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D.H. Lawrence, Femmes amoureuses

Un roman écrit « sept fois » , coupé en deux, et dont la première partie L’Arc-en-ciel a été censurée lors d’un procès pour indécence de la part de l’évêque de Londres, en vertu d’une loi de 1857. L’auteur de moins de 30 ans décrit l’activité sexuelle à une époque où le conflit mondial pousse la moralité publique à se rigidifier. Il faudra encore quatre ans pour que la seconde partie, qui deviendra Femmes amoureuses, puisse enfin être éditée, après moult corrections et révisions, et d’abord aux États-Unis, à 1250 exemplaires seulement, avant le succès. L’édition anglaise de 1500 exemplaires, ne suivra que précautionneusement, l’année suivante, la critique trouvant le roman « absurde », voire « une abomination ». C’est que la religion, la bourgeoisie et le qu’en-dira-t-on ne badinent pas avec les convenances victoriennes. Et ce n’est qu’en 1960 qu’un nouveau procès à propos d’une œuvre ultérieure de l’auteur, L’amant de Lady Chatterley, balayera – enfin ! – ces réactions d’un autre âge.

« Ce roman ne prétend être qu’un témoignage sur les désirs, les aspirations et les luttes de son auteur : en un mot, un récit des plus profondes expériences du moi. Rien de ce qui vient de l’âme profonde et passionnée n’est mauvais, ni ne peut être mauvais. Il n’y a donc aucune excuse à présenter, sauf à l’âme elle-même, si l’on a donné d’elle une image mensongère. » C’est ainsi que l’auteur tente de se justifier dans un Projet de préface en 1919. Il est vrai que le roman parle du désir, de « l’amour », de ce qu’il est et de ce qu’il devrait être, l’ensemble de l’histoire baignant constamment dans une atmosphère érotique.

Deux jeunes femmes de 30 ans, déjà présentes dans L’arc-en-ciel, Ursula et Gudrun, songent à « s’établir » en société. Ce qui signifie, outre le métier, qu’elles exercent, plus ou moins le mariage. Pas d’autre fin dans la société chrétienne bourgeoise anglaise pour les filles. C’est qu’en l’absence d’avortement autorisé et de pilule pas encore inventée, tout « écart » peut engendrer un bébé, donc dévaluer la personne et la mettre au ban de la « bonne » société respectable. Sauf que l’émancipation est venue aux filles avec le siècle, Ursula enseigne en primaire tandis que Gudrun sculpte et dessine, artiste à peu près reconnue dans les milieux londoniens. Pas question, donc, de devenir des bobonnes assignées aux mômes, à la cuisine et à l’église. Toutes deux portent des prénoms wagnériens et sont adeptes de la volonté nietzschéenne, que l’auteur prisait fort.

Elles vont jeter leur dévolu, dans leur province minière aux alentours de Nottingham, sur deux hommes à peu près de leur âge, Rupert Birkin, inspecteur des écoles, qu’Ursula côtoie professionnellement, et Gerald Crich, fils aîné du patron des houillères locales, que Gudrun attire physiquement. Les deux jeunes hommes sont amis, et même « amoureux » l’un de l’autre, dépassant le magnétisme du corps pour viser la fusion des âmes.

Le corps, l’esprit, ne sont que des concepts ; dans la réalité des êtres, ils ne peuvent être dissociés. « Et elle sut, avec la clarté du savoir suprême, que le corps n’est que l’une des manifestations de l’esprit, la transmutation de l’esprit intégral inclut aussi la transmutation du corps physique » p.204. Conception très nietzschéenne, que l’auteur fait sienne, et qu’il décline chez les deux sexes. « Oh, la beauté de ses reins soumis, blancs et faiblement lumineux lorsqu’il grimpa sur le côté de la barque, cette beauté inspira à Gudrun une envie de mourir, mourir. La beauté de ses reins pâles et lumineux lorsqu’il grimpa dans la barque, son dos arrondi et doux… Ah, c‘en était trop pour elle, c’était une vision trop définitive. Elle le savait, c’était fatal. Le terrible désespoir du destin, et de la beauté, d’une telle beauté ! Pour elle, il n’était pas comme un homme, il était une incarnation, une grande phase de la vie » p. 192 Pléiade. Le corps a une aura qui attire, et le désir sexuel qu’il suscite est une étape vers le désir d’amour qui va plus loin. « Gerald s’approcha du lit et contempla Birkin dont la gorge était dévoilée, dont les cheveux en bataille retombaient de façon charmante sur son front chaud, au-dessus d’yeux si incontestés et si calmes dans ce visage satirique. Gerald, aux membres pleins et gonflés d’énergie, répugnait à s’en aller, il était retenu par la présence de l’autre homme. Il n’avait pas le pouvoir de partir » p.223. Gerald est un tombeur, sa beauté nordique, sa prestance musculaire, son aisance sociale font tourner les têtes des filles. « Gerald, qui maîtrisait à présent parfaitement la danse, avait à nouveau pour partenaire la cadette des filles du professeur, qui se mourait presque d’enthousiasme virginal, parce qu’elle trouvait son cavalier si beau, si superbe. Il la tenait en son pouvoir, comme si elle était un oiseau palpitant, une créature qui voletait, rougissante, aux abois » p.443.

Pour lui, la sexualité est une limite qui empêche d’aller au-delà du corps, vers l’âme. C’est un obstacle, la plupart du temps désagréable. « C’était le sexe qui transformait l’homme en moitié brisée d’un couple, la femme en autre moitié brisée. Et il voulait être une unité à lui seul, comme la femme serait une unité à elle seule. Il voulait que le sexe retournât au niveau des autres appétits, considéré comme un processus fonctionnel et non comme un épanouissement. Il croyait en un mariage sexuel. Mais par-delà, il voulait une union plus complète, où l’homme avait un être et la femme avait le sien, deux êtres purs, chacun constituant la liberté de l’autre, chacun équilibrant l’autre comme les deux pôles d’une même force, comme deux anges, ou deux démons. Il aspirait tant à être libre, et non sous la compulsion d’un besoin d’unification, et non torturé par le désir insatisfait » p.212. Pour elle, c’est au contraire l’amour qui est tout. « Elle croyait que l’amour surpassait de loin l’individu. Il disait que l’individu était supérieur à l’amour, ou à toute relation. Pour lui, l’âme brillante, isolée, acceptait l’amour comme une de ses situations, une condition de son propre équilibre. Elle croyait que l’amour était tout. L’homme devait se soumettre à elle, pour qu’elle pût le boire jusqu’à la lie. Qu’il fût entièrement son homme, et elle en retour serait son humble esclave, qu’il le voulût ou non » p.285. C’est cela qui est inacceptable pour Birkin, qui a quitté Hermione, trop dominatrice ; c’est aussi inacceptable pour Gerald, qui finira par presque tuer Gudrun pour échapper à son pouvoir, et fuira hors d’atteinte de ses rets. Laquelle Gudrun se pense comme Cléopâtre, la couguar dévoreuse d’hommes, à commencer par ses frères-maris dès 13 ans, les Ptolémée. « Cléopâtre avait dû être une artiste ; elle prélevait l’essentiel d’un homme, elle récoltait la sensation suprême, et jetait l’enveloppe » p.484.

Vampirisme féminin ou brutalité phallique, l’amour est une guerre des sexes, tandis que le mariage est une guerre des classes, et l’entreprise une guerre de domination sur la matière et sur les hommes. Tout est conflit, chez Lawrence. Il interprète la « volonté de puissance » de Nietzsche comme on le faisait en son temps pré-nazi, comme une volonté de domination. Alors que ce n’est pas cela, nous le savons aujourd’hui. De même, les amis s’affrontent, ils doivent être « les meilleurs ennemis » dit Nietzsche. C’est lorsqu’un troisième personnage intervient, comme un trublion, que la violence éclate. Ainsi Hermione avec Birkin, ou Loerke avec Gerald.

Ce que nous appelons « l’amour » est un combat, une lutte continuelle, où le désir physique de domination est roi, de l’aura magnétique des corps à la possession des étreintes et à l’imposition de sa volonté à l’autre. Homme comme femme. Gerald tente ainsi de posséder Birkin par la lutte japonaise. Les deux amis s’entraînent « nus » sur le tapis dans le salon, où ils ont poussé les meubles, porte verrouillée à cause des domestiques. « C’était comme si toute l’intelligence physique de Birkin et le corps de Gerald s’interpénétraient, comme si son énergie fine et sublimée entrait dans la chair de l’homme plus robuste, comme une puissance, ses muscles enfermant dans un filet étroit, dans une prison les profondeurs mêmes de l’être physique de Gerald » p.290. Fusion des corps comme amour des âmes. Gudrun est excitée par Gerald, fantasmant une absence complète de retenue licencieuse. « Elle se rappela les abandons de la décadence romaine, et son cœur s’embrasa. Elle savait qu’elle aspirait elle-même à cela aussi, ou à autre chose, à quelque chose d’équivalent. Ah, si se libérait ce qu’il y avait en elle d’inconnu et de refoulé, quel événement orgiastique et satisfaisant ce serait. Et elle le voulait, elle tremblait légèrement du fait de la proximité de l’homme qui se tenait derrière elle, suggérant la même noirceur licencieuse qui se dressait en elle. Elle la voulait avec lui, cette frénésie inavouée » p.308.

N’avoir que des relations entre sexes rend incomplet, inachevé, pense Birkin ; pas Gerald. « En fait, poursuivit Birkin, parce qu’on fait de la relation homme-femme la relation suprême et exclusive, c’est là qu’intervient toute la contrainte, la mesquinerie et l’insuffisance. (…) Il nous faut quelque chose de plus large. Je crois en une relation additionnelle parfaite entre hommes, additionnelle au mariage. (…) Gerald eut un mouvement de malaise. Tu sais, je ne sens pas cela. Il ne saurait y avoir entre deux hommes quelque chose d’aussi fort que l’amour sexuel entre un homme et une femme. La nature n’y fournit aucune base. – Eh bien, moi, je pense le contraire, évidemment. Et je crois que nous ne pourrons pas être heureux tant que nous ne nous serons pas établis sur cette base. Il faut se débarrasser de l’exclusivité de l’amour conjugal. Et il faut accepter entre deux hommes cet amour refusé. Cela offre plus de liberté pour tous, un plus grand potentiel d’individualité chez les hommes comme chez les femmes » p.380. Mais c’est Birkin qui va se marier, pas Gerald…

Un roman qui reflète le chaos de Lawrence, reflet du chaos de son monde, ce début du XXe siècle qui allait bouleverser les consciences, les mœurs, l’économie avec ses guerres mondiales, la perte des empires, l’émancipation de la religion – et la montée des individus.

En 1969, Ken Russell réalise Women In Love, un film tiré du roman.

David Herbert Lawrence, Femmes amoureuses (Women in Love), 1920, Folio 1988, 704 pages, €5,00

D.H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, Gallimard Pléiade 2024, 1281 pages, €69,00

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Henning Mankell, Le retour du professeur de danse

Les hantises du Millénaire : ce roman policier, écrit en 1999 et publié en 2000, ressasse le passé nazi de la Suède et ses réminiscences dans le présent. Il semble n’y avoir aucun futur, mais la répétition indéfinie d’un passé qui ne passera jamais. En décembre 1945, des tortionnaires nazis ont été pendus mais certains en ont réchappé ; en octobre 1999, cinquante quatre ans plus tard, un ancien policier suédois a été assassiné sauvagement. À sa retraite, il avait élu domicile en solitaire dans une région perdue comme pour se cacher, un chalet au milieu de la forêt dont le plus proche voisin était à une dizaine de kilomètres. C’est là que les ombres l’ont rattrapé, les ombres de son passé.

Son ancien adjoint à la police, Stefan Lindman, apprend l’assassinat de son collègue en même temps que son cancer à la langue. Tout s’écroule autour de lui, sa vie, sa fonction, son pays. Il voit la vie en noir mais n’a plus rien à perdre. Faute de mieux, pour oublier et s’étourdir, il décide de partir en voyage. Au lieu de Majorque initialement prévu, il décide au dernier moment de se rendre en voiture à l’autre bout de la Suède, dans le Härjedalen, pour voir la maison de son ex-partenaire de police, Herbert Molin.

Il n’est pas chargé de l’enquête, mais s’immisce dans celle en cours de la police locale. Lorsqu’il visite la maison du crime, en clandestin, une fois la police scientifique passée, il découvre des traces sanglantes sur le parquet. Elles dessinent un pas de tango. Quel rapport avec la victime, dénudée et fouettée à mort ?

De fil en aiguille, d’hésitations en faux départs puis en retours comme fasciné, Stefan va découvrir des traces de campement, interroger une mystérieuse femme solitaire elle aussi qui venait rendre visite à Herbert, découvrir le passé militaire, nazi dans la Waffen SS allemande, puis le changement de nom de son ancien collègue policier, ainsi que la face sombre de la Suède contemporaine. Y compris les idées de son propre père, qu’il n’avait jamais devinées. Il semble que le nazisme ait été florissant dans les années 1940. La fin de la guerre et la révélation des atrocités nazies n’ont fait que mettre un couvercle sur ce qui demeure le socle de convictions des gens dans les pays nordiques, pourtant présentés longtemps comme des modèles de social-démocratie. Le nationalisme raciste et xénophobe survit, non seulement dans les groupements néonazis de jeunes en déshérence, mais surtout dans une organisation secrète bien financée qui poursuit les buts hitlériens vers un Quatrième Reich.

Ce qui est intéressant, est que 25 ans plus tard, cette révélation d’auteur de roman policier paraît prémonitoire. Jamais le conservatisme xénophobe ne s’est mieux porté, en Europe comme dans le monde. Jamais le nazisme n’a resurgi aussi fort, surtout parmi les perdants de la Seconde guerre mondiale. C’est une ironie de l’histoire que les anciens « sous-hommes » slaves et juifs du nazisme, dans la Russie de Poutine et l’Israël de Netanyahou, aient pris « objectivement » (comme on disait chez les marxistes) des comportements de nazis, en Ukraine et à Gaza, au prétexte de sauver le pays, le lebensraum et la race.

C’est une longue enquête qui débute pour retrouver le meurtrier d’Herbert et celui de son voisin, tué lui aussi, mais par balles. Par le même tueur ? Il s’agit de découvrir les motifs, savoir s’il existe un ou plusieurs assassins. Le lecteur se plonge dans les affres des mauvais souvenirs de l’histoire, dans un paysage triste et gris d’hiver nordique où il semble que le futur de l’Europe s’abîme lentement.

Henning Mankell, Le retour du professeur de danse, 2000, Points policier 2007, 544 pages, €10,20, e-book Kindle €8,99

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Temple de Louxor à la nuit

Nous quittons Karnak pour Louxor où nous arrivons à la nuit qui tombe. Le soleil se couche rapidement et donne une belle couleur dorée au dromos, l’allée des sphinx, aux colosses illuminés, à la forêt de colonnes. Le temple a été construit sur la rive est du Nil à l’emplacement de l’ancienne cité de Thèbes en 1400 avant J-C. Il est dédié au dieu Amon mais aussi à Mout et Khonsou. Jadis, lors de la fête religieuse annuelle d’Opet, les statues des trois dieux étaient transportées du temple de Karnak au temple de Louxor par une allée de 700 sphinx, récemment restaurée. Une mosquée incongrue est bâtie au centre du temple et elle déverse sa litanie de prières par haut-parleurs dès le soleil couché. Ramsès II a ajouté les colosses et deux obélisques au temple d’Amon érigé par Amenhotep III, dont l’un a été donné à la France et trône sur la place de la Concorde.

Le temple de Louxor la nuit est beau. L’on n’y remarque moins les hordes touristiques alors que se détachent les colonnes dressées vers le ciel bleu sombre où, là-haut, commencent à briller les étoiles. Je retiens cette jeune Américaine blonde en short de jean vraiment très haut sur les cuisses et sa chemise nouée lâche sur son ventre nu. Elle est élancée et gracieuse dans la semi obscurité et ne pourrait se montrer plus déshabillée. Une baffe par elle-même aux rigoristes de l’islam – heureusement absents de cet endroit païen.

Nous reprenons la barcasse pour traverser et retourner à l’hôtel. Douche et rangement des affaires avant le dernier dîner comme hier : soupe de poulet, légumes tomates curry, salade, dessert de semoule sucrée.

L’hôtel Shéhérazade est recommandé surtout aux Français semble-t-il, car la terre battue de la rue qui y accède, entre des habitations populaires où jouent au foot des gamins pieds nus, peut rebuter les anglo-saxons. Mais le bâtiment est calme avec un jardin intérieur. Il a dû être beau il y a dix ans mais, comme tout en Égypte, il est mal entretenu. La rupture du tourisme dû à la pandémie y est certainement pour quelque chose, mais c’est avant tout un tempérament. Il y a aucun responsable effectif, aucun contrôle, tout se délite et on laisse faire. Nous sommes chambre 201 – qui est au premier étage, mesuré à l’anglaise. Les matelas sont bons. L’escalier est décoré de peintures naïves représentant les contes des Mille et une nuits puisque Shéhérazade en est l’héroïne principale.

Et puis c’est le départ pour Paris.

Le nouveau Grand Egyptian Museum n’est ouvert que depuis le 16 octobre 2024. Nous ne le verrons pas.

FIN

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A Single Man par Tom Ford

George Falconer (Colin Firth) est un professeur anglais d’université américaine qui aborde l’âge mûr. Il a perdu huit mois plus tôt l’amour de sa vie, son compagnon durant seize années Jim (Matthew Goode), décédé avec leurs deux chiens d’un accident de voiture lors d’une virée enneigée pour aller voir ses parents. C’est un ami de George qui l’a prévenu du décès, la famille n’ayant pas eu cette décence, réservant la cérémonie à l’entre-soi des « normaux ». Car George, le professeur de littérature, comme Jim l’architecte, sont gays. Dans ce début des années soixante, cela reste très mal vu, y compris en Californie.

George déprime et décide d’en finir avec l’existence. Il ne vit plus que comme acteur d’un rôle qu’il n’aime plus. Chaque matin, il se cuirasse d’une chemise blanche, d’une cravate noire et d’un costume bien sous tous rapports ; il entre dans sa vieille Mercedes coupé noire pour aller distiller ses cours. Mais, ce matin-là, malgré la grâce des jambes dansante d’une fillette voisine en robe rose très courte, puis des muscles roulant sur les torses nus des jeunes hommes qui jouent au tennis sur les courts universitaires, il ne se sent plus de continuer. Il n’est que masque, sans personne devant qui l’ôter. Cette solitude est le fond du film ; elle engendre une aliénation de soi, due à la société rigoriste, qui détache l’individu du rôle qu’il joue.

Devant ses étudiants, George commente un roman d’Aldous Huxley. Il les laisse dire avant de recadrer le débat sur la peur et les minorités ; il se garde bien d’évoquer les minorités sexuelles (ce n’est pas encore la mode, ni l’obsession d’aujourd’hui), mais parle plutôt des blonds ou des taches de rousseur. Un étudiant évoque « les Juifs », il évacue : ce n’est pas le sujet. Une minorité, c’est un concept bien plus vaste que sa réduction aux « Juifs ». « On ne pense à une minorité que lorsqu’elle constitue une menace pour la majorité. Une menace réelle ou imaginaire. Et c’est là que réside la peur. Si la minorité est en quelque sorte invisible, la peur est alors bien plus grande. C’est cette peur qui explique pourquoi la minorité est persécutée. Vous voyez donc qu’il y a toujours une cause. La cause, c’est la peur. Les minorités ne sont que des êtres humains. Des êtres humains comme nous. » Ce qu’il évoque en filigrane, ce sont « les invisibles », autrement dit les gays. Ils ont l’apparence des autres, se comportent comme les autres, mais sont différents au-dedans d’eux-mêmes. D’où la « menace » qu’ils feraient peser sur tous : bien qu’en apparence comme nous, ils ne sont pas comme nous.

Un étudiant, Kenny Potter (Nicholas Hoult, 20 ans au tournage), est fasciné par ce prof qui parle simplement et écoute ses élèves. Il est toujours avec une fille, et chacun croit qu’elle est sa petite copine, mais ce n’est qu’une amie et ils ne « sortent » pas ensemble, dira-t-il. Lui aussi joue les invisibles et il quête l’attention, sinon l’affection, d’un homme plus âgé, grand-frère ou père de substitution, comme souvent. Il aborde son professeur après le cours pour lier mieux connaissance, dit-il. George élude, cela ne l’intéresse pas. Il reste obnubilé par Jim, son grand amour, et ne voit rien d’autre. Même le prostitué espagnol Carlos (Jon Kortajarena, mannequin de 24 ans), beau comme une statue antique en tee-shirt blanc moulant, ne lui prend qu’un moment d’attention, bien que le garçon le drague ouvertement.

Il a décidé d’en finir le soir même et se rend dans une armurerie acheter des balles pour son revolver. C’est un très jeune homme qui le sert, à l’âge du lycée, il ne le voit même pas. Il se rend à sa banque pour emporter tout ce que contient son coffre. Il écrit diverses lettres de suicide pour ses collègues et amis. Sa vieille amie et voisine Charley (Julianne Moore), elle aussi rongée de solitude, l’invite à passer prendre un verre – il doit apporter le gin. Il accepte, ne sachant au fond s’il va s’y rendre. Comme elle le rappelle le soir, il y va. Ils dînent, dansent, fument, boivent. Un peu ivres, ils partagent leurs souffrances dans un moment d’amitié nostalgique. Charlotte voit sa fille unique grandir et supporte mal son rôle de femme au foyer divorcée. Elle déclare à George qu’elle l’a toujours aimé et pense que sa relation avec Jim n’était qu’un substitut. Charley représente la doxa, la voix de la société « normale », qui croit que la déviance n’est qu’un accident et qu’il suffit d’une femme pour retrouver la voie droite.

Mais ce n’est pas ainsi que cela se passe dans la vraie vie. Le désir est sans loi. Les garçons jeunes connaissent une fille ou deux, mais le sexe n’est pas l’amour. Pour George, l’amour n’est que pour les garçons, c’est ainsi. Il quitte Charley et, avant de revenir chez lui pour en finir, prend un dernier whisky dans le bar où il va d’habitude, près de chez lui. Le bar où il a rencontré Jim, comme le montrent des images en flash-back. Là, il retrouve Kenny, qui a demandé son adresse à la secrétaire à l’université et l’a suivi. Il fait parler George qui se remémore d’anciens souvenirs. Ils évoquent le vieillissement et la mort – inévitables – donc le sens de la vie et ce que cela implique. La conclusion est qu’il vaut mieux cueillir le jour qui vient, carpe diem. Kenny, incarnation de la vie, de la beauté, de la jeunesse, est tout fraîcheur, enthousiasme vital. Il le convainc de prendre un bain de minuit dans la mer, toute proche. Allez ! Il se déshabille en un tour de main et, entièrement nu, plonge dans les vagues. Entraîné par sa fougue, George fait de même. Ils nagent, plongent et jouent comme de jeunes animaux.

