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Scoop de Woody Allen

Une comédie policière dans la période Londres du réalisateur. C’est léger, loufoque, pas très réussi. Le thème reprend Jack l’Éventreur et la théorie selon laquelle le tueur serait quelqu’un de la haute société. Il joue avec la naïveté féminine et avec l’ambition américaine sans entraves pour faire avancer l’enquête. Car Sondra Pransky (Scarlett Johansson) est étudiante en journalisme.

Lors de vacances à Londres, où elle vit en colocation avec deux consœurs, elle est invitée par l’une d’elle à un spectacle de magie pour gosses donné par Sid Waterman (Woody Allen). Il a choisi pour nom de scène « The Great Splendini », selon l’enflure commerciale yankee. Il parle trop et complimente lourdement chacun, selon la tactique commerciale yankee. Il masque ses bafouillements et ses maladresses sous une illusion sociale, selon la pratique commerciale yankee. En bref, il caricature les Américains exprès devant le public européen. Cela fait rire – un peu lourdement.

Sondra est appelée sur scène par hasard pour être « dématérialisée » dans une sorte d’armoire intérieurement tapissée de rayures verticales. Le tour est basique et sans intérêt, sauf de surprise. Et surprise il y a lorsqu’elle rencontre dans la boite un célèbre journaliste récemment décédé, Joe Strombell (Ian McShane) sous la forme d’un fantôme. Il lui révèle un scoop, qu’il a appris d’une femme sur la barque des morts, la secrétaire même du tueur qu’elle soupçonne de l’avoir empoisonnée parce qu’elle approchait de trop près la vérité. Excité et professionnel, il s’est échappé du voyage vers l’au-delà pour un moment, afin de livrer l’info à une journaliste. Le scoop est la probable identité du « tueur aux tarots », un assassin de putes aux cheveux courts et noirs qui ressemble à sa mère morte, et qui fait la une des journaux à Londres. Il s’agirait de Peter Lyman (Hugh Jackman), un jeune et riche aristocrate anglais voué à la politique, habitant un manoir de quatre cents ans d’existence.

Sondra, désorientée et novice (elle n’est journaliste que de son bulletin d’université) décide de mener son enquête et convainc Sid de lui prêter main forte. C’est l’alliance de la carpe et du lapin, de la niaise et du bafouilleur. Mais ça avance, cahin-caha. Sondra est courte et dodue, mais bien roulée. Quoi de mieux que de se mettre en maillot moulant une pièce (ce burkini des chrétiens puritains) pour s’offrir aux regards du bellâtre grand, musclé et velu, dans la piscine du club où il nage régulièrement ? Il suffira, dit Sid, qu’elle fasse semblant de se noyer pour que le héros la sauve et fasse sa connaissance. Ce qui est fait et réussi, non sans quelques blagues douteuses de Woody Allen du style « quand j’ai entendu au secours, je suis monté à la chambre avant d’accourir voir ce qui se passait ».

Mais tout va bien, c’est le coup de foudre de Peter pour Sondra, la femelle exotique américaine (malheureusement affublée de lunettes). Il l’invite tout de gob à une party que son père offre dans le manoir familial, véritable château entouré d’un grand parc. Là, il fait la visite à la fille et à son « père », qui se sont présentés sous un faux nom et une fausse parenté. Le clou est la salle sécurisée où il conserve sa collection d’instruments de musique précieux, dont un violon Stradivarius. C’est là probablement qu’il cache aussi ses secrets. Sondra couche avec lui dès le premier soir, les Américaines (il y a vingt ans), n’étaient pas prudes. Mais elle n’apprend rien, sinon que le beau gosse est un coup au lit, et elle en tombe amoureuse.

Hommage au journalisme d’investigation, le fantôme insiste ; il revient plusieurs fois sur terre titiller Sondra, et même Sid qui le voit aussi, afin qu’ils activent les recherches. Il livre même le code de la chambre forte, que Sid parvient à grand peine à mémoriser, toujours brouillon et foutraque, au point de l’avoir noté mais de l’avoir oublié dans un veston envoyé au teinturier. Par un procédé mnémotechnique, et en se trompant plusieurs fois, il parvient quand même à retrouver la suite de chiffres et, lors d’une soirée, pénètre dans l’endroit, d’où il ressort sans rien avoir trouvé. Sondra fera de même et et découvrira un jeux de tarots planqué sous un cornet à piston. C’est dans un sac de Peter que Sid va trouver une enveloppe vide sur laquelle est noté le prénom Betty. Or il se trouve que toutes les putes aux cheveux noirs et courts découvertes assassinées s’appellent Elisabeth ou Lisbeth, donc Betty, comme sa mère. Et qu’à chaque fois que Peter dit s’absenter pour une réunion, une pute passe de vie à trépas. Sauf que ce faisceau d’indices, comme on dit à la crim, surtout avec l’intervention du « fantôme », ne suffit pas à déclencher une enquête officielle, ni de la police, ni des journalistes. Il faut des preuves tangibles.

Sondra joue donc la chèvre ; elle avoue à Peter qu’elle lui a menti et que Sondra est son vrai nom. Peter, sans se démonter, lui dit que lui aussi a menti, il n’était pas à une soirée le jour où la dernière pute a été trucidée, mais à un rendez-vous d’affaires confidentiel avec des investisseurs saoudiens. Allez donc le prouver… Comme il sent le vent du boulet, il veut faire subir à Sondra le sort de son ex-secrétaire. Pour cela, rien de mieux qu’une promenade sur le lac, d’où il la flanquera à l’eau, puisqu’elle ne sait pas nager. Il préviendra alors les secours, éperdu et désolé, et tout sera réglé.

Sauf qu’évidemment, rien ne se passe comme prévu.

Ce film est un peu bête au premier degré, la vraisemblance n’étant pas de mise, d’autant que Sondra et Sid parlent beaucoup trop – à l’américaine. Mais il y a un second degré que l’on peut apprécier.

Au fond, démontre Woody Allen, tout est illusion : l’apparence sociale, dévoilée par le journalisme d’investigation ; la propension à tuer du narcissisme primaire, prolongement de celui de la mère pour l’enfant ; les tours de magie, qui sont de la manipulation ; le cinéma même, qui crée une réalité fictive. Dans toutes ces illusions, il faut savoir nager. En pessimiste profond, caractéristique juive selon lui, Woody Allen voit dans le cinéma le moyen d’échapper au réel de l’existence, cruel et vide de sens. Il déclare à une bourgeoise affidée au christianisme que lui s’est converti au narcissisme. C’est se prendre soi comme objet d’amour, puisque la mort est au bout de la vie (Woody Allen est athée).

La mort, d’ailleurs, est exorcisée dans le film sous la forme d’un être à capuche muni d’une faux et qui ne dit pas un mot, raide comme le destin. Le moment de la mort n’est pas montré à l’écran, ni celle du journaliste, ni celle de la dernière pute, ni celle du maladroit. Le film commence sur un enterrement et se termine par un accident mortel. Le cinéma comme exorcisme.

DVD Scoop, Woody Allen, 2006, avec Woody Allen, Christopher Fulford, Geoff Bell, Hugh Jackman, Nigel Lindsay, Scarlett Johansson, anglais, français, TF1 Studio 2011, anglais, français, 1h32, €14,99, Blu-ray anglais, français, €11,59

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Open Range de Kevin Costner

L’amour, la mort ; la violence, la liberté ; les grands espaces, se fixer. Tels sont les grands thèmes de ce film exigeant, qui a eu du succès même chez les Yankees, en général assez bas du plafond. Mais il y a les mythes qui agissent toujours : le Pionnier, le Justicier, la Rédemption, la Virilité. Car il y a évidemment une grosse bagarre, des centaines de balles dans un duel à la fin entre les bons et les méchants. Et devinez qui va gagner ?

Le scénario s’inspire du roman de Lauran Paine, The Open Range Men, paru en 1990. Open range, non traduit en français par flemme, signifie prairies ouvertes, autrement dit le droit de passage et de pacage pour tous les troupeaux dans cet immense espace qu’est le nord-ouest américain. La privatisation par un baron du bétail local est donc une tentative de s’approprier ce qui appartient à tous, une dérive de la loi au nom du plus fort. Elle s’oppose au droit et aux libertés – ce dont les machos brutaux et cyniques (ici un « Irlandais » immigré ») se moquent en imposant leur règle. Trompe ne fait pas autre chose, ce qui provoque ces deux mythes américains. D’où l’actualité de cet anti-western où le Pionnier peut dériver vers l’orgueil et se croire Dieu sur sa terre, alors qu’elle a été créée pour tous.

Un éleveur « Boss » Spearman (Robert Duvall) et ses trois cow-boys, Charley (Kevin Costner), le gros Mose (Abraham Benrubi) et l’adolescent de 16 ans John « Button » (Diego Luna, 24 ans) conduisent un troupeau de bovins vers l’ouest en traversant en l’an 1882 les terres du gros fermier qui a absorbé ses voisins par la menace, Denton Baxter (Michael Gambon). Tout irait bien s’ils n’avaient oublié « le café ». Il faudrait en acheter à la ville qu’on vient de passer, avant de poursuivre la route. Button se propose, mais il est trop tendre pour son Boss, d’où son surnom de fleur encore à éclore. Spearman l’a ramassé dans une ville du Texas « il y a quelques années » alors qu’il fouillait les poubelles pour manger. Il en a fait son employé et veille sur lui comme sur un fils adoptif. On apprendra en effet qu’il a perdu sa femme et son fils de 7 ans du typhus, des années auparavant. Il envoie donc plutôt Mose, un ours plutôt gentil avec les gens et qui s’occupe de l’intendance.

Sauf que Mose ne revient pas. Boss soupçonne un incident et part à la ville avec Charley, fidèle et efficace second. Ils laissent le gamin garder le chariot et surveiller les bêtes. Mose a été fourré en prison après avoir été tabassé pour avoir, selon la version officielle, déclenché une bagarre dans l’épicerie avec les hommes de Baxter. Il les a bien assaisonnés, cassant même le bras droit du tueur psychopathe de Baxter. Le Marshall Poole (James Russo) réclame par provocation 50 $ pour chaque infraction, s’ils veulent le libérer, ce qui ne plaît pas à Boss. Mais il négocie au lieu de tenter de régler la chose par la force. Baxter veut montrer qui est le patron en ville et y consent, mais à ses conditions : qu’ils quittent le pays avec leur troupeau avant la nuit. Sinon, il lâchera ses chiens et leur troupeau sera dispersé. Mais Mose a été salement amoché, et les deux hommes doivent le conduire chez le docteur Barlow (Dean McDermott) qui vit avec une femme dans leur petite maison bien entretenue. Charley croit que c’est sa femme ; il apprendra plus tard que c’est sa sœur. Il en tombe amoureux et se déclarera avant la grosse bagarre, croyant ne pas en revenir.

Ils retournent au chariot avec Mose, soigné mais faible sur son cheval, mais ne peuvent quitter le camp à la nuit. Ils sont donc menacés par les sbires de Baxter, qui avancent masqués comme des malfrats du Ku Klux Klan, s’abritant derrière cet anonymat pour perpétuer leurs forfaits. Boss, qui connaît bien ce genre de gang, les surprend à la nuit avec Charley, les désarme et en tabasse un ou deux de ceux qui ont blessé Mose. Pendant ce temps, d’autres sbires ont attaqué le chariot, tué Mose d’une balle dans la tête et blessé sérieusement l’adolescent Button d‘une balle dans la poitrine avant de le frapper violemment sur le crâne. Ils ont tué même le chien, Tig, au nom de grand-mère Costner. C’est le tueur au bras cassé qui s’en est chargé, il « a eu du plaisir », dira-t-il.

Pas question donc de lever le camp, il faut attendre le matin et, si Button survit, le porter avec le chariot chez le docteur, et régler cette affaire de meurtre avec Baxter. Charley est un ancien soldat de l’Union qui a servi dans un commando spécial derrières les lignes, pendant la guerre de Sécession, et il est devenu en quelques mois un tueur sans scrupules. Il s’en repend, surtout en observant son Boss et ami qui négocie avant de tirer et qui est bienveillant avec les gens, dont le jeune Button. Mais il faut parfois tuer pour défendre ses droits, et affronter l’ennemi pour gagner sa liberté. Boss en est d’accord : ni Mose, ni Button n’avaient rien fait qui justifie leur massacre sous le nombre, alors qu’ils ne pouvaient même pas se défendre.

Ils confient Button à la maison du médecin, qui est parti soigner les sbires de Baxter amochés par eux hier soir. Ce sera Sue Barlow (Annette Bening) qui s’en occupera, comme une infirmière et une mère. Elle voit bien comment Boss se comporte avec le gamin et l’en apprécie pour cela. Aidés par Percy (Michael Jeter), un vieux gardien des chevaux, ils surprennent les hommes de main du Marshall et les chloroforment, à l’aide d’une bouteille prise dans la vitrine du docteur, avant de les enchaîner en cellule. Boss ne veut pas les tuer. Mais Baxter les délivre et décide d’affronter les deux hommes pour les descendre, montrant qui est le patron sur cette terre. Il ne sait pas que c’est Dieu, mais va très vite s’en rendre compte. Le Seigneur, ce « salopard qui n’a rien fait pour défendre Button », grommelle Boss, change de camp et donne l’avantage à Charley. Il descend dès les premiers coups le tueur psychopathe d’une balle dans la tête, et les deux plus dangereux sbires d’une autre balle chacun dans le buffet. S’ensuit une mêlée générale, avec plus de coups que n’en contiennent les revolvers de l’époque, malgré les rechargements incessant à l’abri d’un mur de planches.

En bref, tout le monde est tué, surtout Baxter qui n’a rien voulu savoir, menaçant une fillette avant de prendre en otage Button qui s’est levé pour participer à la justice et Sue qui l’a suivi. Charley finit par le descendre. Mais, lorsqu’il veut achever un sbire blessé qui rampe dans la boue, afin « qu’il ne lui tire pas dans le dos », Boss s’interpose. Tuer pour la justice, ça va, en faire trop, ça ne va plus. Charley se maîtrise.

Il en a marre de tuer, sans cesse les méchants resurgissent. Il désire, en fin de trentaine, se fixer et Sue serait une épouse idéale. Il s’est déclaré, elle l’a accepté. Mais il se pose des questions : cette violence en lui, ne va-t-elle pas lui faire peur ? Au contraire, dit-elle, et elle suggère à mots couverts que cette virilité lui plaît ; elle réussira à la dompter. Boss et lui vont donc achever leur mission de conduire le troupeau à bon port, avant de revenir et de s’installer dans la ville. Le bar n’a plus de gérant, tué dans la bagarre, et Boss se voit bien le racheter ; quant à Charley, il se voit bien marié avec Sue et, peut-être, faire l’éleveur, ou le Marshall non vendu aux puissants.

C’est un film assez fort, où les femmes ne sont pas oubliées comme souvent dans les westerns. Sue a une vraie personnalité, qui tempère le machisme lorsqu’il entre en ébullition. La femme de l’aubergiste aussi, qui entraîne les citadins apeurés à sa suite pour traquer les derniers tueurs. Mais il remue surtout les grands mythes américains, ce pays de pionniers né dans la violence, et où chacun veut s’affirmer. Non, la puissance ne vas pas uniquement avec la richesse, elle est plutôt intérieure : dans les convictions morales et la volonté virile.

DVD Open Range, Kevin Kostner, 2003, avec Annette Bening, Kevin Costner, Robert Duvall, Diego Luna, Michael Gambon, Michael Jeter, Fox Pathé Europa 2005anglais, français, 2h19, €29,00, Blu-ray €23,08

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Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone

Un western « spaghetti » des années 60 qui expose trois solitaires sans aucune morale. Alors qu’autour d’eux se joue une guerre de civilisation entre « esclavagistes » du sud et industriels Yankees du nord, ils ne poursuivent qu’un seul but : le fric. Il s’agit de retrouver un magot de 200 000 $ caché dans une tombe d’un cimetière situé quelque part. Un malfrat a piqué la somme à ses complices, avant de fuir. Il s’agit de le retrouver. Il a changé de nom ? Il s’agit de faire parler qui le sait – et de descendre les témoins.

Tuco Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez, le Truand (Eli Wallach), est un criminel. Blondin le Bon (Clint Eastwood, 35 ans à l’époque) le délivre des chasseurs de prime et noue un contrat avec lui. Il va livrer Tuco aux autorités, encaisser la prime et couper d’une balle de fusil la corde qui le pend pour qu’il puisse s’enfuir. De quoi se partager les dollars et recommencer ailleurs. La belle vie – qui dépend quand même de l’adresse de Blondin. Par ailleurs, la Brute Sentenza (Lee Van Cleef), tueur sans remords, a été payé comme mercenaire par Baker (Livio Lorenzon) soldat confédéré qui a piqué l’or avec Stevens et Carson. Il paye Sentenza 500 $ pour savoir où est son complice parti avec le magot. Il devra l’assassiner. Sentenza apprend de Stevens que le dernier se fait appeler désormais Bill Carson. Il tue Stevens pour honorer son contrat – ainsi qu’un de ses fils qui a surgi avec une arme. Mais Stevens vient de le payer 1000 $ pour tuer Stevens, ce qu’il fera sans état d’âme : « j’honore toujours mes contrats ». Il va ensuite traquer le Bill, dans son régiment en fuite devant les Yankees.

Lassé, Blondin rompt son contrat avec Tuco, garde la dernière prime sans partager et l’abandonne dans le désert. Quelques 120 km avant le premier village. Mais Tuco est un dur et s’en sort. Il se refait une arme avec plusieurs revolvers de l’armurerie bancale du vieux du coin, pique un chapeau, et part sans payer. Il traque Blondin pour se venger. Alors qu’il va réussir, Blondin déjà la corde autour du cou dans une chambre d’hôtel où il l’a surpris par la fenêtre après qu’il ait massacré de trois balles les trois complices recrutés par Tuco pour faire diversion, une canonnade yankee fait s’écrouler la façade – et Tuco se retrouve un étage plus bas, dans les décombres. Blondin en profite pour filer. Tuco va cependant le retrouver et inverser les rôles : c’est Blondin qui doit marcher dans le désert, sans chapeau et sans eau, en suivant le cheval où Tuco se pavane, gourde bien remplie et parasol rose de pute pour le protéger du soleil.

C’est presque la fin pour Blondin, ravagé par la soif et brûlé par les rayons, lorsqu’un véhicule confédéré tiré par six chevaux surgit sur la piste. Tuco l’arrête et trouve des Confédérés morts, sauf un caporal qui s’appelle Bill Carson. Il révèle l’emplacement du magot, le nom du village, le lieu du cimetière, mais réclame de l’eau avant de donner le nom sur la tombe. Tuco part chercher sa gourde mais, le temps qu’il revienne, Carson est mort. Blondin, qui avait rampé jusque là, a recueilli le nom de la bouche du mourant. Info ou intox ? Tuco le con le croit, et Blondin lui devient alors un ami précieux qu’il faut sauver pour qu’il se rétablisse. Bien joué ! Il conduit le déshydraté vers une mission franciscaine où son frère Pablo (Luigi Pistilli) est père supérieur. Blondin est soigné, Tuco sermonné. Il a toujours été fils de pute, et a abandonné sa mère qui est morte sans le revoir.

Reprenant le véhicule, et déguisés en soldats confédérés, ils croisent une troupe qui s’avance. De loin, les uniformes sont gris et le con Tuco hurle alors « vive la Confédération ! ». Dommage… ce n’tait que la poussière du chemin sur des uniformes bleus de Yankees. Les voilà prisonniers en camp – où Sentenza joue le sergent. Il escroque les prisonniers et fait vendre leurs effets par ses complices, dont le caporal Wallace (Mario Brega), gros tas sadique qui adore tabasser les prisonniers sudistes récalcitrants, tandis qu’un orchestre imposé joue de la musique pour masquer les cris. Tuco se fait mettre une raclée par le gros Wallace pour qu’il avoue le nom de la tombe au magot dans le cimetière, mais c’est Blondin qui le sait, pas lui. Sentenza change alors de tactique. Blondin ne parlera pas, autant feindre de s’allier avec lui pour aller chercher l’argent. Non sans recruter six hommes de main dans le régiment pour contrer Blondin. Tuco, lui, est emmené par Wallace en train pour être fusillé plus loin. Il ne tarde pas à tomber volontairement du convoi sous prétexte de pisser, entraînant le gros Wallace qui s’assomme sur une pierre et que Tuco achève sans remord. Sauf qu’il reste menotté à lui et qu’il doit trouver comment couper la chaîne. Un autre train fera l’affaire, les roues vont la couper.

Blondin se méfie de Sentenza et de sa bande. Il descend le premier un petit matin en feignant d’être surpris par sa survenue subreptice ; il descend le second dans un village dévasté parce qu’il le suit sur ordres de Sentenza et que le moment est propice. Tuco, parvenu au même endroit, prend un bain moussant dans un claque et descend un troisième qui le braque, sans savoir que le revolver de Tuco est caché sous la mousse. Ce qui nous vaut une sentence bien frappée, comme souvent dans le film : « quand on doit tirer, on tire, on ne raconte pas sa vie ». Blondin reconnaît le son du revolver de Tuco et le rejoint pour s’associer contre Sentenza, qui garde encore quatre sbires. A deux, ils vont les descendre car ils tirent plus vite. Sentenza se terre.

Les voilà partis pour le village, que seul Tuco connaît. Ils suivent la carte et doivent traverser un pont. Ce sont encore les soldats qui les en empêchent, les Yankees de leur côté qui les font prisonniers, les Confédérés sur l’autre rive. On se canonne, on s’étripe rituellement chaque jour, on ramasse ses blessés. Tout ça pour rien, pour un pont que chacun veut garder intact comme « point stratégique ». Le capitaine yankee en a marre de cette guerre absurde et de ce pont qui tue. Son rêve, il le dit aux deux lascars, serait de le faire sauter et qu’on n’en parle plus. Mais il a des ordres. Tuco a clamé qu’ils étaient là parce qu’ils voulaient s’engager. Le capitaine les prend sous son aile pour leur montrer que c’est idiot. Lors d’une attaque traditionnelle à mi-journée, Tuco et Blondin avisent des explosifs dans une caisse. Ils profitent de la trêve destinée à ramasser les blessés pour mettre la caisse sur une civière et aller piéger le pont. Le capitaine est blessé, mourant, mais veut survivre jusqu’à entendre l’explosion du pont. Il est vite soulagé.

