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Hollande aura-t-il raison sur le chômage ?

Inverser la courbe du chômage « d’ici la fin de l’année » (voire, dans ses derniers propos, en février ou mars 2014) est-ce réaliste ? Ah, mais « c’est la différence entre la prévision et la volonté », a ajouté le président. C’est confondre volonté et discours. Avoir la volonté de faire le maximum contre le chômage est une bonne chose ; affirmer que c’est fait, que la réussite est prévisible à horizon de 6 à 8 mois en est une autre. Ce n’est pas en disant les choses qu’on les règle. Cette communication « performative » a été suffisamment reprochée à Nicolas Sarkozy par la gauche ! A moins d’embaucher de quasi-fonctionnaires sans le dire, des « emplois aidés » invendables sur le marché du travail et qui revendiqueront dans quelques années « le droit » d’être régularisés dans la fonction publique ? Le problème Hollande est qu’il attend la croissance – et que ladite croissance ne reviendra pas au rythme nécessaire à la dépense publique traditionnelle…

La mondialisation et l’Internet sont passés par là :

Les frontières ne sont plus fermées, ni les citoyens dans l’entre-soi : nous avons signé plusieurs traités successifs d’Union européenne, nous sommes intégrés dans l’Organisation mondiale du commerce, partenaires du G8 et du FMI. Oui, la mondialisation n’est pas que pour les autres, les échanges de marchandises ne sont pas les seuls, mais aussi les échanges culturels, étudiants, touristiques. Nous savons désormais grâce à Internet et aux réseaux sociaux instantanés que certains voisins vivent mieux que nous avec un chômage plus bas, un État moins gros, une ponction moindre sur les salaires, des impôts moins lourds et des services publics souvent meilleurs (l’éducation, la justice, l’emploi). Il nous faut reconnaître que sur le chômage comme sur d’autres points, l’État-nation n’est plus capable, l’État-providence n’a plus les moyens, et que dire « je veux donc c’est fait » devient ridicule.

cout du travail compare europe 2013

L’impératif est de créer de la valeur non en fermant ses frontières ou en maintenant des activités à faible valeur ajoutée mais en occupant une place stratégique pour obtenir la plus forte valeur ajoutée. Ce qui exige une adaptation permanente et une culture du compromis qui manque en France – à l’inverse de la social-démocratie allemande, scandinave, suisse ou anglaise.

cout du travail compare europe 2013 tableau

La démagogie du tout-politique :

La France souffre de l’héritage politique de la Révolution qui garde une méfiance profonde envers tout intermédiaire entre l’État et le peuple. Or le compromis entre le travail et capital est aujourd’hui plus difficile en raison de l’avènement d’une économie ouverte et d’une mobilité du capital qui donne un pouvoir de négociation face aux salariés plus fort, surtout lorsqu’ils sont peu qualifiés.

preference francaise pour le chomage denis olivennes le debat novembre 1994

Denis Olivennes en 1994 (il y a presque 20 ans !) dénonçait déjà La préférence française pour le chômage dans une note de la Fondation Saint-Simon reprise en article dans la revue Le Débat n°82. « Avant d’être un problème, le chômage est une solution. Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner les questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société : les actifs occupés ». Les gouvernements de droite comme de gauche ont donc choisi la facilité électoraliste : salaires élevés via le SMIC, pour des cotisations sociales élevées qui permettent de redistribuer et d’assister les chômeurs. Ce consensus politico-syndical devient aujourd’hui plus fragile car la crise ne permet plus d’augmenter beaucoup les salaires, tandis que les prestations mal contrôlées se dispersent et que le Budget de l’État est en grave déficit.

Comme le notait déjà Olivennes : « En réalité, la croissance de nos salaires réels est moins imputable à la rémunération directe des salariés qu’à l’augmentation continue des charges sociales incorporées dans le coût du travail ». De fait, quand le patron paye 1000 en Suisse et en France, le salarié suisse touche 65% nets sur sa fiche de paie tandis que le salarié français ne touche que 48% nets. Sans compter les impôts et la TVA… En 1981, les prestations sociales représentaient en France 25%, mais 31,3% en 2009. Elles ont augmenté plus vite que le PIB, surtout les années de hausse du chômage : c’est donc bien une reprise de la croissance qui allègera les charges. Encore faut-il s’en donner les moyens.

emploi et valeur ajoutee 1980 2011

Compétitivité :

Le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 (dit rapport Gallois) sur Les déterminants de la compétitivité de l’industrie française estime que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années. Le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points à celui constaté en Allemagne ». « En outre, la part patronale des cotisations est plus forte en France : 2/3 des cotisations, contre 1/2 en Allemagne ». Il préconise de « décharger d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité. » Pour Christian de Boissieu, professeur d’économie  à Paris I et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers, « la perte de la compétitivité-prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique à la fois par l’évolution des coûts salariaux par celle des gains de productivité ».

Productivité du travail :

La France est bien classée en termes de productivité du travail (parce que les jeunes et les seniors sont exclus majoritairement de l’emploi), mais pas en gains de productivité (la robotisation est faible dans l’industrie, l’informatisation a été tardive dans les services et le travail reste trop hiérarchisé). Dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible. Les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi – pas en France !

En Italie, Espagne, Royaume-Uni ou l’Allemagne, quand le chômage augmente la croissance des salaires ralentit rapidement – alors qu’on observe le contraire en France. Le salaire ne réagit ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Deux raisons : 1/ l’évolution du SMIC ne suit pas la conjoncture mais les prix ; 2/ Les syndicats ne représentent que les seuls salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non les chômeurs ; ils sont de plus majoritairement composés salariés de la fonction publique, non concernée par le chômage. Pour les Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé, de la pérennité de l’entreprise et de sa compétitivité – pas en France où la surenchère idéologique attise un climat de guerre civile entre « patrons » et « prolétaires ». Les syndicats de travailleurs allemands, majoritairement du privé, sont bien meilleurs critique de la réalité et donc mieux aptes à négocier.

interactions competitivite productivite marche du travail

Effet des 35 heures :

Le SMIC français a notamment progressé sous l’effet des 35 heures. Il s’est agi d’un choc de compétitivité négatif : les salariés travaillent moins, avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État mais supporté à la fin par les entreprises. La France est donc l’un des pays de l’OCDE où le prix du travail dès le salaire minimum est le plus élevé (environ 80 % de plus que la moyenne). Dans un Rapport d’information de l’assemblée nationale le 27 mars 2013 rédigé par la mission d’information sur les coûts de production en France et présenté par Daniel Goldberg, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. » Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année.

Les récurrentes questions d’évitement :

La politique européenne de réduction des déficits publics dite « d’austérité » n’est pas le déterminant principal du chômage : même dans les années fastes, la France a toujours gardé un niveau de chômage plus élevé que ses voisins. En 1995 déjà, Denis Olivennes dans un autre article du Débat (n°85) renvoyait à leur ineptie théorique les critiques qui incriminaient la faute des autres : à l’époque les taux d’intérêt trop élevés qui restreignent le crédit, l’arrimage du franc au deutsche mark donc la force de la monnaie. « Aurait-on si vite oublié les piètres résultats de l’autre politique en économie ouverte et changes flexibles ? En 1980, le taux de chômage en France était de 6.3%. Quatre ans et quelques dévaluations plus tard, il était de 9.7%. » Mais la démagogie répète inlassablement les mêmes arguments, reprenant inlassablement les mêmes boucs émissaires, refusant inlassablement d’examiner ce qu’elle considère comme tabou. D’où leurs yakas : taxer les actionnaires, forcer les entreprises à financer la retraite à 60 ans.

Or en France la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne. Le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises n’a pas beaucoup évolué. Ce n’est donc PAS la politique envers les actionnaires qui pénalise l’investissement – mais l’absence de débouchés en France et en Europe qui empêchent d’y investir.

Les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le PLUS grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité. D’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi.

La fausse bonne idée, les emplois aidés d’État :

Barbare Sianesi, cité par Pierre Cahuc & André Zylberberg, Le chômage fatalité ou nécessité ? a étudié le modèle suédois et, parmi les mesures tentées, les créations d’emplois non permanents dans le secteur public. Elle « trouve que, comparée à la moyenne des parcours des simples chômeurs n’ayant participé à aucun programme, les chances de retour vers un emploi « régulier » (un emploi non aidé) sont sensiblement plus faibles, tout au long des 5 années de suivi, pour les personnes ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le secteur public » p.181. Ces emplois n’augmentent pas les capacités de ceux qui les suivent et envoient un mauvais signal aux employeurs.

Mieux vaut subventionner directement l’emploi privé, ce que l’étude montre être la mesure la plus efficace dans la pratique. « La législation actuelle (française) protège les emplois des salariés dotés d’une certaine ancienneté, mais pousse les entreprises à utiliser abondamment les contrats à durée limitée. Elle accentue ainsi la segmentation du marché du travail entre, d’une part des salariés protégés ayant accès à des emplois stables et, d’autre part, des salariés contraints d’accepter des contrats à durée limitée et des chômeurs ayant, en moyenne, peu de chances de retrouver du travail rapidement » p.139.

C’est malheureusement ce qu’envisage Hollande avec les quelques 540 000 emplois « aidés », emplois jeunes, contrats de génération et sortie des statistiques de 30 000 chômeurs envoyés en formation. Toujours les vieilles ornières du clientélisme d’État à fins électoralistes, plutôt que de redonner de l’initiative aux partenaires salariés et créateurs d’entreprise en allégeant la ponction fiscale et sociale…

Les mesures testées ailleurs :

Exonérer de charges les bas salaires – donc transférer le financement de ces charges sur d’autres prélèvements fiscaux (TVA, CSG…). C’est tout juste entrepris, mais sans certitude que le surplus n’entre pas dans le Budget général.

Revoir la logique aveugle de redistribution égalitaire – mais inéquitable – de l’État-providence. C’est ce que tente Hollande en touchant aux allocations familiales et à la formation professionnelle.

Organiser une véritable cogestion de la négociation salariale à partir des gains de productivité attendus. C’est que qui s’est fait chez Renault et qui se tente chez Peugeot ou Michelin – malgré les syndicats les plus rigides. Quant à la SNCM, déjà pas rentable quand le problème s’est posé, la situation ne s’est pas améliorée et les syndicats ne veulent rien savoir.

Réviser la durée du travail dans une vie qui s’allonge, donc cotiser plus longtemps avant de toucher des prestations, plutôt que de rogner sur les retraites versées. La conférence sociale le dira.

Côté puissance publique, son rôle n’est plus de prescrire mais d’intégrer. L’emploi est partie d’une politique globale : industrielle, fiscale, éducative, internationale. Il faut donc :

  • favoriser l’investissement (et cesser d’insulter les étrangers qui veulent acheter des entreprises françaises ou les actionnaires qui mettent leur épargne),
  • négocier les délocalisations (et cesser d’insulter Peugeot qui a conservé pour son malheur plus d’emplois en France que Renault),
  • organiser des filières d’innovation (et ne pas refuser a priori la vente de Dailymotion par une France télécom qui n’en a jusqu’ici rien à faire),
  • aider les PME qui font plus de la moitié de l’emploi industriel (sans les décourager par des taxes tout de suite et un crédit d’impôt plus tard, illisible et trop complexe),
  • aider l’innovation et les créateurs d’entreprise (au lieu de taxer la revente au taux confiscatoire),
  • favoriser l’auto-entreprise puisque Pôle emploi ne peut rien (et ne pas s’empresser de restreindre et taxer ce qui commençait tout juste à marcher).

