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Open Range de Kevin Costner

L’amour, la mort ; la violence, la liberté ; les grands espaces, se fixer. Tels sont les grands thèmes de ce film exigeant, qui a eu du succès même chez les Yankees, en général assez bas du plafond. Mais il y a les mythes qui agissent toujours : le Pionnier, le Justicier, la Rédemption, la Virilité. Car il y a évidemment une grosse bagarre, des centaines de balles dans un duel à la fin entre les bons et les méchants. Et devinez qui va gagner ?

Le scénario s’inspire du roman de Lauran Paine, The Open Range Men, paru en 1990. Open range, non traduit en français par flemme, signifie prairies ouvertes, autrement dit le droit de passage et de pacage pour tous les troupeaux dans cet immense espace qu’est le nord-ouest américain. La privatisation par un baron du bétail local est donc une tentative de s’approprier ce qui appartient à tous, une dérive de la loi au nom du plus fort. Elle s’oppose au droit et aux libertés – ce dont les machos brutaux et cyniques (ici un « Irlandais » immigré ») se moquent en imposant leur règle. Trompe ne fait pas autre chose, ce qui provoque ces deux mythes américains. D’où l’actualité de cet anti-western où le Pionnier peut dériver vers l’orgueil et se croire Dieu sur sa terre, alors qu’elle a été créée pour tous.

Un éleveur « Boss » Spearman (Robert Duvall) et ses trois cow-boys, Charley (Kevin Costner), le gros Mose (Abraham Benrubi) et l’adolescent de 16 ans John « Button » (Diego Luna, 24 ans) conduisent un troupeau de bovins vers l’ouest en traversant en l’an 1882 les terres du gros fermier qui a absorbé ses voisins par la menace, Denton Baxter (Michael Gambon). Tout irait bien s’ils n’avaient oublié « le café ». Il faudrait en acheter à la ville qu’on vient de passer, avant de poursuivre la route. Button se propose, mais il est trop tendre pour son Boss, d’où son surnom de fleur encore à éclore. Spearman l’a ramassé dans une ville du Texas « il y a quelques années » alors qu’il fouillait les poubelles pour manger. Il en a fait son employé et veille sur lui comme sur un fils adoptif. On apprendra en effet qu’il a perdu sa femme et son fils de 7 ans du typhus, des années auparavant. Il envoie donc plutôt Mose, un ours plutôt gentil avec les gens et qui s’occupe de l’intendance.

Sauf que Mose ne revient pas. Boss soupçonne un incident et part à la ville avec Charley, fidèle et efficace second. Ils laissent le gamin garder le chariot et surveiller les bêtes. Mose a été fourré en prison après avoir été tabassé pour avoir, selon la version officielle, déclenché une bagarre dans l’épicerie avec les hommes de Baxter. Il les a bien assaisonnés, cassant même le bras droit du tueur psychopathe de Baxter. Le Marshall Poole (James Russo) réclame par provocation 50 $ pour chaque infraction, s’ils veulent le libérer, ce qui ne plaît pas à Boss. Mais il négocie au lieu de tenter de régler la chose par la force. Baxter veut montrer qui est le patron en ville et y consent, mais à ses conditions : qu’ils quittent le pays avec leur troupeau avant la nuit. Sinon, il lâchera ses chiens et leur troupeau sera dispersé. Mais Mose a été salement amoché, et les deux hommes doivent le conduire chez le docteur Barlow (Dean McDermott) qui vit avec une femme dans leur petite maison bien entretenue. Charley croit que c’est sa femme ; il apprendra plus tard que c’est sa sœur. Il en tombe amoureux et se déclarera avant la grosse bagarre, croyant ne pas en revenir.

Ils retournent au chariot avec Mose, soigné mais faible sur son cheval, mais ne peuvent quitter le camp à la nuit. Ils sont donc menacés par les sbires de Baxter, qui avancent masqués comme des malfrats du Ku Klux Klan, s’abritant derrière cet anonymat pour perpétuer leurs forfaits. Boss, qui connaît bien ce genre de gang, les surprend à la nuit avec Charley, les désarme et en tabasse un ou deux de ceux qui ont blessé Mose. Pendant ce temps, d’autres sbires ont attaqué le chariot, tué Mose d’une balle dans la tête et blessé sérieusement l’adolescent Button d‘une balle dans la poitrine avant de le frapper violemment sur le crâne. Ils ont tué même le chien, Tig, au nom de grand-mère Costner. C’est le tueur au bras cassé qui s’en est chargé, il « a eu du plaisir », dira-t-il.