Une fois le pont ruiné, les troupes vont s’amuser ailleurs et les deux compères peuvent traverser à gué sans problème. Ils trouvent le village, l’église détruite, et le cimetière. Blondin, humain, assiste aux derniers instants d’un jeune Confédéré en lui faisant fumer l’un de ses cigares, dont il semble avoir une provision sans jamais se réapprovisionner ; pendant ce temps, Tuco l’avide enfourche le cheval et galope pour être le premier. Blondin, avisant un canon, y applique le bout incandescent de son cigare et tire. Tuco tombe. Il court à pied jusqu’au cimetière. Mais, avec la guerre, il est devenu immense et Tuco le con erre en courant entre les tombes, ayant le tournis (ainsi que le spectateur à cause de la caméra). C’est qu’en piégeant le pont, menacés de sauter avec lui en cas de fausse manœuvre, chacun a livré à l’autre sa bribe d’information sur le magot : le cimetière s’appelle Sad Hill (la colline de la tristesse) et sur la tombe est marqué Arch Stenton. Blondin avait donc dit vrai, il n’a pas menti pour que Tuco le sauve de la soif.

Tuco trouve enfin la tombe d’Arch Stenton. Il creuse avec une planche de cercueil mais Blondin, qui l’a rejoint tranquillement, lui jette une pelle et énonce une nouvelle sentence définitive : « il y a deux sortes de gens : ceux qui ont un revolver et ceux qui creusent. Tu creuses » Une seconde après, une nouvelle pelle est jetée. C’est Sentenza qui les a suivis. Sauf que le magot n’est pas dans la tombe, le cercueil ne recèle qu’un squelette ancien. Blondin n’a pas tout dit mais sait où il est. ll va s’écarter d’eux, inscrire le nom sur une pierre, et que le meilleur tireur gagne. Longs moments de caméra sur les visages, les mains, l’attente. Avec une musique lancinante. Pas difficile : Blondin est le meilleur. Il abat Sentenza, tandis que Tuco cherche frénétiquement à tirer mais son revolver est vide. Blondin en a ôté les balles pendant qu’il dormait. Il le fait donc creuser là où il faut et Tuco sort six sacs de pièces d’or très lourds. Blondin reprend alors le contrat initial : part à deux.

Mais il fait monter Tuco sur une croix branlante et se passer la corde autour du cou, mains attachées dans le dos : les dollars, ça se mérite. Il s’éloigne à cheval, laissant le complice méditer sur sa fin dernière. A distance, misant sur son habileté mais aussi sur la chance (une sur deux), il tire pour couper la corde. Dieu le veut, il réussit. Tuco a sa part, lui la sienne (mais pas de cheval pour la porter), stridulations de coyote de la musique de Morricone, fin de l’épisode – qui a duré près de trois heures.

On ne s’est pas ennuyé. A chaque scène qui tourne mal, un retournement de situation intervient, souvent comique. L’action rebondit, toujours dans le même sens : le magot, le seul sens de la vie pour un Yankee d’origine. Il aurait pu n’y avoir qu’un seul gagnant, le plus habile, le plus intelligent, le plus complet. Mais il y en a deux, l’autre est un pauvre gars qui mérite aussi de vivre.

Celui qui se dit le Bon est anarchiste et perso, un sans nom comme la tombe du magot, fils de pute comme les deux autres, en plus humain ; le Truand est un bâtard à l’humanité blessée ; il n’y a que la Brute qui soit un robot sans âme, un pro à l’américaine sans rien d’humain. Et pourtant, on aimerait y croire : le Bon serait l’Europe idéaliste, la Brute l’ordure Poutine, le Truand le foutu Tromp. Mais ce n’est pas si simple. De leur point de vue, chacun a partiellement raison ; leur tort est de se croire missionnés pour gagner seul, sans aucun égard pour les autres. Or nous voulons croire que la Force ne crée pas le Droit et que l’entraide est un bien mutuel… Toute l’Evolution d’Homo Sapiens. Le miracle de Sergio Leone est donc cet équilibre ; il ne prend position ni pour l’un, ni pour l’autre, mais les laisse vivre leur vie, s’affronter, et voir ce qu’il en reste.

DVD 2025 03 16 Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo), Sergio Leone, 1966, avec‎ Clint Eastwood, Eli Wallach, Lee Van Cleef, Aldo Giuffrè, Mario Brega, MGM 2006,doublé Allemand, Français, Anglais, 2h51, €10,00, Blu-ray MGM 2020, anglais, français, €14,50

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Buffet froid de Bertrand Blier

Comédie noire que cette brochette d’acteurs connus en une décennie de bascule du monde, pour jouer une scène surréaliste dans une banlieue vide. Tout commence par la gare du RER de La Défense, absolument déserte en soirée. Tout se poursuit dans une tour ne comprenant que deux locataires, et dans les rues désertes des villes-dortoirs autour de Paris, où des villas d’un certain âge n’ont plus aucune vie. Comment, dans ce désert moderne, ne pas songer à la mort ?

La civilisation moderne, en ces années post-68, est vue par les artistes comme annihilant l’âme, remplaçant les chants d’oiseaux par le bruit des moteurs et les arbres par le béton. Le malaise dans la civilisation vient de la perte des racines naturelles et incite au meurtre. Si possible gratuit, à la Gide : comme ça, pour rien. Les nihilistes des banlieues racailles tuent depuis pour un regard, un frôlement, une présence. Autrement dit : rien. Alphonse Tram (Gérard Depardieu), au nom de véhicule, incarne le sans-attaches, chômeur, à la colle sans désir, amoureux de rien ni de personne, et toujours un couteau dans la poche.

Il rencontre sur le quai vide du RER un comptable triste (Michel Serrault) qui ne veut pas soutenir la conversation. Il sort son couteau à cran d’arrêt, le lui montre, l’agite, le lui donne. L’autre, effrayé, n’en veut pas. Il le laisse sur un siège en plastique « design », très inconfortable, typique de cette modernité branchée. Le couteau disparaît tout seul… avant de se retrouver planté dans le bide dudit comptable, dans un couloir du métro. Ce n’est pas Tram qui l’a planté, encore qu’il ne le sache pas. Son inconscient a-t-il parlé ? A-t-il agi dans son dos ? Je est-il un autre ? La solitude et la peur rendent-ils déshumanisé ? Il fait sans cesse ce rêve récurrent d’être poursuivi par la police, se réveillant au moment où on s’apprête à l’arrêter.

Dans la tour, où il habite le seul appartement loué avec sa femme qu’il ne baise plus (Liliane Rovère), il n’a pas envie de chercher du boulot – puisqu’il n’en trouve pas – ni de faire l’amour, même si elle lui propose « d’enlever sa chemise de nuit ». Il lui raconte la fin du comptable, le danger de se promener seul le soir, il la met en garde. Elle minimise et, de fait, est étranglée le soir suivant. Entendant des pas, il découvre un second locataire qui vient d’emménager : c’est l’inspecteur de police Morvandiau (Bernard Blier, père de Bertrand le réalisateur), veuf, à deux ans de la retraite, habitué à l’autorité et à la routine des crimes. Lui-même avoue devant tout le monde qu’il a tué sa femme, pas morte en s’électrocutant dans sa baignoire, mais baignée après l’avoir électrocutée avec son instrument de musique, car les gammes, il en avait marre, mais marre ! Survient l’étrangleur (Jean Carmet), qui avoue avoir tué la femme de Tram sur une pulsion, comme ça, faute de conversation. Cela n’étonne en rien les deux compères, l’éventreur et l’électrocuteur qui trinquent déjà au pinard, et invitent l’étrangleur à se joindre à eux. Chacun prend pour norme l’inversion des normes. Ils ne sont pas amoraux, hommes supérieurs à la Nietzsche, mais immoraux, esclaves qui renversent les chaînes. Rien d’innocent, mais la poursuite systématique du dérèglement de tout lien social et du renversement des valeurs.

Tout se poursuit en cascade, un inconnu sonne chez Tram pour lui dire qu’il l’a vu planter le comptable ; il lui demande, pour se taire, de tuer un gêneur avec son couteau. Il lui donne l’adresse, le parking souterrain, l’heure de retour tapante. Tram, accompagné de l’inspecteur qui veut superviser le bon déroulement, et de l’autre qui a peur de rester tout seul, s’exécute. Il se révèle que le gêneur n’est autre que le commanditaire. Tram l’éventre, comme prévu au contrat. L’inspecteur reprend l’initiative, sonne à l’appartement pour apprendre la mort de son mari à sa veuve – qui est au courant et se dit « prête ». A quoi ? A les suivre et à baiser avec tous ceux qui le veulent bien. Mais oui, une femme a explicitement demandé à Depardieu de la violer, devant les caméras. Et il a résisté. Là encore, tout est inversé : le mari jaloux s’anti-venge en se faisant tuer, sa femme en deuil n’est en rien éplorée, Tram le tueur est sommé de lui faire l’amour. Comme il n’en a pas envie, elle tombe en fièvre et égrène les prénoms de tous ses amants récents. Un médecin SOS est appelé (Bernard Crombey) et arrive en R5 blanche à gyrophare. Il voit très vite ce qu’il en est : un manque sexuel évident. Pour la soigner, il la baise – pas besoin de consentement, c’est un acte médical. Les autres, qui le voient faire par une fenêtre, le font éventrer par Tram et son couteau. Quant à l’étrangleur, il ne peut s’empêcher, un peu plus tard, de mettre ses mains autour du cou de la nymphomane pour l’apaiser définitivement.

Il faut se débarrasser du corps, et l’inspecteur n’est pas en peine de trouver comment et où : en R5 SOS médecin, et dans un terrain vague. Mais un appel radio lui fait répondre comme par réflexe, un docteur est réclamé dans une villa bourgeoise d’urgence. Ils se détournent pour y faire un saut, bien qu’aucun ne soit médecin. L’étrangleur se désiste et l’inspecteur est mené à l’étage, tandis qu’un orchestre de chambre joue au rez-de-chaussée. Morvandiau déteste la musique. Où est le malade ? Mais c’est lui le malade, et on l’incite à se coucher sur le lit tandis que l’orchestre va exprès jouer et lui faire avoir une crise cardiaque. Meurtrier meurtri, flic piégé, épouse vengée sans justice – encore une inversion des normes. Sauf que le Morvandiau pas mort et qu’il s’en sort en tuant les musiciens de son pétard de flic. Deux rombières, apeurées, sautent dans la R5 de fonction et s’enfuient ; avec le cadavre dans le coffre, elles seront considérées par la police comme ses assassins – ainsi va la justice.

Pendant ce temps, l’étrangleur a zigouillé la veuve et tenté sa chance dans des maisons isolées, muni d’un impressionnant trousseau de clés. Les gens ne font jamais correctement ce qu’il faut pour dormir tranquille. Reconnu, menacé, dénoncé, il doit se mettre au vert, et les autres suivent, l’inspecteur pour surmenage et Tram par désœuvrement. Mais le vert déprime Morvandiau ; il a froid, les oiseaux l’agacent, il n’a rien à faire. Un bruit et la paranoïa monte : on les cherche, la voiture ne veut plus démarrer, c’est un sabotage ; ils partent à pied, l’air de rien. Ils rencontrent un tueur à gage (Jean Benguigui) qui cherche Alphonse Tram pour exécuter un contrat. L’inspecteur désigne l’étrangleur, qui est aussitôt fumé. Autre crime gratuit. L’inspecteur fait aussitôt état de son titre de policier pour l’arrêter, mais le premier village est loin. Une impassible jeune fille (Carole Bouquet) vient à passer dans une Citroën 15, la voiture favorite des Collabos (en 1979, ce n’est pas un hasard, après le film Le Chagrin et la pitié en 1971 et le feuilleton TV Holocauste en 1978). A cette époque (bénie ? – humour noir) l’inversion des valeurs était la norme, les chômeurs se retrouvaient tueurs et les flics tortionnaires, le monde était sens dessus-dessous.

La fille leur fait le coup de la panne (autre inversion des normes) et ils se retrouvent à l’arrêt sur un viaduc. Le tueur à gage en profite pour sauter dans l’eau. L’inspecteur et l’éventreur vident leurs chargeurs sur sa silhouette nageant vigoureusement, mais rien n’y fait. La fille leur dit qu’une station de barques à louer est un peu en aval ; ils s’y rendent et poursuivent sur l’eau le nageur. Tram fait une fois de plus usage de son couteau, au lancer cette fois. Le tueur coule. L’inspecteur rame, mais mal ; il demande à passer la main, et avoue bêtement qu’il ne sait pas nager. Qu’à cela ne tienne, Tram le jette à l’eau, où il se noie lui aussi. Tram est seul, une nouvelle fois, avec une nouvelle fille, sa troisième depuis le début de l’histoire. Va-t-il refaire sa vie avec elle ? La tuer elle aussi ? Mais il n’a plus son couteau, substitut de sexe pour ce grand mâle inactivé par la société.

Inversion, c’est la fille qui le tue. L’histoire boucle la boucle, elle est la fille du comptable du RER. La société se venge toute seule en éliminant ses parasites. On serait presque dans le monde de Trump et Musk, celui des libertariens pour qui le meurtre est un droit de chacun pour sa propre défense. En 1979, c’est la crise, le deuxième choc pétrolier, la récession et le chômage de masse, la perte des industries, la chute mentale après l’euphorie dopée de mai 68, l’invasion de l’Afghanistan par les Russes soviétiques. L’heure est au pessimisme – comme aujourd’hui. Un buffet froid, c’est chacun pour soi à composer son assiette ; aucune convivialité dans la préparation ; des mets standards qui remplissent sans nourrir ; une conversation décousue là où les gens se mettent, au hasard. Tout ce que la société de consommation de masse propose, dans un décor de tours et de RER sans aucune âme. Les humains en deviennent des zombies, comme cette nuée de flics qui obéissent sans penser aux éructation d’un inspecteur qui avoue avoir tué sa propre femme, ou ces bourgeois décatis qui font semblant d’écouter l’orchestre tout en zieutant qui entre par la porte de la villa. La logique dans l’inhumain : n’était-ce pas la définition du fascisme ?

Absurde réalité d’hier, aujourd’hui contemporaine.

César 1980 du meilleur scénario

DVD Buffet froid, Bertrand Blier, 1979, avec Gérard Depardieu, Bernard Blier, Jean Carmet, Carole Bouquet, Geneviève Page, StudioCanal 2023, 1h29, version restaurée €8,54, Blu-ray €14,24

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Christian Jacq, La pyramide assassinée et la suite

Christian Jacq, docteur en Sorbonne en 1979 sur les rites funéraires égyptiens sous la direction de Jean Leclant, a été séduit – comme moi – à 13 ans par le pays des Pharaons. Son voyage de noces, à 17 ans, fut pour ce pays dont il était tombé amoureux. Écrivain un temps de romans policiers, il décide de lier ses deux passions en donnant naissance au juge Pazair, 21 ans, dont le nom et l’obstination sonnent comme panzer, et qui connaîtra une ascension fulgurante dans sa charge jusqu’à devenir, dans le dernier tome, vizir d’Égypte.

Les critiques (qui n’ont en général rien écrit) ont beau gloser sur le style pauvre, le vocabulaire limité et l’aspect feuilleton des livres de Christian Jacq, le succès est venu – donc la jalousie des impuissants. Pour ma part, j’aime ces romans délassants où l’auteur vous emmène dans un autre monde. Non, ce n’était « pas mieux avant », c’était différent. L’humanité reste régie par les mêmes vices et les mêmes vertus, quelles que soient les civilisations et les âges : l’argent, le pouvoir, le sexe. La vanité n’a jamais de limites, mais la conscience de soi non plus. Pazair est un « petit juge » (comme on disait dans les années 90 de parution, en Italie anti-mafia comme en France Mitterrand). Il est intègre, rigoureux, fervent serviteur de la Loi.

En Égypte antique, c’est la loi de Maât, la déesse de l’harmonie cosmique, de la rectitude (ou conduite morale), de l’ordre et de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Fille de Rê le dieu solaire, elle rectifie le chaos toujours possible et assure l’équilibre du monde et des humains. C’est une femme. Elle veut que le monde soit en concorde. Christian Jacq nous fait vivre in vivo cette foi dans la raison et l’ordre neutre de la loi. Il incarne les personnages et nous les rend vivants. Même s’il ne s’agit pas de reconstitution scientifique mais d’une transposition romanesque, tout lecteur pourra sentir l’Égypte ancienne, sa vie quotidienne, ses maladies et ses remèdes, la façon de concevoir le monde. Ce n’est déjà pas si mal. La science s’étiole de trop rester dans la froideur des labos. Pour faire aimer la discipline, rien de mieux que de solliciter les imaginations – en sachant bien qu’il s’agit de roman.

Tout commence dans le premier tome par le viol de la pyramide de Khéops, proche du Sphinx. Cinq conjurés, dont une femme, assassinent les gardes et pénètrent dans le passage secret qui mène à la Grande Pyramide. Là vient se régénérer le Pharaon, « en absorbant la puissance née de la pierre et de la forme de l’édifice. » Là se trouvent les objets symboles de la légitimité du roi : le masque d’or de la momie, le collier et le scarabée, l’herminette en fer céleste (de météorite), la coudée en or et – le principal – un petit étui contenant le testament des dieux. Un texte qu’il doit montrer au peuple lors de son jubilé.

Par leur vol délibéré, les conspirateurs font à Ramsès II la promesse du chaos. Le vieux médecin Banir est chargé par la Cour d’une mission : trouver le juge adéquat au tribunal de Memphis, la grande cité du nord où réside Pharaon. Il se rend dans son village près de Thèbes où officie le jeune juge Pazair qu’il connait et lui confie la charge. « Assez grand, plutôt mince, les cheveux châtains, le front large et haut, les yeux verts teintés de marron, le regard vif, Pazair impressionnait par son sérieux ; ni la colère, ni les pleurs, ni la séduction ne le troublaient. Il écoutait, scrutait, cherchait, et ne formulait sa pensée qu’au terme de longues et patientes investigations. Au village, on s’étonnait parfois de tant de rigueur, mais on se félicitait de son amour de la vérité et de son aptitude à régler les conflits. Beaucoup le craignaient, sachant qu’il excluait la compromission et se montrait peu enclin à l’indulgence ; mais aucune de ces décisions n’avait été remise en cause » tome 1 p.18.

Monté à la capitale, le petit juge va devoir signer une demande de non-lieu pour la disparition de cinq gardes, mais il ne trouve pas les causes des décès. Il va donc enquêter, et mettre le pied dans un nid de frelons où chacun se tient par la barbichette, ment à loisir et s’éclipse derrière la paperasse. Il révèle peu à peu un vaste complot qui unit des hommes de pouvoir et d’influence dont le général Asher, la princesse hittite Hattousa l’une des épouses de Pharaon, le chef de la police Mentmosé, le gros transporteur Dénès et sa femme ambitieuse Nénophar, le dentiste de la cour Qadash, le chimiste métallurgiste Chéchi qui cherche à fondre le fer céleste pour en faire des armes invincibles – et « l’avaleur d’ombre », un tueur mystérieux mandaté par eux, qui va tenter plusieurs fois d’éliminer le juge trop obstiné.

Comme aide, outre son maître Branir (qui finira assassiné), son ami aventureux et musclé Souti (qui tuera le général Asher), la belle Néféret qui apprend la médecine et devient son épouse puis médecin-chef de la Cour, le jardinier Kani qu’il a réhabilité et qui devient grand-prêtre du temple de Karnak, le policier nubien Kem et son babouin policier, et ses animaux, le chien Brave et l’âne Vent du Nord. Quant à l’entrepreneur Bel-Tran qui organise l’intendance du palais, est-il un vrai ami ?

Le juge Pazair sera déporté dans un bagne mais parviendra à s’enfuir. Innocenté, il poursuivra son enquête grâce au vieux vizir Bagey l’incorruptible, mettra en cause le général Asher qui fuira vers la Libye, et le chef de la police qui sera révoqué. A la fin du premier tome, il est réputé mort. Mais ce n’était qu’un faux. Meurtres, enlèvements et corruption se multiplient mais Pazair, devenu à la fin du second tome vizir d’Égypte, défie le ministre des Finances dont le but est de renverser Ramsès le Grand pour prendre le pouvoir et se gorger de richesses.

Une belle suite d’aventures à rebondissements, écrites sans temps mort et avec le découpage habituel des thrillers modernes, mais en ménageant des tranches de vie détaillées sur l’Égypte antique, ses maisons, sa cuisine, ses médicaments et ses techniques. De quoi passer de bons moments.

Christian Jacq, La pyramide assassinée – Le juge d’Égypte 1, 1993, Pocket 2001, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La loi du désert – Le juge d’Égypte 2, 2001, Pocket 1994, 416 pages, €7,70

Christian Jacq, La justice du vizir – Le juge d’Egypte 3, Pocket 2001, 384 pages, €7,70

Christian Jacq, Le juge d’Égypte – l’intégrale, coffret Pocket 2011, €24,99

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Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi

J’ai lu dans l’avion, sur ma récente liseuse Kobo, une « romance » américaine à la mode. C’est un livre gratuit, Dans l’ombre de la loi de Toni Anderson. J’y retrouve la matrice du mâle américain et de la femelle qui en veut. C’est assez mauvais, avec un scénario conventionnel et des personnages stéréotypés, mais écrit avec le savoir-faire des séries télévisées.

Alex est un tueur d’assassins, des violeurs de femmes et des pédocriminels. Il est mandaté par un groupe privé de riches qui veulent la justice sans les procédures en excès. Le beau gosse de la trentaine est un ancien militaire des commandos en Afghanistan, décoré pour bravoure, embauché par la CIA pour liquider des trafiquants. Il a été emprisonné au Maroc pour avoir laissé la vie à l’un d’eux parce que sa fille de 12 ans venait d’entrer dans la pièce et qu’il aurait dû l’exécuter aussi. Il est sorti de geôle par l’organisation privée américaine sous condition par contrat d’obéir aux ordres de tuer durant deux ans.

Il a déjà descendu deux meurtriers violeurs avant que la police ne les trouve. Il est à chaque fois renseigné par l’organisation qui a ses sources au FBI et dans la police des États. Il intervient rapidement et utilement, sans laisser aucune trace, et les autorités officielles sont prévenues après par un appel anonyme afin de clore le dossier. C’est efficace, rapide et sans appel, tout à fait dans la mentalité yankee.

La onzième femme enlevée du dernier meurtrier est sauvée par notre héros, elle n’a pas eu le temps d’être violée puis torturée. Les dix précédentes non pas eues cette chance entre les pattes du prof de maths pervers. Deux balles entre les deux yeux règlent son compte au monstre sans autre forme de procès. Une sorte de loi de Lynch déléguée à un professionnel par ceux qui se sont instaurés gardiens du droit et de la morale (de leur temps).

Est ainsi présentée un modèle du respect des règles : respect des ordres hiérarchiques, respect de la femme que l’on baise avec préservatif, respect du consentement. La nouvelle norme en vigueur. Qui, depuis Yankeeland, DOIT se diffuser au monde entier. C’est cela le soft power.

