
Le roman est inspiré par une légende campagnarde de son ami Bertram Fletcher Robinson, correspondant de guerre pour le Daily Express lors de la guerre des Boers, où Conan Doyle s’était engagé comme médecin. Un chien rôdait sur la lande du Dartmoor, au nord de Plymouth, dans le Devon au sud-ouest de l’Angleterre. L’auteur est allé sillonner l’endroit avec son ami, pour se pénétrer de l’atmosphère.
Les Baskerville sont une famille dont tous les mâles semblent marqués d’une malédiction depuis que Hugo, un ancêtre du XVIe siècle, a forcé une jeune paysanne dans les marais et qu’un gros chien noir à gueule de feu, semblant tout droit sorti de l’enfer, l’a croqué en commençant par la gorge. Sherlock Holmes est sollicité, ce qui va permettre la lutte entre la raison et l’imagination de prendre de l’ampleur. Tout le sel du roman tient en effet dans ce suspense : la bête est-elle la Bête, ou n’est-elle qu’une bête bête ?
Sauf que l’idée qu’on s’en fait peut elle-même tuer en forçant le cœur à battre trop fort. Les mots tuent, les idées tuent, l’imagination crée ses propres monstres – ce pourquoi le collabo Brasillach fut justement fusillé pour s’être fait un monde nouveau de haine raciale ; ce pourquoi l’Iran des mollahs chiites est pilonné pour fantasme du complot Juif et haine irrationnelle pour sa religion ; ce pourquoi « les piqûres » infligées aux femmes durant les sempiternelles fiestas des Français sont dans 99 % des cas un mythe, corroborées par aucun résultat d’analyse, mais multipliées et amplifiées par les réseaux sociaux dans le mimétisme Mitou qui fantasme sur la « réaction » masculiniste. Ce ne sont que quelques exemples. Comme dans Le Chien des Baskerville, pour y voir clair, il faut que la raison s’impose pour refroidir les délires, et que l’observation des faits prenne le pas sur l’image qu’on s’invente.
Dès le premier chapitre, tout d’intérieur douillet, la canne annonce la lande, l’objet l’aventure. Un visiteur s’est présenté, n’a trouvé personne, a dit qu’il reviendrait. Il a laissé sa canne, sur laquelle Sherlock fait spéculer John avant de corriger ses déductions en fonction de ses observations. La méthode est en acte et ne fera que se perpétuer, malgré les fantasmes. Sir Charles Baskerville est mort au bord de la lande, semble-t-il de peur dit le journal, d’une crise cardiaque après avoir « vu » quelque chose et couru comme un fou. Sir Henry, son dernier frère, le cadet, hérite de la demeure et rentre des États-Unis où il vivait dans les grands espaces. Va-t-il demeurer dans le Dartmoor ? Il se pose la question, ne trouve pas de réponse claire, et vient consulter Sherlock Holmes, dont la réputation n’est plus à faire.
Lequel ne prendra pas la décision à sa place, et demande 24 h de réflexion pour enquêter et poser son conseil. Ce qui survient confirme sa façon de voir : une lettre anonyme à sir Henry, dont les lettres sont découpées dans un éditorial du Times, la disparition de l’une de ses bottines (une seule…) à l’hôtel, l’évidente filature de sir Henry par un barbu en fiacre, montrent que quelqu’un est intéressé à ce que sir Henry renonce. Holmes lui conseille d’y aller.
Mais pas tout seul. Watson l’accompagnera et ne le quittera pas d’une semelle, afin de le protéger mais surtout d’observer, et de rendre compte. Holmes déclare rester à Londres pour régler quelques cas pendants, mais qu’il sera informé de tout par Watson et interviendra si nécessaire. Ainsi fut fait. Watson rédige des rapports, tient un journal, relate les faits. Ce récit décalé permet de ne pas tout dire et au lecteur de chercher à démêler le vrai du faux dans cette histoire. Un nouveau crime se prépare, mais d’où viendra-t-il ? Du forçat évadé qui se cache sur la lande ? D’un voisin un peu trop intéressé ? De celui qui ressemble tant sur un tableau à l’ancêtre Hugo ? De la Bête qui hurle de temps à autre dans le lointain ? Le brouillard sur la lande n’est pas sans rappeler le « brouillard de la guerre » dont on parle souvent ces temps-ci, autrement dit l’incertitude de l’action qui peut tourner dans un sens ou dans l’autre sans qu’on puisse le prévoir.
Roman gothique et roman d’énigme, l’œuvre happe le lecteur. La fin n’est pas celle des films qui ont été tournés, ce qui permet de le lire sans savoir déjà comment l’histoire va finir. Le décor de la lande, mélancolique et lugubre, fait beaucoup pour l’atmosphère. Il stimule l’imagination, au contraire du salon de Londres où brûle un bon feu de cheminée, plus propice à l’exercice apaisé de la raison. Quant au destin des criminels, il est laissé comme toujours aux forces de la nature.
Sir Arthur Conan Doyle, Le chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), 1902, Livre de poche 1988, 256 pages, €3,70
Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00
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