Il y a, chez François Hollande, ce mixte de socialisme du possible (mais sans les syndicats adéquats ni les partis alliés favorables) et de pensée magique (comparable au storytelling Sarkozy) qui mécontente à la fois la droite et la gauche, tout en prenant trop de temps sur le temps. De quoi avancer, mais trop peu et trop tard, sans projet clair, tout en louvoiements tactiques politiciens.

2013 previsions chomage insee

Aura-t-il raison sur le chômage ? C’est peu probable. S’il a raison, il n’aura rien réglé sur le fond, seulement reculé l’échéance par de la dépense publique en croissance durablement faible ; s’il a tort, il se déconsidérera un peu plus. De quoi jouer perdant-perdant.

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Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines

maurice godelier au fondement des societes humaines

Né en 1934, Maurice Godelier est probablement le meilleur anthropologue français contemporain. Il est beaucoup plus connu à l’étranger que chez lui en raison de la coterie des grandécolâtres et du snobisme médiatique. Agrégé de philosophie, licencié en psychologie et licencié en lettres modernes, il a travaillé auprès de Fernand Braudel puis de Claude Lévi-Strauss. Proche de Chevènement, il obtiendra la médaille d’or du CNRS en 2001 pour l’ensemble de son œuvre. Un temps marxiste, praticien de terrain en Papouasie, il s’est détaché de tous ses maîtres pour se forger une opinion personnelle. Il nous la livre à 73 ans dans ce petit opus qui se lit facilement. Ni jargon ni galimatias, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – c’est le meilleur de Godelier.

« Déconstruire les discours et les résultats des sciences sociales, oui. Leur dénier tout caractère scientifique, non. » Il se pose directement contre le relativisme à la mode aux États-Unis et avidement repris par les bobos multiculturels parisiens pour faire bien, « les dissoudre dans des discours narcissiques, se délectant dans le refus de théoriser, dans l’ironie, dans l’incohérence et l’inachevé volontairement recherchés » p.35.

Ce petit livre présente 5 idées reçues de l’anthropologie, contrées par la recherche de terrain (p.39) :

  1. Les sociétés sont fondées sur l’échange (marchandises et dons) : « A côté de choses que l’on vend et de celles qu’on donne, il en existe qu’il (…) faut garder pour les transmettre, et ces choses sont les supports d’identité qui survivent plus que d’autres au fil du temps. » Tout ne s’échange pas.
  2. La famille est au fondement de la société : « Il n’existe pas, et il n’a jamais existé, de sociétés fondées sur la parenté. (… Ni parenté, ni famille) ne sauraient constituer le lien qui unit différents groupes humains de manière à faire société. » C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie.
  3. Les enfants sont le produit d’un homme et d’une femme unis sexuellement : « Nulle part, dans aucune société, un homme et une femme n’ont jamais été pensés comme suffisants pour faire un enfant. Ce qu’ils fabriquent ensemble, ce sont des fœtus que des agents plus puissants que les humains, des ancêtres, des dieux, Dieu, transforment en enfant en les dotant d’un souffle et d’une ou plusieurs âmes. » L’enfant s’appartient à lui-même, il n’est pas l’objet des parents; la société l’accueille et l’élève au même titre que la famille par des rituels et des institutions appropriés.
  4. Les rapports économiques constituent la base des sociétés (Marx) : « La sexualité humaine est fondamentalement ‘a-sociale’. Le corps sexué des hommes et des femmes fonctionne dans toute société comme une sorte de machine ventriloque qui exprime et légitime les rapports de force et d’intérêt qui caractérisent la société, non seulement dans les rapports entre les sexes, mais dans les rapports entre les groupes sociaux qui la composent – clans, castes ou classes. »Les rapports économiques sont l’un des rapports sociaux, pas le seul.
  5. Le symbolique l’emporte toujours sur l’imaginaire et le réel : « Tous les rapports sociaux, y compris les plus matériels, contiennent des ‘noyaux imaginaires’ qui en sont des composantes internes, constitutives, et non des reflets idéologiques. (…Ils) sont mis en œuvre par des ‘pratiques symboliques’. » Les humains ne font société que par le symbole.

Dit autrement, nulle société n’existe sans une identité, un imaginaire politico-religieux vécu selon des pratiques symboliques renouvelées, qui s’exerce sur un territoire. Sans territoire, ce n’est qu’une communauté (de parenté, de langue et de principes). Font société par exemple les Baruyas, population de Nouvelle-Guinée étudiée par l’auteur ; l’Arabie Saoudite issue de la rencontre entre le rigoriste musulman Al-Wahhab et le chef de tribu Ibn Saoud en 1742 ; la France refondée en 1789 ; les États-Unis nouvelle terre promise émancipée du colonisateur en 1776 ; l’URSS fondée par Lénine ; Israël fondée en 1947… Sur le territoire, la souveraineté s’exerce par des institutions distinctes de la parenté, telles l’école en Occident, les mouvements de jeunesse en URSS et en Israël ou l’initiation des jeunes garçons et des jeunes filles chez les Baruyas.

maurice godelier chez les baruyas de nouvelle guinee

A ce titre, aucune institution n’est « naturelle », tout est construit socialement pour légitimer la souveraineté, donc le faire société. Le passage de l’enfance à l’âge adulte chez les Baruyas n’est pas le fait des parents ni des majeurs spécialisés de la société ; il est le fait des aînés non encore mariés. Dès 9 ans, le garçon est arraché aux femmes pour être initié dans la Maison des hommes en quatre stades. Vers 15 ans, chaque adolescent prend un enfant sous son aile, à 18 ans il a le droit de faire la guerre, à 20 ans de se marier. Les aînés des 3ème et 4ème stades donnent leur sperme à ingérer aux petits des 1er et 2ème stades. Le sperme vise à faire renaître l’enfant par le lait mâle, à le masculiniser. Ni masturbation, ni sodomie, ni inceste entre adolescents, ni fellation d’hommes mariés ne sont permis par la société – tout est codifié. L’aîné choisit le cadet et – ajoute l’ethnologue – « entre eux on peut observer beaucoup de tendresse, nombre de gestes délicats, réservés, pudiques. Là, il y a place pour le désir, l’érotisme et l’affection, mais aussi pour la soumission (…) diverses corvées » p.178. L’usage des sexes fabrique de la vie et de l’ordre social, voire cosmique. La « loi » d’une société suborne la sexualité des individus à l’imaginaire qui fait société. Chez les Baruyas comme chez nous, différemment.

Car « qu’est-ce qu’un rapport social ? C’est un ensemble de relations à multiples dimensions (matérielles, émotionnelles, sociales, idéelles), produites par les interactions des individus et, souvent, à travers eux, des groupes auxquels ils appartiennent » p.194. Ces rapports sont entre les individus et en eux, car la société les façonne et ils veulent s’y intégrer. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion et la morale (ou la loi) dans toute société humaine. La société n’est donc pas née par le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais par le refoulement du désir asocial (anarchique).

En bref, « ce sont des rapports politico-religieux qui ont intégré en un Tout des groupes humains d’origine diverse, et au départ hostiles, et qui ont assuré la reproduction de ce Tout » p.228.

D’où l’intérêt pour la connaissance de soi de « mettre au jour ce qui n’est pas dit, faire apparaître les raisons d’agir ou de ne pas agir laissées dans l’ombre, réunir et analyser ensuite tous ces faits pour en découvrir les raisons, c’est-à-dire les enjeux pour les acteurs eux-mêmes dans la production de leur existence sociale » p.250. Ce sont l’œuvre « des penseurs du siècle dit des Lumières. Ils ont osé avancer l’idée que tous les régimes de pouvoir exercés ou subis par les hommes au cours de l’histoire n’avaient eu ni les dieux ni la nature pour origine, mais étaient le fruit des pensées, des actions et les intérêts des hommes eux-mêmes » p.275. Oui, les sciences sociales et la démocratie sont liées…

Un excellent petit livre qui remet à leur place bien des fantasmes et des préjugés.

Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, 2007, Flammarion Champs essais 2010, 331 pages, €9.69

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Sexe et sensualité antique

Guilia Sissa Sexe et sensualite

Un titre séduisant pour un vaste programme qui parcourt un millénaire d’amours antiques. Ce qui est intéressant est que Giulia Sissa, tête chercheuse au CNRS soit aussi professeur de théorie politique et de civilisations de l’Antiquité à UCLA (University of California Los Angeles). Sans entrer dans la querelle de dictionnaire pour savoir qui est homo ou hétéro, sans entrer dans les chapelles de genre pour définir homme ou femme, elle revisite les discours « depuis la médecine jusqu’à la philosophie, la rhétorique, le théâtre, la poésie ou le roman » p.273 – et le droit comme les institutions.

Elle n’hésite pas à critiquer les hypothèses hasardeuses de Michel Foucault et son « discours anesthésique », en se fondant sur les textes. Il s’agit du penser, parler et vivre des Grecs et des Romains et les interrogations sont cinq : « il y a deux sexes et deux genres ; les corps sont sexués, les corps sont exemplaires ; le désir, par sa nature insatiable, est ce qui met la pensée éthique au défi ; le désir désire le désir de l’autre. C’est le jeu de la séduction qui aboutit au plaisir des sens ; c’est l’échec de la réciprocité qui fait l’amour tragique » p.275.

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Nous sommes avant la haine du corps terrestre, hérité de saint Paul (1ère Épitre aux Corinthiens). Dans la cité antique, les corps sexués s’affichent partout, fièrement, corps féminins et masculins nus, rappel constant de la différence des sexes et de leur complémentarité. Car ni les Grecs ni les Romains ne sont « tous pédés », comme la vulgate voudrait le croire. Ils sont indifférents à ce genre de distinction mais emplis de la sensualité des corps dans leur vénusté. « Seins ronds, ventres légèrement bombés, gestes langoureux ou pudiques d’une part ; muscles définis, maintien fier et allure martiale, de l’autre » p.281. La nudité chante le corps joyeux, la virilité et la féminité officiels. L’éducation physique était une façon de souligner l’anatomie en amplifiant le dimorphisme sexuel.

jeunesse nue athenes et olymppie

On ne naît pas homme, on le devient : par le climat, l’éducation, l’éveil à la puberté. « Or, parce que la féminité infantile fait partie de la mémoire du corps, ce n’est pas une inversion ni une perversion, mais la prolongation artificielle d’un état qui, par nature, doit évoluer – de même qu’il faut que jeunesse se passe. Ce n’est pas un drame non plus » p.286. Un homme fait est légitime à désirer un éphèbe, il lui faut seulement faire attention, par morale exigeante, à ne pas le déformer et à l’élever au niveau viril exigé de la société. La consommation sexuelle n’est admise que pour les esclaves, pas pour les futurs citoyens.