Puis Kenny a froid, il sort de l’eau et s’invite chez George pour se sécher. Il partirait bien nu, « parce que nous sommes invisibles », mais George l’incite à se rhabiller à cause des voisins. Kenny reste chemise ouverte, torse juvénile offert au regard de son professeur mûr tandis qu’il le soigne d’une plaie au front. On sent qu’il le désire, mais que l’autre se restreint. Encore une bière, qu’ils boivent à la bouteille, suçant le goulot comme un baiser. Kenny prend une douche tandis que George enfile un peignoir. Le garçon a vu sur la table où sont soigneusement rangés, avec un soin maniaque, les papiers, clés et lettres de George, le revolver et s’en empare. Il veut empêcher son professeur de se suicider et, peut-être, vivre avec lui. Mais George s’endort. Lui se couche alors sur le canapé, nu sous une couverture. Il a pris le revolver contre lui.

Pour la première fois depuis la mort de Jim son amour, George retrouve avec Kenny un certain goût de vivre. Il reprend délicatement l’arme sur la peau nue du jeune homme, l’enferme dans un tiroir qu’il ferme à clé et brûle ses lettres de suicide. Quand il veut se rendormir sur son lit, il ressent soudain une vive douleur dans la poitrine et tombe, terrassé par une crise cardiaque.

Une fin brutale et tragique pour cet homme qui se remet tout juste de sa peine et pourrait commencer une nouvelle vie avec un être jeune et amoureux. Le film est tiré d’un roman de Christopher Isherwood, écrivain anglais homosexuel exilé aux États-Unis. Il y romance sa rencontre en 1953, à 48 ans, le jour de la Saint-Valentin, de Don Bachardy, portraitiste américain de 18 ans, chez des amis sur la plage de Santa Monica. Il ne l’a plus quitté jusqu’à sa mort.

Le format un peu compassé du film fait écho à la dépression du personnage ; il voit les choses en gris et les gens avec rigidité. Ce n’est que l’arrivée de Kenny qui met de la couleur, après les brefs flashs de la fillette et des joueurs de tennis. Mais George a vécu, il arrive à la fin. La jeunesse et ses élans ne sont plus pour lui, atteint au cœur – physiquement après sa passion douloureuse. Une leçon selon laquelle chacun doit vivre sa vie sur le moment, intensément, et cueillir les fruits qui se présentent. L’existence ne repasse jamais les plats.

DVD A Single Man (Un homme au singulier), Tom Ford, 2009, avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult, Matthew Goode, Jon Kortajarena, StudioCanal 2023 en français ou anglais, 1h35, €9,49,

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Jean-Louis Curtis, Le thé sous les cyprès

Cinq nouvelles dont le décor est l’Italie et le thème l’amour. Avec toutes ses variations, ses permutations, ses désillusions.

Le thé sous les cyprès invite Alma, vieille fille auprès de son papa octogénaire expert en art, à rencontrer Jennifer, la fille d’une amie de son père, et son fiancé Sandro. Un bel Italien dont elle a connu le père, au point de presque se fiancer avec lui. Et puis… la vie l’a reprise et elle est restée vierge. Devant le jeune homme, resplendissant de jeunesse sous sa chemise blanche fluide, elle en a une pointe de regret. Il ressemble tant à son géniteur, Alma songe qu’il pourrait aussi être son fils. Rien de cela n’a eu lieu. Malgré tout, il faut imaginer Alma heureuse, comme Sisyphe.

Pierre et sa femme Yvette visitent enfin Venise, la quarantaine venue et l’aisance enfin conquise. La ville aurait pu être leur voyage de noce, mais ils n’avaient pas d’argent. Ils ont emmené les enfants, deux échalas contestataires de la période 68, cheveux longs, chemise à fleur et dénonciation de l’impérialisme américain et bourgeois sous le moindre prétexte. Pour les jeunes, le garçon en fac de philo et la fille en terminale, Venise est surfaite, même si l’on trouve à acheter – pas cher – des fringues et des bijoux à la mode. Ils critiquent la société de consommation, les gens, les restaurants, les touristes, eux qui ne sont encore que fils et fille à papa. Lequel, bourgeois promu, s’est fait tout seul dans un commerce de vins à Paris dont le fils aîné, 19 ans, a honte devant ses copains hippies du XVIe. Les jeunes en 68 ne sont pas exempts de contradictions, et l’auteur se plaît à s’en moquer gentiment. Ils seront les néo-bourgeois des années socialistes, sous Mitterrand, et leur « rébellion » n’aura duré que le temps de leur excès d’hormones. Mais les parents en souffrent, leur amour filial en est blessé. Au point que le cœur de Pierre entre en crise.

Un jeune Américain, études terminées, fait un grand tour en Europe. James Hoggarty IV est beau, riche, éduqué, issu d’une famille de Pionniers qui a réussi à bâtir une fortune. Il est snob et n’aime rien que se faire valoir, ni personne que lui-même. Ses aventures sentimentales ne sont que superficielles, comme les Yankees savent le vivre, « amis » sans se mouiller, prédateurs sexuels sans s’engager. Cela ne va pas sans crises de dépressions profondes, mais passagères, comme si l’inconscient savait le vide de sa vie. « Ces jeunes gars de la haute, bourrés de fric, qui ont l’air de posséder le monde. – Ils finissent par être possédés ». Ado prolongé jusqu’à la quarantaine, vieux beau qui se force à rajeunir par gymnastique, esthétique et cosmétiques après, vieillard précoce des noces qu’ils font. Ils cherchent l’amour sans jamais le trouver car ils ne s’investissent jamais dans l’autre mais préfèrent l’adulation de miroirs. L’âge venant, les aventures deviendront de plus en plus intéressées. L’amour de soi n’est pas l’amour.

Aldo, le macho italien marié, deux grands enfants, des petits-enfants, vit sa crise de la cinquantaine à Capri avec une jeunette pleine de vie. Il s’accroche bec et ongles à sa jeunesse, sans accepter le temps qui passe ni les siens à accompagner. Il est jaloux des beaux mâles de la marina, jeunes, trapus, athlétiques, tel ce batelier en seul jean qui rame pour eux vers la grotte azurée, puis se baigne nu dans l’eau transparente pour les reflets qu’il donne à ses muscles. Au retour, il ne peut donc s’empêcher de sermonner Sylvana en nuisette transparente, jusqu’à la crise inévitable : elle le quitte. Amour impossible, qui ne tient que par la chair, sans envisager l’âme. Tout comme ces jeunes gars du Midi, dont il voit un spécimen avec un vieil industriel de sa connaissance : « tout leur est bon. Tantôt pour les sous, tantôt pour le plaisir, et de préférence pour les deux ensemble. Rien ne les arrête. » Aldo aussi ne voit de Sylvana que son corps à admirer, à étreindre, pas sa personne. « Elle rayonnait le bonheur de vivre ; il savait que c’était cette vertu, en elle, son infatigable vitalité, qui le subjuguait. Peut-être valait-il la peine de souffrir un peu, si la souffrance était compensée par le bonheur de voir vivre près de soi une créature si revigorante, et de vivre dans la capiteuse irradiation de sa jeunesse. »

L’éphèbe de Subiaco est une statue sans tête de jeune garçon au bord de la puberté, découverte dans une villa de Néron à Subiaco, exposée au Musée national des Thermes à Rome. C’est aussi un jeune homme de 21 ans originaire de Subiaco, Luigino, qui vient la voir à sa descente du train, et que rencontre Minna, allemande de 38 ans habitant Rome, où elle donne des cours de langue. L’éphèbe orphelin, placé à 12 ans comme valet de ferme, est à peine dégrossi par le service militaire et elle se prend pour lui d’une affection quasi maternelle. Elle l’habille, le finance, l’éduque, en fait son amant mais s’efface vite devant ses maîtresses que sa jeunesse attire. Dont Rosemary, une jeune Américaine qui l’épuise, exigeant le coït plusieurs fois par jour et par nuit. Elle lui a promis de l’épouser, mais il ne tiendra pas sur la durée ; ce qu’elle veut, cette puritaine émancipée par les années soixante, est un gros vit qui la fasse jouir, pas un mari avec qui faire sa vie. Minna le pressent et, lorsqu’elle la rencontre à un cocktail d’Ursula, une amie peintre, elle le sait. L’amour n’est pas le sexe, la jeunesse ne le sait pas assez. L’amour est l’attachement, auquel le sexe contribue en ses jeunes années, mais qui se construit sur la durée. Il est plus proche de son amitié pour Ursula, à qui elle veut acheter une œuvre, que de l’obsession sexuelle intéressée de Rosemary.

L’éphèbe de Subiaco a donné un film, Chère Louise, avec Jeanne Moreau, réalisé par Philippe de Broca et sorti en 1972 (pas de DVD référencé).

Jean-Louis Curtis, Le thé sous les cyprès (nouvelles), 1969, J’ai lu 1972, 307 pages, occasion €5,84

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Cujo de Lewis Teague

Tiré d’un roman de Stephen King paru en poche, ce film est d’une horreur absolue (réservée aux plus de 12 ans sous peine de cauchemars). Jamais peut-être le cinéma n’avait torturé autant un petit garçon à l’image. Stephen King a creusé l’angoisse la plus profonde d’un enfant, celle d’être croqué par un monstre. Le mythe de l’Ogre – sauf qu’un fait divers réel l’a inspiré.

Tout commence comme d’habitude par les scènes d’une vie idéale d’un couple idéal dans une maison idéale au milieu d’un paysage idéal. Vic Trenton (Daniel Hugh Kelly) est cadre dans la publicité et bien payé, sa femme Donna (Dee Wallace) lui a donné Tad, leur petit garçon blond (Danny Pintauro). Un amour de gosse qui, à 6 ans, a peur des monstres du placard (comme Stephen King). Son papa le rassure et écrit même un exorcisme à prononcer le soir pour qu’ils disparaissent. Ils habitent une grande maison de bois sur la côte californienne, et lui roule en Jaguar type E rouge, tandis que sa femme achève une vieille Ford Pinto, bagnole pourrie célèbre pour ses défauts de conception. Parallèlement, Cujo est un saint-bernard de cent kilos, le meilleur ami des enfants dont son maître Brett Camber, 13 ans (Billy Jayne), fils d’un garagiste à quelques kilomètres de la ville, en pleine campagne. Cujo adore batifoler et poursuivre les lapins qui pullulent dans les prés verdoyants.

Puis tout se dégrade. Cujo chasse un lapin qui se réfugie dans une petite grotte hantée par des chauves-souris. Agacées par ses aboiements idiots qui les réveillent en plein jour, l’une d’elle le mord au museau. Le chien se retire, blessé. Donna continue de subir les avances de Steve Kamp (Christopher Stone), un ami de lycée avec qui elle a récemment trompé son mari mais le regrette. Lui ne l’entend pas de cette oreille et la poursuit de ses assiduités en profitant de l’absence du mari. Lequel a vu l’une de ses pubs télé contestée par le client et doit régler le problème par un déplacement de dix jours. Dans le même temps, la Ford Pinto hoquette et doit être réparée. Il n’a pas le temps de s’en occuper avant son départ et sa femme doit la mener au garage dans les collines, où Vic a découvert un artisan efficace et disponible, celui de Joe Camber (Ed Lauter) alors que celui de la ville est engorgé.

L’épouse du garagiste a gagné 5000 $ à la loterie et a fait cadeau à son mari d’une machine pour son garage ; elle demande en retour de pouvoir partir une semaine chez sa sœur avec leur fils Brett. Lequel a bien vu que leur chien Cujo avait une attitude agressive et qu’il bavait, mais sa mère lui dit que son père s’en occupera lorsqu’il va le nourrir et qu’il ne faut pas lui en parler avant de partir car cela pourrait remettre en cause leur séjour. On le voit, remettre à plus tard les ennuis ne conduit qu’à en attirer de pires.

Vic part, Donna emmène la Ford au garagiste, accompagnée de Tad. Il fait chaud, c’est l’été, grand soleil sur la Californie. Mais Joe Camber n’est pas là et la maison est vide. En fait, voulant profiter de l’absence de sa femme et de son gosse, l’artisan primaire a voulu entraîner son ami et voisin aussi vulgaire que lui Gary (Mills Watson) pour un festival de « bières, putes et baseball » – c’est dire le niveau. Mais Gary ne répond plus. Agacé par le bruit des canettes de bière que Gary déverse sur son tas d’ordures, le chien Cujo l’a attaqué et bouffé. Lorsque Joe s’introduit dans la maison, Cujo le trouve et, bien qu’étant son maître, lui fait son affaire. Il est devenu un chien enragé. Comme quoi les chauve-souris, affectionnées des Chinois, donnent diverses maladies dont le Covid 19 est la dernière mais la rage depuis longtemps.

Dès lors s’enclenche la tragédie : personne n’est présent, ni à la maison des Trenton, ni à celle des Kemp. La Ford Pinto rend l’âme dans la cour du garage, impossible de redémarrer et la batterie ne tarde pas à s’épuiser, éliminant la possibilité d’user du klaxon. Pire, la ceinture de sécurité de Tad s’est coincée et sa mère se préoccupe de l’aider, sans apercevoir le chien baveux qui se précipite pour les dévorer. Elle réussit à grand peine à remonter la vitre de Tad et à refermer sa propre portière avant l’assaut enragé. Ils vont rester deux jours dans la voiture, isolés sans presque rien à boire et sous une chaleur de four. Le petit blond est terrorisé et réclame son père contre le monstre ; sa mère est impuissante. Elle tente bien, de façon dérisoire, de sortir du véhicule pour… elle ne sait quoi faire et, avec ses chaussures ridicules, sortes de claquettes à hauts talons, elle n’est pas vraiment mobile. Le chien l’attaque et la mord ; elle réussit à grand peine à le repousser hors de la voiture qu’elle n’aurait jamais dû quitter. A-t-elle chopé la rage ? Pendant ce temps Tad, presque nu, fait une crise. Il s’arrête de respirer de terreur et elle le ranime à grand peine.

Vic téléphone chez lui et retéléphone, mais personne ne répond. Inquiet de cette absence et de leur dispute récente à propos de Steve, il abandonne sa réunion importante et revient à la maison. Il la trouve vide, la porte ouverte, et saccagée. La police est prévenue, c’est Steve Kamp qui a fait le coup, outré du refus de Donna – mais il jure qu’il ne l’a pas enlevée, ni Tad. Elle devait aller faire réparer la voiture et le shérif se rend à la ferme garage. Un gros et lourd shérif comme souvent, pas très futé ni très sportif. Arrivé au garage, Cujo l’égorge en moins de deux car le balourd tremblant a perdu son revolver.

Donna, qui dormait, n’a pas l’idée de se ruer vers la voiture du shérif – une qui fonctionne et qui a la radio. Non, elle se contente, hébétée, de se demander quoi faire alors que le chien enragé continue de rôder et attaque à nouveau la voiture, cherchant à briser les vitres et à défoncer les portières, tous crocs écumants dehors. Tad est out, évanoui de terreur et déshydraté. Donna a alors la suprême énergie de réagir (enfin !). Elle quitte l’auto cercueil pour se battre. Elle a repéré la batte de baseball de Brett qui gît dans la cour et s’en empare. Elle défie le chien. Lequel, affaibli par sa maladie, n’est plus aussi fringuant. Elle le frappe, le frappe encore, l’esquive, et parvient à l’assommer mais au prix de casser la batte. Évidemment, avec ses chaussures de pétasse, elle tombe et le chien se rue sur elle ; il va lui faire son affaire mais… s’empale sur le morceau de batte. Ouf !

Ce n’est bien sûr que partie remise car le film n’est pas terminé. Donna extirpe son fils de la voiture, dont les portières ne s’ouvrent plus, en brisant la vitre arrière à l’aide de la crosse du revolver abandonné par le shérif. Elle l’emmène dans la maison où elle lui jette de l’eau sur le torse et lui en fait couler un peu dans la bouche. Tad est sur le point de passer l’arme à gauche mais sa mère lui fait du bouche à bouche et lui masse la poitrine : il renaît. C’est à ce moment que le chien, que Donna n’avait pas achevé d’une balle dans la tête, s’élance au travers de la vitre pour leur sauter dessus. Comme quoi il faut toujours finir ce que l’on a commencé, dans le combat comme dans la vie. Cette fois, elle tire. Inutile de me reprocher le « spoil » (mot à la mode), tout est déjà dévoilé pour les Wikipèdes et, je continue à le répéter, dans un bon film ce n’est pas la fin qui compte mais le chemin pour y parvenir. D’autant que la fin du livre est différente…

La cavalerie arrive trop tard en la personne de Vic venu à chevaux déchaînés de Jaguar voir ce qui se passe, mais juste à temps pour récupérer le fils dénudé des bras de sa mère, en piéta sur le seuil.

Filmé souvent de très près, ce qui affole l’œil, il a fallu pas moins de cinq chiens pour le rôle, sans parler d’une tête mécanique et d’un acteur sous fourrure. Mais le suspense est dosé et la sauce prend, bien que certains personnages soient d’une fadeur rare. Steve est une tare dont on voit mal comment Donna a pu s’enticher ; Vic est un père attentif mais un piètre mari ; ses collègues en pub de vrais losers ; Joe un gros con des campagnes et son ami Gary encore pire ; le shérif un nœud de première. Ce qui fait ressortir la mère en premier plan, d’abord effacée comme maman et comme amante, puis se révélant in extremis en battante qui ne compte que sur elle-même. Quant à Tad, il est trop mignon. Danny Pintauro obtiendra un Young Artist Awards pour son rôle dans Cujo en 1984, avant de faire son coming-out out homo à 21 ans. Il incarnait le type même du « petit blond craquant des années 70 » comme Hollywood les aimait. Le générique déclare qu’il a été « introduit » pour Cujo, j’espère que cela ne lui a pas fait trop mal. Il a joué la terreur à la perfection.

DVD Cujo, Lewis Teague, 1983, avec Dee Wallace, Daniel Hugh-Kelly, Danny Pintauro, Christopher Stone, Ed Lauter, Arcadès 2019, 1h35, €8,97, Blu-ray €10,12

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Robert Merle, Fortune de France

La 2 diffuse du 16 au 30 septembre une série tirée du roman qui retrace assez bien les péripéties de l’histoire. Robert Merle a en effet écrit à la fin des années 1970 toute une saga située au XVIe siècle durant les guerres de religion, reflet historique des rivalités et haines de la gauche et de la droite française dans ces années pré–Mitterrand.

Il s’agit de l’établissement d’un fils d’apothicaire devenu presque médecin à la faculté de Montpellier, mais forcé de quitter la ville juste avant la soutenance de sa thèse qui l’aurait fait docteur en titre, à cause d’un duel pour une fille, où il a tué un nobliau du coin. Jean de Siorac s’engage donc dans l’armée, où il va passer neuf ans, se faisant un ami pour la vie, Jean de Sauveterre de cinq ans plus âgé, avec qui, devant notaire, « ils s’adoptèrent mutuellement et se donnèrent l’un à l’autre tout leur bien présent et avenir ». Cette option du droit français existe toujours, on l’appelle la tontine.

Robert Merle a toujours été décalé, et il aime beaucoup surprendre. Cette façon originale de fonder une famille, où Jean se mariera à 29 ans tandis que l’autre Jean restera célibataire mais s’occupera aussi des enfants et du fief, n’est pas la seule.C’est ainsi que le jeune Pierre de Siorac dormira presque chaque nuit depuis l’âge de cinq ans avec la fille de sa nourrice, Hélix, de trois ans plus âgée que lui. Il s’initiera ainsi de façon douce et paisible aux gestes de l’amour et en gardera toute sa vie le goût des relations féminines. Autant dire que cet aspect des choses n’est pas vraiment repris dans la série télévisée familiale, attendant les 15 ans légaux pour s’y manifester. C’est que l’époque a changé entre les années 1970 et les années 2020. Pas en bien, les gens se sont repliés sur eux-mêmes et sont devenus peureux et frileux. Tant pis pour eux et pour la joie de vivre, comme pour l’optimisme du pays.

Car, en ces années de guerres de religion, l’optimisme régnait tout de même. L’auteur ne nous le fait ressentir presque à chaque page, tout malheur rebondissant en bonheur : des bandes de pillards armés que l’on réussit à détourner, des menées du seigneur voisin qui voudrait bien conquérir Mespech mais dont la fille tombe malade de la peste et qu’il implore Siorac, quasi médecin mais huguenot et ennemi, de la soigner en son château, du fils bâtard reconnu et élevé comme les autres, de la peste même qui sévit dans le pays et qu’une saine hygiène et une prophylaxie avisée permettent d’éviter, du jeune larron de 15 ans, Miroul (non repris dans la série TV) qui n’est pas pendu mais engagé sur les instances de Pierre qui, à 12 ans, l’a contré et garrotté.

Tout débute à la mort de François Ier en 1547, Jean de Siorac est revenu chevalier des guerres qu’il a menées avec les armées royales jusqu’à devenir capitaine d’une centaine d’hommes, tout comme son compagnon Sauveterre, blessé à la jambe et gardant boiterie. Les deux ont décidé d’acheter le château de Mespech près de Sarlat et des Eyzies en Périgord, laissé en déshérence. Jean de Siorac épouse Isabelle la catholique, la blonde de 15 ans, fille du chevalier de Caumont au château de Castelnau. Alors que lui-même tend, plutôt par raison et dégoût de la corruption de l’église, vers la religion prétendue réformée. Mais il doit compter avec la jalousie et les malheurs du temps, comme avec son épouse qui reste ardemment catholique, obéissante au pape, à l’Église, en dévotion devant la Vierge Marie et les superstitions des médailles et des saints. Cette prudence, dans la lignée de Montaigne (qui a 12 ans au début du roman) se combine avec « l’affabilité périgourdine » pour faire surnager la famille dans les tourments du siècle.

Jean de Siorac aura trois enfants vivants de sa femme Isabelle, plus un quatrième avec une bergère du village voisin où son père et son grand-père avaient des terres et un cinquième avec la chambrière de son épouse décédée, Fanchou. Il y aura donc François l’aîné, brun, prudent et même couard, trois ans plus tard Pierre le narrateur, blond châtain fougueux et généreux qui ressemble tant à son père, une semaine après lui Samson, le bâtard blond cuivré reconnu faute d’être légitimé, Catherine la blonde petite dernière, que la série oublie volontairement, tout comme le petit dernier, David de Siorac, que Jean a eu de Fanchon. Pierre et Samson sont très proches, frères-amis comme jumeaux, tandis que François est trop imbu de lui-même et mélancolique d’un amour impossible avec Diane, la fille du méchant seigneur voisin guérie de la peste.