Mallory, jumelle d’une fillette enlevée et tuée il y a 18 ans est fraîche émoulue de l’école de police. Dans le dernier crime du tueur tué, elle soupçonne quelque chose. Trois criminels ont été descendus de la même façon avant l’arrivée de la police ces derniers mois, et ce ne peut être pour elle le hasard. Alex, qui est officiellement consultant au FBI et a créé sa boîte de sécurité en couverture, la rencontre, constate ses soupçons, et la fait muter au service fédéral afin qu’elle trouve la taupe qui a failli faire capoter la dernière opération en prévenant la police trop tôt. Car Alex a à peine eu le temps de s’éloigner de la maison des horreurs et a failli se faire prendre la main sur le pistolet encore chaud.

Mais il tombe raide dingue de la fille, évidemment belle, sportive, enquêtrice obstinée, bonne professionnelle et fille de sénatrice. Elle est en outre vulnérable parce que le kidnappeur de sa sœur ressurgit et la menace. Il lui envoie une bague personnalisée et le pyjama de la petite fille de jadis. Elle veut le piéger, Alex veut la protéger, la police ne les aide pas. Seuls contre tous, mais unis, voilà aussi une face de la morale des Pionniers remise au goût du jour.

Ils sont jeunes, beaux, professionnels aguerris, et connaissent l’attirance irrésistible, le contact électrique et l’extase renouvelée des rêves de midinettes. Les descriptions de scènes de sexe, complaisamment détaillées dans leur progression, toujours attentifs l’un à l’autre, occupent une place de plus en plus grande au détriment de l’action, qui s’étiole et connaît des ratés – avant une conclusion trop rapide comme une éjaculation précoce. Le scénario est presque bâclé au profit du désir.

C’est ce qui compte au fond dans la « romance » et fait le succès de ce genre de livre, acheté et lu surtout par des femmes jeunes et des adolescentes. Ce sont des consommables à l’envie, comme les séries télévisées. Livres vite achetés, vite lus entre deux trajets, vite oubliés après l’orgasme de lecture, ils visent à provoquer l’extase par procuration comme une piqûre d’héroïne (légale). Le choc érotique entre deux êtres parfaits, aux standards américains, doit forcément aboutir à l’Amour romantique, puis au couple conventionnel avec deux enfants. Mais pas avant l’initiation des héros, le mâle par la guerre, la femelle par la police, enfin adultes après avoir traversés les épreuves.

Il fallait que je fasse l’expérience de ce genre de style. Je n’y reviendrai pas.

Toni Anderson, Dans l’ombre de la loi – tome 1 Le sommeil des justes, éditions d’auteur Amazon, 414 pages, €16,08, e-book Kindle €0,00 (gratuit)

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Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre

Tony Hillerman, décédé à 83 ans en 2008, était fils de descendants allemand et anglais, mais il est né en Oklahoma et s’est intéressé en anthropologue journaliste aux Indiens Navajos et Hopi. Il invente en 1980 le personnage de Jimmy Chee, Navajo élevé à l’université des Blancs mais qui n’oublie pas ses racines car son univers indien crée harmonie et beauté. Bien loin de celui des Blancs, prédateurs et violents.

Chee est membre de la police des réserves et envisage d’intégrer le FBI, dont il a passé les épreuves avec succès. « Ce premier pas consistait, pour Jimmy Chee, à étudier l’homme blanc et ses coutumes. Lorsqu’il serait parvenu à comprendre le monde de l’homme blanc, ce monde où se mouvait son Peuple, il pourrait prendre une décision. S’incorporerait-il au monde de l’homme blanc ou resterait-il un Navajo ? » Pour cette affaire policière, il est contacté par Madame Vines, épouse d’un riche ex-prospecteur de la région, pour retrouver un coffret volé, alors que son mari est à l’hôpital. Elle sait qui a fait le coup, un Indien du Peuple de l’ombre, membre de l’église américaine dit du peyotl car elle use des pouvoirs hallucinogènes de ce petit cactus contenant de la mescaline pour avoir des visions.

Justement, il y a trente ans, une vision du grand prêtre a écarté du puits de mine en cours de forage pour y trouver du pétrole six Navajos. Le puits a explosé, tuant tous les employés à proximité, y compris le géologue. On n’a retrouvé que de rares restes humains tant le souffle a été puissant. B.J. Vines et arrivé deux ans plus tard et a racheté le terrain délaissé, prospectant pour son propre compte. Il y a trouvé de la pechblende, autrement dit du minerais d’uranium hautement radioactif, qui a fait sa fortune. Il a revendu sa mine et jouit d’une immense richesse, mais ne parle jamais de son enfance ni de sa jeunesse. Il garde dans une cassette déposée dans un coffre de son bureau, derrière la tête empaillée d’un tigre qu’il a tué, diverses babioles souvenirs. Il a été un grand chasseur et des trophées sont exposés un peu partout dans sa maison.

Jimmy Chee découvre vite qui a volé le coffret, malgré les bâtons dans les roues mises par le shériff de l’État Sena, dont le grand frère a été tué lors de l’explosion, et qui garde jalousement toutes les informations sur cette enquête qui n’a jamais abouti. Le « sorcier » navajo du peyotl est mort d’un cancer, son fils aussi, et son petit-fils se meurt également. Très vite, son cadavre est volé à l’hôpital, ainsi que ses effets. Pourquoi ? A quelles fins ? Chee enquête, usant de la langue navajo autant que de l’anglais pour interroger vieilles femmes et jeunes garçons et remonter la piste de qui sait quoi. Il rencontre Mary, une Blanche et blonde anglo à une vente de charité et l’adjoint à son enquête. Ils prospectent la presse, se font tirer dessus.

Car un mystérieux tueur qui ne laisse aucune trace élimine des gêneurs sur commande anonyme depuis plusieurs années dans divers États sans que le FBI puisse lui mettre la main dessus. Il va croiser involontairement la route de Jimmy Chee…

Un bon roman policier ethnologique qui change des rodomontades et du machisme habituel des Yankees avec leur lot de défouraillement à tout va et d’explosions spectaculaires. Ici, c’est plus la relation humaine et l’usage des petites cellules grises qui importe.

Tony Hillerman, Le peuple de l’ombre, 1980, Folio 2015, 272 pages, €9,40

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Mary Higgings Clark, La nuit est mon royaume

Vingt ans après… L’école privée de Stonecroft Academy veut réunir les anciens élèves les plus méritants, ceux qui ont réussi. Non sans arrière-pensée : celle de valoriser le collège et d’attirer des investisseurs pour faire bâtir une aile nouvelle. Jack Emerson est un ancien et il les a convoqués.

Ils, c’est-à-dire Jane Sheridan, devenue historienne en renom après une jeunesse douloureuse entre des parents qui ne cessaient de se chamailler et la mort de son petit ami de West Point, renversé par un chauffard qui a pris la fuite, mais la laissant enceinte sans ressources.

Laura était la plus belle fille de l’école et ne cessait de séduire ; encore aujourd’hui où, la quarantaine venue, elle chasse encore les rôles à la télé.

Gordie est justement producteur, parti de rien il a su arriver.

Carter l’ex-maigrelet débraillé, fils d’une mère maigrelette et débraillée, est devenu bel homme athlétique qui écrit des pièces de théâtre sombre qui plaisent aux intellos.

Il y a Mark, le gamin harcelé devenu psy pour ados.

Et Jenny la boulotte, Trish la maigre de l’équipe d’athlétisme, et Robby l’humoriste cruel.

Mais parmi les anciennes élèves, seules demeurent Laura et Jane. Catherine, Debra, Cindy, Gloria et Alison ne sont plus, la dernière noyée dans sa piscine quelques semaines avant. Mortes par accident ou peut-être tuées, qui sait ?

Celui qui le sait est le Hibou, un ancien élève brimé à l’époque, de qui les filles se moquaient depuis qu’à 9 ans, lors d’une représentation de théâtre, il n’avait su que bafouiller sa seule réplique : « Je suis le hibou et je vis dans un arbre ». Il avait déjà été éjecté de l’équipe de baseball.

Dans le huis clos de la réunion sur quelques jours, le jeune Jack Perkins, 16 ans, joue au journaliste pour la gazette du lycée. Il se demande pourquoi, sur la brochette de filles de la photo de classe d’il y a 20 ans, seules deux sont encore vivantes…

Sam est le flic du coin qui enquête sur les meurtres commis et à commettre. Jane va s’adresser à lui lorsqu’elle recevra une suite de fax menaçant sa fille, celle qu’elle a accouché à 18 ans et aussitôt abandonnée faute de pouvoir l’élever. Elle veut mettre en garde les parents adoptifs et, pourquoi pas, faire la connaissance du bébé devenue grande.

Mais le Hibou veut se venger de tous ceux et de toutes celles qui se sont moqués de lui petit. Il est implacable comme un rapace, cruel et oiseau de nuit comme lui. Personne ne le soupçonne, il ne laisse aucune trace. Par plaisir parfois, et pour brouiller les pistes, il tue une fille au hasard, qui passait par là. Avec à chaque fois sa signature, un minuscule hibou en fer blanc caché sur son corps.

Un bon roman psychologique où les indices s’accumulent alors que le lecteur sait que l’un des personnage est le tueur, mais égaré à chaque fois dans des fausses pistes.

Mary Higgings Clark, La nuit est mon royaume (Nighttime is my Time), 2004, Livre de poche 2006, 447 pages, €8,40 e-book Kindle €7,99

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Fire Fire – Vengeance par le feu de David Barrett

Jeremy Coleman (Josh Duhamel) est un jeune pompier orphelin, élevé en institution, qui a trouvé une famille dans la fraternité du feu. Un soir qu’il sort de la voiture avec ses copains pour aller acheter des chips dans une supérette de station-service, il assiste en direct au meurtre froid et sans état d’âme d’un gros Noir qui tient la caisse et de son fils, mince adolescent qui rêvait d’être basketteur. Il les connaît, cela lui fait mal, il est plaqué à terre et le chef de gang David Hagan (Vincent D’Onofrio), laisse son adjoint décider du sort du témoin. Il va évidemment l’éliminer.

D’où course-poursuite, Jeremy blessé au bras mais qui parvient à fuir, l’autre croyant l’avoir descendu. Ses copains qui sont allés faire le plein le récupèrent, l’emmènent aux urgences et appellent la police. Le lieutenant Mike Cella (Bruce Willis) lui fait reconnaître Hagan, déjà fiché pour de nombreux meurtres, dont celui de deux de ses coéquipiers, mais que son avocat retord (Richard Schiff) finit toujours par faire libérer.

David Hagan est un fan d’Adolf Hitler. Il est suprémaciste blanc et n’a aucun scrupule à buter des Noirs, à empiéter sur le territoire de leurs gangs, et à s’imposer dans la guerre de tous contre tous qu’exige son idéologie pronazie. Il voulait le bail de la supérette, idéalement placée pour tous les trafics illicites, car au carrefour de l’autoroute et d’autres routes. Il a tatoué sur sa gorge une croix gammée rouge sang et, sur sa poitrine, un aigle étendant ses ailes. Il se croit invincible parce qu’invaincu, la « justice » démocratique étant incapable de l’enfermer pour de bon ou de lui régler son compte. Car si la peine de mort existe dans certains Etats américains, ce n’est plus le cas en Californie et les prisons sont des passoires pour qui a le pouvoir et l’argent.

Jeremy reconnaît sans peine Hagan lors d’un tapissage dans les locaux de la police, mais celui-ci joue la provocation en montrant combien il s’est renseigné sur lui, citant son nom, son adresse et son numéro de sécurité sociale. Il a ainsi « dissuadé » de nombreux témoins d’apporter leur déclaration au tribunal par des menaces directes sur leur vie et celle de leurs proches. Mais Jeremy n’a pas de famille, ni même de petite amie attitrée. Il est déterminé à témoigner pour que passe la justice.

Il est alors soumis au programme fédéral de protection des témoins, dont s’occupent les marshals à compétences fédérales. Il est pourvu d’un nouveau nom, d’une nouvelle adresse sécurisée. Sauf que la corruption par la menace de mort, propres à tous les fascistes, est bien plus efficace que celle par l’argent. Un officier fédéral du programme de protection des témoins est enlevé, torturé, menacé assez fort sur sa famille pour révéler ce qu’il faut. Jeremy, qui est tombé amoureux de la marshal métisse Talia (Rosario Dawson) – pied de nez au suprémacisme blanc – est retrouvé, visé, traqué.

Sa partenaire est blessée, il la sauve et descend l’un des tireurs, mais il doit à nouveau fuir. Les fédéraux jurent que « cette fois » ses références seront effacées des fichiers courants, soumises à autorisation très restreinte, mais pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant ? Incurie génétique de toute bureaucratie, on se fie aux « procédures », concoctées par des bureaucrates loin du terrain, en général inefficaces.

Comme Hagan s’est procuré le nouveau numéro de téléphone privé de Jeremy et qu’il le menace de s’en prendre à lui, à sa copine et à ses amis pompiers s’il témoigne, ce dernier décide de quitter le programme fédéral et de se débrouiller tout seul. Cette façon de raisonner est très américaine : l’Etat impuissant oblige chacun à retrouver son âme de pionnier et à faire justice lui-même.

C’est en effet lui ou moi. Tant que Hagan reste en vie, il mettra des contrats sur Jeremy et sur Talia. Même s’il est emprisonné, il ne sera pas hors d’état de nuire. Il faut donc carrément le descendre, ce que « la justice » n’autorise pas dans les Etats démocratiques. Même le flic Cella ne le pourrait pas, sauf en état de légitime défense – mais avec témoins et film en preuve directe, et encore ! La critique implicite des avocats est patente : ils pourrissent la justice par leurs excès de pinaillages procéduriers. Ils sont d’ailleurs aussi menacés que les victimes s’ils ne font pas ce que les tueurs veulent.

Le réalisateur Barrett, adepte des sports extrêmes, est un homme décidé et il veut que ses héros le soient. Jeremy, jeune amoureux, va se surpasser. Lui qui n’a jamais tué personne mais plutôt sauvé des vies du feu, va tirer au pistolet comme le lui a appris Talia ; il va obtenir des malfrats comme de l’avocat de savoir où se niche l’épais Hagan. Il va bouter le feu à son repaire, préparant soigneusement sa sortie.

Bien-sûr, rien ne se passe comme prévu. La marshal Talia va compromettre « par amour » la couverture de Jeremy, se faire suivre et capturer par un tueur – nous sommes ainsi dans les clichés Hollywood sur les « faibles » femmes soumises à leurs émotions. Elle sera ligotée dans la salle où part le feu. Mike Cella, le flic désabusé, laisse faire « jusqu’à 18 h seulement » – il lancera un avis de recherche contre Jeremy ensuite. Et puis… chacun est professionnel – autre trait américain – et fait ce qu’il sait faire de mieux. Je ne vous le décris pas, c’est assez prenant. Le Bien triomphera, sinon nous ne serions pas à Hollywood.

Voilà, à défaut d’un grand film, un bon film d’action, malgré l’absence de toute trace d’humour ou même d’ironie. On ne s’ennuie pas, on halète, on frissonne (to thrill). La leçon est un peu cousue de gros fil métis, mais nous sommes cinq ans avant l’ère Trump et l’état d’esprit est en train de virer à droite toute aux Etats-Unis. L’histoire ainsi contée tente de faire la part des choses, le oui-mais de la « justice » ou de ‘l’œil pour œil dent pour dent’ de la fameuse Bible, canal Ancien testament.

DVD Fire Fire – Vengeance par le feu parfois titré Témoin gênant (Fire with Fire), David Barrett, 2012, avec Josh Duhamel, Bruce Willis, Rosario Dawson, Vincent D’Onofrio, 50 Cent, ‎ France Télévisions Distribution 2017, 1h33, €13.00 Blu-ray €12.16

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Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock

Tuer sa femme parce qu’elle a un amant et refuse de clarifier sa position est une tentation classique des années où le « mariage » était éternel et la « fidélité » jurée. Hitchcock en fait un moment de spéculation intellectuelle intense, fondé sur un imbroglio de clés.

Tony (Ray Milland) est un joueur de tennis anglais qui a arrêté sa carrière parce qu’il devenait trop vieux mais aussi parce que sa femme, qui a la fortune et entretient dès lors le joueur retraité, lui reprochait de ne pas s’occuper d’elle. Mais Margot (Grace Kelly) s’est empressée de nouer une liaison avec l’auteur de romans policiers américain Mark (Robert Cummings) et l’a rencontré plusieurs fois dans un studio de Londres où les gens les ont vus en ombres chinoises par les fenêtres jouer au couple. Un an plus tard, The Times annonce l’arrivée prochaine du paquebot Queen Mary avec, parmi les notables à son bord, Mark Halliday. Margot Wendice se réjouit.

Mais Tony le sait. Il sait aussi, par une lettre qu’il a découvert que sa femme est amoureuse de Mark et que c’est réciproque. Il sait donc qu’elle ment et le trompe effrontément ; et que son train de vie va lui être retiré sir elle le quitte. Il décide tout simplement de la tuer.

Il échafaude pour cela un plan machiavélique et soigneusement organisé. Trop – cela le perdra. Il contacte un ancien condisciple de collège, soupçonné jadis d’avoir piqué dans la caisse du club sans se faire prendre, et qui a fait ensuite de la prison comme escroc. Une courte enquête lui permet de voir qu’Alexandre Swan (Anthony Dawson) a agi sous plusieurs noms, dont le dernier est celui de capitaine Lesgate, et qu’il met par exemple en vente la voiture de sa patronne, une vieille riche, à son propre nom. Il le contacte donc pour cela, l’air de rien, et le met en conditions. Il lui fait lire la lettre amoureuse de Mark à Margot et lui propose 1000 £ (une grosse somme en 1954) pour tuer sa femme selon un plan préétabli.

Tout paraît simple. Tony va emmener Mark à un banquet d’anciens joueurs de tennis américains en visite à Londres, où il pourra rencontrer des compatriotes. Comme il s’agit d’un club d’hommes, les épouses et amies ne sont pas conviées. Margot va donc rester à la maison. Elle a envie de sortir, d’aller au cinéma, mais Tony la convainc que c’est dangereux le soir et qu’elle ferait mieux de classer les coupures de presse qu’elle a accumulé et dont elle repousse sans cesse la mise en album. Il lui sort pour cela ses ciseaux pointus de sa trousse à couture pour les mettre sur la table. Il en profite pour lui subtiliser sa clé de l’appartement, une simple clé plate, qu’il va placer discrètement sous le tapis de l’escalier qui fait face à la porte, afin que le tueur puisse entrer sans effraction.

Il a programmé 23 h pour le crime. Il doit alors téléphoner pour que Margot se réveille et aille se placer près du téléphone, dos aux rideaux de la fenêtre sur jardin. Alexandre, planqué là, n’aura plus qu’à l’étrangler. Mais sa montre retarde, il a plusieurs minutes de retard lorsqu’il prévient qu’il doit passer un coup de fil à son patron qui part le lendemain matin pour Bruxelles. Un homme dans la cabine du téléphone le retarde encore. C’est in extremis, à 23h07 seulement, qu’il parvient à appeler. Le tueur est sur le point de repartir, il a déjà ouvert la porte quand la sonnette grêle de ces années-là résonne dans l’appartement éteint. Il n’a que le temps de se filer derrière les rideaux.

Margot décroche, dit allô plusieurs fois mais n’obtient aucune réponse. Suspense, le tueur attend qu’elle libère son oreille pour lui passer les bas noués autour du cou. Mais elle s’obstine, redit allô plusieurs fois, hésite, baisse le combiné puis le replace pour dire encore allô. Enfin, elle raccroche et est aussitôt accrochée. Mais le tueur n’est pas habile, il serre mais pas assez fort ni assez brutalement. Elle se tord, roule sur le bureau. C’est là qu’en tâtonnant, elle saisit la paire de ciseaux et… lui enfonce dans le dos. Le tueur titube, la lâche, et s’écroule dos au sol, s’empalant de lui-même sur la lame. Il est mort.

Le meurtre de Margot a échoué et elle saisit le téléphone, resté décroché. Tony, qui a tout entendu de la lutte, parle enfin : qu’elle ne touche surtout à rien, qu’elle ne prévienne pas la police, il arrive. De retour, il prend la clé dans la poche du mort et la replace dans le sac de sa femme. Il place la lettre de Mark dans la poche du tueur, comprenant ses empreintes puisqu’il lui avait fait toucher. Il brûle le bas dont le tueur s’est servi pour en nouer deux autres appartenant à sa femme et en cacher un troisième sous le sous-main près du téléphone. Il peut ainsi attendre la police en s’assurant froidement que tout est au point.

Mais un inspecteur-chef moustachu et sagace (John Williams) fouine. Mark donne sa version, Tony aussi, son épouse Margot joue les victimes sous le choc. Mais puisqu’il n’y a pas effraction, c’est qu’elle a ouvert au tueur ; il voulait la faire chanter avec la lettre qu’il avait subtilisée dans son sac à main, volé quelques semaines plus tôt à la gare de Charing Cross – et récupéré aux Objets trouvés. Ce sont ses bas qu’elle a placés pour faire croire à l’agression et s’est elle-même infligé les marques sur son cou avec le troisième bas qu’elle a laissé sur le bureau avant de le planquer in extremis sous le sous-main. En bref, elle est condamnée pour meurtre et doit être exécutée.

La veille du jour fatal, l’inspecteur-chef revient. Il a poursuivi son enquête et quelque-chose le turlupine. Mark s’efforce de convaincre Tony de s’accuser de tout un scénario de roman policier pour sauver sa femme. Tony résiste mais ment lorsqu’il dit ne rien savoir d’une mallette bleue dont il aurait sorti des billets pour régler une dette de tailleur. Or la mallette est sur le lit de la chambre où Mark s’est caché lorsque l’inspecteur a sonné. Il soupçonne Tony d’être moins clair qu’il n’en donne l’apparence et révèle sa présence et la mallette pleine de billets. Les relevés bancaires de Tony font état de retraits peu élevés mais réguliers sur le compte, laissant imaginer un projet établi de longue date.

C’est alors que s’enclenche l’engrenage implacable du jeu de clés qui va compromettre Tony et prouver l’innocence de sa femme. Le plan pour la tuer était pensé, la contre-enquête est elle aussi pensée, comme un revers de balle au tennis. Ce qui compte est le calcul intellectuel, pas la passion, peu montrée entre les protagonistes. Il s’agit d’un assassinat plus que d’un meurtre, car il y a préméditation.

Le film a été tourné en relief stéréoscopique devant être projeté en lumière polarisée avec lunettes pour l’effet de relief. La version classique est publiée en DVD noir et blanc mais la version 3D (préférable) en couleurs.

DVD Le crime était presque parfait (Dial M for Murder), Alfred Hitchcock, 1954, avec Ray Milland, Grace Kelly, Leo Britt, Alfred Hitchcock, Robert Cummings, John Williams, Anthony Dawson, Warner Bros 2005, 1h41, noir et blanc €7,26

Blu-ray et 3D en couleurs, Warner Bros 2012, €33,72

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Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret

Cinq nouvelles policières dont la première, qui donne son titre au recueil, est à elle seule un petit roman. C’est à chaque fois un délice, le suspense est bien amené et la « chute » brutale. Difficile de commenter sans dévoiler, aussi n’en dirai-je que peu.

