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P.D. James, Un certain goût pour la mort

Une vieille fille de 65 ans, solitaire punaise de sacristie, et Darren, un gamin de 10 ans miséreux et fils de pute, se rencontrent sur le chemin de halage un matin vers huit heures et demie. Ils vont ouvrir l’église Saint-Matthew à Londres, épousseter et mettre des fleurs devant la BVM (Blessed Virgin Mary – la Bienheureuse Vierge Marie). Ils découvrent… deux hommes égorgés dans la sacristie de l’église. Ce n’est pas banal, d’autant que l’un d’eux est un clochard et l’autre un ancien ministre qui vient juste de démissionner. Double meurtre ou suicide ? Les indices sont maigres et les analyses donnent peu d’informations. Tout se joue, comme toujours, dans la psychologie des personnages, leurs habitudes, leur famille et relations.

Pour le vagabond alcoolique, pas grand-chose à dire, il était marginal, et se réfugiait dans ce lieu ouvert à tous – à condition d’en demander la clé au presbytère. C’est vraisemblablement l’autre personnage qui l’a fait entrer. Il s’agit de sir Paul Berowne, baronnet qui a obtenu le titre après la mort en Irlande de son frère aîné Hugo, militaire, et qui est devenu député conservateur, puis secrétaire d’État.

Adam Dalgliesh, commissaire à la tête de la toute nouvelle section des enquêtes sensibles mettant en cause des personnalités, officie ici sur un cas compliqué. Sir Paul avait connu ces deux derniers jours comme une révélation. Il avait attrapé la foi comme on attrape la grippe, aussi soudainement, aussi absolument. Son existence, pourtant réussie en apparence, ne le satisfaisait pas. Il avait pris le titre et la maison de son frère, il s’était remarié avec une fille belle et sotte surnommée Barbie après avoir tué sans le vouloir sa première femme dans un accident de voiture, et délaissé sa fille Sarah. Celle-ci, désormais adulte, s’est maquée avec un bourgeois révolutionnaire qui adore comploter et créer des cellules secrètes, faisant engager du personnel acquis à ses convictions pour espionner, et l’occuper ainsi pour le garder sous sa coupe. Quant à Swayne, le frère de Barbie qui aurait aimé être un Ken, il vit en parasite, délaissé par leur mère qui vole d’amant riche en amant riche. Sarah elle-même a pour amant le docteur Lampart, gynécologue et directeur d’une clinique très rentable d’accouchements et d’avortements. Règne sur la maisonnée la matriarche de 82 ans, fille de comte, Lady Ursula, qui garde les mystères de famille et du petit personnel sous sa morgue aristo. De plus, Barbie est enceinte… mais pas de son amant, qui a subi une vasectomie.

Le commissaire Dalgliesh, avec son adjoint inspecteur-principal Massingham et l’inspecteur femme Miskin, aime son métier et son équipe. Il « aime la mort » car elle révèle l’humanité des gens. Le titre est d’ailleurs tiré d’un poème d’Alfred Edward Housman : « There’s this to say for blood and breath,/ they give a man a taste for death » – il y a ceci à dire sur le sang et le souffle,/ ils donnent à l’homme le goût de la mort.

L’affaire a des ramifications dans le passé puisqu’un tract anonyme (mais orienté) accuse sir Berowne d’avoir provoqué la mort de sa femme et d’une infirmière de sa mère, retrouvée nue après s’être jetée alcoolisée dans la Tamise à la suite d’un avortement. On le soupçonne d’avoir été le père du fœtus, ce qu’il nie. Car il a convoqué Adam Dalgliesh plusieurs semaines avant sa mort pour lui faire part du tract anonyme, reçu au courrier, et d’un article de la Paternoster Review, feuille de chou confidentielle mais néanmoins conservatrice qui en reprend les termes. Le commissaire ne peut manquer de voir un lien entre ces morts successives et les égorgements de Saint-Matthew. D’autant que chacun ment sans arrêt, et presque sur tout. Il faut à chaque fois enquêter, vérifier, établir de façon irréfutable les faits avec preuves physiques et témoignages concordants, pour que les menteurs avouent candidement avoir menti à la police, par souci de bienséance.

Mais tout finit par se savoir et le lecteur connaîtra vers la fin qui a tué et pourquoi. Ce qui compte est comment le prouver, et surtout l’imprévu du dénouement final. La société anglaise des gosses de riches, des politiciens démagogues, mais aussi la bureaucratie des « services sociaux » n’en sortent pas grandis, et c’est ce qui fait tout le sel des romans de Phyllis Dorothy James.

Ainsi les députés de gauche qui proposent des lois imbéciles : « Si j’ai bien compris le raisonnement assez confus de mon honorable collègue, on demande au gouvernement de garantir à tous les citoyens l’égalité de l’intelligence, du talent, de l’énergie et de la fortune, et d’abolir le péché originel à partir de la prochaine année fiscale. Le gouvernement de Sa Majesté est prié de réparer par décrets statutaires l’échec éclatant que la divine providence connaît dans ce domaine » p.317.

Ou encore le besoin de religion jusqu’à l’absurde, rôle tenu dès les années 80 par l’antiracisme (touche pas à mon pote) et reprise aujourd’hui avec délice par LFI : « Le lycée polyvalent d’Ancroft avait eu sa religion lui aussi. Une religion à la mode et bien pratique vu qu’il était fréquenté par des élèves de vingt nationalités différentes : l’antiracisme. Vous ne tardiez pas à comprendre que vous pouviez vous permettre d’être aussi rebelle, paresseuse ou stupide que vous vouliez si vous connaissiez à fond cette doctrine fondamentale. Celle-ci ressemblait à n’importe quelle autre religion : on pouvait l’interpréter comme on voulait ; composée de quelques banalités, mythes et slogans, elle était facile à apprendre ; elle était intolérante, pouvait parfois servir de prétexte à une agression sélective et permettait d’ériger en vertu morale le fait de mépriser les gens qu’on n’aimait pas. Et par-dessus tout, elle ne vous coûtait rien » p.367. Délicieusement vrai…

Long roman, mais il le mérite.

Grand prix de littérature policière, meilleur roman étranger 1988

Phyllis Dorothy James, Un certain goût pour la mort (A Taste for Death), 1986, Livre de poche 1989, 575 pages, €8,90, e-book Kindle €7,99

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Les romans policiers psychologiques de P.D. James déjà chroniqués sur ce blog

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Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi

La femme qui dit « je » est doctoresse en Angleterre avec 1200 patients ; elle se trouve « bonne » avec bonne conscience. Son mari David fait dans l’écriture à la maison, des brochures d’entreprise et la rubrique de l’Homme le plus en colère d’un journal local ; il s’en prend aux vieux qui n’ont jamais la monnaie dans le bus et qui ne s’assoient jamais aux places qui leurs sont réservées. Ils ont deux gosses, Tom, 10 ans et Molly, 8 ans. Un jour, alors qu’elle se trouve dans un parking à Leeds et qu’elle appelle pour que son mari fasse un mot pour Molly, elle lui annonce qu’elle ne veut plus être sa femme.

Ainsi commence le quatrième roman de l’humoriste le plus connu du Royaume-Uni, auteur de Haute fidélité, A propos d’un gamin et autres actualités dont on a fait des films. J’en ai parlé sur ce blog (voir à la fin de la note). Kate a un amant, Steven, mais c’est plus par hygiène que pour refaire sa vie ; elle ne tarde pas à le larguer, bien qu’il vienne carrément à la maison en discuter avec David et elle. Kate, épouse depuis vingt ans du même homme, en a tout simplement marre, la quarantaine venue, de cette vie. Aime-t-elle ses enfants ? Elle n’en a guère le temps et ne les apprécie pas plus que cela – avoir des enfants, « c’est ce qui se fait », c’est tout. David et Kate sont un couple banal des années 80, révolutionnaires dans leur jeunesse et de gauche depuis, lisant The Guardian et suivant les Grandes causes à la mode. Mais bon…

David, qui s’occupe de la maison et des enfants, décide d’évoluer. Avisant par hasard un guérisseur qui se fait nommer D.J. GoodNews (disc jockey Bonnes nouvelles), il se fait masser et ses douleurs au dos disparaissent ; pareil pour sa fille Molly qui a mal à la tête. Il décide alors de copiner avec le gourou, petit homme aux mains magnétiques qui arbore deux tortues « d’eau » en piercing dans ses sourcils. Cela le change radicalement. Avec GoodNews, il décide de voir la vie autrement : non plus comme un stressé en colère contre le monde entier (donc de cette gauche réactionnaire pleine de ressentiment qui sévit dans les années 80 à 2010 en Angleterre comme en France), mais de vivre à son niveau le bien qu’il peut faire aux autres (une gauche plus écolo et plus humaine, issue de la moraline chrétienne, mais aussi de sa niaiserie).

C’est la révolution permanente. David décrète que GoodNews peut s’installer à la maison, puisqu’il y a une chambre de libre et qu’ainsi ils pourront mieux travailler ensemble. David décrète, à la majorité qualifiée de trois contre un, que Tom devra donner son ordinateur à l’association des femmes battues, puisque la maison a trois ordinateurs et qu’il n’est pas décent d’avoir trop. David décrète, de même, que les jouets superflus, mais aussi ceux qu’on préfère, doivent être donnés à ceux qui n’ont rien (Lépludémuni de Maman Ségolène). En bref, David incarne dans sa chair le politiquement correct de son époque et désoriente son épouse médecin qui croit agir pour le bien des autres. « Il ne s’agit pas du mal que tu as fait mais du mal que nous faisons tous. – Qui est ? – On ne partage pas assez avec les autres. Chacun s’occupe de soi et ignore ceux qui souffrent. Nous reprochons à nos politiciens de ne rien faire pour eux, pensant que cela suffit à montrer que le sort de tous ces pauvres gens nous tient à cœur, alors que nous continuons à vivre dans des maisons qui ont le chauffage central et sont beaucoup trop grandes pour nous » p.96

David décrète donc qu’il va « organiser une fête » (tellement à la mode!) pour convaincre les gens de la rue d’accueillir un SDF chez eux dans leur chambre d’ami. Et ça marche ! Ou plutôt, six personnes sur quarante adhèrent au projet. Trois garçons et trois filles, tous adolescents et paumés, sont amenés en bus et répartis dans les maisons. Mais cela ne dure pas ; le premier se fait la malle avec un caméscope, un bracelet qui traînait et l’argent de réserve ; le second part vite retrouver sa mère ; une fille retourne sur le trottoir plutôt que de subir la morale d’une vieille ; seules deux résistent, dont la fille accueillie par un couple gay (pas un garçon, pour éviter les tentations…). Humour anglais : les bons sentiments ne résistent pas aux dures réalités.

Et c’est ainsi que Kate, qui ne se décide pas à quitter David, finit, sur un coup du sort, de rester. Et que David, qui s’aperçoit vite que ses idées de bonté dérivent dangereusement pour l’équilibre de la famille et des enfants, met du lait dans son thé. D.J. GoodNews est viré (avec égards), les enfants ne sont plus obligés d’inviter leurs pires ennemis (la Hope qui pue, le Christopher demeuré), ni de donner leurs affaires à ceux qui n’en ont rien à foutre. Et la vie reprend, banale, avec ses hauts et ses bas, mais normale. Faire le bien commence par celui de sa famille. Les Grandes causes doivent le rester – aux associations et aux politiciens de s’en occuper, chacun son niveau. Kate continue de soigner et David d’écrire : ce sera un livre – La bonté, mode d’emploi.

Une réflexion plus profonde qu’elle ne paraît sur le « tu dois » de la moraline de gauche, les bons sentiments tenant lieu de politique. Comment être « bon » sans être une poire ? Faut-il « tendre l’autre joue », tout quitter pour suivre un gourou, se dépouiller pour vêtir ceux qui sont nus ? Faut-il suivre les admonestations des prêtres (qui se gardent bien de le faire), et des penseurs de gauche (qui restent bien confortablement dans leurs bureaux) ? Ou faut-il penser par soi-même, et pratiquer la bonté selon ses moyens personnels, avec des gens choisis, et non selon un idéal abstrait sans effet sur la société ? Faire couple, c’est déjà dresser une barrière avec les autres ; élever des enfants, c’est déjà les préférer à tout autre. Être « bon » commence par la base : ses proches, de proche en proche, et pas n’importe qui. Être « bon », c’est faire le mieux que l’on peut avec ce que l’on sait faire : soigner par la médecine, écrire des textes qui font penser. Pas des leçons à donner aux autres, ni de se conforter à être bien-pensant.

Nick Hornby, La bonté, mode d’emploi (How to be Good), 2001, 10-18 2010, 288 pages, €3,18, e-book Kindle €9,99

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Christophe Guilluy, La France périphérique

Relire dix ans après cet essai d’un géographe sociologue est passionnant. Christophe Guilluy a anticipé les Gilets jaunes comme l’irruption d’Emmanuel Macron, puis la chute de l’UMPS au profit des extrêmes, unis dans le populisme du RNFI. Ce n’est pas rien. Certes, les chiffres donnés dans le livre datent ; mais les tendances affichées se sont poursuivies, ce qui est le principal du propos.

Deux France coexistent, comme dans tous les pays occidentaux développés : les métropoles néolibérales du capitalisme américain mondialisé, où se concentrent les emplois, les richesses, les cadres – et une fraction de l’immigration qui en profite -, et le réseau éparpillé des villes petites et moyennes, des zones rurales fragilisées par le retrait des industries et des services publics. Or, démontre-t-il à l’aide des chiffres de l’Insee, si les deux-tiers du PIB français est produit dans les métropoles, 70 % des communes ont une population fragile, ce qui représente 73 % de la population (tableaux chapitre 2).

D’où le divorce idéologique entre les nomades éduqués à l’aise dans le monde, et les ancrés au terroir faute de moyens, isolés des centres de culture et des universités, qui végètent et craignent les fins de mois. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les partis politiques, ni leurs « programmes » qui font les électeurs, mais bien l’inverse. D’où le déclin (irréversible, selon lui) du Parti socialiste et des Républicains modérés, élite des métropoles, en faveur surtout du Rassemblement national (ex-FN) et, marginalement, de LFI.

Car Mélenchon se trompe de combat, dit l’auteur ; il veut ressourcer la vieille gauche révolutionnaire alors qu’elle n’a plus rien à dire sur les chaînes de valeurs. Les yakas ne font pas avancer la machine, qui déroule ses engrenages nécessaires à partir de l’économie. Les années Covid l’ont amplement montré depuis. Mélenchon joue « les banlieues » comme nouveau prolétariat appelé à faire la révolution, dans une lutte des classes devenue lutte ethnique, alors que « les banlieues » ne sont que des centres de transit avant l’intégration. Un flux constant de nouveaux immigrés arrive, toujours pauvres et pas toujours éduqués aux mœurs occidentales, tandis que, dans le même temps, la génération d’immigration précédente s’en sort par les études et les emplois proches dans la métropole, et déménagent pour s’installer dans des quartiers plus huppés.

« Les banlieues », donc, peuvent connaître des émeutes, mais pas de processus révolutionnaire. « Globalement, et si on met de côté la question des émeutes urbaines, le modèle métropolitain est très efficace, il permet d’adapter en profondeur la société française aux normes du modèle économique et sociétal anglo-saxon et, par là même, d’opérer en douceur la la refonte de l’État providence. » Contrairement aux idées reçues une fois encore, et complaisamment véhiculées par les médias, « si les tensions sociales et culturelles sont bien réelles, le dynamisme du marché de l’emploi permet une intégration économique et sociale, y compris des populations précaires et émigrées. Intégration d’autant plus efficace qu’elle s’accompagne de politiques publiques performantes et d’un maillage social particulièrement dense. » Inégalités croissantes mais, paradoxe, intégration croissante.

C’est plutôt sur le déclin de la classe moyenne et la précarisation des classes populaires que vont pousser (qu’ont poussées depuis la parution de l’essai) les nouvelles radicalités. Les Bonnets rouges de la Bretagne intérieure, les petites villes des plans sociaux, les classes moyennes inférieures des périphéries rattrapées par le logement social des immigrés comme à Brignoles, illustrent les fragilités sociales. Paiement des traites des maisons et endettement, frais de déplacement dus à l’éloignement des centres, et difficultés de retour à l’emploi en cas de chômage. Le piège géographique conduit à l’impasse sociale, ce qui explique la sensibilité des gens à l’immigration. « Dans ce contexte d’insécurité sociale, les habitants deviennent très réactifs à l’évolution démographique de leur commune, notamment la question des flux migratoires. »

D’où la poussée du RN, dans le Nord en raison de la précarisation sociale, dans le Sud en raison des tensions identitaires, dans l’Ouest en raison d’une immigration de plus en plus colorée, donc visible. La pertinence du clivage droite/gauche n’a plus cours ; le populo s’en fout. « Paradoxalement, c’est le vieillissement du corps électoral qui permet de maintenir artificiellement un système politique peu représentatif. Les plus de 60 ans étant en effet ceux qui portent massivement leur suffrage vers les partis de gouvernement. » (J’avoue, c’est mon cas). Le clivage actuel est plutôt entre ceux qui bénéficient ou sont protégés du modèle économique et sociétal, et ceux qui le subissent. C’est le cas par exemple dans les États-Unis ayant voté Trompe, ces « hillbillies », les ploucs de collines emplis de ressentiment revanchard contre les élites qui « se goinfrent » et sombrent dans l’hédonisme immoral le plus débridé (Bernard Madoff, Jeffrey Epstein, Stormy Daniel, David Petraeus, Katie Hill, William Mendoza, Mark Souder, Chaka Fattah, Scott DesJarlais, P. Diddy…). En France, « ouvriers, employés, femmes et hommes le plus souvent jeunes et actifs, partagent désormais le même refus de la mondialisation et de la société multiculturelle. »

Que faire ?

Économiquement : La France périphérique cherche une alternative au modèle économique mondialisé, centré sur la relocalisation, la réduction des ambitions internationales, le protectionnisme, la restriction à la circulation des hommes et à l’immigration – au fond tout ce que fait Trompe le Brutal, et son gouvernement Grotesque. « Initiative de quatre départements, l’Allier, le Cher, la Creuse et la Nièvre, les nouvelles ruralités s’inscrivent dans le contexte de la France périphérique. Si l’appellation semble indiquer une initiative exclusivement rurale, ce mouvement vise d’abord à prendre en compte la réalité économique et sociale (…) En favorisant un processus de relocalisation du développement et la mise en place de circuits courts. »

Politiquement : « La droite a joué le petit Blanc en mettant en avant le péril de l’immigration et de l’islamisation La gauche a joué le petit Beur et le petit Noir en fascisant Sarkozy, stigmatisé comme islamophobe et négrophobe. Les lignes Buisson et Terra Nova qui, pour l’une cherchait à capter une partie de l’électorat frontiste et pour l’autre visait les minorités, ont parfaitement fonctionné. » Mais comme ni droite ni gauche n’ont rien foutu contre l’insécurité sociale et culturelle, en bref la précarisation et l’immigration sauvage, les électeurs se sont radicalisés, délaissant PS et Républicains. Y compris les électeurs français ex-immigrés : « Le gauchisme culturel de la gauche bobo se heurte en effet à l’attachement d’ailleurs commun à l’ensemble des catégories populaires (d’origine française ou étrangère), des musulmans aux valeurs traditionnelles. Autrement dit, le projet sociétal de la gauche bobo s’oppose en tout point à celui de cet électorat de la gauche d’en bas. » On parle aujourd’hui de « woke » pour vilipender ce délire gauchiste culturel. D’où le recentrage vers le conservatisme de tous les partis, sauf LFI. Pour garder ses électeurs, il faut répondre à leurs attentes. Or la mondialisation, si elle ne disparaîtra pas en raison des enjeux de ressources, de climat et d’environnement, est désormais restreinte. Le Covid, puis Trompe, l’ont assommée. Les partis politiques doivent donc le prendre en compte et moins jouer l’économie du grand large que les liens sociaux intérieurs. On attend toujours…

Sociologiquement : le mode de vie globalisé à la Jacques Attali, nomade hors sol sans cesse entre deux avions, n’est pas supportable pour la planète s’il se généralisait. Guilluy cite Jean-Claude Michéa, justement inspiré : « C’est un mode de vie hors-sol dans un monde sans frontières et de croissance illimitée que la gauche valorise, comme le sommet de l’esprit tolérant et ouvert, alors qu’il est simplement la façon typique de la classe dominante d’être coupée du peuple. » Au contraire, la majorité de sa population se sédentarise, s’ancre dans les territoires, faute de moyens pour accéder aux métropoles où les loyers et le mètre carrés se sont envolés. Dans un chapitre intitulé « le village », l’auteur montre comment la trappe à emploi a piégé les déclassés en périphérie des métropoles, et agit idéologiquement comme un contre-modèle valorisé de la société mobile et mondialisée. L’enracinement local est source de lien sociaux. « Face à la mondialisation et à l’émergence d’une société multiculturelle Ce capital social est une ressource essentielle pour les catégories populaires, qu’elles soient d’origine française ou immigrée. Des espaces ruraux aux banlieues, ce capital du pauvre est la garantie de liens sociaux partagés. » D’où les revendications identitaires aux Antilles, en Corse, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie pour se préserver des flux migratoires.

Christophe Guilluy note malicieusement que c’est exactement la même tendance en Algérie ou au Maroc, où l’immigration noire alimente les tensions sociales. Et même en Palestine ! « Si on se détache un instant de ces passions géopolitiques, on ne peut qu’être frappé par la banalité des ressorts du conflit. Territoires, instabilité démographique, insécurité culturelle, rapport à l’autre… les tensions, la cause des tensions sont toujours les mêmes. Pour les Juifs israéliens, la peur de devenir minoritaire est d’autant plus forte que le territoire est restreint et la dynamique démographique, à l’exception des orthodoxes, faibles. Pour les Palestiniens, la question du territoire est d’autant plus vitale que la dynamique démographique est forte. La banalité de cette lutte territoriale et culturelle est occultée par l’instrumentalisation politique du conflit qui ne permet pas de percevoir le caractère universel de ces tensions. En la matière, il n’y a pas à rechercher de spécificité juive ou arabo-musulmane à l’histoire d’Israël. » Et paf ! C’était dit dès 2014.

Un petit essai très intéressant à relire.

Christophe Guilluy, La France périphérique – Comment on a sacrifié les classes populaires, 2014, Champs Flammarion 2024, 192 pages, €7,00, e-book Kindle €5,99

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Extinction des Lumières

Avec les feux de la guerre et les montées populistes aux extrêmes, les Lumières s’éteignent progressivement. Les Lumières de la Raison, elles qui, selon Descartes seraient la chose du monde la mieux partagée.

Les Russes laissent faire par lâcheté leur dictateur qui leur rappellent le bon gros tyran Staline ; le viril s’étale torse nu sur un ours pour montrer sa puissance… alors qu’avec sa démographie en chute libre à cause de la vodka et de l’état lamentable des systèmes de santé, les gens font moins d’enfants et l’espérance de vie s’amenuise. Les Yankees ont, volontairement cette fois, réélu un bouffon qui ne lit jamais un livre, attrape les femmes par la chatte, et croit que tout peut se résoudre par un bon deal. Inutile d’être intelligent, il vaut mieux êtres riche : tout s’achète. Sauf le tyran de la Corée du Nord, qui l’a bien roulé, le tyran de la Russie actuelle, qui s’apprête à le faire, le tyran chinois qui s’y prépare avec orgueil, et même le tyran israélien qui ne pense qu’à bouter les Philistins hors de Palestine en manipulant les Évangélistes chrétiens crédules.

La lecture du dernier numéro de la revue L’Histoire sur la guerre de Crimée (n°528, février 2025), rappelle que voici moins de deux siècles, la guerre contre le tsar de toutes les Russies visait déjà à contrer l’impérialisme grand-russien, et son idéologie ultra conservatrice orthodoxe. Cela au nom des Lumières et du printemps des peuples après 1848. « Un combat mené au nom de la civilisation et de la liberté contre la barbarie et le despotisme », c’est ainsi que l’historien Sylvain Venayre résume cette guerre. Il poursuit : « en défendant l’autonomie de la Roumanie et la libre circulation sur le Danube, Napoléon III se faisait d’ailleurs le champion de la liberté. » Remplacez Roumanie par Ukraine et Danube par Mer noire, et vous aurez l’aujourd’hui. Certes N3 avait en vue la gloriole militaire pour installer son régime, ce qui n’est pas le cas de nos chefs d’État européens élus pour quelques années seulement, mais les constantes sont les mêmes : la démocratie (bien imparfaite) contre le fait du prince, le progrès social contre l’archaïsme des gras oligarques.

On aurait pu croire, au vu de l’Histoire, que les États-Unis, premiers à établir une fédération démocratique dans le Nouveau monde, contre les féodalismes en Europe, allaient poursuivre la défense de l’Ukraine, pays envahi au contraire de tout droit international, contre les traités pourtant signés (y compris par les Américains), et aux côté des Européens. Mais non.

Donald Trump est un TRAÎTRE.

C’est un « chicken », comme disaient les Yankees des Français sous Chirac, qui n’avait pas voulu suivre Bush junior dans son mensonge sur les armes de destruction massive, prétexte commode pour envahir l’Irak de Saddam. Trump préfère dealer avec les plus forts que faire respecter le droit et les alliances. Il donne à Poutine tout ce qu’il veut sans en parler avec ses soi-disant « alliés », autorise l’Israélien poursuivi par la justice à reprendre la destruction systématique de Gaza au cas où « les otages » ne seraient pas libérés, taxe Canadiens, Mexicains et Européens mais pas les Chinois, à qui il autorise encore TikTok pour 75 jours. Les Lumières ? Il ne sait pas ce que c’est. Sauf peut-être le gaz à « forer, forer, forer » pour les allumer.

La nouvelle idéologie russe est résolument anti-Lumières. Poutine tourne le dos à Pierre-le-Grand et s’assoit sur Catherine II pour se tourner vers les Mongols et l’exemple de la tyrannie chinoise. « L’autocratie finit par trouver sa justification dans l’iniquité même de ces actes », écrit Henri Troyat, russe blanc réfugié en France, à propos de l’opposition des cadets au tsar Nicolas 1er. On pourrait écrire la même chose de Navalny face au système Poutine.