Les épreuves ne manquent pas, depuis une nouvelle guerre fomentée par Henri II contre les Anglais, où le chevalier de Siorac revient avec le titre de baron, les attaques des brigands tziganes chassés d’Espagne dont Sauveterre négocie le départ après une attaque manquée, la haine du puissant voisin, baron lui aussi, et la peste qui dépeuple la contrée. Mais c’est surtout l’inquisition catholique, exigée par le successeur d’Henri II puis par « la marchande » Catherine de Médicis, qui jette périodiquement les catholiques contre les protestants, engendrant en retour l’intolérance des protestants contre les catholiques. Les rois sont faibles, les prétendants au trône agitent la religion pour acquérir le pouvoir tout comme des Mélenchon agitent la « démocratie » pour assurer leur emprise sur les faibles et crédules « socialistes ».

Pierre de Siorac a 4 ans lorsqu’il se ramentevoit ses souvenirs, et presque 15 ans à la fin du premier tome lorsqu’il chevauche, avec son frère Samson et Miroul son domestique, vers Montpellier où il doit faire médecine tandis que Samson fera droit. L’auteur dit dans sa préface qu’il ne savait pas si poursuivrait cette histoire, il a passé en fait tout le reste de sa vie à accumuler les tomes jusqu’au treizième, que la mort a interrompu mais que son fils a terminé pour lui. Je ne sais si la série TV se poursuivra en diverses saisons, mais ce serait avec bonheur.

Car il faut (re)lire la série Fortune de France, le livre étant plus plaisant que le film tant il abonde en mots savoureux (affiquets, bec jaune, branler, sotte caillette, calel, clabauder, fétot, rire à,gueule bec, lachère, niquedouille, ococouler, paillarder, pasquil, pensamor, picanier, la picorée, pimplocher, ribaude, tympaniser, vaunéant…) – sans que cela gène la lecture. Tant cela abonde en scènes attendrissantes ou édifiantes, amour du père pour ses enfants, de « l’oncle » Sauveterre pour la terre et pour ses « neveux », réflexions de raison, encouragées par la religion réformée, à penser par soi-même et à établir son jugement sur l’équité et le bon sens. « Je le croyais alors [à 13 ans] et je le crois toujours : il n’est point d’autre mûrissement que la franche appréhension par l’esprit de ce que nous faisons et subissons ». A méditer par nos politiciens, trop volontiers démagogues, en 2024 comme en 1977. Ou encore : « ramentevez-vous ce que disait Calvin : ‘ Or et argent sont bonnes créatures quand on les met à bon usage » – cela pour les patrons avares de profits et les fonctionnaires dépensiers de l’argent public sans vision de long terme. La scène de la découverte de la médaille léguée par sa mère au cou de son fils Pierre, qu’il voit tout nu après l’effort aux côtés de son frère Samson à 12 ans, en lui faisant jurer de la porter toujours, est bien plus forte que l’ersatz reproduit en série ; de même que l’histoire du quartier de bœuf conduit aux portes de Sarlat fermées par la peste est bien plus gaillarde et plus drôle.

Les années soixante-dix étaient encore optimistes envers la vie et l’amour débordait dans la vie de tous les jours. Le roman est plein de cet érotisme diffus qui fait admirer les tétons des belles nourrices, coucher « nus en leur natureté » les garçons au plus fort de l’été, éveiller l’intérêt des maîtres pour les jeunes filles et encourager le mariage des soldats employés au château en les établissant, qui dans une carrière de pierres, qui au moulin, qui en bergerie. « La guerre civile, la famine, la peste » étaient les maux du temps de Catherine de Médicis et de son roi de 11 ans Charles IX, mais n’empêchaient pas les Français de se mettre au travail pour tout constamment rebâtir.

Curieusement, ces maux sont les nôtres, toutes proportions gardées : la peste a été le Covid, la famine l’inflation due à la guerre coloniale russe en Ukraine, la guerre civile les menées des mélenchonistes avides de tout détruire. Mais rares sont les hommes de bonne volonté pour se remettre au travail, ce ne sont que chamailleries de cour et egos démesurés qui se haussent du col pour devenir roi à la place du roi. Lequel apparaît comme un faux intelligent, trop raisonneur pour être complet, moins soucieux du bien du pays tel qu’il est que de l’épure réformée qu’il s’en fait.

Robert Merle, Fortune de France, 1977, Livre de poche 1994, 505 pages, €9,70

DVD Fortune de France, avec Nicolas Duvauchelle, Lucie Debay, Ophélie Bau, Louis Durant, David Ayala, série France 2 en 6 épisodes de Christopher Thomson, France Télévision 2024, 5h12, €19,99

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Plein soleil de René Clément

Alain Delon en héros solitaire, self-made man qui, par imitation, veut prendre la place du gosse de riche oisif et incapable. Tom Ripley (Alain Delon) est un jeune homme pauvre mais intelligent – un véritable pionnier américain. Mandaté par le père de Philippe Greenleaf pour ramener son fils noceur (Maurice Ronet) à San Francisco, Tom se coule dans le rôle du copain à tout faire, cuisinier, homme de chambre, confident, souffre-douleur. Philippe, qui se sait minable, adore humilier celui qu’il considère inférieur. Par sa naissance et son argent, il a le pouvoir sur les autres et en use comme de jouets pour son bon plaisir.

Adapté du roman de Patricia Highsmith publié en 1955, Monsieur Ripley, René Clément épure l’intrigue et donne une fin différente, pour en faire un film où Tom est jaloux de Philippe au point de lui prendre non seulement son identité, mais aussi sa fiancée. C’est seulement le destin qui brisera ce rêve tout près d’aboutir.

Si Tom avait payé les 500 000 lires restantes pour l’achat du bateau, il aurait peut-être coulé des jours heureux. Philippe était en effet propriétaire d’un cotre racé de 18 m fabriqué au Danemark en 1940 pour le roi du Danemark et offert à Eva Braun, la petite-amie d’Hitler. Mais Tom n’aime pas la mer, il craint l’eau. S’il apprend avec Philippe à hisser les voiles, barrer et tenir un cap, le bateau n’est pas sa tasse de thé. Lorsque Philippe, par caprice après un coup de barre malheureux de Tom, le jette à demi-nu dans la yole attachée à l’arrière du bateau, que le filin se rompt et que Tom est laissé au large un long moment avant que Philippe et sa fiancée Marge (Marie Laforêt) ne s’en aperçoivent, Tom est déshydraté et brûlé par le soleil. Le bel animal, concurrent de Philippe, est dompté.

C’est à ce moment que Tom, s’apercevant que Philippe n’a nulle intention de revenir en Amérique avec lui, décide de le tuer. Le père de Tom ne lui donnera pas les 5 000 $ promis, mais c’est moins l’argent qui l’intéresse (dans le film) que Marge. Celle-ci prépare un livre sur Fra Angelico et Philippe s’en fout. Il ne s’intéresse pas à ce qu’elle fait, ni à ce quelle est, il déclare seulement qu’il « l’aime ». Mais il n’existe pas d’amour en soi (contrairement à la niaiserie platonico-chrétienne dans laquelle se complaisent les midinettes) : il n’existe que des preuves d’amour. Parce qu’il discute entre garçons avec Tom, et que Marge l’interrompt pour qu’il lui prête attention, Philippe l’enfant gâté soupe-au-lait se fâche. Il empoigne tous les papiers d’études de Marge et les jette par-dessus bord. C’en est trop pour la fiancée : elle se fait débarquer.

Philippe regrette, mais seulement de ne pas maîtriser la situation. Aime-t-il vraiment Marge ? la poupée sexuelle qu’elle représente ? ou l’image de « l’Hâmour » qu’il s’en fait ? « Je comprends que vous aimez un Philippe qui n’existe pas », dira Tom à Marge. A l’inverse, Tom est attentif à la personne ; il a du sentiment pour Marge, jusqu’à l’amour au final. Lorsqu’ils sont tous les deux, les grands gamins se défient au poker. Philippe payera Tom s’il joue à quitte ou double la montre que le père de Philippe lui a donné. Ainsi, il sera défrayé de sa mission car Philippe ne veut pas retourner à San Francisco et continuer le farniente et la bella vita de la jeunesse dorée. Il a surpris Tom à endosser ses vêtements et à imiter sa voix devant la glace ; il se demande si leur complicité garçonnière irait jusqu’à devenir lui, en miroir. Tom lui avoue cyniquement que oui : il lui suffirait de le tuer, d’imiter sa signature, d’écrire sa correspondance avec sa machine à écrire portative et de falsifier son passeport.

Philippe en est bluffé ; il perd volontairement en trichant pour payer Tom et s’en débarrasser, mais celui-ci s’en aperçoit. Philippe le défie et Tom lui plante froidement un couteau de marin dans le cœur, celui-là même avec lequel il a coupé le saucisson de son en-cas. D’ailleurs à chaque fois qu’il tue, en vrai prédateur, cela lui donne faim. Il l’enveloppe ensuite dans des cordages et, mauvais marin, au lieu de stopper le bateau en affalant les voiles pour avoir le temps de tout préparer, envoie le cadavre de Philippe lesté d’une ancre et tout ficelé à la mer. Il revient alors à terre, rejoint le quai comme maladroitement, en le cognant un peu, puis décide de s’en débarrasser. Mais cela prend du temps.

Juste assez de temps pour réaliser son plan : faire croire que Philippe s’isole après sa rupture avec Marge, lui faire écrire plusieurs lettres puis un testament à la machine ; vider le compte en banque en imitant sa signature après s’être entraîné au mur avec un projecteur ; prendre des chambres d’hôtel et un appartement. Malheureusement, le hasard vient mettre son grain de sable. Freddy (Billy Kearns), l’ami lourdaud et riche de Philippe, a obtenu son adresse par l’agence de bateaux et débarque à l’appartement que loue Tom sous le nom de Philippe. Il n’a jamais apprécié Tom, qui n’est pas de leur milieu, et se méfie de lui qui prend trop à son gré les vêtements et les manières de Philippe. Par un quiproquo de la concierge, Tom est obligé de tuer Freddy, et de se débarrasser de son corps dans la campagne.

C’est alors que la police ouvre une enquête et remonte la piste. Tom est interrogé, mais fait semblant d’avoir été absent de Rome et de rentrer le lendemain. Il revoit Marge, qui boude dans son coin, et fait « mourir » Philippe en signant un testament envoyé par avion à ses parents depuis Mongibello, et un mot pour laisser les liasses de lires en liquide à Marge. Cela fonctionne et Marge, qui sait maintenant que Philippe n’est plus, répond aux avances de Tom. Ils sortent ensemble et vont même se baigner. Tom a enfin réussi ; en plein soleil sur la plage, un verre à la main, il n’a jamais été aussi heureux.

Puis Marge est appelée pour la vente du bateau, que les chantiers navals sortent de l’eau… Et tout est remis en question.

Un thriller psychologique impeccablement mené, avec un héros attirant, souple comme un félin, fascinant de cynisme et d’un appétit de vivre à la James Dean. Bien meilleur à mon avis que la copie américaine 1999 d’Anthony Minghella qui tire Tom du côté de l’homosexualité avec un Matt Damon au torse de dieu grec, alors que René Clément en fait un enfant d’après-guerre, amoral aux dents longues. Guido di Pietro, dit Fra Angelico, le pauvre absolu qui use d’une lumière très forte qui annule les ombres, est le peintre des anges : Alain Delon en est un d’apparence, ce pourquoi il séduit Marge dans la fiction, avant Romy Schneider dans la réalité, petite-amie de Freddy dans le film.

Une ambiguïté qui trouble : jusqu’où une ambition de pauvre peut-elle aller lorsque le riche la provoque ? Le strip-tease dans la cabine au moment où il ôte sa chemise pour monter sur le pont torse nu est un grand moment de rivalité mimétique. Philippe comme Marge regardent sa sauvage beauté sensuelle. Alain Delon, 24 ans, domine le casting. Maurice Ronet et surtout Marie Laforêt (pourtant au beau visage) apparaissent bien pâles, mal fagotés dans leurs corps, en comparaison avec la bête jeune et souple au charme magnétique. Eux jouent alors que lui vit ; ils sont comédiens et lui acteur.

Pour l’anecdote, j’ai noté une petite ressemblance du visage d’Alain Delon dans les premières scènes avec celui d’Emmanuel Macron en 2017.

DVD Plein soleil, René Clément, 1960, avec‎ Alain Delon, Marie Laforêt, Maurice Ronet, Elvire Popesco, Erno Crisa, StudioCanal 2013 remastérisé, 1h53, €12,84

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Les romans Ripley de Patricia Highsmith sur ce blog

Le talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella, 1999, avec Matt Damon

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Le signe ou le dernier chapitre de Zarathoustra

Ultime chapitre, après avoir tout dit. Nous sommes au matin, Zarathoustra s’éveille dans sa caverne et se ceint les reins avant de sortir au jour, seul. Ses compagnons dorment encore, ces « hommes supérieurs » qu’il a réuni autour de lui et qui ont enfin compris. « Mais il me manque encore mes hommes véritables », médite Zarathoustra.

Car l’homme « supérieur » n’est pas encore « le surhomme », celui qui s’est surmonté et est devenu libre, créateur et artiste.

Au soleil du matin, en haut de la montagne, assis sur la grosse pierre qui gît à l’entrée de sa caverne, Zarathoustra a une vision. Son aigle plane dans les hauteurs, des colombes innombrables viennent voleter autour de lui, un lion s’approche et pose sa tête sur ses genoux, avec adoration. C’est le lion insoumis, l’homme révolté qui a quitté l’esclavage du chameau ou l’adoration de l’âne, mais qui ne s’est pas encore libéré au point de devenir enfant innocent de la troisième métamorphose, « un nouveau commencement et un jeu ».

Sparte : hommes supérieurs encore esclaves

« Le signe vient, dit Zarathoustra ». « Mes enfants sont proches, mes enfants ». Il ne s’agit pas de disciples, car les disciples sont encore attachés à leur maître et mentor ; les enfants, à l’inverse, naissent sans présupposés, avec leur liberté et tous les possibles. Tous les parents le savent, les enfants n’en feront qu’à leur tête, quoi qu’on leur dise – mais l’exemple vécu des parents,qu’ils observent est pour eux la meilleure éducation. Zarathoustra aura des enfants qui lui ressembleront dans sa liberté et sa créativité, car lui se montrera libre et créateur. Et les enfants l’imiteront, avant de trouver leur voie propre selon leur personnalité.

Lorsque les hommes supérieurs s’éveillent dans la caverne et veulent sortir saluer Zarathoustra, le lion se met à rugir, ce qui les fait refluer. Zarathoustra comprend qu’ils sont en détresse car la liberté fait peur, elle exige la responsabilité de chacun de ses actes, et peu sont capables de l’endurer. Ce pourquoi ils ne sont pas pleinement libres, ces hommes néanmoins « supérieurs ». Un lion peut encore leur faire peur.

Zarathoustra aura-t-il encore « pitié » d’eux ? Interviendra-t-il pour les protéger et les rassurer ? Eh bien non : ultime leçon de Nietzsche dans Zarathoustra, il faut quitter la protection pour devenir soi-même. La liberté se mérite par le courage et la solitude. La pitié a « eu son temps », « ma passion et ma compassion, qu’importe d’elles ? Recherché-je le bonheur ? Je recherche mon œuvre ! » Le « bonheur » est un état de stabilité qui abêtit – comme une vache à l’étable, qui regarde passer les trains depuis sa mangeoire. Or le monde est mouvement, il ne cesse de se transformer. Seul le créateur, donc l’humain libre, peut vivre pleinement, dans le mouvement du monde.

Enfant libre

« Ainsi parlait Zarathoustra et il quitta sa caverne, ardent et fort comme le soleil du matin qui surgit des monts obscurs ». Il est libre, Z, quasi nu avec seulement les reins ceints ; il est solitaire, Z, il ne réclame que des enfants, pas des disciples, autrement dit des successeurs libres de sa liberté acquise.

Tout est dit, le livre se referme, mi-prophétie mi-utopie, un livre moral et poétique.

2011-2024, nous en avons fait intégralement la recension, chapitre par chapitre, depuis le Prologue jusqu’au dernier chapitre. Puisse-t-il inspirer les consciences et abreuver les soifs. Ainsi parlait Zarathoustra est d’une grande richesse à qui sait le lire et le méditer.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra – Œuvres III avec Par-delà le bien et le mal, Pour la généalogie de la morale, Le cas Wagner, Crépuscule des idoles, L’Antéchrist, Nietzsche contre Wagner, Ecce Homo, Gallimard Pléiade 2023, 1305 pages, €69.00

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William Golding, Sa majesté des Mouches

A 43 ans, et après avoir exercé neuf ans comme prof, le prix Nobel de littérature 1983 et chevalier William Golding écrit sur les enfants. Lui-même en aura deux, une fille et un garçon, mais il écrit ici sur les garçons. La discipline et les bonnes manières inculquées au collège ne semblent qu’un vernis que la mise en situation fait vite craquer.

La guerre de Corée vient à peine de se terminer dans le Pacifique sud et c’est peut-être cette situation que décrit l’auteur plutôt qu’une « troisième guerre mondiale ». L’un des enfants fait allusion à des « communistes ». Une bande de garçons de 6 à 12 ans, tous blancs et britanniques, se retrouvent isolés sur une île déserte tropicale, riche en fruits et en cochons sauvages, après le crash de leur avion. Aucun adulte n’a survécu, et probablement d’autres enfants non plus. Mais l’auteur va au plus simple : pas d’épave, aucun blessé, un nombre inconnu d’enfants.

Très vite, deux groupes se forment : les grands et les petits. Les premiers se mettent en bande, les seconds jouent égoïstement dans le sable. Les grands ne les protègent pas et se soucient peu d’eux ; ils ne savent même pas combien ils sont. Un petit, reconnaissable à la tache de vin qu’il a sur la figure, disparaît – personne ne sait où ni quand ; il n’est plus là, c’est tout. Ils reproduisent ce qui se passe dans leur famille où les garçons sont mis en pension dès 9 ou 10 ans alors que les autres restent à la maison.

La première chose que fait un garçon livré à lui-même est de se mettre nu. Ralph, 12 ans de belle carrure, enlève tout d’abord ses chaussures, marcher pieds nus est toujours délicieux. Il quitte ensuite sa chemise, qu’il ne remettra qu’épisodiquement pour protéger sa peau du soleil ou de la fraîcheur de la nuit ; mais elle sera vite une gêne, salie, raidie, déchirée – il finira par s’en débarrasser, comme tous les autres. Pour la culotte, c’est plus incertain : outre le tabou relatif de se balader sexe à l’air, l’organe est sensible aux épines et aux rochers, or le garçon se déchire le derme sur les lianes et les pierres lorsqu’il joue ou chasse. Les grands garderont leur culotte jusqu’à ce qu’elle tombe en lambeaux, tandis que les petits s’en débarrassent très vite pour vivre entièrement nus.

Ralph ne trouve que Piggy (ou Porcinet), un gros à lunettes de son âge qui a de l’asthme. Avec lui l’intello, il se baigne nu dans le lagon avant de se sécher sur le sable. Piggy trouve une conque marine et sait qu’on peut en jouer. Ralph en tire des sons qui attirent les autres enfants autour de lui. Désormais, la conque sera le symbole du pouvoir, de la voix anonyme qui surmonte celle de tous. La tenir à la main donne la parole, telle est la règle.

Inspiré par Robinson Crusoé et par le Robinson suisse, les garçons ont la volonté de construire des cabanes pour se protéger de la pluie et des bêtes, et de faire un grand feu avec beaucoup de fumée pour qu’on les repère du large. Ce qui est entrepris au début avec enthousiasme. Mais l’auteur s’inspire bien plus de Jules Verne et de ses Deux ans de vacances, même s’il ne l’évoque pas. Ralph le blond, qui a une prestance politique qui attire les petits et sait tirer de l’intello impotent Piggy des idées utilisables est, comme le Briant de Verne, pour la démocratie et les règles. Il ne tarde pas à se voir défier par Jack le roux, assez laid et maigre mais musclé, qui est un démagogue né, enthousiaste dès qu’il s’agit d’entraîner la troupe au jeu ou à la chasse. Comme le Doniphan de Verne, chasser et guerroyer est sa grande passion.

S’il garde au début le tabou de tuer, il le transgresse très vite. Le prétexte est de nourrir la bande, mais il y prend goût et n’hésite pas à se barbouiller du sang de ses victimes. Il est le seul à posséder un poignard scout dans une gaine à la ceinture, tandis que Ralph ne possède que les lunettes de Piggy dont les verres permettent d’allumer le feu. Les deux garçons seraient complémentaires, comme dans Jules Verne, s’il n’y avait pas la sauvagerie native de tout être humain. La puissance vitale veut le pouvoir et l’imposer par la force. Ce n’est pas pour rien que Jack se présente au début en chef avec sa troupe de chœur d’enfants alignée, marchant au pas, chacun arborant casquette et cape noire – mais rien dessous. Jack est le démagogue qui va virer fasciste, agitant les symboles, dirigeant les transes et manipulant les superstitions pour assurer son emprise. Il est roux comme Judas, perfide comme le serpent, celui qui sème la zizanie par ses tentations. Il instaure l’offrande au « monstre » de la montagne en fichant une tête de cochon tué sur un bâton épointé aux deux bouts : Sa Majesté des Mouches, autre nom de Belzébuth.

Simon l’intelligent, mais un peu pris de la tête, observera cette sauvagerie et se retrouvera face à face avec Sa Majesté. Une voix intérieure lui dira que le monstre n’est pas dans la montagne mais en lui, en chacun. C’est la sauvagerie de la horde primitive de Freud, celle qui refuse la raison pour socialiser en groupe tribal, hostile à tout étranger. Roger, le second de Jack, prendra sur son exemple un tel goût à tuer qu’il ira tout nu, barbouillé de boue et de sang, l’épieu pointu à la main et l’air terrible. Le masque lui permettra toutes les transgressions. Il se fera même cochon pour miner la chasse dans une danse orgiaque qui fera monter la transe des chasseurs. Il se fera frapper et fouailler, y prenant une sorte de plaisir masochiste, avant de s’effacer dans le cercle et, dans un paroxysme de foule sadique, de lyncher à mort le garçon Simon qui, comme le Christ apportant la « bonne nouvelle », venait apprendre au groupe la vérité : que « le monstre » que tout le monde craignait au point que Jack et Ralph avaient fui devant lui, n’était qu’un parachute tombé sur l’île avec son pilote mort.