Le fantôme de Lady Margaret se passe pour une fois en Angleterre. Judith est une jeune veuve qui a déjà publié des romans historiques à succès (un double de l’autrice). Adoptée petite par un couple de diplomates américains en poste à Londres après qu’elle ait été retrouvée seule, errante, après un bombardement de V1 en 1944, et que quatre ans d’enquête n’aient pas permis de retrouver ni son nom, ni sa famille, elle revient à la capitale britannique pour se documenter sur la période de Charles 1er et de Charles II, sur laquelle elle écrit. Elle se passionne, s’oublie parfois des heures dans son récit, laissant passer le temps. Son nouvel amant Stephen Hallett, rencontré dans un cocktail, est Member of the Parliament, conservateur, et pressenti pour devenir le prochain Premier ministre lorsque la Dame en poste se résignera à partir, après dix ans de bons et loyaux services (je pense qu’il s’agit d’une Margaret). Judith est très amoureuse mais son prénom la prédestine à revivre ce qui se passait six siècles avant Jésus lorsque la belle juive a pris la tête du gros fendard Holopherne, envoyé par Nabucho. En voulant retrouver ses souvenirs d’enfance bloqués, Judith régresse au point d’être envahie par une personnalité historique, Lady Margaret Carew, ennemie de sir Stephen Hallett, sbire du roi Charles qui a tué son fils Vincent. Et d’étranges attentats en plein Londres surviennent à intervalles réguliers. On pressent que tout cela va mal finir.

Terreur sur le campus est l’histoire d’un enlèvement d’une jeune fille bien sous tous rapports par un loser du lycée, laid et niais, qui en pinçait pour elle mais était maintenu à l’écart, harcelé et moqué. En bref, il fantasme et se venge.

Un jour de chance est machiavélique : une jeune femme, comme toujours chez Clark, est très amoureuse de son mec mais celui-ci ne parvient jamais à garder un poste de vendeur d’obligations dans les grandes firmes de Wall Street, métier qui l’ennuie. Il vient d’être viré d’une boite – Merrill Lynch, pas moins – et n’ose guère l’annoncer à sa femme qui, elle, enchaîne les petits boulots. Elle croise chaque matin un vieux qui aide à la vente de journaux et qui lui annonce qu’aujourd’hui sera son jour de chance. Il joue à la loterie. Il annonce qu’il viendra dîner avec eux, car elle l’invite parfois, pour leur annoncer une nouvelle. Le soir venu, personne : ni mari, ni vieux. Le mari rentre très en retard, mouillé, crevé, et annonce qu’il doit lui dire quelque chose de très important, mais le vieux n’apparaît pas. Il prime : la jeune femme téléphone à la police, aux hôpitaux, part à sa recherche. De fait, le vieux a été agressé et dépouillé, emmené à l’hôpital, il se meurt. Avait-il gagné à la loterie ? Et que devait dire le mari de si important ? Le lecteur croit que… d’ailleurs la jeune femme découvre… mais pas du tout ! C’est pire et plus dérisoire. Du grand art de la nouvelle.

L’une pour l’autre est l’histoire d’une confusion entre jumelles. Le tueur est jaloux d’avoir été évincé d’un rôle de jeune premier à la pièce du lycée – qui a valu à son remplaçant un contrat d’acteur télévisé en or. Après des années de galère, il trouve la metteuse en scène qui l’a viré sur un magazine et la tue. Mais il zigouille l’une en croyant que c’est l’autre, puis s’en aperçoit trop tard et tente de bisser son acte. Sauf que tout ne se passe pas aussi bien que la première fois. Celle qu’il a tuée était-elle finalement la bonne ? Est-ce une ruse de celle qui reste pour gagner du temps ? Désorienté, déstabilisé, le tueur s’égare. Mais il est déterminé.

L’ange perdu est une petite fille de 4 ans. Elle a été enlevée par son père qui est un escroc et sa mère la cherche désespérément. Elle la retrouve brusquement en photo dans un magazine, jeune modèle qui joue un ange pour le numéro de Noël. De fil en aiguille, elle remonte la piste et trouve la ville, l’adresse, la description d’une femme qui l’accompagnait. Elle se rend sur les lieux, invite la police, et entreprend de traquer les kidnappeurs, dont son mari toujours escroc et sa nouvelle, qui s’apprêtaient à fuir aux Bahamas. Mais la petite est intelligente, aimant sa mère et a bonne mémoire. Elle prend des initiatives.

Mary Higgins Clark, Le fantôme de Lady Margaret (The Anastasia Syndrome and other stories), 1989, Livre de poche 1994, 313 pages, €7,30

Les romans policiers de Mary Higgins Clark déjà chroniqués sur ce blog

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Fernando Vallejo, La vierge des tueurs

Le grammairien Fernando (Germán Jaramillo) revient à Medellín après être parti trente ans durant la période de guerre civile et de Front national. C’est un double de l’auteur, prénommé lui aussi Fernando et né à Medellín en 1942. Il a la cinquantaine et se rend aussitôt dans un bordel de garçons, car là se porte sa sexualité catholique, dégoûtée des femelles depuis saint Paul, impures selon la Bible, et par leur procréation ininterrompue encouragée par le Pape, qui alimente la pauvreté.

La Colombie du début des années 1990 est sous l’emprise du cartel de Medellín et de Pablo Escobar, son chef sans scrupules. Il n’hésite pas à faire assassiner ceux qui le gênent comme le ministre de la Justice, le candidat libéral à l’élection présidentielle, des journalistes, ou à faire exploser le bâtiment de la Sécurité publique. Il n’est arrêté qu’en 1991 et abattu en 1993. Les tueurs à gage qu’il a engagés comme sicaires, souvent très jeunes, juste après la puberté, se retrouvent sans travail. Pour survivre, ils volent, tuent et se prostituent, tout cela pour l’adrénaline. Car ils sont vides en dedans d’eux, sans amour ni protection, emplis des images de fringues de marques, de chansonnettes à la mode et de blagues télévisées. Ils ne supportent pas le silence, sauf dans le sexe.

Fernando connait ainsi Alexis (Anderson Ballesteros), sicaire aux yeux verts et au corps fin de 14 ans dans le livre (mais 16 dans le film, pour la morale publique). A noter que le film est « déconseillé aux moins de 12 ans » mais autorisé sans limites après. Il en tombe amoureux, le garçon s’attache à lui, il devient son protégé et Fernando l’emmène habiter chez lui. L’homme mûr comble le néant de la vie du garçon. Il le nourrit, le promène, l’habille, dort avec lui dans les bras, peau contre peau comme le père qu’il n’a jamais connu et la mère trop prise par ses petits frères et sœurs.

Alexis n’a pas d’état d’âme, il est tout dans l’instant, ce pourquoi son amour est absolu et il tue de même. Pour lui, tuer et baiser sont deux actes de nature. Un taxi est grossier ? Une balle dans la tête. Deux petits de 10 ans qui s’empeignent sous le regard d’adultes rigolards ? Cinq balles font passer de vie inutile à trépas définitif cette scène inexcusable. Ce sont plus de cent personnes que descend Alexis de son pistolet porté dans sa ceinture, qu’il dégaine et fait cracher sans avoir l’air de viser. Il ne manque jamais sa cible car il n’est qu’instinct. Le jeune garçon n’est tendre avec son aimé que par compensation car le monde autour de lui est dur, la réalité délirante, « au-delà même du surréalisme », dit l’auteur. Alexis est pur, un ange exterminateur. Il n’a que son corps et son arme pour se défendre, et Fernando lui offre son intellect, ses biens et son amour.

Fernando l’aime de ne pas reproduire la misère en engrossant les filles, il y a bien assez de niards qui prolifèrent et dégorgent des bidonvilles, appelés en Colombie les Communes. Ils grandissent dans la misère et la violence avant de devenir vers 12 ans sicaires, puis de se faire tuer. C’est ainsi que la démographie se régule en Colombie ces années-là : pas de vieux (ils sont morts), peu de jeunes (ils sont morts), seulement des enfants qui poussent et des prime-adolescents qui s’entretuent.

A mesure que la violence collective s’amplifie, le discours du grammairien se renforce, poussé à la radicalité de la force réactionnaire à la Céline par le spectacle lamentable de la surpopulation des bidonvilles, où les paysans venus avec leurs machettes des villages, ont importé la violence. Les garçons, sans plus de modèles mâles à suivre comme exemple, restent des brutes. Ils ne sont pas cruels, pas plus que des fauves qui tuent leur proie. Tuer et mourir sont la norme dans l’injustice généralisée.

Et Dieu dans tout ça ? Il s’en fout. Fernando, né catholique et élevé catholique, garde les superstitions catholiques de la prière dans les églises et de la messe parfois, mais il ne croit pas en Dieu. Seul Satan règne, puisque les meurtres d’enfants et d’adolescents sont légion et naturels, malgré le scapulaire de la Vierge des Douleurs de l’église de La América qu’arborent tous les très jeunes sous leur chemise entrouverte. L’État corrompu à cause de l’argent trop facile de la drogue, appelée par ces Yankees déboussolés par la guerre du Vietnam et le vide spirituel de leur prospérité économique, laisse se répandre la guerre de tous contre tous. C’est le règne libertarien du chacun pour soi, du droit du plus fort selon les armes et le fric. Tout s’achète, même les garçons – sauf l’honneur, ce vieux reste macho des cultures méditerranéennes importé en Amérique hispanique. Seul les morts ne parlent pas est un proverbe colombien.

Ce pourquoi le bel éphèbe « au corps lisse garni de fin duvet », Alexis aux yeux verts, ne fera pas long feu. Neuf mois seulement avec Fernando et il est brutalement abattu dans la rue sous ses yeux par un duo à moto. Il avait tué le frère d’un membre d’un gang ennemi de son quartier. Fernando se trouve lui-même abattu – mais de douleur. Il veut en finir, court les églises, ne voit plus aucun sens au monde.

Lorsqu’il renaît, par habitude, par lassitude, c’est par la rencontre sur un trottoir de Wilmar (Juan David Restrepo), un autre jeune garçon des bidonvilles surnommé Lagon bleu parce qu’il ressemble au jeune premier du film éponyme. Il prend la place d’Alexis mais pas le cœur de Fernando, qui apprend vite que c’est lui qui a tiré sur son petit. Va-t-il le tuer à son tour pour se venger ? A quoi cela servirait-il ? D’ailleurs Wilmar est descendu par un autre gang deux jours après. La jeunesse se fane vite dans la violence colombienne des années 1990, ce pourquoi elle vit à toute vitesse, dans l’instant de l’acte et du sexe.

Un film a été tiré du roman, plus percutant grâce aux images, mais moins dans la dérive onirique. Ce roman est provocateur, les Fleurs du mal de l’Amérique du sud, une politesse du désespoir avec sa langue imprécatoire, tordue par la douleur. Un chant funèbre pour les morts adolescents – inutiles. Livre et film se complètent, pour une fois, plus qu’ils ne se font concurrence. L’œuvre filmée a eu plusieurs récompenses :

  • Mostra de Venise 2000 : The President of the Italian Senate’s Gold Medal
  • Festival international du nouveau cinéma latino-américain de La Havane 2000 : meilleure œuvre d’un réalisateur non-latin sur un sujet lié à l’Amérique latine
  • Satellite Awards 2002 : meilleur film en langue étrangère

Fernando Vallejo, La vierge des tueurs (La Virgen de los sicarios), 1994, Belfond 2004, 193 pages, occasion €2.57. Une édition aussi dans le Livre de poche en 1999, non disponible même en occasion.

DVD La Vierge des tueurs, Barbet Schroeder, 2000, avec German Jaramillo, Anderson Ballesteros, Juan David Restrepo, Manuel Busquets, Ernesto Samper, Carlotta films 2017, 1h41, €8.00 blu-ray €8.58

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Vladimir Nabokov, Feu pâle

Poupées russes, ce roman est un poème en quatre chants de 999 vers agrémenté d’un appareil de préface, commentaires et index, comme une étude universitaire. Ce campus novel n’en est pas moins roman d’aventures qui met en scène un triangle de personnages liés par l’amour et la haine derrière le miroir, mais aussi par une quête personnelle de chacun : le linguiste poète John Shade (ombre), le roi de Zembla en exil Charles-Xavier Vseslav renommé Charles Kinbote (King boot ! – dehors – comme dans les BD ?), enfin le tueur soviétoïde, robot sans âme et sexuellement impuissant nommé Gradus (degré) ou Grey (gris).

Kinbote est séduit par le poète Shade et veut instiller en lui l’idée d’une épopée de son royaume envahi et de son règne tragique ; Shade est un vieil homme cardiaque et maniaque, jalousement surveillé par sa femme Sybil, qui a pour ambition d’écrire son œuvre phare en méditant sur la mort, celle de sa fille disgracieuse et la sienne qu’il anticipe ; Gradus a pour mission de tuer le roi en exil comme Staline le fit de Trotski. Mais aucun ne parvient à ses fins : Kinbote est floué par le poème qui parle surtout de Shade ; Shade est tué en victime collatérale des balles de Gradus ; Gradus vise mal et rate sa cible royale mais n’en tue pas moins un poète.

Ce qui aurait pu être une forme aride se révèle prenante. L’auteur s’y révèle un dieu créateur d’univers et de personnages qu’il manipule comme des jouets. Aucun n’est sympathique, tous sont attachants, même le tueur à ressorts, plus malheureux que sadique : la société totalitaire l’a rendu ainsi. Le poème donne le ton, un romantisme fluide et brumeux très Europe centrale avant la sécheresse brute soviétique ; les commentaires ajoutent des aventures sentimentales et érotiques digne de l’épopée scoute du Prince Eric et de son royaume nordique imaginaire. Le royaume de Zembla inventé par Nabokov sur le modèle d’une Russie mythique (Zemlia) est lui-même évocateur d’exotisme physique et charnel, comme cette bande dessinée du même nom qui a paru entre 1963 et 1979 et que les jeunes garçons pouvaient lire chez le coiffeur, le dentiste, ou trouver dans les kiosques des gares de RER.

Le roi de Zembla est Nabokov lui-même transposé en tarzanide, personnage fabuleux doté d’une robuste constitution et d’amitiés érotiques adolescentes fantasmées. « A 12 ans, Oleg était le meilleur avant-centre de l’École ducale. Quand il était dévêtu et luisant dans la vapeur des bains, les attributs hardis de son sexe contrastaient fortement avec sa grâce de jeune fille. C’était un vrai petit faune » p.246. Les deux garçons vont dormir dans le même lit, s’enfermer aux toilettes pour « se laver les mains » (comme les filles disent se repoudrer le nez) et s’y livrer à des ébats torrides. « Certaines créatures du passé, et c’en était une, peuvent demeurer latentes pendant trente ans, comme celle-ci, alors que leur habitat naturel subit de désastreuses altérations » p.249, précise aussitôt Nabokov. Le souvenir d’un « compagnon bien aimé » (index) subsiste intact dans la mémoire de l’écrivain ; ce qu’ils ont accompli ensembles peut être désiré a posteriori sans que cela ait eu lieu.

Comme le roi, Nabokov s’est exilé de façon rocambolesque en échappant aux sbires communistes et s’est échoué aux États-Unis comme enseignant d’une université privée. Mais ce roi existe-t-il en réalité ? N’est-il pas une projection lyrique de Shade ? Un avatar affabulé par Kinbote, obscur professeur d’université, « ombre du jaseur tué par l’azur trompeur de la vitre » ? Une paranoïa soviétique qui voit des ennemis partout ? Nous sommes clairement dans un univers parallèle où l’auteur est roi. Une liberté du désir au-delà de notre enveloppe mortelle, une création ex-nihilo sortie de notre esprit – et qui lui survivra. Le poème commence par les reflets sur une vitre qui transpose et superpose les objets comme le poète diffracte et filtre sa vision sur le monde.

Kinbote et Shade sont antinomiques mais, comme la matière et l’antimatière, s’attirent et s’annihilent. Il n’en restera qu’un. Kinbote est athlète et droit, homo, gaucher, libertin et stérile, végétarien et chrétien ; Shade est maladroit et courbé, hétéro, droitier, fidèle et père d’une fille, mangeur de viande et agnostique. Tout est faux-semblant et tout est Nabokov, comme les deux tendances de sa nature riche et variée. « Enfant, j’étais un petit illusionniste », disait l’auteur (p.1315 Pléiade). Lui aussi, comme les peintres renaissants, crée des Madones à partir de jeunes fleuristes à Florence. Son prince Charles-Xavier, amant à 13 ans du fils de duc Oleg, est la version sylphe de qui il était lui-même à Saint-Pétersbourg. Une projection, un fantasme, une sublimation – un possible parmi les personnages en lui. L’apparence physique de Shade lui-même était un masque « car si les modes de l’ère romantique rendaient plus subtile la virilité d’un poète en découvrant son cou séduisant, en dégageant son profil et en réfléchissant un lac de montagne dans sa prunelle ovale, les bardes d’aujourd’hui, sans doute à cause des meilleures conditions dans lesquelles ils vieillissent, ont l’air de gorilles ou de vautours » p.168. Ce roman est « un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme », comme le disait Churchill de la Russie soviétique… Chacun ira de son interprétation : à mon avis, elles sont toutes justes, échos et reflets dans l’âme du lecteur particulier.

Cela n’empêche pas Vladimir Nabokov, noble déchu de la Russie tsariste, d’instiller ses messages de haine à la pacotille d’une certaine modernité qui l’a frustré de son destin.

« Je hais les choses comme le jazz,

Le crétin en bas blancs torturant un taureau

Noir, strié de rouge ; le bric-à-brac des abstraits,

Les masques rituels primitifs, les écoles progressistes ;

La musique dans les supermarchés, les piscines ;

Les brutes, les fâcheux, les philistins bourrés de préjugés de classe, Freud, Marx,

Faux penseurs, poètes surfaits, imposteurs et requins » p.199.

Il commente ainsi l’air sombre des Russes soumis au joug socialiste : « Cet air sombre n’a généralement rien de vraiment métaphysique ou racial. C’est tout simplement le signe extérieur d’un nationalisme congestionné et le sentiment d’infériorité d’un provincial – ce redoutable mélange tellement typique des Zembliens sous la domination des extrémistes, et des Russes sous le régime soviétique. Dans la Russie moderne, les idées sont des blocs taillés à la machine et mises en circulation dans des couleurs franches ; la nuance est interdite, l’intervalle muré, la courbe grossièrement échelonnée » p.343. Rien n’a changé malgré la chute du bloc, on dirait Poutine !

Le miroir inversé avec lequel se regardent Kinbote et Shade, chacun confit en narcissisme, ne sera brisé que par Gradus le tueur. L’imaginaire romantique sera troué par le réalisme socialiste. Les érotiques par un impuissant. Mais quel est le plaisir du lecteur ? Lire la réalité comme une page de code civil ou la rêver en monde imaginaire ? L’impuissance du socialisme à « élever » l’humain à la spiritualité créatrice est démontrée. Vivre, c’est jouer, « innocence et oubli » songeait Nietzsche.

Vladimir Nabokov, Feu pâle (Pale Fire), 1962, Folio 1991, 352 pages, €9,40

Vladimir Nabokov, Œuvres romanesques complètes tome III : Pnine – Feu pâle – Ada ou l’ardeur – La transparence des choses – Regarde, regarde les arlequins ! – L’original de Laura, Gallimard Pléiade 2020, édition Maurice Couturier, 1596 pages, €78,00

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Jean-Christophe Grangé, Kaïken

Les psychopathes, il connaît, Grangé, il en fait son fonds de commerce. Olivier Passan, commandant à la brigade criminelle de Paris les traque dans les banlieues sordides du 9.3, notamment celui que la presse appelle « l’Accoucheur » qui ne tue que les femmes enceintes de plusieurs mois en les éviscérant et en brûlant le bébé encore relié par le cordon au ventre de sa mère. Charmant…

Il va progressivement découvrir que le tueur est un orphelin comme lui, passé dans des foyers d’accueil comme lui, mais détruit à jamais par les mauvais traitements qu’il a subis en raison d’une anomalie physique qu’il garde secrète. Passan est sur le point de le serrer mais il agit seul, avec son adjoint déjanté Fifi, et le viol d’une gamine par deux racailles les empêchent in extremis de prendre en flagrant délit le boucher à l’œuvre. Il part à la course et lorsqu’il le rattrape, celui-ci s’est débarrassé de ses gants de chirurgien tachés de sang et, à moins de les retrouver, impossible de le relier au meurtre par éviscération qui vient d’être commis dans un hangar à deux pas de là. D’autant que Passan, sur plainte antérieur du tueur pour harcèlement policier, a une injonction judiciaire de ne pas l’approcher à moins de 200 m. Faute de flag et de preuves concrètes, rien à faire, le tueur est relâché par la justice.

C’est alors que d’étranges événements menacent la famille du commandant. Dans sa villa de Suresnes, entouré d’un terrain dont une partie est un jardin japonais qu’il a composé lui-même, son épouse nipponne Naoko découvre un soir le cadavre dépiauté d’un fœtus qui la regarde depuis l’intérieur du frigo. Aucune trace d’effraction, aucune empreinte. Un peu plus tard, c’est le chien Diego qui est tué et éviscéré dans la chambre des enfants sans même qu’ils se réveillent. Les caméras de surveillance montrent une femme en kimono de soie et masque de Nô – mais qui cela peut-il être ? Naoko ? Son amie Sandrine un brin déstabilisée par son cancer en phase terminale ? Une réminiscence du passé venu du Japon ? Les deux garçons de 8 et 5 ans, Shinji et Hiroki, sont deux poupées de porcelaine pleines de vie ; pour eux, tout va bien dès lors que l’un des parents est présent. Leur monde est alors stable et ils ne s’en font pas plus.

Heureusement, car rien n’est terminé. Le psychopathe éviscérateur de jeunes femmes n’est pas le seul à en vouloir à la famille franco-japonaise ; même éliminé, tout se poursuit. Je ne peux en dire plus, sinon que Passan est fragile dans son ménage et ne connaît pas si bien que cela son épouse japonaise, malgré leurs dix ans de mariage. Mais il est obstiné et, malgré fatigue et blessures, ira jusqu’au bout pour connaître la vérité. Il lui faudra voyager jusqu’au Japon, dans une île retirée sans aucun habitant mais où règnent les kamis, ces divinités des arbres, des sources et des lieux, pour connaître enfin ce qu’il n’aurait jamais soupçonné. Car, au-delà du folklore samouraï et zen, le pays forme à la dure des névrosés qui tournent volontiers psychopathes. Décidément, l’auteur n’en sort pas… A propos, le kaïken est le poignard des femmes samouraïs qui se faisaient seppuku après la mort de leur mari.

Un thriller haletant, découpé en courts chapitres de suspense, qui se lit au galop malgré le nombre de ses pages. Un très bon Jean-Christophe Grangé.