La nouvelle idéologie trumpienne, tirée du Projet 2025 de The Heritage Foundation, se tourne elle aussi résolument vers « Dieu » et prône un « retour » aux valeurs conservatrices de la famille, du travail et de l’égoïsme patriote. Fondé par un milliardaire de la bière, ce think-tank est résolument réactionnaire. Les quatre causes du fascismes servent au dealer à mèche blondie pour agiter les foules et reprendre le pouvoir. « Que parles-tu de vérité ? Toi, le paon des paons, mer de vanité », clame Nietzsche devant le vieillard méchant (Trump a 79 ans). Les électeurs qui l’avaient viré ont viré leur cuti, par dépit de voir les Démocrates désigner « une métèque incompétente », pro-woke – la hantise de ceux qui ne savent pas ce que c’est.

En Europe et en France, la contre-Révolution est en marche, appelée par Alain de Benoist et l’AfD, encouragé par le vice-président américain Vance, rebaptisée Révolution conservatrice ou Konservative Revolution pour faire plus aryen, idéologie qui a préparé le nazisme. L’Italie a déjà une Présidente du Conseil dans la lignée de Mussolini et proche des conseillers de Trump ; l’Allemagne s’oriente aux élections, à coup d’attentats d’immigrés contre ses citoyens, vers le parti pro-nazi ; la France se prépare à peut-être aller dans la même direction, si les politiciens continuent d’être rattrapés par les « affaires » de détournements – de fric et de mineurs – et l’Assemblée ressembler à une bande de macaques en rut.

La modération dans les jugements, la tempérance dans les attitudes, ne sont plus de mise. Chacun se met en scène pour offrir son narcissisme aux « like » des accros aux réseaux d’abêtissement généralisé. Les requins en jouent, qui rachètent les médias, dont les principaux sont aujourd’hui sous forme d’applications. Ils sont bien en retard, les français Arnault, Dassault, Bolloré, Niel, Drahi, Kretinsky, avec leurs « journaux » et magazines : qui les lit encore ? Musk a mieux senti le vent avec Twitter, rebaptisé X du nom de son garçon « X Æ A-XII ». Tout comme le parti communiste chinois qui prépare sa prochaine guerre hybride avec TikTok.

Devant ces faits et ces tendances, que faut-il penser ?

Faut-il « s’indigner », comme la gauche inepte l’a fait durant tant d’années, sans jamais agir une fois au pouvoir ?

Faut-il suivre la droitisation de la société, effrayée par les attentats au prétexte de l’islam et par le grignotage des emplois par les multinationales américaines, tandis que le libéralisme européen laisse portes et fenêtres ouvertes à « la concurrence » ?

Faut-il opter pour les extrêmes – qu’on n’a pas essayé depuis deux générations – le trotskisme à la Chavez d’un Mélenchon ou le pétainisme de châtiment à la Le Pen ?

Plus que jamais, j’en suis personnellement convaincu, la modération et l’usage de sa raison restent plus que jamais des façons d’être.

Bien que libéral économique, Macron ne séduit plus, il est trop dans sa tour et n’écoute plus personne.

Bien que modéré et centriste, Bayrou ne séduit pas, solidement catho pour les valeurs et attaché à surtout en faire le moins possible pour ne pas prendre de risque.

Bien qu’ayant gouverné, mais surtout par le caquetage impuissant face à « mon ennemi la finance », ou « je vais renégocier l’Europe », les socialistes ne sont pas crédibles ; ils ne savent même pas où donner de la tête, comme des canards affolés, entre censure ou pas, suivre le tyran – mais « de gauche » – ou exister par eux-mêmes – mais avec quel projet crédible pour les Français ?

Bien que la droite relève la tête, depuis que certains ont retâté depuis six mois du gouvernement, leurs décennies au pouvoir depuis 1986 n’ont pas fait grand-chose pour résoudre les problèmes cruciaux de la France : son État obèse et trop bureaucratisé qui empêche l’innovation, sa dette pérenne qui empêche toute politique publique d’ampleur, ses trop gros impôts improductifs qui dissuadent d’investir et de créer de l’emploi, ses tabous sur la maîtrise de l’immigration.

Alors quoi ?

Éliminer le pire plus que voter pour un projet ? Attendre de voir enfin se lever un candidat crédible, voire plusieurs, avec un objectif pour le pays et les moyens réalistes, hors démagogie ?

Si un duel Le Pen-Mélenchon a lieu aux prochaines présidentielles, il faudra bien choisir entre la peste et le choléra. Les deux se soignent, mais l’un fait plus mal, aussi je ne vois pas comment « la gauche » pourrait se réjouir.

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A jouer au con, on le devient

Qu’arrive-t-il à « la gauche » ces temps-ci ? Une régression boutonneuse comme ces à peine pubertaires qui se fâchent parce qu’ils ont été « traités » ou parce qu’untel « l’a dit » ? François Bayrou, encore Premier ministre, a énoncé « un sentiment de submersion », à Mayotte surtout et parfois ailleurs. En bon agrégé de lettres classiques, il sait ce les mots veulent dire, au contraire des Vallaud (juriste énarque), Faure (économiste politicien) et autres faibles du parti qui se dit « socialiste ».

Bayrou énonce une réalité. Bien loin des « grands mots » des enflures théâtrales à la Hugo, qui sonnent bien mais accrochent peu, tant les gens sont exaspérés de l’écart grandissant entre les mots et les actes. Bien nommer les choses, disait Camus, c’est déjà avoir prise sur le réel. S’enfumer de « Grands principes » et de « mots tabous » n’est qu’une hypocrisie de petite politique politicienne. Il y a des jours où « les socialistes » feraient mieux de se taire et de travailler.

« Alerte vagues submersion : le niveau 5 déclenché à Biarritz », énonce la Météo ces jours-ci, sans que les caciques du parti rose n’y voient une désinformation due au Rassemblement national. Il s’agit de vagues (pourtant marines) pouvant emporter un promeneur sur le bord de côte, pas d’un tsunami. Même chose pour l’immigration : le chef de l’extrême-centre reste modéré et n’entonne pas les clairons de l’extrême-droite. Il y a un vrai problème à Mayotte, comme dans certaines régions françaises (la Guyane, le Nord, par exemple). Le nier au nom du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout le monde il a droit, est une niaiserie. C’est jouer l’autruche à se cacher la tête dans le sable, endosser le rôle de Tartuffe devant le sein qu’il ne saurait voir – mais qui existe.

Or « le peuple » – les citoyens qui votent et manifestent – savent bien qu’il y a une question. Qu’aucun gouvernement n’a prise à bras le corps, contrairement à ce qui a été fait au Canada, en Suède, au Danemark et ailleurs. Ne pas la considérer revient à laisser la place à tous les excès des « yakas » par les « fauqu’on ». Donc à ouvrir tout droit un boulevard aux Trump et autres adeptes de la tronçonneuse.

Le problème de Mayotte est dû à la droite, jamais cohérente dans ses choix contradictoires. Il n’aurait jamais fallu faire de cette île un « département ». La solution serait probablement de le transformer en « territoire d’outre-mer », analogue à Tahiti, en décentralisant la gestion des flux et sans que les nés sur place deviennent français par automatisme. Mais qui prendra à bras le corps cette question ? La droite, aujourd’hui à grande gueule, n’a rien foutu malgré sa décennie de gouvernement.

Il y a bien d’autres menaces de « submersion » aujourd’hui que Mayotte. Cette île n’est (pour paraphraser le diable) qu’un « détail » politique dans la multiplicité de problèmes bien plus graves. Pensons à la « submersion » de la dette, que les marchés vont nous infliger s’il y a encore censure et une fois de plus aucun budget ; à la « submersion » de l’anti-parlementarisme devant cette Assemblée de singes qui ne pensent qu’à leur banane personnelle et pas à la jungle qui les environne ; à la « submersion » des licenciements par l’attentisme des investissements d’entreprise devant l’incertitude et l’immobilisme politique persistant ; à la « submersion » du prochain vote à l’extrême, comme on l’a vu aux États-Unis, face aux errements de « la gauche » et de sa débilité politique.

En jouant chaque jour un peu plus aux cons, les « socialistes » le deviennent. Ils sont à chaque fois ramenés vers la radicalité mélenchonne, une envie de tout casser et de renverser la table pour virer ces incapables qui se goinfrent en Assemblée aux frais des contribuables – sans faire leur boulot qui est de composer une politique. Au risque que le parti socialiste soit assimilé définitivement au parti insoumis, et que cette radicalité révolutionnaire entraîne un mouvement de rejet clairement en faveur de l’ordre… donc du RN. La chienlit, ça suffit ! Avait dit de Gaulle avant d’emporter l’Assemblée en 1968, avec une majorité introuvable.

On ne sait même plus de quel « socialisme » on parle chez les Vallaud, Faure et autres indignés pour un mot. Le socialisme utopique des « droits » de 1848 et de l’enflure romantique ? Le socialisme « scientifique » des moyens de production de Marx ? Le socialisme d’État à la chinoise avec surveillance tout azimut et camps de redressement ? Du socialisme « réel » des soviétiques, de sinistre mémoire (« sinistre » vient de « gauche ») ? Le socialisme démocratique à la scandinave qui a pris la « submersion » migratoire à bras le corps, en imposant une intégration des valeurs du pays aux postulants étrangers) ? Le faurisme est instable, comment pourrait-il établir une relation durable en politique ?

Le Bruit du tic-tac se rapproche (titre d’un livre commis par Olivier Faure avec Lucile Schmid en 2001) : la France va bientôt exploser si les députés ne se reprennent pas pour faire leur travail (comme tout le monde !), et ce sera un benêt rose soi-disant indigné, comme le Premier secrétaire (mal élu) du PS, qui aura allumé la mèche.

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Trump et nous

Donald, duc aux cheveux oranges, a gagné non seulement les institutions, mais aussi la population. Il est désormais président de plein exercice des États-Unis, ayant remporté la présidence, le Sénat, la Chambre des représentants, et conservant la Cour suprême. Il a tous les pouvoirs.

Quelle leçon pour nous ?

Son succès est dû à la fois au discours populiste et aux réseaux sociaux.

Il est populiste parce qu’il agite les plus bas instincts humains, la peur et la haine, la survie. L’immigration est pour lui le bouc-émissaire facile de tout ce qui ne va pas en Amérique (comme pour Le Pen-Zemmour). Ceux qui sont différents sont aussi nuisibles que des Aliens venus d’ailleurs ; ils menacent insidieusement la base WASP des États-Unis, en régression démographique. « Apocalypse zombie », dit Elon Musk de l’immigration – bien que lui-même soit immigré. La vulnérabilité aux théories du complot (paranoïa) serait causée par l’instinct de survie : les informations potentiellement dangereuses, même fausses, sont prises en compte plus fortement que les autres ; on les croit plus vite et plus volontiers, selon le Système 1 du cerveau expliqué par Daniel Kahneman.

C’est aussi, pour Trump le trompeur, un coin enfoncé dans la bonne conscience morale de ses adversaires intellos de gauche. Ce pourquoi Kamala Harris, demi-Jamaïcaine et demi-Indienne, n’était probablement pas la bonne candidate pour contrer le mâle blanc dominateur d’origine allemande.

Les réseaux sociaux, c’est Elon Musk (né en Afrique du sud alors raciste), autiste Asperger harcelé à l’école et père de douze enfants avec trois femmes, dont les garçons X Æ A-XII (ou X), Techno Mechanicus (ou Tau), la fille Exa Dark Sideræl (ou Y), et un transgenre Xavier devenue fille (Vivian), « piégée par le woke », dit-il. Il veut sa revanche sur la société et devient l’innovateur en chef de l’Amérique d’aujourd’hui avec SpaceX, Tesla, le transhumanisme Neurolink, OpenAI, xAI et le réseau X (ex-Twitter). Les algorithmes des ingénieurs du chaos, si bien décrits par Giuliano di Empoli dans son livre chroniqué sur ce blog, ont appris tout seul à capter le ressentiment et à s’en servir pour asséner des slogans porteurs à des publics précis.

Le seul personnage historique en politique qui ait réussi cette alliance de manipulation des bas instincts et de technique la plus avancée a été Adolf Hitler. Peut-être est-ce ce qui nous attend.

Le moralisme de gauche politiquement correct qui dérive de plus en plus vers le woke revanchard des minorités colorées, est manifestement rejeté par la population des États-Unis, dans un mouvement non seulement anti-élite, mais aussi anti-assistanat. La liberté prime sur toute notion d’égalité. Les gens veulent faire ce qu’ils veulent sans que des normes, des règles, des lois, ou l’État puissent s’y opposer. Les libertariens représentent l’acmé de l’individualisme porté par le mouvement démocratique. Non sans contradictions : s’il est interdit d’interdire, pourquoi interdire l’avortement pour des raisons morales ?

Le projet MAGA pour l’Amérique à nouveau forte d’Elon Musk, riche de 210 milliards $ et désormais conseiller du président, vient de ses expériences industrielles :

  • Il préfère les essais aux théories, développer par itération plutôt que de tout concevoir en une fois – d’où le flou du « programme » politique.
  • Il cherche avant tout à éliminer pour optimiser – d’où ses propositions de supprimer des milliers de fonctionnaires (5 % par an minimum) et les règles « inutiles » voire « néfastes » à l’initiative.
  • Il prône l’intégration verticale, un maximum de compétences en interne pour maîtriser le maximum de choses sans dépendre de sous-traitants, de leur bon-vouloir, leurs délais, leurs difficultés – d’où les droits de douane élevés aux importations des pays tiers, le rapatriement des industries sur le territoire, et la méfiance envers les « alliances » et tout ce qui n’est pas « intérêt » premier de l’Amérique, voire les coups d’État encouragés à l’étranger proche si c’est pour accaparer les mines de lithium.

A noter pour nous qu’Elon Musk est proche en Europe d’Alain Soral et de Giorgia Meloni ; il a aussi désactivé son réseau de satellites lors d’une offensive ukrainienne en Crimée pour faire plaisir au tyran mafieux Poutine.

La politique, ce n’est pas du rationnel, c’est de l’irrationnel.

Ce sont les émotions véhiculées par les images, mais surtout les instincts de base que sont la peur, la faim, le sexe, qui motivent les votes des électeurs. Freud distingue les pulsions de vie liées à la recherche du plaisir, de la satisfaction et de l’amour – et les pulsions de mort liées à l’agressivité, à la destruction et à la pulsion de retour à l’inorganique. Les psychologues modernes, notamment américains, résument les instincts fondamentaux en : survie, reproduction, réalisation personnelle, soin.

Pour Trump :

  • la peur, donc la survie, c’est l’immigration et le changement culturel du woke ;
  • la faim, donc la réalisation personnelle et le soin aux citoyens légitimes, ce sont les bas salaires, la concurrence chinoise et allemande, et le trop d’impôts ;
  • le sexe, donc la reproduction, c’est le féminisme croissant qui dévalorise la virilité et la victimisation hystérique des Mitou qui fait de tout mâle – dès la maternelle – un violeur prédateur dominateur en puissance.

Où l’on constate objectivement, dans ces élections, que près de la moitié des femelles américaines semblent plutôt aimer être « prises par la chatte », comme l’a déclaré Trump – puisqu’elles ont voté largement pour lui – et que beaucoup de Latinos et de « Nègres » (ce nouveau mot ancien qui va faire führer aux USA, déjà né sous X) préfèrent un mâle blond, riche et autoritaire à une femelle classe moyenne, métissée et libérale.

C’est peut-être aussi ce qui nous attend – dans les prochains mois et les prochaines années.

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Un RN plus bonapartiste que fasciste

Le RN a échoué au second tour des Législatives face au « front républicain ». Les désistements ont aidé à éliminer le pire – plutôt que de choisir le meilleur. Mais les résultats du premier tour demeurent : le RN est un parti qui rassemble 10 millions de voix (sur 48). Il compte et comptera, même s’il ne gouverne pas à sa guise. Autant le voir comme un parti de plus en plus comme les autres.

C’est la pensée facile des non-lepénistes de traiter de « fascistes » tous ceux qui ne pensent pas selon les bonnes vieilles valeurs « de gauche ». Comme si «la gauche » était une et dotée de valeurs uniques ; comme si « les valeurs » de gauche ne passaient pas progressivement à droite dans l’histoire (les libertés, le républicanisme, le nationalisme, la colonisation-mission civilisatrice, la production industrielle, l’avortement, le PACS, la protection du patrimoine et de l’environnement…). Qu’y a-t-il de commun aujourd’hui entre un Glucksmann et un Mélenchon ? Entre un Roussel et une Tondelier ?

J’ai relu une fois de plus l’étude historique que René Rémond a consacré à La droite en France, de la première Restauration à la Ve République(1968) dont il a livré un complément de poche en 2007 intitulé Les droites aujourd’hui. Pour lui, le fascisme n’est qu’un terme de combat de la gauche contre tous les autres ; « le fascisme » n’a pas existé en France, pas même sous Pétain ; il n’a existé que de pâles imitations éphémères comme celles du PPF de Jacques Doriot (venu du communisme) et des groupuscules issus de l’OAS. La thèse de l’Israélien Zeev Sternhell selon laquelle le fascisme serait né en France ne résiste pas à l’examen historique : il s’agit encore d’une fausse vérité.

Le Rassemblement national ferait-il figure d’exception et serait-il fasciste ou crypto-fasciste ? Maintenant qu’il est parvenu presque au pouvoir (mais pas encore), peut-être serait-il bon de quitter le domaine stérile des invectives impuissantes pour l’analyse – qui permet tous les combats ? Cette attitude est certes celle du libéralisme de raison, pas celle de la passion activiste, mais elle est la seule qui soit à la fois réaliste et efficace pour l’avenir.

Si le vieux Le Pen pouvait être fasciste, en tout cas ligueur avec peu de goût pour l’exercice du pouvoir, la mûre Marine préfère le jeu républicain des campagnes électorales et du combat en meetings. Quant au jeune Bardela, il est l’image renouvelée du gendre idéal, du modèle de vertu né dans la banlieue (mais avec un père PDG), qui fait où on lui dit de faire. Le tout, nationalisme du père, autoritarisme de la fille, jeunesse révolutionnaire du fils spirituel, font le bonapartisme. Guizot disait de ce mouvement : « C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité. » Le bonapartisme historique, celui des deux Napoléon, est féru d’autorité et de hiérarchie méritante, sur le modèle de l’armée ; il est antiparlementaire et plébiscitaire, car plus pour la décision que pour les parlotes et les ergotages, mais aussi populiste contre le droit et les institutions : « le peuple est la Cour suprême », résumait Bardela.

De Gaulle était bonapartiste, pas Giscard ; Chirac était bonapartiste, comme Villepin et Sarkozy, pas Pompidou, ni Chaban, ni Barre, ni Raffarin. Macron, comme Giscard et Barre, est libéral, bien que contaminé par le pouvoir d’État et trop sûr de son intelligence pour écouter quiconque ou s’appuyer sur les corps intermédiaires, comme pourtant tous les régimes libéraux le font. La PME familiale Le Pen veut renouer avec cette tradition française du bonapartisme qui vient de loin. René Rémond note que les régimes lassent en 15 ou 18 ans au XIXe siècle, c’est peut-être plus court dans la dernière moitié du XXe siècle (1946-58 : 12 ans, 1958-68 : 10 ans, 1969-81 : 12 ans, 1982-95 : 13 ans, 1996-2007 : 11 ans, 2008-2024 : 16 ans). L’heure est bientôt venue « d’essayer » autre chose. Quoi ? Un baril de lessive ? Non, un autre bonapartisme, débarrassé des qualificatifs coupables collés par une gauche aux abois et un centre équilibriste qui est tombé. Ce n’est pas pour 2024, mais 2027 ?

Le bonapartisme historique s’est effondré sous la défaite de Sedan en 1870 mais sa mentalité demeure, fille de l’égalitarisme de la Révolution et de la méritocratie de l’Empire. Tous contre les notables ! Contre les intellos ! Contre les avocats embobineurs ! Contre les riches hors-sol ! « Sursaut de l’énergie contre le verbalisme, révolte du tempérament contre la raison, le nationalisme porte des tendances foncièrement anti-intellectualistes », écrit René Rémond (chap.6). La France d’abord ! Le peuple avant tout ! Les réalités sociales avant les comptes publics ! D’où la doctrine pressée, avide de majorité absolue et de décrets rapides, l’écoute des doléances plutôt que des grands équilibres, la répugnance aux pensées universelles des grands principes et des traités, et aux « machins » que sont les organisations internationales. « La droite n’a pas foi dans l’esprit de Genève » notait René Rémond à propos de la SDN ; place plutôt à la soumission à l’ordre naturel, organique, contre toute construction intellectuelle qui ferait dévier le cours des choses.

D’où l’acceptation de l’impérialisme poutinien… puisqu’il se manifeste. Mais pourquoi ne pas résister, au nom d’un sentiment national français dans une Europe-puissance ? Tout d’abord parce que l’Amérique, métissée, melting pot, impérialiste multiculturelle, woke par délire d’un évangélisme niais, suscite à la droite de la droite une haine que ne suscite pas Poutine, très maréchaliste à la Pétain et Blanc d’abord. Mais ensuite parce que le Kremlin cherche à déstabiliser les démocraties occidentales par la guerre hybride via les réseaux sociaux suivis aveuglément par les gogos, depuis 2016 au moins – et que ça marche ! Cela dit, le terreau est favorable : que la « préférence nationale » hérisse la gauche idéaliste, cela se comprend ; mais il faut comprendre aussi les Français très moyens qui voient les « aides » toujours accordées aux autres, tandis que pour eux sont avant tout exigés les impôts. Cette conception n’a rien de « nazie » et a été revendiquée en son temps par « la gauche » comme par d’autres pays européens. Ce n’est pas la peine de grimper aux rideaux comme si l’on allait « foutre tous les bougnoules » en chambre à gaz. Si certains, exaspérés, le disent ou osent même parfois le penser, ce n’est pas le cas du parti RN – et ce n’est pas pire que les éructations antisémites ou anti-république des LFI.

Le bonapartisme d’affinité lepénien ne va donc pas sans contradictions. Il agglomère en effet des sensibilités différentes, de ceux qui prônent la contre-révolution, soit le retour avant 68 (cathos tradi), ou avant 45 (nostalgiques de l’ordre moral colonial avec travail, famille patrie), ou avant 1873 (l’abandon de la monarchie légitime pour la République), ou avant 1848 (une monarchie tempérée comme en Angleterre), ou avant 1789 (pour les légitimistes réfractaires aux Droits de l’Homme et autres billevesées intellos des Lumières), ou encore avant le néolithique (selon certains écologistes libertariens qui y voient l’instauration de la propriété, donc de la prédation économique et de l’État, donc de la restriction des libertés). La tonalité illibérale de ce bonapartisme là est en tout cas nettement affirmée. Mais le bonapartisme est une synthèse attrape-tout fondée sur le plébiscite ; elle a utilisé les libéraux quand c’était nécessaire mais le libéralisme ne lui est pas forcément nécessaire.

L’exercice du pouvoir devrait polir ces aspérités ou faire éclater les incompatibilités – comme toujours. En attendant, nous assistons à un naïf « mélange de calcul et de générosité, d’illusion et de démagogie, (…) [le parti bonapartiste] caresse le rêve utopique de satisfaire les prolétaires et de rassurer les possédants ; autoritaire et vaguement socialisant, il essaie de jouer sur les deux tableaux et espère réconcilier la nation française sur une politique de grandeur » chap.8, écrit René Rémond, toujours actuel.

Pour le Rassemblement national, les Français le verront à l’usage et les électeurs à l’essai. Pas encore cette année, mais probablement pour l’avenir. Le refus actuel ne dispense pas d’y penser.

Le bonapartisme sur ce blog :

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Mélenchon sur l’exemple de Lénine

Il y a beaucoup de points communs dans la dynamique enclenchée par Mélenchon et celle entreprise par Lénine il y a plus d’un siècle. Il s’agit à chaque fois de prendre le pouvoir, et de ne pas attendre qu’il tombe tout cuit des circonstances. Rien de démocratique, il s’agit d’un coup de force.

Au nom du Bien, évidemment. Mélenchon, comme Lénine, croit qu’il détient la vérité de l’Histoire et le destin du Peuple. « La République, c’est moi ! » a-t-il éructé devant les policiers mandatés par un juge de la République, niant la légitimité des institutions parce qu’elles le contestaient, lui.

Dès l’été 1917, les Bolcheviques (LFI) prennent le pas au sein des Soviets sur les Mencheviks (Socialistes et écologistes). Lénine prône la paix immédiate (comme Mélenchon en Ukraine et à Gaza) et tient un discours simpliste qui séduit de plus en plus (le Programme du Smic à 1600 €, de la retraite à 60 ans, et ainsi de suite). Les élections municipales de Moscou de septembre (les Européennes et les Législatives françaises 2024) traduisent un changement du rapport de forces en désavouant les Mencheviks (PS et Verts). Après le coup d’État, Lénine se justifiera devant les représentants de la garnison de Petrograd en affirmant « Ce n’est pas notre faute si les S-R et les Mencheviks sont partis. Nous leur avons proposé de partager le pouvoir […]. Nous avons invité tout le monde à participer au gouvernement ». Exactement ce que fait Mélenchon aux autres partis du Nouveau front popu… à condition qu’il en soit le leader.