Après l’abandon d’un petit, l’assassinat en groupe d’un grand : la civilisation recule. Freud fait des non encore pubères des « pervers » polymorphes, ayant la prédisposition, propre à la plasticité de leur âge, de transgresser par pulsions les tabous sociaux encore mal assimilés pour assouvir un plaisir érogène hors génitalité par le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le sadisme. C’est ce qui arrive à Jack, à Roger, aux jumeaux Eric-et-Sam, contraints par la force et les coups à rejoindre la bande de Jack. Si Ralph prend plus de plaisir à se baigner nu et à organiser le maintien d’un feu constant pour attirer les navires, Jack préfère flairer la piste d’un cochon au ras du sol, le traquer en silence et l’éventrer d’un coup d’épieu. Tout cela est jouissance. Les deux garçons participent à la communauté, l’un en prévoyant les secours possibles et en allumant le feu, l’autre en assurant la viande par la chasse.

Mais Jack préfère le jeu au présent plutôt qu’un futur contraignant. Chasser donne plus de plaisir que chercher encore et toujours du bois pour le foyer. De plus, la chasse permet de donner aux autres de la nourriture, tandis que le feu allumé pour les étoiles ne donne rien que d’hypothétique. Très vite, les grands se rallient à Jack par plaisir, instinct grégaire ou contraints. Jack commande un raid sur les cabanes en pleine nuit pour ravir le feu, sous la forme des lunettes de Piggy. Lequel, devenu quasiment aveugle, geint et oblige Ralph à aller parlementer avec les mutins réfugiés dans leur fort de roches. Mais Roger, excité par la cruauté et le goût qu’il a pris de tuer, déloge un gros rocher qui va écraser Piggy. C’est le deuxième assassinat mais, cette fois-ci, perpétué par un individu conscient de ce qu’il fait.

Dès lors, la barbarie submerge l’île. Ralph, désormais tout seul et tout nu, le flanc blessé par l’épieu de Jack, la peau déchirée par les épines, va être traqué sur toute l’île comme un animal – ou comme le Ku Klux Klan chasse encore le nègre dans les années cinquante. Abel le chasseur-tueur veut tuer Caïn, le frugivore détenteur du feu civilisé. Pour débusquer le gibier humain, la bande met le feu à la forêt. Ce qui incite heureusement un cuirassé à venir voir dans l’île – et ses marins sauver Ralph in extremis alors que la bande avait déjà préparé un épieu épointé aux deux bouts pour l’empaler comme un cochon.

On peut se demander ce qui serait advenu si les mois avaient passés sans qu’un navire ne survienne. Ralph empalé et mort sous les tortures, Jack se serait-il approprié son scalp blond pour le porter à la ceinture en guise de cache-sexe et de symbole de puissance, sa culotte ayant rendu l’âme de ses derniers lambeaux ? Cela lui aurait agréablement chatouillé les parties intimes et, la puberté survenant, l’aurait porté à abuser de son pouvoir sur les petits. Il aurait peut-être été supplanté par Roger, plus radical dans la cruauté, donc plus fascinant, qui aurait instauré un régime de terreur.

Cette fable sur la civilisation, qui n’est qu’un vernis sur la sauvagerie primitive, était une leçon de la guerre, du nazisme au stalinisme. Être civilisé, ce n’est pas imposer l’ordre social par la force, mais faire participer chacun au projet commun. C’est dominer ses pulsions, maîtriser ses passions, agiter ses petites cellules grises. L’être humain complet n’est pas que jouisseur, ni que guerrier, ni qu’intello – il est tout à la fois.

William Golding, Sa majesté des Mouches (Lord of The Flies), 1954, Folio junior 1984 – illustrations de Claude Lapointe, 287 pages, €13,00

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Une autre chronique sur William Golding :

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John Connolly, Laissez toute espérance

Billy Purdue est un paumé qui doit sa pension alimentaire à sa femme Rita, qui l’a plaqué pour violences conjugales et doit élever leur fils de 2 ans, Donnie. Charlie Parker, dit Bird à cause du jazzman, détective privé, est engagé par Rita et se retrouve face à Billy qui le menace et le balafre avec un couteau ; il lui donne cependant la moitié de la pension qu’il doit en billets neufs de cent dollars. Le lendemain, Rita et le gamin sont retrouvés assassinés. Billy est soupçonné mais quelque-chose dit à Bird que ce n’est pas lui.

Il se trouve que Billy a empoché une grosse somme d’argent et que cela a peut-être quelque-chose à voir avec une fusillade qui s’est produite sur la plage du lac entre trafiquants, dont deux Cambodgiens et un flic du Canada. Le mafieux Tony Celli, qui a joué avec l’argent de ses clients, comptait sur ce coup pour rembourser mais en est pour ses frais. Il poursuit donc Billy le voleur et envoie ses malfrats pour le descendre avant que lui-même ne soit descendu par plus haut que lui dans la mafia pour avoir perdu autant de dollars.

Cela fait beaucoup de personnages et d’actions compliquées, imbriquées les unes dans les autres, et Bird se retrouve au milieu de ce sac de nœuds. Il a perdu sa femme et sa fillette l’année d’avant, tuées après avoir été torturées par un sadique – qu’il a fini par descendre dans les marais de Louisiane. Depuis, des images le hantent, des fantômes de victimes. Billy Purdue cherchait ses origines, enfant placé et malmené en familles d’accueil. Pour le retrouver avant la police, qui va l’inculper de meurtre sans plus chercher, au vu de ses antécédents, Bird doit remonter la piste.

Elle conduit à des cadavres successifs, comme si quelqu’un cherchait lui aussi Billy et effaçait ensuite les traces. Cela fait penser au Caleb Kyle du grand-père de Billy, ancien flic qui avait eu maille à partir avec lui. Ce Caleb était un gamin perdu du Maine, orphelin de père avec une mère sadique qui le fouettait de chaînes enfant et l’a violé dès qu’il a pu bander, le « punissant » ensuite de cette perversité en le jetant tout nu dans la boue des cochons ou l’attachant sous la pluie. A 15 ans, retrouvé à poil couvert de merde par la police locale, il est rentré chez lui, a tué sa marâtre et l’a donnée à bouffer aux cochons qui n’ont laissé que sa salopette et son anneau. Incarcéré vingt ans, Caleb n’a plus fait parler de lui.

Jusqu’à cette traque de Billy… Des jeunes filles sont retrouvées éviscérées et l’utérus découpé, pendues comme des pantins à des arbres en forêt, une vaste étendue mise en coupe réglée après une cinquantaine d’années de pousse du bois. Caleb s’y terre, vieux grand musclé qui effraie même les chiens tant il a accumulé de haine pour les femmes à cause de sa mère tortionnaire. Il cherche désespérément un fils pour se reproduire, et passe par cela par des femmes qu’il séquestre. L’une d’elle, jadis, lui a fait croire qu’elle avait fait une fausse couche, mais Billy pourrait bien être le fruit préservé de cette union morbide…

L’auteur soigne ses personnages, surtout les pervers. Tout un luxe de détails sont fournis pour montrer à quel point ils ont été malmenés par leurs parents et leurs aidants avant de se prendre en main et de faire jouer la loi du talion. L’Amérique est individualiste et biblique, ses tueurs psychopathes aussi. Vous saurez tout sur les bagnoles et les armes, car c’est ce qui plaît aux machos du coin. J’ai du regarder sur le net pour m’en faire une idée, tant ces modèles cités parlent immédiatement aux lecteurs yankees.

Reste que, si les débuts sont un peu laborieux tant les personnages divers surgissent à foison, avec chacun leur petite histoire, l’action n’est jamais absente et Bird se fait tabasser, assommer, blesser par balles, défoncer. On se demande comment il peut en ressortir indemne. Mais il le fait en retrouvant une femme, Rachel, psychologue à l’université et ex-profileuse d’une saison pour la police. S’il tue, c’est pour ne pas être tué ; il n’est pas absorbé par son acte au point d’y trouver du plaisir, contrairement à ceux qu’il traque sans merci. Il est aidé par Louis et par son petit-ami Angel, deux marginaux selon les critères américains : un noir et un latino, tous deux pédés mais fidèles en amitié.

Un bon thriller, écrit par un Irlandais, ce qui explique la qualité de la narration et l’absence de lourds clichés.

John Connolly, Laissez toute espérance (Dark Hollow), 2000, Pocket 2003, 543 pages, occasion €1,82, e-book Kindle €12,99

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Arto Paasilinna, Moi Surunen libérateur des peuples opprimés

Le burlesque finnois est irrésistible, même si les régimes décrits avec une gourmandise rabelaisienne pour les descendre en flammes sont périmés. Les dictatures fascistes d’Amérique latine reculent tandis que l’URSS est crevée, son utopie communiste obligatoire remplacée par la baudruche national-mafieuse de Poutine.

Un professeur de philologie de l’université finlandaise d’Helsinki, qui parle maintes langues, a un idéal humaniste comme souvent dans les pays du nord. Viljo Surunen est devenu membre d’Amnesty International, qui vise à alerter l’opinion sur les dissidents emprisonnés, torturés et tués à tort. Il ne cesse d’envoyer lettres et missives aux autorités des pays en question, sans aucun résultat comme vous pouvez l’imaginer. Les dictateurs, qu’ils soient fascistes ou communistes, se torchent le cul avec ces billevesées petite-bourgeoises. Les humanistes sont sur leur liste – celle des surveillés à arrêter et éradiquer.

Dans la trentaine, Viljo, qui ne s’est pas encore marié à la maîtresse de musique Anneli Immonen, décide devant un verre d’aller sur place rendre la liberté aux emprisonnés à tort. Direction donc au Macabraguay, pays imaginaire proche des pays se terminant en « guay », à l’époque très fascistes. Parce qu’il n’a pas beaucoup d’argent (la vie est chère en Finlande dans les années 80), il passe par Moscou et La Havane où l’Aeroflot fait voler de vieux coucous à hélices, lents mais (à l’époque) sûrs, dans lesquels officient de grosses matrones soviétiques à l’air revêche, « concentrées par le socialisme ». De La Havane, Mexico, puis l’Amérique centrale où un petit avion l’emmène au Macabraguay, où l’on n’a vu aucun touriste depuis des années.

Seul un correspondant de journal américain loge à l’hôtel central, saoul toute la journée et jamais au courant des coups d’État qui se succèdent sans aucunes conséquences, sinon d’alimenter les prisons qui, elles-mêmes alimentent les cimetières. L’élite chamarrée et armée tient toujours le pouvoir, vivant luxueusement dans des villas sur les hauteurs, avec vue sur les montagnes d’un côté et l’océan Pacifique de l’autre, et se gorgeant de mets choisi et de vins fins étrangers.

Surunen, dans sa naïveté d’Européen humaniste, commence par revendiquer la libération de professeurs emprisonnés pour rien, tout en listant les crimes contre les droits de l’Homme de la dictature. Il est aussitôt – c’était à prévoir – saisi par une milice paramilitaire et torturé dans un hangar par le système du pau de ara, le perchoir de perroquet, qui n’a rien du perchoir démocratique de notre B-Pivert à l’Assemblée. Il s’agit de pendre le corps tout nu, enroulé bras et jambes sur un rondin, et de le laisser méditer dans la douleur due à la pesanteur, à trois mètres du sol. Par le concours d’un tremblement de terre opportun, les fascistes fuient et le perchoir s’effondre, libérant le professeur qui s’empresse de se rhabiller et de saisir un fusil d’assaut laissé dans leur fuite par les couards. Il va les trouver à l’extérieur, leur camion blindé ayant embouti un pylône, et les descendre sans autre forme de jugement. Humanisme ne rime pas toujours avec niaiserie. Il s’agit d’un combat.

Changement de stratégie. Puisque la voie directe est impossible, passons par la bande. Pour cela, l’éminent professeur fait état de ses titres et invite la haute société macabraguayenne à venir entendre une conférence sur l’influence grecque antique en l’Amérique latine, un thème culturel flatteur et suffisamment abscons pour qu’il puisse dire à peu près n’importe quoi. Avant Trump (mais après Staline qui avait copié Goebbels), Surunen sait que le plumage compte plus que le ramage et qu’affirmer avec force quelque chose lui donne une « vérité » convaincante. Voilà donc les perruches, épouses de généraux et colonels, enthousiastes. Elles s’entichent du jeune professeur qui parle si bien espagnol et déclare être venu dans le pays pour collecter des idiomes particuliers pour une étude comparative qui va promouvoir le Macabraguay.

Il doit pour cela interroger diverses classes de la société, en commençant par l’élite au pouvoir, mais en devant poursuivre par les commerçants sur les marchés et les détenus des prisons, où l’argot est un met de choix pour un linguiste. Les perruches, enamourées et aux cervelles d’oiseau, n’y voient pas de mal et sont au contraire flattées de l’intérêt que la Science porte à leur langage. Surunen peut ainsi obtenir des généraux réticents, mais qui ne veulent pas s’opposer à l’opinion de leur société, des autorisations pour se rendre à la prison de La Trivial, ainsi que quatre fusiliers marins aux ordres du professeur dans un camion tout-terrain. Il y délivre le professeur Ramon Lopez, gravement malade des reins pour avoir été battu sur ces organes, et le médecin Rigoberto Fernandez, ainsi que trois Indiens frontaliers soupçonnés par ce simple fait d’espionnage. Il prétexte trop de bruit à l’intérieur de la prison pour les faire sortir et enregistrer dehors. A la nuit tombée, Surunen donne l’ordre d’embarquer, feux éteints « pour économiser la batterie », afin de se diriger vers le village des Indiens pour collecter des enregistrements locaux. Les fusiliers obéissent.

Ramon meurt en route, mais libre ; les trois Indiens, Fernandez et Surunen passent la frontière du Honduras à pied, tandis que les fusiliers marins sont libérés de leurs ordres… et préfèrent fuir à l’étranger que retourner à la caserne. Mission accomplie.

C’est alors que Fernandez décide de s’installer dans un pays de l’est pour y vivre ce communisme qu’il idéalise depuis qu’il a été fourré en prison. Surunen l’accompagne à Moscou, où il a lié amitié avec un diplomate soviétique mandaté pour défendre les pingouins dans les conférences internationales. Celui-ci doit se rendre en Vachardoslavie, autre pays imaginaire qu’on imagine être la Roumanie ou la Bulgarie d’époque. Là, ce n’est pas mieux : quiconque n’est pas d’accord est emprisonné sous prétexte de rééducation ou, en cas de persistance, de maladie mentale. Le contestataire est condamné au camp, puis à la prison, enfin à l’hôpital psychiatrique, qui recèle même une section spéciale d’incurables notoires.

C’est dans cette aile particulière que le professeur Surunen va pêcher deux hommes qu’il va libérer, toujours par débrouillardise, en utilisant les failles du système. Il est tellement bureaucratique que n’importe quel papier officiel, avec n’importe quel tampon, et n’importe quelle carte comportant un aigle et une photo (comme le livret militaire finlandais), suffisent à impressionner les plantons et les employés. Deux dissidents sont libérés, un vieil anarchiste voleur et un fondu de Dieu devenu baptiste. Ce n’est pas la qualité des êtres ni leurs convictions qui comptent pour l’humaniste Surunen, mais le fait qu’ils ne puissent s’exprimer librement et soient mis en prison pour cela. Le professeur aurait bien du mal, quarante ans après, et « le communisme » évanoui, dans la Russie qui a succédé à l’Union soviétique : Poutine ne rêve que de reconstituer l’empire communiste à sa botte et emprisonne, empoisonne, laisse crever à tour de bras. D’ailleurs le satiriste finlandais est mort en 2018 à 75 ans.

Dans cette pochade ironique, qui se lit comme un roman satirique à la manière de Voltaire, le burlesque est élevé au rang de santé pour l’esprit. Pouvoir penser par soi-même et pouvoir l’exprimer est le premier des droits humains, après survivre. Que des castes prétendent l’empêcher par la force est une injustice, mais surtout d’une prétention inouïe. Tout le monde doit se battre pour éviter cela. Vaste programme ! Car aussi bien les États-Unis que la Russie ou la Chine n’admettent pas qu’on pense autrement qu’eux. Paasilinna renvoie dos à dos les dictatures, qu’elles soient de force armée comme au Macabraguay, de force idéologique comme en Vachardoslavie, ou de force d’opinion comme aux États-Unis.

Un rire salubre qui libère !

Arto Paasilinna, Moi Surunen libérateur des peuples opprimés, 1986, Folio 2016, 368 pages, €8,90

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A dix minutes des naturistes de Stéphane Clavier

Un film familial et drôle, qui prône la tolérance – mais qui n’est pas édité en DVD, sujet sulfureux oblige. Pourtant, rien d’indécent dans ce film à la gloire des vacances, du soleil et de la nudité naturelle. Plutôt les contradictions de notre société patriarcale, catholique, bourgeoise, coincée, déclinées avec un humour à la fois bienveillant et acide.

Valérie Morin (Christine Citti) se trouve trop grosse malgré « vingt ans de régime » ; elle veut se faire refaire les seins, les fesses, les genoux… Mais cela coûte cher et ce n’est pas avec son salaire de bonne à tout faire, ni avec celui de son mari concierge, tous deux à Bruxelles, qu’ils vont pouvoir se payer cette fantaisie. Car c’est bien une fantaisie : Valérie est ronde et plantureuse car elle adore cuisiner les desserts, mais ne s’accepte pas. La norme masculine exige le format 90x60x90 et tout ce qui est en excès est mal vu ; la norme bourgeoise catholique belge exige la tempérance des chairs et la jeunesse renouvelée. D’où problème.

Le mari, Michel Morin (Lionel Abelanski), est prêt à sacrifier la semaine de vacances en croisière prévue pour contenter sa femme durant l’absence des patrons, partis en couple « visiter la Chine » durant trois semaines. En revanche, c’est dommage pour le gamin Sam (Jean-Baptiste Fonck), dont les 10 ans remplissent bien ses tee-shirts. Une idée vient au père : pourquoi ne pas échanger les maisons durant deux semaines ? Puisque les bourgeois ne sont pas là, autant en profiter.

Aussitôt dit, aussitôt fait sur le net. Patrick et Laure Dulac (Bruno Ricci et Maëva Pasquali) sont enthousiastes. Ils échangent volontiers leur maison sur l’île du Couchant (pastiche de l’île réelle du Levant) pour la demeure bourgeoise en plein Bruxelles centre, près du Parlement européen. C’est qu’ils ont eux aussi une idée : étant naturistes, ils veulent manifester nus en plein Bruxelles et porter une pétition aux parlementaires pour légaliser la nudité en Europe. Ce qui engendre une série de sketches croustillants et drôles avec le bourgmestre, les voisins, les passants dans les rues où passe le vélo-nu, et même l’assistance convoquée dans la maison bourgeoise pour un apéro-nu.

Pendant ce temps, la famille se rend dans le sud de la France où la maison à la cuisine aménagée leur plaît. Sauf que… Suzy, la tante des Dulac (Macha Méril), qui devait être hospitalisée pour une intervention au cœur, a décidé de ne pas aller à l’hôpital et de rester vivre ce qu’elle pouvait encore, mais chez elle. Dès le matin, elle pratique le taï-chi nue dans la cour. Scandale de pudeur offensée ! Les Morin ne se doutaient pas qu’ils étaient sur une île naturiste. Non sans contradictions, d’ailleurs, puisque la nudité est « obligatoire » sur tout le littoral mais « interdite » à l’intérieur. Nulle plage possible aux « textiles », on doit ôter son slip et tous ses vêtements (sauf peut-être la casquette ?) pour accéder à la mer. Seuls les enfants, pour éviter la censure du film, peuvent porter un cache-sexe.

Sam a fait la connaissance sur le ferry d’une petite copine, Léa (Prune Richard), avec qui il voudrait bien jouer sur la plage. Il entraîne donc son père avec lui « pour le surveiller » tandis qu’il navigue en canot plastique ou bâtit des châteaux de sable. Michel est obligé de se mettre nu, ce qui le gêne parce qu’il n’est pas vraiment bien bâti. La mère de Léa, belle jeune femme que son mari vient de quitter, l’encourage avec bienveillance, lui disant que c’est comme faire l’amour pour la première fois : on a peur mais, très vite, on ne peut plus s’en passer. De fait, Michel s’habitue.

Pas son épouse Valérie, qui n’accepte pas son corps et refuse obstinément d’aller se montrer à poil sur la plage. Elle assiste impuissante à la drague que subit son mari, qui semble y prendre goût. Suzy la console, en bonne soixante-huitarde mûrie qui prend tout à la cool. Elle l’encourage à se laisser-aller, à accepter ce qu’elle est. Donc à pâtisser puisqu’elle aime cela et réussit magnifiquement. Elle la présente à son chef cuisinier dans son restaurant pour qu’elle fasse en bénévole les desserts, notamment ses incomparables profiteroles au chocolat qui sont un délice. Le couple se délite tandis que le gamin, qui prend tout comme il vient, s’amuse et que Suzy recolle les morceaux.

Mais Bruxelles fait scandale. Le voisin bourgeois (Alain Leempoel) téléphone aux patrons « partis en Chine », les Langlois, dont lui Édouard (Philippe Magnan) est chef du parti conservateur au Parlement européen : il a vu circuler nue à la fenêtre une femme chez lui. Que font les concierges, se demande Langlois ? Et sa femme Solange (Catherine Jacob) l’incite à les asticoter. « C’est une cousine danoise », ment Michel, interpellé.

Laquelle épouse nudiste voudrait bien un bébé, que son mari militant lui refuse obstinément. Lui impose toujours ce qu’il veut, et c’en est trop. En gardant le bébé fille de la voisine, gynécologue (Cécile Vangrieken), Laure l’interroge sur les moyens de surmonter le veto marital. On peut toujours « oublier » de prendre la pilule, répond la doctoresse, ou crever discrètement le préservatif en le sortant de l’emballage – « ce sont des pratiques que je réprouve, mais certaines le font… ». Dont elle-même, on l’apprendra avec humour ensuite. Laure, qui lit ostensiblement Le rose et le rosaire de Paul Claudel, une réflexion sur la Vierge, ne veut pas se dessécher sur pied et cherche comment Marie a réussi sans Joseph – autre trait d’humour catho belge bon enfant. Elle lira ensuite un guide pratique, 101 trucs pour tomber enceinte, sans que son mari n’y fasse attention.

Les Langlois, qui ne sont pas en Chine mais en clinique pour se faire re-lifter une jeunesse, ne sont pas présentables ; ils doivent ronger leur frein avant que la cicatrisation du visage leur permette d’aller en société sans se faire questionner sur leur mensonge. Le conservateur s’est montré en effet tout à fait opposé à la chirurgie esthétique pour des raisons morales, une belle contradiction. Lorsqu’ils parviennent enfin chez eux, « revenus par avance à cause d’une intoxication alimentaire en Chine », ils trouvent une réception qui bat son plein dans leur maison de ville. Des gens tout nu partout et tous les parlementaires amis invités pour un apéro-nu via le réseau social des Langlois, que le bourgeois trop sûr de lui avait laissé cession ouverte, et que Michel avait autorisé sans le savoir par téléphone.