Les psychopathes les psychopathes, il connaît Jean-Christophe Grangé, Kaïken, 2012, Livre de poche 2014, 547 pages, €8.70 e-book Kindle €7.99

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Harlan Coben, Disparu à jamais

Un bon Coben hors de la série Bolito. Le lecteur y retrouve les thèmes favoris de l’auteur : les frères, le père, les amis bad boys, la violence, le sordide de banlieue new-yorkais, le milieu juif, les amours en pointillés, les enfants de hasard.

Deux frères s’aimaient d’amour tendre ; le plus âgé, il y a 11 ans, a piqué la copine du second, qui avait rompu. On l’a retrouvée violée et étranglée dans sa cave et l’amant envolé. Will est certain que son grand frère Ken n’a pas pu faire ça mais les flics comme les voisins sont convaincus que si. Obstinés dans le déni comme dans la bêtise, les parents restent dans le quartier, maudits et honnis ; la mère en meurt d’un cancer. Seule la sœur Mélissa fuit très loin, se marie et fonde sa propre famille. Ken est en cavale, très loin si l’on en croit les rumeurs, ou mort selon d’autres. Sa mère sur son lit de mort apprend qu’il est vivant et le dit à Will, désemparé. Ken copinait avec le Spectre et McGuane depuis l’école primaire ; le second a fini tueur de l’armée et le troisième parrain de la mafia. Ken a trempé dans le développement d’un réseau de drogue dans les universités avant le drame.

Will, trouillard et ayant toujours eu horreur de la violence, était protégé par son frère. Il est désormais avec Sheila, ancienne pute, bientôt fiancé tant ils sont bien ensemble. Ils travaillent tous deux à Covenant House, une association de sauvetage des gamins en perdition, fugueurs, drogués et jeunes putes – à New York il y a de quoi faire.

Et puis Sheila disparaît un matin en laissant un simple mot : je t’aime pour toujours.

Will se confie à Carrex, un ancien punk nazi qui a modifié son tatouage au front en prolongeant chaque barre de la croix gammée pour en faire une suite de quatre carrés. Il enseigne le yoga et, une star l’ayant un jour découvert, a fait fortune dans la méditation. Il est en couple avec une Noire qui attend de lui un enfant… qu’il n’est pas sûr de vouloir car il ne sera pas clair. Pas si simple qu’on croit le mélange, on confond tout et on ne sait plus où l’on en est. En témoignent ces prisons où les prévenus parlent toutes les langues, sans se comprendre, ni savoir ce qu’ils font là car, dans la culture de chacun, le bien et le mal n’est pas aussi distinct que dans la pure loi blanche anglo-saxonne américaine.

Malgré la langue vulgaire, les dialogues qui noircissent des pages, le milieu sordide dans lequel l’action se passe, les faux papiers et les faux nez, plus l’ultraviolence de mise pour impressionner le gogo, ce thriller est bon. Il monte la sauce progressivement, faisant mousser le mystère tout en découpant l’action à merveille. Vous saurez tout à la fin, non sans plusieurs coups de théâtre, ce qui est fameux.

On ne relit pas Coben, mais on le lit parfois avec plaisir.

Harlan Coben, Disparu à jamais (Gone for Good), 2002, Pocket thriller 2013, 467 pages, €8.40 e-book Kindle €13.99

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Patricia Cornwell, Une peine d’exception

Pat Cornwell a été la star du thriller américain des années 1990 avant de devenir folle après le 11-Septembre – paranoïaque, égoïste, réactionnaire. Cet opus numéro trois de la série docteur Kay Scarpetta, médecin légiste du Commonwealth installée en Virginie, est parmi les meilleurs. Une intrigue sophistiquée, la précision des détails de métier, des personnages tordus, des héros qui deviennent familiers (Kay, Marino, Lucy, Benton) et une atmosphère de coups fourrés pour le pouvoir dans l’hiver glacé de Virginie, voilà de quoi passer une bonne soirée au coin du feu avec un bon whisky ou un bon thé.

Le Noir Ronnie Joe Waddell, condamné à mort, va passer sur la chaise électrique. Il a zigouillé dix ans auparavant une jeune présentatrice de télé noire des années auparavant en cambriolant sa maison pour trouver de quoi payer sa came mais il a fait pire : il l’a piquée au couteau comme avec sa bite, l’a mordue au point de lui arracher des paquets de chair, et l’a laissée agoniser nue, ensanglantée, adossée à son poste de télévision. Le jury n’a eu aucun mal, au vu des empreintes et des preuves, à l’inculper. Tous les appels ont été rejeté et la grâce du gouverneur ne viendra pas ; Waddell est exécuté devant témoin et Scarpetta est chargée de l’autopsie.

Mais son assistante Susie, enceinte de quelques mois, supporte mal ce gros corp brûlé et fait tomber des bocaux de formol ; elle ne veut pas être citée comme témoin de l’autopsie et sa patronne la renvoie chez elle. Elle est bizarre depuis quelque temps, Susie ; tout comme Ben, l’administrateur, « joli comme un garçonnet » mais qui a de plus en plus de préventions contre Scarpetta. Il faut dire que la chef s’est mal remise de la mort dans un attentat à Londres de son amant Mike, collègue du FBI de Benton, et qu’elle s’est plutôt renfermée sur elle-même, revêche et distante avec les autres.

Le travail n’attend pas et c’est la police qui lui demande en fin de soirée de venir voir in situ le corps d’un adolescent retrouvé à demi-mort, nu par 2° adossé le long d’une benne à ordure, ses vêtements soigneusement plis à côté de ses pompes. Il présente deux plaies profondes à l’intérieur de la cuisse et sur l’épaule comme si la chair avait été bouffée. Eddie Heath avait 13 ans, il a reçu une balle de 22 dans la tête ce qui l’a rendu légume. « Il n’avait pas encore émergé de ce fragile état prépubère durant lequel les garçons ont les lèvres pleines et chantent d’une voix plus douce que leurs sœurs. Ses avant-bras étaient minces, le corps sous le drap menu. Seule la grandeur disproportionnée des mains immobiles que perçaient les cathéters annonçaient sa future virilité ». C’est avec délicatesse que Cornwell décrit la victime ; il ne survivra pas. Il était allé acheter à l’épicerie à quelques centaines de mètres une boite de sauce aux champignons pour sa mère. Mais nous sommes aux Etats-Unis où les psychopathes se baladent en liberté et où chacun peut à tout moment et plus qu’ailleurs faire une mauvaise rencontre.

Ce qui est curieux est que la balle qui a tué Eddie provient de la même arme qui a tué Rosie dix ans auparavant et que, dans le meurtre maquillé en suicide de la voyante Jennie les seules empreintes relevées soient celles de l’exécuté Waddell… D’autant que les fichiers de Scarpetta à son travail ont été piratés de l’intérieur et certains ont été renommés, d’autres effacés. Kay téléphone pour Noël à sa mère et à sa sœur en Floride et discute avec Lucy sa nièce. Celle-ci a désormais 17 ans et est férue d’informatique. Plutôt que d’expliquer laborieusement à sa tante comment rechercher dans le codage, autant venir chez elle faire le boulot. C’est ainsi que Lucy se voit associée à l’affaire, avec le lieutenant Peter Marino et Benton Wesley du FBI.

Kay Scarpetta, toujours chic et aimant le bon vin et la cuisine, va se confronter au gouverneur Norris, au procureur Patterson, à la médecine holistique, au système UNIX. Waddell, Eddie, Jennie sont des affaires liées par un seul dangereux psychopathe, Temple Brook Gault, un gosse de riche blond viré nazi qui aime les armes, les couteaux, les arts martiaux, la pornographie violente et faire souffrir la chair d’autrui. Un narcissique pervers, intelligent et habile comme une anguille. Kay Scarpetta n’en a pas fini avec lui.

Patricia Cornwell, Une peine d’exception (Cruel an Unusual), 1993, Livre de poche 2006, 480 pages, €8.40 e-book Kindle €7.99

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Maxime Chattam, Léviatemps

Maxime décentre ses tueurs en 1900. C’est l’année de Paris ville lumière avec la tour Eiffel en phare et son exposition internationale qui va de la Concorde au Trocadéro sur les deux rives de la Seine. Une débauche de lumière électrique et de pavillons industriels, coloniaux, étrangers qui vantent la puissance mécanique, l’énergie électrique et la gloire de la France remise de sa branlée prussienne de 1870.

Par contraste avec ce Paris optimiste résolument tourné vers l’avenir, la misère sociale du quartier du Monjol où les filles se donnent pour manger le soir et la misère psychologique des individus dans une société hantée par la respectabilité, le moralisme et le qu’en dira-t-on. C’est dans ce décor et sur ce terreau que l’auteur plante ses psychopathes et son écrivain en mal d’empathie.

Guy de Timée est en rupture de ban après un mariage conventionnel qui, au bout de huit ans, le laisse insatisfait malgré sa petite fille. Riche, il fuit dans un bordel orné de deux superbes lanternes rouges, seul endroit où n’existe pas de fiche de police à Paris et où sa belle-famille ne risque pas de le chercher. Il n’est pas concupiscent bien qu’il ait couché en payant avec quelques filles du lieu, mais la règle a été établie que, s’il logeait sous les combles, il devait désormais s’abstenir de baiser le cheptel réservé aux clients. Le Boudoir de Soi (nom du claque) n’a rien d’un lieu sordide mais ressemble plus à un club (français et non anglais, peuplé de femmes et non exclusivement d’hommes entre eux) : l’on y déguste des mignardises en buvant du champagne avant de monter dans une chambre.

Tout irait bien pour Guy, qui songe à renouveler son style romanesque en s’attaquant à une intrigue policière à la Conan Doyle, si une pute nommée Milaine n’était retrouvée une nuit massacrée près du bordel. Sa mort est curieusement mise en scène et ses yeux ne sont que sang. Un liquide blanchâtre (qui n’est pas du sperme) s’échappe de sa bouche. La presse n’en a pas vent car la police étouffe aussitôt l’affaire, préoccupée sur ordre de « la préfecture » d’éviter le scandale en période d’exposition internationale. Les inspecteurs laurel-et-hardy nommés Pernetty et Legranitier sont de tous les crimes louches à mettre sous le tapis pour raison politique. Ils enquêtent peu et classent le dossier, après d’autres.

Ce n’est pas du goût de Faustine, pute de la haute et amie de Milaine, non plus que de Guy, émoustillé par les abysses de l’esprit humain – dont le sien. « Chaque homme, au fil de sa vie, enfouissait jour après jour la part d’ombre du monde à laquelle il se heurtait, qu’elle lui soit propre ou extérieure, il l’enfonçait tout au fond. (…) Et certains hommes en enterraient tant et tant que le monticule devenait colossal, un monde souterrain où trempaient les racines de la personnalité, un réservoir mouvant, envahissant, une créature étouffante : un Léviathan d’ombres » p.404 de l’intégrale. Frustration, colère, haine, perversion, cruauté, cynisme, tout cela dû à une trop grande sensibilité, un manque d’amour parental et un monde sans pitié – voilà ce qui façonne un être pour franchir les barrières du crime.

Les faux époux Timée (ils ne baisent pas ensemble) vont donc enquêter en amateurs de leur côté, non sans se mettre en danger. Ils sont aidés par le jeune inspecteur Martial Perotti qui prend sur ses heures de loisir et a accès aux dossiers classés comme à la morgue. C’est alors que les compères découvrent qu’au moins 26 victimes ont été tuées, charcutées et démembrées depuis le mois d’octobre où les travaux de l’exposition ont commencé. Il y a une majorité de femmes mais aussi quelques hommes et adolescents. Pourquoi cette sauvagerie ? Ce désir de mutiler la mère ? Ces prélèvements d’organes ? Pourquoi ces traces d’huile de marsouin, utilisée en mécanique de précision mais aussi en cuisine ?

En arpentant ce Paris 1900, Guy et Faustine vont découvrir l’ésotérisme mondain et le satanisme des passionnés, la fée électricité et les sous-sols de la tour Eiffel, les étranges bêtes des égouts de Paris et le cloaque social de la rue Monjol avec son roi des Pouilleux, l’obsession d’époque pour le temps et pour la vitesse. Qui a tué ? Pourquoi tuer ? Le dénouement sera aussi étrange que le développement. Guy, en romancier miroir de l’auteur, se préoccupe de dresser un portrait psychologique du criminel, analyse graphologique (un peu longue et hasardeuse) à l’appui – parce que le tueur, qu’il a nommé Hubris (la démesure) l’a repéré et lui écrit. Sauf que ce n’est pas si simple : Guy va se tromper.

Je vous conseille de lire ce premier tome avant le second car la suite, qui se déroule en province, dévoile les noms des protagonistes parisiens qu’il est meilleur de ne découvrir que pas à pas, même si savoir « qui l’a fait » importe moins, dans les romans policiers, que le chemin qui y mène.

Maxime Chattam, Léviatemps – Les abysses du temps 1, 2010, Pocket 2012, 576 pages, €8.70 e-book Kindle €3.99

Maxime Chattam, Les abysses du temps : Léviatemps + Le requiem des abysses, édition collector Pocket 2014, 1149 pages + cahier de photos de l’exposition universelle de Paris 1900, €14.89

Les thrillers de Maxime Chattam déjà chroniqués sur ce blog

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Joseph Kessel, Marché d’esclaves

Kessel en reportage pour le Matin, vingt livraisons en 1930 plus dix sur les secrets de l’Arabie. Au vu du succès considérable, le recueil sera publié trois ans plus tard avec les vingt plus six des dix articles. Il faut dire que le journaliste plonge directement dans l’Aventure, celle des livres pour adolescents (Gustave Aymard, Mayne Reid…) et celle des romanciers « orientalistes » de son temps (Pierre Benoit, les frères Tharaud). Il introduit et fait connaître Henry de Monfreid qui, sur les traces de Rimbaud, fait de la contrebande d’armes sur la mer Rouge ; il l’encourage à publier ses souvenirs, qui seront un grand moment. Ils ont enchanté ma propre adolescence : « Il y a la liberté, la nudité, les flammes du soleil, le murmure de l’eau et des arbres, le spectacle d’être primitifs » p.696 Pléiade.

Kessel apprend en Syrie que tous les chefs bédouins avaient des esclaves à leur disposition ; en parlant, il découvre que l’usage est traditionnel dans toutes les sociétés arabes. C’est que « le Coran admet l’esclavage. Nul souverain arabe, et surtout Ibn Séoud, ne peut heurter de front la forteresse terrible de la foi » p.689. Pire même : certains croyants trop pauvres doivent vendre leurs enfants pour revenir du pèlerinage à la Mecque. Les centres sont l’Abyssinie et le Hedjaz ; Kessel a pisté la traite depuis le rapt des enfants et des femmes Chankalla, Sidamo ou Oualamo – toutes populations nègres méprisées en Ethiopie – jusqu’à leur convoyage sur la mer Rouge et leur passage, au nez et à la barbe des vedettes des grandes puissances, vers les pays acheteurs. Ils partent à quatre, une bande composée du lieutenant de vaisseau Lablache-Combier, du médecin militaire frère d’écrivain Emile Peyré, et de l’écrivain (oublié) Gilbert Charles par goût du sport et du voyage. Lablache, grâce aux services de renseignements de la Marine, met en contact les quatre avec le cinquième : Henry de Monfreid qui connait tout le monde sur place. Malgré le gouverneur français au nom de frileux, Chapon-Baissac, qui hait Monfreid le corsaire qui le bafoue en trafiquant armes et haschich, la petite bande emprunte des sentiers sauvages à l’écart des pistes, traverse des déserts en armes jusqu’à la mer, puis croise sur le boutre de Monfreid jusqu’au Yémen dans la tempête, puis dans les îles inhabitées qui servent de relais aux convoyeurs, dont « Saïd » (nom modifié) le trafiquant recommandé par Monfreid.

Ce beau programme sera l’occasion de descriptions dantesques de la sauvagerie africaine comme de la beauté des corps et de la luxuriance ou de la rudesse de la nature. Un monde inexploré, barbare, comme aux commencements du monde. Kessel « chasse » l’enfant avec un guerrier, « Sélim », « adolescent (qui) ressemblait, par la puissance et la souplesse de ses muscles, par son rictus, à un animal de proie ». Il va chasser une petite fille gardeuse de chèvres, que Kessel va « racheter » pour la faire libérer, tandis que Sélim repart en chasse pour prendre cette fois un jeune garçon. L’équipe se sépare pour égarer les autorités coloniales du Chapon, une partie par la mer avec Monfreid et l’autre en caravane dans les régions désertiques sur la piste de Saïd et de son convoi d’esclaves, avec Kessel jusqu’au Gubet Kharab où les deux vont se rejoindre pour passer la mer. « Défilés arides et magnifiques, rocs de cuivre, champs de lave et de pierres noires, palmiers au lait qui enivre, hérissés de poignards danakil pour que l’étranger sache qu’en y touchant il mérite la mort, déserts noirs avec ses pistes de galets funèbres, ses lits de torrents desséchés, ses déchirures tragiques, ses points d’eau au creux des pierres, mais désert absolu, voilà quel fut l’horizon, changeant par ses lignes mais immuable par le soleil, dur, l’air bleu et la terre sombre, de notre caravane » p.646. Comment ne pas rêver ? Ce sont ces descriptions qui m’ont fait voyager, explorer le monde après les idées.

Les aventuriers se font peur, durant le trajet, avec le guerrier dankali « Gouri », un véritable tueur qui veut son quota de meurtres d’ennemis de sa race pour être un homme viril. « Mince et souple, tout en muscles fins, durs et dangereux, cet homme avait une terrible figure d’oiseau de proie. Ses petits yeux étirés étaient d’une dureté de pierre et bizarrement striés de sang. Sa bouche, très mince, son nez en bec pointu, son front étroit et son rictus montraient une fierté et une cruauté inexorables » p.647. Il châtre systématiquement tous ceux qu’il égorge, qu’ils soient déjà morts ou encore vivants. Il sera abattu par un garde de la caravane d’esclaves lorsqu’il voudra trop s’en approcher, malgré les ordres de Kessel, pour tuer et encore tuer.

Style sec et sens du suspense, descriptions minutieuses et grandioses, c’est un document humain de « choses vues » sans pareil. Il captive et entraîne le lecteur en participant, sans le laisser simple spectateur. Il pénètre même profondément dans les abîmes de l’âme « civilisée » en revivifiant les comportements prédateurs de nos ancêtres chasseur-cueilleurs puis guerriers conquérants… jusqu’au colonialistes de son époque. Jouir de courir et de capturer, déguster l’égorgement et les mutilations, savourer un bœuf entier cru… Les plus forts asservissent les plus faibles et c’est cela la « nature ».

La civilisation exploite tout autant, peut-être de façon moins physiquement barbare, encore que les exactions bolcheviques qui s’achèvent et les pogroms nazis qui débutent, sans parler des « chasses au nègre » du Ku Klux Klan aux Etats-Unis qui perdurent – prouvent que sous le vernis se cache toujours la bête. Ce n’est pas l’ex-Yougoslavie ni le Rwanda à notre propre époque qui le démentiront ! Quant à l’esclavage dans les pays musulmans, il demeure, tapis dans le texte même du livre religieux, ne demandant qu’à renaître dès que des intégristes s’en emparent. Dénoncer la traite passée, c’est bien, mais dénoncer l’esclavage au présent, c’est mieux ! Il nous manque des journalistes Kessel plutôt que ces moralistes de bureaux qui encombrent les médias.

Grands reportages en mer Rouge : Joseph Kessel, Marchés d’esclaves, 1930, et Xavier de Hauteclocque, Le turban vert, Arthaud classiques 2020, 440 pages, €28.00 e-book Kindle €18.99

Joseph Kessel, Romans et récits tome 1 – L’équipage, Mary de Cork, Makhno et sa juive, Les captifs, Belle de jour, Vent de sable, Marché d’esclaves, Fortune carrée, Une balle perdue, La passagère du Sans-Souci, L’armée des ombres, Le bataillon du ciel, Gallimard Pléiade 2020, 1968 pages, €68.00

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Maxime Chattam, Le signal

Ce gros roman pour confinement d’hiver, dans la maison bien close où chaque bruit est inquiétant, commence comme un thriller d’espionnage, se poursuit en fantastique adolescent à la Stephen King avant de se terminer, près de 800 pages plus loin, en scènes gore de tueur en série. C’est gros, horrible et délicieux.

Maxime Chattam décentre son histoire aux Etats-Unis d’aujourd’hui, pays mythique où « tout » est possible. La famille idéale des Spencer quitte la New York trépidante pour Mahingan Falls, une petite ville balnéaire (imaginaire) enserrée dans les montagnes non loin de Salem. Une antenne de télécommunication permet seule la liaison Internet et mobile. La vaste maison de bois rénovée, à l’extrémité d’une triple impasse, se trouve près des bois. La quiétude naturelle contraste avec les nuisances de la ville. Car chacun a besoin de calme pour se ressourcer et quoi de mieux que ce déménagement en plein été ?

Olivia a quitté un métier stressant de présentatrice TV célèbre pour envisager une émission de radio locale. Tom, lessivé par les mauvaises critiques de sa dernière mauvaise pièce de théâtre, désire retrouver l’inspiration. Des trois enfants, seule Baby Zoey, 2 ans, n’a rien à récupérer. Les deux autres ont été éprouvés par la mort des parents d’Owen. Il a été recueilli par les Spencer car Tom est son oncle et son parrain. Il devient le frère de Chadwick (dit Chad), du même âge que lui : 13 ans. C’est un âge soupçonné par les psys (yankees) d’être sensible et trouble, déclenchant, au pays des névroses bibliques, nombre de phénomènes paranormaux. Tel est l’accroche King de Chattam.

Sauf que Maxime est un auteur européen, plus rationnel et moins empoisonné d’idéologie Jéhovah que Stephen ; il va faire diverger l’anormal en nouvelle norme menaçante. C’est que la technologie s’invite au festin des horreurs dans la meilleure tradition (plus récente) des millénaristes et des théoriciens du Complot. Tout serait la faute du Gouvernement, comme il se doit, ou des capitalistes, comme de bien entendu. Avec cet arrière-plan qui reste bien chrétien que le Diable n’existe que parce qu’on y croit, très nombreux et depuis très longtemps. Donc le Mal, des énergies négatives qui nous dépassent et nous environnent, chevauche les courants telluriques ou artificiels pour se déplacer, se manifester et frapper.

Les Remerciements à la fin du livre l’avouent : Maxime Chattam a mis en scène sa famille, idéalisée pour l’occasion, un bel effort d’auteur pour intégrer sa « tribu » à son travail. Chad lui ressemble, peut-être son fils aîné : « Chad, malgré ses seulement 13 ans, commençait à développer un début de carrure, avec de fins muscles naissants » p.41. Owen, le cousin, « demeurait un peu poupon ». Mais progressivement le Chad élancé et dynamique va se faire supplanter par l’Owen moins physique mais plus réfléchi. C’en est émouvant. Les deux garçons sont flanqués de Connor, « presque 14 ans » et déjà « basculé du côté du mâle » avec le sexe en ligne de mire, musclé en débardeur et « un peu bourrin » mais prenant les choses comme elles viennent, ainsi que de Corey, 13 ans comme eux, frère cadet de la nounou engagée pour garder le bébé Zoey, Gemma, presque adulte avec ses 17 ans.