Se donner aux autres hommes peut être faute politique, tolérée si elle reste discrète, mais refusée si l’efféminé prétend aux charges de la cité. Le discours d’Eschine contre Timarque est un exemple ici largement analysé. Si les aristocrates sont réputés vertueux par naissance et éducation, les démocrates ne sont jugés adultes responsables que par le regard de tous. Actes et mœurs sont les seuls critères pour leur faire confiance dans les affaires publiques. Platon contre Eschine, Le Banquet vs Contre Timarque, la convivialité cultivée contre l’agora des travailleurs pères de famille – c’est tout l’écart des mœurs entre l’aristocratie de l’esprit et de la fortune (portés aux jeunes garçons) et les Athéniens ordinaires (plutôt hétéros conservateurs).

ephebe nus cybele de corinthe

« Dans une relation pédérastique de qualité (…) l’homme qui, du fait de son âge et de son expérience, prend l’initiative d’une liaison doit vouloir du bien à son partenaire, et lui faire du bien. L’intérêt érotique pour une jeune personne, et non pas pour une chair fraîche, doit se prolonger longtemps, ce qui projette l’amour bien au-delà de l’adolescence (…) Se fixer sur des garçons pubescents parce qu’ils sont tendres et duveteux, pour enfin les quitter l’un après l’autre, dès que leur virilité se confirme : voici un comportement ignoble » p.123. Dans la culture populaire d’Athènes, la féminisation du garçon est une obsession et un cauchemar. Car la femme a la luxure gourmande, sans limites.

« Ce que j’espère avoir ajouté », dit l’auteur, « ce sont d’abord les arguments sur la priorité du désir, sur la transformation de la puberté, qui est à la fois transsexuelle et sensuelle, sur le jeu de miroirs entre discours différents, d’éloge ou de blâme, sur l’inexistence d’un rapport à sens unique entre pénétration et pouvoir et, surtout, sur la véritable absurdité de la dichotomie entre actif et passif, alors que les textes célèbrent, ou dénigrent les couples » p.293. Impact de la beauté, contagion du désir, durée dans l’attachement amoureux, c’est tout cela qui mène du mécanique (qui fascine nos contemporains) à la sensualité (réhabilitée des Antiques). « Je définis la sensualité comme tout ce qui exprime l’intensité intentionnelle de l’érotisme ; comme son irradiation esthétique, c’est-à-dire sensible d’un corps à l’autre » p.295. Quel que soit son genre, la sensualité est toujours un peu féminine. D’où la balance entre l’hommage à la virilité et la crainte de la mollesse, qui perd les cités (Sparte) et les empires (Rome).

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Mais tout commence par le désir insatiable des femmes : on serait tellement bien, entre hommes, à converser agréablement lors d’un banquet – dit le philosophe – s’il ne fallait assurer enfants, richesses et attentions à l’épouse pour perpétuer la société… « Il y a une Antiquité fluide et femelle, toute à redécouvrir, dans ses accents propres qui n’ont rien à voir avec le pouvoir, indûment surestimé, d’une virilité violeuse et conquérante sur une féminité triste, inerte et chosifiée » p.18.

En Grèce, au commencement était Éros, l’entremetteur des contraires, capricieux et volage comme un petit garçon. Mais il faut distinguer les siècles : au VIIème (avant), dans le monde homérique, le désir est le passé du plaisir (désir-besoin, plaisir-soulagement) ; au Vème siècle des tragédies, l’amour est chimérique et désespéré d’absence, d’indifférence ou d’infidélité de l’être aimé ; au IVème siècle, chez les philosophes, le désir est insatiable, le plaisir dérisoire, mais le marchepied pour l’élévation de l’âme (et du disciple).

Rome est née de Vénus qui a fécondé Anchise, Romulus et Rémus sont nés d’une esclave qui s’est enfilée seule sur un phallus dressé dans l’âtre du roi Alba. Les rustres Romains ont dû enlever des Sabines pour les violer et assurer leur descendance. Tout l’art érotique de Rome sera de civiliser ces soldats-laboureurs. Ovide invente donc l’Art d’aimer, où toutes les femmes ne demandent qu’à être séduites, mais où l’homme doit ruser, amadouer, faire le siège avant de pousser la capitulation. C’est le jeu du désir, l’exacerbation de la sensualité plutôt que le sexe brut. Magnifier la femme (ou l’éphèbe) est mensonge, mais les deux finissent par y croire un peu. Magie de l’amour qui transfigure. Mais attention à la mollesse, elle prépare la décadence.

« Le phallus est une obsession romaine » p.250. L’idéal masculin est une fermeté du corps entier, érigé comme le pénis, image du caractère droit et de l’austérité ferme. A Rome, « il n’y a rien de mal pour un adulte à faire la cour à des garçons, dans la mesure où ces actes accomplis sur ces membres encore proches du féminin – et sexuellement malléables – n’en compromettent pas le développement naturel et la future masculinité » p.253. Dès 12 ans le garçon découvre les premières pulsions érotiques et commence à désirer ; il séduit et les poèmes de Catulle le célèbrent. Mais si le désir est spontané, l’amour s’apprend, y compris entre sexes opposés, c’est tout le message du roman Daphnis et Chloé.

Nous avons gardé du latin cette obsession de la virilité affichée, si nette dans les banlieues ou dans les engueulades entre automobilistes. Les Grecs étaient moins machos, autrement plus subtils. Les figures complexes d’Ulysse et Pénélope, d’Achille et Patrocle, d’Agamemnon-Iphigénie-Clytemnestre, d’Antigone, d’Agathon et de Phèdre nous parlent toujours.

Un beau livre fort instructif, facile à lire, d’une écriture un peu bavarde, mais disons lyrique et sensuelle, qui renouvelle le sujet avec érudition.

Giulia Sissa, Sexe et sensualité – la culture érotique des anciens, 2011, Odile Jacob, 329 pages, €23.99

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Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre

Christian Jacq Le dernier rêve de Cléopâtre

L’auteur français le plus lu de la planète, docteur en archéologie égyptienne et auteur de près de 90 ouvrages, nous livre ici sa version romancée de la prise de pouvoir de Cléopâtre, fille du pharaon Ptolémée XII, avec l’aide de César, vainqueur de Pompée à Pharsale. C’est bien écrit, en chapitres courts, qui ne prennent cependant tout leur rythme qu’à la moitié du livre. Dès la première phrase, le ton est donné : « La reine était nue » ; la dernière phrase n’est pas moins révélatrice : « Vous avez dû rêver ». Entre les deux, le roman. Un brin sentimental, un brin politique, un brin action.

L’historien érudit offre les matériaux à l’auteur de romans policiers et de fresques historiques. Christian Jacq est séduit par l’Égypte, depuis l’âge de 13 ans, dit-on. Plus par la longévité de cette civilisation du Nil, les mystères des dieux et des temples, et par la sagesse accumulée dans les bibliothèques de papyrus que par les êtres. L’auteur a fréquenté la franc-maçonnerie, curieux des rites multimillénaires nés en Égypte… Il nous en offre un faible aperçu par le personnage d’Hermès, mage des temples et du désert, qui survient toujours à point nommé pour aider Cléopâtre. Le vrai Hermès sera philosophe et médecin, le mythique sera nommé Trismégiste, fusion gréco-égyptienne des dieux Thot et Hermès. Il deviendra peut-être Moïse, puis le père de l’alchimie… Nous sommes en pleine multiculture, sauce antique.

Les seuls portraits de Cléopâtre, César et Ptolémée XIII en gamin de 14 ans sont fouillés ; les autres sont un peu sommaires. On trouve François Hollande dans l’un des personnages : « Connaître les dédales de l’administration alexandrine, formée de milliers de fonctionnaires jouissant d’un nombre incalculable de privilèges, nécessitait une solide expérience, beaucoup d’habileté et un cynisme à toute épreuve. Ces qualités-là, l’eunuque Photin les possédait au plus haut point » p.19. Plus loin, Hermès pourfend le socialisme hollandais : « Ton monde est celui de la corruption et de la perversion, le criminel est préféré à l’homme droit, les intrigues politiques remplacent la bonne gouvernance. Les puissants ne songent qu’à leur profit, méprisent le peuple et l’oppressent en l’écrasant d’impôts. (…) Incapables de percevoir l’harmonie secrète de l’univers, privilégiant le savoir à la connaissance, se vantant de leur philosophie qui détruit l’intuition créatrice, de leurs discours creux et de leurs interminables débats ne menant à rien » p.45.

Nous sommes bien loin des modèles : César, « intelligent, rusé, impitoyable, adoré de ses légionnaires » qui « ignorait la défaite » p.131 ; Cléopâtre, « alliant vivacité d’esprit, culture et beauté » p.202, s’adressant à lui d’égal à égal. Selon Plutarque, la reine n’était en rien parfaite, ni même remarquable, mais elle avait un indéniable charme et un sens aigu du pouvoir. Elle parlait au moins sept langues et était instruite en mathématiques et astronomie. Christian Jacq la cueille à 21 ans en pleine fleur.

Cleopatre tombe Djeserkaraseneb

En Égypte, c’est la crise. Alexandrie règne à la grecque sur un pays resté traditionnel, écrasé de taxes. Le roi conjoint Ptolémée XIII, 14 ans, est capricieux, gourmand, et veut s’affirmer comme petit mâle. Il est manipulé par les eunuques avant de lui-même manipuler sa seconde sœur Arsinoé contre sa reine conjointe Cléopâtre. Car ces deux enfants aînés du pharaon Ptolémée XII règnent ensemble, et Rome est chargée d’y veiller par testament. Pompée, vaincu, cherche refuge en Égypte mais est décapité sur ordre des eunuques pour plaire à César. Celui-ci méprise cette vilenie et n’aura de cesse de chasser les castrés, de mater l’adolescent irascible et d’établir Cléopâtre seule reine d’Égypte. Il en tombera amoureux, lui fera un fils, Césarion, et l’associera à son triomphe à Rome (Césarion sera tué par Octave à 17 ans). Mais, entre temps, il devra survivre, avec ses quelques légions arrivées avec lui par bateau, face à l’armée entière de Ptolémée…

C’est avec talent que Christian Jacq conte la bataille, en pleine ville, des Romains aidé des Juifs d’Alexandrie contre les Gréco-égyptiens. Il ajoute quelques personnages inventés pour égayer le roman comme le Vieux, amateur de bon vin, et son âne Vent du nord qui parle avec les oreilles. Il parsème l’action de pauses dans les temples d’Égypte, tel Hermonthis où réside le dieu taureau Boukhis, Dendera le sanctuaire de la déesse Hathor, ou Héraklion, lieu du dieu caché Amon. La douceur du printemps sur les rives du Nil ou les couchers de soleil sur la Méditerranée vus des palais d’Alexandrie sont un bien beau décor pour ces personnages d’exception qui font l’histoire.

Un roman de délassement agréable, qui manque un peu de vigueur au début.

Christian Jacq, Le dernier rêve de Cléopâtre, octobre 2012, éditions XO, 410 pages, €20.80

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Rousseau démonte l’affichage moraliste

Dans ‘La nouvelle Héloïse’, tragédie amoureuse en huit cents pages dont je reparlerai, Jean-Jacques Rousseau pèse les comportements en regard des vertus affichées. Et ce qu’il voit n’est pas beau. Tout dans les mots, rien dans les faits. Tout en affichage vertueux, rien dans la réalité des actes.