Pas question donc de lever le camp, il faut attendre le matin et, si Button survit, le porter avec le chariot chez le docteur, et régler cette affaire de meurtre avec Baxter. Charley est un ancien soldat de l’Union qui a servi dans un commando spécial derrières les lignes, pendant la guerre de Sécession, et il est devenu en quelques mois un tueur sans scrupules. Il s’en repend, surtout en observant son Boss et ami qui négocie avant de tirer et qui est bienveillant avec les gens, dont le jeune Button. Mais il faut parfois tuer pour défendre ses droits, et affronter l’ennemi pour gagner sa liberté. Boss en est d’accord : ni Mose, ni Button n’avaient rien fait qui justifie leur massacre sous le nombre, alors qu’ils ne pouvaient même pas se défendre.

Ils confient Button à la maison du médecin, qui est parti soigner les sbires de Baxter amochés par eux hier soir. Ce sera Sue Barlow (Annette Bening) qui s’en occupera, comme une infirmière et une mère. Elle voit bien comment Boss se comporte avec le gamin et l’en apprécie pour cela. Aidés par Percy (Michael Jeter), un vieux gardien des chevaux, ils surprennent les hommes de main du Marshall et les chloroforment, à l’aide d’une bouteille prise dans la vitrine du docteur, avant de les enchaîner en cellule. Boss ne veut pas les tuer. Mais Baxter les délivre et décide d’affronter les deux hommes pour les descendre, montrant qui est le patron sur cette terre. Il ne sait pas que c’est Dieu, mais va très vite s’en rendre compte. Le Seigneur, ce « salopard qui n’a rien fait pour défendre Button », grommelle Boss, change de camp et donne l’avantage à Charley. Il descend dès les premiers coups le tueur psychopathe d’une balle dans la tête, et les deux plus dangereux sbires d’une autre balle chacun dans le buffet. S’ensuit une mêlée générale, avec plus de coups que n’en contiennent les revolvers de l’époque, malgré les rechargements incessant à l’abri d’un mur de planches.

En bref, tout le monde est tué, surtout Baxter qui n’a rien voulu savoir, menaçant une fillette avant de prendre en otage Button qui s’est levé pour participer à la justice et Sue qui l’a suivi. Charley finit par le descendre. Mais, lorsqu’il veut achever un sbire blessé qui rampe dans la boue, afin « qu’il ne lui tire pas dans le dos », Boss s’interpose. Tuer pour la justice, ça va, en faire trop, ça ne va plus. Charley se maîtrise.

Il en a marre de tuer, sans cesse les méchants resurgissent. Il désire, en fin de trentaine, se fixer et Sue serait une épouse idéale. Il s’est déclaré, elle l’a accepté. Mais il se pose des questions : cette violence en lui, ne va-t-elle pas lui faire peur ? Au contraire, dit-elle, et elle suggère à mots couverts que cette virilité lui plaît ; elle réussira à la dompter. Boss et lui vont donc achever leur mission de conduire le troupeau à bon port, avant de revenir et de s’installer dans la ville. Le bar n’a plus de gérant, tué dans la bagarre, et Boss se voit bien le racheter ; quant à Charley, il se voit bien marié avec Sue et, peut-être, faire l’éleveur, ou le Marshall non vendu aux puissants.

C’est un film assez fort, où les femmes ne sont pas oubliées comme souvent dans les westerns. Sue a une vraie personnalité, qui tempère le machisme lorsqu’il entre en ébullition. La femme de l’aubergiste aussi, qui entraîne les citadins apeurés à sa suite pour traquer les derniers tueurs. Mais il remue surtout les grands mythes américains, ce pays de pionniers né dans la violence, et où chacun veut s’affirmer. Non, la puissance ne vas pas uniquement avec la richesse, elle est plutôt intérieure : dans les convictions morales et la volonté virile.