La maison idyllique inquiète de plus en plus la famille idéale. C’est le chien qui revient terrorisé de la forêt, puis le bébé qui hurle dans la nuit, répétant sans arrête « clignote ! clignote ! » comme s’il avait vu un fantôme, c’est Olivia qui perçoit une présence noire. Puis voilà les garçons, partis en exploration au-delà de la ravine qui sépare la ville du plateau, au pied du mont Wendy qui supporte l’antenne, en butte aux menaces coupantes d’un épouvantail planté dans les maïs ! Qui va les croire ? Même si l’éviscération en direct du fils du fermier peut en témoigner… et qu’ils s’aperçoivent que Wendy est l’abréviation Disney du Wendigo, le monstre indien des forêts. Mais ne seront-ils pas accusés du crime ? La lacération du bide semble un fantasme récurrent de l’auteur, toutes les griffes et les couteaux visent ce point précis du corps, peut-être le plus vulnérable. Pour le reste, les survivants ont le tee-shirt lacéré, les jambes griffées, le flanc blessé. Le sadisme ne se passe pas qu’en imagination !

Les teens enquêtent à la bibliothèque et s’aperçoivent que leur collège a été bâti juste au-dessus de l’intersection des deux rivières qui traversent la ville – juste à l’endroit où une trentaine d’Indiens a été massacrée par les colons puritains au XVIIe siècle. Owen se fait une peur bleue dans les toilettes du collège lorsqu’il perçoit une présence maléfique qui tente de l’agripper. Tom, de son côté, se rend compte avec trouble que sa nouvelle maison a une histoire – et pas des plus réjouissantes : elle a été la masure d’une sorcière brûlée à Salem tandis que ses deux fillettes étaient lynchées par les bigots en délire ; elle a connu ensuite un toqué d’ésotérisme venu de Californie avant un couple dont le mari et la fille se sont suicidés – il faut dire que le père violait la fille. La mère survivante est en hôpital psychiatrique. L’avocat new-yorkais qui avait acheté la maison a fait faillite, d’où la « bonne affaire » des Spencer.

En bref, le lieu est mauvais et l’arrivée de la famille a déclenché dans la maison une révolution de spectres tandis que la ville tout entière est, depuis quelque temps, en proie aux morts inexpliquées dues à une panique noire. Le shérif Warden est un gros « connard » macho et borné comme son président, et l’adjoint venu de Philadelphie Ethan Cobb ne peut y croire… avant de l’expérimenter sous la ville, avec les ados. Seul un lance-flammes bricolé avec un pistolet à eau rempli d’autre chose parvient à tenir à distance des entités maléfiques qui hurlent et griffent avant de mordre, d’aspirer et de broyer. L’horreur.

La suite sera dantesque, dans un Armageddon où l’au-delà prend le pouvoir pour quelques heures. Inutile d’en dire plus, sauf que tous les méchants ne sont pas éradiqués et que tous les bons ne sont pas sauvés. Dans l’indifférence de la nature (et de Dieu pour les croyants), seul le courage et l’initiative font la différence. La mère est une louve pour ses petits, le père entreprend ce qu’il faut, les aînés tempèrent l’imagination et les excès des plus jeunes qui, eux, résistent à tant de pression psychologique par des embrassades et des torrents de larmes. Le lecteur quitte ce livre lent au début et prenant sur la fin avec de quoi faire des cauchemars les nuits de nouvelle lune.

Un bon thriller – qui veut dire qui fait frémir – dont les pages sont bordées de noir comme les faire-part de deuil..

Maxime Chattam, Le signal, 2018, Pocket 2020, 908 pages, €9.95 e-book Kindle €9.49, CD audio €26.90

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Maxime Chattam, La patience du diable

Rendu à l’éditeur le 6 mars 2014, ce thriller policier français hume l’air du temps avec une rare intuition. A peine un an plus tard, les attentats islamistes des psychopathes de banlieue vont ensanglanter la France. Pour Maxime, c’est normal, le pays se délite et la société ne tient plus qu’à de moins en moins de fils. Le bonasse Hollande, socialiste par métier comme on est boulanger, n’a rien fait, rien changé, laissant la réalité en marche comme devant.

Tout commence dans le livre par un attentat en TGV. Deux adolescents blancs, l’un blond, l’autre brun, ont acquis des armes de mains intéressées à propager le chaos et décident de massacrer tous ceux qui se présentent entre deux wagons : 53 morts. Pour rien, juste pour apaiser l’esprit tourmenté du leader et le cœur solidaire d’amitié du second. Un désespéré par l’accident d’auto qui a coûté la vie à sa femme et sa fille descend tout ce qui bouge dans le restaurant où ils avaient l’habitude d’aller dîner. Un autre fait sauter les cinémas à la bombe artisanale, recette trouvée sur Internet, faisant plus de morts que dans le film hollywoodien qui passe sur l’écran. Cela se poursuit dans un supermarché où un tordu organisé lance des ballons remplis d’acide sulfurique qui explosent sur la tête des acheteurs en semant la panique, tandis que des pistolets à eau sont complaisamment mis à disposition des jeunes garçons pour s’asperger… d’acide mortel ! Maxime Chattam a tendance à supplicier ceux qui sont les plus vulnérables, les plus mignons, ceux que l’on a envie de protéger au mieux. Un marginal poussé à bout prend en otage un car scolaire avec 42 enfants de 7 à 9 ans et leur demande de se foutre à poil avant qu’il jouisse de les faire sauter. Un boucher de supermarché enlève et dépèce ses victimes vivantes, notamment une jeune fille de 16 ans, leur arrachant la peau soigneusement avant de la vendre à des réseaux d’amateurs qui en font des coques de téléphone ou des reliures de livres ; quant à la viande, il la conditionne sous vide comme du bœuf à la vente dans son centre commercial.

Ludivine, lieutenante de gendarmerie à la section de recherches de Paris a fort à faire pour coordonner les enquêtes dans ce qui semble un chaos organisé. Par qui ? Pour quoi ? Nul ne sait. Les témoins invoquent le diable. Certaines victimes sont en effet mortes de peur, littéralement, sans antécédents cardiaques ni blessures apparentes. Le diable de nos jours ? C’est l’autre nom du Mal, ce repoussoir protestant qui sévit surtout dans les mentalités étroitement rigides américaines – et le lecteur sait que Maxime a vécu son adolescence à Portland, dans l’Oregon, ce qui lui a inspiré L’âme du Mal. (Chroniqué sur ce blog)

Ce qu’il appelle « le mal » est cette pulsion de mort qui ressurgit des profondeurs de la psyché quand la situation personnelle et sociale se dégrade. « La détresse croissante qui plombait la France comme la plupart des nations industrialisées depuis plusieurs années avait atteint son apogée avec la succession de coups d’éclat criminels sur lesquels Ludivine travaillait. Elle en était convaincue » p.379.

Comment aborder le sujet ? Le particulier sadisme, que l’auteur se complait à détailler, semble le fait de dérangés – mais est-ce si sûr ? Quel est le point commun entre les tueurs, ceux qui se sont tués après leur forfait et ceux qui ont été arrêtés ? C’est le Maître, le diable évidemment, qui n’attend que nos faiblesses pour déstabiliser, imposer le désordre, mettre le chaos, moissonner des âmes à la faux. Mais Ludivine ne croit pas au diable des religions du Livre, et elle a bien raison. Il y a forcément une explication rationnelle. Elle la trouvera, non sans se mettre elle-même en danger pour fuir on ne sait quoi, pour prouver on ne sait quoi. Les procédures elle s’en bat, les horaires elle s’en fout, son équilibre mental elle joue avec. D’où les grosses conneries qu’elle fait en ne verrouillant pas la porte de chez elle ou en allant seule explorer l’antre d’un pervers manipulateur particulièrement doué qu’elle a mis naïvement sur sa piste. On la bafferait avec allégresse si elle ne réussissait in extremis à retomber sur ses pattes comme si elle avait neuf vies – ou comme si elle était dans un roman. Celui-ci fait partie d’un « cycle » avec le même personnage principal, mais l’ordre de lecture est sans importance.

Hormis l’hémoglobine qui coule à flot durant le premier tiers, selon la mode ado sataniste ou vampire, la suite est plus haletante et la fin intéressante, même si le lecteur perspicace devine avant la fin qui est qui. Chacun est quand même pris. La philosophie sociale, trop tendance, est bas de gamme mais l’atmosphère de peur est si bien rendue que l’année 2015 semble révélée avant l’heure. Le nazisme des trop sûrs d’eux-mêmes ressurgit des profondeurs à chaque recul de l’ordre de la civilisation et des principes de l’humain.

Maxime Chattam, La patience du diable, 2014, Pocket 2018, 574 pages, €8.60 e-book Kindle €8.49 CD €19.02

Les thrillers de Maxime Chattam déjà chroniqués sur ce blog

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Pulp Fiction de Quentin Tarantino

Une parodie des films américains jouée par une pléiade de grands acteurs, John Travolta, Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Uma Thurman, Maria de Medeiros… C’est bien coupé, enlevé, dôle. Et dit en même temps beaucoup sur cette Amérique du terre-à-terre, du tout est possible et de l’égoïsme forcené.

L’univers est celui d’une bande de malfrats de Los Angeles dont le patron est Marsellus Wallace (Ving Rhames), un gigantesque Noir aux deux boucles d’oreilles. Il truque les matches de boxe pour encaisser le fric, il zigouille via ses mercenaires tous ceux qui tentent de l’arnaquer. Mais Butch le boxeur au prénom de boucher (Bruce Willis) le baise (dans son orgueil), refusant de « se coucher » au cinquième round, puis un flic pédé (Peter Greene) le sodomise (littéralement) alors qu’il avait investi la boutique d’un prêteur sur gage (Duane Whitaker) par hasard en poursuivant le boxeur.

L’histoire est celle des vicissitudes où la nécessité des armes et du machisme rencontre le hasard des gens ou des événements. Ainsi le duo Jules Winnfield (Samuel L. Jackson) et Vincent Vega (John Travolta) va récupérer une valise pleine de (probables) lingots d’or qui s’ouvre avec le code 666 (le chiffre de la Bête) dans un appartement miteux. Il troue trois adolescents apeurés qui tentaient d’exister et emmènent le troisième, le seul « nègre » de la bande (ainsi est-il traduit dans le film), Marvin (Phil LaMarr) qui est leur informateur. Mais Travolta, en se retournant dans la voiture le flingue à la main pour poser une question au garçon, lui explose la tête sans le vouloir. Les deux compères sont dans une merde noire avec du sang partout et des morceaux de cervelle dans les cheveux en poil de couille du Jules noir au volant qui aime citer les Ecritures avant de tirer. Comme s’il se croyait le bras vengeur de Dieu…

Il appelle au secours un copain du coin (Quentin Tarantino lui-même), au saut du lit à 8 h du matin. Mais sa meuf doit rentrer de l’hôpital où elle bosse – et pas question pour elle de découvrir « un nègre sans tête éclaté à l’arrière d’une voiture en bas de chez elle » ! On la comprend. Jules appelle donc le bon papa Wallace qui, s’il veut récupérer son or, doit les aider. Il envoie son spécialiste, un expert en organisation et dissimulation de traces de crime (Harvey Keitel). Il ordonne aux deux de nettoyer l’intérieur de la bagnole, de mettre le cadavre dans le coffre ainsi que leurs vêtements tachés de sang, puis de se récurer eux-mêmes aussi soigneusement que les sièges, à poil sous le jet d’eau sur la pelouse pour ne pas laisser de traces dans la salle de bain, avant de conduire la bagnole chez un casseur spécialisé. Tout disparaîtra.

Et les deux, déguisés en plagistes via short et tee-shirt trouvés dans les affaires du copain, poursuivent leur livraison d’or au père Wallace. Mais au lieu de prendre tout bêtement un taxi et de s’acquitter de leur mission, ils folâtrent, se prennent un petit-déjeuner dans un fast-food, discutaillant interminablement sur le hasard qui serait la main de Dieu. Dans l’appartement, en effet, le troisième jeune (un peu moins que les autres) qui était aux chiottes, sort en défouraillant mais rate à deux mètres les deux éléphants dans son couloir. Voilà le « miracle » : les tueurs sont indemnes et le défenseur est criblé de balles en riposte. C’est eux « en ont » et pas lui. Le machisme le plus gros est clairement affiché : celui qui a des couilles reste maître de celui qui a trop peur pour en avoir. Et plus on vieillit, plus on en a dans le mythe, contrairement à la physiologie : cela s’appelle l’expérience.

Les filles du film sont d’ailleurs considérées comme moins que rien : des putes ou des niaises. Tout se passe entre hommes, les vrais. Même la « femme » de Wallace Mia (Uma Thurman) agit comme une gourde, flirtant ouvertement avec Travolta à qui le patron a demandé de la sortir (ce qui ne veut pas dire « sortir avec », comme il l’explique à son copain le Noir un brin borné), puis se shootant une fois de trop avec les trois grammes d’héroïne trouvés dans la poche de l’imper du mec – pendant qu’il est aux chiottes (grande scène de piqûre dans « le cœur », situé largement au-dessus du sein pour les puritains !).

Les chiottes jouent un rôle prépondérant dans ces histoires, elles sont comme un destin suspendu, une bifurcation d’univers. Ainsi le boxeur, qui a fui dans un motel une fois le match terminé (en tuant son adversaire d’un coup de poing – « il n’avait qu’à apprendre à boxer »), ne trouve pas dans sa valise préparée par sa pétasse (Maria de Medeiros) la montre héritée de son père qui l’avait lui-même hérité de son père qui… Cette montre mythique avait séjourné dans le cul d’un capitaine, prisonnier des Viêt-Cong avec le papa qui y est resté, mort. Le boxeur l’a reçue tout enfant et y tient bien plus qu’à ses fringues mais la nunuche qu’il a racolé comme copine est tellement bête qu’elle a zappé. En retournant à l’appartement, où il sait qu’il peut être attendu par les sbires de Wallace, il ne se contente pas de récupérer sa montre oubliée mais entreprend de se griller des toasts ! Il avise alors un flingue à silencieux, aussi gigantesque que le Wallace, et perçoit un bruit de chiotte : le sbire est dedans et, quand il tente d’en sortir, il l’y renvoie d’une balle magnum dans le sternum.

Le problème de cohérence est que le sbire est Travolta en personne, alors que le film se poursuit avec Travolta toujours en vie. Mais l’histoire est volontairement éclatée en séquences non linéaires comme dans les magazines sur papier chiotte (pulp paper) destinés aux gosses ou aux demeurés. Travolta a déjà remis la mallette à Wallace auparavant. Il sort justement des chiottes du fast-food où son copain Jules a décidé d’arrêter après le « miracle » pour chercher le sens de la vie en nomadisant dans le monde en clochard céleste. Deux miteux, Ringo et « Lapin » (Tim Roth et Amanda Plummer), ont en effet décidé de tirer leur dernier coup ensemble en rackettant les clients et la caisse. Le Noir mate leurs envies mais les aide, bon prince, en ne les zigouillant pas à l’aide de l’Ecclésiaste comme d’habitude et en leur laissant les billets récoltés. Il n’est plus très certain d’être le bras vengeur de Dieu…

Tout a commencé dans un lieu miteux d’une aire de banlieue avec une paire de miteux qui se la joue au lieu d’entreprendre ; tout se termine de même, dans l’amoralité jubilatoire de la pop-culture yankee. Chacun repart à ses affaires comme a poor lonesome cow-boy, aussi minable qu’avant, après six morts de trop. C’est conté comme dans un magazine de pulp fiction (sexe, violence et ego surdimensionné), en récits à épisodes ayant chacun leur cohérence mais présentés comme liés.

Palme d’or au Festival de Cannes 1994, Oscar du meilleur scénario original 1995, ce film qualifié de « postmoderne » faute de le mettre dans les cases préétablies des critiques, a fait beaucoup gloser depuis sa sortie. Que m’importe : c’est un bon divertissement et il révèle le nihilisme viscéral de la culture américaine qui préfère agir plutôt que réfléchir, flinguer au lieu de discuter, se raccrochant à la Bible pour se justifier.

DVD Quentin Tarantino, coffret 6 films : Pulp Fiction 1994 – Jackie Brown – Kill Bill – Vol. 1 – Kill Bill – Vol. 2 – Boulevard de la mort – Inglorious basterds, TFI 2011, standard €52.66 blu-ray €69.96

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Missouri Breaks d’Arthur Penn

L’Amérique se reporte un siècle plus tôt, en 1860, dans la nature vierge des failles du Mississippi proches de la source – et du Canada. Trois cavaliers s’avancent depuis l’horizon dans l’herbe de bison. Ils devisent tranquillement sur la beauté de la contrée et sur la vie qui passe. Le plus vieux est arrivé trente ans plus tôt avec déjà huit mille têtes de bétail et trois mille cinq cents livres dans sa bibliothèque (John McLiam). Le plus jeune, un blond roux de 24 ans à taches de rousseurs nommé Sandy (Hunter von Leer), a été journalier. Dans un bosquet, tout le village semble les attendre, gamins compris. Le vieux demande au jeune s’il doit fouetter son cheval ou s’il l’éperonne lui-même. En un instant, Sandy est pendu haut et court. C’était un petit voleur de chevaux ; le vieux est le plus gros propriétaire de cet endroit sans loi.

La fille du vieux, Jane (Kathleen Lloyd, 28 ans au tournage), quitte la scène ; elle n’apprécie pas cette justice expéditive alors que son père se pique de droit et qu’il possède toute une bibliothèque sur le pénal, dans un pays pionnier où le droit n’a pas encore pénétré. Mais, comme il le dit, il perd « 13% » de bétail chaque année au lieu des 2 ou 3% naturels, cela ne peut durer. Après cette justice privée, rendue en public devant le village avec le « consentement » par omission des fermiers et artisans, il décide d’engager un « régulateur ». Il s’agit d’un tueur à gage qui « régule » les malfrats en les tuant une fois découverts, tout comme les chasseurs « régulent » les populations de loups ou de sangliers.

Ce tueur est Marlon Brando, vieille folle originale, perverse et sans pitié. Affublée d’un blouson à franges sur une chemise blanche, ou d’une tunique noire à col de pasteur, ou encore d’une coiffe de vieille femme comme dans Psychose d’Hitchcock, le tueur solitaire trouve son plaisir dans la traque. Il observe aux jumelles les oiseaux et les gens, interroge ici ou là, « fait parler » ceux qu’il soupçonne, allant jusqu’à les noyer s’ils sont trop bêtes ou ne disent rien. Une fois sa conviction faite, il réalise sa « mission » : nettoyer. Il use pour cela du fusil mythique à longue portée Sharps Creedmore et d’un revolver plaqué d’argent. Maniéré, précieux, affectant (en version originale) l’accent irlandais, parfumé, ce psychopathe probablement homosexuel refoulé prend son plaisir à tuer les jeunes hommes. Notamment lorsqu’ils sont en train de baiser ou de chier, ou à demi-brûlés par ses soins dans l’incendie de leur cabane. Il les tue alors comme des lapins avec un pic de lancer en forme de croix chrétienne tout en chantant doucement « Viande fumée »…

En face de lui le chef du clan des voleurs de chevaux, Jack Nicholson, qui décide pour donner le change d’acheter une vieille ferme à l’abandon juste derrière le ranch du vieux propriétaire pendeur. Il la finance par un hold-up branquignol du wagon postal du petit train asthmatique du lieu. Ce qui était au départ « un relai » pour réunir les chevaux avant de les mener vendre, devient pour lui une sorte de « home » où il prépare le thé « de Chine » et cultive les choux. La fille du vieux est intriguée par ce nouvel arrivant plutôt bel homme viril, et entreprend de le séduire.

C’est casser un peu plus les codes du western classique, habituellement un hymne aux glorieux pionniers installés dans une nature généreuse parmi des animaux et des indigènes hostiles, le Colt dans une main et la Bible dans l’autre. Ici, pas de morale. Le droit est prétexte au propriétaire de ranch pour imposer sa loi, la vieille fille ne pense qu’à perdre sa virginité avec le premier venu non bouseux, la mère de famille qu’à se faire prendre en « cinq minutes, pas plus » par le jeune homme qui a vendu des chevaux à son mari. Ce décalage entre le mythe et la trivialité crue fait peu à peu le charme de ce western au scénario plutôt pauvre.

L’après-68 se moque des convenances et le farfelu côtoie le violent, en rire permet de déchirer les apparences. Le vol de bétail ne mérite pas la mort, mais la bonne conscience mûre pend surtout la jeunesse incontrôlable ; les petits fermiers n’ont pas l’argent pour acheter de la terre, personne ne veut en louer, mais le propriétaire qui a les moyens engage un régulateur de prédateurs qui va tuer sans foi ni loi ; les femmes sont réduites à subir la loi du mâle, père ou mari, mais elles décident d’elles-mêmes de se faire sauter par tout étranger au coin. Car, au fond, le droit est celui du plus fort et la morale celle de la majorité ; elle n’est plus un absolu divin. Jack Nicholson incarne la version positive de ce relatif, Marlon Brando la version négative – mais ils sont tous deux pionniers américains, solitaires et indépendants.

Evidemment le régulateur va descendre tous les membres de la bande ; évidemment le chef de bande devenu fermier va se venger du psychopathe et du pendeur de jeune. Mais il ne restera pas au pays et s’en ira ailleurs, toujours ailleurs, perpétuer l’idéal du pionnier, tandis que la nymphomane qui l’a baisé quittera la cambrousse et vendra ranch et bétail pour la ville, pas plus amoureuse de Jack Nicholson que de ses godemichés.

Le film recèle quelques scènes cocasses, dont celle où la fille se retourne sur la selle et s’enfourche sur le pommeau de la selle que Nicholson a longuement caressé lors de leur première rencontre. Fait-elle semblant ? Son han ! est pourtant révélateur. Il n’y a pas d’amour, seulement du plaisir à deux pour elle, en solitaire pour le régulateur. Les années soixante-dix découvrent l’égoïsme sacré où chacun agit selon ses affaires, homme comme femme, propriétaire comme voleur. Il n’y a pas de héros mais des conditions matérielles et l’astuce de chacun. Cela se passe dans l’ouest, mais ce n’est pas un « western ». Le film en est d’autant plus intéressant, réédité en France cette année.