« Je n’entendis jamais tant dire : comptez sur moi dans l’occasion ; disposez de mon crédit, de ma bourse, de ma maison, de mon équipage. Si tout cela était sincère et pris au mot, il n’y aurait pas de peuple moins attaché à la propriété, la communauté des biens serait ici presque établie, le plus riche offrant sans cesse et le plus pauvre acceptant toujours, tout se mettrait naturellement de niveau, et Sparte même eût eu des partages moins égaux qu’ils ne le seraient à Paris.

« Au lieu de cela, c’est peut-être la ville du monde où les fortunes sont les plus inégales, et où règnent à la fois la plus somptueuse opulence et la plus déplorable misère. Il n’en faut pas davantage pour comprendre ce que signifie cette apparente commisération qui semble toujours aller au-devant des besoins d’autrui, et cette facile tendresse de cœur qui contracte en un moment des amitiés éternelles » p.232, 2-14.

Ce pourquoi les bobos – bourgeois bohèmes – affichent tant de « communisme » artiste à la Jules Vallès, encensent tant Mélenchon et la Commune… mais se gardent bien d’accueillir chez eux un sans-papiers immigré, ou d’emmener en vacances avec leurs enfants un petit gars des banlieues. Charité bien ordonnée se limite à soi-même. Donc tout exagérer, grimper aux rideaux dès qu’une polémique se déclenche, faire surenchère pour se poser en plus vertueux encore que le voisin. Le radicalisme est bien vu, bien porté… en paroles. Les révolutionnaires les plus avancés restent députés, sénateurs et cumulards, ou professeurs fonctionnaires dans les grandes écoles parisiennes où leur magistère confortable leur assure lit, couvert et notoriété à peu de frais. Très rares sont les Malraux, Debray ou Deniau qui vont sur le terrain. On a plutôt des Sartre, des Bourdieu, des Badiou, des Mélenchon : des causeurs.

Rousseau les a pointés: « Mais ici où toute la morale est un pur verbiage, on peut être austère sans conséquence, et l’on ne serait pas fâché, pour rabattre un peu l’orgueil philosophique, de mettre la vertu si haut que le sage même n’y peut atteindre. Au reste, hommes et femmes, tous, instruits par l’expérience du monde et surtout par leur conscience, se réunissent pour penser de leur espèce aussi mal qu’il est possible, toujours philosophant tristement, toujours dégradant par vanité la nature humaine, toujours cherchant dans quelque vice la cause de tout ce qui se fait de bien, toujours d’après leur propre cœur médisant du cœur de l’homme.

« Malgré cette avilissante doctrine, un des sujets favoris de ces paisibles entretiens, c’est le sentiment ; mot par lequel il ne faut pas entendre un épanchement affectueux dans le sein de l’amour ou de l’amitié ; ce serait d’une fadeur à mourir. C’est le sentiment mis en grandes maximes générales et quintessencié par tout ce que la métaphysique a de plus subtil. Je puis dire n’avoir de ma vie ouï tant parler du sentiment, ni si peu compris ce qu’on en disait. (…)

« Ils dépensent ainsi tout leur sentiment en esprit, et il s’en exhale tant dans le discours qu’il n’en reste plus pour la pratique. Heureusement, la bienséance y supplée, et l’on fait par usage à peu près les mêmes choses qu’on ferait par sensibilité ; du moins tant qu’il n’en coûte que des formules et quelques gênes passagères, qu’on s’impose pour faire bien parler de soi ; car quand les sacrifices vont jusqu’à gêner trop longtemps ou à coûter trop cher, adieu le sentiment ; la bienséance n’en exige pas jusque là. » 2-17 p.249-250

Rousseau, prophète de notre temps en observant le sien… La France d’Ancien régime continue de bien se porter dans les faits, malgré ses incantations perpétuelles à la révolution des jean-foutres d’estrades et de salons.

Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse, 1761, Œuvres complètes t.2, Pléiade Gallimard 1964, 794 pages sur 2051, €61.75 ou Livre de poche 2002, 895 pages, €7.69 

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Jean-Jacques Rousseau se moque de la « rentrée littéraire »

Entre deux torrents de larmes, pages d’outrances et de sensibleries, dans ‘La nouvelle Héloïse’ Jean-Jacques Rousseau se fait polémiste. Il montre là un talent précieux ; autant j’aime peu les larmoiements hypocondriaques du personnage, autant j’apprécie ses critiques aiguës de la société de son temps, celle de Cour. Très sensible lui-même au regard qu’on porte sur lui, sur son état plutôt que sur ses talents, il sait voir – et raconter. Il déteste l’apparence, l’hypocrisie, le mensonge. Pour lui, il faut être soi, « naturel ». Impossible en société. Particulièrement en France, à Paris, dans les coteries à la mode. Aussi bien la « rentrée littéraire » d’aujourd’hui, phénomène typiquement germanopratin, aurait été la cible de son ire. Il n’aurait pas eu à changer grand-chose à ses propos des années 1750… Qu’on en juge.

« On n’a qu’à s’informer de leurs sociétés, de leurs coteries, de leurs amis, des femmes qu’ils voient, des auteurs qu’ils connaissent : là-dessus on peut d’avance établir leur sentiment futur sur un livre prêt à paraître et qu’ils n’ont point lu, sur une pièce prête à jouer et qu’ils n’ont point vue, sur tel ou tel auteur qu’ils ne connaissent point, sur tel ou tel système dont ils n’ont aucune idée. Et comme le pendule ne se monte ordinairement que pour vingt-quatre heures, tous ces gens-là s’en vont chaque soir apprendre dans leurs sociétés ce qu’ils penseront le lendemain. (…)

« C’est un choc perpétuel de brigues et de cabales, un flux et reflux de préjugés, d’opinions contraires, où les plus échauffés animés par les autres ne savent presque jamais de quoi il est question. Chaque coterie a ses règles, ses jugements, ses principes qui ne sont point admis ailleurs. L’honnête homme d’une maison est un fripon dans la maison voisine. Le bon, le mauvais, le beau, le laid, la vérité, la vertu n’ont qu’une existence locale et circonscrite. (…)

« Il y a plus : c’est que chacun se met sans cesse en contradiction avec lui-même, sans qu’on s’avise de le trouver mauvais. On a des principes pour la conversation et d’autres pour la pratique ; leur opposition ne scandalise personne, et l’on est convenu qu’ils ne se ressembleraient point entre eux. On n’exige pas même d’un auteur, surtout d’un moraliste, qu’il parle comme ses livres, ni qu’il agisse comme il parle. Ses écrits, ses discours, sa conduite, sont trois choses toutes différentes, qu’il n’est point obligé de concilier. »

Que Sartre se dise gauchiste, bien au chaud dans son hôtel du boulevard Saint-Germain ne choque personne ; que Sollers se dise catholique tout en pratiquant le libertinage est presque à la mode. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Ou plutôt, puisque désormais tout finit par se savoir (voir VSD sur DSK), revendiquez haut et fort votre double qualité de bourgeois et de bohème, de nanti respectable le jour et de libidineux le soir. Tels sont les « bobos », que Rousseau avait déjà épinglés sans le savoir… « Ainsi les hommes à qui l’on parle ne sont point ceux avec qui l’on converse ; leurs sentiments ne partent point de leur cœur ; leurs lumières ne sont point dans leur esprit ; leurs discours ne représentent point leurs pensées ; on n’aperçoit d’eux que leur figure, et l’on est dans une assemblée à peu près comme devant un tableau mouvant, où le spectateur paisible est le seule être mû par lui-même. » 2-14 pp.233-234

Rousseau avait pointé déjà la dérive moraliste de nos médias, le scoop des petites phrases, les vidéos cachées. Toujours sans le savoir : comme quoi la société française, qui se veut tant « révolutionnaire », est restée semblable à elle-même depuis l’Ancien régime. « Sitôt qu’un homme a parlé, s’informe-t-on de sa conduite ? n’a-t-il pas tout fait, n’est-il pas jugé ? l’honnête homme d’ici n’est point celui qui fait les bonnes actions, mais celui qui dit de belles choses ; et un seul propos inconsidéré, lâché sans réflexion, peut faire à celui qui le tient un tort irréparable que n’effaceront pas quarante ans d’intégrité » 2-17 p.254.

Tout l’art médiatique est de parler pour ne rien dire, de choquer pour faire parler de soi, tout en se gardant bien de contrevenir à la loi (on ne sait jamais…). « On me prouve avec évidence qu’il n’y a que le demi-philosophe qui regarde à la réalité des choses ; que le vrai sage ne les considère que par les apparences ; qu’il doit prendre les préjugés pour principes, les bienséances pour loi, et que la plus sublime sagesse consiste à vivre comme les fous. »

D’où la désespérance de Jean-Jacques Rousseau, haineux des villes où seule compte l’apparence, où seul le présent immédiat de l’esbroufe et du paraître pose un homme ou établit une femme. « Confus, humilié, consterné, de sentir se dégrader en moi la nature de l’homme, et de me voir ravalé si bas de cette grandeur intérieure où nos cœurs enflammés s’élevaient réciproquement, je reviens le soir pénétré d’une secrète tristesse, accablé d’un dégoût mortel, et le cœur vide et gonflé comme un ballon rempli d’air. » 2-17 p.255. Marx a repris cette idée d’aliénation sociale de l’homme, de divorce entre sa nature et sa condition. Il l’attribue à l’économie qui crée les statuts, et pas au conformisme social quels que soient les statuts, comme le fait Rousseau et le feront Tocqueville et Norbert Élias.

Mais ce n’est pas Marx qui a raison, avec le recul. C’est bel et bien Rousseau !

Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse, 1761, Œuvres complètes t.2, Pléiade Gallimard 1964, 794 pages sur 2051, €61.75 ou Livre de poche 2002, 895 pages, €7.69 

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Les médias font-ils une élection ?

Réponse : non, mais ils y contribuent.

Jeudi 5 avril en soirée avait lieu à l’amphithéâtre François Furet de l’EHESS, boulevard Raspail à Paris, un ‘Rendez-vous de crise’. Le monde médiatique est-il en connivence avec le monde politique ? Trois chercheurs ont ouvert le dialogue avec un journaliste. Brigitte Le Grignou professeur de science politique à l’université Paris Dauphine, Bernard Manin et Cyril Lemieux tous deux directeurs d’études à l’EHESS ont donné la théorie. Thomas Legrand, éditorialiste politique à France-Inter, jouait « le machiniste » (dixit), l’homme de pratique, rendant le discours concret et plus vivant. Le « débat » était modéré par Michel Abescat, journaliste à Télérama.

Débat y avait-il ? c’est un bien grand mot, si l’on utilise le vocabulaire précis de la science politique. Les gens de l’estrade se parlaient entre eux et l’assistance a été frustrée de ne pouvoir poser que trois questions, un quart d’heure en tout sur les deux heures. Nous avions, étagés dans l’amphithéâtre, un public d’intellos piliers du quartier et amateurs de SS, plus quelques étudiants en science politique et en école de journalisme. Ces derniers étaient reconnaissables à leur vêture mode, décalée, déstructurée et décolletée, qui apportait un air de printemps à ces doctes débats. Mais printemps n’est pas démocratie, la bonne parole était délivrée d’en haut, le savoir imposé à des « apprenants ». Selon une formule de Bernard Manin, la meilleure forme de contrepouvoir politique consiste pourtant dans le débat.