Selon l’historien Nicolas Werth : « la révolution d’Octobre 1917 nous apparaît comme la convergence momentanée de deux mouvements : une prise du pouvoir politique, fruit d’une minutieuse préparation insurrectionnelle, par un parti qui se distingue radicalement, par ses pratiques, son organisation et son idéologie, de tous les autres acteurs de la révolution ; une vaste révolution sociale, multiforme et autonome […] une immense jacquerie paysanne d’abord, […] l’année 1917 [étant] une étape décisive d’une grande révolution agraire, […] une décomposition en profondeur de l’armée, formée de près de 10 millions de soldats-paysans mobilisés depuis 3 ans dans une guerre dont ils ne comprenaient guère le sens […], un mouvement revendicatif ouvrier spécifique, […], un quatrième mouvement enfin […] à travers l’émancipation rapide des nationalités et des peuples allogènes […]. Chacun de ces mouvements a sa propre temporalité, sa dynamique interne, ses aspirations spécifiques, qui ne sauraient évidemment être réduites ni aux slogans bolcheviques ni à l’action politique de ce parti […]. Durant un bref mais décisif instant — la fin de l’année 1917 — l’action des Bolcheviks, minorité politique agissante dans le vide institutionnel ambiant, va dans le sens des aspirations du plus grand nombre, même si les objectifs à moyen et à long terme sont différents pour les uns et pour les autres. »

Nous reconnaissons dans les faits d’hier des faits récents qui leurs ressemblent :

  • « un parti qui se distingue radicalement par ses pratiques, son organisation et son idéologie » – LFI, qui n’a rien à voir avec le PS par exemple ;
  • « une vaste révolution sociale, multiforme et autonome » – les Gilets jaunes, les manifs contre le recul de l’âge de la retraite, les méga bassines, etc.
  • «  une immense jacquerie paysanne » – les manifs d’agriculteurs
  • «  un mouvement revendicatif ouvrier » – avec les syndicats tous unis « contre » le RN et « contre » les réformes Macron, et « pour » le Smic augmenté ;
  • « l’émancipation rapide des nationalités et des peuples allogènes » – des Palestiniens à Gaza aux Africains de la Françafric, jusqu’aux immigrés de banlieue – thèmes chers aux Mélenchonistes avec leurs dérives : partant de l’anticolonialisme, ils en arrivent à l’anti-impérialisme, donc à l’anti-capitalisme, souvent juif, donc à l’antisémitisme, d’autant que les États-Unis soutiennent Israël à cause non seulement d’une vaste communauté juive mais aussi aux évangélistes qui croient à l’avènement du Messie là-bas après une bonne guerre.
  • Reste l’armée qui n’est pas concernée en 2024 alors qu’elle était en première ligne en 1917.

Rappelons les suites du coup de force de Lénine : « En quelques semaines (fin octobre 1917 – janvier 1918), le « pouvoir par en-bas », le « pouvoir des soviets » qui s’était développé de février à octobre 1917 (…) se transforme en un pouvoir par en-haut, à l’issue de procédures de dessaisissement bureaucratiques ou autoritaires. Le pouvoir passe de la société à l’État, et dans l’État au parti bolchevique » (Nicolas Werth). C’est bien ce que Mélenchon voudrait faire, sur l’exemple de Chávez au Venezuela, son modèle favori.
Pour cela, affirmer qu’il a gagné (alors qu’il n’a obtenu que très peu de suffrages et n’a aucune majorité), accuser le Président de forfaiture (alors qu’il ne fait qu’appliquer la Constitution), semer la zizanie sociale, imposer ses vues aux partis du cartel électoral à gauche, fomenter des manifs pour « marcher sur Matignon » (comme Mussolini sur Rome)… Tout est bon pour semer le chaos – et ainsi profiter du désordre pour imposer SON ordre. Il faut plus que jamais se méfier de Mélenchon, faux socialiste et vrai révolutionnaire, dénoncer Mélenchon, faux républicain et vrai dictateur en puissance.

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La gauche n’a pas gagné

Contrairement à ce que veut nous faire croire Mélenchon, « la gauche » n’a pas gagné les Législatives. Elle est minoritaire en voix, aussi bien au premier tour qu’au second. Le RN rafle 8 744 080 voix au second tour, soit 20,18% des inscrits et l’Union de gauche 7 004 725, soit seulement 16,17% des inscrits (près de 2 millions de voix de MOINS qu’au premier tour). Ensemble, ex-majorité présidentielle, arrive en 3e position avec 6 313 808 voix, soit 14,57% des inscrits et LR ne recueille que 1 474 650 voix, soit 3,4% des inscrits…

Il y a eu 14 460 749 abstentions, 33,37% des inscrits et seulement 2,76% de votes blancs.

Le second tour reproduit à peu près le premier tour avec le RN en tête avec 9 379 092 voix, 19,01% des inscrits, l’Union de gauche 8 995 226 voix, 18,23% des inscrits, Ensemble 6 425 707 voix, 13,03% des inscrits et LR 2 106 166 voix, 4,27% des inscrits.

L’abstention était de 33,29% des inscrits et les votes blancs de 1,18%. (Source : Ministère de l’Intérieur)

On n’applique pas son programme intégralement avec 16% des inscrits.

Le scrutin majoritaire à deux tours a été conçu pour tenter de dégager une majorité, mais cela n’a pas fonctionné cette fois-ci.

Certes, le Nouveau FP a obtenu 182 sièges, mais il est loin de la majorité absolue de 289 sièges, et loin aussi d’une confortable majorité relative qui lui permettrait de gouverner à sa guise sans motion de censure des autres groupes.

Ni Ensemble, 163 sièges, ni le RN, 143 sièges, ne le peuvent non plus.

Impasse.

Sauf à créer une coalition de partis jusqu’ici hétéroclites, aptes à élaborer des compromis, autrement dit à tempérer leurs programmes respectifs pour qu’ils soient compatibles avec l tolérance des autres.

Le Nouveau FP pourrait s’allier avec les Divers gauche et une partie d’Ensemble pour obtenir une majorité de 289 sièges ; il lui faudrait 96 Ensemble consentants. Ce n’est pas impossible sur certains sujets, mais sûrement pas sur « le programme » imposé par LFI.

Ensemble pourrait tenter de s’allier aux LR mais elle n’aurait que 231 voix, là encore c’est insuffisant pour obtenir la majorité absolue, sans compter que les LR boudent leur hégémonie déchue et récusent toute alliance… pour le moment.

Impasse.

Mais à jouer aux cons, tous risquent de le devenir vraiment.

Le Mélenchon joue son Lénine en décrétant que la minorité agissante – la sienne – est la seule à représenter le peuple et que lui – son chef – a bien envie de faire un coup d’État comme en 17. Il répugne cependant aux Français, et même à beaucoup d’électeurs qui ont voté à gauche au second tour : c’était pour « faire barrage » au RN pas pour « élire Mélenchon Premier ministre ».

Faure et Hollande jouent leurs petits arrangements électoralistes en vue des Municipales de 2026 et de la Présidentielle de 2027 : exercer le pouvoir d’ici-là serait être impopulaire, compte-tenu de l’absence de majorité à l’Assemblée, d’un Sénat réticent, d’un Président qui surplombe… et des contraintes économiques et de la dette. Rester dans l’opposition est confortable, on n’a rien à décider.

Reste quoi ?

La tentative d’un Premier ministre à gauche « de consensus » en laissant de côté un Mélenchon consentant, concentré sur la Présidentielle ? Ce ne serait pas une « cohabitation » comme nous en avons l’habitude, le nouveau gouvernement ne disposant probablement pas d’une majorité absolue pour gouverner, contrairement à Chirac vs Mitterrand ou à Jospin vs Chirac. Mais c’est possible.

Tenter à l’italienne un gouvernement « technique » avec un Premier ministre hors partis qui exercera le pouvoir au minimum en attendant au moins un an, une possible nouvelle dissolution, ou les prochaines Présidentielles ?

Mélenchon comme Le Pen voudraient pousser à la crise de régime pour faire « démissionner » le Président. Mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille, n’y a aucun intérêt, et dispose de pouvoirs suffisants pour passer une période de chaos parlementaire.

Donc rien n’est joué – mais tout n’est pas possible.

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Élections – déceptions

Dissolution d’une Assemblée dissolue, élections piège à cons à cause des démagos, élisez Élysée. Après la « sidération » (mot à la mode), la réflexion. Il aurait mieux valu commencer par là. Mais que peut la raison (qui demande un effort) contre la passion (mauvaise) de foutre les gouvernants dehors et de « renverser la table » ?

Sauf que les gens, ces gogos, sont « sous emprise » (mot à la mode). Ils résonnent simple : « on n’a pas essayé », et pis « yaka » pêle-mêle : foutre dehors les étrangers (comme si c’était facile avec le droit international, les traités signés, la Constitution), redonner du pouvoir d’achat (comme si ça se décrétait d’en haut, sans souci des entreprises et de leur productivité, ou du budget de l’État pour augmenter les fonctionnaires), baisser le prix de l’énergie (mais il y a les accords européens, difficiles à renégocier, bien que pas impossible, sauf que ça prend du temps), augmenter les impôts et faire payer les « riches » (sauf que le riche en France commence à 3100 € par mois de revenu selon l’Insee et l’ineffable François Hollande), ou « nationaliser » (discours facile, mais avec quel argent, vu la dette, quels dirigeants, vu l’inanité des fonctionnaires passés à la tête des grandes entreprises ?).

Les réalités économiques, européennes, juridiques, mondiales, vont faire comprendre très vite au nouveau gouvernement, de quelque bord qu’il soit à l’arrivée le 8 juillet, que tout n’est pas possible, qu’il faut faire des choix, mettre de l’eau dans son vin. Je me souviens de la désillusion rapide et amère de « la gauche au pouvoir » en 1981 quand, au bout de quelques mois seulement, et après trois dévaluations du franc (TROIS !), le président avait tranché : soit vous rentrez dans les clous, soit vous isolez la France dans le monde (moi je m’en fous, je reste président). Je crains que les Français qui ont voté RN soient aussi cocus que les socialo-communistes de 81 passé l’été…

La question à cent balles : fallait-il dissoudre maintenant ? Oui et non, mais surtout pourquoi pas ? La sanction électorale a été nette, « rendre la parole au peuple » n’a rien d’idiot en république. Pourquoi si vite et ne pas attendre septembre ? Parce que les sacro-saintes vacances solaires, parce que les joujoux olympiques, parce qu’un nouveau gouvernement, à la rentrée, doit se précipiter sur la préparation du Budget tout de suite sans réfléchir. Parce que pourquoi attendre ? Que les gogos regrettent ? Que les partis se remettent en ordre ?

Fallait-il dissoudre en prenant l’initiative ou attendre une motion de censure (quasi inévitable à l’automne) pour dissoudre une Assemblée déjà ingouvernable (sauf à user et abuser du 49-3) ? Les Français veulent tenter les recettes populistes d’extrême-droite ? Autant le faire sous un président qui peut encore modérer, durant une cohabitation, plutôt que de voir arriver une Marine Le Pen au pouvoir comme une fleur, portée par la naïveté de n’avoir jamais gouverné, donc jamais mécontenté, et promis tout ce qu’on voulait sans s’être une seule fois heurtée aux dures réalités du monde. Et puis, au fond, les électeurs adorent la cohabitation : ils râlent, mais comme d’habitude, ils sont plutôt contents de voir l’un tempéré par l’autre pour les empêcher de faire à leur tête.

Que va-t-il se passer aux Législatives ? On ne vote pas pour une Assemblée nationale comme on vote pour des députés européens. L’Europe est loin, la France toute proche. Ce sont les impôts, les prix, la sécurité qui sont en jeu immédiatement, pas les grandes décisions prises à 27. Hors de « sortez les sortants », les promesses démagogiques sont-elles vraiment prises au sérieux ? Il n’est pas sûr que le RN ou les Nus-pieds recyclés en « front » (de gauche, on a déjà vu ça) gagnent autant de votes qu’aux Européennes.

Reste que :

  • le centre est laminé par dix ans de gouvernement (rien que de plus normal), par un président omniprésent sur tous les sujets, qui ne laisse pas son Premier ministre gouverner et qui sait mieux que vous ce qui vous convient (travers bonapartiste constant à droite, des gaullistes à Sarkozy en passant par Chirac).
  • la gauche recolle les morceaux mais ne s’incarne en personne (sauf Pépère qui se rallie au dictateur comme certains socialistes à Pétain en 40 – l’heure est grave – mais qui voudrait du Mélenchon comme décideur, ce repoussoir haineux ?).
  • la droite tradi a explosé, ce qui couvait bien avant mais que la bêtise et les egos des uns et des autres a précipité (Wauquiez a été nul, ce n’est pas nouveau, Ciotti lamentable, car il n’a pas avancé).
  • la seule droite est désormais le RN puisque Zemmour a montré son inanité à mobiliser (sauf chez les bobos riches des 16e, le 8e et 7e arrondissements de Paris) et que (même !) Marion Maréchal(-Le Pen) a rejoint le giron familial.

Alors, pour qui voter ?

  • Pour la valse des milliards à gauche ? Pour l’inexpérience de béjaune et le mur de la dette à droite ?
  • Pour l’antisémitisme sous-jacent et la politique pro-arabe à gauche, dans tout ce qu’elle comporte d’immigrés potentiels et de déni du terrorisme soit-disant « résistant » aux « colonialismes » (sauf russe) ?
  • Pour la préférence nationale et le repli frileux pro-Poutine à droite, dans tout ce que cela comporte de perte d’attractivité du pays, de déclin économique, d’émigration des élites et de politique pro-russe sans état d’âme ?

Ce n’est pas Hitler ou Staline comme le dit trop légèrement Jean-François Coppé, mais leurs avatars recyclés… inversés. Le RN prendra ses ordres à Moscou comme hier le PC. Le NFG prendra ses ordres à Alger ou Gaza comme hier l’OAS. Où sera la souveraineté nationale ?

Si j’avais, in fine, le choix cornélien de voter Mélenchon ou Bardela, je voterai… Blanc. Mais il reste encore une bonne semaine.

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Philippe Zaouati, Naufrages

Avec trois personnages, l’auteur retrace l’épopée tragique des Juifs d’Europe centrale intégrés, brusquement saisis dans la tourmente du nazisme, et qui ont eu une peine infinie à rejoindre la terre d’Israël – ou périr.

Léa était juive bulgare et aimait Josef, étudiant militant sioniste en 1941. Ils furent séparés par la guerre, elle n’accepta pas de le suivre dans l’alya en pleine tempête. Josef vient de mourir d’un cancer en 1962, elle va à ses obsèques et parle avec Ava, l’épouse israélienne de Josef, et avec Tomi, ami de Léa et Josef en Bulgarie avant-guerre. Il lui confie un paquet de lettres de Josef, qui voulait qu’elle les eût. Pour qu’elle sache. Il décrit sa résistance, sa tentative de joindre le bateau Struma, affrété pour Israël mais que les Turcs ont refoulé sur la mer Noire sur pression diplomatique des Britanniques qui ne voulaient pas se mettre à dos la population arabe en pleine guerre mondiale. Le navire, datant du milieu du XIXe siècle, vieux et rouillé, peut-être saboté, a fait naufrage au large des côtes turques, tuant les quelques 750 Juifs émigrants dont 130 enfants.

C’est toute cette mémoire qui s’affale sur la jeune femme qui tentait d’oublier, devenue avocate parisienne en pleine guerre d’Algérie. En octobre 1961, la police parisienne exaspérée par les attentats répétés du FLN algérien qui tuent des flics, opère une ratonnade dans une manifestation déclarée « pacifique » à Paris. Il y aurait eu environ 130 morts arabes. Les morts de l’intolérance aux espoirs de liberté des uns, de la vengeance légitime aux exactions aveugles des autres, de la bêtise humaine qui refuse de comprendre, tergiverse, laisse aller les choses pour tous. La même situation que celle des Palestiniens face à Israël aujourd’hui.

Dans ce roman à prétexte historique, plusieurs questions sont abordées que le peuple juif symbolise.

Qu’est-ce qu’appartenir ?

L’ethnie, n’est-ce pas une restriction de la liberté des individus ? Léa, jeune avocate juive à Paris s’interroge. « Avant de partir pour Paris, je n’étais que le membre d’une communauté, une jeune Juive parmi tant d’autres plongée dans le maelström des idéologies haineuses du siècle. Je ne voulais plus de cette identité de groupe, je ne voulais plus être réduite à ce peuple, fut-il persécuté et souffrant, fut-il élu, porteur d’un idéal supérieur, encombré de ce rôle universel qu’il traîne depuis des millénaires comme un fardeau. J’aspirais à l’anonymat et à la solitude, au déracinement et au vide spirituel, aux merveilleux attributs de la liberté » p.17 Donc les Lumières, censées libérer des appartenances obligées. Mais les liens humains sont-ils sécables à merci ? L’identité n’est-elle pas liée aux appartenances ?

Quel avenir veut-on pour l’humanité ?

La gauche, n’est-ce pas le projet individualiste majeur de la société ? « Je me suis souvent demandé pourquoi il y avait eu autant de Juifs dans les rangs communistes après la guerre. Même quand l’antisémitisme du régime soviétique est apparu au grand jour, même après la sinistre affaire des blouses blanches, même après la rupture des relations diplomatiques entre Israël et l’URSS en 1953, les défections de Juifs furent rares. La plupart d’entre eux cherchaient dans le communisme une nouvelle forme d’élection, un messianisme universel qui conduirait tous les peuples de la Terre vers un avenir meilleur » p.31. Mais quand la gauche dérive ? Quand elle prend les façons de la droite la plus extrême, de l’Union soviétique stalinienne à la mentalité de Poutine aujourd’hui, du laisser-faire de la gauche israélienne face aux revendications étroitement sectaires des juifs orthodoxes, de l’émancipation internationaliste du gauchiste post-68 à la radicalité trotskiste qui fricote avec le terrorisme d’un Mélenchon ?

Quel Israël le peuple juif a-t-il créé ?

Le pogrom arabe du 7 octobre 2023 sur la terre légitime d’Israël incite à s’interroger sur les dérives d’extrême-droite fasciste de quelques ministres du gouvernement Netanyahou – et leur écart évident avec les idéaux de fraternité des débuts. Au départ, « si la plupart des membres du groupe se revendiquaient sincèrement juifs, la religion leur servait surtout de racines, de référence culturelle, de socle moral. Ils se méfiaient du pouvoir théocratique. Ils rêvaient d’une société laïque et socialiste, qui cantonnerait les rabbins dans leurs temples et l’armée dans ses casernes » p.76. Aujourd’hui, la société israélienne se crispe en conservatisme frileux. Tout le monde lui en veut. Elle se sent une citadelle assiégée. Avec l’aide niaise des Évangélistes yankees qui croient l’Apocalypse proche et voient le peuple juif en première ligne, empêchant tout compromis et toute pression efficace à la veille d’élections présidentielles aux Etats-Unis.

En bref, un court roman et beaucoup de questions actuelles – et éternelles. Elles se posaient hier, elles se posent aujourd’hui.

Philippe Zaouati a fondé en 2012, Mirova filiale directe de Natixis Investment Managers, entreprise à mission, société de gestion d’actifs internationale dédiée à l’investissement responsable. L’auteur est diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique et membre de l’Institut des actuaires français. Il enseigne la finance durable à Sciences Po.

Philippe Zaouati, Naufrages, 2024, L’éditeur à part collection Trajectoires, 250 pages, €20,00(mon commentaire les libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Les publications de Philippe Zaouati déjà chroniquées sur ce blog

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Hugo Micheron, La colère et l’oubli

Un jeune docteur en science politique, désormais maître de conférences à Sciences Po et chercheur rattaché au CERI publie, après le jihadisme en France et le jihadisme en Europe, une histoire du jihadisme européen. Une occasion de prendre de la hauteur et d’apercevoir les aveuglements innombrables des « bonnes âmes », des « associations », de la gauche morale, des droitdelhommistes naïfs – et des politiciens qui sont l’écho de l’opinion (exprimée – manifestement pas de la silencieuse).

Car la première leçon à tirer de l’expansion du jihadisme depuis la guerre soviétique d’Afghanistan (1979) est la suivante : « la prise de conscience » vient toujours trop tard, après les faits, après les tueries.

L’auteur répète plusieurs fois ce constat navrant. Sur l’effet de communauté (nié par la gauche qui ne voyait que de la pauvreté), sur les réseaux sociaux (laissés sans règles une dizaine d’années durant au nom de l’interdit d’interdire), sur la radicalisation (minimisée au prétexte de ne pas stigmatiser « l’islam »), sur l’effet prison (remis en cause seulement récemment), sur l’alliance entre grand banditisme et religion, sur les faux « loups solitaires » (qui obéissaient en fait à des directives venues de Syrie). En avons-nous vraiment fini avec la naïveté et ce « détail de l’histoire » réputé passer (mais qui ne passe pas) ?

La seconde leçon est, certes, que ce n’est pas « l’islam » en général qui est à surveiller et à condamner, mais une secte fanatique qui appelle au meurtre de tous ceux qui ne croient pas comme eux (y compris la majorité des musulmans) : le salafisme.

« Il apparaît que le facteur le plus déterminant pour expliquer le nombre de départs vers la Syrie à l’échelle d’une ville n’est ni le niveau de pauvreté, ni la taille de la population musulmane locale, mais la proportion d’acteurs salafistes en son sein » p,14. C’est vrai en Allemagne, en Suisse et en Autriche – comme en France. « Le jihadisme n’est ni tombé du ciel, ni sorti de terre : il a été transplanté par des militants » p.15. Ceux revenus d’Afghanistan, puis du GIA algérien, convertis à l’extrémisme islamiste. Le salafisme est un islam littéral (hanbalisme) « et se confond en partie avec le wahhabisme – la doctrine religieuse d’État en Arabie Saoudite » p.31. Il s’appuie en Europe sur les Frères musulmans qui cherchent à obtenir une reconnaissance auprès des pouvoirs publics afin de poursuivre « une stratégie d’affirmation communautaire exploitant toutes les ressources de la démocratie (procédures judiciaires, associations, etc.). p.30. Qui contrôle les mosquées ? Qui finance le culte musulman ? Pourquoi l’Arabie saoudite peut-elle impunément répandre une doctrine de haine ?

La troisième leçon est que l’activisme djihadiste connaît des phases hautes et basses.

Une première phase haute entre 1995 et 2001, entre les attentats du GIA en France et les attentats du 11 septembre aux États-Unis, suivie d’une phase de repli jusque vers 2006, les attentats de Londres et la proclamation de l’État islamique d’Irak ainsi que les premières affaires Charlie hebdo.

Puis une phase de repli jusqu’en 2014 avec la mort de Ben Laden, les printemps arabes, le déclenchement de la crise syrienne, la mort du chef d’Al Qaïda au Yémen et à nouveau une phase haute à partir de 2015 jusqu’en 2018 avec la proclamation du califat de Daech, les attentats de Bruxelles, de Paris, Denise, de Copenhague, en Allemagne, de Manchester et Londres, de Stockholm, de Barcelone.

Suit une phase de repli qui pourrait bien s’inverser depuis 2022 avec l’assassinat de Samuel Paty, suivi des meurtres au couteau d’isolés radicalisés par les réseaux, de plus en plus fanatiques et de plus en plus jeunes…

De nouveaux attentats sont à prévoir sans que la société inerte, ni les politiciens obnubilés par « l’extrême-droite », ni les pouvoirs publics toujours lourdauds, n’en aient vraiment pris la mesure. L’étiquette « de droite » collée à tout ce qui touche la critique de l’islamisme aveugle les bonnes consciences de gauche et du centre moral, et inhibe toute action décisive.

La quatrième leçon est que le salafisme à visée terroriste s’est implanté durablement et largement dans certains clusters en Europe.

Selon les doctrinaires qui entraînent les activistes, « il revient à une avant-garde, composé de militants déterminés (les salafo–djihadistes) à éclairer les autres musulmans, d’intervenir partout où les conditions sont remplies » p.47. C’est typiquement la stratégie de Lénine : créer un parti de militants doctrinaires et violents, afin d’entraîner les masses qui restent souvent amorphes sans ce déclencheur.

Le but ? « Un retour à l’islam véridique, étape décisive pour accomplir la promesse coranique : l’avènement du califat et la diffusion dans le monde entier de l’islam, vérité universelle soufflée par Dieu » p.47. Rien que cela. Autrement dit, le massacre de tous ou la soumission immédiate.

Comment faire ? « À l’origine se trouve un groupe de militants salafo–djihadistes (un), qui se rassemble dans certains quartiers qu’ils sont identifiés préalablement (deux). Ils établissent des structures de formation, organisent collectivement la prédication, tissent des réseaux de solidarité (trois). Cela aboutit à l’affirmation d’un nouveau référentiel islamique local, imprégné de salafo–djihadisme (quatre), qu’ils peuvent ensuite propager vers de nouveaux horizons » p.55. Dans cette optique, l’intégration démocratique ne fonctionne plus, le contrat social est nié, tout comme les valeurs d’égalité entre les sexes, de liberté de conscience et d’expression.

Le fonctionnement est celui d’une secte : couper les ponts avec la famille et les amis, se purifier et obéir à une austérité imposée, se radicaliser progressivement par un sentiment d’exclusion sociale et une valorisation du groupe fanatique. C’est tout cela que la société, les politiciens et les intellectuels n’ont pas voulu voir entre 1990 et aujourd’hui. C’est tout cela qu’explique l’auteur admirablement.

Pourquoi chez nous, qui accueillons volontiers la misère du monde ? « L’un des paradoxes les plus mal compris de l’arrimage djihadiste en Occident est que les propagateurs ont choisi l’Europe pour les garanties exceptionnelles et la protection dont ils bénéficient à l’abri de l’État de droit, tout en dénonçant les principes fondateurs des démocraties comme des avanies dont il faudrait absolument protéger les musulmans » p.67.

Faut-il pour cela remettre en question l’État de droit ? Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, comme prônaient les gauchistes des années 70 ? Non, dit l’auteur, mais l’appliquer en intégralité et sans faillir. Cela implique la police, la justice, mais aussi l’ambiance morale des associations et autres prêcheurs de pardon qui nient la dangerosité sectaire de ce genre de salafistes. « L’idée du ‘eux contre nous’, que l’amour des siens va de pair avec la détestation de l’autre et que tout ça est un commandement divin, est une idée très puissante » p.72. Cela aboutit à ce que Abou Hamza, déclare que « les mécréants peuvent être traités comme des vaches ou des cochons et que les femmes et les enfants qui ne sont pas musulmans peuvent être réduits en esclavage » (dans The Guardian du 20 mai 2014), cité P. 102.

Cette stratégie est celle du chaos, analogue à celle que Mélenchon poursuit par intérêt électoraliste personnel. « Les guérillas djihadistes doivent avoir pour objectif de créer un climat de harcèlement permanent des sociétés démocratiques, qui se retourneront selon lui sans nuance contre l’ensemble des musulmans. Confrontés à une défiance grandissante, ceux-ci n’auront plus d’autre choix que de rejoindre en masse la guerre sainte dans une guerre civile » p.160. Les manifs en faveur de la Palestine peuvent être comprises à cette aune. L’agitateur Mélenchon attise le chaos afin de capter l’électorat musulman pour une gauche révolutionnaire dont il serait – bien évidemment – le seul chef imam autoproclamé. L’auteur remarque pour l’islam « l’importance de l’activisme estudiantin durant les années 2000. Cela se traduit par une politisation croissante des contenus de la propagande » 225. C’est sur ce terreau que surfe Mélenchon, cet idiot utile (comme disait Lénine). Car « l’islam peut être présenté sous un jour incroyablement révolutionnaire » 229.

