catalogué par les aigris qui n’ont pas son talent, l’apprécie – voilà qui prépare de belles « polémiques ». Une polémique est une guerre de mots, propre aux petits intellos qui ne savent pas en faire de vraies. Tout les gendegôch tombés dans le marxisme étant petits se braquent déjà, donnant de la grosse caisse. Ces Obélix de la pensée préfèrent toujours se tromper avec le goulag qu’avoir raison avec l’humanisme libéral. La liberté est toujours un gros mot pour ceux qui savent mieux que vous ce qui convient à tout le monde. Les intellos affûtent leurs flûtes perfides pour démolir une fois de plus Camus. Pourquoi ne pas juger par soi-même en relisant l’auteur ?

La France qui pense affecte de se prosterner devant l’égal « bon sens » de tous les hommes, selon la Déclaration constitutive de son identité, cru 1789. Elle déteste qu’on oppose le bon sens populaire à ses délires intellos. Le style Camus, « trop » simple, didactique, instituteur, n’est pas au goût filandreux des normaliens élevés sous Hegel. Tout cela, l’auteur en avait la prescience : « Ce qu’ils n’aimaient pas, en lui, c’était l’Algérien ». Le terme Algérien est mis pour intellectuel déraciné, extérieur au parisianisme, méditerranéen charnel et sensé, pauvre et self-made-man. Rien chez Camus que la tradition puisse apprécier : ni la religion, ni l’institution – rien de ce qui est révéré par le Mammouth, ses éléphants et les petits sartreux.

‘Le premier homme’ est un roman autobiographique, le dernier auquel Camus travaillait avant sa mort par accident. Il offre la maturité de l’écrivain, quelques instants de pur bonheur humain. L’amour de la vie, la propension à l’amour des êtres, l’humanisme de Camus, resteront à mon humble avis plus longtemps que l’âme sèche de Sartre.

« Fragile, souffrant, tendu, volontaire, sensuel, rêveur, cynique et courageux » – ainsi se définit Albert Camus « à 29 ans ». Il est en quête du Père, de l’initiateur, lui qui porte le nom du mari d’état civil de sa mère mais peut-être les gènes de l’amant (fantasme un temps caressé par l’auteur, que les enquêtes ne confirment pas vraiment). « J’ai besoin que quelqu’un me montre la voie et me donne blâme et louange, non selon le pouvoir, mais selon l’autorité ». Quel intello précaire serait capable, aujourd’hui, de coucher (là, tout de suite sur la table) la différence entre pouvoir et autorité ? Pourtant, Albert a besoin de respecter, d’admirer, de prendre modèle, lui qui est seul. Il est bâtard, exilé de son vrai géniteur, exilé de son milieu, exilé de sa patrie. N’est-ce pas tout cela qui chiffonne l’intellocratie parisienne ?

Dans le chapitre « 6bis » sourd à chaque phrase l’émotion du père, celui qu’il s’est choisi. Louis Germain, instituteur IIIe République, a été pour le petit Albert le modèle paternel. « Craint et adoré en même temps », il est le père qui éduque et élève, « il en attrape presque toute la place », « fait partie de la nécessité ». Tout enfant a besoin d’une figure protectrice et exemplaire qui l’aide à grandir, à s’élever. « On l’aime le plus souvent parce qu’on dépend absolument de lui ». C’est grâce à Louis Germain qu’Albert Camus a pu entrer au lycée. Sa grand-mère, dure à la tâche, voulait le voir travailler dès sa sortie du primaire. Pourquoi ne pas mettre les cendres de Louis Germain au Panthéon, plutôt que celles d’Albert Camus ? Cette question du bon sens politique est celle d’Alain Finkielkraut. Jean Daniel ne serait pas contre.

Étrange époque que celle du lycée, contée dans le livre. Camus y décrit un monde à part, radicalement séparé de son monde familial où ni journaux, ni radio, ni livres n’avaient jamais pénétrés. On ne possède au foyer « que des objets d’utilité immédiate », on ne reçoit « que la famille ». Albert rattrape son retard social avec ses copains, le foot, la nage, la lutte contre le vent qui l’exalte, et la lecture où il s’évade.

Camus est de tempérament convivial, sociable, affectif. Il a « l’amour des corps depuis sa plus tendre enfance, de leur beauté qui le fait rire de bonheur sur les plages, de leur tiédeur qui l’attirait sans trêve, sans idée précise, animalement, non pour les posséder, ce qu’il ne savait pas faire, mais simplement entrer dans leur rayonnement, s’appuyer de l’épaule contre l’épaule du camarade, avec un grand sentiment d’abandon et de confiance, et de faillir presque lorsque la main d’une femme dans l’encombrement des tramways, touchait un peu longuement la sienne… » p.259.