Les médias participent du débat démocratique, comme hier l’agora d’Athènes, mais le monde a changé, les techniques ont évolué. Bien que durant ces deux heures de colloque aucun plan clair ne soit apparu, la gentille animation des débateurs a révélé deux points importants : l’importance des communicants et la révolution numérique.

L’importance des communicants

Depuis trois décennies, nulle politique sans spécialistes de la com qui disent ce qu’il faut dire, comment le dire et à quel bon moment. Les meetings sont ainsi organisés et orchestrés selon un plan de com, allant jusqu’à produire les images du direct pour les télés. Il est vrai, remarquait Thomas Legrand, que si les centaines de caméras envoyaient toutes au même moment leur signal au même satellite, il n’est pas certain qu’il n’y aurait pas saturation… Le rôle des médias devrait alors de « réaliser » le reportage en choisissant leurs images dans le flot, en privilégiant une caméra sur une autre selon le fil du discours et en découpant les séquences eux-mêmes. Faute de temps, avides de scoop immédiat, et par facilité, les médias du direct le font de moins en moins. Rassurons-nous (?) : c’est le même professionnel vidéo qui officie pour les meetings Sarkozy ou Hollande.

Mais la communication isole le politicien des électeurs. Le filtre du spécialiste inhibe le discours et réduit le projet à un catalogue d’économiste. Il y a donc, note Bernard Manin, divorce entre les promesses et la réalité. Sauf qu’il y a malentendu : les promesses, pour un politicien, sont réalisées par des lois ; pour l’électeur, c’est le résultat qui compte. Drame de la com : pour mobiliser, il faut avoir une idée choc par semaine ; pour réaliser, il faut cependant passer par la fabrication du droit. Cela prend bien plus de temps que de le dire, passe par plusieurs filtres de débats au Conseil d’État, à l’Assemblée, au Sénat, parfois au Conseil constitutionnel. Le temps qu’une décision soit traduite en loi, il se passe des mois, parfois des années. Le communicant est-il donc compatible avec le politicien ?

Il faut probablement voir dans le chiffrage des programmes, dit Thomas Legrand, un effet de ce grand écart qui a marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Lui candidat de 2007, comme Ségolène Royal, avaient su mobiliser l’électorat populaire, obtenant un niveau d’abstention au minimum depuis 1974, rappelle Cyril Lemieux. Mais on voit le résultat : promesses non tenues en termes de résultat réel, électorat populaire déçu, largement tenté par l’abstention, tout en déclarant voter extrémiste (Le Pen ou Mélenchon) dans les sondages.

La révolution numérique

Les sondages, justement. La technologie avec le mobile, l’iPhone et l’Internet a permis de les multiplier en baissant leur coût. Bernard Manin s’étonne de les voir aussi importants en France, ce qui n’est absolument pas le cas dans les autres pays. Sont-ils instantanés d’opinion ou prophéties ? La montée de Mélenchon participe probablement plus du second aspect que du premier selon Cyril Lemieux. Ladite « opinion » en effet se résume à un millier de personnes seulement, à qui l’on pose des questions pas toujours neutres, et pour lesquelles certains « ne savent pas ». Les médias mettent en scène trop souvent des informations qui n’en sont pas, du style « les Français déclarent… » alors qu’une lecture fine du sondage montre que seulement 52% des gens interrogés qui se sont exprimés, soit quelques centaines de personnes, « penchent plutôt vers… »

Second effet de la révolution numérique : les archives. Il y a 15 ans, dit Thomas Legrand, lorsqu’un homme politique faisait une déclaration choc, il fallait que le journaliste décide de garder le ‘bobino’ de l’enregistrement. C’étaient ses archives personnelles dans des armoires, l’index dans sa tête. S’il changeait de rubrique, cette mémoire était perdue, ou bien l’archiviste mettait des heures à retrouver le son. Terminé aujourd’hui. Mémoire et indexation sont facilités par le numérique, d’où le surgissement des comparaisons. Le politicien se trouve confronté à ce qu’il a déclaré auparavant, souvent en contradiction. Même le net s’y met, c’est le grand jeu du YouTube relayé sur Facebook. Ce qui décrédibilise le discours politique et fait des médias, parce c’est facile et fait scoop, de purs critiques qui ne cherchent pas à approfondir. Les grands enjeux du pays ne sont donc pas débattus entre candidats ; ils préfèrent leur débat interne, ou la césure droite ou gauche est moins pertinente aujourd’hui que la césure souverainisme ou ouverture.

Y a-t-il donc révolution dans l’approche des médias par le public ? Pas vraiment, note Brigitte Le Grignou. Seule la télévision reste un média de masse, qui touche les campagnes et surtout les catégories populaires, grosses consommatrices (40 mn de plus par jour que les CSP+). La presse quotidienne continue de n’être lue que par les surinformés (seulement 4% des électeurs) ; elle reste « élitiste » – même ‘Le Parisien’, déclare Cyril Lemieux, en nuançant. Quant à Internet, il reste marginal en France. Il a une influence réelle, mais limitée au cercle restreint du réseau (Twitter, Facebook, blogs). La radio n’a guère été évoquée.

Alors, quelle influence des médias ?

A la marge. La plupart des gens sont déjà ‘convaincus’ du fait de leur appartenance aux groupes primaires : famille, clan, cercle d’amis, réseaux du net (pour les jeunes). C’est donc « la conversation » qui est le lieu privilégié de la cristallisation de l’opinion, comme le dit Cyril Lemieux en citant Gabriel Tarde. Conversation qui peut se prolonger sur Internet dans les commentaires, chats et échanges fessebookiens. Les gens votent comme leur groupe, sauf aux moments d’émotion où un événement ou un personnage les emporte au-delà de leur sensibilité de base. Ce fut le cas en 2002 avec le thème de l’insécurité et le passage en boucle par les télévisions du vieux monsieur agressé. Mais cette influence émotionnelle est très courte, quelques jours à quelques semaines. Cela ne change pas l’opinion de fond.

Le rôle ultime des médias, outre d’informer et de faire se confronter les opinions divergentes, reste donc surtout de mobiliser. Faire venir l’électeur aux urnes par dramatisation des enjeux est probablement l’influence la plus forte qu’ils ont. Rien de plus, mais ce n’est déjà pas mal.

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Perplexité électorale

Nous sommes à trois mois des élections présidentielles, les plus importantes de toute la série d’élections dans le système français. Le Président conduit en effet le paquebot France vers l’avenir, même si le mandat a été réduit à cinq ans sous les Jospin-Chirac. Mais l’électeur lambda reste aujourd’hui indécis, entre no future et résignation. Ces élections sont celles du désenchantement.

L’utopie a été purgée par la primaire socialiste où le peuple-de-gauche a joui de l’illusion du choix présidentiel comme une gamine devant une devanture de pâtisseries. La crise persistante de l’euro et la dégradation toute fraîche de la note française par Standard & Poors ont averti les Français que la réalité les concerne aussi, les fermetures persistantes d’usines prouvent que le monde existe et que la compétitivité française n’est pas ce qu’on croit. D’où ce décalage qui étonne entre les discours des candidats et le monde réel. Nous avons des candidats de routine, chacun reste dans son jeu d’histrion, rameutant sa bande pour casser le voisin, sans se préoccuper du ciel qui se couvre.

  • Alors que la mondialisation montre son inévitable, QUI donne les voies pour s’y adapter au mieux ? Ce ne sont au contraire qu’incantations au protectionnisme, au souverainisme, aux barrières, au repli frileux sur son petit modèle, dans un rêve d’âge d’or qui n’a jamais existé.
  • Alors que l’Europe est le cadre réaliste pour insérer la France dans le monde sans se rapetisser au niveau d’un petit pays sans voix, QUI parle de l’Europe politique ? Ce ne sont au contraire que récriminations sur le Machin (comme disait De Gaulle de l’ONU), sur l’impérialisme budgétaire allemand, sur la cacophonie des 17 ou 27 pays (on ne sait plus trop), sur les sommets « de la dernière chance » qui offrent toujours une autre vie comme dans les jeux vidéo. C’est une Europe-contrainte, une tentation du repli national sur son petit modèle, dans un rêve d’âge d’or qui n’a jamais existé.
  • Alors que la dépense publique française est très forte, à 57% du PIB et que les prélèvements obligatoires à près de 44% du revenu global sont parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, QUI parle de réformer l’État obèse, inefficace et mal organisé sur l’exemple de la Suède ? L’économiste Patrick Artus a chiffré en gros à 20% les progrès de productivité du système administratif français par rapport à un panel de pays voisins (L’Express du 19 octobre 2011). QUI parle de la nécessaire et urgente réforme des niveaux administratifs, de la productivité des fonctionnaires, de la simplification des lois et règlements mal rédigés et contradictoires ? Ce ne sont au contraire que danses rituelles pour appeler toujours plus de « moyens », sans qu’il y ait jamais assez de profs, de flics, de juges, de contrôleurs… dont on mesure pourtant l’inefficacité relative avec les 150 000 jeunes qui sortent sans aucun diplôme du système scolaire sur 800 000 chaque année, sur la délinquance jamais réduite, sur la justice entre laxisme et Outreau, sur les scandales sanitaires à répétition malgré la flopée de fonctionnaires fonctionnant en commissions et réunionnant à qui mieux mieux. La droite ne veut rien bouger, la gauche veut reconstituer le fameux « modèle français », dans un rêve d’âge d’or qui n’a jamais existé.
  • Alors que l’économie française, par rapport aux pays qui réussissent comme l’Allemagne, la Suède, la Finlande, la Hollande, est asphyxiée par un corset trop rigide de règlementations qui empêche d’embaucher, un empilement de taxes qui rendent peu claire la gestion efficace et génère une paperasserie dantesque, une fiscalité exclusivement vouée à punir l’entreprise et le travail pour favoriser la consommation et l’hédonisme, QUI parle de la réforme fiscale ? Un seul candidat, mais pas bien fort et pas bien clair. Qui parle des mesures structurelles nécessaires à relancer la croissance tout en permettant un plan de rigueur ? Personne et surtout pas les challengers du président actuel.

Alors, qui choisir ?

Il ne faut pas tomber dans le travers des « propositions », une candidature n’est pas un catalogue de vente où chacun choisit sa tenue de saison en fonction du seyant et des couleurs. La présidentielle française reflète le système monarchique du régime, issu de l’état d’esprit autoritaire de la société. La France est terre de commandement, comme le disait Michel Crozier, et les électeurs veulent un commandant.

L’élection se fait donc sur la personnalité avant tout, ensuite sur l’équipe, et seulement au bout sur les idées directrices d’un programme d’avenir. Faites votre choix…

Nicolas Sarkozy a la légitimité du sortant mais l’usure de l’agité incohérent qu’il s’est montré. Il est énergique, surtout dans les sommets internationaux, mais peu habile en politique intérieure. Il a surtout désacralisé la fonction présidentielle avec ses bonnes femmes, ses propos vulgaires, son népotisme et sa manie de s’occuper de tout. Peut-il être le Sauveur qu’il joue alors que le volontarisme politique a peu de prise sur les trente ans de laxisme et d’inertie économique ? Peut-il unir alors qu’il adore diviser ? Peut-il mettre en œuvre cette politique de l’offre qu’il avait promise et dont il n’a rien commencé, dont la France a plus que les autres besoin et que l’Allemagne a mis dix ans à réussir après la réunification ?