La tactique permanente ? « L’effort de propagande de l’État islamique consiste donc à inverser le rapport des faits entre eux, afin de prétendre que les exactions appartiendraient à une forme islamique de légitime défense. » p.292. C’est exactement ce qui se pratique à propos de la Palestine, le pogrom initial barbare est écrasé par l’ampleur des bombardements et des morts à Gaza. Mais lorsque l’un des protagonistes n’obéit plus à aucune règle, l’autre s’en dispense également. En ce cas jouent les rapports de pure force, que les ennemis devraient prendre en compte avant d’agir. C’est le cas du Hamas comme le cas de Poutine, ce pourquoi il faut réaffirmer les règles avec force et opérer des pressions efficaces pour rétablir le barrage du droit.

Ultime leçon : nous n’en avons pas fini avec l’islam religieux, l’islamisme politique, le salafisme terroriste.

« Partout où les chiffres sont disponibles, il apparaît à l’orée de la décennie 2020 que le salafisme occupe une place plus importante que 10 ans auparavant. (…) En France, les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur à la presse font part d’un milieu salafiste composé de 30 à 50 000 personnes, dont 10 à 12 000 particulièrement virulentes, six à dix fois les niveaux estimés en 2004 » p.336. De quoi remettre en cause les deux mamelles du débat, bloqué par les intellos moralistes : « Déni et hystérie, les deux écueils de la pensée sont bien en place au début de la décennie 2010 et empêchent une prise de conscience de l’activisme islamiste en démocratie » p.249.

Un livre salutaire pour remettre les faits que nous avons vécus en perspective et comprendre le pourquoi et le comment d’une histoire qui n’est pas prêt de finir.

Prix du livre géopolitique 2023

Prix Fémina essai 2023

Hugo Micheron, La colère et l’oubli, les démocraties face au jihadisme européen, 2023, Gallimard, 395 pages, €24,00 e-book Kindle €16,99

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Francis Coulon, Sortir de la société en crise

Un livre de philosophie ? Ou un livre d’économie ? Les deux en synthèse, soit un livre « d’économie politique », comme on en faisait avant la mode de l’économétrie et de la mathématisation rationaliste du monde. On sait les errements du tout mathématisable, des délires de la raison rationaliste, les cygnes noirs jamais envisagés, les queues de distribution négligées, le racornissement de l’être humain dans les cadres préformatés des modèles. On sait que cela a conduit à la crise des subprimes en 2008, à l’effondrement de l’hôpital sous le quantitatif, à l’écart croissant entre les élites formatées maths qui « croient » en leur vérité calculable et le peuple qui demande des relations humaines. Francis Coulon, qui a beaucoup vécu, retourne aux sources.

L’une des voies européennes est libérale, pragmatique, utilitariste ; c’est celle des pays anglo-saxons et des pays du nord européen. Ceux qui réussissent le mieux à s’adapter au monde dans l’histoire. L’autre voie européenne est autoritaire, dogmatique, idéologique ; c’est celle des pays latins et orthodoxes, dont la France. Les pays trop rigides et bureaucratiques qui s’adaptent le moins bien au monde tel qu’il va.

Pour mieux faire, et régler « la crise » qui ne cesse de tourmenter la France et les Français depuis un demi-siècle (la fin du septennat Giscard), il faut réévaluer la philosophie utilitariste. En 5 parties et 21 chapitres, l’auteur étaie sa démonstration, d’une plume alerte et sans jargon, facile à lire – et passionnante en ce qu’elle brasse des dizaines de philosophes, de littérateurs et d’économistes, depuis Aristote jusqu’à Gaspard Koenig.

Qu’est que l’utilitarisme ?

C’est tenir compte des conséquences de ses actions plutôt que de ses intentions, résume Jeremy Bentham, l’un des pères. « Michel Foucault vint à mon secours en déclarant : Bentham est plus important pour notre société que Kant et Hegel » p.12. Cette façon de voir est proche de celle d’Aristote dans son Éthique à Nicomaque. « J’avoue avoir une grande admiration pour Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Ils m’apparaissent comme modernes, ouverts et profondément humanistes. Ils vont contribuer au progrès de leur pays, en favoriser la libéralisation et faire reconnaître les droits de nombreuses minorités. Les deux philosophes ont un point commun : ce sont de grands intellectuels, capables de produire un énorme travail de réflexion et de conceptualisation dans des domaines aussi divers que la philosophie, la politique, l’économie, le droit » p.39.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit la sagesse populaire ; le paradis consiste à plutôt considérer leurs effets. Stuart Mill ajoute à cette définition la liberté individuelle et la justice. Les actions sont « morales » si les actions assurent le plus grand bonheur au plus grand nombre – et non pas si elles obéissent sans discuter aux lois, règles et « déontologie » (en grec, discours sur ce qu’il FAUT faire), la « science de la morale » selon Jeremy Bentham, dont il fait le titre de l’un de ses livres. Les cultivés reconnaîtront la célèbre distinction de Max Weber entre éthique de conviction (dogmatique et morale) et éthique de responsabilité (pragmatique et utilitariste). Les deux évidemment se complètent, les règles admises étant des rails pour leur adaptation en fonction des circonstances (p.67). D’où la liberté… régulée.

C’est inverser le tropisme catholique, romain et français d’édicter les commandements avant de vérifier si les actions y obéissent, ou de faire toujours d’autres lois sans vérifier leur application. A l’inverse, il est plus utile de considérer la balance des avantages et des inconvénients de toute décision, car chacune est particulière : le mensonge n’est pas moral – mais peut-on mentir au Nazi pour protéger le Juif qui se cache chez vous ?

L’auteur prend toujours des exemples concrets et actuels, pour sa démonstration, y compris dans les films. Un récent exemple est celui du vaccin contre le Covid : fallait-il vacciner massivement avant d’avoir tout le recul nécessaire pour mesurer l’ensemble des effets secondaires possibles (et sauver ainsi la majorité de la population) ou attendre « selon les règles » que toutes les procédures aient été évaluées ? J’ajoute (ce n’est pas dans le livre, qui évite toute polémique) que c’est la propagande russe, jalouse de la réussite occidentale en matière de vaccins bien meilleurs que le sien, qui a tenté de faire croire au complot absurde des nanoparticules inoculées pour rendre docile (et il y a des cons pour le gober !) Faut-il préférer la manière russe des élections truquées, de l’emprisonnement des opposants, du poison, du goulag et de la balle dans la tête pour rendre docile ?

Une utilité n’est pas un expédient, pas plus que le bonheur n’est le plaisir. Affiner la pensée par la différence de sens des mots permet de mieux raisonner. La souveraineté de l’individu, grande conquête des Lumières, est en faveur de la liberté en premier ; l’égalité ne peut être que de moyens, pas de résultats. Contrairement à Kant et aux moralistes bibliques, il faut préférer l’expérience aux principes. Ce qui marche doit être encouragé, pas ce qui obéit à l’idéologie. John Stuart Mill : « La justice est que chaque personne obtienne (en bien ou en mal) ce qu’elle mérite. » La loi raisonnable est celle qui assure le respect de la liberté de chacun, dans le respect de celle des autres. Pas plus, pas moins.

On ferait bien d’en tenir compte avec les « agriculteurs » : jusqu’à quel scandale de santé faut-il autoriser les pesticides ? L’accaparement de l’eau, bien commun ? Mais aussi avec « les syndicats » en France. « On peut opposer l’approche des centrales syndicales nationales, politisées, démagogiques, qui adoptent devant les médias une posture souvent négative – et le réalisme, la recherche de l’utilité, des syndicalistes de terrain au sein de l’entreprise. La contradiction la plus manifeste étant celle de la CGT qui, au niveau central, défend une position critique, anticapitaliste, et qui, au niveau local, accepte de signer 50% des accords d’entreprise » p.62. L’auteur, qui a travaillé chez Danone plusieurs années, prend l’exemple de son patron Antoine Riboud et de son fameux « discours de Marseille » en 1972 (les années Pompidou!) où il a prôné pour son entreprise un projet économique ET qui prend en compte l’humain. Son fils Frank élargira cet humanisme des salariés (formation, participation, intéressement, dialogue social) aux clients et aux collectivités locales, prenant en compte dans ses objectifs économiques une responsabilité humaine, environnementale et citoyenne. J’avais donné ce même exemple il y a une douzaine d’année à mes étudiants en école de commerce.

L’ancien roi du Bhoutan a voulu, en bon bouddhiste, mesurer le bonheur de son peuple. Le Produit national brut ne suffit pas car l’argent et les biens ne font pas à eux seuls le bonheur. Il a donc imaginé ajouter d’autres critères, que l’ONU a repris dans l’indice de Bonheur intérieur brut (World Happiness Report). Les résultats montrent que les fondamentaux économiques sont évidemment importants (le revenu par tête), mais que la liberté de faire des choix, l’espérance de vie à la naissance, la politique sociale, la générosité, la perception de la corruption, le sont aussi. En tête de liste apparaissent les pays du nord de l’Europe : Norvège (numéro 1), Danemark, Islande, Finlande, Suède, en queue les pays africains puis communistes (Cuba, Vietnam, Corée du nord en bon dernier) – La France n’est que 31: en cause, les tracasseries réglementaires et administratives sans nombre et les prélèvements obligatoires élevés qui brident l’initiative.

Francis Coulon milite donc pour un libéralisme régulé à la danoise : le maximum de libertés dans le cadre défini par la société. Daron Acemoglu, économiste turco-américain né en 1967, étudie pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres et observe une corrélation entre institutions et développement économique. Selon l’économiste français Philippe Aghion, qui préface l’ouvrage en français, « Les pays prospères disposent d’institutions inclusives permettant à la population de limiter l’exercice du pouvoir politique, et à chacun d’exercer des activités économiques conformément à son choix et ses talents – tout particulièrement si celles-ci sont innovatrices et entraînent la destruction créatrice des industries obsolètes. En d’autres termes, les structures démocratiques permettent le développement économique alors que le despotisme confisque la croissance au profit d’une élite, à travers une économie extractive » p.182. Les exemples opposés de la Russie et des États-Unis est flagrant. Dans l’histoire, les deux Corées ou les deux Allemagnes ont montré l’écart qui se creuse de façon abyssale entre un régime de libertés et un régime despotique pour un même peuple dans une même géographie.

Il reste que « la gauche » en France, tout imbibée de marxisme depuis ses jeunes années, ne « croit » pas au système capitaliste, et même deux fois moins que les Chinois, pourtant en régime toujours communiste ! (p.203). L’idéologie de la redistribution les aveugle, un égalitarisme de principe ne conduit pas à l’optimum du bonheur pour le plus grand nombre mais crée des assistés permanents et une économie inefficace. Plutôt que de renforcer son industrie pour exporter, la France a choisi « d’aider » les canards boiteux et les filières en déclin (les aciéries, le textile) et elle a développé la dépense publique (la plus élevée de l’OCDE) par l’impôt et la dette, qui handicapent l’investissement. Le rapport qualité/coût de l’État-providence à la française est négatif par rapport aux pays anglo-saxons plus souples et surtout aux pays d’Europe du nord sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux (comme « nos » socialistes n’ont jamais réussi à être). Les tableaux de comparaison pages 206 et 207 sont éclairants ! La croissance française sur vingt ans (depuis 2000) est plus faible, le chômage plus fort, le déficit public plus élevé, la compétitivité nettement inférieure, la liberté personnelle et économique plus discutable (34e pour la France, 8e pour la Danemark), le Bonheur intérieur brut minable, le rang Pisa affaibli et l’indice de Gini des inégalités pas franchement meilleur.

« Je trouve qu’en France il y a trop d’État, trop d’impôts, trop de normes, trop de bureaucratie, ce qui a comme conséquence de brider le marché et génère moins de croissance, plus de chômage et même à une insatisfaction générale. Une répartition équitable doit être l’objectif mais il ne faut pas passer ‘de l’autre côté du cheval’ et décourager l’initiative et l’innovation, les principaux leviers de la croissance. Il faut tirer vers le haut l’ensemble de la population : plutôt que ‘toujours plus’ d’assistance, il faut être sélectif et, chaque fois que c’est possible, dynamiser les moins favorisés par la formation, l’incitation et la sacralisation de la valeur travail » p.210. La flexisécurité danoise est un très bon exemple : liberté de licencier vite, mais formation obligatoire et suivi attentif des chômeurs.

L’auteur fournit pages 225-259 (soit plus de 10 % du livre) dix cas concrets d’application de l’utilitarisme (partie 5). Il évalue aussi les présidents de la Ve République sur le meilleur compromis entre efficacité, liberté et équité. Georges Pompidou en ressort vainqueur, mais aidé par son époque pré-crise. Chirac reste le pire, n’ayant aucune volonté d’une quelconque réforme, forcément impopulaire. Sarkozy a été brouillon, Hollande n’a pas assumé et Macron a été peu efficace au début, avant de comprendre que l’autoritarisme payait. Mais la réforme des retraites reste un échec et sera à remettre sur le métier, l’organisation de l’État en millefeuille n’a même pas été abordée.

Un très bon livre d’actualité qui offre une profondeur historique des idées et apporte à toute critique une solution pragmatique possible. Très intéressant.

Préface de Christian de Boissieu professeur émérite à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), vice-président du Cercle des Économistes.

Francis Coulon, Sortir de la société en criseLa philosophie utilitariste au service du bien commun, VA éditions 2023, 281 pages, 20,00

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Aveuglement

La génération Z croit que le monde est né avec elle. Mais deux générations avant eux, c’était la même réaction à l’impérialisme russe, le même effroi face à la menace de la guerre pour défendre les libertés, les mêmes lâches qui désiraient être « plutôt rouges plutôt que morts », les mêmes niais qui « faisaient le jeu » des maîtres du Kremlin, les mêmes gogos qui gobaient la même propagande. Voilà ce que c’est d’avoir traversé trois générations et de garder la mémoire longue. Les moins de 30 ans n’ont aucune idée du monde et des gens.

Elsa Vidal, qui parle russe et connaît bien la Russie et son peuple, écrit aujourd’hui La fascination russe, sur lequel je reviendrai en son temps. Hier, c’était Christian Jelen qui écrivait en 1984 (l’année de la dystopie d’Orwell sur le régime totalitaire) L’aveuglement. La faute, disait-il, aux idiots utiles, en bref la gauche et, pire, la gauche non communiste mais socialiste – fascinée par la force communiste. Les intellos et technocrates de bureau ont toujours et attirés par la violence politique comme les mouches par une grosse merde.

Pour Christian Jelen, l’aveuglement est d’origine. Il explique que la tromperie sur la nature réelle de la dictature léniniste a constitué une opération délibérée, due à l’initiative des socialistes français avant la scission de Tours, au moment où le jeune État bolchevik ne disposait bien évidemment d’aucun service suffisant de propagande extérieure. Le communisme, c’était l’Histoire, donc la Science, donc l’Avenir. C’était une Vérité révélée, seuls les moyens d’y parvenir pouvaient faire l’objet de discussions : fallait-il la violence persistante ? La terreur comme en 1793 ? Accepter une génération perdue ?

Il a fallu plus de 60 ans (deux générations) et plusieurs, chocs (la dénonciation des crimes se Staline au Congrès du parti en 1956, l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, la menace d’invasion en Pologne en 1981), pour que les intellectuels mettent en cause leur croyance au socialisme soviétique. Depuis, l’empire s’est effondré – par sa faute. Il a implosé. Dès que le mur de Berlin est tombé, tous les valeureux citoyens de l’avenir radieux se sont empressés de filer à l’Ouest où, si la vie était plus concurrentielle et moins protégée, au moins on pouvait faire ce que l’on voulait, acheter et vendre, consommer, entreprendre, s’exprimer.

Soljenitsyne notait que tous disaient en France « Russie » pour « URSS », et « Russes » pour « Soviétiques », en accordant toujours une certaine supériorité émotionnelle aux seconds : « les tanks russes sont entrés à Prague », l' »impérialisme russe » – mais « les exploits soviétiques dans le cosmos », « les succès du ballet soviétique ». La Russie est un territoire, une nation, alors que l’Union soviétique est une notion idéologique, un gouvernement dirigé par un parti. L’emprise mentale de la gauche et du marxisme empêchait d’analyser, ne permettait pas de voir, supposait aucune pensée critique. Les socialistes étaient persuadés d’avoir raison et que l’Histoire en marche était avec eux (Got mit uns, vantaient les ceinturons nazis).

Le choc polonais de 1982 était perçu moins comme le choc « habituel » d’un impérialisme en expansion qu’un choc idéologique, brutalement matérialisé dans le réel. Or il était les deux.

A l’époque, toute la gauche n’a compris que l’aspect idéologique, remis en cause brutalement par le pouvoir botté du pro-soviétique général Jaruzelski qui a réprimé le syndicat Solidarnosc et son leader Lech Walesa. Elle croyait jusque là que le socialisme « moins la liberté » n’était qu’une étape provisoire vers le communisme enfin réalisé, où la liberté n’aurait été qu’ajournée jusqu’à une période meilleure. Or, après soixante ans de communisme en marche, le chemin paraissait n’avoir quasiment pas avancé.

A l’époque aussi, toute la droite et le centre s’obstinaient à l’inverse à l’expliquer par les relations de puissance entre États, par la psychologie des dirigeants. Les formes de pouvoir politique déjà connues aveuglaient à droite tout autant que l’idéologie à gauche car elles montraient une autre idéologie, mais conservatrice : rien ne change jamais, tout se répète indéfiniment, le tsarisme, le servage, la Révolution française qui accoucha par ses excès d’un dictateur (en France Napoléon, en Russie Staline). Et la suite ? Est-ce qu’un exemple piqué dans l’histoire explique par lui-même l’avenir ? Non, nous l’avons vu in vivo depuis 1982.

Or, selon Jean-François Revel en 1976, « il n’y a pas de socialisme, il n’y a que des preuves de socialisme » (La tentation totalitaire). Nous disons aujourd’hui « il n’y a pas de paix possible, il n’y a que des preuves de pacification. Où donc les voyez-vous ? Ceux qui se couchent sont-ils des faiseurs de paix comme le chamane danse pour faire venir la pluie ? Ils auront la paix du goulag ou celle des cimetières, pas la paix armée qui, seule permet l’équilibre des forces, donc la véritable quiétude.

L’histoire ne se répète pas, mais les humains restent aussi ignares, flemmards, idiots de génération en génération. Ils sont tous prêts à « croire » plutôt qu’à analyser (ça prend la tête…).

Aussi bien les Russes qui élisent et réélisent indéfiniment le seul candidat présumé président d’une pseudo-élection à la soviétique.

Aussi bien les intellos occidentaux qui supposent naïvement que rien n’est grave, que tout peut se négocier, que tout s’arrange si l’on donne satisfaction, que se soumettre est la meilleur solution de confort. Que ne sont-ils devenus allemands, ces collabos !

Décidément, on connaissait la progression de la myopie due aux écrans, mais la progression de l’aveuglement due aux même écrans emplis de fausses infos et d’intox n’était pas attendue à ce point.

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Libéral, libertin, libertaire, ultra-libéral, libertarien – Partie 2

Suite de notre note précédente, aujourd’hui Libertaire, ultra-libéral, libertarien.

LIBERTAIRE

L’État maintenu à distance. L’idéal se veut entre les petites communautés affectives et sexuelles à la Fourier et les soviets à la Bakounine. Mais la terre, c’est dur et les chèvres n’ont eu qu’un temps. Le plus gros des soixante-huitards a intégré le fonctionnariat « social », la poste ou l’enseignement. Ceux qui voulaient conserver leur jeunesse sont allés chez les « Verts ». Les autres ont goûté du trotskisme, gardant l’idéal sans le carcan. Certains, enfin, se sont intégrés à la société bourgeoise tout en affectant de la critiquer. Mariés, déclarés catholiques, vivant bien de leur plume et régentant le monde de l’édition, ils ont pris du libertaire la partie qui les intéresse le plus, ils sont « libertins ». Le sexe est toujours subversif, Gabriel Matzneff comme Philippe Sollers en ont été les plus représentatifs.

L’idéal libertaire subsiste en politique grâce à quelques philosophes qui restent dans leur tour d’ivoire sans jamais se mouiller dans un quelconque parti, comme Michel Onfray qui se dit volontiers disciple de Proudhon en économie, et girondin en organisation de l’État. Le jacobinisme (avec ses variantes bonapartiste, pétainiste, gaulliste, mitterrandienne, etc.) est pour lui l’Ancien régime d’aujourd’hui.

Tout pouvoir a tendance à l’hégémonie s’il n’est pas flanqué de contre-pouvoirs, Montesquieu l’a admirablement montré. Car l’État, même démocratique, « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840). Tout comme le chat, le citoyen a le devoir d’esquiver cette contrainte d’autant plus dangereuse qu’elle est parfois « douce ». Qui ne voudrait être caressé dans le sens du poil ? Être materné sans avoir à chasser ?

ULTRA-LIBÉRAL

Quant au libéralisme « ultra », il est une invention polémique de la gauche française dans la suite du stalinisme triomphant des années 1950 et 60. Il s’agissait alors d’être absolument anti-américain et de dénigrer systématiquement tout ce qui pouvait être une valeur revendiquée par l’Amérique. Dont la liberté, surtout économique : la liberté de faire, d’entreprendre, de réussir. Seuls les États-Unis le permettent à plein, ce pourquoi tant d’immigrants se pressent à ses frontières – bien plus qu’à celles de la gauche redistributrice d’assistanat sans compter.

L’« ultra » libéralisme désigne aujourd’hui la loi de la jungle des pétroliers texans (Halliburton raflant les contrats de reconstruction de l’Irak), la politique républicaine de Georges W. Bush à Donald Trump (discours religieux fondamentaliste, politique en faveur de l’armée, diminution des impôts et des aides sociales, protection des grands groupes d’affaires, anti-immigration affirmée à cause de leur « sang » qui viendrait contaminer les « bons » Américains) et le nationalisme yankee appliqué à la planète hier sous le nom de globalisation, aujourd’hui sous le nom d’impérialisme (vous faites ce que je dis ou je vous coupe les crédits et je ne vous protège plus). Au fond, l’ultra-libéralisme est le libéralisme de l’« hyper » puissance, sauce républicaine yankee, pas le nôtre. Mais la gauche adore exagérer les termes pour en faire des caricatures, donc des boucs émissaires facile à épingler, ça fait bien dans les meetings.

LIBERTARIEN

Cet « ultra » libéralisme ressort plus du libertarianisme. Il s’agit de la mentalité du Pionnier, mythe agissant en Amérique comme le soldat de Valmy chez nous. Le Pionnier est seul et ne veut compter que sur lui-même. En cow-boy solitaire il n’a que sa bite, son Colt et sa Bible – autrement dit ses instincts de survie, ses armes actives et sa croyance morale. Le libertarien limite l’intrusion des autres à cette bulle. L’État est un ennemi, la société une gêne quand elle ne suit pas, les autres des rivaux à vaincre.

Ce courant vient de l’état de nature chez Hobbes, pour qui « l’homme est un loup pour l’homme », et qui ne consent à coopérer que par crainte de la mort et lorsqu’il y trouve son intérêt, sans que cela aille jamais plus loin. Le droit naturel est irréductible. Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis, c’est le le « silence de la loi ». Mais les lois humaines sont limitées par le « droit naturel », c’est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun. Alors chacun a le droit de désobéir et de résister par la force : c’est ce qui a motivé Trump et ses partisans lors de l’assaut contre le Capitole.

Aussi récuse-t-il toute assistance, gaspillage selon lui, affirme le droit de porter des armes et de dire tout ce qu’il pense sans aucune censure. Elon Musk et son réseau X sont dans ce cas, Donald Trump en est le représentant le plus égotiste, un individualisme radical et armé que défend la droite dure aux États-Unis – « ultra » droite dit la gauche. Le libertarien Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de 2014, avait un slogan qui résume tout : «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.»

Économiquement, il s’agit d’un anarcho-capitalisme où la concurrence est reine dans un libre-marché, le « deal » son arme, et le droit du plus fort sa valeur phare. Ron Paul, sous Reagan, a influencé le président. Javier Milei en Argentine, éduqué à la dure par un père violent, en est un partisan, brandissant sa tronçonneuse pour couper toutes les dépenses inutiles de l’État. Le désir individuel est tout-puissant, présenté comme un progrès pour tous, dans une indifférence absolue des gouvernements et des acquis sociaux collectifs. Car rien de ce qui est collectif n’est bon pour le libertarien. Esprit start-up, uberisation, autoentreprise, hunger games (combats à mort télévisés où des adolescents s’entretuent pour de divertir les dirigeants)  : voilà ce qui est préféré. Et que le meilleur gagne, tant pis pour les losers.

C’est un libéralisme de tout-puissant, plus mythifié que réalisé, tant les États-Unis se sentent en déclin et contestés de toutes parts (par la Chine, la Russie, les pays arabes, l’Afrique…). Rien d’étonnant à ce qu’ils se replient sur eux-mêmes et exacerbent leurs « valeurs » traditionnelles du « gros bâton » : celles du Pionnier libertarien.

Issu des travaux de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek en économie, le libertarianisme est théorisé politiquement par Robert Nozick dans Anarchie, État et utopie, où il prône un État minimaliste. En France, Gaspard Koenig frôle cette approche en vilipendant les normes abusives, mais sans exclusive.

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Libéral, libertin, libertaire, ultra-libéral, libertarien – Partie 1

Tout est confondu et ce n’est pas nouveau. Dans un billet publié il y a 20 ans (déjà…), je tentais de clarifier le sens de ces mots que l’on voit surgir dans les débats comme des slogans pour nuire ou des étiquettes pour outrager. Car personne ne se réclame de l’un de ces qualificatifs, sauf peut-être Michel Onfray, mais c’est un rebelle de naissance contre l’Establishment. Combattons donc les fantasmes et les émotions véhiculées par ces mots et prenons conscience de leur sens.

D’où cette note en deux parties. Une aujourd’hui : libéral, libertin ; l’autre demain : libertaire, ultra-libéral, libertarien.