DVD Open Range, Kevin Kostner, 2003, avec Annette Bening, Kevin Costner, Robert Duvall, Diego Luna, Michael Gambon, Michael Jeter, Fox Pathé Europa 2005anglais, français, 2h19, €29,00, Blu-ray €23,08

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Jules Roy, Le navigateur

Jules Roy a été commandant de bord dans le groupe de bombardement Guyenne de la Royal Air Force dès 1942, effectuant 36 missions de nuit, surtout sur la Ruhr où se trouvaient les usines allemandes d’armement. Après La vallée heureuse (chroniquée sur ce blog – lien ci-dessous), il conte dans Le navigateur le dilemme des hommes dans l’équipe.

Le narrateur est lieutenant, navigateur en bombardier, l’équivalent d’un GPS humain. A lui de calculer la route, de donner le cap au pilote compte-tenu de la mission, des vents, de la défense aérienne – et des autres avions. C’est une mission délicate, autant que piloter ou observer. Nul n’est jamais à l’abri d’un danger, dont l’ennemi est le principal, mais pas le seul.

C’est ainsi que le Navigateur Ripault se retrouve, au retour d’une mission de nuit, à sauter en parachute à 1500 pieds (soit 457 mètres). Pris par la Flak ? Descendu par la chasse allemande ? Même pas… Heurté en-dessous par un autre bombardier ami ! Le pilote ne l’a pas vu, ses mitrailleurs ne l’ont pas alerté, son navigateur a mal calculé la trajectoire d’approche. L’avion craque, le pilote dit « sautez », mais lui ne saute pas. Les autres, tétanisés, non plus. Le Navigateur se retrouve seul survivant, la tête dans la terre sur un champ de betteraves.

Mais il est en Angleterre, pas dans la mer ni sur le territoire ennemi. Il s’aperçoit qu’il est près de sa base. Il marche jusqu’à une maison, sonne, une jeune femme vient lui ouvrir, à peine réveillée, en peignoir. Il est invité à entrer et s’écroule sur le divan, une bonne tasse de thé à la main. Il est assommé par ce qui vient de lui arriver, si soudain, si imprévu. Aucun de ses camarades n’a survécu, l’avion brûle dans un tas de ferraille tordue.

Elle téléphone à la base, on vient le chercher. Les camarades, dont un capitaine ami surnommé l’amiral parce qu’il vient de la Marine française, lui tapent dans le dos, le réconfortent. Mais son commandant d’escadrille Lucien, mauvais officier, ambitieux et jaloux, ne lui accorde aucune permission de repos pour se remettre psychologiquement. Il le met d’office sur le tableau des bouche-trous.

Lorsque le Navigateur refuse deux jours plus tard une mission avec Raumer, un mauvais pilote qui n’a que des ennuis, il refuse, prétextant être malade. Le médecin, appelé, confirme qu’il a besoin de se remettre du choc, mais il a refusé la mission avant de le voir et son commandant lui colle une punition de 8 jours. Ripault refuse de signer. Il n’est pas écrit pourquoi il a refusé et ce n’est pas honnête ; ce papier le suivra dans son dossier, autant être vrai.

L’avion de Raumer ne revient pas de la mission. Sur la base, les hommes croient qu’il lui a porté malheur. S’il avait été navigateur dans son bombardier, peut-être n’aurait-il pas été descendu. Peut-être – mais qui sait ? Ripault en est vexé, en plus d’être écœuré par la mesquinerie de son commandant. Ce pourquoi, lorsqu’il entend la rumeur que le pilote Lebon « ne voit pas les lumières de la piste » lorsqu’il rentre de mission, il se propose de l’assister en tant que navigateur-adjoint, pour le guider. Le pilote a peur, ce pourquoi il somatise. Mais cela, la hiérarchie ne l’admet jamais. Les hommes se doivent d’être des soldats robots qui obéissent aux ordres.

Ce n’est pas l’avis de Ripault, qui vit avec eux dans l’équipe de bombardement et qui connaît les héroïsmes et les faiblesses de chacun. Aller à la mort avec deux chances sur trois d’en réchapper seulement, mérite le respect. Ce pourquoi il se dévoue pour aider la mission, même si cela doit être la dernière. De fait, elle le sera.