François Hollande a la légitimité du challenger mais la mollesse apparente de qui ne sait pas gérer son équipe, décider sans cafouillages et régner sans cacophonie parlementaire incompatible avec la Vème République ? Que d’erreurs de campagne ! La négociation d’épicier avec les Verts intégristes pour acheter des places ; le chiffre de 60 000 profs à vie lancé comme ça alors que la dette est devenue insupportable ; la confusion sur le quotient familial qu’on peut certes réformer mais avec une précaution de porcelaine puisqu’il touche à l’un des seuls avantages qui reste à la France : sa démographie. L’équipe fait revenir les archéos, adeptes de l’État stratège et du meccano industriel, et les yakas qui pensent malgré eux que « les riches » sont la vache à lait qu’il suffit de traire pour régler tous les problèmes. Hélas ! Les riches ne sont pas assez nombreux pour que la dette s’annule et que la dépense publique puisse reprendre à guichets ouverts, comme l’a dit et redit, chiffres à l’appui, Thomas Picketty, pourtant spécialiste fiscal du PS et adepte de la redistribution fiscale… Avec un nouveau bouc émissaire commode : la finance. Tout ce qui évite de poser les problèmes qui fâchent de l’organisation d’État et des féodalités auxquelles on ne veut surtout pas toucher : énarques inspecteurs des finances (Haberer, Messier, Bouton), syndicalistes ripoux sûrs de l’immunité (Seafrance après bien d ‘autres), lobby pharmaceutique, cumulards de la fonction publique, etc.

Marine Le Pen a quitté le national-socialisme pour un ethno-socialisme Canada-dry sans les détails de l’histoire. Elle présente une cohérence hors des partis traditionnels qui fait illusion parce que tout se tient : sortie de l’euro et des traités, fermeture des frontières, obligation de travailler et de consommer français, mobilisation citoyenne contre tout ce qui est « étranger ». Ce bunker idéologique peut séduire les primaires déboussolés que les partis traditionnels ont abandonnés (ouvriers, paysans, tradis), cela s’est vu dans les années 30. Mais pour quel avenir ? Celui de la Corée du nord ? Celui de la Grèce ? Celui de la Hongrie ? de la Russie ?

François Bayrou est le bête qui monte, qui monte, celui qui joue les candides avec son « je-vous-l’avais-bien-dit » sur la dette, la dérive marketing du pouvoir, le bling-bling. Il offre une personnalité apaisée, terrienne et morale, un pansement à l’ego bien malmené des Français. Mais il est seul, volontairement sans parti. Son État sobre, sa promesse de gouvernement exemplaire et d’union des bonnes volontés peut rallier les déçus du sarkozysme comme les déçus du gauchissement socialiste. L’idéal pour lui serait que Nicolas Sarkozy s’effondre dans les sondages et qu’il ne se représente pas, ou bien que le premier tour mette Marine Le Pen et lui-même en lice.

Les autres candidats sont marginaux, même Mélenchon dont le discours jacobin tout-politique n’attire pas, trop décalé avec ce que les Français sentent qu’il faudrait faire. La clé des élections sera moins « le peuple » que les classes moyennes, désormais touchées par les excès du libre-échange et qui vont se voir fiscaliser un peu plus pour rembourser cette dette que tous ont laissé monter depuis 1974. Leur problème est moins d’éradiquer les riches que de les faire contribuer ; moins d’assister les pauvres que de donner un travail qui supprime la pauvreté.

Car comment vanter un « modèle social » avec 57% de dépense publique (la plus élevée d’Europe) mais qui laisse subsister 13% de gens sous le seuil de pauvreté ?

Les électeurs voteront probablement pour le moins pire, pas pour le meilleur. Surtout pas pour celui qui leur fera des promesses impossibles, selon les bonnes habitudes.

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Christiane Rochefort, Printemps au parking

L’histoire est toute simple, écrite en 1969 dans la lignée de la libération de mai. Un adolescent, Christophe (16 ans ?) fugue parce qu’il n’a pas supporté une remarque insignifiante de son père. De la banlieue sud, il gagne Paris où il fait la connaissance de Thomas, étudiant. Après diverses péripéties naît entre eux l’amour.

La thèse est d’époque. Le fils du peuple élevé en grand ensemble par un ménage petit-bourgeois routinier et moraliste, doté d’une culture d’école primaire axée sur le devoir et le travail, s’évade brusquement, libéré par une pulsion printanière. L’intellectuel, ancien gauchiste un peu amer, végète dans ses études avec ses camarades, dans ce quartier latin rituel. L’arrivée de Christophe et de sa jeunesse apporte la candeur et l’élan que l’après mai 68 avait laissé disparaître. Tel un bon sauvage, il bouleverse par sa seule présence et par ses actes spontanés le nouveau confort moral et idéologique que s’est constitué Thomas. La passion, comme une folie dionysiaque, balaye le « vieil homme » et libère l’être.

La portée du message est immense. Nul besoin de lire Wilhelm Reich pour saisir la logique du désir libérateur. Il se révèle ici avec efficacité et vraisemblance. L’Occident bourgeois parle pour masquer la frustration constante de ses désirs élémentaires. Le discours même le plus gauchiste reste idéologique, masqué d’illusion morale. Seule l’action libère car elle est vérité, et la vérité est toujours révolutionnaire. Le refoulement bourgeois est si profond que l’action n’apparaît pour la société que comme compensation ou sublimation des désirs – mais ceux-ci restent de toute façon refoulés. La puissance apparente devient le dérivatif de l’impuissance sexuelle. La frustration, selon l’auteur, se transmute en oppression physique, sadique, militaire et économique, justifiée par l’idéologie technocrate.

Cette domination de la nature dont nous sommes si fiers, maîtrise et possession selon Descartes, serait-elle la compensation sublimée de nos désirs sexuels insatisfaits ? Le schéma est un peu simple, Reich était aussi obsédé que Freud par le sexe. L’après 68 adorait provoquer mémère en étalant du sexe sur toutes les pages. Mais le dilemme jouissance ou puissance apparaît comme un faux dilemme. L’homme n’est pas naturellement bon, même ses désirs sexuels pleinement satisfaits (pour autant que cela soit possible). La marée pulsionnelle libératrice n’a pas fait de nous des Indiens préhistoriques heureux au sein de mère Nature.

Cela, ce n’est pas le livre qui le dit, même s’il le laisse entendre par la bouche de Thomas toute emplie d’idéologie. Les mots ne sont pas les choses et les classiques soixantuitards ne sont pas des bibles. Il biaise en citant Socrate, le modèle du philosophe selon Maurice Clavel, fort à la mode ces années là (et complètement oublié depuis… comme quoi le médiatique n’est pas le talent). Le sage agit avant de discourir et son enseignement est moins construction de mots (idéologie des sophistes) qu’accouchement de connaissances (donc chemin révolutionnaire).  De nos jours, en Occident, nous n’avons plus de Socrate. Les philosophes ne sont plus hommes d’action mais tenants de postes d’État, poseurs dans les médias. La lumière ne peut donc plus venir des discours mais des désirs, elle ne peut plus émaner des professeurs adultes en sagesse, mais des adolescents du peuple, restés sauvages et encore innocents.

Christiane Rochefort, qui se disait communiste (elle est décédée en 1998 à 81 ans), va loin dans la remise en cause du parti comme guide éclairé des masses prolétaires. Elle lance les culottes par-dessus les moulins pour déclarer tout uniment que la connaissance est amour. Non pas l’amour à la platonicienne repris par les chrétiens, épuré, essentialisé, déifié – mais l’amour humain fait de désirs, de tendresse et d’attention, tout de chaleur et de peau, de frottement d’épidermes et d’éclatements liquides – l’amour matérialiste.

‘Printemps au parking’ excite les mineurs à la débauche, ce qui signifie désapprendre la volupté impuissante des mots pour retrouver les mots vrais issus de la volupté charnelle. C’est dire aussi qu’une autre éducation est possible.

Christiane Rochefort, Printemps au parking, 1969, Grasset 1998, 323 pages, €9.02

Christiane Rochefort sur Wikipedia

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Ce qui se révèle de l’ex-candidat Strauss-Kahn

La chute du candidat potentiel libère la parole – et pas seulement des femmes. On apprend ainsi ce que l’on n’aurait jamais su des pratiques du parti qui se dit le plus vertueux de France : la manipulation. Le Congrès de Reims et le recomptage léniniste des votes en faveur de Martine Aubry n’était pas qu’un écart… Les déjeuners secrets avec la presse sont-ils l’autre scandale de l’affaire DSK ? Strauss-Kahn avait convoqué en rendez-vous secrets certains journalistes d’organes de gauche pour qu’ils fassent allégeance et soutiennent activement sa campagne. Marianne, le Nouvel Observateur et Libération ont été arrosés en trois déjeuners ‘off’ dans de grands restaurants parisiens. Denis Jeambar, dans Marianne, vend la mèche… mais bien tard, une fois le loup renvoyé en tanière.

Le métier de journaliste n’en sort pas grandi, pas plus que les mœurs politiques, restées très féodales dans ce pays qui se veut constamment « révolutionnaire ».

Le métier de politicien socialiste non plus. Ce sont ses étudiants de Science Po qui ont assisté médusés à un cours sur le travail et le salaire minimum, et à des propos télé le même soir à l’inverse. C’est qu’il n’est pas politiquement correct au parti socialiste de déclarer que le SMIC est trop haut en France, qu’il pèse sur les salaires juste au-dessus et sur la compétitivité du pays. Entre théorie économique et discours politique, Dominique Strauss-Kahn avait parfaitement assimilé l’hypocrisie nécessaire. Il avait le cynisme du parfait socialiste prêt à tout dire pour arriver au pouvoir, tout en n’en pensant pas moins. La « pensée de gauche » – si tant est qu’il y en ait une en France – n’en sort pas grandie.

De même la référence aux « valeurs républicaines », si souvent affirmées, sont-elles le plus souvent du théâtre. La pratique ne résiste pas aux tentations communautaristes.

On se pose en multiculturel, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, dans la lignée droitdelhommiste d’égale dignité de tous. Voilà qui est très libéral, sens XVIIIème siècle et j’y adhère complètement. Sauf que les femmes sont une espèce soumise, si l’on observe les pratiques de ces messieurs habitués des suites et des ors républicains. Sauf que les indigènes de la république sont renvoyés à leurs différences, tout écart de leur part à la norme dite républicaine étant solidifié en pratique culturelle, particularisme cultuel ou coutume traditionnelle. Ce multiculturalisme bobo, qui n’a rien du regard ethnologue, dépolitise en figeant les différences. Il n’y a rien à faire, tout est ethnique, aucune politique particulière à mener, c’est culturel. L’autre est enfermé dans son origine originale, conservé en indigène irréductible.

C’est la même chose à l’extrême droite avec l’irrédentisme gaulois, celui qui « résiste encore et toujours à l’envahisseur ». Comme s’il existait encore un « peuple gaulois » conservé dans la glace, différent de l’italien du nord, du germain de l’est, de l’anglais du nord et des celtibères de l’est… Le Gaulois est sommé de respecter une « identité française » dont on a peine à savoir ce que c’est.