Peut-on mieux dire l’attrait de la chaleur humaine ? Celle des semblables, les camarades, comme celle des femmes avec lesquelles on joue d’autres jeux ? L’attrait des corps gracieux, de la lumière qui en irradie, des peaux qui se frôlent ou se touchent, tout cela rayonne et Albert y est sensible. Est-ce une propriété de la Méditerranée à laquelle aucun parisien élevé entre les façades puritaines des logis haussmanniens et les murs gris d’anciennes casernes reconverties en lycées n’est sensible ? Il faut aimer la vie en son énergie même pour aimer autant les êtres. Camus est grec et nietzschéen, bien loin du catholicisme laïc et hiérarchiquement figé de Hegel, bien loin des ratiocinations alcoolisées et enfumées de Sartre. Camus a « cette ardeur affamée, cette folie de vivre », « la vie bondissante, renouvelée ».

C’est pour cela qu’on l’aime. Contre la mode, contre la prétention.

Albert Camus, Le premier homme (1961) publié en 1994, Gallimard Folio 2000, 380 pages, €5.89

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Anders Behring Breivic le monstre de Norvège

Un attentat à la bombe contre le gouvernement social-démocrate et des  jeunes travaillistes de 14 à 30 ans tués par balles en quelques heures. Breivic a frappé fort pour qu’on le considère. Rançon de notre société du spectacle où les idées sont inaudibles si elles ne hurlent pas devant les caméras.

Qui est donc Anders Behring Breivic ?

Anders n’est pas fou, seulement paranoïaque. Sa logique glacée vient du sentiment d’être cerné, personnellement sans amour, socialement noyé, culturellement métissé. C’est un activiste du choc des civilisations à la Huntington, proche en pensée de la droite israélienne et des Nachis de Poutine.

Behring n’est pas fasciste, il ne croit pas aux mouvements de masse ni aux partis autoritaires bottés sous le charme d’un gourou charismatique. Il est hyperindividualiste, ne croyant qu’en lui-même et aux actes personnels, proche en cela des ultraconservateurs américains, libertariens adeptes des milices armées civiles. Ce pourquoi les bobos intellos du Nouveau Snob se trompent, trop bardés de tabous politiquement corrects pour comprendre la différence entre extrême droite et anarchisme.

Breivic n’est pas raciste, non seulement il le dit mais la meilleure preuve est qu’il a massacré les siens, des ados blonds aux yeux bleus, et pas les basanés immigrés du coin. Il est proche en cela de l’Unabomber américain, un solitaire psychotique qui tuait parmi les siens tous ceux qui représentaient le gouvernement. Ce qui limite probablement son message.

Pourquoi parler de ses idées ?

Jamais je n’accomplirai un acte aussi barbare que de tuer au pistolet-mitrailleur des gosses en slip au bord d’un lac, qui n’ont que leurs mains pour se défendre. Jamais je ne justifierai un tel ‘happening’ au nom de je ne sais quelle révolution ou avenir radieux. Jamais je n’obéirai à la logique glacée des partisans persuadés d’avoir tout seul raison, de Savonarole à Torquemada, de Lénine à Pol Pot.

Mais je crois à la lucidité. Nul ne peut combattre la mort qui marche sans comprendre les ressorts qui la font s’avancer. Comprendre n’est jamais pardonner, cela est d’un autre ordre. Il n’y a aucune morale à analyser pour tenter de savoir ; juger, en revanche, est le lot de la société.

Quelles sont les idées du tueur ?

Elles ne sont pas aberrantes, loin s’en faut. Elles sont seulement poussées à leur logique folle, tout comme les Évangiles avec l’Inquisition et le Capital de Marx avec les camps staliniens. Ses idées sont contenues dans un opuscule de 1518 pages en anglais, qu’il diffuse gratuitement sous le titre de ‘2083 A European Declaration of Independence’.

Anders Behring Breivic accuse l’Occident d’avoir laissé depuis 1945 l’égalitarisme marxiste envahir la culture pour saper les fondements même de la civilisation européenne. Il se dit « chrétien » mais version taliban : fasciné par le Jihad musulman, il se veut un croisé, retournant le jihad contre ses promoteurs. Ce pourquoi il revivifie le mythe du Templier, ordre militaire contre les infidèles. Il a trop joué à World of Warcraft, ado marqué par son époque, où le spectacle en ligne pousse à échapper à la réalité.