Comment résoudre le problème sans dévoiler le mensonge ? Il est évident que les Morin sont virés, mais encore ? Eh bien, il faut accepter l’inévitable. Comme Valérie va accepter son corps, Patrick le bébé désiré par sa femme, les Langlois vont accepter officiellement de soutenir le mouvement nudiste, « au final plutôt familial et qui ne remet nullement en cause les valeurs, etc… », comme le politicien le soutient sans rire face au micro de la journaliste. Les Morin, ayant pris goût au climat et à la gentillesse des gens sur l’île nudiste, vont s’y installer, et peut-être envisager un autre enfant. Le Sam suffit ne suffit plus.

Cette gentille histoire franco-belge est agréable à regarder et tout à fait correcte question mœurs. A l’opposé de l’époque des régressions et intégrismes, elle prône sans provocation la tolérance mutuelle, le naturel des relations, la réconciliation avec son corps et avec la nature. Bien mieux que les drag queens complaisantes de cérémonie !

DVD A dix minutes des naturistes, Stéphane Clavier, 2011, avec Lionel Abelanski, Christine Citti, Macha Méril, Catherine Jacob, Philippe Magnan, Jean-Baptiste Fonck, TF1 2012 rediffusé NRJ12 replay 2024 (création d’un compte exigé), 1h45

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Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay

Décédé en 1956, Louis Bromfield est un Américain injustement oublié. S’il a surtout été fermier et adapté l’agriculture biologique à sa ferme du comté de Richland, qui fait encore école aujourd’hui, il a été aussi guerrier durant la « Grande » guerre en France, journaliste et écrivain. Il s’intéresse aux gens.

Ici à la faune internationale à Bombay, capitale des Indes alors britanniques entre les deux guerres. Le pays est immense et pauvre, régenté par les rajahs richissimes qui n’ont que frivolités, jeu et bijoux en tête tandis que crève le peuple misérable qui les adore comme des dieux. Seuls quelques Blancs « missionnaires » se préoccupent des indigènes pour leur enseigner l’hygiène, l’agriculture et les rudiments de lecture. Homer Merrill est de ceux-là, jusqu’à se tuer à la tâche.

Il a perdu sa femme puritaine qui l’a enfermé, réprimé et méprisé jusqu’au bout, un vrai fléau de Dieu (qui l’a créée). Il doit se séparer de Tommy, son petit garçon de 9 ans qu’il adore, pour l’envoyer par bateau en pensionnat aux États-Unis afin qu’il fasse son éducation. Il ne garde que le petit Hindou Ali, aveuglé par une maladie qu’il espère bien faire opérer à ses frais à Bombay par un spécialiste.

Il va rencontrer dans le train son contraire absolu en la personne de la jeune Carol Halma, nom de scène d’Olga Janssen, une Suédoise robuste, saine et belle comme une déesse nordique. Son wagon de luxe ayant un essieu cassé, il doit l’accueillir dans son compartiment où il vivait jusque là demi-nu comme les jeunes garçons, à cause de la chaleur écrasante du pays. Il doit se rhabiller un peu et connaît une migraine sévère, due au paludisme et à la moiteur. Après avoir étalé ses bijoux aux yeux émerveillés des gamins, Carol en est touchée, elle lui caresse la tête et l’apaise comme on le fait d’un enfant.

Au grand hôtel Tadj Mahal de Bombay, où descendent tous les Occidentaux, Carol retrouve Bill, son ex-mari américain, fêtard comme elle mais qui s’est assagi en entrant dans les affaires paternelles. Il se trouve qu’Homer a été le copain de chambre d’université Cornell de Bill. Le trio va donc évoluer ensemble, chacun avec ses problèmes et ses affinités. Bill aimerait bien se remarier avec Carol, laquelle a eu le béguin pour Homer, qui en est tombé amoureux. Mais la réputation douteuse de Carol, adonnée au gin et qui s’affiche avec des escrocs et d’ex-putes venues recruter de la chair fraîche ou se refaire au jeu, la fait expulser du pays. Bill va rattraper in extremis la situation et Carol choisira de quitter sa vie de patachon pour enfin servir l’humanité avec Homer, à qui Bill va faire une donation et que l’Inde récompense par un diplôme et un prix.

Tout le sel du roman est moins dans ces histoires d’amour qui finissent bien que dans le cheminement plein d’humour qui y mène. La peinture des vieilles solitaires qui se pavanent dans les soirées mondaines et aux courses, cherchant à gagner quelques milliers de roupies pour payer leur chambre ou renouveler leur garde-robe défraîchie, est un bonheur de lecture. Une « baronne » tchèque est l’ex-tenancière d’un claque chic rue de la Chaussée d’Antin ; elle possède plusieurs établissements qui lui permettent suffisamment d’argent pour compenser sa laideur. Une « marquise » qui a épousé un général italien (alors fasciste) est une ancienne pute qui renseigne le gouverneur anglais. Mrs Trollope est une viveuse au bout du rouleau qui n’hésite pas à voler après s’être accrochée à la chance de Carol.

L’auteur est très sévère envers le puritanisme, les calvinistes et autres peine à jouir : ils ternissent la vie et pourrissent le moral des gens. Ce n’est pas pour cela qu’il faut baiser à couilles rabattues ou se donner au premier venu, mais le plaisir peut être pris lorsqu’il ne porte aucune conséquence néfaste pour quiconque. Reste qu’un couple complémentaire est la meilleure chose pour un projet commun, que ce soit élever un enfant ou entreprendre une aide au développement.

Un vrai roman agréable à lire et captivant, plein d’humour.

Louis Bromfield, Les Nuits de Bombay (Night in Bombay), 1940, Livre de poche 1967, 448 pages, occasion €10,00

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Jeux d’été de Rolando Colla

Chronique à la suisse d’un début d’adolescence à l’italienne dans un été au camping. Nous sommes il y a treize ans à peine et c’est déjà un autre monde. Les enfants du film sont adultes, ils ont probablement voté Meloni dans le no future que fut leur jeunesse. Deux couples sur la sellette : l’un adulte, celui de Vincenzo (Antonio Merone), macho violent, et Adriana (Alessia Barela) qui n’arrive pas à s’en déprendre ; l’autre prime adolescent, celui de Nic (Armando Condolucci), le fils aîné de Vincenzo qui reproduit la violence et en souffre, et de Marie (Fiorella Campanella) en quête éperdue d’un père dont sa mère ne veut pas parler. Ils ont 30 ans, ils ont 12 ans, l’espace d’une génération et l’espoir de ne pas retomber dans les mêmes ornières…

Vincenzo est ignorant comme son père, il l’avoue, et travaille sur les chantiers, tandis qu’Adriana est caissière et vient d’obtenir une promotion. Le père aimerait qu’on le respecte parce qu’il est « le père » et « le mari », cela se fait en Italie, mais il ne mérite pas l’honneur qu’il réclame car il est jaloux et n’écoute pas, il frappe. Ses deux fils sont pris en étau entre elle et lui, la mère poussant l’aîné de 12 ans dans la compagnie de son père, cela se fait en Italie, gardant pour elle le petit dernier de 10 ans. Mais une fratrie ne se sépare pas et Nic protège Agostino (Marco D’Orazi), s’interposant lors d’une bagarre qui débute sur la plage ou mettant de la musique dans les oreilles du petit lors des disputes entre les parents. Mûri, il filme aussi avec son Nokia mobile une scène de violence partie de rien entre son père qui monte en colère jusqu’à battre sa femme qui ne voulait qu’emporter un pot de fleur pour sa mère.

Deux couples, deux générations, et le danger de la reproduction. Celle, physique, des bébés, mais surtout celle des comportements. Les disputes et les coups se terminent souvent en baise torride des adultes, là, tout de suite, sur les aiguilles de pin, car la mère ne peut se résoudre à se détacher de son mâle. Lorsque Nic rencontre Marie, c’est à l’occasion d’une dispute entre son petit frère et Lee (Francesco Huang), le copain de Marie et de sa cousine Patty (Chiara Scolari) qui aide son père chinois à l’épicerie-buvette du camping. Nic blesse Marie à la lèvre dans un mouvement violent, sans vraiment le vouloir. Il ne s’excuse pas mais en reste taraudé, jusqu’à revenir le jour suivant et se blesser devant elle à la lèvre pour « être quitte ». Où l’on sent que l’égalité entre homme et femme progresse…

Ils deviennent copains car chacun est en quête : Nic d’amour féminin enfin, Marie d’amour paternel qu’elle n’a jamais connu. Le terrain de camping en Maremme où ils passent une dizaine de jours est le lieu clos hors du temps où ces relations ont lieu et évoluent. Pourquoi ce secret de famille à propos du père de Marie ? La mère (Roberta Fossile), infantile et autoritaire parce qu’elle se sent obscurément coupable de quelque chose, cache et continue de cacher l’histoire du père, malgré les objurgations de sa sœur et celle de sa fille. Elle la juge « trop petite », mépris d’adulte pour l’enfant qu’il refuse de voir grandir. Pourquoi cette violence irrépressible de la part du père de Nic ? Par atavisme paternel, reproduction mimétique, absence de mots pour le dire qui fait parler les poings. Vaut-il mieux un père absent idéalisé ou un père présent détesté ? C’est probablement ce qui fascine Nic chez Marie, cet amour du père qu’il ne peut ressentir lui, malgré quelques moments de complicité « entre hommes » que Vincenzo tente avec lui.

Outre la plage, où faire des châteaux de sable n’est plus de leur âge, la petite bande investit un hangar abandonné dans un champ de maïs juste au-delà des dunes, pour en faire leur repaire. Nic attise leur curiosité en déclarant avoir vu, entre les interstices des planches, « un mort ». Il s’agit en fait d’un épouvantail gisant là, mais cette épouvante les soude. Sur proposition de Nic, ils jouent à la chasse à l’homme ; une fois attrapé sa victime, le chasseur peut « lui faire tout ce qu’il veux ». Marie s’empresse de tempérer ce jeu un brin sadique en lui ajoutant « un commissaire » pour arrêter le chasseur « s’il va trop loin ». Elle sent que Nic, sur l’exemple de son père, est constamment poussé à aller trop loin.

En bravache, mais aussi en victime, le garçon déclare ne rien ressentir sur son corps des tortures qu’on peut lui faire. Il suffit, dit-il, de « se croire un autre et de regarder sans ressentir ». Pas facile, mais effet d’une éducation reçue sous les coups et à observer donner les coups. Un masochisme de martyr qui fait contre mauvaise fortune bon cœur. Marie le teste en lui faisant couler sur le torse de la cire fondue sans qu’il ne batte un cil ; puis elle allume une cigarette mais se refuse à le brûler. C’est Nic qui force sa main à lui enfoncer le bout incandescent dans le bras pour en faire une plaie. Il se plantera aussi la pointe d’une paire de ciseau dans la cuisse ou se laissera étriller le dos au sable grossier. Ces tortures physiques sous le regard de Marie attisent son désir naissant pour elle. On peut se demander quel genre d’amour sado-masochiste pourra surgir de cette éducation sensuelle associée aux sévices. Nic pousse loin le bouchon, laissant Lee, qui a attrapé Marie dans les maïs, la forcer à danser sur une musique arabe, se caresser le corps avec les mains et se lécher les lèvres de sa langue, avant de déclarer : « je vais te baiser ». Ce n’est que sur les instances de Patty que Nic, « commissaire », se décide à arrêter le jeu ; il voulait voir si Matrie se laisserait faire ou si elle le préférerait.

Marie, plus mûre, est attachée à ce Nic viril mais vulnérable, mais elle repousse ses avances amoureuses tant qu’elle ne sait pas qui était son père. Par des menaces, une fugue, des disputes, elle obtient enfin de sa mère de savoir qu’il est mort d’un accident à 37 ans et qu’il est enterré au cimetière de Porto Santo, en face, dans la baie. Lee emprunte le bateau de pêche de son père pour emmener la bande au cimetière où Marie peut enfin voir la tombe et pleurer devant elle. Nic, prévenant et sensible à sa douleur, allume la bougie de son supplice pour le papa retrouvé et perdu. Car lui a perdu le sien en se rebellant tout récemment contre lui, qui voulait encore et toujours battre sa femme, malgré ses promesses et ses excuses à chaque fois.

Au retour, le petit couple reste dans une baie pour rentrer à pied au camping tandis que les autres ramènent le bateau. Nic et Marie jouent dans l’eau presque nus, s’embrassent timidement, puis retournent pour la fête de fin d’été du camping. Lorsque, au lieu des coups ou des caresses rudes au sable, Marie lui caresse la peau des épaules avec ses cheveux mouillés, Nic fond. Des larmes lui montent aux yeux. L’amour fait fondre la violence.

Les vacances se terminent, la parenthèse de la vie courante aussi, mais rien ne sera plus comme avant. Nic et Marie, à leur âge charnière, auront connu une grande tension mais aussi une catharsis. Ces jeux d’été leur auront permis de régler le problème avec leurs pères respectifs et avec le mystère de l’amour.

C’est assez bien vu et mis en scène, même si le début s’égare un peu. Si Marie reste constamment en maillot de bain deux pièces, montrant sa constance dans sa volonté de savoir, Nic reste vêtu adulte, tee-shirt et jean long, ne se mettant enfin en uniforme d’été, short et torse nu, qu’à la moitié du film, comme une libération d’un carcan paternel qu’il a enfin réussi à briser. Grâce au contre-exemple de Marie, sa moitié complémentaire.

DVD Jeux d’été (Giochi d’estate), Rolando Colla, 2011, avec Fiorella Campanella, Armando Condolucci, Alessia Barela, Antonio Merone, Roberta Fossile, Look Now! 2012, 1h41, occasion €37,99

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Starship Troopers de Paul Verhoeven

Un film de série B avec des acteurs de série B, mais qui est le genre de divertissement grand public dont raffolent les Yankees : discipline de l’armée, sauver le monde, bluette amoureuse, grands badaboums et débauche de munitions pour massacrer d’immondes aliens. Reste que ce n’est pas aussi nul.

L’histoire est tirée du roman Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers) de Robert A. Heinlein, paru en 1959. D’infects insectes « arachnides » (qui ressemblent plutôt à des mantes religieuses) partis d’une étoile lointaine envoient vers la Terre des astéroïdes emplis de parasites qui visent à éradiquer toute vie pour s’y installer à la place. Buenos Ayres, paradis du futur, est ainsi pulvérisée. La Fédération mondiale réunie à Genève mandate donc un «Sky marshall » pour élaborer une stratégie… qui échoue. Car c’est toujours la même chose, la stratégie yankee consiste à foncer en masse pour balancer un déluge de feu partout. Sauf que les petites bêtes se terrent dans les trous et ressurgissent là où on ne les attend pas.

Nouvelle stratégie, un peu moins primaire : essayer de comprendre les étrangers. Là, c’est mieux, on recherche « le nid », l’antre de « la reine ». Et « l’opération spéciale » – c’est dit comme ça bien avant le Putin – est enclenchée : la bonne planète, le bon endroit, la bonne tactique. Une planète à la fois, dans l’ordre. La bête, immonde limace à gros yeux multiples et bouche répugnante qui adore sucer les cerveaux des humains, est prise au filet. On va pouvoir « l’étudier » (avec des méthodes de camp nazi, mais la survie humaine est à ce prix).

Voilà pour la trame. S’y greffe une historiette vaguement amoureuse entre amis. Le capitaine de l’équipe de foot (américain) du lycée Johnny (Casper Van Dien) est « sous emprise » à la fois des valeurs patriotiques pour devenir « citoyen », véhiculées par son prof d’histoire et instruction civique (Michael Ironside), et de sa copine du moment Carmen (Denise Richards), bien meilleure en maths que lui. Son père voudrait qu’il intègre Harvard et reste « civil », sans les droits associés aux citoyens mais riche et en vie, alors que lui penche pour s’engager pour baiser Carmen, qui veut devenir pilote de vaisseau spatial. Il n’en a pas les capacités intellectuelles mais peut devenir « trooper », autrement dit biffin dans l’infanterie mobile. Belle gueule, corps d’athlète, il serait le « gendre idéal » s’il était un peu moins bovin. Carmen, qui s’éloigne en raison de sa formation, privilégie très vite sa carrière à son amourette et déclare qu’elle le quitte. La carrosserie musculaire ne suffit pas à son ambition ; elle préfère être en phase avec son coéquipier Zander (Patrick Muldoon), rival de Johnny au foot du lycée, qui a plus de cervelle. Elle masque son cruel égoïsme (tellement yankee) en arborant un sourire de Cadillac découvrant son râtelier étincelant, quasi d’une oreille à l’autre, qui pousse au baiser amoureux.

Dizzy est la fille délaissée, entichée du beau Johnny qui lui a préféré Carmen. Elle s’engage à sa suite et intrigue pour être dans son unité d’entraînement. Elle sait ce qu’elle veut et elle l’obtiendra car elle est forte, déjà en foot au lycée, mais le beau gosse ne le voit pas et elle donnera sa vie pour cela. Carl (Neil Patrick Harris) est l’intello de la bande ; avec Johnny et Carmen, il jure amitié éternelle avant de s’égayer après le lycée. Excellent en maths, il est le savant rationaliste par excellence, qui n’a pas froid aux yeux mais quitte toute humanité lorsqu’il s’agit de science. C’est lui qui déterminera que les aliens ne sont pas uniques et qu’il existe une hiérarchie comme chez les humains : les « scarabées des sables » ouvriers, les « cuirassés » armes incendiaires, les « criquets » appui aérien, les « guerriers » troupes au sol, les « plasmas » lutte antiaérienne et le « cerveau » qui est le général des infects. Il l’étudiera une fois capturé avec des procédés intrusifs. Carl est télépathe, ce qui lui permet à la fois le pire (il sait que la bête est « effrayée » et s’en réjouit) et le meilleur (il suggère à Johnny où se trouve Carmen en danger de mort). Il arbore d’ailleurs un long manteau noir de colonel SS. La hiérarchie des trois est fixée : Carl colonel, Carmen capitaine, Johnny caporal, puis lieutenant faute d’officier.

Les effets spéciaux sont plutôt réussis, notamment l’arrière-train des insectes « plasmas » qui envoient des décharges d’énergie vers le ciel, et les pattes des « guerriers » qui transpercent les poitrines des pauvres humains. A noter que la tactique militaire est lamentable : les soldats en troupeau, sans ordre et trop rapprochés, leur progression dans un canyon sans contrôler les hauteurs, leurs fusils ridicules face à des insectes géants, l’envoi de troupes sans protection aérienne… L’armée est bête, on le savait ; la bêtise est ici portée à son paroxysme.

Mais on l’aura (peut-être) compris, ce film est une caricature qui dénonce l’impérialisme yankee, le militarisme patriotard, la fausse égalité des armes (quand filles et garçons, Noirs et Blancs, prennent leur douche collective tout nu). Verhoeven aime la satire bien lourde pour dénoncer le fascisme partout, même celui américain de la trop bonne conscience. Avouons que ce n’est pas sur le moment, mais avec du recul, que l’on saisit son intention. Ce pourquoi le film n’est pas aussi mauvais qu’il en a l’apparence. Les acteurs trop lisses sont des cases vides qui représentent des « types » : l’athlète trop beau gosse qui fonce mais sans cerveau, l’ambitieuse allumeuse qui sacrifie tout à sa passion, le cerveau rationaliste qui perd tout affect. A chaque fois des humains incomplets. Sans parler des rôles sociaux : les parents intrusifs, le prof manipulateur, le sergent psychopathe, le Sky Marshall imbu de lui-même. Ou des médias : les actualités avec le « voulez-vous en savoir plus ? » à cliquer sur le net.

DVD Starship Troopers, Paul Verhoeven, 1997, avec Casper Van Dien, Dina Meyer, Denise Richards, Jake Busey, Michael Ironside, Touchstone Home Video 2001, 2h10, €4,90, Blu-ray €15,61

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Les autres films de Paul Verhoeven déjà chroniqués sur ce blog

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Alain Bauer, Les lois, décrets et arrêtés les plus cons de l’histoire

Les députés bavassent, ils n’agissent pas. Quand ils font des lois pour dicter les règles, c’est comme si c’était fait. Ils ne se préoccupent jamais de suivre leurs édits, de vérifier qu’ils sont bien respectés, qu’ils sont encore valables. C’est ainsi que pas moins de 320 458 articles de valeur réglementaires ont été répertoriés par Légifrance en 2018 : êtes-vous bien sûr de les connaître, de les respecter ? A quoi sert une règle si elle se trouve enfouie dans la jungle ? A quoi sert de continuer à légiférer tant et plus si c’est pour ajouter de la confusion ?

Avec une certaine malice, Alain Bauer, criminologue, dresse le portrait des règles « les plus cons » toujours en vigueur… Cela n’étonnera personne qu’il y en ait le plus aux États-Unis, pays fondé sur le droit mais qui s’assoit volontiers dessus, tant chaque ville établit ses propres règles, chaque État sa loi, et la fédération en plus. Mais il en reste en France, bien trop, de ces lois imbéciles, de ces règlements ineptes, de ces édits obsolètes.

Par exemple p.22, 15 000 € d’amende si l’on est « vu » nu. Il suffit que « le lieu soit potentiellement accessible au regard du public » (art.222-32 du Code pénal). Autrement dit, si un voyeur vicieux braque son téléobjectif sur votre chambre, à 50 m de tout voisinage, et vous voit sortir à poil de la douche, il peut être « choqué » et porter « plainte ». On ne condamnera pas le voyeur, ce Tartuffe hypocrite – mais vous.

Pas d’alcool sur les lieux de travail selon le Code du travail dans son art.R4228-20… sauf « le vin, la bière, le cidre et le poiré » (p.24). Une absurdité aujourd’hui, qui date du temps des paysans.

Une ordonnance du 7 novembre 1800, jamais officiellement abrogée, interdit « le travestissement des femmes ». « Toute femme désirant s’habiller en homme [doit] se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ». Sauf, depuis 1892 et 1909, « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ». Le Sénat l’a évoqué en séance publique du 30 juillet 2013, mais qu’attend donc le Parlement pour abolir cette imbécillité ? p.31. Ou la police pour faire respecter la loi – puisqu’elle existe ?

Un arrêté municipal de Châteauneuf-du-Pape du 25 octobre 1954, dans le Vaucluse, interdit « le survol, l’atterrissage et le décollage d’aéronefs dits soucoupes volantes ou cigare volant sur le territoire de la commune sous peine de mise en fourrière immédiate » p.38. Sûr que les extraterrestres ou les Russes ex-soviétiques testant des engins d’espionnage, vont s’en préoccuper ! Encore du temps passé et du papier gâché inutiles.

A Challans en Vendée, le maire a pris un arrêté aussi stupide le 14 février 2018, il n’y a pas si longtemps : Il a interdit la pluie sauf « trois nuits par semaine » p.46. Ce serait amusant si ce n’était jouer avec le droit. Édicter une règle absurde est le meilleur moyen d’inciter à n’en respecter aucune.