LIBÉRAL

Le libéralisme est né de l’exigence de libertés des Lumières. Apparu sous l’Ancien régime, autoritaire, de droit divin, patriarcal et soumis à la hiérarchie de l’Église, la philosophie libérale de Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Beaumarchais est tout entière contenue dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : liberté de penser, d’opinion, d’aller et venir, de croire ou non, de posséder et d’échanger… Les Lumières voulaient libérer l’être humain de ses déterminismes biologiques, religieux, nationaux, sociologiques, familiaux.

Au 19ème siècle, l’Angleterre industrielle et commerçante est porteuse de valeurs libérales, elle place la liberté de l’individu au cœur de sa politique, de son économie et, plus tard, du social. France, Royaume-Uni et États-Unis d’Amérique se sont constitués en « sociétés », en opposition aux « communautés » holistes que furent l’Allemagne de Bismarck puis de Hitler, le Japon militariste, l’URSS et aujourd’hui la Russie de Poutine, l’Inde de Modi ou le monde arabe islamique. Communauté ou société ? Sparte ou Athènes ?

Les sociétés reposent mythiquement sur un contrat (Locke, Rousseau). C’est leur projet social : au Royaume-Uni l’Habeas Corpus, en France ou en Suède la protection sociale, aux États-Unis la libre-entreprise su self made man, en Allemagne la cogestion. Leur régime est celui de la confrontation des opinions en libre débat dans les assemblées représentatives, avec assentiments réguliers du contrat par le vote. Elles vont bien lorsque l’optimisme règne.

Lorsque c’est moins le cas, elles se replient sur les communautés, organisation archaïque qui repose sur une unité mythique, celle du sang et du sol. Les sociétés communautaires sont organiques, elles se représentent comme un corps vivant qui assigne ses sujets aux traditions sans débat. L’unanimisme est requis, comme dans une foule, noyant les individus et leur pensée propre sous l’élan des déterminismes. Leur régime est de démocratie directe, « illibérale » car l’opposition et les contre-pouvoirs sont muselés (voire éradiqués comme sous Staline et Poutine). Le plébiscite est roi, désignant un dirigeant charismatique pour incarner le Peuple tout entier et le Pays dans sa tradition immobile.

Les pays communistes ont débuté comme des sociétés à contrat (celui de faire advenir le communisme), avant de virer démocratures puis dictatures sous la résistance du réel. Un homme providentiel, déifié par les masses comme Staline, Mao, Castro, a accentué le virage de la société à la communauté, se repliant sous la force du mal-développement en nationalisme. A noter que les pays soumis à la religion prennent la même pente : l’Inde de Modi, l’Iran des ayatollahs, la Turquie d’Erdogan, la Hongrie d’Orban ; Poutine voudrait faire de même en Russie largement laïcisée par 70 ans de communisme athée, et les cathos tradis en France rêvent d’un pays contre-révolutionnaire réunifié par l’Église.

Mûre avec les Lumières, cette conception des libertés vient peut-être d’Aristote (chez qui l’homme est un animal politique) opposé à Platon (à la république très aristocratique), du stoïcisme contre le césarisme romain, de Montaigne opposé aux guerres de religions. En tout cas, elle s’élève contre tous les dogmes, tous les fanatismes, toutes les contraintes de naissance, de croyance, d’apparence. Elle prône l’analyse lucide, le débat contradictoire, l’équilibre des intérêts en présence, la « décence commune » en guise de morale. Ni la religion ni l’État n’ont le droit de tout faire ni de tout décider. L’État est nécessaire, régulateur et garant du droit et de la sécurité, pour le reste, l’initiative individuelle et la responsabilité personnelle sont de mise.

Libre-arbitre et arts libéraux sont les soubassements de la citoyenneté et les libertés réelles ont pour préalable nécessaire les libertés formelles. Adam Smith, économiste philosophe qui a incarné ce courant libéral au XIXe siècle, est à la fois partisan du marché (La richesse des nations) et de la Théorie des sentiments moraux ; pour lui, l’économie n’est qu’un outil social. Keynes, après-guerre, définira un nouveau libéralisme tempéré par l’intervention publique quand nécessaire (mais pas à tout va comme les socialistes français l’ont traduit !)

Le libéralisme classique va bien au-delà de la réduction économique que lui ont concocté les Jacobins ou les colbertistes, les « alter » comme les souverainistes. C’est une conception du monde qui place la liberté de l’homme avant toute chose. Cette liberté n’est pas un état de nature qu’il faudrait conserver mais une disposition toujours à construire avec chaque enfant qui naît, un combat toujours à mener contre la tentation du privilège, de l’hégémonie, du volontarisme impatient et autoritaire.

LIBERTIN

D’où l’accusation de libertin que formulait volontiers l’Église, en réaction à ces libertés que prenaient les peu croyants ou les carrément athées en leur temps, les libre-penseurs à la Dom Juan de Molière ou les hédonistes à la Casanova ou Laclos. Libertins qui non seulement fleuretaient avec les femmes ou les mignons, au grand dam de la pruderie ecclésiastique, mais aussi professaient des opinions non conformes au canon exigé des « bonnes » mœurs. Les libertins sont contre le politiquement correct et contre la moraline petite-bourgeoise – ils sont pour la liberté de dire et de faire dans le cadre intime ce qu’ils désirent, avec pour limites la simple décence humaine (ne pas forcer, torturer, faire mal).

La propagande d’Église a associé la déviance de pensée à la déviance des mœurs, accusations aujourd’hui complaisamment reprises par toutes les sectes politiques ou féministes. Accuser quelqu’un de turpitudes sexuelles met le doute sur sa moralité donc sur sa pensée et ce qu’il dit en est désormais déconsidéré. « Cancel ! » hurlent les fanatiques.

A notre époque, l’Église était le Parti communiste (cela devient l’Écologisme). Le vocable « libertaire », porté par les anti-staliniens, fleure bon Mai 1968 et ses aspirations à sortir d’une société autoritaire au profit de la liberté individuelle de penser, de s’exprimer et de désirer. « Faites l’amour, pas la guerre », s’opposait à l’État présidé par un général autant qu’à une gauche dominée par le PC et l’idéologie communiste. Jouir sans entraves était préféré aux grandes manifs collectives où les esprits et les corps se perdaient dans le panurgisme des foules, habilement manipulées par les apparatchiks. Ceux qui se réclament de Mai 68 sont désormais d’une génération vieillissante et contestée pour machisme », « viols » et autres libertés prises avec le sexe. La pruderie et l’abstinence remontent. Tant pis pour le plaisir : il faut au contraire se châtier et expier la sur-consommation de la planète… J’y vois, comme Nietzsche, un symptôme de déclin de l’énergie vitale.

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Immigration, un très vieux débat

Les politiciens et le monde médiatique, dont la tête de linotte est d’évidence la marque, feignent de découvrir le « problème » de l’immigration. Ce n’est pas faute d’en avoir parlé ! Valéry Giscard d’Estaing avait pris en 1980 par la loi Stoleru-Bonnet, après le second choc pétrolier de 1979 dû aux ayatollah iraniens, des mesures fortes… que la gauche irénique, aveuglée par ses tabous gauchistes, s’est empressée de rapporter aussitôt au pouvoir en 1981. Les vannes étaient grande ouvertes avec régularisations massives et regroupement familial facilité – au détriment du petit peuple qui côtoyait les nouveaux immigrés. Car l’absorption d’arrivants différents est tout à fait possible, à condition qu’elle se fasse au rythme nécessaire à sa digestion. Pas en force.

Or la gauche abêtie, et les intellos suivistes qui ont peur de rater le train du « progressisme » (sans savoir ce que c’est), sont immédiatement grimpés aux rideaux comme des félins en chaleur dès que « le peuple » a commencé à regimber, à dire qu’il ne se sentait plus chez lui, qu’on lui imposait des coutumes étrangères sans lui demander son avis. Le grand mot de « racisme » a été prononcé, l’accusation diabolique « d’extrême-droite » a été proférée, le malaise populaire a été dénié. La poussière ainsi mise sous le tapis a fermenté ; la pression est montée et – ô surprise ! – le bien brave socialiste Jospin, qui se croyait fort de son bilan économique et social réussi, s’est vu reléguer en troisième position à la présidentielle de 2002, derrière Jean-Marie Le Pen ! Ben vrai…

Mais Chirac n’a rien foutu, comme d’habitude, sur l’immigration. La droite LR qui pousse aujourd’hui les hauts cris, n’a rien foutu elle non plus, que des réformettes gentillettes pour surtout « ne pas fâcher » les progressistes, les chrétiens-démocrates, les intellos, les droit-de-l’hommistes, le Conseil d’État, l’Europe, le pape, l’ONU, les Juifs toujours sensibles au sujet des éléments allogènes de la nation. Ils sont bien niais de brailler aujourd’hui, Les Républicains, eux qui ont été au pouvoir avant Hollande et qui n’ont quasiment rien fait ! Ils se sont contentés de détricoter partiellement à chaque fois ce que la gauche en alternance avait rétabli.

Ce n’est pas faute d’analyses dans leurs rangs. En témoigne cet essai de 1992 (il y a déjà TRENTE ans !), du ministre gaulliste Alain Peyrefitte, académicien, écrivain décédé d’un cancer en 1999 : La France en désarroi. Il notait de multiples malaises dans la société, les institutions, le territoire, la justice, l’enseignement, l’information, l’Europe, le nouvel ordre mondial (post-URSS) – et le malaise de l’immigration.

Il ne disait rien que par bon sens – mais chacun sait que c’est la chose du monde la moins bien partagée, submergée par les croyances, inhibée par les névroses, effarée par le qu’en-dira-t-on et le ce-qui-doit-se-penser. Que disait-il ? Le rejet de l’autre existe « dès qu’est franchi un seuil de tolérance, variable selon les habitudes culturelles de la population accueillante, mais aussi de la population accueillie. On assimile aisément un individu ou un petit groupe. On assimile vite qui veut être assimilé. On n’assimile pas des masses soudées en communauté. Surtout si leur culture est trop différente et si elles entendent y rester fidèles » p.222. Ce rejet populaire est comparable à un estomac qui a trop mangé, il a besoin d’évacuer.

Pas de racisme en ce cas. Le mot est trop facile, qui mélange le suprématisme d’une « race » (qui biologiquement n’existe pas) et les habitudes culturelles et de mœurs (qui, elles, existent). Le racisme qui fait accuser de nazisme, par réflexe pavlovien, ceux qui osent évoquer les différences. Or il ne faut pas confondre nature et culture, la génétique avec les façons d’être. « Depuis le 10 mai 1981, on a souhaité rompre avec la politique de l’incitation au retour ; on a voulu accueillir à bras ouverts de nouveaux immigrés, y compris ceux qui étaient en situation irrégulière ; y compris ceux qui avaient déjà reçu le pécule de départ ; y compris ceux qui avaient été expulsés comme délinquants. Le socialisme a choisi la la voie du laisser-faire  : laisser grandir en notre sein des communautés qui nous restent étrangères, et cultivent farouchement leur caractère étranger » p.229.

Les exemples sont nombreux, depuis « le voile » (décliné en burkini, djellaba, burqa, abaya… l’imagination des militants islamistes est féconde), les attentats, les émeutes des banlieues, les recours de délinquants contre les expulsions, les imams prêcheurs de haine, les réseaux vers la Syrie pour Daech, les trafics de drogue et d’armes, les règlements de compte à l’arme de guerre. Qui fait communauté se sépare de la nation. Rompt le « contrat social » (terme progressiste qui fait de la citoyenneté un choix et une volonté).

« Intégrer ceux qui vivent sur notre sol, c’est les convaincre, surtout s’ils souhaitent devenir français – qu’il ne peuvent y être polygames, ni y procéder à des mutilations rituelles, ni y ménager des mariages de convenance pour leur fille mineure. C‘est les convaincre de se vêtir en Français, sans burnous, djellaba, hidjab ni tchador. C‘est les convaincre qu’ils doivent en France d’apprendre et parler le français, et demander à leurs enfants de se comporter au dehors comme des enfants français – même si chez eux ils conservent leurs usages. C’est les convaincre, quand ils pratiquent leur religion – étrangère à notre tradition judéo-chrétienne – de renoncer à ses manifestations publiques. On doit admettre la construction de lieux de culte pour les communautés étrangères  ; à condition qu’ils ne deviennent pas des foyers d’agitation » p.230. Comment mieux dire – il y a 30 ans ? Pourquoi la droite au pouvoir, qui gueule aujourd’hui, n’a-t-elle rien fait pour appliquer ces principes de bons sens ?

Les gens du peuple deviennent intolérants parce qu’on a dépassé le seuil de tolérance. Les chiffres officiels des « étrangers » masquent la réalité sociale car, sur les quelques 10 à 12 % d’étrangers chaque année, un certain nombre deviennent « français » par naturalisation ou mariage, sortant ainsi des statistiques. Ils n’en demeurent pas moins « d’origine » étrangère quand ils préfèrent leur communauté à la nation – dont ils n’ont pris la citoyenneté que par commodité administrative. Les intellos et les gens aisés ne côtoient guère les immigrés et les exploitent le plus souvent (nounous, ménage, aide à la personne, poubelles) ; ils trouvent malséant d’en parler.

Quant au « patronat », ce qui compte seul est le profit : avoir une armée de réserve de travailleurs non qualifiés et précaires, voire clandestins, permet de les payer peu et de les faire travailler beaucoup. Ce pourquoi l’appel de l’industrie à 3,9 millions d’immigrés en France d’ici 2050 pour « ses besoins » est une sinistre farce. C’est un confort économique pour ne pas innover en robotisation, ne pas verser de salaires décents, ne pas aménager les conditions de travail. Ce n’est pas une nécessité, c’est plutôt une honte. Mais la droite LR se garde bien d’en parler ! Tout comme la Meloni en Italie, qui régularise massivement sous la pression du patronat (et de la Mafia). Or on intègre avec succès des individus, qui se fondent dans la nation – pas des masses, qui restent en communautés d’origine, fermées et intolérantes.

Ce pourquoi Emmanuel Macron, président, a eu raison de s’atteler au problème. Même s’il reste « négocié » (donc insuffisant) pour rallier les indécis, effrayés par trop d’audace et par la peur de se faire « accuser de faire le jeu » de l’extrême-droite ou des racistes. Mais le jeu va bien sans « le faire », il se poursuit en sous-main. Car les tabous de la moraline de gauche ne passent plus dans « le peuple » – ce pourquoi Mélenchon, qui l’a compris, dragué éhontément les immigrés devenus français des banlieues, croyant y retrouver un « prolétariat » populiste qu’il pourrait manipuler en caudillo.

L’idée de l’équilibre entre répression et accueil était une bonne idée. Malheureusement, elle passe mal politiquement dès lors que les gens se radicalisent. La politique est désormais au tout ou rien, ce qui n’arrange ni le bon sens, ni la mesure, ni la démocratie d’ailleurs. Où sont les débats sereins ? Les compromis nécessaires ? Le simple bon sens ?

Le peuple jugera, en la personne de ses citoyens qui voteront régulièrement, en France, en Europe et ailleurs. Nous pourrions, dès avant 2030, nous retrouver avec Marine Le Pen présidente, un Parlement européen plus clairement de droite dure, Donald Trump aux États-Unis, Xi Jinping encore en Chine – et toujours l’inamovible Poutine en Russie, le modèle de la force cynique sûre d’elle-même, accrochée à ses intérêts par une mafia de corruption, capable de faire peur et de déstabiliser les egos fragiles fascinés par la brutalité (comme Zemmour) et les pays trop faibles…

Tout cela pour avoir nié le réel.

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Colette, Paris de ma fenêtre

Une femme s’adresse aux femmes dans un Paris occupé. Ce recueil d’articles donnés au Petit parisien du 16 octobre 1940 au 11 décembre 1941, parmi les collabos littéraires comme Claude Farrère, Jean de La Varende, J-H Rosny jeune, Sacha Guitry, Pierre Benoît, Abel Bonnard (pour ne citer que ceux dont les noms sont restés) – jusqu’à l’arrestation de son énième mari, Maurice Goudeket, juif. Elle témoigne de la vie quotidienne dans le centre de la capitale. Le recueil est publié en 1942 sous le titre De ma fenêtre et republié corrigé en 1944 avec une préface bavarde de Francis Carco.

De sa fenêtre du Palais royal, au premier étage au-dessus du restaurant Le Grand Véfour, elle observe les passants des galeries, les putains qui font le tapin, les enfants qui jouent au sable, les chiens qui pissent sur les bosquets. Elle est voisine de la Comédie française qui reprend ses représentations, et de Jean Cocteau qui habite le quartier.

Mais Colette est avant tout présente de façon hebdomadaire pour conseiller « les chères femmes » (dont l’expression disparaît des articles une fois publiés en volume). Les événements du jour lui permettent d’évoquer ses souvenirs personnels de vieille dame et de poser une sagesse immémoriale tirée de la terre et de la campagne – thèmes chers au pétainisme. Il fait froid car l’hiver est rigoureux ? Que n’a-t-on pas posé des double-fenêtres, des portes sans jour au-dessous, des chauffages au bois ! Il faut se vêtir et ne pas sortir à la mode, en escarpins et jupes courtes avec des bas trop fins. Si les enfants n’ont pas froid quand ils bougent, dès le retour à l’appartement, il faut les vêtir plus, les abreuver de boissons chaudes.

Suivent des recettes de grand-mère pour accommoder les restes et les ersatz, comme cette « flognarde » faite de deux œufs seulement et de farine, avec à peine de sucre, qui tient bien au corps et réchauffe l’âme en souvenir du bon vieux temps à la ferme. Ou encore ces tartes à tout, aux fenouils, à l’ail des ours, aux champignons du Bois. Les châtaignes sont un bienfait, une farine des arbres qui ne coûte pas cher et même rien quand on va la récolter dans les forêts près de Paris, où elle abonde. Quant au rutabaga, tout le monde en a marre – et jusqu’à aujourd’hui.

Enfin des trucs pour bricoler les vêtements, rapetasser, faire du neuf avec du vieux. Comme récolter les vieux bouts de ficelles qui ne servent à rien pour les démêler et en faire de la bourre pour coussin, ou ficeler des journaux autour des jambes le soir, ou encore tendre du papier d’emballage entre les couvertures pour avoir plus chaud – en accueillant le chat, qui est une bouillotte à lui tout seul. En fait, « le Français » est bricoleur, la Française aussi ; le pays n’a pas d’honneur mais l’art de la débrouille. Même les scouts s’y mettent en donnant des conseils à leurs mères.

Mais Colette n’aime pas les enfants. Comme les bêtes, ils doivent se dresser. Avec l’âge, elle supporte de moins en moins le bruit des jeux, dans ce Palais Royal où tout résonne sur les murs en carré. Pourquoi les parents donnent-ils à leurs fils des sifflets de flics, des trompettes de fanfares et des pistolets à amorce de soldats ? Tant de bruit pour rien alors que les pères ont déchu en 40. Les mères démissionnent de toute éducation et laissent faire. Cris et hurlements pour jouer sont autre chose que pleurs pour quelque chose. Surtout quand l’enfant, souvent une fillette, est martyr : les journaux rendent compte du sadisme de quelques parents, dont un couple sera condamné à mort pour avoir battu comme plâtre leur gamine et l’avoir jetée dans la Seine.

Les souvenirs sont de cheminée (rien de tel quand il fait froid), de veillée en commun (rien de tel quand on se sent abandonné), de poupées de chiffons (rien de tel quand Noël n’apporte guère de jouets). Et puis le théâtre, puisqu’il reprend à sa porte, les répétitions, le music-hall.

Évidemment les bêtes, les corneilles qui tombent des clochers sur le jardin, les chats qui chassent le rat pour manger par « haine raciale ». Nécessité n’est pas gourmandise, les chères lectrices rationnées auront compris, mais le terme repris de la propagande contre les Juifs sonne un peu bizarrement. Colette se sent-elle chatte pour chasser par nécessité du temps l’ennemi héréditaire, le rat-juif ? Ou n’use-t-elle de cette expression que parce qu’elle est dans l’air du temps, comme sans y penser ? Ne pas y penser, justement, montre combien les gens les plus intelligents, comme Colette, peuvent se « laisser aller » à suivre le mouvement de l’opinion par inadvertance, moutonnant avec les moutons jusqu’à dire des horreurs qui seront ainsi peu à peu acceptées par tous.

La gauche française, qui s’est dite longtemps « morale » pour faire la leçon à tout le monde, est aujourd’hui empêtrée dans ses contradictions, soutenant à toutes forces le Hamas terroriste à vision génocidaire, tortillant du cul pour ne « pas dire » le mot « terrorisme » et l’euphémiser en « résistance ». Non qu’Israël, son Premier ministre populiste et son gouvernement réactionnaire n’aient rien à se reprocher, loin de là ! Mais ne pas dire que massacrer des civils en franchissant la frontière, violer des femmes et en faire des vidéos machos à leur gloire de barbares, prendre en otage des enfants – ne pas dire que c’est du terrorisme à condamner, voilà le premier pas vers la conversion au fascisme. Qu’il soit rouge stalinien ou noir islamiste, qu’est-ce que cela change ? Le premier pas de cette acceptation est le mot employé : « race » pour Colette hier et « résistant » pour la gauche aujourd’hui.

L’arrestation de son mari juif en décembre 1941 va remettre la vieille écrivaine sur les rails du bon sens.

Colette, Paris de ma fenêtre, Fayard 2004, 252 pages, occasion 16,00, e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

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Raymond Aron, L’opium des intellectuels

Raymond Aron est mort le 17 octobre 1983 à 78 ans – il y a 40 ans. Il était l’intellectuel critique par excellence, le chantre de la liberté qui pensait par lui-même. Loin des modes il ne s’était engagé que contre la nazisme et contre le soviétisme, deux tyrannies du siècle. Il était pour la modération, le milieu juste plutôt que le juste milieu. Il était pour la raison contre la foi – toute foi, même laïque (et il y en a !).

Son souvenir mérite d’être rappelé en notre période de retour progressif (et progressiste) à l’obscurantisme : la Contre-révolution à droite, l’islamisme woke à gauche.

Il a été condisciple à Normale Sup de Pierre-Henri Simon, Paul Nizan et Jean-Paul Sartre : un chrétien social et deux marxistes, dont un devenu mao à la fin de sa vie. Il sera prof à l’ENA, à Science Po, à Paris 1 et au Collège de France. Il admire Karl Marx qu’il a beaucoup étudié, mais pas pour le dogmatisme apparent de ses œuvres philosophiques, plus pour son sens de l’analyse politique en tant que « spectateur engagé » (notamment sur la Commune de Paris).

Pour Karl Marx, la religion est l’opium du peuple. Pour Raymond Aron, en 1955, elle est « l’opium des intellectuels » – surtout français. Bien avant le cannabis et l’héroïne des babas cool façon 1968, l’islamisme et les intégrismes catholiques et juifs des années 2000, le droit-de-l’hommisme des bobos années 1990, ou encore le woke des années 2020, le marxisme était la drogue à la mode. D’autant plus forte qu’on n’y comprenait rien et que le prophète barbu lui-même a tâtonné dans ses écrits, les deux-tiers étant à l’état de brouillons, publiés après sa mort. Plus c’est abscons, plus les intellos se délectent : ils peuvent enfin dire n’importe quoi sans risque d’être contredits ! Voyez le Coran…

L’opium qui monte après le marxisme remis sous naphtaline serait-il l’écologisme woke, mâtiné d’Apocalypse climatique, d’austérité chrétienne monastique et de culpabilité mâle, virile et blanche.

Il reste que tous les gens de ma génération sont tombés dans le marxisme étant petit, absorbé à l’école, dans les cours, à la récré, durant les manifs, à la télé, chez les « écrivaintellos » évidemment « de gauche », toujours à la pointe de l’extrême-mode. Certains (dont je suis) en ont été immunisés à jamais. D’autres non. La gauche radicale balance entre syndicalisme de coups et dictature du prolétariat, des « socialistes » plus pervers inhibent tout changement, freinant des quatre fers dès qu’il s’agit de réformer mais condamnés à l’impuissance publique et rêvant de finir leur vie en couchant avec la Révolution. Comme dit Aron, « dire non à tout, c’est finalement tout accepter » (III,7). Car le mouvement se fait de toutes façons, et sans vous pour l’influencer. Mélenchon le radical-islamiste, par tactique électorale et croyant des damnés de la terre, fait le lit douillet du Rassemblement national et de sa frange encore plus radicalement à droite, les zemmouriens. L’anarchie de provoc’ trotskiste appelle les les milices et les sections d’assaut de la réaction à tant de chienlit malfaisante et menteuse. A populisme, populisme et demi ! Aron se serait délecté de démonter l’idéologie de « gôch » contemporaine, comme il a démonté le marxisme des intellectuels – qui avait peu à voir avec le marxisme appliqué dans les pays non libres.

Ce qu’Aron révèle est que marxisme n’est pas la pensée de Marx. Il en est la caricature amplifiée et déformée, tordue par le bismarckisme botté des partis allemands, puis par l’activisme pragmatique de Lénine, enfin par le Parti-Église de Staline qui reste le modèle inégalé du parti Communiste français.

Mais il faut mesurer combien cette pensée « totale » a pu séduire les petits intellos, comme toute pensée totale continue à le faire depuis le catholicisme romain. Elle a pour ambition de brasser toute la société, le social expliqué par l’économique, lui-même induisant la politique, donc une philosophie. Le marxisme hier était analogue à l’islamisme, cette déclinaison totalitaire de la religion musulmane – ce pourquoi de nombreux intellos « de gauche » ont encensé l’ayatollah Khomeini et sont depuis compagnons de route soumis des terroristes barbus – même ceux qui commettent des pogroms. Aron : « Marx réalisa la synthèse géniale de la métaphysique hégélienne de l’histoire, de l’interprétation jacobine de la révolution, de la théorie pessimiste de l’économie de marché développée par les auteurs anglais » (Conclusion). Si l’on renverse tous les termes… on obtient l’écologisme : pratique historique concrète coupable et respectueuse de tout, décentralisation universelle, marché local exacerbé.