DVD Missouri Breaks, Arthur Penn, 1976, avec Marlon Brando, Jack Nicholson, Randy Quaid, Kathleen Lloyd, John McLiam, Frederic Forrest, Harry Dean Stanton, John Ryan, Rimini édition 2019, 2h06, €14.99 blu-ray €19.12

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Comment tuer son boss de Seth Gordon

Nick (Jason Bateman), Dale (Charlie Day), Kurt (Jason Sudeikis) haïssent leurs patrons respectifs Harken (Kevin Spacey), Harris (Jennifer Aniston) et Pellitt (Colin Farrell). Le premier se voit promettre une promotion comme vice-president (sous-directeur) du service des ventes, mais elle ne vient jamais – elle est la carotte qui le rend soumis à son boss sadique. Le second est constamment sous la menace d’être violé par sa chef dentiste qui profite du patient endormi pour lui mouiller la bite, l’empoigner et opérer les préliminaires pour le sucer, l’excitant pour qu’il la baise – mais Dale a pour ambition « d’être un mari » et ne veut pas tromper son encore fiancée. Le troisième est heureux au travail jusqu’à ce que son vieux patron d’usine chimique meure d’une crise cardiaque et c’est alors le camé bambochard de fils qui reprend les rênes, ne désirant que pressurer la boite jusqu’à l’épuiser, virant les salariés un à un.

Les trois amis d’enfance se retrouvent le soir au bar et font état de leur désarroi. C’est la crise économique et les boulots sont précaires : Nick se verra refuser toute lettre de recommandation par son patron et devra changer de métier, recommencer des études, etc. ; Dale a été fiché comme délinquant sexuel pour avoir exhibé sa bite sur une aire de jeux pour enfants (sauf que c’était de nuit, sans personne alentour, et seulement pour uriner – mais la caméra automatique s’en fout) ; Kurt officie dans la chimie, secteur sinistré en déclin. L’exemple d’un ancien condisciple, licencié à New York et qui n’a pas retrouvé de travail depuis trente mois, est édifiant : il est revenu dans la ville de province et habite chez sa mère, il survit en tentant de gagner 40$ en faisant des pipes aux hommes dans les toilettes. Aucun des trois ne veut faire de même et se pose alors le dilemme suivant : ou bien se soumettre et avoir une vie de merde jusqu’à la fin, ou bien « éliminer » d’une façon quelconque le patron pour avoir de l’air.

Dans la blague, l’un d’eux dit qu’il suffit de les tuer. Effroi et répulsion ! Sauf que l’idée fait son chemin et que, finalement, ce ne serait pas si bête. Mais que faire ? comme disait Lénine dans un opuscule célèbre que 99.99% des Américains ne connaissent vraisemblablement pas. Se renseigner. Mais où ? Dans les petites annonces, Dale trouve pour 200$ un homme dont la spécialité est « d’éliminer ». Ils le convoquent – mais l’élimination est celle d’urine sur les consentants qui jouissent de s’humilier, une perversion sexuelle répandue dans l’univers impitoyable de l’entreprise outre-Atlantique. Sur le net ? Trop visible, on remonterait jusqu’à eux. Dans les bars louches ?

Pourquoi pas – et voilà nos trois compères qui interrogent « Gregory », la voix GPS de la voiture qui est un service humain à part entière pour 19$ par mois à ceux qui roulent beaucoup. Gregory ne s’appelle pas ainsi de son vrai nom mais Al Amane, un truc comme ça, un nom à consonance arabe imprononçable par une lèvre yankee pour tout un tas de raisons – mais il est « au service » et fait son boulot à l’américaine, c’est-à-dire pour votre argent. Il ne connait pas d’adresses de bars louches mais propose un quartier où les vols de voiture sont les plus fréquents. OK pour le quartier. Et, dans le bar forcément louche du quartier (pour preuve, il est remplis d’affreux Américains plus ou moins colorés et dénudés pour exhiber leurs muscles), les trois niais font connaissance de Nique-ta-mère Jones (Jamie Foxx), un Noir à barbiche qui a niqué sa mère saoule à 11 ans : profitant de son sommeil alors qu’elle était nue, il lui a mis la main dans… mais je vous laisse découvrir où.

Il réclame 5000 $ pour leur projet. Sauf que ce n’est pas lui le tueur, il n’a fait de la tôle que pour avoir illégalement filmé un film qui venait de sortir dans le but de faire de l’argent. Il est consultant – et donne cette idée intéressante que si chacun tue son boss, le mobile sera évident ; il faut donc que chacun tue le boss de l’autre pour évacuer les soupçons. C’est donc ce que projettent les trois amis, enquêtant d’abord sur leurs patrons pour savoir où ils habitent, quelles sont leurs habitudes et comment on pourrait les piéger ; il faut que cela ait l’air d’un accident.

D’explorations en gaffes, les gags s’enchaînent, dans le lourd sexuel le plus souvent. Car l’humour n’existe pas en Amérique, pas plus le noir que l’autre ; ne règne que l’ironie bien grasse sur laquelle appuyer grossièrement pour que le spectateur le plus con saisisse de suite sans surtout avoir à réfléchir une seule seconde. Et ça marche : qui peut le plus pouvant le moins, vous comprendrez aisément et vous rirez souvent, même si ce n’est pas vraiment subtil. Il s’avère que Kurt est mené avant tout par sa queue, Dale par l’excitation et Nick par le fait de ne pas oser. Avec ces handicaps, l’aventure ne sera pas simple.

Un téléphone piqué dans la maison Pellitt pendant que le camé est en train de s’envoyer en l’air en boite avec deux putes est tombé par inadvertance dans la maison Hacken et les images qu’il contient poussent ce dernier à croire que Pellitt baise sa femme. Il prend donc son flingue phallique et son monstrueux 4×4 pick-up 12 cylindres pour aller descendre le rival sur le pas de sa porte. Ce serait génial si Nick n’était pas justement en planque devant la maison Pellitt et, assistant à l’assassinat, roule trop vite et se fait flasher à trois cents mètres du lieu du crime par un radar automatique. Les flics le cueillent et le cuisine avec les deux passagers qu’il a repris entre temps pour faire le point. Ils seront libérés mais désormais suspects. Quant à ce con de Dale, il a sauvé Hacken, apparemment allergique aux cacahuètes en lui injectant avec obligeance son antidote au lieu de le laisser crever ni vu ni connu. Quant à la nymphomane aux seins nus sous sa veste, il ne suffit pas que Kurt se dévoue pour la niquer car elle en veut toujours ; il faut la piéger sur le vif pour qu’elle cesse le chantage qu’elle opère sur Dale en l’ayant photographié quasi nu en position équivoque avec elle lorsqu’elle l’a anesthésié pour traiter la première fois sa molaire avant de l’engager comme assistant.

Tout s’enchaîne et se déchaîne, en courtes séquences et sans temps mort comme dans la pub. Le spectateur passe un bon moment, à condition d’aimer le côté délirant de l’ironie yankee qui en rajoute sans cesse comme on augmente les doses. Le succès fut tel (dans les pays anglo-saxons) qu’un deuxième opus est né trois ans plus tard sous le même titre, flanqué du « 2 » de rigueur. Je ne l’ai pas vu mais le DVD initial se vend désormais avec son jumeau pour le même prix, alors autant faire d’une pierre deux coups.

DVD Comment tuer son boss 1 et 2 (Horrible Bosses), Seth Gordon, 2011 et 2014, avec Jason Bateman, Charlie Day, Jason Sudeikis, Jennifer Aniston, Kevin Spacey, Jamie Foxx, Colin Farrell, Warner Bross 2015, 3h20, standard €9.36 blu-ray €14.20

 

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Escobar de León de Aranda

Pablo Escobar fut le plus puissant narcotrafiquant de la planète dans les années Reagan. Riche à milliards, il a réussi à fédérer en cartel les narcos de Medellin et de Cali, exportant en commun la drogue par avion aux Etats-Unis. Machiste et orgueilleux, son hubris n’a plus connu aucune limite. Il a fait descendre ses concurrents, descendre les politiciens qui voulaient voter un accord d’extradition avec les Etats-Unis, descendre les flics, descendre les juges, descendre les journalistes. En bref tous ceux qui se dressaient sur son chemin. Pourquoi ? Pour obtenir « du respect ».

L’argent ne suffit pas, contrairement à ce que croient les gens de gauche sur « le capitalisme » : il faut encore être reconnu. Par sa femme à qui il colle deux gosses ; par ses hommes auprès de qui il faut paraître sans cesse déterminé ; auprès de ses concurrents, à qui il ne faut pas lâcher de terrain et se montrer le plus fort ; par le pays, les pauvres à qui il construit à ses frais plusieurs quartiers, les riches auprès de qui il entre au Parlement. Mais le plafond de verre est bien présent, comme dans toute société. Son argent pue et il l’étale trop pour se faire des amis des politiciens ; sa grande gueule l’empêche de nouer des alliances sociales profitables. Il est donc méprisé, humilié publiquement dans l’enceinte de la Chambre, ses méfaits rappelés dans les journaux.

Il n’agit qu’en solitaire, ce qui le perd. Il a trop assimilé la loi des pionniers yankees qui fait de la force le seul droit. Sauf qu’il a oublié la Bible dans l’autre main, cette justification sociale hypocrite mais indispensable pour régner au nom de Dieu ou de son élection. C’est un bouffon avant d’être un tueur. Pablo Escobar est joué par un Javier Bardem encore plus gros et plus laid qu’à l’habitude – imposant de présence. Aucun autre ne lui arrive à la cheville parmi les acteurs, surtout pas le pâle et impuissant agent de la DEA américaine (Peter Sarsgaard) venu « aider » le gouvernement colombien à terrasser le dragon.

Seule la journaliste Virginia, présentatrice télé colombienne, paraît à la hauteur malgré ses poussées épisodiques de terreur. Car il la respecte. Elle est une icône, même si elle avoue que les gens la regardent plus à la télé pour savoir ce qu’elle porte plutôt que pour ce qu’elle dit. Escobar veut s’éterniser en héros, sa part bénéfique devant racheter à terme sa part maléfique. Le bâtisseur sur les ordures. Il engage Virginia comme biographe et elle est amenée à le suivre dans tous ses déplacements « même les plus intimes » – il va d’ailleurs la baiser, même si ce n’est pas montré (le viol tarifé des « nymphettes » livrées par leurs parents émerveillés est en revanche plus que suggéré). La journaliste colombienne Virginia Vallejo existe réellement, elle a incontestablement été baisée par Escobar entre 1983 à 1987 et elle a vraiment écrit en 2007 l’autobiographie du trafiquant : Amando a Pablo, odiando a Escobar, titre cité d’ailleurs durant le film : « Aimer Pablo, haïr Escobar ». Le livre a été (mal) traduit en français par le racoleur « Pablo, je t’aime, Escobar, je te hais ».  Penelope Cruz, dans le rôle de mijaurée esclave du chic et constamment en représentation, est le pendant du monstre. Féminine à souhait, féministe au travail, elle suit, elle regarde, elle raconte.

Car c’est le génie du film de nous montrer le personnage et ses horreurs par la voix off de la journaliste qui conte a posteriori la geste du narcotrafiquant descendu à la fin par la police. Ou du moins par un commando spécial, non corrompu, des forces armées colombiennes, aidé par la technique de repérage téléphonique d’un Escobar trop « famille » par la CIA.

La terreur est donc enrobée de conte, juxtaposant Pablo entouré de gamins fouillant les tas d’ordures de Medellin, tous nommés Pablito en son honneur, et le massacre à la tronçonneuse des alliés infidèles ; ou l’atterrissage sur une autoroute américaine d’un avion du cartel rempli de sacs de cocaïne à l’aide d’un Mack truck en travers bloquant les deux voies, et l’exécution par un chien loup attaché sur le dos d’un exécutant qui a mal exécuté les ordres ; ou encore le discours en réponse au ministre de la Justice d’Escobar qui dénonce le financement occulte de sa campagne avec preuves, et le dressage des sicarios, ces adolescents de 14 à 16 ans entraînés à tuer d’une rafale d’Uzi à l’arrière d’une moto les cibles désignées par le patron.

De même la parade bouffonne de « la prison » qu’il s’est fait construire lui-même, et la fuite à poil dans la jungle lorsque les hélicoptères de combat ont repéré sa planque ; les robes chics qu’il paye à Virginia pour le représenter, et les description qu’il lui fait du viol collectif « par vingt soldats » qui l’attend si elle l’abandonne, « il te déchireront tes vêtements, là, ta robe… – Thierry Mugler. – C’est çà, puis ils t’attacheront et te passeront dessus l’un après l’autre, puis, lorsqu’ils auront fini, ils te pénétreront avec un mixeur ou un sèche-cheveux, te réveillant avec un seau d’eau si tu t’évanouis, puis ils recommenceront à te violer, enfin, lorsque tu seras au bout, ils te laisseront saigner de l’intérieur jusqu’à ce que tu en crèves… ». Une belle déclaration d’amour.

Le plus atroce comique est cette scène surréaliste où Pablo Escobar avec son jeune fils de 9 ans Juan Pablo, lors d’une discussion entre hommes, lui décrit « le pain » de résidus de cocaïne qui doit être dilué dans l’eau avant de « fusiller le cerveau » – c’est pour les pauvres – et la poudre de cocaïne pure, blanche comme de la farine, qui doit être coupée avant de fusiller aussi le cerveau mais plus proprement – c’est pour les riches. Le gamin écoute, comprend, approuve. Pablo : « On produit, on vend, mais on n’y touche pas, tu as compris ? Il faut écouter Nancy (la femme de Reagan), elle a raison ». Juan Pablo : « Oui ».

Le spectateur ne s’ennuie pas, le monstre sacré glace comme il faut, la pute de luxe séduit comme il se doit avec son air effarouché sur ses hauts talons, la famille Escobar qui se voudrait normale, entraînée dans le maelström, touche à l’envi. Mais la série Narcos a sans doute nui à l’impact de ce film, trop fade face au souffle criminel du genre. Manque surtout le pourquoi de la cocaïne, qui n’est jamais abordé, au profit de la geste commerciale possessive et maniaque du truand. Comme si la drogue était une marchandise comme une autre et Escobar un capitaliste ordinaire. Sauf une fois : lorsque Virginia apprend à Miami que l’aspirine est considérée comme une drogue aux Etats-Unis !

Y aurait-il de quoi dédouaner le narcotrafic en l’abaissant au rang de la pharmacie et les narcotrafiquants au rang d’entrepreneurs aventureux ? C’est, au fond, un peu ce qui me gêne dans ce film par ailleurs fort bien mené.

DVD Escobar (Loving Pablo), León de Aranda, 2017, avec Javier Bardem, Penelope Cruz, Peter Sarsgaard, + 30 mn d’interviews avec Bardem et Cruz, M6 Video 2018, 1h58, standard €8.99 blu-ray €11.99  

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Patricia MacDonald, Sans retour

Dans le domaine du roman policier, autant les Français ont réussi dans le psychologique, autant les Anglaises dans le sociologique, autant les Américains ont inventé une nouvelle forme : l’efficacité.

Les hommes créent des thrillers, romans montés comme des films et découpés comme au cinéma en séquences courtes remplies d’actions, caractérisées par des caractères tranchés et une grande précision pour faire vrai (horaires, paysages, rues, procédures, crimes, institutions, self-défense – tout est documenté soigneusement). La morale est celle, individualiste, du self-made man, du cow-boy, du pionnier, qui ne compte que sur lui-même et se méfie de l’État. Il n’a, comme base, que les Dix Commandements du moralement correct, encore que la nécessité lui fasse prendre quelques libertés avec le meurtre et l’adultère. Chez Robert Ludlum, Tom Clancy, David Morrell, Clive Cussler, Stéphane Coonts, Frederick Forsyth, Ken Follett, le cadre est le monde et le thème est la guerre.

Les femmes ont investi l’intérieur du pays. Leur thème est la psycho-sociologie, la banlieue moyenne. Patricia Cornwell, Mary Higgins Clark, Lawrence Sanders, Dorothy Uhnak, sont de cette veine. Avec Patricia MacDonald, les suspenses sont bien montés. Le lecteur entre sans peine dans le décor, partage vite la façon de voir les choses du personnage central, qui est une femme. L’intrigue avance sans temps mort, pas à pas, avant l’apothéose – souvent inattendue.

Sans retour va au-delà du divertissement en évoquant un personnage, le tueur, jusqu’à sa dimension mythique. En 1989, époque où ce roman a été écrit, le Japon semble avoir battu l’Amérique sur beaucoup de plans. Le modèle américain vacille. Dans ce livre, il est incarné superbement par Grayson, un jeune homme de 15 ans. Grayson est flamboyant, il est la réussite en personne, fierté de son père, de son collège, de sa ville – le parfait bon gars américain, le gendre idéal. Il est intelligent, sportif, travailleur. Il baise les plus belles filles, dirige l’équipe de baseball, bûche ses maths, est lauréat de la Chambre de commerce. Grand, blond, musclé, très beau, il est le fils de rêve, le rejeton du Nouveau Monde. Mais voilà, il a les défauts de ses étonnantes qualités : l’égoïsme, l’arrogance, l’amoralité, l’hypocrisie. Tout lui est dû, tout doit s’arranger selon ses désirs. Il se sent d’une espèce supérieure, au-dessus du commun des mortels et des règles qui les régissent, au-dessus des lois et de la morale. Lorsque quelque événement dérape, il ment à la société et séduit ses proches pour arranger les faits à sa manière. Un vrai Yankee au fond, la suite des ans le prouvera… Mais tout comme l’Amérique de Nixon et de Reagan n’est qu’apparence de force et de santé, la beauté de l’adolescent individualiste n’est qu’extérieure : elle est celle du diable.

Patricia MacDonald est Bostonienne, d’une ville–référence pour la bonne société américaine, celle qui établit les conventions. Son personnage de maman est obstiné, scrupuleux, attentif à l’amour. Mais le féminisme est passé par là et cette mère pèse dans sa propre balance ce que les hommes de son entourage lui apportent : la sécurité, le plaisir, la position sociale. Les figures mâles sont rarement positives dans ce livre. Elles sont fragiles et très mêlées : la lâcheté voisine avec la force ou le courage avec la faiblesse. Pour l’auteur, le modèle WASP, blanc, anglo-saxon, protestant est décrépi. Elle préfère valoriser les femmes, les filles, les Noirs – probablement l’essentiel de ses lecteurs qu’il s’agit de caresser dans le sens du poil. Elle a le sens commercial. Le seul garçon un peu aimable est homosexuel mais il périra de trop aimer le diable.

Étonnante thérapie qu’entreprend l’Amérique par ses séries romanesques ou filmées, à la fin du siècle dernier. Plus qu’ailleurs, on peut suivre les états d’âme du pays suivant les thèmes de sa littérature populaire. Ce MacDonald-là est bon pour la santé.

Patricia MacDonald, Sans retour, 1989, Livre de poche 1992, 377 pages, €7.60 e-book Kindle €7.99

Les romans policier de Patricia MacDonald déjà chroniqués sur ce blog https://argoul.com/?s=patricia+macdonald

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Maxime Chattam, Les arcanes du chaos

Les petits intellos qui se réfugiaient avant-hier dans la révolution, hier dans la science-fiction et aujourd’hui dans la paranoïa du Complot mondial vont être contents : voici LEUR roman. Les arcanes font référence au secret, celui des alchimistes ; le chaos est la confusion et le désordre avant la génération du monde. Dans ce thriller, Maxime Chattam évoque le 11-Septembre pour lui faire terminer son roman à cette date ; il invoque les puissances occultes, humaines, bien humaines, pour dire le NOM (Nouvel Ordre Mondial). La paranoïa est le mode de fonctionnement compensatoire de tous ceux qui se sentent incompris, déclassé, prolétarisés. Dans ces années terminales des babyboumeurs au pouvoir, les places sont chères et la parano a de belles années devant elle !

Tout commence comme un roman pour ados des années 1960 : mystères et boules de gomme. Yael est une jeune femme quelconque qui vend des yeux dans une boutique antique du Paris ancien. Elle aperçoit du coin de l’œil des ombres qui la surveillent. Pire, ces ombres parlent, allument son ordinateur pour traiter du texte et des chemins de bougies noires pour la guider dans les sous-sols. Pourquoi les suivre, me direz-vous ? Par cette obéissance irrésistible qui fait décrocher le téléphone aux filles même quand elles savent qu’il s’agit du pervers qui a déjà appelé dix fois. Dressage de société de consommation et de bienséance bourgeoise. Yael entre donc dans le Jeu. On appelle son attention sur la symbolique du billet de 1 $, sur les coïncidences historiques des assassinats de Lincoln et de Kennedy, du naufrage du Titanic. Tout ce qui fait mystère pour les jeunots du 20ème siècle issus d’études médiocres et fascinés par la technique informatique. Yael a vaguement suivi une licence de lettres avant d’opter pour un boulot provisoire… qui dure encore deux ans plus tard (tout l’itinéraire de l’auteur, d’ailleurs). Son compagnon de travail est un fou de nature et de Heavy Metal, à demi autiste tant il se fout des gens comme de son premier slip. C’est toute une certaine jeunesse moyenne dont Maxime se gausse plus ou moins dans ses bajoues gonflées au Coca.

C’est dans ce vivier qu’il va puiser ses personnages, au début assez évanescents, dans la lignée de la littérature ado. Yael, au prénom de chèvre hébraïque, Kamel, fils d’ambassadeur arabe, et Thomas, le double de l’auteur, viril et sensible. Ce journaliste paranoïaque et pour cela expert en  manipulation a « la trentaine, plutôt mignon, bronzé, le cheveu châtain et une barbe de trois jours, le tout emballé dans une chemise élégante et un pantalon de toile. Décontracté mais soigné » p.28. Si vous regardez la photo de Maxime, en page 2 de garde, vous reconnaîtrez aisément son portrait. Maxime Drouot, dit Chattam, est en effet né le 19 février 1976 à Herblay. Ajoutons que Tom a le regard clair, qu’il est musclé et attentif, et vous aurez le fantasme masculin des filles de 20 ans au début des années 2000. Entre eux ? Rien ou presque, que de l’aventure. Depuis le bar où elle le drague impunément à la piste dangereuse qu’ils suivent tous les deux, poursuivis par des tueurs et guidés par les Ombres. Malgré quelques traits torrides du style « Yael s’empressa de se déshabiller pour ne garder que son slip et enfila la combinaison » de plongée (p.277) ou, pour Thomas, « la chemise s’ouvrait jusqu’à la naissance des pectoraux » (p.204), le sexe n’aura sa place qu’à la page 443 seulement ! Je vous l’avais dit, ça commence comme une aventure pour ados, officiellement timides et intimistes lorsqu’il s’agit de baiser.