Aussi « con » le maire de Cugnaux en Haute-Garonne, qui a interdit en 2007 « à toute personne ne disposant pas de caveau de décéder sur le territoire de la commune » sous peine de « sanctions sévères » p.49. Lesquelles ? La profanation publique de cadavre par les officiels en écharpe tricolore ?

Aux États-Unis, le délire juridique est une conséquence de la psychose yankee. Ainsi, au Texas, parler à quelqu’un dans l’espoir de trouver un emploi constitue un délit selon le Code §38.12(a) alinéa 2 (p.59). Seuls les sourds et les muets peuvent légalement trouver du travail.

Les cannibalisme est strictement interdit et passible de 14 ans de prison… depuis 1990 (p.73). Avant, c’était donc permis ? Une exception quand même, au cas où : le cannibalisme est autorisé « en tant que seul moyen apparent de survie » Idaho Statutes, title 8, chap.50, 18-5003. Il faut dire que l’État est situé en pleine cambrousse, au nord-ouest de Salt Lake City, où la vie est encore sauvage…

Jusqu’en 1969, il était interdit dans l’Illinois de parler anglais car la seule langue officielle était « l’américain » 5 ILCS, 460/20 p.85. On se demande quelle est cette langue, non répertoriée. En Arkansas, les personnes athées ne peuvent occuper de position administrative ni témoigner devant une cour de justice (Arkansas Constitution art.19, sec.1. Dans cet État du sud, la discrimination est ici clairement négative et assumée. Mais il suffit de « se dire » chrétien ou musulman ou juif pour que tout redevienne possible. Hypocrisie américaine.

Le code municipal de Boulder dans le Colorado indique qu’il est autorisé d’insulter, de se moquer ou de défier un flic SAUF s’il dit d’arrêter p.94. On devrait adopter ça dans nos banlieues. De même en Utah, il est interdit de « lancer un missile » sur un bus ou une gare routière, sauf pour les « officiers de la paix » et le personnel de sécurité (Utah Code, title 76, chap.10, part.15, §76-10-1505. Il y en a qui ont du temps à perdre dans ces arguties juridiques… p.116.

En Caroline du nord, « un homme âgé de plus de 16 ans » qui séduit « une femme célibataire dans cet État » est coupable d’un délit – sauf si la femme n’était pas vierge au moment de l’infraction (South Carolina Code Title 16, chap.15, art.1 sec.16-15-50). Donc, à vous les moins de 16 ans !

Les technocrates européens sont réputés pour leur vocabulaire abscons, voire con tout court. Il faut dire qu’ils ont été élevés à l’ENA ou équivalent, où bavasser techno pour noyer le poisson est une règle de l’art. « Faites chiant », disait Balladur à ses fonctionnaires. Bruxelles l’applique. En témoigne cette Directive 2009/67/CE citée p.130 : « Les feux indicateurs de direction automobiles doivent être situés à l’extérieur des plans verticaux longitudinaux tangents aux bords extérieurs de la plage éclairante du ou des » feux de route. Comprenne qui pourra, surtout traduit en 27 langues, y compris le belge.

Alain Bauer, Les lois, décrets et arrêtés les plus cons de l’histoire, 2024, First éditions, 216 pages, €12,95, e-book Kindle €8,99

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17 Musée d’art de Riga

Histoire de Pierre : un humoriste russe expose que pour être ministre en Russie, il faut être con. Comment cela ? – C’est simple, quand j’ai téléphoné au Kremlin pour demander à devenir ministre il m’a été répondu : « t’es con ou quoi ? » Je n’avais manifestement pas le profil.

Nous prenons devant l’ambassade de France. Le monument à la liberté est surmonté d’une statue de la déesse Milda brandissant trois étoiles pour les trois provinces initiales de la république de 1918. Elles sont aujourd’hui quatre.

Nous passons la rivière qui servait de douves à la butte sur laquelle sont bâties les casernes suédoises. Le pignon supporte les blasons des districts. La tour poudrière date de 1312 avec des boulets de canon encore enfoncés dans ses murs.

Il y a une collection d’art asiatique dans ce musée, « India the land of tradition ». Après Garuda, une statue de Bouddha thaï. De la porcelaine Sacuma japonaise du début du XXe siècle, des porcelaines de Meissen. Et même une momie égyptienne et deux statues grecques, en plus d’une pièce d’argent érotique où deux guerriers thraces s’enfilent avec enthousiasme, corps nu mais casque sur la tête. Le barbu est actif, l’imberbe subit.

Le peintre Nicholas Roerich, mort en 1947, expose ses peintures sur le Tibet ; elles sont de toute beauté. Il a parfaitement rendu le côté aérien, lumineux, du ciel des hautes altitudes dont je me souviens, les sommets aiguisés des montagnes coupant le paysage comme des diamants bruts.

Il faisait partie du courant anthroposophe visant à relier Orient et Occident. Le peintre Nicholas Roerich était fils de tibétologue. Il a été à l’initiative du pacte Roerich en 1935, la Pax Cultura, sorte de Croix-Rouge de l’art et de la culture qui visait à protéger le patrimoine en cas de guerre. Il n’a jamais été respecté mais à induit une réflexion pour les objets d’art, destinée à sanctuariser le patrimoine menacé.

Des peintures de l’âge romantique nordique sont recueillies dans deux salles. Je note un paysage de rivière d’Upes Ainava de 1642.

Un autre paysage d’hiver de Ziemas Ainava sans date.

Une « révélation » sous forme d’Idole, autrement dit une belle femme nue d’Elks Atklasme de 1932.

Une petite maison au bord de la mer de Majina Pie Juras en 1964, entre autres.

Il y a même une copie en bronze du Baiser de Rodin, mais placé en contre-jour et fort mal éclairée. La muséologie ne semble pas le fort du musée, il y a des reflets sur tous les tableaux !

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Sixième Sens de Manoj Nelliyattu Shyamalan

La mort : en avoir peur ou l’accepter ? « Il faut écouter les morts », conseille le psychiatre à son petit patient de 8 ans. Écouter les morts signifie être le passeur entre le passé et le présent, autrement dit écouter les vivants au travers de ceux qui sont morts, leurs souvenirs, leurs traumatismes. Ainsi cette fillette décédée alors qu’elle pétait la forme et jouait au théâtre de marionnettes. Ainsi son prof, ancien bégayeur moqué à l’école. Ainsi la mère de Cole (Toni Collette) solitaire, débordée, maniaque qui a des conflits à résoudre avec sa propre mère. Ainsi le psy, qui voit sa femme lui échapper.

Mais revenons au film. Le réalisateur américain originaire de Mahé en Inde l’a construit avec un retournement final (que les colonisés de la tronche appellent « twist » parce que ça fait branché yankee). Un retournement préparé, mais pas perçu au premier visionnage. C’est justement la qualité du film de pouvoir le revoir deux fois, trois fois. Avec, à chaque passage, une façon différente de regarder.

Au premier degré, Malcolm Crowe (Bruce Willis), psychiatre de Philadelphie qui a reçu une citation de la ville pour services sociaux rendus à la collectivité, rentre un soir avec sa femme (Olivia Williams) pour passer une soirée en tête à tête à la maison avec une bouteille de bon vin. Dans la chambre, l’épouse découvre la fenêtre cassée, on est entré par effraction. Une ombre passe, c’est un ancien patient dans la salle de bain, Vincent Grey (Donnie Wahlberg). Il s’est dépouillé de ses vêtements pour apparaître nu, vulnérable, laissé pour compte dans ses terreurs. Il est bien bâti et a tout pour lui, sauf que le psy n’a pas pu l’aider. Lequel bafouille ; le jeune homme lui tire dans le bide avant de se tirer une balle dans la tête.

Trois mois plus tard, Malcolm Crowe se retrouve chargé d’un gamin de 8 ans, Cole (Haley Joel Osment, 11 ans au tournage), qui présente les mêmes symptômes que son patient suicidé. Il pense qu’il peut rattraper son échec en aidant l’enfant car c’est peut-être plus facile avec l’expérience de Vincent, lui-même suivi petit. Il ne l’a pas cru ; il faut croire Cole. L’enfance est un âge influençable, pas encore fini ni ancré dans sa psychose. Cole est timide et effrayé car il a un secret qu’il finit par avouer, d’une toute petite voix qui craint la rebuffade : il voit les morts autour de lui ; il est seul à les voir et lorsqu’ils rôdent la température s’abaisse d’un coup. Ils lui demandent quelque chose. Quoi ? De les aider. Les aider à quoi ? A passer, à régler ce qu’ils n’ont pu régler dans leur vie. Mais Cole est terrorisé, il ne sait à qui se confier puisque sa mère ne comprend pas ce qu’il raconte et croit qu’il ment lorsqu’une médaille est déplacée, puisque son prof ne le croit pas lorsqu’il dit que l’école est le lieu où, jadis, on pendait les gens – le prof euphémise en disant que c’était une cour de justice de la capitale alors des États-Unis pour quelques années.

Le psychiatre va réécouter une cassette enregistrée lors d’une séance avec Vincent qui fréquentait la même école que Cole et, poussant le son à fond, percevoir dans un silence une toute petite voix, celle d’un mort. Il va donc donc, plutôt que de diagnostiquer en bon technicien du cerveau de mauvais traitements, une schizophrénie précoce et une tendance paranoïaque, écouter Cole. IL va le faire parler, respecter ses silences et ses retraits, le croire. Cela au risque de délaisser sa femme Anna, qui commence à se laisser fréquenter par un jeune étudiant. Crowe se laisse aller à l’empathie pour mieux comprendre. C’est en cela qu’il aide son patient, à qui il sert de père de substitution et de confident quasi maternel. Il garde de la distance, notamment physique, le spectateur comprendra pourquoi par la suite. Même chose avec sa femme, il lui parle mais elle garde le silence. En fait, le psychiatre est bien seul dans la vie, dans la rue comme devant les autres…

Cole va finir par accepter de surmonter sa terreur pour s’ouvrir lui aussi aux autres, aux morts qui l’entourent et qu’il perçoit. Son empathie, transmise par le psy, lui permettra de se mettre en règle avec lui-même et avec les vivants. Avec une fille de sa classe, morte inexplicablement alors qu’elle était en bonne santé, et qui a laissé tourner une caméra dans son placard où elle filmait ses marionnettes : sa mère, souffrant d’un syndrome de Münchhausen par procuration, a versé du poison dans sa soupe. Avec ses copains de classe qui le trouvaient bizarre et le bizutaient, il est désormais reconnu comme le valet de ferme qui est le seul à pouvoir ôter l’épée du rocher, dans la légende d’Arthur jouée en fin d’année. Avec sa mère, à qui il apprend que l’accident au bout de la rue qui immobilise la voiture dans une file est due à une femme en vélo qui s’est fait écraser, que sa grand-mère lui parle et transmet un message à sa fille, notamment qu’elle l’a bien vue danser à sa fête de fin d’année, même si elle est restée cachée au fond de la salle. Avec son psy Crowe, à qui il conseille de parler à sa femme lorsqu’elle dort ; les messages passent dans l’inconscient. Mais lorsqu’il le fait, l’épouse laisse échapper de sa main l’anneau de mariage de son mari, lui qui croyait le porter au doigt.

Au second degré, lorsqu’on a déjà vu le film une fois et que l’on connaît le rebondissement final, le regard du spectateur change et s’approfondit. Il peut comprendre ce que le petit Cole comprend tout seul lorsqu’il finit par « écouter » les morts. Que la fin de vie est une transition progressive du monde des vivants vers le monde des morts. Qu’il faut, pour apprivoiser le fait de voir mourir les autres et de mourir soi-même, communiquer avant tout, tout le temps. Parler est une thérapie, la psychanalyse le dit et le démontre. Ce film aussi. Au fond, il ne faut pas avoir peur de la mort mais la faire apprivoiser par les vivants. C’est en réglant ses propres conflits non résolus que la mort viendra à son heure, en étant apaisé. Ce qu’on appelle le deuil.

DVD Sixième Sens (The Sixth Sense), Manoj Nelliyattu Shyamalan, 1999, avec Bruce Willis, Haley Joel Osment, Toni Collette, Olivia Williams, Mischa Barton, Hollywood Pictures Home Video 2000, 1h42, €4,99 Blu-ray €14,53

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8 Musée d’art lituanien de Vilnius

Il s’agit d’un ex-musée de la RSS de Lituanie jusqu’à l’indépendance en août 1991. Peu de choses avant le XXe siècle hélas – tout le reste a été détruit par la guerre, les nazis d’abord puis les russes soviétiques pour ce qui restait. Deux pièces reconstituent des salons bourgeois 19e avec des reproductions de sculptures comme la Vénus de Milo (deux fois), un buste de Voltaire, des gravures, des tableaux de paysages italiens, des portraits. Je note trois statues de bois dont un Christ langoureux du 16ème, deux tableaux romantiques exaltant la paysanne lituanienne de Kanutas Ruseckas en 1844 et 1847 – tout le reste est contemporain.

Dans le « contemporain », il s’agit de « déconstruire », même si cette mode des années 1960 apparaît plutôt ringarde aujourd’hui. Effacer le personnage du tableau pour livrer le mobilier brut, comme tiré d’un catalogue Ikéa, commencer par la couleur avant de mettre le gris, peindre les formes avant de dessiner les traits, sont des fantaisies pour explorer ce qui ne se faisait pas, mais elles trouvent vite leurs limites. C’est ainsi que la dernière salle présente plusieurs tableaux grand format d’oranges fruits alignées dans un bac, peintes en 2019 par une artiste dont je n’ai pas même fait l’effort de retenir le nom. C’est plus décoratif qu’artiste. Il s’agit, selon les explications de la guide spécialisée du musée, de « dénoncer la société de consommation » par la profusion des oranges alignées, mais en même temps de « dénoncer le totalitarisme du collectif » qui met toutes les oranges dans la même caisse alors que chacune est différente l’une de l’autre. C’est encore, suivant la guide très au fait du sujet, un rappel « des immigrés que nous voyons comme une masse anonyme alors qu’ils ont chacun une identité ». On peut ainsi multiplier les points de vue, sans que cela ajoute grand-chose à ce que nous voyons et ressentons. Je ne crois pas que la pensée abstraite puisse remplacer la sensibilité en art.

En face du musée se situe l’Institut culturel français avec une librairie et une plaque rappelant que Stendhal a vécu là, comme intendant de la Grande armée de Napoléon en décembre 1812. Sur la place juste derrière se situe l’ambassade de France. En face, le monument à Adam Mickiewicz (1798-1855), poète romantique et militant patriotique polonais.

Sur la place, l’église orthodoxe de saint Parascève. Elle aurait été bâtie, selon la légende, par Marie, l’épouse du grand-duc Algirdas, en 1345 – sur l’emplacement d’un temple païen au dieu Ragutis – dieu du levain qui fait la bière… Le tsar Pierre 1er l’aurait visitée en 1705 et y aurait fait baptiser son filleul, le nègre Hannibal, esclave affranchi qu’il maria ultérieurement à une Russe et qui sera le grand-père de l’écrivain russe Alexandre Pouchkine auteur d’Eugène Onéguine et de Boris Godounov. Le bâtiment actuel date de 1865.

Nous pouvons regarder de vieilles photos noir et blanc de la ville au début du XXe siècle, sur la place de l’ambassade de France. Les collégiens y figurent en uniforme, à l’allemande ou à la russe, portant casquette. Les gamins sont pieds nus. Il y a des fiacres, des robes longues, des chapeaux haut-de-forme – et des inondations.

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Jefferson Parker, La mue du serpent

Un bon roman policier ancien, sur ce qui devenait à la mode : la pédocriminalité. La loi californienne venait, quelques années auparavant, de pénaliser la diffusion d’images pornographiques mettant en scène des enfants et l’air du temps était à dénoncer le crime. Il s’agit, vu sous l’œil policier, d’un psychopathe perverti durant l’enfance par sa mère et ses sœurs, qui en est resté au stade infantile de jouir seulement en présence de fillettes de 5 ou 6 ans. Il ne leur fait « rien », seulement les enlever et les relâcher vêtues de tulle blanc et d‘une cagoule noire, comme des anges…

Il les appelle des « colis », façon de chosifier des êtres vivants pour les mettre à distance et s’’en servir comme objets, sans aucun affect. Typique du psychopathe qui ne pense qu’à lui et n’a aucune empathie. Tripoté petit enfant par ses sœurs prépubères, il s’est attardé à cet âge incertain, tandis que sa mère l’accusait de toutes les perversions et l’enfermait dans le placard pour mieux baiser à tout va avec son amant du moment. Il a donné à bouffer la marâtre à son crotale « horridus » apprivoisé lorsqu’il est devenu adulte. A imaginer qu’un horridus puisse s’apprivoiser. Car le pédo est fan de serpents, ce qui le perdra.

Il en est à son quatrième enlèvement de « colis » lorsqu’il est enfin traqué et pris, mais non sans mal. Car son chef lieutenant poursuit Terry sergent de sa hargne pour lui avoir piqué sa femelle, tandis que ledit Terry, terrassé par la mort récente de son fils de 5 ans Matthew, noyé sous ses yeux d’une embolie suivie d’une asphyxie, carbure à la tequila au gallon. Il alpague, avec son équipe efficace, devenue célèbre dans le comté, un couple de pédocriminel qui prostitue leur fille de 10 ans sous couvert de proposer un « modèle » esthétique. Mais la perquisition révèle une enveloppe où plusieurs photos compromettantes mettent en cause Terry. Il est tout nu et en situation : il caresse, pénètre, puis se fait faire une fellation, le tout avec une gamine de 10 ans.

Il jure qu’il n’y est pour rien, qu’il n’a jamais vu la môme, que les photos sont des montages, mais… Nous sommes avant l’an 2000 et la technique n’est pas encore peaufinée, mais les photos sont vraiment ressemblantes. On dirait du vrai. Imaginez aujourd’hui ce qu’on peut produire avec l’IA ! Mis à pied, réduit à enquêter tout seul pour lui-même, Terry s’en sort en embauchant à prix d’or le meilleur avocat et le meilleur spécialiste, car tout a un prix aux États-Unis, notamment la liberté. Il va même jusqu’à payer 10 000 $ pour tenter de piéger Horridus, le pédocriminel qui enlève les fillettes – et qui semble expert dans l’art de produire contre argent de parfaites « photos » de personnes en situations sexuelles explicites.

Est-ce le lieutenant jaloux, qui brigue la succession du shérif qui l’a piégé ? Veut-il le séparer de son ex-femme par jalousie ? Terry va enquêter et s’apercevoir que la réalité est plus complexe qu’il ne croyait.

Mal écrit mais efficace, ce roman policier raconte la traque du pédocriminel qui, malgré ses précautions et son intelligence, ne saurait penser à tout. Sa dernière victime, ravissante petite blonde de 5 ans, a été livrée au gros serpent qui veut se la faire sans laisser de traces, mais Terry parvient in extremis à découvrir l’endroit et le moment.

Se lit bien, ne laisse pas de trace, sauf un écœurement évident pour les fantasmes sexuels des pervers mis en scène (encore qu’il ne se passe pas grand-chose, « seulement » un enlèvement traumatique). Le personnage principal du flic n’a rien d’un héros ; c’est un père défaillant, alcoolo et amant qui trahit. Mais il a cette obstination « d’Irlandais » qui fait le bon flic californien.

A lire et à jeter, comme souvent, dans le style de la consommation américaine. La couverture en France n’a aucun rapport avec l’histoire : aucun petit vélo ni aucune clope dans le roman. Encore raté, les éditeurs ! Il vaudrait mieux lire le livre avant d’ordonner l’illustration. Mais c’est sans doute trop demander.

Jefferson Parker, La mue du serpent (Wher Serpent Lie), 1998, Pocket 2005, 571 pages, €1,79 occasion

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7 Université de Vilnius

Nous montons vers le palais présidentiel lorsqu’une puissante BMW de la police, à petits coups de sirène et feux clignotants comme un arbre de Noël, ouvre la route à deux Mercedes noires d’officiels. Nous verrons que l’extérieur du palais, d’ailleurs très classique dans le style XIXe siècle.

Nous entrons en revanche dans l’université de Vilnius. À l’intérieur, l’église Saint-Jean à façade baroque ondulée comme un rideau de scène. Dans le chœur, le Christ est crucifié sur l’arbre de Jessé qui donne sa généalogie dorée sur fond bleu ciel. Une nuée de bambins nus volettent au-dessus du dais. La chapelle Sainte-Anne a été bâtie au tournant du 17ème siècle par l’architecte Glaubitz et le sculpteur Hedel. Le portail rococo symbolise l’immaculée conception de Marie. L’autel en bois sculpté provient de Saint-Victor à Marseille ; il a été acheté par les Franciscains de Vilnius en 1864.

Dans le bâtiment de la faculté littéraire, une salle est décorée de fresques originales de Petras Repsys en 1976. Il s’agit de fantasmagories pour l’anniversaire de la Lituanie. L’artiste présente les Lituaniens originels nus, ce qui a choqué le pouvoir prude du soviétisme (très petit) bourgeois. Ils accomplissent les tâches de saison sans aucun vêtement. Ils travaillent, jouent, luttent, se marient. Le tout est vivant et joyeux, sans cesse en mouvement. L’artiste n’a pas été envoyé en camp de redressement, malgré les bureaucrates du Parti pour la culture. Un fronton présente celui qui ne voit rien, ne sent rien, ne pense pas… un hommage aux fonctionnaires exemplaires.

La cour des élèves (Alumnatas) orne une école théologique fondée par le pape en 1582 sous le patronage des Jésuites afin d’évangéliser l’est. Les cours à arcades sont une antichambre aujourd’hui à l’arrière du palais présidentiel.

Vilnius avait son quartier juif, qui a été fort abîmé par les nazis, et ses habitants massacrés. Des plans du petit ghetto, placé par la ville contemporaine, voisinent avec un graffiti antisémite de ce nouveau conservatisme nationaliste qui saisit peu à peu tous les pays du monde depuis une vingtaine d’années. Un Ben Laden au pochoir est aussi imprimé sur un mur, ce qui n’est pas anodin dans ce quartier précisément : les Juifs ne sont pas bienvenus. Les ennemis de mes ennemis étant de facto mes « amis », les gens résonnent comme des cloches et comme le manipulateur Mélenchon : yabon Musulmans, donc les Juifs sont des fachos-machos-colonisateurs-impérialistes. Sommaire, mais efficace pour les bas du front qui se contentent de résonner au lieu de raisonner – on ne leur a pas appris. Ne reste de la synagogue que la façade. L’université enseigne encore le yiddish, ce qui est rare en Europe.

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Le Livre de la Jungle de Jon Favreau

Pas besoin de créativité, l’IA fait très bien ça : adapter un film d’animation de 1967, lui-même adapté du recueil de nouvelles de Rudyard Kipling paru en 1895. Disney fait de l’argent avec les idées des autres. Sauf que c’est très bien fait, détaillé, bien mené, et que le spectateur marche – à tous âges hors bébé.