Il n’a rien d’un partisan d’extrême-droite (il a quitté le Parti du Progrès qui ne lui apportait rien) mais plus d’un anarchiste nihiliste. Un populiste braqué contre les élites vénales et lâches. Le marxisme, hérésie laïque du christianisme, prône l’égalité absolue des conditions, toute différence étant condamnable en soi. Philosophie de l’histoire tirée de l’observation socio-économique, Gramsci, Lukacs, Marcuse, Adorno et l’école de Francfort l’ont rendu « culturel », générant la « pensée 68 » et gangrenant les campus universitaires au nom de la révolution et de l’anti-répression des désirs. De déconstruction en contestation de toute légitimité, de féminisme en châtrage des valeurs mâles, jusqu’à l’anti-négationnisme où la loi interdit même de discuter des thèses d’histoire politiquement incorrectes. Il en fait un chapitre (p.343), « Le nom du diable est : marxisme culturel, multiculturalisme, mondialisation, féminisme, culte de l’émotion, humanisme suicidaire, égalitarisme »… Dans ce nivellement global « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Sauf que les Musulmans ne sont pas gentils, ils sont croyants et intégristes, domptant les femmes à pondre des enfants. Qui ne prononce pas allégeance à Allah et ne se fait pas circoncire est à abattre comme un chien. L’immigration en Europe atteint l’étiage des 10%, avec une natalité plus forte. Dans une génération ou deux à ce rythme, l’Europe ne sera plus européenne mais la banlieue de l’islam. Avec la bonne volonté de ses dirigeants, qui appellent à une Eurabie en affirmant que l’islam est une part de l’Europe (comme la Turquie), encourageant immigration familiale et mœurs islamiques (voile, harem, épargne charia compatible, commerce halal, cantines spéciales, piscines séparées, enseignement de l’histoire expurgé, apprentissage de l’arabe à l’école, financement des mosquées…). Les musulmans pourraient représenter 50% de la population française en 2050 ! Je ne sais pas d’où viennent ces sources (Wikipedia ?) mais cela explique la « résistance » de l’auteur, « vrai » chrétien, traditionaliste souverainiste, tenant de la civilisation européenne historique.

Breivic fait appel aux sources Internet et à des textes glanés ici ou là dans l’Encyclopaedia Britannica et dans les journaux en ligne pour rassembler ses idées en 1518 pages. Son plan est en 5 parties : 1/ la montée du marxisme culturel et du multiculturalisme en Europe, 2/ pourquoi la colonisation islamique commence en Europe, 3/ l’état des mouvements de résistance européens antimarxistes et anti-jihad, 4/ les solutions pour l’Europe occidentale, et 5/les thèmes de discussion d’application utile à la stratégie politique. Pourquoi 2083 ? Parce qu’à ce moment, croit l’auteur, entre un tiers et la moitié de la population européenne sera musulmane, induisant un violent mouvement de réaction des autochtones avec coups d’état, déportation, interdiction de toute référence multiculturelle et imposition d’une idéologie nationale conservatrice (p.803).

Page 837 vient la formule appliquée littéralement par Breivic vendredi : « la meilleure méthode est d’attaquer de façon violente et par tromperie (attaque choc) avec des forces limitées (1 ou 2 individus). » Le terrorisme conservateur est aussi haïssable que celui d’extrême gauche durant les années de plomb des Brigades rouges, de la bande à Baader et d’Action directe. En cela, les partis de la droite extrême ne sont pas plus coupables de leurs idées que les partis d’extrême gauche. Le terrorisme est mimétique, partant des mêmes causes (un parti mou sans action concrète), avec les mêmes effets (des actes individuels de commando qui sèment la mort sans rien changer à la société).

Comment le contrer ?

En étant clair sur les objectifs de l’Union européenne, ferme sur la culture à transmettre et sur les valeurs qui composent notre vivre-ensemble, opposé à la lâcheté médiatique du métissage où tout vaut tout – pour mieux abêtir et vendre Coca cola.

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Esprit public 666

Dimanche dernier avait lieu la 666ème émission sur France Culture de l’Esprit public, produite par Philippe Meyer depuis 1997. C’était une fête parce que 666 est réputé être le chiffre du Diable et que celui-ci réside, comme chacun sait, dans les détails. L’Esprit public fait justement dans les détails, il fait le Malin dans un monde travaillé par l’unanimisme suspect de toutes les religions. Y compris les laïques, si à la mode dans cette gauche française formatée par le stalinisme. Nombre d’auditeurs, connus ou moins connus, ont noté combien l’Esprit public avait ce ton de la conversation « libérale » des salons du XVIIIème siècle. Bien loin des invectives, coupures de paroles et autres noms d’oiseaux de presque toutes les émissions « politiques » de nos jours, où il s’agit d’avoir la plus grosse et d’écraser sous son mépris historique l’interlocuteur.