Le marxisme a offert aux laïcs déchristianisés une alternative au christianisme : appliquer les Évangiles dans ce monde en reprenant l’eschatologie biblique sans l’église. Aron : « La société sans classes qui comportera progrès social sans révolution politique ressemble au royaume de mille ans, rêvé par les millénaristes. Le malheur du prolétariat prouve la vocation et le parti communiste devient l’église à laquelle s’opposent les bourgeois-païens qui se refusent à entendre la bonne nouvelle, et les socialistes-juifs qui n’ont pas reconnu la Révolution dont ils avaient eux-mêmes, pendant tant d’années, annoncé l’approche » (III,9). Rares sont les intellos qui ont lu l’œuvre de Marx, largement inachevée, touffue, contradictoire, publiée par fragments jusque dans les années 1920. La pensée de Marx est complexe, sans cesse en mouvement. Figer « le » marxisme est un contresens. Marx est en premier lieu critique, ce qui ne donne jamais de fin à ses analyses. En faire le gourou d’une nouvelle religion du XXe siècle nie ce qu’il a été et voulu.

Mais le besoin de croire est aussi fort chez les intellos que chez les simples. Il suffit que le Dogme soit cohérent en apparence, décortiqué en petits comités d’initiés, réaffirmé en congrès unanimiste et utilisable pour manipuler les foules – et voilà que l’intello se sent reconnu, grand prêtre du Savoir, médiateur de l’Universel. Dès lors, l’analyse économique dérape dans le Complot, les techniques d’efficacité capitalistiques deviennent le Grrrand Kâââpitâââl arrogant et dominateur, consommateur égoïste des richesses de la planète. Un Kapital d’ailleurs américain, plutôt financier, et surtout juif (« Government Sachs »), porté à l’hédonisme LGBTQA+ (et j’en oublie).

On en arrive à la Trilatérale, ce club d’initiés Maîtres du monde, dont Israël serait le fer de lance pour dominer le pétrole (arabe)… La doxa mélenchonnienne et celle des islamistes intolérants, tout comme celle des poutinistes d’extrême-droite. Toute religion peut délirer en paranoïa via le bouc émissaire. Aron : « On fait des États-Unis l’incarnation de ce que l’on déteste et l’on concentre ensuite, sur cette réalité symbolique, la haine démesurée que chacun accumule au fond de lui-même en une époque de catastrophes » (III,7).

Marx n’est plus lu que comme une Bible sans exégèse, ses phrases parfois sibyllines faisant l’objet de Commentaires comme le Coran. Les intégristes remontent aux seuls écrits de jeunesse qui éclaireraient tout le reste. Sans parler des brouillons Apocryphes et des Écrits intertestamentaires d’Engels ou Lénine. Les gloses sont infinies, au détriment de la pensée critique de Karl Marx lui-même. Raymond Aron : « Les communistes, qui se veulent athées en toute quiétude d’âme, sont animés par une foi : ils ne visent pas seulement à organiser raisonnablement l’exploitation des ressources naturelles et la vie en commun, ils aspirent à la maîtrise sur les forces cosmiques et les sociétés, afin de résoudre le mystère de l’histoire et de détourner de la méditation sur la transcendance une humanité satisfaite d’elle-même » (I,3). L’écologisme, par contagion marxiste, a gardé ces tendances, malgré la poussée des racialisés, féministe et autres réveillés.

Fort heureusement, la gauche ne se confond pas avec le marxisme ; elle peut utiliser la critique de Marx sans sombrer dans le totalitarisme de Lénine et de ses épigones. Raymond Aron définit la gauche par « trois idées (…) : liberté contre l’arbitraire des pouvoirs et pour la sécurité des personnes ; organisation afin de substituer, à l’ordre spontané de la tradition ou à l’anarchie des initiatives individuelles, un ordre rationnel ; égalité contre les privilèges de la naissance et de la richesse » (I,1). Qui ne souscrirait ? Notamment la social-démocratie. Mais la gauche s’est fourvoyée dans la Nupes, cette « alliance » de la carpe et du lapin où celui qui fait les gros yeux emporte tout.

Raymond Aron pointe la dérive : « La gauche organisatrice devient plus ou moins autoritaire, parce que les gouvernements libres agissent lentement et sont freinés par la résistance des intérêts ou des préjugés ; nationale, sinon nationaliste, parce que seul l’état est capable de réaliser son programme, parfois impérialiste, parce que les planificateurs aspirent à disposer d’espaces et de ressources immenses » (I,1). C’est pourquoi « La gauche libérale se dresse contre le socialisme, parce qu’elle ne peut pas ne pas constater le gonflement de l’État et le retour à l’arbitraire, cette fois bureaucratique et anonyme. » (I,1) Marx traduit par l’autoritarisme du XXe siècle rejoint volontiers les autres totalitarismes dans le concret des gens.

Raymond Aron : « On se demande par instants si le mythe de la Révolution ne rejoint pas finalement le culte fasciste de la violence » (I,2). Ce ne sont pas les ex-Mao mettant qui contrediront ce fait d’observation. Quant aux manifs des radicaux écolos…

Inutile d’être choqué, Aron précise plus loin : « L’idolâtre de l’histoire, assuré d’agir en vue du seul avenir qui vaille, ne voit et ne veut voir dans l’autre qu’un ennemi à éliminer, méprisable en tant que tel, incapable de vouloir le bien ou de le reconnaître » (II,6). Qui est croyant, quelle que soit sa religion, est persuadé détenir la seule Vérité. Ceux qui doutent ou qui contestent sont donc des ignorants, des déviants, des malades. On peut les rééduquer, on doit les empêcher de nuire, voir les haïr et les éliminer. Ainsi des Juifs pour le Hamas. L’Inquisition ne fut pas le triste privilège du seul catholicisme espagnol et les excommunications frappent encore au PS, voire chez les écolos quand on ose mettre en doute la doxa du parti…

Ce pavé de 1955 est construit en trois parties : 1/ mythes politiques de la gauche, de la révolution et du prolétariat ; 2/ Idolâtrie de l’histoire et 3/ Aliénation des intellectuels. Il évoque des questions désormais passées, celles d’une époque d’après-guerre portée au fanatisme avec Sartre et Beauvoir après la lutte contre le nazisme.

Mais l’analyse rigoureuse et sensée résiste à toute ringardise. La méthode de Raymond Aron est applicable aujourd’hui, la sociologie des intellos demeure et la critique de la croyance comme opium est éternelle. La preuve : cet essai intellectuel est constamment réédité et les idéologies qui prennent la place du marxisme chez les intellos sans cesse nouvelles !

Raymond Aron, L’opium des intellectuels, 1955, Fayard Pluriel 2010, 352 pages, 10.20€, e-book Kindle €10,99

Raymond Aron, Mémoires, Bouquins 2010, 1088 pages, €31,00

Raymond Aron, Le spectateur engagé, Livre de poche 2005, 480 pages, €9,20

Raymond Aron sur ce blog :

Karl Marx : 1 – le Manifeste

Karl Marx : 2 – le Capital

Karl Marx : 3 – Les objections

Penser la guerre : Clausewitz

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L’heure la plus silencieuse de Nietzsche

A la fin de sa Seconde partie d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche fait faire retraite à son prophète. Car il ne s’est pas encore surmonté, il fait le lion avec ses paroles, mais pas encore l’enfant qu’il doit devenir, vierge et premier mouvement Cela fait référence auxTrois métamorphoses du début du livre quand l’esprit devient chameau esclave avant de devenir lion rebelle puis d’être – enfin – innocent et premier mouvement créateur : enfant.

Le « cela sans voix » qui parle à Z le psychanalyse avant que Freud ait encore balbutié ses études : « Tu le sais, Zarathoustra, mais tu ne le dis pas ! Et je répondis enfin, avec un air de défi : Oui, je le sais, mais je ne veux pas le dire ! Alors cela reprit sans voix : Tu ne veux pas, Zarathoustra ? Est-ce vrai ? Ne te cache pas derrière cet air de défi ! Et moi je pleurai et tremblai comme un enfant et je dis : Hélas ! Je voudrais bien, mais comment le puis-je ? Fais-moi grâce de cela ! C’est au-dessus de mes forces ! » Le sans voix est l’inconscient qui doit se révéler alors que le conscient dénie et réprime. La vérité, qui est la santé de l’esprit, ne souffre que la lucidité sur soi, ni le déni, ni l’illusion mensongère.

Z est allé chez les hommes mais croit qu’il ne les a pas encore atteints par sa parole. Or rien n’est plus faux, affirme cela qui est sans voix. « La rosée tombe sur l’herbe à l’heure la plus silencieuse de la nuit. » Autrement dit le germe suffit à faire fleurir, il est primordial de le planter, même si personne ne s’en aperçoit encore. Ainsi disait Gramsci : il faut d’abord conquérir les esprits avant les urnes, persuader par idéologie avant d’acquérir le pouvoir.

L’hégémonie culturelle prépare l’hégémonie politique, ce que la gauche française a su faire avant de laisser se déliter les idées – en laissant à la droite la plus extrême le monopole des concepts et du vocabulaire : depuis fort longtemps, 1969, avec la Nouvelle droite d’Alain de Benoist dont Marion Maréchal Le Pen est l’héritière née. Ainsi l’idée du « grand remplacement » est-elle entrée dans les esprits contre l’universalisme, de l’autorité qu’il faut réaffirmer jusqu’à l’excès contre les libertés, des alliances qu’il faut revoir pour se replier sur son « identité » (contre l’Europe ordolibérale, les États-Unis ultralibéraux et métissés – au profit de la Russie réactionnaire). L’identité est un autre concept flou mais agissant de l’idéologie contre-révolutionnaire (Xavier de Maistre, Charles Maurras, Eric Zemmour), contre l’individualisme libéral des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Tocqueville, Aron).

L’écolo-gauchisme du Woke cherche de même à remplacer l’hégémonie culturelle « bourgeoise » (mâle, blanche, occidentale) par une nouvelle culture métissée, sans-genre, racisée, « respectueuse » de toutes les races, des plantes et petites bêtes jusqu’aux humains. On ne pourrait ainsi jouer un Noir si l’on est Blanc, ou un gay si l’on est hétéro – et pourquoi pas un politicien si l’on n’est est pas un ? Quant à jouer au con, le débat n’est pas (encore ) tranché chez les Woke, paraît-il… Le réveil est toujours difficile quand on ne sait pas où l’on va.

« Ne sais-tu pas quel est celui dont tous ont le plus besoin ? Celui qui ordonne de grandes choses. » Autrement dit celui qui a un projet, un dessein. De Gaulle en avait un, Mitterrand aussi plus ou moins, Giscard de même, comme Pompidou. Depuis Chirac, sauf peut-être sous Sarkozy, les grands desseins sont bien brumeux. Qui peut dire quel était celui de Hollande ? Comprenait-il d’ailleurs de quoi il pouvait s’agir, ce gestionnaire technocrate fort sympathique mais qui ne pouvait s’empêcher de dire et qu’il ne devait pas dire ? Quant à notre Emmanuel, son dessein initial qui était de réformer la France s’est heurté aux réalités sociales et aux corps intermédiaires braqués, qu’il n’a pas su prendre. Son second quinquennat se trouve empêché, faute d’avoir su convaincre que le Parlement était utile et que ses députés étaient capables : il n’a plus de majorité. Comment « ordonner de grandes choses » sans l’adhésion de ceux qui débattent et légifèrent ? Les gadgets comme les conventions et autres débats sans décisions ne font pas le poids face aux procédures constitutionnelles que sont le 49-3, la dissolution ou le référendum. Pourquoi ne pas les utiliser ? « Et voici ta faute la plus impardonnable : tu as le pouvoir et tu ne veux pas régner. »

Pourtant les idées de libertés (au pluriel) continuent leur chemin ; le travailler plus pour gagner plus n’a jamais quitté les esprits ; la méritocratie scolaire reste une ambition légitime. « Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête. Ce sont les pensées qui viennent comme portées sur les ailes de colombes qui mènent le monde. » Qui voudrait être gouverné par un Poutine ? C’est pourtant le type de régime que préparent un Zemmour ou une Maréchal. Qui préfère les vociférations haineuses des histrions à la Père Duchesne à un gouvernement qui agit dans le calme et la pondération ? C’est pourtant le type de gouvernement que préparent les Mélenchon ou Rousseau. « Ô Zarathoustra, tu dois aller comme un fantôme de ce qui viendra un jour ; ainsi tu commanderas et, en commandant, tu iras de l’avant. »

Mais le Z n’est pas prêt, il doit retourner à la solitude. Pour les politiques, on l’appelle souvent « traversée du désert » : cela ne leur fait en général pas de mal.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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Nos politiciens de gauche ressemblent aux tarentules de Nietzsche

A l’occasion de l’opposition à la réforme des retraites – parfaitement légitime en soi puisqu’elle va demander aux actifs plus d’efforts – la relecture de Zarathoustra apporte une image frappante : celle de la tarentule. C’est une araignée noire tapie au centre de sa toile. « Il y a de la vengeance dans ton âme », s’écrie Zarathoustra, « partout où tu mords il se forme une croûte noire, le poison de ta vengeance fait tourner l’âme ! » Nietzsche visait les prêtres chrétiens (tous habillés de noir) mais aussi les doctrinaires d’université et les hommes de lois moralistes (habillés de même couleur), voire les politiciens égalitaires de son temps.

Où nous retrouvons le nôtre. Car nos politiciens contestataires n’ont pas pour objectif le bien du peuple comme ils veulent le faire croire, mais le goût du pouvoir et de la revanche. Ils ne seraient crédibles pour faire avancer la société que s’ils étaient « délivrés de la vengeance », or ce n’est pas le cas. A quoi rime cet histrionisme de guignols à l’Assemblée ? Cette affiche communiste au Macron impérial ? Ces revendications absurdement irréalistes du Smic à 2000 euros, retraite à 60 ans et ainsi de suite ? Devons-nous rejouer névrotiquement la prise de la Bastille suivie de la Terreur à chaque fois que nous ne sommes pas d’accord et ne parvenons pas à un accord avec de longs mois de « négociations » ?

« Mais les tarentules veulent qu’il en soit autrement. ‘C’est précisément pour nous la justice que le monde se remplisse des orages de notre vengeance’ – ainsi parlent entre elles les tarentules ». On dirait du Mélenchon, ce n’est que Zarathoustra. Qui décortique le sous-jacent, et ce pourquoi le compromis n’est jamais possible avec les politiciens français de gauche dans leur extrémisme : « ‘Nous voulons exercer notre vengeance sur tous ceux qui ne sont pas à notre mesure et les couvrir de nos outrages’ – c’est ce que se jurent en leurs cœurs les tarentules. » Notre mesure signifie nos petites personnes, la tarentule veut tout rabaisser à son niveau, faire que chacun lui ressemble – et outrager ceux qui y échappent. Ainsi fit le communisme – et l’on voit à quoi il a abouti : à la fuite massive une fois le Mur tombé, au vote avec leurs pieds des citoyens des glorieuses démocraties « populaires ». Et l’on voit où l’aboutissement de cet aboutissement conduit aujourd’hui : à la dictature impitoyable, agressive et purement réactionnaire d’un lieutenant-colonel du KGB sur tout un peuple en déclin.

Voilà à quoi a abouti le fantasme chimérique d’égalité. L’égalité peut être en droit, en dignité, en chances ; elle ne peut être totale. L’égalité dévoyée fait changer de sexe les enfants de 9 ans et croire que l’on n’est ni homme, ni femme mais une hybridation plus ou moins prononcée, qu’être égal c’est ne pas regarder (le regard juge et la racaille frappe pour un simple regard), ne pas dire (les mots discriminent, ce pourquoi on ne dit plus nègre ni même noir et à peine humain de couleur, et qu’il est interdit de singer le noir quand on est blanc, même si l’inverse n’est pas prévu par le woke). Car Nietzsche s’élève contre cette notion, antinaturelle selon lui, antihumaine même, d’égalité (au sens totalitaire d’absolu). « La vie veut elle-même s’exhausser sur des piliers et des degrés : elle veut découvrir des horizons lointains et explorer les beautés bienheureuses – c’est pourquoi il lui faut l’altitude. » Cette revendication égalitaire cache au fond l’envie, la jalousie de ne pas être meilleur, aussi bon que les autres, d’avoir mieux travaillé à l’école, s’être entraîné au sport, avoir cultivé son esprit. « Nous voulons élever nos cris contre tout ce qui est puissant ! » s’écrient les tarentules. Les médiocres parlent aujourd’hui de « dominants ».

Ce que cache cette envie, c’est tout simplement l’envie d’avoir pour soi le pouvoir sur les autres, de les commander, de les rabaisser, de les humilier. Les révolutionnaires idéalistes arrivés au pouvoir sont souvent pire que les dictateurs qu’ils sont chassés : voyez les jacobins de 1789, les communistes en 1917, le FLN en Algérie, les islamistes après Ben Ali. « Prêtres de l’égalité, la tyrannique folie de votre impuissance réclame à grands cris « l’égalité » : vos plus secrets désirs de tyrans se travestissent sous des paroles de vertu ! ». Cela se nomme la démagogie, et il n’est pire tyran qu’un démagogue parvenu au pouvoir : voyez Hitler, voyez Castro, voyez Chavez, voyez Trump – je frémis en pensant à un Mélenchon s’il avait été élu, lui qui se réfère à Chavez comme à un Mentor !…

« Ils ressemblent aux enthousiastes ; mais ce n’est pas le cœur qui les enflamme – c’est la vengeance. Et lorsqu’ils deviennent froids et subtils, ce n’est pas l’esprit, mais l’envie qui les rend froids et subtils. » Voyez Mélenchon, et Badiou. « A chacune de leurs plaintes résonne la vengeance et chacune de leurs louanges porte une blessure ; s’ériger en juges leur semble le comble du bonheur. » Mélenchon se venge de l’absence du père, divorcé lorsqu’il avait 10 ans ; Badiou a pour croyance que les mathématiques sont l’ontologie de la philosophie, ce pourquoi lui a toujours raison malgré les autres, égarés par la phénoménologie – il a ainsi justifié les Khmers rouges (1,7 millions de morts).

« Or, voici le conseil que je vous donne, mes amis : Méfiez-vous de tous ceux en qui l’instinct de punir est puissant ! C’est une mauvaise engeance et une mauvaise race ; ils ont des faces de bourreau et de ratiers ». Ainsi parlait Zarathoustra. Ecoutons-le.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

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Préparer la guerre…

Le « si vis pacem, para bellum » de nos cours de latin est un adage romain qui reste d’actualité. Pour avoir la paix, il FAUT préparer la guerre. Oh, certes ! Les belles âmes répéteront à l’envi qu’il suffit de proposer une arme pour que l’on s’en serve et que donner des pistolets aux petits garçons les amènent, une fois grands, à s’en servir. Rien de plus faux. De même que j’ai imité mon grand-père à 6 ans en fumant des cigarettes de carton, je ne suis pas devenu fumeur ; de même que j’ai joué au cow-boy et aux indiens, au gendarme et au voleur avec mes copains avant 10 ans, je ne suis pas devenu raciste, ni délinquant ; de même que j’ai effectué mon service militaire avec de vraies armes létales, je ne suis pas devenu tueur. Il est temps que les « belles âmes » ferment leurs gueules.

Tout est venu, dans ma génération, de l’explosion hormonale, sentimentale et amorale de 1968. Je garde une nostalgie pour cette époque de libération tous azimuts qui a apporté beaucoup d’air frais à une société française restée cléricale, patriarcale et autoritaire jusqu’au milieu des années 1960 encore, dans la lignée des paysans qui faisaient la majorité de la population. Mais je suis lucide. Si, à l’époque, il fallait déclarer la guerre à la guerre, militer pour la paix au Vietnam, brailler contre l’extension du camp militaire du Larzac au détriment de bonnes terres à cultiver ou à paître, « la paix » n’est pas une fin en soi. Elle se construit. Seuls les Allemands trop gras et trop flemmards de la gauche gâtée préféraient « être plutôt rouges que morts » – pas les Hongrois en 1956, ni les Tchèques en 1968, ni les Polonais en 1982, encore moins les Ukrainiens en 2022.

Pour ne pas être menacé, mieux vaut être fort. Cela ne signifie pas qu’il faut user de sa force, mais au moins la montrer. Je ne connais aucun gamin sportif et costaud qui soit harcelé par ses camarades. Seuls les faibles et les timorés le sont, surtout ceux qui ont une vulnérabilité particulière, comme des désirs sexuels différents ou un handicap physique appelant à la moquerie. On dit même que dans les banlieues, les bons élèves sont traités de bouffons parce qu’ils réussissent dans le système alors que la majorité n’y pense même pas.

Si nous reportons ce comportement scolaire aux relations internationales, être fort signifie avoir la puissance économique, le statut moral et la force militaire nécessaire pour se faire respecter. J’y ajoute les alliances, cruciales dans ce monde qui se globalise et où émergent de gros blocs. L’erreur, à mon avis, de la Russie et de son dirigeant tyrannique Poutine, est de s’isoler de l’Occident tout entier. En croyant bêtement que s’associer à la Chine ou à l’Iran, pays dictatoriaux et parias, suffira à préserver la civilisation orthodoxe, c’est avoir une courte vue et ne pas mesurer que la démographie elle-même est une puissance. Que va donc peser une Russie de moins de 150 millions d’habitants d’ici 30 ans face à une Chine qui en comprend dix fois plus et un Iran ou une Turquie qui l’auront presque rejoint ? Quand on ne peut être fort tout seul, mieux vaut être fort à plusieurs.

C’est pourquoi l’alliance atlantique appelée Otan est une force complémentaire à l’alliance économique appelée Union européenne. Ne rêvons pas trop sur l’alliance politique, ce n’est pas demain qu’elle se fera, sauf si une guerre ouverte contre une civilisation concurrente venait à nous souder brusquement. Ce qui n’est pas impossible au vu de cette dernière année.

Pour le moment, l’agression sans préavis d’un pays pacifique par un pays tyran, sur le territoire européen même, incite la France et tous les Français à réviser leur façon de voir. Tout d’abord, il n’y a pas de « dividende de la paix ». C’est une illusion confortable, entretenue à dessein par la propagande communiste hier et poutinienne ou chinoise aujourd’hui. Ces civilisations ne sont clairement pas les nôtres et elles ne désirent nullement converger vers un « universel » dont on s’aperçoit qu’il n’est qu’un idéalisme occidental. Un jour peut-être, la Terre sera une seule planète et les croyances comme les mœurs entreront dans une seule grande civilisation. Mais nous en sommes encore très loin !

Le réalisme oblige donc à être lucide sur nos forces et sur nos faiblesses. Pour la France, notre force est tout d’abord nucléaire. Voulue par le général De Gaulle, dans une prescience de génie qui n’appartient qu’à lui, cet instrument de la puissance montre à la fois l’inventivité technologique de nos ingénieurs et la volonté politique de nos dirigeants de garder un certain rang international, malgré notre taille moyenne et notre économie qui se rétrécit.

Car notre faiblesse est avant tout dans l’économie. Si l’État a formé ce pays composite que l’on appelle la France, l’Administration proliférante durant des décennies a stérilisé son initiative et inhibée ses investissements : où sont les fonds de pension à la française ? le fonds souverain sur l’exemple de la Norvège ? Tout est plus cher en France, à commencer par les taxes et les impôts, la TVA au taquet, les procédures et réglementations tatillonnes. La start-up qui a élaboré un vaccin contre le Covid n’a pas obtenu de financement en France et a dû s’exiler en Angleterre. Déjà hier, l’invention du Minitel, très en avance, n’a pas accouché de l’Internet, qui s’est fait aux États-Unis grâce au financement de l’armée. Et tout est à l’avenant. Ce ne sont que lobbies protectionnistes, parlementaires incompétents, agents du trésor inventifs, et pression constante de la morale de gauche pour toujours plus dépenser pour le « social » et toujours moins investir dans l’industrie.

La guerre en Ukraine nous montre que toute armée doit être prête avec assez de matériel et un entraînement qui convient, mais que cela ne suffit pas. Le moral de la nation est primordial pour résister à l’envahisseur, mais les capacités de production et les moyens d’acheter des munitions ou des matériels nécessaires à l’extérieur sont aussi importants. Plus encore, la capacité d’initiative est le maître mot. Il faut de l’agilité au soldat sur le terrain pour comprendre la manœuvre de l’ennemi et des sous-officiers pour la contrer, il faut de l’agilité à l’arrière pour assurer la logistique nécessaire, il faut de l’agilité diplomatique pour s’assurer les alliances vitales. Le président Zelensky fait cela très bien alors que le tyran Poutine se repose sur ses lauriers de lieutenant-colonel d’un service annexe. L’agilité est loin d’être le maître mot de la Russie d’aujourd’hui, après celle de l’Union soviétique hier. Tout est contrôlé d’en haut et le « plan » ne permet pas de réagir sans retard à ce qui survient à la base.

Pour nous, la défense consiste tout d’abord dans le nucléaire, ensuite dans l’OTAN, troisièmement dans la force de résilience et d’attaque de nos réseaux d’information, et seulement enfin dans les réserves en hommes et en matériel d’une guerre classique.

Pour cela, si nous avons des avions, il nous manque des drones. Les avions ont montré qu’ils étaient vulnérables aux moyens de défense antiaériens puisque la Russie en a perdu beaucoup dans cette guerre depuis un an, alors que les drones sont peu chers, opérationnels depuis la base, et très utiles aux commandements sur le terrain.

Il nous reste également à programmer des lois de Défense qui soit suffisamment durables pour assurer aux entreprises de l’armement une visibilité, et relocaliser certaines productions vitales comme celle des poudres.

Mais aussi encourager la formation de main-d’œuvre technique spécialisée dans l’industrie comme dans les télécommunications et l’informatique, sans oublier l’organisation sanitaire pour traiter les blessés du terrain comme ceux de l’arrière, qui seront inévitables en cas de guerre ouverte.

Plus que jamais, si tu veux la paix, prépare la guerre ! Un programme complet qui ne mobilise pas que l’armée mais jusqu’aux entreprises et aux citoyens. La clownerie du parlementarisme saisi par la gauche à l’Assemblée déconsidère non seulement les guignols députés de la Nupes, mais le régime parlementaire tout entier. Comme disaient les vieux après 14-18, « il leur faudrait une bonne guerre ».

Pour notre malheur, elle vient !