Mowgli est un chérubin dont le père a été tué par le tigre Shere Khan après qu’il lui ait jeté du feu à la gueule. Le tigre a fui, blessé, oubliant de croquer le marmot, mais la haine au ventre. Il veut désormais détruire tous les hommes, ceux qui portent la « fleur rouge », ce feu qui ravage la forêt et fait peur à tous les animaux. Le petit a été trouvé nu dans la jungle par la panthère noire Bagheera et confié par elle au clan des loups dirigé par Akela. Il lui faut une mère, une famille, une morale, un clan – et quoi de mieux qu’une meute de loups pour élever un garçon ? Le scoutisme viendra de là, avec les louveteaux, qui fera découvrir aux jeunes humains qu’être soi, c’est se confronter aux autres, au monde, à la nature, être capable de se débrouiller et de s’entraider.

Lors d’une sécheresse exceptionnelle (déjà), les animaux de la jungle se retrouvent près de l’unique point d’eau, où la trêve empêche d’attaquer quiconque jusqu’au retour de la pluie. Le tigre Shere Khan revient d’une chasse lointaine et prévient Akela qu’il va tuer Mowgli dès que l’eau sera revenue. Le garçon sauvage choisit d’abandonner les siens pour leur éviter de périr sous les crocs du tigre. Ses frères, les petits louveteaux, sont mignons tout plein sous leur mère Raksha et jouent, font la course et se roulent dans la poussière avec lui, que sa peau nue ne protège guère. C’est tout cet Éden que doit quitter l’enfant pour sauver son clan et devenir un homme.

Bagheera la sage le guide mais le perd en chemin. Le vieil ours Baloo arrive juste à temps pour le sauver de l’hypnose maléfique du python Kaa, et le garçon, ingénieux comme tous les humains, utilise des lianes tressées et des pierres taillées pour atteindre les rayons de miel inaccessibles à l’ours, car sous le ressaut d’une haute falaise. Il met en danger sa vie, mais en rétribution d’avoir été sauvé lui-même, morale forte qui scelle une amitié. Le village des hommes le fascine par le feu qui y brûle à grands brasiers, mais la jungle est son domaine et il voudrait y demeurer.

Il est capturé brutalement par l’armée des singes et emporté vers le vieux temple indien du roi Louie, un gigantopithèque haut comme une montagne ou presque. Ce ponginé a réellement existé, haut de 2 à 3 m, mais s’est éteint, et l’on n’en trouve aujourd’hui que des fossiles ; il convient bien au mythe du proto-humain régnant sur la nature. Mais la force brute de ce Goliath simiesque n’est rien face à l’astuce du David humain. Le vieux singe veut que le petit homme lui rapporte la fleur rouge et la façon de la domestiquer.

Courageusement, la panthère Bagheera et le gros ours Baloo grimpent la falaise que les singes ont escaladé à toute allure, et font diversion pour que Mowgli puisse fuir. En le poursuivant, l’énorme Louie fait s’écrouler sur lui le temple branlant. Mais la menace Shere Khan est toujours là, d’autant qu’il a tué par représailles Akela. Mowgli est furieux et veut éliminer le tigre. Pour cela, il lui faut le feu, qu’il va chercher dans le village des hommes en leur volant une torche. Dans sa course olympique vers le clan, la torche brandie envoie des brasilles qui mettent le feu à la forêt. Et c’est dans une atmosphère dramatique de fin de monde que le jeune garçon se retrouve à l’issue de son marathon sale et en sueur face au tigre, parmi les animaux qui veulent secouer sa tyrannie.

Shere Khan est tenu en respect par la torche, mais cette arme n’est pas égale et le garçon la jette pour affronter le tigre comme un loup. Sauf qu’il n’a ni dents ni griffes, ni fourrure comme eux, et que l’égalité n’est pas l’équité. Bagheera conseille à Mowgli de se battre selon ce qu’il est et non selon celui qu’il voudrait être, autrement dit comme un humain et pas comme un loup. Ce qui veut dire user de ses astuces ingénieuses pour piéger le tigre et remplacer la force qu’il n’a pas par la ruse dont il est amplement pourvu. Telle est l’intelligence : savoir s’adapter.

Comme le tigre saute sur le gamin, Bagheera s’interpose, puis les loups et l’ours Baloo, ce qui permet à Mowgli de courir éperdument et de prendre de l’avance vers la forêt en flammes. Là, il invente un piège à tigre avec un arbre mort et des lianes. Il attire le fauve vers lui sur une branche morte et joue sur son orgueil pour le faire s’avancer malgré son poids, alors que lui, jeune garçon, a pu passer. C’est donc le tigre qui y passe, tombant d’un coup de craquement dans l’enfer de feu au-dessous. La jungle est délivrée du tyran et Mowgli peut rester chez lui, avec son clan. Il peut à nouveau faire la course avec les louveteaux, mais cette fois gagner car il est devenu plus fort et mieux avisé.

Il ne faut pas comparer ce film avec le dessin animé sorti un demi-siècle plus tôt. Il s’agit d’un remake, c’est un fait, mais il faut le voir comme un film nouveau, avec un vrai acteur humain. Le décor de la jungle est somptueux, les animaux en image de synthèse réussis, assez drôles ou graves selon leur rôle, la morale bien sentie.

Mais c’est la performance du jeune Neel Sethi, 12 ans lors du tournage, qui est remarquable. Il est vif, souple, le ventre musclé. Seules les épaules manquent un peu de carrure pour son âge et il n’a quasiment pas de pectoraux bien qu’il se suspende à des lianes sans arrêt. Mais les petits Indiens ont cette morphologie fine. Il est en tout cas soumis à rude épreuve, trempé de pluie, couvert de boue, sali de poussière, piqué par les abeilles, griffé par les singes, brûlé par le tapis de braises… C’est un vrai petit boy, un exemple de Kipling pour ceux d’aujourd’hui.

DVD Le Livre de la Jungle, Jon Favreau, 2016, avec Neel Sethi, Walt Disney France 2016, 1h40, €9,99

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Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé

L’auteur est connu pour ses romans policiers, dont le célèbre Nécropolis – la cité des morts, paru en 1976. Décédé il y a un an à 89 ans, en mai 2023, Herbert Lieberman était New-yorkais et possédé par toutes les hantises de l’Amérique des pionniers. Ce roman-ci met en scène une bande d’adolescents des deux sexes, frères et sœurs, élevés en cage dorée dans un vieux château français du XIIe siècle transporté pierre à pierre dans une île du nord-est des États-Unis et entouré de grandes forêts où vit une tribu de nains consanguins dégénérés aux mœurs primitives. Nous sommes entre le roman policier, la science-fiction et la fable philosophique.

Car il y a une intrigue policière : le meurtre du père, venu comme chaque année passer une semaine à interroger un à un ses enfants sans qu’ils le voient, pour se garder de toute émotion. Il ne veut juger que des résultats de l’éducation et de l’hygiène qui leur est imposée. Un policier est venu du continent, le colonel Porphyre, accompagné de quelques-uns de ses hommes. Qui a tué ? Chaque adolescent voulait le faire, mais qui l’a vraiment fait ? L’énigme se résoudra à la fin.

Mais pas sans un passage obligé par les autres thèmes du roman. Il est d’anticipation car il se situe vers les années 2070, bien longtemps après l’époque de son écriture ; là encore, le lecteur découvrira pourquoi vers la fin. Science car le père est un milliardaire excentrique (l’argent conduit à tout pouvoir, ou presque), qui a décidé de faire faire des recherches sur la longévité. Il a embauché pour cela un ancien médecin nazi (la grande mode aux États-Unis au début des années 1990), lui a installé un laboratoire secret dernier cri où il peut réaliser toutes es expériences sur les souris blanches, les rats de laboratoire, les chiens et les singes. Les années passent et les recherches sont prometteuses. D’où son application à l’humain.

Fiction car Jones, le père, teste la molécule, ça marche. Il décide alors d’une expérimentation à grande échelle dans des conditions soigneusement contrôlées depuis la naissance ; pour cela, il lui suffit d’engendrer ses propres enfants avec différentes femmes choisies sur plan, en fonction de paramètres génétiques, d’hygiène et de santé. Engrosser une femme par jour (comme Georges Simenon), lui permet assez vite de disposer d’un cheptel suffisant pour tester son protocole de longévité. D’où ce château fermé où les ados vivent en vase clos.

Des sept adolescents du château (il existe d’autres centres de par le monde), Jonathan est le narrateur. Il est le puîné derrière Cornélius, un peu retardé. Puis suivent Sofi, Ogden et Leander, Letitia, et la plus petite : Cassie. Les âges ne sont pas à très assurés car nul ne connaît sa date de naissance, ni ne fête son anniversaire, et il n’y a pas de miroir dans les pièces pour se regarder. Tout est soigneusement maîtrisé dans ce château, l’éducation classique littéraire, mathématique, musicale et sportive, le nombre de calories par repas, pas plus de 600, et la température extérieure fraîche qui garde les corps en légère hypothermie à 32° centigrades. Les fenêtres sont closes et les ados ne sortent jamais pour conserver une atmosphère contrôlée, comme en laboratoire. Ce sont les conditions les meilleures pour vivre le plus longtemps.

L’assassinat de Jones va briser cette routine et remettre en question l’expérience. Devant le colonel policier, Sophie avoue avoir transpercé d’une fléchette la gorge de son père qui dormait, après la soirée et le bal en son honneur. Puis c’est Jonathan qui avoue l’avoir d’abord étouffé avec un oreiller. Mais la cause de la mort n’est, selon le légiste, ni la plaie au cou, ni l’asphyxie… Tous sont perturbés par la disparition brusque de Leander, le plus joli et le plus gentil de la fratrie. Il est plus jeune que Jonathan et son frère préféré. En revanche, Ogden le défie sans cesse et le hait. La rumeur veut qu’une fois l’an l’un des enfants soit appelé ailleurs, après entretien avec le père. Cette année, c’est le tour de Leander, qui disparaît lors d’un tour de magie de l’oncle Toby. Ce dernier, frère cadet de Jones, assure avec le signor Parelli et Madame Lobkova, l’éducation des enfants et la bonne marche du château. Amateur de jeunesse, il couche volontiers avec ses nièces.

D’ailleurs, la sexualité est non seulement permise mais aussi encouragée chez les adolescents. Cassie vient rejoindre Jonathan la nuit dans son lit :« J’embrasse les seins de ma petite sœur, elle gémit doucement. Nous nous frottons l’un à l’autre, exactement comme nous l‘ont appris oncle Toby et Madame Lobkova au début de notre puberté – que Jones considère comme l’âge idéal pour commencer sa vie sexuelle. N’ayez de relations qu’avec les membres les plus proches de votre famille, ceux dont vous savez qu’ils n’ont pas de maladie. Ressentez de la joie, nous prêchait-t-il. Pas de la concupiscence. La concupiscence vous ravale au rang des bêtes » p.43. Une philosophie libérale de l’éducation contrôlée bien loin de Rousseau. Le sexe, la reproduction, tiennent d’ailleurs une grande part dans ce roman d’anticipation.

Leander est peut-être encore vivant et Cassie part à sa recherche, une porte de poterne étant mystérieusement ouverte alors que les issues restent toujours closes. Pourquoi ? Elle laisse un message à Jonathan, son grand-frère préféré, qui part à sa recherche en pleine nuit. La forêt est sombre et les huttes des Hommes des bois ne tardent pas à apparaître, avec de grands feux devant. Cassie est-elle prisonnière ? Jonathan n’a pas le temps d’en savoir plus, il est assommé et se retrouve nu, enchaîné, dans une hutte crasseuse où il est laissé dans boire ni manger durant une journée entière. 

Puis un groupe de jeunes des bois viennent le rosser avant que surgisse une femelle adulte qui les chasse, le nettoie, l’abreuve et le nourrit, avant de l’exciter et de le chevaucher sauvagement. Il jouit comme jamais, dans la crasse alentour et sous le corps difforme de la naine qui se tortille en un rythme savant. Il est alors rhabillé d’une simple tunique et emmené enchaîné vers un temple où on le place dans un cercueil, celui de Jones, et où il reste enfermé, couvercle vissé, une nuit complète. Au petit jour il en est extirpé, puis emmené devant la foule, où il est couronné roi. Sa seule fonction sera de baiser chaque nuit avec la Femme des bois pour l’engrosser et engendrer une espèce moins dégénérée. Il ne peut rien faire d’autre. Il revoit Leander et Cassie, prisonniers, mais ne peut les approcher. Leander est comme absent, terrifié par ce qui lui est arrivé. Lui qui devait être roi n’a pas supporté l’épreuve de l’enlèvement et du cercueil. Trop sensible, il est devenu fou et parqué avec les spécimens dans un baraquement de camp entouré de barbelés.

C’est le colonel Porphyre qui va délivrer Jonathan, Leander et Cassie, avant de les ramener à grand peine au château. Où les Hommes des bois ne tardent pas à les assiéger, tandis que les membres du personnel et les savants ont fui en emportant richesses, armes et nourriture. Porphyre attend des renforts du continent, mais le téléphone est coupé par les sauvages et le siège devient critique. Occasion pour les adolescents d’apprendre quel âge ils ont et à quoi leur existence a pu servir… La trame ne se dévoile en effet qu’à la fin, et tout ce que j’ai pu dire ci-dessus n’est qu’en guise d’apéritif.

Il y a quand même une incohérence logique due au temps qui passe. Les adolescents ne cessent d’apprendre et de s’exercer, durant des années. Mais on se demande à la fin pourquoi ils ont si peu retenu durant tout ce temps passé. Avec ce protocole d’éducation soigné, ils devraient être devenus des génies, ou du moins des garçons et des filles avisés et intelligents. Or il n’en est rien – paradoxe de l’intrigue… Leur développement mental ne semble pas suivre leur développement corporel.

Curieux roman inclassable que ce policier de science-fiction philosophique, quelque part entre Dix petits nègres (réédité sous le titre woke Ils étaient dix), L’île du docteur Moreau, La ferme des animaux, Sa majesté des mouches et Le monde perdu. Une puissance onirique rare en ce siècle de spécialisation étroite où les gens ne veulent plus sortir de leur case, ni les romans de leur nombrilisme ou de l’Hâmour convenu. A lire ou relire !

Herbert Lieberman, Le Maître de Frazé (Sandman, Sleep), 1993, Points Seuil 1995, 459 pages, occasion €1,97

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Tahar Ben Jelloun, L’enfant de sable

L’ex-professeur de philo marocain élevé en français au Maroc avant l’arabisation de l’enseignement en 1971, docteur français en psychopathologie sociale en 1975, est un écrivain. L’enfant de sable le rend célèbre. Bien que proche du régime marocain et de son roi, il s’est exilé en France et remet en cause l’emprise de la religion et des coutumes patriarcales de la société traditionnelle. L’enfant de sable en est une illustration.

En effet, Hadj Ahmed n’a eu que des filles en quinze ans, pas moins de sept à la file. Comme il fait l’amour selon la tradition et, selon toutes apparences, avec les mêmes habitudes, il ne pourra jamais avoir de garçon. Ce qui le désole. En société musulmane, en effet, seul le garçon vaut, la fille n’est qu’un réceptacle à foutre pour engendrer des guerriers. L’auteur cite le verset coranique consacré à l’héritage : « Voici ce qu’Allah vous fait commandement au sujet de vos enfants : au mâle, portion semblable à celle de deux filles (4IV, 11-12) » p.53. Mais ce n’était pas mieux avant… Chez les Bédouins, nib ! Ce serait un progrès, hélas figé dans le temps, au VIIe siècle de notre ère.

« Le père n’avait pas de chance ; il était persuadé qu’une malédiction lointaine et lourde pesait sur sa vie  : sur sept naissances, il eut sept filles. La maison était occupé par dix femmes, les sept filles, la mère, la tante Aïcha et Malika, la vieille domestique. La malédiction prit l’ampleur d’un malheur étalé dans le temps. Le père pensait qu’une fille aurait pu suffire. Sept c’était trop, c’était même tragique. Que de fois il se remémora l’histoire des Arabes d’avant l’Islam qui enterraient leurs filles vivantes ! Comme il ne pouvait s’en débarrasser, il cultivait à leur égard non pas de la haine, mais de l’indifférence. Il vivait à la maison comme s’il n’avait pas de progéniture » p.17. C’est violent, et réaliste. Ses deux frères le raillent de ne procréer que des femelles, la société le regarde de travers comme s’il avait une tare. La religion même est impitoyable : « Pour l’homme sans héritier, elle le dépossède ou presque en faveur des frères. Quant aux filles, elles reçoivent seulement le tiers de l’héritage » p.18.

Ahmed est donc décidé à avoir un garçon. Le prochain bébé sera obligatoirement un mâle, par décret paternel. Même si c’est une fille. Et c’est une fille – donc un garçon prénommé Ahmed comme papa. Seules la mère et la vieille accoucheuse sont au courant. Le bébé est présenté comme l’héritier mâle, élevé, habillé et coiffé en garçon. Tout va à peu près bien jusqu’à ce que les seins lui poussent, mais pas trop, contraints par des bandages ; et que le sang menstruel coule entre ses jambes. Mais surtout que ses métamorphoses hormonales le poussent à l’indécision. Fille élevée en garçon, elle a des manières autoritaires de garçon, la voix plus grave qu’une fille, et même un peu de poil sur les joues. La fonction créerait-elle l’organe ? Élever une fille en gars ferait-elle d’elle un gars ?

Pas vraiment… Si les femmes peuvent s’émanciper de leur soumission ancestrale au père, au mari, aux oncles, aux fils, au roi, à la religion (et ça fait beaucoup), elles ne deviennent pourtant pas mâles pour autant. Le pauvre Ahmed le vit dans sa chair, elle/lui qui ne peut se montrer nu qu’à son miroir, qui ne peut recevoir de caresses que de sa main, qui ne peut faire l’amour à quiconque sans être découvert, dénoncé et lynché, maudit.

Ahmed, à la mort de son père, aurait pu rompre les ponts, s’exiler, vivre sa vie de femme dans une autre ville ou un autre pays. Il a choisi de rester. Il doit donc continuer à jouer le jeu du mâle, à se faire passer pour autre qu’il n’est. Il va même jusqu’à planifier un mariage avec une cousine handicapée. Épileptique, elle ne fera pas l’amour et les apparences seront sauves.

Lorsqu’elle meurt à son tour (on meurt beaucoup au Maroc), Ahmed délaisse les affaires, la maison, part sur les routes. Il travaille dans un cirque où il assure un spectacle d’homme transformé en femme, et inversement, ce qui fait rire le bas peuple quand il ne voit au théâtre, mais le fait rugir de violence s’il le voit dans la réalité. Le patron du cirque finit par la violer comme un garçon, par derrière ; Ahmed s’enfuit. L’homosexualité est taboue et « interdite » au Maroc mais, comme dans tous les pays musulmans, elle est de pratique courante tant les femelles sont dévalorisées, gardées en main, voilées, surveillées et cachées, alors que les garçons étalent devant tous à l’adolescence leur beauté en fleur.

L’auteur nous conte cette histoire comme une légende répandue sur les places publiques, agrémentée de passages du Journal qu’aurait tenu la jeune fille en garçon. Ahmed devient un mythe, corrigé et amplifié par différents conteurs. Chacun veut offrir sa vérité, et sa conclusion, laissant le lecteur sur sa faim.

L’androgyne ne fait pas partie de la culture musulmane, à la religion tranchée et binaire, toute de commandement militaire. Les désirs des uns comme des autres ne sauraient être tolérés, seule la norme coranique s’impose et tous doivent se soumettre. Pas question d’avorter après trop de filles ; pas question de choisir le sexe de son bébé ; pas question d’émanciper les femmes ; pas question de vivre en travesti ; pas question… C’est tout le poids de la soumission que l’auteur questionne au milieu des années 1980 depuis la France. Sans la remettre en cause d’ailleurs, s’évadant dans des pages lyriques un peu hors de propos.

Un roman qui se lit encore, mais qui semble bien moins osé après Mitou et l’éruption de l’islamisme radical qui révèle selon la lecture littérale du Coran les femelles comme des êtres à peine au-dessus de l’animal.

La suite de cette histoire dans La nuit sacrée, prix Goncourt 1987.

Tahar Ben Jelloun, L’enfant de sable, 1985, Points Seuil réédition 2020, 192 pages, €6,90, e-book Kindle €6,90 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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Poul Anderson, La reine de l’air et des ténèbres

Six nouvelles de science-fiction des années 1970 – les meilleures. Alors que la société post-68 se libérait des carcans et autres tabous, l’imagination prenait son essor. Non sans interrogations profondes sur les relations humaines, les autres et l’avenir.

La reine de l’air est la première nouvelle, la plus aboutie, presque un roman à elle seule. Les humains ont essaimé sur des planètes lointaines où ils se retrouvent isolés par les années-lumière. Comment refaire monde hors de toute histoire et de toutes références ? Sur la planète Roland, les humains ont reconstitué la colonisation des pays neufs en occupant les côtes et en laissant l’arrière-pays aux pionniers fermiers méfiants, isolés et superstitieux car ils ont quitté toute instruction dès l’âge de 12 ans pour travailler la terre.

Des êtres supérieurs et mystérieux occuperaient les confins, des gens les ont vus ou croient les avoir aperçus mais sans savoir les décrire, nombre ne sont pas revenus. Mais ce qui préoccupe les scientifiques des côtes est le nombre d’enlèvement d’enfants petits dans les camps et les fermes. Ils disparaissent tout simplement. La police ne fait rien, accusant facilement les parents de défaut de surveillance. Jusqu’à ce que la biologiste Barbro ait son petit garçon de 3 ans enlevé en plein camp gardé par des barrières sensibles et sillonné de mastiffs féroces. Il n’a pu être enlevé que par les airs, silencieusement, par un être qui avait le pouvoir d’illusionner les gardiens.

Désespérée, elle engage le seul détective privé de la planète, qui se prend au jeu, Personne ne croit à ces êtres invisibles ou fantômes, mais lui émet quelques hypothèses. Il va s’enfoncer dans le bled dans un camping car armé et immunisé contre les ondes mentales car il pense que… Barbro l’accompagne, avide de retrouver son bébé. Un garçon de 15 ans, nu, enlevé lui aussi jadis, les espionne pour le compte de la reine. Il est joyeux, svelte, amant récent d’une fille de son âge, gambade dans les herbes et sous la lune – mais il obéit. Il se croit libre mais il reste esclave. Il est tenu par les illusions que le peuple premier de la planète lui inculque pour le garder captif. Le couple qui veut retrouver l’enfant va lui faire prendre conscience de cet envoûtement, pour lequel on ne peut que songer aux paradis artificiels de l’époque psychédélique. L’illusion de liberté laisse sous emprise…

La seconde nouvelle interroge le « chez nous » d’humains qui ont colonisé une planète mais ne s’intégreront jamais aux premiers habitants. Trop d’écarts physiques et culturels les séparent. La direction prend la douloureuse mais sage décision de faire quitter la planète à tous les humain, afin de ne plus perturber les indigènes. On ne peut que penser à l’immigration de populations très différentes dans les pays d’Occident qui, pour certains, ne s’intégreront jamais et sombreront à moyenne échéance dans des problèmes psychiatriques dont les faits divers nous montrent chaque jour les ravages.