Sauf que les ados en question ont autour de la trentaine et sont donc un tantinet attardés. Les arcanes vont les faire basculer. Commencé comme un Da Vinci Code light, le thriller tourne, vers la moitié, au genre Millenium (tous deux captivants). Les ados enfin adultes découvrent le rationnel… L’un de ses noms est la logique des causes. « Chaque chose est une apparence », disent les Ombres, « la découvrir c’est la connaissance du monde, le pouvoir » p.129. Nul alchimiste n’aurait mieux dit, nul franc-maçon non plus, les seconds étant issus des premiers. Nous voici donc dans le fantasme toujours vendeur du Complot planétaire des Maîtres du monde, composés des élites cooptées dans ce club très fermé des ‘Skull and Bones’ dont Georges W. Bush a fait partie. Eugène Sue avait déjà publié de telles choses à la fin du siècle 19ème… Pourquoi Yael se trouve-t-elle embringuée dans ce grand Jeu ? A elle de le découvrir, avec l’aide virile et observatrice de Thomas.

En contrepoint, le lecteur est incité à voir, dans l’histoire qui se fait, une vaste Conspiration destinée à imposer le pouvoir de quelques-uns et à éliminer les gêneurs. Des « extraits du blog de Kamel Nasir » rythment en chronologie décalée le récit. Il est expliqué pourquoi Georges W. Bush s’est entendu avec les Saoudiens – et la famille Ben Laden – pour permettre cet attentat qui allait conforter la droite religieuse et nationaliste de l’équipe Rumsfeld au pouvoir. Cela pour le plus grand bénéfice de l’industrie de l’armement et du pétrole, pour les services secrets et les élites cooptées de l’économie-monde. Cette paranoïa complotiste est assez risible après coup : Rumsfeld n’a-t-il pas été viré avant même que George W. Bush ne quitte la Maison-Blanche ? Le président suivant n’a-t-il pas été un Noir sorti des classes moyennes et ayant œuvré dans le social à Chicago ? Où sont donc ces ombres si puissantes, sensées tirer toutes les ficelles ? Où sont ces gros sous de l’armement dans l’élection du successeur de Luther King ? Seraient-ils auprès des oligarques de Poutine qui ont tiré les ficelles de l’anti-Hillary dans les dernières élections américaines ? Le bouffon Trump est capable de n’importe quoi, mais surtout pas d’un complot organisé et pensé en équipe !

Reste une histoire bien enlevée, aux phrases courtes, à l’action rebondissante et à la psychologie sommaire de rigueur dans ce genre de thriller. Bien que nettement meilleur sur la fin qu’au début, mon avis est que le jeune Maxime n’est pas encore assez mûr pour écrire comme les pros. J’avais gardé un meilleur souvenir littéraire du 5ème règne. Cela viendra, né en 1976, Maxime n’a que trente ans pour Les arcanes du chaos et l’on s’attache à son double narcissique Thomas.

Maxime Chattam, Les arcanes du chaos, 2006, Pocket décembre 2009, 560 pages, €8.30

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Maxime Chattam, L’âme du mal

L’auteur s’est fait connaître à 24 ans par ce thriller. De double culture franco-américaine, ayant beaucoup vécu à Portland dans l’Oregon (où il situe la scène), il maîtrise parfaitement les règles du roman de frissons. Il le déclinera en trois tomes successifs avec le même héros, un Josh qui lui ressemble, avant de passer à autre chose. C’est très réussi, long, bondissant, sadique, torride – efficace.

Les États-Unis, pays jeune, ont renouvelé l’art du roman. Notamment via le thriller, ce livre-cinéma où le thème est dramatique et l’écriture aussi nette et basique que celle du Code civil (comme le voulait Stendhal). Le découpage des séquences en courts chapitres, le style direct et percutant, les images chocs figées comme des photos, la fin en forme de suspense – tout concours à faire du genre une animation sous forme de livre. Maxime Chattam s’est documenté, Maxime Chattam s’est exercé, Maxime Chattam nous tient en haleine.

Contrairement au style jeu vidéo qu’il explorera (sans grand succès) dans Prédateurs, ses personnages ici ont de la consistance et les principaux ici sont attachants. Ses tueurs psychopathes sont réalistes et ses professionnels de la police et de la médecine légale compétents. On y croit.

Le rythme qu’il attache à son récit ne faiblit pas, les scènes sont denses, le sujet fouillé. Non sans exagérations « gothiques » telle cette scène de baise dans une bibliothèque satanique, ce poulet noir au cou tranché à la hache par un vieux forestier interrogé par… un poulet PD (Police Department), ou cette lueur rouge dans les yeux du détenu.

Le style qu’il prend pour raconter est presque abrupt mais ne néglige pas, dans les moments de détente, les mots choisis. Lui qui écrira en basic french par la suite, énonce ici des termes tels que rubigineux, nitescence, céruléen, fuligineux, gibbeuse, lactescente, écale, gabelle… probablement listés bruts dans le dictionnaire. Mais, après tout, un peu de poésie dans un monde de brutes ne nuit pas.

Car les tueurs se déchaînent en boucheries et mises en scène. Détruits dans l’enfance par les maux de l’Amérique (la rigidité protestante, la répression sexuelle, le mépris social, les errances parentales égoïstes), les pervers choisissent leurs victimes. Elles incarnent en général le rêve américain, elles sont belles et studieuses. Elles sont étouffées, étranglées, poignardées, lacérées, amputées. Le jeune inspecteur Josh Brolin (prononcez broline) formé au profilage FBI avant d’exercer dans la police, aura fort à faire pour arrêter le massacre. Fort à imaginer surtout pour se mettre dans la peau du tueur, voir qui il peut être et anticiper ainsi ce qu’il projette. Non sans échecs…

Le Bourreau de Portland (ville du nord-ouest, au nord de la Californie et à quelques 400 km au sud de Seattle) est bel et bien mort. Josh l’a tué. Mais qui reprend le flambeau et l’imite, jusqu’aux traits soigneusement gardés secrets par la police ? Un gamin de 12 ans qui se cache de ses copains dans la cabane abandonnée d’un parc hurle de terreur lorsqu’il découvre la première victime, nue, écartelée, sanglante, un couteau fiché dans le vagin – fantasme d’ado sadique. Nous ne sommes encore qu’au premier des neufs cercles de l’Enfer. A l’équipe policière de comprendre et d’agir, au lecteur de haleter et supputer.

C’est bien fait pour lui. Mais très bien fait aussi pour son plaisir.

Maxime Chattam, L’âme du mal, 2002, Pocket 2009, 521 pages, €7.50

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La planète des singes de Franklin Schaffner

Dans une longue nouvelle de fiction, Pierre Boulle (un Français) raconte en 1963 comment une autre planète a favorisé les grands singes plutôt que les humains, à partir du rameau commun. Ce conte philosophique à la manière de Montesquieu permet de réfléchir au contraste éternel entre civilisation et barbarie. Il met en scène un univers parallèle aussi darwinien que le nôtre, dans lequel l’orgueilleuse humanité (surtout blanche) se voit réduite à son animalité fondamentale.

Car le danger de la science – mais surtout de la technologie – est la paresse : pourquoi faire effort lorsque la machine ou l’animal domestiqué, peuvent tout faire à votre place ? Plus intelligents que nous, les Grecs antiques avaient cantonné la science à la philosophie, la recherche de la Vérité visant à apaiser l’âme tandis que les efforts commerciaux ou la guerre permettaient d’acquérir marchandises et main d’œuvre bon marché.

Sur la planète de Boulle, l’évolution naturelle fait entrer l’humanité en décadence dans le même temps que les primates évolués se mettent à réfléchir et à parler.

 

La planète est baptisée Soror (sœur), cinq cents ans dans l’avenir. Les femmes vivent à poil et les chimpanzés poilus dominent la civilisation. Le vaisseau terrien qui se pose n’en croit pas ses yeux. Capturés par les singes, le narrateur commence à apprendre leur langage et il s’aperçoit que la culture simiesque n’est fondée que sur l’imitation. Donc que les grands singes ont supplanté les humains… De retour sur terre, les astronautes aperçoivent la tour Eiffel. Mais ils sont accueillis par un grand singe !

Le film tiré de la nouvelle est américain – donc transpose dans la culture basique yankee le message trop subtil du Français. L’autre planète n’est pas autre mais la nôtre ; ce n’est pas l’Evolution mais la Bombe qui a promu les singes ; la tour Eiffel est remplacée par la statue de la Liberté et Paris par New York ; la femme Nova n’est pas nue mais affublée d’un pagne et d’un soutif loqueteux ; un seul astronaute s’en sort (Charlton Heston) et – comme toutes les planètes de l’univers ne peuvent parler qu’anglais – il n’a aucun effort d’apprentissage de la langue singe à faire : ce sont eux qui parlent la sienne (et après 3000 ans sans changements !). C’est dire combien est raccourcie, caricaturée et vulgarisée la réflexion de Pierre Boulle, sans doute trop complexe pour les cerveaux primaires yankees. C’est dire aussi combien cette pression d’évolution que constitue la flemme et l’hédonisme, pointée par Boulle, agit concrètement chez les Américains contemporains.

Le film de Franklin Schaffner – le premier d’une série commerciale très inégale – reste cependant intéressant à revoir. Il accuse l’homme d’être un tueur parmi les espèces et de détruire son environnement. L’homme blanc étant le pire, peut-être parce qu’il a plus de moyens techniques. Les grands singes qui ont pris sa place font du désert plombé par le soleil un grand espace mort, tabou, que le gourou mythique des singes interdit à jamais d’explorer. Les orangs-outans, qui ont divergé il y a environ 12 millions d’années de la lignée humaine, dominent la politique et sont gardiens de la religion, tandis que les gorilles qui ont divergé il y a environ 10 millions d’années remplissent des tâches de brutes militaires et de flics, dans la même catégorie homininés que l’homo sapiens. Les chimpanzés, qui ont divergé en dernier il y a environ 6 millions d’années sont les plus proches de l’homme, donc plus « civilisés » ; ils occupent la fonction de recherche scientifique. Dans l’esprit américain 1968, l’orang-outan est le despote asiatique crispé sur le dogme (Staline ou Mao), le gorille le gros nègre fruste, violent et musculeux (Idi Amin Dada), et le chimpanzé un racé blanc blond à la pointe de l’intelligence (donc un astronaute américain)…

Ce pourquoi Charlton Heston, qui a quitté son vaisseau spatial tombé dans un lac de la zone interdite, puis devenu seul de son trio à conserver toutes ses facultés après capture par les singes (une balle l’a empêché de parler un long moment), se lie d’amitié avec un couple de chimpanzés vétérinaires (qui soignent et dissèquent l’espèce humaine pour l’étudier). John Chambers a tellement bien réussi ses maquillages simiesques que l’on ne reconnait aucun acteur ; il en a obtenu un oscar en 1968.

Le héros blanc américain réussira à fuir, à découvrir une poupée humaine qui dit « maman » dans une grotte en bordure de zone interdite, et ira explorer le rivage avec Nova, la femme sauvage qui ne connait pas le langage parlé mais qui s’est attachée à lui. Il aura la surprise de découvrir que cette autre planète n’est pas autre mais bien la même, 3000 ans plus tard. Les imbéciles de sa race maudite ont fait sauter leur Bombe atomique, ce qui a seul permis aux singes de prendre le pouvoir.

La suite est très inégale, purement inventée cette fois, sans l’aide de Pierre Boulle – ce qui réduit le message à de l’action hollywoodienne sans grand intérêt. Mais ceux qui ont été séduits par le thème de l’inversion évolutive pourront suivre avec plaisir les aventures des humains déchus perdus sur leur ancienne planète. Les hommes de ces films sont quasi nus mais pas les femmes, ce qui en dit long sur les tabous religieux présents encore bien après 68 aux Etats-Unis et sur l’homoérotisme latent de cette société puritaine. Car, lorsqu’il y a interdit, il y a tentation et fantasmes. C’est quand même la principale leçon du mouvement occidental autour de mai 1968 de l’avoir prouvé, malgré ses excès.

Pas sûr que l’on ait bien compris ; pas sûr non plus que le message de Pierre Boulle sur la paresse qui dévie l’évolution soit plus assimilé…

DVD La planète des singes de Franklin Schaffner, édition simple, avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter, Maurice Evans, James Whitmore, 20th Century Fox 2006, normal €10.00, blu-ray €19.71

7 DVD La Planète des Singes – Intégrale = La Planète des singes 1968, Le Secret de la planète des singes de Ted Post 1970, Les Evadés de la planète des singes de Don Taylor 1971, La Conquête de la planète des singes de J. Lee Thompson 1972, La Bataille de la planète des singes de J. Lee Thompson 1973, La Planète des Singes de Tim Burton 2001, La Planète des Singes : Les origines de Rupert Wyatt 2011, 20th Century Fox 2011, blu-ray €29.99

Pierre Boulle, La planète des singes, 1963, Pocket 2001, 192 pages, €4.30, e-book format Kindle €7.99

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Paul Doherty, La galerie du rossignol

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Voici la toute première des « riches et navrantes aventures de frère Athelstan », tel que sous-titré. Paul Harding, de son vrai nom Doherty, est un professeur anglais d’histoire médiévale et il adore ciseler de subtiles intrigues en les situant dans ce moyen-âge pittoresque et naïf qui est notre histoire dans son état brut. Les passions humaines y sont en effet bien les mêmes : l’amour et la concupiscence, le sens de l’Etat et l’avidité du pouvoir, les fortes inégalités sociales et la débrouille permanente. Frère Athelstan est un dominicain exilé de son ordre par son prieur pour une faute de jeunesse que l’on apprendra en route. Il est curé de la paroisse de Saint-Erconwald, en plein quartier populaire de Londres. Ses ouailles sont Watkins le ramasseur de crottin, Cecily la ribaude, Ranulf le tueur de rats, Pike le fossoyeur, et toute leurs ribambelles d’enfants délurés et dépenaillés.

Mais le curé a pour ordre d’assister aussi le coroner de Londres, sir John Cranston, ex-soldat du Prince Noir, rabelaisien et de grand cœur. Il pète, rote, ronfle, mais ne laisse pas d’écouter ce que se dit sans en avoir l’air. Il ne déteste rien plus que la morgue des riches ou des grands qui croient avoir en face d’eux un balourd qu’il suffit d’impressionner. Tels Laurel et Hardy dans les ruelles mal famées comme dans les demeures chaulées et fleuries, Athelstan et Cranston ont à résoudre une énigme politique sur mission expresse du régent Jean de Gand.

Un riche orfèvre est mort empoisonné dans sa chambre fermée, après qu’on ait fouillé ses papiers à la recherche d’un document compromettant pour les hautes instances du pouvoir. Le roi Richard, fils de son frère aîné le Prince Noir et petit-fils d’Edouard III, n’a que dix ans et la blondeur frêle des gamins trop couvés en cette époque de peste. Nous sommes en 1377 et le royaume a besoin d’une poigne forte pour se remettre des défaites en France et de la saignée pesteuse.

Quelle est cette mystérieuse société secrète des « fils de Dives » (le mauvais riche de la parabole de Lazare) ? Quels sont les liens de dettes entre les marchands et les grands ? Quel frère aurait eu intérêt à tuer son frère ? Quelle femme bafouée aurait pu se venger de la préférence de son époux pour les pages ? Pourquoi, un par un, les associés de l’orfèvre meurent-ils de pendaisons suspectes ? Comme d’habitude, en expert de l’intrigue, Paul Harding nous délivre les informations une à une, nous égarant sur de fausses pistes, mettant brutalement en lumière des passions et les intérêts des uns et des autres. Tel un puzzle, les pièces se mettent en place ; comme dans une partie d’échecs, les pions s’avancent masqués. La logique des clercs – grâce en soit rendue à Aristote ! – vaut bien l’habileté diabolique des classes dirigeantes. « Nous cherchons un fil conducteur, déclare Athelstan. La logique nous enseigne que la solution d’un problème est contenue dans son intitulé même » p.219. Reste à se poser les bonnes questions.

Pour cela, le jeune frère prêcheur a toutes les qualités, du fait de sa formation comme de son principal péché. Le vieux Cranston, qui en a vu d’autre, a la subtilité de le lui faire remarquer : « Votre prieur n’ignore pas, Athelstan, que grâce à votre sentiment de culpabilité et votre sens inné de la justice, vous êtes l’homme idéal pour cette tâche » p.132. Cranston lui-même, n’est pas le balourd qu’il paraît : « Les tueurs s’étaient jetés sur eux, épées et dagues en avant. Le coroner soutint leur assaut, parant avec dextérité et faisant tournoyer son épée en un demi-cercle d’acier. Ces quelques secondes suffirent à Athelstan pour comprendre à quel point il avait orgueilleusement méjugé son compagnon en qui il voyait un sac à vin ventripotent, prêt à succomber sans cesse à la tentation » p.199. Il n’est pas jusqu’au gamin-roi lui-même, Richard II, dont « les yeux bleus » soient « à la fois enfantins et implacables » p.242.

Tous les personnages familiers des aventures suivantes sont déjà là, de même que la truculente ville de Londres, trépidante d’activités et de populace vivace comme le chiendent. Il y a des marchands fourrés, des apprentis s’égosillant, des gamins loqueteux, le gardien du Pont de Londres et sa marmaille qui joue demi-nue sous les piles, les porteurs d’eau et vendeurs de « saucisses épicées », une accorte aubergiste… Et l’auteur fait montre d’un sens de l’humour tout anglais. En témoignent les noms des pas moins de onze tavernes citées dans l’histoire : « « Le Pourceau de l’Evêque », « L’Agneau de Dieu », « L’ours au gourdin enturbanné », « La tête de Sarrasin », « Au Cochon Doré », « Le bliaut fourré »… Quant à la « galerie du rossignol », elle est faite sur le modèle du parquet chantant du palais de Kyoto, au Japon : des lattes d’if qui couinent sous les pas pour empêcher tout ennemi d’approcher silencieusement. Un décor pittoresque, des caractères bien trempés, des personnages sympathiques, une énigme intelligente – que nous faut-il de plus pour passer deux heures agréables ?

Paul Doherty (paru en 2007 sous le pseudonyme de Paul Harding), La galerie du rossignol (The Nightingale Gallery), 1991, 10/18 2013, 264 pages, €7.50

Les romans policiers historiques de Paul Doherty chroniqués sur ce blog

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The Grand Budapest Hotel

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Un film étrange, décalé dans le temps et les mœurs, en forme de conte moral. Nous sommes il y a un siècle dans un royaume germanique d’Europe centrale, le Zubrowka imaginaire au nom de vodka… où est de bon ton d’aller prendre les eaux. L’hôtel chic est donc « grand » et de prestige, il reçoit princesses, duchesses et comtesses, sans parler des bourgeois enrichis comme les ambassadeurs, docteurs et autres décideurs. L’âme de l’hôtel est le maître des clés, le concierge Gustave H. (Ralph Fiennes). Il se montre à la fois autoritaire et commercial, pédéraste et gigolo, élégant et d’humour tout britannique (les mœurs de même) – en bref prêt à tous les compromis pour assurer à la clientèle le meilleur service.

Il trouve engagé sans qu’il soit au courant un nouveau Lobby Boy adolescent (garçon d’étage), qui se nomme Zéro Mustapha (Tony Revolori). Zéro parce qu’il ne sait rien, n’a aucune compétence, n’a fait aucune étude et vient d’un pays de bougnoules qui n’arrête pas de se massacrer. Mais Zéro est justement la page blanche qui va permettre à Monsieur Gustave d’imprimer sa marque, de l’intégrer à sa société d’adoption et d’en faire son héritier.

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L’Europe change, la Mitteleuropa cosmopolite et policée disparaît, laissant place à la brutalité prussienne d’abord et nazie ensuite. Les grands de ce monde meurent, leurs héritiers se déchirent pour de sordides histoires d’argent, bien loin de l’honneur et du service qui était de mise avant. La vertu, dès lors, est de ne pas en avoir : c’est de s’adapter ! D’où le côté à la fois dandy et théâtral de Gustave. Quoi de mieux qu’un larbin doré habitué à tout, et d’un immigré adolescent désirant s’assimiler ?

La grande comtesse habituée de The Grand, Madame Villeneuve Desgoffe und Taxis (Tilda Swinton), est solitaire parce que ses fils et filles n’attendent que sa mort pour l’héritage. Elle se trouve entourée d’attentions (et plus car affinité) par Monsieur Gustave, qui la contente de toutes les manières. Ce pourquoi, quand elle meurt, elle lui lègue le tableau inestimable qui le représente le mieux, un Garçon à la pomme, que Gustave décrit comme la fragilité du passage de l’enfance à l’adolescence. Pâte malléable, le garçon de cet âge a devant lui tous les possibles, toutes les expériences, tous les apprentissages. Il est l’éternel avenir, la quintessence de ce que l’on demande à un serviteur des Grands : ne jamais être lui-même mais toujours en devenir, mimétique avec ceux qu’il sert. Beau et changeant – vain.

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Monsieur Gustave aime les jeunes garçons autant que les vieilles dames ; le sexe avec eux n’engage pas mais le cœur, si. Tout est allusion et illusion, mais retrouver à la frontière dans le train comme chef du détachement militaire qui contrôle les passeports un ancien client, qu’il a connu enfant solitaire et à qui il a fait beaucoup de bien, permet le contre-don nécessaire à laisser libre le nouveau Lobby Boy sans papier. Lequel n’est pas intéressé à en savoir plus, car non seulement il se peint au crayon une fine moustache pour faire adulte mais il aime les filles, notamment l’apprentie du pâtissier Mendel.

The Grand Budapest Hotel zero et la fille patissier

Action, testament révisé, poursuite en luge, effets de surprise, évasion de forteresse par un tunnel creusés aux pics dissimulés en pâtisseries, quiproquos cocasses, quête policière, mafia des concierges de palaces, tueur et témoins assassinés par les fils voués aux nazis, cela dans un décor suranné volontiers kitsch (façade rose bonbon, funiculaire jouet, château immense aux couloirs interminables, téléphériques qui se croisent en altitude) – tout est fait pour dépayser et composer un conte baroque sur Le monde d’hier.

L’histoire est dite par un écrivain dandy (Jude Law) lorsqu’il rencontre après la chute du communisme le mystérieux propriétaire du grand hôtel (F. Murray Abraham) qui n’est autre que Zéro, héritier de Gustave qui a hérité de Madame. Le palace est délabré, presque vide. La société n’est plus la même et si les êtres solitaires sont toujours clients, ils sont bien moins nombreux.

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Le seul héritage qui vaut, au fond, apparaît comme le message cosmopolite de la défunte civilisation Mitteleuropa : mieux vaut adopter que générer, le sang ne préservant ni l’honneur ni la vertu ; mieux vaut s’ouvrir aux autres cultures, la pureté de la race engendrant esprit obtus et barbarie égoïste ; mieux vaut aimer que haïr, la solitude écartée valant reconnaissance éternelle ; mieux vaut résister que se laisser faire, puisque l’avenir se construit contre l’apathie.

Drôle, rebondissant, coloré, voilà un bon film d’hiver.

DVD The Grand Budapest Hotel + A bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson avec Ralph Fiennes, F. Murray Abraham, Tony Revolori, Owen Wilson, Adrien Brody, blu-ray Pathé 2015, €14.99

The Grand Budapest Hotel seul, 20th Century Fox 2014, blu-ray €14.99, normal €8.49

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