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Droits ou libertés

La droite au Sénat a récemment émis un vote en faveur de « la liberté » de l’avortement au lieu d’un « droit à » l’avortement prôné par la gauche. Signe que les libertés, qui étaient jadis à gauche, sont passées à droite tandis que les contraintes sont devenues de gauche. En effet, la société n’évolue jamais selon les épures abstraites des philosophes utopistes et les politiciens « progressistes » se disent qu’il faut « forcer » la société à s’adapter par des contraintes. Ce n’est pas faux mais peut devenir excessif – les soixante-dix ans de soviétisme ont bien montré que la dictature « du prolétariat » se réduisait en fait à celle d’une nomenklatura étroite et cooptée de privilégies au pouvoir dont les oligarques inféodés au nouveau tsar Poutine sont les descendants directs. La contrainte chinoise est plus subtile et plus consensuelle, mais tout aussi redoutable : dans ce pays, pas de « libertés » mais seulement des « droits ».

C’est qu’il y a une différence entre les deux mots.

Le droit vient du latin directus qui signifie direct et sans courbure. Directus est lui-même dérivé de deligere, qui vient de régénérer, du mot roi qui a donné régir. Le droit est ce qui est juste, honnête, ce qui ne s’écarte ni de la raison, ni du bon sens. Cela signifie une voie dont la direction est constante, directe. Ainsi parle-t-on pour les objets de jupes droites, de piano droit et pour le caractère d’un esprit droit. Le sens moral de droiture signifie loyal, c’est-à-dire permis et reconnu mais aussi constant et fidèle : on sait à quoi s’en tenir.

« Le » droit qui est application de la loi a le sens général de justice, c’est-à-dire de règles d’équité dans la société. Ce qui est droit est considéré comme moral et juste, et les textes du droit composent l’ensemble des lois et coutumes comme le droit pénal ou le droit public. Il signifie ce qui est permis ou exigible selon la loi (droit de faire et de ne pas faire, mais aussi droit de timbre, droits de pêche, etc.).

Le sens dérivé individualiste et, disons-le, égoïste, transforme le droit en « avoir droit », être « dans son droit ». Mais entre ce qu’il est permis de faire et « avoir droit à » se situe tout un fossé que la gauche (souvent démagogique quand elle n’est pas au pouvoir) franchit sans réfléchir. À droite, il s’agit plutôt de passe-droits opposés aux ayants-droits, de privilèges de quelques-uns dans l’entre-soi opposés à ceux de la masse anonyme.

On voit bien ici qu’entre ce qui est permis et ce qui est exigé, il y a toute la différence entre la droite et la gauche : la première permet alors que la seconde exige (ainsi le « droit au logement » – mais qui construit et finance les logements ?). Les droits théoriques ne sont pas les droits réels, la différence réside dans la possibilité matérielle de les exercer. « Avoir droit » ne signifie pas être en mesure de l’exercer, la contrainte économique jouant plus pour les pauvres que pour les riches. Ainsi les « ayants-droits » peuvent se soigner presque gratuitement dans les hôpitaux publics (encore que nombre d’actes et de médications ne soient pas pris en charge…), tandis que ceux qui ont « les moyens » auront accès à des cliniques privées ou à des dépassements d’honoraires pour des soins.

Les libertés viennent du mot libre qui signifie ne dépendre que de soi, soumis à aucune autorité et n’appartenant à aucun maître, fut-il abstrait (ni Dieu, ni maître, chantaient les anarchistes). Dès le XVIe siècle, le français étend son usage au sans-gêne, notamment dans les locutions comme « libre de… » La liberté est le pouvoir de se déterminer soi-même et, comme disait Nietzsche, de fonder sa morale en soi. Cela signifie n’être soumis ni à des dogmes divins, ni à des pouvoirs ici-bas que l’on récuse (roi, patron, mâle violeur ou femelle cougar), ni à des règles sociales qui ne nous conviennent pas (ainsi la lutte pour l’avortement, après celle pour la pilule).

Mais entre être libre d’être et libre de faire, il y a toute la distance entre l’individu et la société. Ce pourquoi Rousseau disait que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, seul moyen de vivre en société en l’acceptant des compromis nécessaires. Le refuser signifie considérer que l’homme est un loup pour l’homme et que le droit du plus fort s’applique, comme dans la mythique nature. Toute la législation s’élève contre les lois de nature. Ce pourquoi un nouveau Contrat social a été théoriquement conclu dans la société avec les Révolutions. Contre les usages d’Ancien régime qui appliquaient la loi féodale du plus fort, où toute une hiérarchie de puissance s’étageait entre l’empereur et le serf, en passant par le roi, les nobles, les bourgeois, les hommes libres, les femmes et les enfants. Aujourd’hui, chacun est libre d’être soi, ce qui signifie libre de penser, de s’exprimer (y compris par le vote et la manif), d’aller et venir, d’entreprendre. Cela, évidemment, en fonction des règles globales de la société qui permette de vivre ensemble comme le disait Rousseau.

La dérive de cette liberté est la licence, ce qui signifie un excès. Les croyants qualifient de « libres penseurs » ceux qui prennent des libertés avec les dogmes religieux, les religions qualifient de « libertins » ceux qui n’obéissent pas à leurs contraintes de mœurs et de « blasphémateurs » ceux qui parlent de la divinité autrement que selon les usages, de même que la société parle de « prendre des libertés » lorsque l’on n’agit pas selon les usages moyens. Ainsi l’enseignement « libre » signifie-t-il l’enseignement différent de celui de la République tandis que les « radios libres », jadis, émettaient sans autorisation depuis les frontières.

Mais les Lumières ont fait de la liberté leurs torches éclairant l’avenir (la statue de la liberté de Bartholdi offerte par la France à New York), ce pourquoi « les » libertés sont des conquêtes humanistes que tous et chacun devraient pouvoir exercer. D’où le terme de « droits de l’Homme » avec une majuscule à homme pour bien signifier l’humanité tout entière et non pas seulement le mâle blanc, riche, hétérosexuel, etc. comme le croient les ignorants qui se sentent offensés que chacun ne leur ressemble pas et puisse ne pas « être d’accord » en pensant différemment. Or la liberté signifie principalement le libre-arbitre, autrement dit le pouvoir de décider ce que l’on veut – dans les limites imposées par les lois et règles la société dans laquelle on vit (ainsi, pas de voile dans l’espace public, ni se promener tout nu, voire seulement torse nu dans certaines villes prudes, en général de droite radicale). En termes politiques, cela signifie le libéralisme ; en termes économiques, cela signifie le libre-échange et la régulation minimum. Le libertaire applique les libertés dans les mœurs, ce qui a pu conduire à des dérives pédocriminelles après 1968 où il était « interdit d’interdire ». Le libertarien est la version individualiste américaine du pionnier mythique qui affirme son pouvoir de faire absolument ce qu’il veut dans le wild, autrement dit la nature sauvage sans loi.

Il y a donc un écart entre le droit et la liberté, le premier inscrivant dans le marbre ce que l’on peut faire ou ne pas faire tandis que la seconde est plus ouverte, permettant généralement de faire – sauf à ne pas déroger aux lois en vigueur au sens de Rousseau cité plus haut. Ainsi chacun est-il libre de conduire ou de chasser, à condition de passer le permis. Cet examen n’est pas une servitude perpétuelle mais la preuve que l’on a bien appris ce qui est nécessaire pour sa propre sécurité et pour la sécurité des autres en usant de cette liberté.

Le mot « licence » (qui vient de liberté) a-t-il dès le XIVe siècle été un examen qui permettait d’enseigner à l’université. Il sanctionnait un savoir, reconnu par des pairs et donnait le gage aux étudiants de la qualité de l’enseignement fourni. Les mœurs étudiantes et les franchises universitaires ont fait dériver ce terme de licence vers une certaine insolence et insubordination, que l’on constate toujours parmi la jeunesse aujourd’hui, enfin un certain dérèglement des mœurs, propre à l’âge pubertaire où les hormones bouillonnent trop volontiers tandis que l’esprit est encore ignorant et le caractère sans expérience sociale. Le licencieux est considéré comme déréglé et sans retenue.

Alors « liberté » ou « droit » d’avorter ? La liberté est théorique, plus vaste et moins précisément définie, ce qui ouvre à des « droits » nouveaux ultérieurement, alors que le simple droit est trop étroit et contraignant car il balance entre des intérêts contradictoires – tout aussi légitimes (la justice est représentée avec une balance). La liberté permet alors que le droit exige. Ainsi, les médecins qui réprouvent l’avortement (ils en ont le droit), gardent la liberté de ne pas, tandis que s’il existait un droit formel, ce serait un déni de droit. La nuance est subtile, mais de grand sens alors qu’il s’agit de « faire » société.

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Max Gallo, Belle époque

Max Gallo, fils d’immigrés italiens pauvres, est sensible à l’injustice sociale. Il a vécu la méritocratie républicaine, parvenant à force de cours du soir à obtenir une agrégation d’histoire puis un poste d’enseignant à Science Po. Entré en politique par le communisme, jusqu’en 1956 et le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline, il a viré socialiste du temps de Mitterrand et est devenu porte-parole du gouvernement Mauroy avant de suivre Chevènement, puis de quitter l’engagement politique en 1994 pour se consacrer à l’écriture.

De ses années de militantisme socialiste il a cru bon de donner une mythologie par ce roman naïf, caricatural, réinterprétant Jacquou le croquant et Zola, qui se passe à la charnière des XIXe et XXe siècle. Comme s’il fallait à tout prix rejouer 1789 et raviver l’ennemi d’Ancien régime, l’Aristo, pour enfin exister en démocratie. Mais le mythe n’a jamais remplacé le réel, désigner un ennemi fantasmatique dispense d’observer l’ennemi véritable. En 1984-85, lors de l’écriture de ce roman, Max Gallo vivait les premières années de la Gauche au pouvoir et déjà les scandales éclataient, les petit-bourgeois socialistes répétant avec enthousiasme les frasques des grands bourgeois honnis. Ce pourquoi Belle époque garde quelque chose de ridicule dans son outrance moraliste.

Non, la « belle » époque n’était pas belle pour tout le monde ; on l’appelle surtout ainsi parce qu’elle a précédé deux guerres immondes. Elle avait pourtant succédé à celle de 1870, nettement plus courte mais non moins stupide. 1870-1945, ce fut presque une guerre de cent ans entre la France et l’Allemagne, à vingt ans près. La Belle époque était donc cet entre-deux où l’on jouissait, s’enrichissait (toujours sur le dos de quelqu’un), paradait socialement. Les choses n’ont pas changé, il suffit de suivre les actualités (« il leur faudrait une bonne guerre », disaient les vieux de 14 lorsque j’étais enfant en parlant de leurs jeunes).

Max Gallo oppose un frère et une sœur, Mathieu et Julia. Le premier, aîné de la fratrie, est révolté car éduqué à la brute par un père seul, un ours abruti et cruel qui lui enfonçait la tête sous l’eau le matin par tous les temps, cassant la glace s’il le fallait, pour l’envoyer ensuite toute la journée garder les moutons. Quoi d’étonnant à ce qu’élevé dans le ressentiment il n’ait eu que haine pour les autres villageois, les « soumis », et pour le seigneur local qui guignait la terre du père, enclavée dans les siennes. A 10 ans, il lui balance une pierre en pleine figure avant de se sauver, en sauvage. Le père est arrêté, emprisonné, les terres vendues, les trois enfants confiés à la garde du seigneur qui les « tient » : Mathieu l’aîné en rébellion permanente voué aux bêtes, Julia la seconde donnée comme compagne de jeux à sa fille Lucie, et Serge le bébé confié au régisseur.

Mathieu n’est qu’une boule de haine et, s’il contraint le curé à lui apprendre à lire, ce n’est pas pour s’élever mais pour entretenir le feu anarchiste en lui. Julia se soumet en apparence mais reste critique, elle profite de l’éducation conjointe qui lui est donnée avec Lucie pour apprendre à se comporter en société. Mathieu s’enfuit en vagabond, rencontre successivement trois jeunes hommes qui vont lui servir de mentors, l’un en lettres, l’autre en explosifs, le troisième en comportement. Ils sont mus pour au moins deux d’entre eux par le désir que le garçon adolescent suscite avec ses boucles brunes et son teint de jouvenceau. Julia se laisse caresser et se gouine avec Lucie, consentante, bien que dominée ; elle est plus belle et a plus de prestance auprès des hommes mais doit en subir la contrepartie. Lucie s’est fait déflorer volontairement par un Mathieu de 14 ans alors qu’elle en avait 12, elle a été dominée et veut prendre sa revanche en dominant à son tour. Mathieu va s’embarquer pour le Panama où l’on creuse le canal, financé par des véreux comme le seigneur de son village qui lui a pris son père, sa terre, sa sœur et son frère – le père de Lucie.

Un ingénieur solitaire qui l’a pris sous son aile sur le chantier lui confie des documents qu’il ramène à Paris lorsque sa sœur le fait chercher par le directeur du journal, un Juif démocrate, qui l’héberge et lui donne du travail. Julia a quitté Lucie, mariée au ministre des Travaux publics, et écrit des feuilletons populaires qui lui attirent le succès. Mathieu revenu est comme un chien dans un jeu de quilles. Il est inadapté à la grande ville, à la société, aux intrigues. Manipulé par un journaleux jaloux du succès de Julia, une fille qu’il a baisée et qui désormais se refuse, il va être accusé d’assassinat du directeur du journal de sa sœur, se défendra mal, toujours révolté contre le système, et sera condamné à avoir la tête tranchée. Julia n’aura de cesse que de le venger en faisant publier les papiers de l’ingénieur et en incitant son amant du temps, le vice-président de la Chambre, à faire tomber le ministre véreux des Travaux publics et le banquier qui l’assiste, le mari de Lucie.

Le roman est réputé écrit par une journaliste qui a acheté au mitan des années 1980 la maison de Julia, léguée par le directeur du journal assassiné, où elle fera élever son fils eu avec un journaliste de hasard et où elle écrira ses romans feuilleton à succès. Cette mise en abîme sert de prétexte au recouvrement des époques, l’ancienne, la « Belle », étant censée montrer comment est celle d’aujourd’hui (guère différente). Bien écrit mais outré, une mythologie de gauche pour ressasser éternellement le ressentiment des petits contre les gros – avant qu’ils ne deviennent eux-mêmes gros, comme l’a montré la Gauche après 1981. Un roman dépassé.

Max Gallo, Belle époque, 1986, Grasset, 286 pages, €19,90 e-book Kindle €7,99

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Trop de paroles sont vanité, dit Montaigne

En cette approche finale du Livre 1 des Essais, Montaigne examine combien les paroles peuvent devenir enflées et leurs auteurs des enflures. « Un rhétoricien du temps passé disait que son métier était, de choses petites les faire paraître trouver grandes ». C’est ainsi que l’on flatte l’orgueil des gens en leur métier, ou des citoyens en leurs votes. L’exaltation théâtrale des attitudes n’incite pas au compromis mais plutôt au fanatisme. Telles furent la Révolution française et ses orateurs, l’enflure Victor Hugo en exil, les rodomontades des badernes de 14-18, la Grandeur de la Vrounze gaullienne alors que le pays était vaincu et soumis au catho tradi Pétain (ex ambassadeur auprès de Franco), le Changer la vie socialiste que le machiavélien Mitterrand laissa faire jusqu’au bord de la faillite avant de mettre le marché en main des démagogues : ou vous changez et quittez la communauté européenne, ou vous faites des compromis.

Compromis : nous y sommes. L’Assemblé nationale ne dispose plus de majorité absolue et le pays est enfin parlementaire comme les autres, plus que présidentiel à l’américaine. Les enflures vont se retrouver baudruches et leur ridicule absolutiste, une fois crevé, les déconsidérera. Le « nous ne lâcherons rien » des bornés fera d’eux des lâches, inaptes à gouverner bien qu’aspirant avec fascination à la proportionnelle. Le compromis allemand, les accords scandinaves, les négociations italiennes vont devenir notre lot, au détriment de la gestion techno. C’est sans doute un progrès, si les Français savent s’y adapter.

Rien n’est moins sûr selon Montaigne, qui se réfère aux Antiques pour brocarder les vanités de son pays. « On eût fait donner le fouet en Sparte, de faire profession d’un art pipeur et mensonger ». Or la politique est en France particulièrement cet art pipeur et mensonger. Emmanuel Macron, peu politique et plus technocrate, a changé la donne cinq ans, mais elle revient en force avec des histrions comme Mélenchon, Le Pen ou Zemmour, qui séduisent les foules – lesquelles adorent la flatterie et se faire courtiser. « Ariston définit sagement la rhétorique : science à persuader le peuple ; Socrate, Platon : art de tromper et de flatter. » Nous n’avons pas fini d’être Trumpé en fausses vérités et mensonges staliniens qui deviennent vérités par la force. Ainsi d’une supposée « victoire de la gauche » en cette nouvelle Assemblée : il suffit de regarder la répartition dans l’hémicycle pour voir que « la gauche » (même rebaptisée Nupes) est en nette minorité. Le Mélenchon « pipeur et mensonger » a fait « de choses petites les faire paraître trouver grandes ». Une enflure qui vise à tromper le peuple ignorant et versatile pour masquer sa défaite imposer sa loi au rebours du vote (« la République, c’est moi ! »).

« C’est un outil inventé pour manier et agiter une tourbe et une commune déréglée, et est un outil qui ne s’emploie qu’aux états malades », observe Montaigne. Là où « les choses ont été en perpétuelle tempête, là ont afflué les orateurs ». Car il est plus facile de suivre et « d’être d’accord » (cette scie des commentaires sur les réseaux sociaux) que de penser par soi-même et de réfléchir à tête reposée. Notre philosophe du milieu juste vilipende « la bêtise et facilité qui se trouve en la commune, et qui la rend sujette à être maniée et contournée par les oreilles au doux son de cette harmonie, sans venir à peser et à connaître la vérité des choses par la force de la raison ».

Il ajoute : il « est plus aisé de le garantir par bonne institution ». Or la Ve République voulue par De Gaulle, malgré les dégradations apportées par les apprentis sorciers Jospin-Chirac, donne à l’Exécutif les moyens de gouverner, même avec un Parlement rétif. Tout le réglementaire (art. 37) est prévu pour, tout comme l’art. 40 pour freiner les initiatives dépensières des députés ou l’art. 47 pour assurer un Budget malgré le blocage du Parlement (contrairement aux États-Unis).

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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A une semaine des présidentielles

Qui s’y intéresse encore ? pas grand monde. Non qu’il n’y ait pas d’enjeux, mais les personnages sont peu attirants. À gauche, l’écologiste est insignifiant, la socialiste anecdotique, le communiste égaré dans les années 1950 ; seul le grand méchant… Mélenchon attire le vote utile. À droite, les citoyens sont attirés par les extrêmes, la fachote Le Pen fan de Poutine étant portée à la modération par les excès du trublion Zemmour, qui laisse hurler ses partisans à l’assassinat. Les Républicains sont pris en sandwich entre les vociférations exaspérées des conservateurs de plus en plus ultra et le bon sens centriste du président sortant. Je ne sais quel seront les deux au second tour, mais il est probable que l’on reverra en scène comme en 2017 Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mélenchon est trop coléreux pour rallier à lui d’autres gens que son camp. Nous saurons dans une semaine.

Les lycéens que j’observe non loin de chez moi à Paris donnent une indication sur l’état d’esprit de la jeunesse éduquée selon l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel des réseaux sociaux. Sur les affiches électorales posées sur les douze panneaux, la première à avoir été lacérée a été celle du collabo Zemmour. A suivi dès le lendemain celle de Marine Le Pen avec même une inscription injurieuse traditionnelle des réseaux, tandis que Mélenchon a été le troisième à avoir été dégradé. Ont suivi Dupont-Aignan et Macron, puis Lasalle. Le premier parce qu’il n’a pas grand-chose d’original à dire, le second parce qu’il est en place et suscite évidemment la jalousie comme l’effet de bouc émissaire pour tout ce qui ne va pas, le troisième parce qu’il apparaît comme un régionaliste archaïque, pour la chasse et contre les ours. Il est vrai que le slogan Macron « avec vous » évoque plus le marketing d’une lessive que l’humanité d’un candidat. Le slogan Poutou, adepte d’une idéologie d’il y a un siècle, secte alors déviante du stalinisme, est nettement plus parlant auprès de la jeunesse. Son « nos vies valent plus que leurs profits » est plus efficace que « le camp des travailleurs » d’Arthaud, qui laisse indifférent voire hostile (rejetant tous les fout-riens tels les jeunes, les chômeurs, les retraités, en plus de l’extrême minorité des « rentiers » visés), tout comme le « faire face » de Jadot.

Que dira « le peuple » ? Le peuple est une fiction qui réunit des intérêts largement divergents, les principaux étant liés au niveau de vie et aux perspectives d’avenir. Tous les extrêmes sont ainsi populistes parce qu’ils flattent la majorité du peuple selon son désir de plus d’argent et d’élévation sociale. Les programmes des candidats, aussi bien à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche, favorisent massivement la dépense publique tout en négligeant la dette et les impôts. Ce ne sera pas tenable dans le temps, signe qu’ils sentent bien qu’ils ne pourront pas gagner la présidentielle. À moins que le candidat retenu au second tour, s’il en est, ne mette de l’eau dans son vin sur ce sujet. Ou que, ce qui est plus probable, les promesses extravagantes ne soient jamais tenues – comme d’habitude.

L’agression du tsar Poutine sur un pays « frère » en voie de démocratisation qu’est l’Ukraine a eu probablement une influence sur le sentiment des électeurs envers les extrémistes. Poutine est l’exemple même du dirigeant devenu progressivement autocrate faute de contre-pouvoir, à la manière de Castro à Cuba ou de Chavez au Venezuela, sans parler d’Erdogan en Turquie et de Xi en Chine. Confier les clés du pouvoir à une personnalité portée à l’autoritarisme risque toujours de dégénérer : le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ! En ce sens, Zemmour et Mélenchon sont les plus mal partis. La blonde, en revanche, a des chances de figurer au second tour parce que femme et par ce que « blonde » (avec tout ce que ce vocable connote). Mais cela n’enlève rien aux côtés mussoliniens de son programme où le socialisme tend à l’emporter sur le national pour le moment. C’était l’inverse il y a quelques mois encore, contre les étrangers, l’immigration, les diktats de Bruxelles et la souveraineté nécessaire. Aux extrêmes, le national ne reste jamais loin du socialisme.

Il reste au Rassemblement national une haine contre-révolutionnaire issue des royalistes, reprise sous Pétain et avivée par les déçus de la guerre d’Algérie contre le parlementarisme, la liberté libérale, les institutions démocratiques et la promotion de l’individu. Tout est orienté vers le collectif : la famille, l’église, le parti, l’État, la nation. Tout est bon pour y parvenir, les promesses comme le mensonge, la mise en scène comme la provocation. Les souverainistes ne croient pas aux traités internationaux et considèrent que chaque État n’a que des intérêts particuliers. Les nationalistes ne croient pas à l’individualisme et considèrent que chaque patrie doit imposer sa morale. En cela la religion y aide, comme à Moscou avec Kirill, et elle est chrétienne catholique en France. La religion musulmane est conçue comme un défi de civilisation qu’il faut combattre, bouc émissaire commode qui a pris aujourd’hui la place qu’avait le judaïsme avant Hitler. L’Etat peut tout, croit-on aux extrêmes, à condition que le chef donne les directives. Les syndicats sont réduits au corporatisme contre les intérêts marchands. Les médias sont contraints par les règles, les lois et une autre conception de la liberté d’expression, comme en Pologne et en Hongrie. L’école est favorisée comme lieu d’élevage des portées saines de petits nationaux, voués à une propagande patriote. C’est ce qui se fait en Russie, en Turquie et en Chine, c’est ce que Marine Le Pen, comme le Z, voudraient voir s’établir en France.

Le débat va probablement se produire entre deux conceptions du monde, le « retour à » et la « marche en avant », la réaction vers l’ordre moral et la liberté laissée à chacun avec la responsabilité nécessaire qui va avec – la contre-révolution et la révolution, pour faire simple. Quant au « peuple », Proudhon le disait déjà : « rien n’est moins démocratique, au fond, que le peuple. Ses idées le ramènent toujours à l’autorité d’un seul ».

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Misère étudiante en fac

J’ai eu l’occasion d’intervenir comme prof extérieur en mastère dans une fac d’Île-de-France ni pire ni meilleure qu’une autre, mais dont je ne préciserai pas le nom. Disons qu’elle a été bâtie selon le modernisme soviétique à la mode des années « progressistes ». Évidemment, elle a mal vieilli.

Rien n’est pire que le vieux moderne en architecture, sinon le moderne déjà usé des tempéraments et le progressisme du passé.

Il y a ce côté « copain » entre enseignants qui est fort sympathique, l’aspect décontracté avec les étudiants qui ne l’est pas moins. Mais dès que vous vous adressez à un appariteur, huissier, ou hôte d’accueil, vous tombez sur un « c’est pas moi c’est l’autre », « j’suis pas au courant », « il faut que je demande à mon chef ». L’Administration dans sa grandeur quand elle se la joue règlement. Et les étudiants isolés, livrés à eux-mêmes.

Lorsque vous arrivez, une demi-heure avant le cours prévu, rien n’est prêt. La salle est à peine réservée (il y a peut-être un cours, « on » ne sait pas), ou alors il faut trouver la clé (« mais qui donc à la clé ? »). Le matériel a été réservé lui aussi, mais les prises ne fonctionnent pas, du moins pas les blanches (normales), seules les « rouges » sont branchées. Signe politique ? Même pas, elles font l’objet d’un blocage « de sécurité » pour jeunes enfants, comme si l’usage des étudiants post-68 d’amener leurs bambins subsistait au XXIe siècle… Quand vous avez résolu tous ces problèmes, c’est l’ordinateur, trop neuf, qui n’a pas été « initialisé ». Il faut donc passer un quart d’heure pour tout mettre en place.

Le cours commence. Silence religieux. Pas d’écran (pas prévu) mais le tableau brillant pour feutres qui donne un éclat particulier à votre projection d’1 m sur 0.80. Au fond de la salle, heureusement qu’ils ont les yeux jeunes. Grattement des prises de notes, vérifications sur le net (ou chat avec des copains ailleurs). Aucune question. Nous sommes à l’université française, pas en école de commerce ni dans une fac étrangère…

Moi qui ai pourtant fais toutes mes études à l’université, à Paris, je n’en reviens pas. Ces étudiants de quatrième année – qui ont donc passés tous les barrages du premier cycle – apparaissent fort gentils, mais hantés par le concret. Ce qu’on appelait avant de « petits besogneux ». Ils veulent des « trucs », pas des méthodes, encore moins des idées.