Les intellos rejettent le multiculturalisme anglo-saxon sous le nom de communautarisme. Ils revendiquent l’intégration à la française. Le cosmopolitisme universaliste est une composante de l’esprit des Lumières, donc appartient à l’esprit français. Mais certains n’ont pas peur de la schizophrénie : ils vilipendent tout ce qui est américain ou anglais, communautarisme, ultralibéralisme comme mondialisation… mais s’empressent de l’adopter candidement s’il sert leurs intérêt immédiat. Tel le lobby juif à l’œuvre dans l’affaire DSK. Nous savons qu’il existe un lobby officiel aux États-Unis ; nous ne savions pas qu’il en existait un occulte en France. Or nous avons tous entendu le chœur des intellos-médiatiques qui se revendiquent juifs défendre le fils de famille sur les télés françaises, comme s’il suffisait d’appartenir à la communauté pour être de facto vertueux. Être juif n’a rien de déshonorant et nombre d’envieux sont antisémites faute d’avoir réussi comme les bons élèves. Mais pourquoi revendiquer l’intégration républicaine, haïr le communautarisme s’il est musulman… mais le pratiquer ouvertement pour soi ?

L’avocat newyorkais de DSK, Benjamin Brafman, revendique son appartenance à la religion juive orthodoxe. Que vient faire la religion dans une affaire de mœurs ? Est-ce que la seule croyance en une religion du Livre expliquerait que les femmes soient dominées et sans leur mot à dire ? Il va plus loin en confiant ses propos sur l’affaire non pas à un journal français comme Le Monde, Le Figaro ou Libération, mais à… Haaretz, quotidien israélien. Que vient faire Israël dans ce procès qui met en cause un citoyen français sur le territoire américain ? Il faut certes y voir une tactique judiciaire qui consiste à détacher DSK des préjugés yankees à l’égard des Froggy bastards, tout en agitant la compassion de la minorité juive américaine, mais imagine-t-on les dégâts dans l’opinion française ? Dominique Strauss-Kahn se trouve extradé de sa culture et de son pays, au profit d’une ethnie mondialiste particulière, qui est montrée pouvoir s’installer ici ou là sans être attachée nulle part…

J’aimais assez l’homme, que j’ai pu rencontrer ici ou là dans des colloques, son intelligence aiguë, son sens de la mesure, sa vision globale. Peut-être aurait-il été un bon président pour la France, donnant les grandes impulsions que ses ministres auraient mises en œuvre. Mais l’expression affichée de ce multiculturalisme-là par son entourage est une forme de racisme qui consiste à dire, qu’on le veuille ou non, « je ne suis des vôtres qu’en partie, je suis avant tout de mon clan ».

Manipulation en sous-main, discours idéologique pour plaire aux militants, refuge communautaire quand sa vertu est attaquée, certitude absolue d’avoir raison et de n’être jamais « coupable » de rien : l’état d’esprit léniniste, ce bunker de la pensée, a décidément beaucoup de mal à lâcher les consciences des hommes de gauche français.

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Platon, Le Banquet

Il faut relire, l’âge mûr venu, l’un des maîtres de sagesse : Platon. Non pour se mesurer à Agathon, jeune auteur de pièce, ni à Aristophane, comique universellement connu, ni à Alcibiade, bel adolescent devenu grand politique, ni à Socrate, de laide apparence mais de haute vertu. Il s’agit plutôt d’aller contre le courant de notre époque pressée et machinale, où l’on sait de moins en moins parler, où les mots-étiquettes prennent la place des mots-qui-expriment.

En notre temps, le jargon et le slogan supplantent le dialogue, ce qui fait que nul n’écoute plus guère personne. Les mots deviennent du vent, les phrases de l’air chaud émis, comme disent joliment les Anglais qui sont observateurs aigus des travers latins. « On » se pose, « on » manifeste, « on » braille : où est la parole dans cet histrionisme ? Où est la personne dans cet anonymat du « on » ? Où est le dialogue qui fait avancer la vérité ? Où est le débat démocratique, pourtant né en Grèce il y a deux millénaires et demi ? Où est l’intérêt pour l’autre, tout simplement, que manifeste l’écoute dans la parole alternée ? Qu’a donc à nous « dire » le narcissisme des grèves corporatistes ? Le sempiternel « moi-je » télévisuel et les rodomontades politiciennes en miroir ? L’autisme des « yakas » militants ? Les beuglements hormonaux des geeks à réaction, dans les commentaires de blog ?

La vertu des Grecs antiques est de nous le rappeler : l’être humain est doué de raison, donc « animal politique ». La vertu du ‘Banquet’ de Platon est de nous faire souvenir (près de 2400 ans après avoir été écrit) qu’un bon repas et du vin en abondance ouvrent la bienveillance du cœur comme l’agilité de l’esprit aux discours. La parole, sur le thème de l’éros, permet d’approcher la sagesse. L’« éros » et non pas « l’amour », comme le tropisme chrétien fait trop souvent traduire. Éros dépasse la simple liaison physique et affective entre deux êtres animés pour se présenter comme un lien fondamental de la nature. Éros est un intermédiaire entre les hommes et les dieux, une énergie qui pousse à sortir de soi pour aller vers les autres. Energie du ventre, du cœur et de l’esprit qui fait sortir de l’instinctif, extirpe de la bêtise animale pour s’élever à la connaissance extrahumaine. Cela va bien au-delà du sexe comme du sentimentalisme rose !

Le banquet est un rite social où les convives apaisent leur faim par des mets et spiritualisent l’aliment par le vin. Le thème choisi de « l’éros » remue les passions, les fait s’entrechoquer dans les relations personnelles, tout en médiatisant le désir par la parole. La logique du langage aboutit à la connaissance, rapport individuel à la vérité, ouverture de l’esprit. Du rite social de masse est née la relation personnelle entre amis choisis. De la parole naît le rapport de chacun avec la philosophie. Aliments, passions, sagesse : du rassasiement des sens à l’affectif amical puis à la joie spirituelle – telle est l’économie du bien-vivre que nous propose Platon.

Il nous emmène chez Agathon par un prologue où un convive raconte, des années après, ce que lui a rapporté un autre. Humour platonicien de ce « jeu du téléphone ». Mais la vérité en surgira, toute nue et toute crue, belle comme un diamant ou comme Éros, l’éternel enfant vif entièrement nu. Seule la vertu, la beauté, le bien peuvent ainsi perdurer, sans fard ni voiles, inaltérés malgré les intermédiaires.

Une introduction campe le décor et les personnages. Platon ne décrit pas les hommes par ce qu’ils sont mais parce qu’ils disent et font. L’apparence ne compte pas, ni la Situâââtionn (comme écrivait Céline qui se moquait des vaniteux franchouilles). Seules les actions et les œuvres sont à considérer. Leçon que devraient méditer nos Guignols qui paradent dans l’info alors qu’ils ne « produisent »… que du divertissement de cirque. Suivent au Banquet sept discours tout en gradation, allant du plus évident au plus subtil, du partiel au général.

1. Phèdre, le premier à parler, décrit Éros comme le dieu le plus ancien, né après Chaos et Terre.

2. Pausanias distingue deux fils d’Aphrodites différentes, la Vulgaire vouée à l’attraction des corps, et la Céleste orientée vers la vertu.

3. Éryximaque, médecin, élargit l’éros à la recherche d’harmonie entre toutes choses, à ce qui fait du bien, de la santé du corps à la vertu de l’âme.

4. Aristophane conte la parabole de l’androgyne séparé par Zeus en deux êtres sexués qui ne cessent désormais de rechercher avec passion leur moitié perdue pour fusionner.

5. Agathon, l’amphitryon, décrit Éros comme beau, délicat et tempérant, qui encourage les relations.

6. Socrate souligne que l’éloge n’est pas vérité et que lui ne parlera d’éros que comme élément de sa recherche. Éros n’est pas un dieu mais un intermédiaire (daimon), il n’est pas un état mais une recherche, pas un destin (le coup de foudre) mais un mouvement (l’apprivoisement érotique). Il aiguillonne tous les êtres à établir leur immortalité. Le plus courant est par la procréation d’enfants, de façon plus élevée par la production d’œuvres. Les plus belles seront les fils spirituels formés par l’enseignement de la vertu.

7. Arrive enfin Alcibiade ivre (il dit donc la vérité) qui se lance dans l’éloge mesuré de Socrate, son maître, dont il était amoureux jeune garçon. Tempérant, courageux, maître de ses passions, le vieux Silène a pris le bel éphèbe par les sens, à quinze ans, pour l’attacher au cœur et lui élever l’âme – et le conduire à l’âge adulte, bientôt père et citoyen. La philosophie est enchantement de la raison, passion spirituelle, bien-vivre par exercice de la mesure en toutes choses. Telle est la vertu de l’amour, l’éros.

L’épilogue, comique, fait interrompre le banquet par de nouveaux buveurs et par la fatigue.

Le livresque Phèdre, le procédural Pausanias, le doctoral Éryximaque, l’imaginatif Aristophane, le sophistiqué Agathon apparaissent comme autant de prologues au grand Socrate. Ils représentent des façons partielles d’user de la raison. Le seul qui soit ondoyant, familier, logique et élevé « à la fois » est Socrate. Il allie plaisirs, passions et raison en un tout maîtrisé : il est pleinement homme. Alcibiade, dans son panégyrique truculent et énergique, avec sa fougue de jeune homme, en trace le portrait en creux. Après le discours même du philosophe (qui s’efface derrière Diotime, prêtresse), l’image restée de son enseignement chez un adolescent ouvert à tout complète et éclipse les apprentis raisonneurs, mais gentiment.
Socrate est un « maître » de sagesse, comme on dit un maître ès arts martiaux. Il ne fait pas un exposé doctoral, il écoute et dialogue ; il ne présente pas une thèse, il se présente lui-même – homme accompli – dans l’exercice de sa faculté de raisonner. Il interroge un interlocuteur, il lui répond, il choisit les termes les plus exacts. Il fait préciser si nécessaire et procède par étape. Ainsi accouche-t-il de l’argumentation. Il ne la présente pas tout armée aux convives, ses partenaires. Comme l’amour, la parole relie ; les mots s’emboitent les uns dans les autres en rythme, leur logique séduit et attache. Comme l’amour, c’est par l’exemple que s’élève l’animal politique à l’humanité, elle qui aspire aux dieux.

Les discours successifs sont chacun un progrès car tous écoutent et adaptent leur propre parole à ce qui s’est déjà dit. Nous sommes loin de l’autisme des « réactions » épidermiques, émotionnelles et superficielles de tant de commentaires de blogs. Loin du désir infantile d’être « d’accord », en fusion, dans la même bande, au chaud dans un cocon qui dispense de penser. Loin aussi de la dérisoire « motion de synthèse » de certains partis que dénonce d’un trait la parole d’Érixymaque : « encore une fois, ce qui s’oppose et n’est point concilié ne peut constituer un accord. » (§187).