Ce ton de la conversation, cette diversité de points de vue, ces analyses qui ont le temps de s’exposer, est tout ce que j’aime dans l’Esprit public. Ce pourquoi je l’écoute chaque dimanche depuis une dizaine d’années, en téléchargement différé lorsque je suis ailleurs, belle invention technique de liberté.

Je ne suis pas toujours d’accord avec les invités. Quelle plaie d’être « d’accord » sur tout, comme le voulait la vulgate stalinienne pour qui l’Histoire n’avait qu’un sens ! Il est resté, dans le débat politique français cette détestable habitude « d’être d’accord », comme si l’on ne pouvait échanger des idées divergentes sans être aussitôt sorti par l’interlocuteur de l’espèce humaine ! Cette capacité des politiciens à toujours éviter de parler des faits pour bien distinguer amis et ennemis, situer QUI parle et AU NOM de quelle race, classe ou caste, est l’une des plus arrogantes « bêtises » françaises, au sens de Flaubert, de notre époque. Ce pourquoi le populaire n’écoute plus ceux qui ne l’écoutent jamais et votent exprès pour l’extrême droite afin de sortir les sortants.

L’Esprit public est l’un des rares lieux où l’on discute encore plutôt que juxtaposer son monologue à celui des autres, constamment interrompu par un « journaliste » qui veut exister (cette plaie bafouillante des Matins de France Culture, par exemple). Pas de speed de qui a fumé on ne sait quoi avant l’émission, pas de réponses brèves exigées par des questions interminables, pas de provocation politique envers qui n’a pas envie d’entrer sur ce terrain là. J’écoute les Matins et j’écoute l’Esprit public et il n’y a pas photo. Je regrette fort le temps de Demorand et celui d’Ali Baddou aux Matins. L’Esprit public s’égare parfois, appelant Angela Merkel Michaela Wiegel, affirmant « je termine » par une série de douze points en rajoutant un dernier au dernier, mais c’est dit avec clarté, articulation et souci d’expliquer. Les étudiants interrogés y voient une forme de cours de culture générale et c’est bien.

Il y a les absents, Denis Olivennes, parti diriger une autre presse, Yves Michaud, évincé après sa sortir contre Roman Polanski en 2009. Ce que je regrette. Ce dernier incident, sans explication satisfaisante ni à l’intéressé ni aux auditeurs, montre les limites de l’humanisme affiché de Philippe Meyer. Mais nul n’est parfait.

Il y a de bien plus mauvais coucheurs : les féministes qui revendiquent la parité partout, sans pour autant proposer des talents au niveau, l’ineffable Péchardon qui accuse son obsession anarcho-gauchiste en traitant tous les intervenants de collabos, pétainistes et autres vendus de la CIA (?), les ignares qui ne retrouvent pas leurs slogans syndicaux sur les retraites ou les délocalisations et se demandent qui parle et pour qui. Mais pourquoi ces auditeurs reviennent-ils si souvent pour envoyer des courriels venimeux à intervalles réguliers ? N’est-ce pas parce que l’émission fait penser, au contraire de beaucoup d’autres ?

Penser exige un effort personnel, à une époque où il est de bon ton de revendiquer sa flemme. Nécessite de réfléchir en un temps qui se contente de réagir, la dernière mode de « l’indignation » étant ce confort moral de la bonne conscience qui ne veut surtout pas agir. Demande d’être citoyen adulte et responsable dans une société infantile où chacun attend de l’État-papa, de l’École gaveuse d’oie ou des « spécialistes » d’édicter comment vivre, quoi apprendre et avec quoi « être d’accord ».

J’aime l’Esprit public, l’une des excellentes émissions de France culture avec quelques autres. Vous êtes invités à aller l’entendre, chaque dimanche de 11h à midi, et à écouter en différé la 666ème, qui dure une demi-heure de plus avec pas mal d’humour.

L’Esprit public, de Philippe Meyer, Michaela Wiegel, correspondante à Paris de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Jean-Louis Bourlanges, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, Max Gallo, romancier et historien et Thierry Pech, directeur de la rédaction d’Alternatives Économiques (entre autres).

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Amours valentin

L’amour n’est pas simple, en français. Le mot, en effet, vient du provençal et de la conception passablement romantique – platonicienne ? – qu’avaient du sentiment les troubadours.