L’ennemi inconnu a attaqué une planète remplie d’humains. Mais il s’agit d’une illusion, les analyses scientifiques montrent que les morts l’étaient avant la soi-disant bombe nucléaire. Faire peur pour dissuader – les extraterrestres sont aussi intelligents et rusés dans la fausse information que le tyran Poutine.

Le faune est un jeune garçon « grand et mince, vêtu d’une tunique de cuir écailleux , un couteau à la ceinture, un fusil et un sac à dos sur les épaules » p.131. « Jeune garçon », chez l’auteur, signifie 16 ans ; il affectionne cet âge où l’enfant devient adulte, le garçon un mâle. Sur ces planètes lointaines, retour à l’existence préhistorique : tous les sens sont sollicités, le corps est entraîné et l’esprit bien ouvert. Tout est possible à 16 ans. Aussi, lorsque l’homme mûr, citadin pataud et encombré de préjugés, se perd dans la jungle, le faune va le sauver. Il braque le gros animal carnassier qui le menace mais… ne tire pas ; Il laisse son « cynopard »  familier l’affronter et le chasser n(une sorte de chien-léopard imaginaire). C’est que le faune a conscience du Tout de la nature. L’être humain ne doit plus être un prédateur mais s’insérer dans la chaîne. Le garçon aurait tiré s’il n’avait pas eu d’autre solution mais, en écolo précoce, il a laissé sa chance à la vie du prédateur qui est un mal utile. « J’ai un devoir envers toute cette planète, envers toute la vie qu’elle porte. – Même la vie dangereuse ? – La nature a besoin de bêtes de proie » p.138. Nietzschéen, n’est-ce pas ? Le garçon de 16 ans a tout du futur sur-homme.

Dans l’ombre est une réflexion sur la liberté et sur le désir régressif de retourner au calme.

Décalage horaire libère les prisonniers d’un dictateur galactique à la Poutine qui envahit les planètes comme autant de provinces russes ; il veut les dominer, sans égard pour ce qu’elles veulent. Sa plus belle prisonnière feint de jouer le jeu et finit par délivrer son peuple en jouant du décalage horaire.

Toutes les nouvelles ne sont pas du même niveau, certaines noyées dans un jargon pseudo-scientifique (l’auteur, né en 1926, a fait des études de physique), mais s’ouvrent toujours sur une perspective philosophique. Il s’agit à chaque fois de savoir comment réagir au mieux à l’inconnu qui survient.

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2024 03 01 Poul Anderson, La reine de l’air et des ténèbres (nouvelles), 1973, J’ai ku 1981, 223 pages, occasion €1,57, e-book Kindle €2,95

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Duong Thu Huong, Terre des oublis

Ex-communiste vietnamienne qui a dénoncé la lâcheté des intellos de son pays (des collabos comme chez nous…), l’autrice née en 1947 a un regard aigu sur la société où elle vit. Elle a été arrêtée par le PC en 1991 et relâchée quelques mois plus tard sur pression internationale. Dans ce roman, écrit juste avant de quitter le Vietnam pour un exil en Europe, elle décrit le petit peuple post-guerre, son conservatisme, son cerveau lavé par des décennies de propagande, ses jalousies populaires.

Elle prend pour prétexte un événement : le retour de guerre d’un jeune homme oublié du Nord-Vietnam, qu’on croyait mort depuis quatorze ans. Bôn, parti à 17 ans, s’était seulement « égaré » au Laos durant six ans après huit ans d’opérations… Une sorte de désertion par solitude, doublée d’une certaine stupidité native, à peine rachetée par son retour volontaire lors d’une rencontre avec un commando viet infiltré au Laos. Sauf que ce revenant va provoquer une vague de drames.

On ne revient pas impunément quatorze ans plus tard sans trouver quelques changements. Sa femme, épousée dans la hâte à 17 ans dans la fièvre sexuelle de l’adolescence avant de partir combattre les Américains, se retrouve mariée depuis dix ans à un autre homme, l’entreprenant Hoan qui a réussi ses plantations de caféiers et de poivriers avant de relancer la boutique familiale de Hanoï tenue par ses soeurs. Le couple a un petit garçon, Han, 6 ans, dont la tante tante Huyên s’occupe. Ils habitent une grande maison au village et tout le monde est heureux… jusqu’à l’arrivée du revenant.

La coutume veut que la femme retourne à son premier mari, et le Parti, en la personne du Président de la Commune, le laisse clairement entendre : un « héros » de la guerre doit pouvoir retrouver ses biens et son statut. « La jalousie et la rancœur, comme un instinct, imprègne en permanence l’esprit des paysans. La médiocrité et la bassesse recèlent une force supérieure à celle des gens d’honneur car elles ne connaissent ni lois ni règles, ne dédaignent aucun mensonge, aucune fourberie. De tout temps, quiconque vit dans les villages et les communes doit obéir sans discuter à la volonté silencieuse des masses s’il ne veut pas être isolé, attaqué de tous les côtés » p,61. Miên se soumet donc, la mort dans l’âme, et retourne vivre dans la cahute de son ancien mari, qu’il partage avec sa sœur acariâtre et incapable, qui se fait faire des enfants par n’importe qui et les laisse vivre dehors sales et tout nus.

La situation aurait pu s’équilibrer si Bôn avait été apte à quoi que ce soit. Mais il ne parvient pas à cultiver la terre que la Commune lui a alloué, ni à effectuer aucun travail. Il est malade, se laisse vivre, déprime, dépérit. Miên ne l’aime plus, depuis le temps, alors que lui n’a cessé de rêver à son corps juvénile durant ses années de guerre et de jungle. Ce n’est pas du sentiment, mais de la faim sexuelle frustrée. Il n’arrive pas à comprendre que l’eau a coulé dans la rivière et que le temps a passé, que les choses changent et que sa femme n’est pas sa propriété mais une personne qui a elle aussi des droits et des désirs.

Il n’y parviendra jamais. Son obsession est de planter lui aussi un gosse à « son » épouse pour assurer son droit de propriété sur son corps. Mais il reste longtemps impuissant, usant de médicaments traditionnels du vieux Phieu, avant de la violer. Mais le fœtus n’est pas viable, il est handicapé et mort-né. C’en est trop pour Miên qui décide de reprendre sa vraie vie conjugale avec Hoan, ce que le droit lui assure car l’acte de mariage avec Bôn n’existe plus, annulé par sa déclaration de décès administrative. Seul existe l’acte de mariage avec Hoan. Il fallait cependant que la communauté villageoise se rende compte de l’incapacité de Bôn et transforme son culte automatique du « héros » de guerre en vue réaliste sur l’homme qui est revenu. « Nous avions peur qu’on nous traite de gens cupides, ingrats. Quand à Hoan, il a peur qu’on lui reproche d’être un homme qui non seulement est resté paisiblement à l’arrière en temps de guerre, mais a encore volé le bonheur d’un combattant qui s’est sacrifié pour le peuple, pour la patrie. Finalement, tout est arrivé à cause d’un seul mot, la Peur » p.282.

Autour de cette histoire, l’autrice en profite pour dresser le portrait du village, des rancœurs et des jalousies, de la paresse et de la réussite, des diktats idéologiques et des réalités crues. Bôn a été heureux dans sa jeunesse, jusqu’à ce que la guerre la happe. Il s’est retrouvé dans la jungle soumis aux bombardements américains et a perdu son sergent, un jeune gars de la ville qui l’avait pris sous son aile et dont il était tombé dépendant, sinon amoureux, au point de rapporter seul son cadavre dans les lignes durant des jours.

Hoan, fils d’instituteur fringuant à 18 ans, coqueluche de toutes filles par son côté sportif et intelligent, n’a jamais pu aller à l’université car il s’est fait piéger par une mégère, la régente du magasin de sa mère confisqué par le Parti. Elle l’a fait boire un soir et l’a jeté dans les bras de sa fille de 14 ans. Elle n’en était pas à sa première coucherie et n’attendait que le bon parti pour se marier. Hoan en a été humilié, n’a pas fait d’études, a laissé sa « femme » s’installer et se faire entretenir chez son père, mais n’a plus voulu jamais la voir. Une fillette est née, probablement pas de lui, qu’il n’a jamais voulu connaître. Le divorce n’a été prononcé que par un contre-piège, la constatation d’adultère de la fille avide de sexe avec un homme adulte devant plusieurs témoins.

C’est tout ce petit monde grouillant de vie et proche de la terre et des réalités crues que fait surgir l’autrice, évoquant avec gourmandise les paysages des collines et des plaines, la végétation profuse et les pêcheurs musclés, la vie des putes avides de fric et les affaires des intermédiaires obligés du commerce. Un beau roman dépaysant comme les lianes de la jungle.

Grand prix des lectrices de Elle 2007

Duong Thu Huong, Terre des oublis, 2005, Livre de poche 2007, 701 pages, €10,40, e-book Kindle €21,99

Duong Thu Huong, Oeuvres : Au-delà des illusions – Les Paradis aveugles – Roman sans titre – Terre des oublis, Bouquins 2008, 1056 pages, €30,50

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Théo Kosma, Dialogues interdits

Trois cents nouvelles plus ou moins brèves sur une si belle expérience sexuelle… le plus souvent sans sexe aucun. Dans la suite du précédent recueil En attendant d’être grande, des nouvelles plus adultes, donc parfois plus crues, et d’autres qui prolongent la prime adolescence. Où les filles ont toujours plus d’initiatives que les garçons.

De l’humour, dans la chute surtout. Des situations cocasses, dues aux chocs culturels et autres tabous religieux ou ethniques. De la modernité « libérée » comme on disait à la génération d’avant, naturelle aujourd’hui – si ce n’étaient les tabous, mitou et religions qui reviennent en frileux repli.

Des remarques pertinentes et fort justes d’un observateur amoureux : « C’est le chic de ces adotes ! Propre à leur âge ! Quoi qu’elles fassent, elles se pavanent. Les cheveux placés sur la droite ou sur la gauche, marcher précieusement, mesurer chaque geste… Elles pourraient le faire en allant acheter du pain ! Que dis-je, elles le font bel et bien en allant acheter du pain. »

Une expérience naturiste : « Tout n’était plus que jeu sensuel, renouvelé en permanence. Dans lequel je puisais chaque fois quelque chose de nouveau. » Le corps, les sens, le cœur – et l’esprit en embuscade mais qui survole. « Me balader dans un coin discret de nature, me mettre nue, courir, grimper aux arbres, me rouler dans la terre, le sable, puis me rincer dans l’océan. »

« Surtout on est en mode ‘expériences’. Plus ou moins prêtes à tout et n’importe quoi tant que ça nous fait vivre un moment fort. Tout pour vivre autre chose que la campagne et les petits oiseaux qui chantent ! »

Moins léché – si l’on peut dire – moins tendu que les premiers livres, un peu de facilité peut-être. Des nouvelles qui vont de quelques lignes avec une pirouette, à une suite qui pourraient constituer un tome 5 des aventures de la très jeune fille qui explore sa sensualité. Le monde adulte est moins intéressant que le monde adonaissant car il a moins de retenue, or c’est le pied au bord de l’abîme que l’on ressent les sensations au plus fort.

Théo Kosma, Dialogues interdits, 2023 e-book sur www.plume-interdite.com

Pour contacter l’auteur : theodore.kosma@gmail.com

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Stephen King, Marche ou crève

Cent garçons concurrents entre 12 et 18 ans au départ, une longue marche, un seul à l’arrivée – pour les autres une balle dans la tête. Nous ne sommes pas dans le roman policier ni vraiment dans la « science » fiction, mais plutôt dans la sociologie fiction : celle d’une société américaine qui pousse jusqu’au bout son tropisme à la compétition. Chacun est Pionnier, libertarien à mort, jusqu’à vouloir gagner aux dépends des autres. Même si l’auteur situe l’histoire dans un univers parallèle où par exemple un soldat « a pris d’assaut une base nucléaire allemande » – qui ne saurait avoir existé en 1979.

Ray Garraty a 16 ans et a décidé de participer à la Longue marche annuelle du 1er mai. Pourquoi ? C’est assez mystérieux, il ne le sait pas vraiment lui-même, et la Marche révélera peut-être un désir inconscient de mort. « C’était un grand garçon bien charpenté », le champion du Maine encore au lycée. Les adolescents sont tirés au sort et doivent postuler, sachant qu’il ont une chance sur cent d’en sortir vivants… Tout le sel du roman est dans cette contradiction qui fascine et répugne à la fois, le modèle de la société totalitaire à l’américaine que les émissions de télé-réalité à la Boccolini (Le maillon faible) vont populariser en France dans les années 2000 avec comme slogan : « vous êtes viré ! ». Les garçons candidats sont soumis à des épreuves physiques et mentales par le Commandant, « un sociopathe entretenu par la société », avant de se voir attribuer un numéro, et ont jusqu’à une certaine date pour, s’ils sont choisis, renoncer.

Mais comment renoncer ? Tout est mis en œuvre pour que la pression sociale les force à aller jusqu’au bout. C’est moins le Prix au vainqueur, la toute-puissance offerte par la société américaine devenue totalitaire, que l’orgueil mâle ; les mamans en larmes n’y peuvent rien. Celle de Percy, un peu moins de 14 ans, en deviendra hystérique mais le gamin sera « ticketé » (tué après trois avertissements). Ils sont adolescents, donc épris d’absolu, en quête d’identité, avides de se prouver qu’ils sont des hommes. Le Commandant, qui dirige la Marche, est pour eux un modèle. Avec ses lunettes miroir, il n’est rien, il ne fait que renvoyer leur image à ceux qui le regardent. Ils se voient sous son uniforme, avec sa prestance et ses galons. Il est le Pouvoir, ils veulent devenir comme lui.

Quelques trois cents cinquante pages, quatre jours et quatre nuits, cinq cents kilomètres plus tard, le numéro 47 Ray Garraty reste le seul. Non sans douleur, mais la souffrance est formatrice (masochisme très chrétien) ; non sans avoir perdu tous les amis qu’il s’est fait durant ces longues heures passée à mettre un pied devant l’autre à au moins 6,5 km/h (contrôlé au radar par les soldats armés qui les suivent), soumis aux avertissements dès qu’il ralentit plus de 30 secondes (par exemple pour chier) ou sort de la route (lorsqu’il dort debout) – le troisième avertissement étant le dernier avant la balle fatale : il n’y a pas de quatrième avertissement. Mais tout avertissement est effacé au bout d’une heure de bonne tenue. Il faut donc flirter avec la mort pour tenir malgré ampoules, crampes, diarrhée, insolation, pneumonie, chute, perte de connaissance, panique… Le claquement des fusils qui éliminent un à un ceux qui flanchent rythme les heures.

Le pire ? C’est la Foule. Compacte, vociférante, hystérique, malsaine. La foule acclame les marcheurs mais adore voir tuer un faible, sa cervelle éclatée sur la route, son jeune corps ensanglanté, ses vêtements déchirés. La foule est inhumaine, cruelle, elle est la Société dans son égoïsme passionné – l’essence des États-Unis pionniers et libertariens. A l’inverse, les concurrents deviennent pour certains des amis, des êtres que l’effort en commun vers le même but rapprochent. McVries est le plus proche de Ray, ils se sauvent mutuellement de l’élimination. Il est même sensuellement attiré par lui car les garçons s’observent entre eux, se mesurent, leur désir est mimétique comme dirait René Girard. La sexualité, en cette fin des années soixante-dix, s’est libérée des conventions et préjugés, elle se fait naïve, directe. Scramm, l’un des concurrents, 15 ans, est marié et sa femme attend un petit – il mourra, victime de pneumonie et « tué » d’une balle après sa mort. Ray a une petite amie, Jan, qui ne voulait pas qu’il fasse la Marche et a même proposé de coucher tout de suite avec lui s’il renonçait. Mais ce serait renoncer à sa virilité sociale, et Ray n’a pas voulu. Il reste puceau, comme McVries, qui ne le désire qu’en paroles.

La sexualité est le désir de vie, la négation du désir de mort qui a saisi les adolescents au moment de leur inscription. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la dernière scène où Garraty se retrouve seul avec un concurrent, Stebbins, jusqu’ici marcheur automatique car fils naturel du Commandant, mais qui s’est épuisé. « Stebbins se retourna et le regarda avec des yeux immenses, noyés, qui ne virent d’bord rien. Mais au bout d’un moment il le reconnut et tendit la main pour ouvrir, puis arracher la chemise de Garraty. La foule protesta à grands cris mais seul Garatty était assez près pour voir l’horreur dans les yeux de Stebbins, l’horreur, les ténèbres ; et seul Garatty savait que le geste de Stebbins était un dernier appel au secours. » Désir sexuel de voir sa poitrine nue, désir de vie. Stebbins tombe, il meurt. Garraty a gagné mais il délire, il croit être encore en lice avec une ombre, il poursuit…

Un grand premier roman écrit en 1966 d’un auteur de 19 ans qui allait s’imposer comme un grand de l’anticipation dystopique. Refusé une première fois, le roman est publié en 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachman.

Stephen King (Richard Bachman), Marche ou crève (The Long Walk), 1979, Livre de poche 2004, 384 pages, €8,90, e-book Kindle €7,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Stephen King déjà chroniqué sur ce blog

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Georges Blond, Le survivant du Pacifique

George Blond est un ancien marin – donc hostile par préjugé ancré de la Royale à l’Angleterre. Après avoir collaboré avec l’Allemagne dans les années de guerre, il est amnistié en 1953 et devient romancier. Il écrit des histoires policières et des fresques historiques sur la guerre qui vient de se terminer. Il est décédé en 1989 à Paris à 82 ans. Il raconte très bien et son livre sur la guerre du Pacifique, chroniqué ici, est un survol magistral de ce que furent les opérations. Le « survivant » du Pacifique fut le porte-avion américain Enterprise, surnommé le Big E, qui a été souvent endommagé mais jamais coulé. Ayant fait toute la guerre et participé à toutes les opérations importantes, il est un lieu d’observation privilégié.

Ce navire mis en service en 1938, long de 246 m, armé par 2919 hommes et portant jusqu’à 90 avions, est arrivé quelques heures après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941, qui a précipité les États-Unis « sidérés » dans la guerre. Comme d’habitude, on l’a vu le 11-Septembre 2001, ils n’avaient rien vus, ou plutôt ignoré la montée à la guerre. Les Japonais ont osé, étirant leurs lignes au maximum pour réduire Hawaï, île avancée dans le Pacifique, afin que la flotte américaine (3 porte-avions seulement sur le Pacifique) se replie sur la Californie et laisse le champ libre à l’expansion nippone en Asie du sud-est et du sud-ouest. Les sévères sanctions économiques prises par les Américains après l’invasion japonaise de l’Indochine française (collaborationniste) et des Philippines (protectorat américain), ont poussé le Japon à s’étendre pour assurer son espace vital et l’accès aux matières premières indispensables à son économie.

Mais cette « traîtrise » de Pearl Harbor a généré selon l’auteur une véritable haine contre « les petits hommes jaunes » (les Japonais étaient à l’époque, en fonction de leur alimentation, plus petits en taille que les Chinois). D’où le raid de Doolittle en avril 1942 pour bombarder Tokyo, où l’Enterprise a assuré la protection aérienne du porte-avions Hornet, porteur de 16 B-25. Ce raid audacieux, où les bombardiers n’ont pas regagné leur porte-avions mais ont été abattus ou se sont posés en Chine nationaliste ou en URSS, a permis de « venger » Pearl Harbor et de lancer la mécanique industrielle américaine pour la guerre.

En effet, la puissance des États-Unis ne s’est jamais montrée aussi forte que lorsque le pays était menacé. De quatre porte-avions dans le Pacifique contre onze pour les Japonais on est passé à une trentaine en quelques mois, sans compter les croiseurs, destroyers, frégates, vedettes rapides et autres engins de débarquement. Les avions américains se sont améliorés à grande vitesse, rendant le chasseur Mitsubishi Zero japonais si manœuvrant mais fragile, moins efficace. Les pilotes américains ont été formés dès 18 ans, car l’extrême jeunesse était plus habile à la manœuvre des avions ; les besoins de pilotage des bateaux de transport ont été aussi assurés par des jeunes aux formations en six mois. L’énergie, l’inventivité, la puissance américaine, ont gagné la bataille. Ce n’était qu’une question de temps.

L’Enterprise a participé à la bataille de Midway, la bataille des Salomon orientales, la bataille des îles Santa Cruz, la bataille de Guadalcanal dans les Salomon, la bataille de l’île de Renell dans les Nouvelles-Hébrides, le débarquement sur l’île de Tarawa puis de Kwajalein dans les Marshall, celui des îles Truk dans les Carolines, les Palaos, la bataille de Saipan la bataille de la mer des Philippines, la bataille du golfe de Leyte et un soutien aérien aux débarquements sur Iwo Jima et Okinawa, sous le feu des avions kamikaze. A chaque fois, les Japonais s’étaient fortifié largement et de façon inventive, les assauts n’étaient pas des parties de plaisir car les bombardements massifs – à l’américaine – laissaient intacts les ouvrages enterrés. La disproportion des morts dans les deux camps était abyssale, par exemple 21 000 tués japonais à Iwo-Jima contre 4500 morts ou disparus américains. L’honneur japonais exigeait le sacrifice jusqu’à la mort. Certains soldats sortaient quasi nus, en une excitation quasi sexuelle de la souffrance pour se faire hacher par les balles, percer par les baïonnettes, ou griller par les lance-flammes.

Cette fresque, outre un exemple de sacrifice patriotique où chacun « fait son boulot » pour accomplir la grande œuvre stratégique, montre combien la puissance économique et industrielle fait le sort des guerres. C’est la tare de la Russie actuelle de l’ignorer encore, commandée par des mafieux qui ne songent qu’à leur intérêt propre ; c’est l’objectif de l’Iran, qui évite tant se faire que peut la guerre ouverte pour se renforcer d’abord, malgré son régime religieux qui incite peu au patriotisme ; ce devrait être la préoccupation de l’Union européenne, engluée dans la paresse de la paix. Mais les nigauds préfèrent toujours leur fin de mois à la fin de leur monde.

Georges Blond, Le survivant du Pacifique – l’odyssée de l’Enterprise, 1957, Livre de poche 1962 réédité 1976, 442 pages, occasion €12,00 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

– édition pour les 9-12 ans adaptée par Raoul Auger en e-book Kindle, €6,99

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