L’ensemble des discours du Banquet est un et multiple, tout comme éros, tout comme l’amour humain. Éros élève de la matière à l’être, il la chante, l’enchante et la fait exploser ; il pousse à procréer, à affectionner et à créer. Il part de la satisfaction des besoins animaux pour animer les grandes actions puis inspirer inventeurs, politiques et poètes. Son énergie est la vie, donc éternellement jeune, éternellement renouvelée, éternellement rayonnante. Tel est le « beau » puisqu’il est le « bien » – ce qui satisfait les instincts, la volonté et l’esprit, ces trois strates de l’homme que reprendront Pascal, Nietzsche et Freud. Comme le Bouddhisme, chacun peut l’exercer au degré d’initiation qu’il a atteint.

Socrate décrit les quatre étapes de l’ascension vers la connaissance :

1. dès le plus jeune âge, l’attirance vers un beau corps permet d’enfanter de beaux discours

2. il est ensuite inévitable de reconnaître que la beauté réside en plusieurs corps

3. ce qui aboutit à préférer la beauté des âmes à celles des apparences physiques

4. mais seule la Beauté en soi, mathématique de la nature et harmonie de la musique, ouvre à la mesure, à la vertu, à la sagesse.

Platon se consacrait à la formation de bons politiciens en charge du gouvernement des hommes. Il s’agissait de mettre sa raison (logos) au travail (poien) pour ordonner (cosmos) la cité (polis). Le vrai bien est un équilibre harmonieux entre les pulsions, les passions et les intérêts. Il s’agit d’une logique du ET, non pas du OU (encore moins du stupide ‘et/ou’, logiquement fausse et tellement à la mode chez les ignares !). Mais avec tempérance dans l’usage des contraires – et dialectique (c’est-à-dire mouvement) pour surmonter les contradictions. Les passions remuent des sentiments, la volonté engendre des conflits et nécessite des choix, seule la raison rend les choses intelligibles et fait surgir la vérité du moment. Mais la raison pure délire, elle n’est rien sans son socle instinctif et passionnel.

Socrate : « Toutes les fois qu’il arrive à l’être fécond de s’approcher d’un bel objet, il en ressent du bien-être, dans sa joie il s’épanche, il enfante, il procrée. Mais quand c’est d’une laideur alors, d’un air sombre et chagrin, il se pelotonne, il se détourne, il se replie sur lui-même et, au lieu de procréer, il garde sa fécondité, il en porte douloureusement le poids » (§206).

Ce pourquoi il est indispensable à chacun de pratiquer l’hygiène de l’esprit :

• aller voir, mais ne pas se polluer longtemps avec la laideur morale, l’intempérance, la passion débridée.

• ne pas lire certaine presse, ne pas regarder la télé-poubelle, ne pas écouter les discours des faux-jetons,

• laisser beugler les manifestants,

• sélectionner ses blogs et éradiquer les commentaires haineux.

Socrate reste toujours lucide, malgré le vin, Alcibiade atteste que personne ne l’a jamais vu ivre. La vérité ne lui monte pas à la tête parce qu’il sait se garder. A nous de faire de même. Quant aux autres, « les ignorants ne s’emploient pas à philosopher et ils n’ont pas envie de devenir sages » (§203). Tant pis pour eux.

Platon, Le Banquet (suivi de Phèdre), Garnier-Flammarion poche GF, 217 pages

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Véritable histoire d’Alcibiade

L’éditeur traditionnel des traductions de textes gréco-romains ‘Les Belles Lettres’ a eu la judicieuse idée de créer une collection de poche pour présenter les grands personnages de l’antiquité. Recyclant les traductions du grec et du latin, les auteurs font une compilation des textes qui parlent des hommes illustres avec quelques phrases de lien, à la manière des moralistes latins. Sont déjà parus Caligula, Périclès, Alexandre et Marc Aurèle, suivront Constantin, Julien, Hannibal, César et d’autres. Voici Alcibiade. Il est célèbre surtout grâce à Platon, qui l’évoque dans ‘Le Banquet’ car Socrate en était amoureux.

Alcibiade était Athénien, descendant du fameux Clisthène et cousin du non moins fameux Périclès. Clisthène a fondé la démocratie athénienne en 510 avant, quant à Périclès, il devint chef du parti démocratique en 459 et fit orner la cité de monuments après avoir établi la puissance navale et soumis l’Eubée et Samos. Cousin germain de sa mère, il adopte Alcibiade lorsqu’il a cinq ans, à la mort du père tué à Coronée contre les Béotiens.

Le gamin, parmi ses cousins, n’a de cesse de briller et de se faire reconnaître comme le plus aimé. Il est d’une particulière beauté et le restera à tous les âges. Les femmes comme les hommes se pâment devant lui. Tout petit, il séduit déjà et gardera volontairement les cheveux longs, en crinière. Encore enfant, rapporte Plutarque, « Alcibiade s’enfuit de la maison chez Démocratès, un de ses amants ». L’éphébophilie n’avait pas ce caractère hystérique de notre siècle américano puritain. Les jeunes Grecs étaient volontiers admirés, caressés et embrassés depuis la puberté jusqu’à la première barbe. La différence avec notre époque est qu’il ne s’agissait ni d’exploitation sexuelle ni de marchandisation de la chair, mais d’un hommage à la fertilité et d’une initiation à la citoyenneté par les relations sociales prestigieuses. Le plaisir n’était pas tabou en cette ère préchrétienne, mais selon la maturité et en respectant l’honneur du mâle libre, sous l’œil public de la société. Être aimé flattait l’éphèbe et l’amant s’efforçait d’en être digne en l’élevant aux belles vertus de la cité. Elles étaient militaires et civiques. Il s’agissait d’être fort et souple, habile aux armes de jet et de traits, et fidèle à ses compagnons au combat. Il s’agissait aussi d’être intelligent et diplomate, habile à l’argumentation et aux discours pour convaincre l’assemblée et entraîner les hommes.

Faute de père, Alcibiade est prêt à tout pour qu’on parle de lui, mais il a une bonne nature. C’est elle que reconnaît Socrate, sous les apparences trop brillantes de jeune dieu. Riche, Alcibiade se débauche et se pare, s’enivre et fait la fête, entraînant autour de lui une couche d’oisifs de son âge qui l’admirent. Ce qui ne l’empêche pas d’être courageux, entraîneur d’hommes à la guerre, négociateur retors et apte à s’adapter à tous les milieux. Le luxe n’est pas pour lui une nécessité de dandy, mais une façon d’être aimé. Il recherchera toute sa vie cet amour qui lui a manqué, père mort et mère effacée. Il couchera adolescent avec des hommes, ce qui ne l’empêchera nullement d’avoir le goût des femmes une fois adulte. Il se mariera avec le parti le plus riche d’Athènes, aura un fils qu’il prénommera comme lui Alcibiade, et engrossera même la reine de Sparte, au grand dam du roi parti en guerre qui le fera tuer, à 47 ans.

Sa relation avec Socrate est restée « platonique », dit-on. Le philosophe, laid et volontiers adepte du renoncement et de la sublimation, vénérait la beauté morale plus que la physique, ce qui ne l’empêchait pas d’admirer l’éphèbe. Alcibiade, vers quinze ans, a voulu le séduire en couchant nu contre lui, l’enlaçant sous leurs manteaux, dans le même lit. Mais « je me levai après avoir dormi aux côtés de Socrate, sans que rien de plus extraordinaire ce fut passé que si j’avais dormi près de mon père ou de mon frère aîné », dit-il au Banquet (219 b-e). « Il est le seul homme devant qui j’ai honte » (216 a-c), son père de substitution, en quelque sorte. Plutarque note qu’il était encore adolescent à l’expédition de Potidée. Il appartenait à la tente de Socrate. Durant la bataille, blessé, Alcibiade était tombé à terre et Socrate se plaça devant lui pour le protéger. C’est ce que rappelle Alcibiade dans ‘Le Banquet’ en rendant hommage à son vieux maître. A 19 ans, il y gagne le prix de la valeur au combat. Huit ans plus tard, il rendra la pareille à la défaite du Délion, protégeant physiquement la retraite de Socrate. Le vieux philosophe l’a sans doute rendu meilleur en rabaissant son orgueil et lui donnant exemple des vertus qu’il pouvait receler.

Poussé par sa popularité et la réputation de sa famille, Alcibiade entre en politique à 26 ans pour renforcer les moyens financiers d’Athènes. Ses ennemis l’ont accusé de s’être empli les poches, mais Alcibiade, s’il était flambeur, n’était pas avare ; il préférait sa réputation à la richesse. A 31 ans, il est élu stratège, il conclut avec Argos une alliance contre Sparte. Ce qui le conduit, à 36 ans, à encourager l’expédition de Sicile contre Syracuse, alliée de Sparte, en faveur des Léontins.

Ses ennemis, jaloux de sa beauté et de son succès, l’accusent alors de blasphème, d’avoir martelé les bornes d’Hermès et mimé en parodie les Mystères d’Éleusis. L’appel aux convenances religieuses est toujours le dernier recours des envieux emplis de ressentiment, sous toutes les latitudes et en toutes les époques. Le peuple, volage et entrepris par des démagogues, va rappeler Alcibiade et celui-ci jugeant que la lutte est biaisée, s’enfuit à Sparte. Il aide la cité à combattre ces Athéniens qui l’ont rejeté sur des accusations fantaisistes et saisi ses biens. Mais, lorsqu’Athènes se trouve en difficulté, Alcibiade se fait des alliés et gagne des batailles pour la cité. Il y fait son retour avec succès, adulé par ce peuple à la tête de linotte. Peuple tellement arrogant et sûr de lui que son déclin historique commence…

L’habileté d’Alcibiade, et son caractère résolument moderne, est son relativisme. Formé à la dialectique par Socrate, il sait que le discours peut faire dire tout et son contraire. Sa pensée, dès lors, est toute pratique. « La démocratie, nous savions, nous les gens sensés, ce qu’elle vaut », rapporte de lui Thucydide. Mais être aimé de tous est l’ambition d’Alcibiade, ce pourquoi il préfère la gloire de sa cité à ses intérêts matériels. Il n’a jamais tenté un coup d’état et ce fut même lorsqu’il était en exil que les Athéniens ont choisi les oligarques. Mais il se méfie de l’exemplarité des « lois » car celles-ci, disait-il à son père adoptif Périclès, sont la règle définie par le pouvoir – pas toujours par la conviction du plus grand nombre. C’est donc la loi de la nature qui s’impose, pas celle de la raison.

Voilà l’ambigüité de la démocratie athénienne, pas encore moderne : elle confond les deux. Platon le dit admirablement dans le Gorgias (cité p.156) : « Nous formons les meilleurs et les plus forts d’entre nous, que nous prenons en bas âge, comme des lionceaux, pour les asservir par des enchantements et des prestiges, en leur disant qu’il faut respecter l’égalité et que c’est en cela que consiste le beau et le juste. Mais qu’il paraisse un homme d’une nature assez forte pour secouer et briser ces entraves et s’en échapper, je suis sûr que, foulant aux pieds nos écrits, nos prestiges, nos incantations et toutes les lois contraires à la nature, il se révoltera, et que nous verrons apparaître notre maître dans cet homme… »

Claude Dupont, La véritable histoire d’Alcibiade, 2009, Les Belles Lettres poche, 176 pages, €12.35

Voir aussi Jacqueline de Romilly, Alcibiade, 2008, Texto Tallandier, 275 pages, €7.60

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