Il a fallu se différencier de la conception féodale, pour laquelle la femme était un bien comme un autre, et le mariage une alliance d’intérêts.

Il a fallu aussi abandonner la conception antique de l’amour car, bien sûr, le terme ‘amor’ est issu du latin amare = aimer. Mais ce latin avait une connotation différente, toute pratique, élaborée par les Grecs, experts en art psychologique. « Amour » – d’où vient « amitié » – se distinguait chez eux d’éros (la titillation érotique) et de philia (l’affect sentimental).

L’amour des troubadours se veut, lui, absolu. Il concerne en premier l’amour de Dieu, puis celui de « la » Femme. Pour en avoir une idée, on peut le rapprocher de la musulmane absolue humilité devant Allah. Ou de la ‘passion’ au sens christique des Parfaits cathares. L’amour provençal n’est pas cette amitié passionnée qui mêle l’érotisme au sentiment, comme l’est l’amour grec. Il est moins ouvert et plus rigide, axé sur « le Bien » à la manière de Platon, plutôt que sur l’éventail des sujets aimables offerts par la nature. L’amour provençal, qui devient l’amour français, est résolument hétérosexuel ; il s’exalte dans le discours plus que dans les gestes ; il est un théâtre, typique d’une société de cour où la hiérarchie est respectée et les limites à ne pas franchir bien fixées.

L’amitié est « sociale », pratique, elle peut concerner le sentiment entre homme et femme et est utilisée comme tel jusqu’au 18ème siècle. Mais l’Hamour (comme écrivait par dérision Flaubert) est déjà cette exaltation passionnelle qui dominera le romantisme. Il est abstrait et absolu, sans « objet » autre qu’idéal, hors de ce monde. Une sorte d’excès malsain qui sent la fièvre, une drogue qui, à la retombée, fait mal. La réalité n’est en effet jamais aussi parfaite que l’idée qu’on se fait…

L’ardeur éthérée de la ‘fin amor’ provençale sera confortée par les interdits d’Église et par le souci du lignage, reste sourcilleux de la conception féodale et de l’ordre établi. Ce n’est qu’au 18ème siècle que le badinage retrouvera la liberté des Grecs et que le plaisir reprendra ses liaisons dangereuses. Quand l’homme choisit, il est l’amant ; quand la femme choisit, l’homme est le galant. La Rochefoucauld retrouve la subtilité de la psychologie grecque pour distinguer les moments : « Dans les premières passions les femmes aiment l’amant, dans les autres elles aiment l’amour. »

De ce siècle d’humanisme érotique, le suivant singera l’aspect sans en garder l’esprit. Stendhal se moquera des bourgeois de son temps, revenus aux mœurs féodales de la femme comme « bien à vendre » – donc vertu à préserver : « Qu’est-ce qu’un amant ? C’est un instrument auquel on se frotte pour avoir du plaisir. »

L’aujourd’hui a réinventé toutes les pratiques, de « la baise » à la Catherine Millet (partout, à tout moment, si possible sous le regard des autres) à l’amour platonique (qui reste si fort chez les adolescents) jusqu’aux diverses « amouracheries » de passage (Delteil), amourettes par amusement, « amorisme » de l’exaltation perpétuelle et sans objet (Guitton), « amoureries » du rut populaire (Céline), « amarcord » – formé sur amour et record – ou nostalgie des souvenirs érotiques (Fellini), « amiévrie » de foule sentimentale lisant des magazines (Tinan)… mille mots pour dire les mille inventions du physique, de l’affect et de l’esprit amoureux – queue, cœur, crâne : les trois étages de l’homme.

Et Valentin dans tout ça ? Le prénom vient du latin ‘valens’ qui signifie justement vigoureux, plein de force. Vous voyez où l’on veut en venir ?

Février est le cœur de l’hiver et le 14 juste le milieu. C’est à ce moment que la vie doit triompher de la mort, à ce moment qu’on doit penser très fort au printemps, à la renaissance de la nature. De toute la nature : les feuilles en bourgeon, les fleurs en bouton, les petits agneaux pour Pâques… et les poupons d’homme qui naîtront en novembre, leur mère ayant bien mangé tout l’été.

En Grèce à cette saison de l’année, Zeus se mariait avec Héra ; à Rome, des adolescents nus couraient dans la ville en fouettant les passants, surtout les filles – et plus si affinités. L’Église a récupéré l’idée, bien sûr, pour la châtrer aussi sec en la transformant en discours, ces discrets billets babillant des mièvreries aux aimées. La ‘fin amor’ provençale, toute platonique et exaltée, l’y a fort aidé !

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