Même en école de commerce, de la même génération, ça vole plus haut. Peut-être parce qu’on trouve aujourd’hui plus facilement un boulot en sortant d’école que de fac ? Peut-être parce qu’étant passés par des Prépas, ils ont l’habitude de travailler vite et de façon organisée ? Parce qu’ils ont été sélectionnés par un examen puis par un jury avant de se lancer dans les études, contrairement au bac, donné à neuf lycéens sur dix, qui sert de sésame pour les études supérieures ? Parce qu’ils ont cette entraide spontanée de ceux qui font d’autres activités ensembles et des stages d’entreprise ? Peut-être parce que le « commerce » ouvre plus l’esprit que le juridisme scolaire des études universitaires ? Mais ce n’était nullement le cas dans la génération d’avant, la mienne – alors ?

L’abandon de la filière universitaire depuis la fin des années 1980 a-t-elle été un choix délibéré ? A-t-elle été une « douce négligence » comme on le dit du dollar (« ma » monnaie mais « votre » problème) ? En tout cas, ce ne sont ni les années Juppé, ni les longues années Jospin, ni les années Villepin, ni l’abandon laxiste des années Hollande qui ont changé quoi que ce soit à cette dérive mentale de l’université. Elle a été la délaissée de la gauche comme de la droite : la première pour ne rien toucher aux Zacquis syndicaux, la seconde parce que ses fils et filles sont formés en-dehors, dans les écoles de l’élite. J’ai l’impression d’être devant une classe qui prépare un concours administratif, pas devant une jeunesse qui va aborder la vie !

Curieusement, le seul qui ait pris le problème à bras le corps est bien Nicolas Sarkozy avec ses dotations en fonds propres et ses exigences de meilleure administration. Cela choque le petit-travail-tranquille, les gendegôch et tous ceux qui trouvent le scrutin présidentiel illégitime – mais cela va clairement dans la bonne direction. Jean-Michel Blanquer est revenu sur les dérives gauchistes de Nadjat Belkacem. Mais pourquoi Jospin en son temps, avec ses cinq ans de premier ministère, n’a-t-il rien fait ? Pourquoi la gauche ne propose-t-elle toujours rien d’autre que « supprimer » les Grandes écoles, comme s’il suffisait de niveler tout le monde sur le même plan médiocre ? L’université n’a-t-elle donc les ambitions que d’un « lycée plus » ? D’un parking à chômage ?

Peut-être est-ce différent en province où les étudiants sont entre soi et se connaissent depuis l’enfance, ou quand on a passé des mois avec la même classe. Mon expérience contraste la génération fac et la génération écoles. Ils ont des tempéraments aux antipodes : ceux qui connaissent le monde réel et ceux qui sont toujours restés dans le cocon scolaire… La France n’est-elle apte qu’à former des administratifs ?

Le télétravail obligé par la pandémie n’a fait qu’accentuer les défauts de l’université, dont le premier est la solitude et le second le tropisme scolaire. Sans les profs qui doivent les « aider », les étudiants habitués au cocon maternant du lycée dépriment ; livrés à eux-mêmes, ils ne savent pas travailler. Ils ont enfin la liberté mais ne savent pas quoi en faire – et regrettent la contrainte du secondaire. Ils n’ont jamais été éduqués à la responsabilité (ce pourquoi ils votent si peu). Leur premier patron – pire, leur première patronne – aura fort à faire pour les débrouiller !

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Terrorisme intellectuel

Le terme « terrorisme » appliqué aux intellectuels est un bien grand mot – mais après tout, ils exigent de s’engager. Il est cependant l’un des gros maux de notre époque, tout particulièrement en France. Il s’agit de l’application totalitaire de la bonne conscience. Hypocritement, on continue d’affirmer les grands mots de liberté d’expression et de démocratie d’opinion ; dans la réalité un microcosme intello-médiatique règne sans partage et vise à ôter la parole à tout contradicteur en le désignant comme bête à abattre.

La bonne conscience est Tartuffe, la bonne conscience est pensée unique, la bonne conscience est dictatoriale. Elle est restée longtemps de gauche ; elle passe désormais à droite. Jean Sévilla, dans un petit livre d’il y a plus de vingt ans, nous en donne encore les clés.

La France, depuis la Ligue catholique n’a jamais renoncé aux guerres de religion. A croire qu’elle ne se sent politique que lorsqu’elle attise la guerre civile. Fille aînée de l’Eglise, elle a écrasé toutes les déviances, des Cathares aux Protestants ; devenue révolutionnaire, sa mission a été d’exporter la liberté dans toute l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis – mais pas une liberté de faire – plutôt une liberté-contrainte qui est d’obéir à la tyrannie majoritaire, à l’étroite cléricature qui dicte ce qui est vrai, à la technocratie qui exige de se faire obéir du bas-peuple – forcément ignorant et volage.

La Terreur, les historiens l’ont montré, n’est pas une exception dans le cours de la Révolution, mais l’aboutissement de la conception rousseauiste du peuple en armes, du citoyen sans cesse mobilisé, de la mission révolutionnaire d’éradiquer toute déviance.

Il n’est pas étonnant que, depuis 1945, ce soit la gauche qui ait eu le plus recours à cette forme de terrorisme intellectuel. Sévillia le montre, mais la droite n’est pas en reste. Par mimétisme ou par culture catholique-révolutionnaire commune, il s’agit toujours de coloniser les esprits. Les intellos sont chargés de mission comme jadis les gens d’église. Envoyés dans les médias plutôt qu’aux colonies, ils doivent avec les mêmes moyens évangéliser les « sauvages ». Ceux-ci sont-ils citoyens comme eux-mêmes ? Il faut donc s’en fabriquer de faux sur mesure pour mieux les combattre !

« Les circonstances varient mais le procédé reste le même. Il consiste d’abord à imprimer dans l’imaginaire du pays un archétype du mal. Depuis la guerre, cette funeste figure a été incarnée par le fasciste, le capitaliste, l’impérialiste, le colonialiste, le xénophobe, le raciste, le partisan de l’ordre moral. Ces étiquettes, au minium déforment la réalité ; au pire, elles mentent. Collées par des mains expertes, elles revêtent un sens indéfini, dont l’élasticité permet d’englober tout ce que les idéologues vouent aux gémonies.

« Ensuite, la technique habituelle consiste à assimiler l’adversaire à l’archétype du mal. L’effet de cet amalgame est radicalement dissuasif : qui prendrait le risque, par exemple, d’être traité de fasciste ou de raciste ?

« L’accusation peut être explicite, ou s’effectuer par insinuation, ouvrant la porte au procès d’intention : tout opposant peut être attaqué non sur ce qu’il pense, mais sur les pensées qu’on lui prête.

« Manichéisme oblige, une autre logique s’enclenche en dernier lieu : la diabolisation. Pas question de discuter pour convaincre : il s’agit d’intimider, de culpabiliser, de disqualifier » p.10.

Pas de complot organisé (même si le Kominform l’a initié après-guerre). Il s’agit surtout de la connivence d’un milieu étroit, doctrinaire, issu de la même génération, qui fait réseau. Il s’épanouit en force dans le centralisme français ! Etonnez-vous après ça que les média n’aient rien compris au vote Le Pen en 2002, au « non » au traité européen et à la révolte des banlieues en 2005, au dégonflement de la baudruche socialiste en 2009, aux gilets jaunes et au surgissement Zemmour ? Technocrates de droite et intellos de gauche ont leur bonne conscience – mais celle-ci les aveugle ; ils n’écoutent pas. Toute nuance est pour eux un crime de lèse-vérité et tout « non » un symptôme de maladie mentale.

Cet esprit stalinien ouvrirait volontiers des camps de rééducation comme Mao le fit, après Lénine et Staline, pour mettre les mains des intellos dans la merde des champs, ou comme Pol Pot le réussit si bien en vidant les villes du Cambodge de millions de citoyens ravalés au rang de bêtes. Quatre bourreaux que les intellos français ont fort adulés, de Sartre à Sollers en passant entre autres par Aragon, Jean Lacouture ou Jean-Marie Domenach. Qu’importent les morts à ceux qui veulent construire ici-bas l’utopie ? Ce ne sont que des dommages collatéraux, comme on le dit en guerre.

Aucun procès en révisionnisme ne sera fait à qui déclare tranquillement que les millions de morts dans les camps soviétiques, maoïstes ou cambodgiens ne sont que “des détails” de la guerre froide… Ou que les idéologues ne sont “pas très catholiques”.

A gauche, les aveuglements missionnaires ne manquent pas :

  • l’URSS était un paradis, de même que Mao, Fidel Castro, Ho Chi Minh, Pol Pot, allaient, du simple fait de libérer leurs peuples de l’oppression étrangère, installer un régime idéal où les droits de chacun seraient positifs ;
  • la décolonisation devait résoudre par miracle tous les problèmes dus – forcément – au colonialiste mâle, blanc et de droite (en oubliant que les socialistes Mitterrand, Mollet et Lacoste étaient pour l’Algérie française…) ;
  • mai 68 allait forcément libérer les énergies, à commencer par celles du sexe, pour rendre la société apaisée et gentille, sans ego ni exploitation ;
  • en 1981, les intellos de gauche « croyaient quitter la nuit pour entrer dans la lumière » (disait l’ineffable Jack Lang) – tout en affirmant que la démocratie se résume à la dictature de la majorité (selon Laignel, député évidemment PS) ;
  • en 1985, cinéastes, metteurs en scène et chanteurs soutenaient que l’immigration devait être libre et que tout sans papiers se devait d’en avoir – et qu’importe à ces nantis habitant les beaux quartiers et les villas sécurisées de Côte d’Azur, la cohabitation des banlieues et l’impuissance de l’école quand 70% des enfants parlent à peine le français
  • la doxa d’aujourd’hui n’a guère changé : l’immigration c’est « le Bien » – et le pape ne dit pas autre chose ; leur « morale » pas la nôtre exige que tous obéissent aux « valeurs » abstraites décrétées par quelques-uns où le Droit est sans aucun devoir et la circulation ou la vaccination « libres », même si cela fait du tort aux autres.
  • s’y ajoute l’idéologie woke de la culpabilité blanche socialiste nantie qui accuse tout mâle européen aisé et cultivé d’ignorer les « souffrances » de ceux qui se sentent simplement regardés

A droite, l’aveuglement technocratique est de la même eau :

  • il faut être atlantiste, même si les Etats-Unis n’en font qu’à leur tête et que la France n’a pas son mot à dire – on l’a encore vu récemment avec le contrat de sous-marins australiens annulés pour s’aligner sur le Washington soi-disant « de gauche » sous Biden ;
  • il faut être pro-européen, même si la bureaucratie s’emballe et régente la taille des bouchons ou la production au lait cru, même si les diplomaniaques « croient » en la vertu d’intégrer la Turquie, voire le Maroc et l’Algérie, même si la production du Droit entre hauts magistrats échappe à tout contrôle parlementaire ;
  • il faut encourager l’immigration pour une société « métissée » car le système social ne saurait subsister sans l’apport incessants de nouveaux actifs – et les patrons ont un besoin crucial de main d’œuvre à bas prix ;
  • il faut déréguler et ouvrit tous nos marchés, même si les autres s’ne gardent bien (comme la Chine ou les Etats-Unis), car le progrès économique se mesure à l’aune du monde – et tant pis pour les chômeurs, les in-requalifiables, les prises de contrôle étranger sur les fleurons industriels, les pénuries latentes de biens essentiels ou d’énergie ;
  • il faut être pour la mondialisation par principe car la nation est un concept dépassé – comme on l’a si bien vu dans les Balkans après la mort de Tito – mais un peu moins depuis Trump…

Ce n’est pas affirmer une opinion, ou de se tromper, qui est en cause dans ce petit livre – mais l’arrogance de vouloir l’imposer à tous par des moyens totalitaires.

  • au mépris de l’intelligence (ce bon sens dont serait doté tout homme selon les Lumières),
  • au mépris du débat argumenté (seule base solide du régime démocratique), désormais refusé par les menaces de mort  contre les élus et le tabassage systématique de ceux qui ne pensent politiquement pas comme vous,
  • au mépris des citoyens (relégués comme ignares, donc ’sous-hommes’ bons pour la schlague ou la psychiatrie).

Le relais est pris aujourd’hui par l’islamisme et plus récemment par le trumpisme et ses avatars zemmouriens (d’émergence plus récente, Sévilla n’en parle pas) : les MEMES procédés de diabolisation et d’intimidation sont à l’œuvre, servis par la naïveté des « compagnons de route » qui – en toute bonne conscience – défendent la cause palestinienne et le droit pour chacun de pratiquer sa religion, ou l’appel à réguler l’immigration et à assurer plus d’ordre dans la nation.

Amalgame, dénonciation pour déviance imaginaire, braillements pour couvrir tout débat, injures et menaces physiques, mobilisation pour interdire de la cancel sous-culture – comment la démocratie peut-elle survivre, elle qui fait de l’expression publique libre le ressort de son fonctionnement ?

En quelques 300 pages, avec index, le lecteur cavalera dans les trois générations avant l’an 2000, révisant les polémiques déjà oubliées et les regardant désormais d’un autre œil. Un seul manque à ce volume qui se lit d’une traite : une comparaison internationale. Le storytelling blairiste, la pensée unique financière, les manipulations des néo-conservateurs américains jusqu’à la bouffonnerie putschiste de Trump, l’investissement légal de Berlusconi dans les médias comme celui de Bolloré souteneur de Zemmour – tout cela est manipulation électoraliste. Sévillia propose une histoire de ce qui nous arrive aujourd’hui.

Jean Sévillia, Le terrorisme intellectuel, 2000, réédition avec postface 2004, collection de poche Tempus, Perrin, 303 pages, €8,50 e-book Kindle €7.99

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Woke, la nouvelle idéologie de la gauche bobo

Taubira ira ? n’ira pas ? Echo ou appel ? « Quitte ta maison et viens » pour prêcher avec moi. Car la gauche anéantie n’a plus rien à dire, sauf aux extrêmes minorités, individualistes en diable, exclues, sexualisées, genrées, racisées, immigrées. Or c’est « le peuple » qui vote dans sa majorité et pas les minorités. Les intellos qui étaient jadis avec le peuple comme des poissons dans l’eau se sont retirés dans leurs mares plus chaudes de l’entre-soi – et le peuple a repris ses idées.

Que fait aujourd’hui la gauche pour « le peuple » ? Elle a montré avec Mitterrand (et Hollande) qu’elle était nulle en économie ; elle a épuisé le social sous Jospin en exacerbant le « toujours plus » doublé du « et moi, et moi ! » ; elle a arpenté le minoritaire avec le mariage gay, le mitou néo-féministe qui inverse la domination (pour instaurer une nouvelle domination d’opinion), sans compter l’écologie punitive et la distribution à guichets ouverts des « droits » sans devoirs. Le peuple – la majorité démocratique – se dit qu’il n’est guère qu’un cochon de payant et se trouve même accusé de beaufitude, , de réaction, de racisme (mais qui évoque le mot, sinon les racisés ?). Le peuple en a marre. Il se méfie désormais des « élites » car 24 ans de gauche au gouvernement sur 43 ans depuis Giscard l’ont déçu et son espoir s’est envolé pour les fameux lendemains qui chantent. Toujours demain, comme chez Poutine.

La droite, qui n’a régné que 19 ans, fait désormais l’envie de ses yeux de Chimène. Elle parle des « vrais » problèmes populaires : ceux de l’immigration trop rapide et mal assimilée, des familles sans père (ni Nom du père pour les psys), du nouveau privilège féminin, des fins de mois difficiles. Car le multiculturalisme de fait laisse place à un multiculturalisme de normes. Le regretté Laurent Bouvet avait mis en évidence cette identity politics venue de la gauche américaine. Les groupes sociaux ne sont plus considérés en tant que classes en lutte pour leur part du gâteau économique mais par leur « identité » religieuse, leurs caractéristiques ethniques, leur orientation sexuelle ou leur genre, toutes ces micro-différences qui éparpillent le sentiment de classe – et qui préservent les nantis de toute revendication économique ! Le woke est un raffinement du « capitalisme ».

Le pire est cette nouvelle idéologie des bobos en manque d’idéal révolutionnaire. Le peuple a déçu, changeons le peuple ! Le parti socialiste, il y a quinze ans vivier de la modernité pour les petit-bourgeois fraîchement diplômés et devenus financièrement privilégiés, est devenu le nid de cette idéologie nouvelle, secrétée par cette nouvelle base sociale. Cette gauche « morale » compense ses privilèges de nouvelle classe économique par un affichage idéaliste accru. Le « woke », cet éveil venu des Etats-Unis, se veut d’un infini respect (affiché car dans les faits concrets, c’est autre chose) pour tous les déviants, qu’ils soient de sexe ou de « race » – un mot que l’on croyait banni des dictionnaires sérieux, les scientifiques ayant démontré que « les races » n’existaient pas. Mais balivernes !

L’idéologie a besoin de croire, comme toute religion, et « le racisme » est ce nouveau diable surgi des âmes coupables. Cette discrimination raciste ne touche curieusement que les Noirs aux Etats-Unis et les Maghrébins en France, pas les Indiens ni les Chinois, considérés comme « dominants » parce qu’ils défient le pays le plus puissant de la planète… Soutenir les minorités extrêmement minoritaires permet de se croire une supériorité morale qui ne coûte guère, puisque que ces minoritaires ne sont pas assez nombreux ni assez doués pour venir défier les nouvelles positions économiques et sociales des bobos fraîchement installés.

L’argent, beurk ! mais « les valeurs », super ! Les valeurs, personne ne sait trop ce que c’est puisque chacun a les siennes dans l’individualisme systémique ambiant. Mais ça fait bien en société : « J’ai des valeurs, moi, Monsieur ! » Ça impressionne. Surtout lorsqu’il s’agit de titiller le vieux fond de culpabilité chrétienne qui subsiste en tout Français (ou Américain) de tous sexes, même laïque, même incroyant, même revenu de l’Église, de ses histoires de quéquette et de dogmes antédiluviens. « La charité, Monseigneur ! la charité »… Quoi de mieux que l’Exclu majeur de notre temps : l’immigré en femme, noire, lesbienne, violée, battue ou tuée « par la police », malade, sans abri et sans le sou ? Il serait « raciste » selon le woke bobo de croire que la race n’existe pas ! Il serait inconvenant de croire qu’un homme n’est pas une femme, et réciproquement ! Renversons les valeurs.

Mais le peuple n’est pas d’accord. Depuis la Révolution, oui pour accorder tout aux exclus (immigrés ou sexuellement différents) en tant qu’individus, mais rien en tant que communauté – au prétexte que « ça se voit sur leur figure », que « c’est la guerre chez eux », que « la situation économique est effarante », ou encore « que la dictature y est féroce ». Si l’Europe devait accueillir toutes les populations qui réunissent ces critères, le territoire serait trop petit pour survivre. D’ailleurs les Etats-Unis woke de Biden ne respecte les déviants sexuels qu’en les parquant à distance par les principes (mais pas de ça chez moi) et n’accueillent pas plus les immigrants, la frontière est bien gardée, surtout au sud… En effet, question anti-woke : pourquoi tant de gosses (y compris par PMA encouragée), si la situation est si mauvaise ? Pourquoi enfanter ou accueillir de nouveaux exclus qui seront malheureux (racisés, battus par la police, violés, etc.) ? Pourquoi encourager ces familles trop nombreuses du tiers-monde à tenter de venir s’installer dans les Etats-providence d’Occident ?

C’est donc une lutte des classes qui nait entre « le peuple » et la gauche morale plus que contre les patrons (certains financent même Zemmour) . Celle-ci n’a rien à dire sur la montée des inégalités – qui lui profite amplement ; rien à proposer pour y remédier, sauf une rituelle invocation à « faire payer » les (très) riches : ceux qui le sont plus qu’eux. Ce pourquoi François Hollande a été éliminé, il avait évoqué 3500 € par mois comme seuil où l’on était considéré comme « riche » : vous vous rendez compte de l’effet dans un foyer bobo moyen ? Un président ne devrait pas dire ça, mais Hollande ne peut jamais s’en empêcher.

Les bobos, ces bons bourgeois issus du peuple d’hier, sont électeurs des grandes villes et montrent comme préoccupation majeure le climat ; ils se foutent du « social », ils ne sont pas concernés. D’où les gilets jaunes, frappés de plein fouet dans les provinces et les périphéries par les mesures antibagnoles, le contrôle technique renforcé, l’écotaxe sur le carburant, surtout diesel, et même le 80 à l’heure. Que les salaires stagnent et que la formation soit nulle pour la classe ouvrière ou la classe moyenne, ils s’en battent, les bobos. Que « le peuple » ait l’impression de régresser, que l’ascenseur social soit non seulement en panne mais en chute, n’est pas leur problème. L’immigration est morale, « il faut les aider », car les immigrés seront de toutes façons loin de venir piétiner leurs platebandes riches et diplômées – au contraire, les bobos pourront trouver à très bas prix de bonnes nounous pour leurs (rares) niards et des jardiniers pour leurs (superbes mais épuisants) jardins, sans parler des peintres, plombiers, éboueurs, sous-aides soignants, ramasseurs de fruits, livreurs de (la sempiternelle) pizza, videurs de poubelles, etc. Ouvrez les frontières ! accordez encore plus de droits aux minorités ! C’est bon pour la fluidité du commerce, coco ! C’est bon pour les jouissances du bobo.

La déconstruction, qui a conduit au woke, doit s’appliquer également au woke : rechercher ses bases sociales, les intérêts de classe que ses adeptes peuvent avoir, l’utilité de cette nouvelle idéologie par rapport aux précédentes pour mener une guérilla de prestige pour capter les postes – et garder le pouvoir. Déconstruisez les déconstructeurs, c’est de bonne guerre !

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5G, la panne

Le tout dernier sondage Ipsos Sopra Steria France-info Le Parisien-Aujourd’hui en France (ouf !), réalisé du 6 au 8 décembre sur 1500 électeurs représentatifs, montre la gauche en capilotade et l’extrême-droite en érection. Un sondage à quatre mois des présidentielles ne pronostique en rien du résultat final mais donne une indication de tendance. C’est net : la France est à droite et la gauche déconsidérée.

Si l’on additionne tous les pourcentages de gauche, seulement 27% des électeurs disent vouloir voter pour elle, soit à peine plus que pour le président sortant tout seul. Dont 25% pour la 5G (Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Montebourg, Roussel – le reste, résidus archaïques du gauchisme des années 70, étant négligeable).

D’où l’appel désespéré d’Anne Hidalgo à une nouvelle « primaire », comme si voter et revoter encore et encore, après les primaires dans chacun des partis, allait changer la donne. « Annie », comme l’appellent volontiers les gens de province qui ne connaissent d’elle que son image de bobote parisienne pro-gays de tous sexes et antibagnole, favorable au 10 km/h en ville et à 110 km/h sur autoroute, « Annie Dalgo » donc n’est pas populaire hors des arrondissements de l’est parisien. Elle apparaît trop tard dans le socialisme, avec une personnalité trop apparatchik pour les désirs d’avenir aujourd’hui.

L’extrême-droite a le choix entre Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan (laminé) et forme 31.5% des intentions déclarées. Mais ce socle est divisé et ne parviendra peut-être pas au premier tour : faudrait-il une « primaire » à l’extrême-droite dans la lignée de l’appel Hidalgo ? C’est peu probable tant chaque ego tient à briller tout seul, au détriment de ses idées. Car les idées sont des habits qu’on endosse, pas la chair même car, si tel était le cas, chacun s’allierait sans état d’âme pour conforter « la France »… Gageons qu’ils s’en foutent bien de « la France », c’est la leur qui compte, ni « le peuple », ni « le pays ».

L’extrême-gauche, à 9% d’intentions de vote déclarées aujourd’hui ne paraît plus crédible (je ne mets pas Jadot dans cette extrême, avec Rousseau cela eût été différent). L’écologie reste de témoignage, trop divisée, trop idéologique, trop portée à se prosterner avec une soumission de secte devant tout ce qui vient des USA : l’ultra-féminisme de dénonciation, le décolonial avancé jusqu’au néolithique, l’anticulture woke, les sempiternel « offensés ».

C’est clairement la droite qui séduit, à 33.5% sans Macron. Il est probable que les extrêmes à droite se rallieront en majorité à Pécresse en cas de second tour contre tout candidat de gauche ou de quasi-gauche contre le président actuel.

Nous verrons comment va évoluer la tendance une fois que la campagne sera officiellement commencée, probablement en janvier. Il me semble raisonnable de penser que Montebourg va descendre – ou se rallier à Hidalgo, étant le maillon faible – que Zemmour va stagner à mesure que Pécresse reprendra certains de ses thèmes sans la haine ni l’extrémisme qui vont avec, et que Macron peut se conforter en jouant habilement les diagonales, proposant ce que ses adversaires les plus sérieux proposent aussi, pour le réaliser lui-même : l’en même temps du changement sans le risque.

Qu’en sera-t-il de Marine Le Pen ? C’est la grande question en ce début décembre.

L’envol Zemmour l’a fait paraître plus sérieuse et plus raisonnable à l’extrême-droite (c’est dire), mais l’exaspération des exclus légitimistes réactionnaires de la vie politique depuis la fin de la guerre d’Algérie sort renforcée de l’expérience Trump et bénéficie du soutien actif des réseaux de déstabilisation stratégique russe ; elle ne risque pas de retomber d’un coup. Coincée entre l’extrémisme d’idées et l’aptitude à gouverner, Marine Le Pen a peu de marges de manœuvre.

En Marche pourrait encourager tactiquement les parrainages en faveur de Zemmour afin de diviser l’extrême-droite – mais ce serait assurer pratiquement un second tour Macron-Pécresse, plus redoutable que Macron-Le Pen. Si Zemmour ne parvient pas à obtenir les signatures de 500 élus, craignant leur marquage extrémiste si cela se sait, est-il certain que les voix pro-Zemmour se porteraient sur Le Pen ? Rien n’est moins sûr pour une bonne partie d’entre elles, surtout si Pécresse muscle son programme sécuritaire avec Ciotti en bonne place.

Ce sont les délices de la politique que ces pronostics avant la fête. Une fois les lampions éteints, c’est moins drôle.

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