Cette tragédie, contée sobrement, rappelle Kessel dans L’Équipage, ou Saint-Exupéry dans Pilote de guerre. Elle dit le dévouement des hommes, coupés de leurs racines terrestres et amoureuses, solitaires mais solidaires, voués à mourir mais pas avant d’avoir fait le mieux possible pour la mission qui leur a été assignée. Un roman oublié, mais vrai.

Sorti de l’armée colonel, l’auteur sera journaliste de guerre, puis écrivain. Le président François Mitterrand l’a élevé en 1990 au grade de grand-croix de la Légion d’honneur.

Prix Prince-Pierre-de-Monaco 1954

Jules Roy, Le navigateur, 1953, Livre de poche 1968, 160 pages, €6,99

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La canonnière du Yang-Tsé de Robert Wise

En 1926, une canonnière américaine évolue sur le fleuve Yang-Tsé Kiang pour protéger les intérêts américains, et notamment les missionnaires. Ceux-ci sont idéalistes et aveugles ; ils croient que les relations personnelles pourront les protéger des seigneurs de la guerre comme de la guerre civile entre nationalistes de Tchang Kaï-chek et communistes de Mao Tsé Toung. L’histoire est arrangée pour la gloire yankee, l’histoire réelle est celle des Britanniques contre un seigneur de la guerre du Sichuan dans la région des Trois Gorges cette même année, restée sous le nom d’incident de Wanhsien. S’y colle une histoire d’amour entre un matelot et une sino-américaine, devenue pute par nécessité dans un bordel fréquenté par les marins européens.

Avec le recul, on reconnaît bien là l’impérialisme yankee, sous des dehors de liberté démocratique. Les Chinois sont des coolies, embauchés pour quelques « grattes » afin de faire tout le sale travail du bateau : la cuisine, pelleter le charbon, huiler les machines, le ménage et la lessive. Les Yankees sont les maîtres qui ordonnent et surveillent – pas besoin de faire la guerre de Sécession pour régresser jusque là. Le trublion est le maître de première classe Jake Holman (Steve McQueen), transféré sur le San Pablo (prononcé sand peebles ou galets de sable, d’où le titre américain du film). Lui n’a pas cette habitude d’être servi et entend faire bien son métier en surveillant la machine. Les coolies sont des exécutants, des « singes » qui imitent ce qu’ils ont vu faire, pas des mécaniciens qui comprennent le fonctionnement. Ce pourquoi il va examiner les fonds, puis détecte un jeu dans une bielle qui pourrait mettre en danger la marche du bateau. Le coolie chef nommé Chien (ce qui fait drôle en français…) en perd la face ; il veut se rattraper en réparant et meurt écrasé. Jake, cumulant la réprobation des flemmards esclavagistes blancs et des coolies chinois, est réputé porter malheur.

Le capitaine (Richard Crenna) lui ordonne de former un nouveau coolie chef et Holman choisit Po-Han qui a l’air plus vif que les autres (Mako, d’origine japonaise, d’où sa musculature). Mais sa familiarité avec le Chinois indispose le Yankee de base, en la personne du gros brutasse macho « plouc des collines » Stawski (Simon Oakland). Tous font des paris sur qui pourrait l’emporter du coolie ou du marin. Malgré une boxe ridicule de Po-Han, celui-ci est encouragé par Holman et finit par frapper fort où il faut : dans le bide gras. Le racisme yankee n’en est que plus fort, et englobe Jake qui a soutenu son poulain. Le chef des chefs coolie, car la Chine est très hiérarchique, veut se faire bien voir de l’équipage et envoie Po-Han à terre lors d’une escale où les nationalistes sont virulents. Ils l’attrapent et, sous les yeux de l’équipage tout entier, le soumettent à la torture des Cents morceaux ou lingchi, ce qui consiste à couper des tranches de muscles sur la poitrine jusqu’à ce que mort s’ensuive. Malgré les ordres du capitaine de ne surtout pas tirer pour éviter l’incident diplomatique, Holman désobéit et achève d’une balle de miséricorde son ami qui hurle qu’on l’achève.

L’impéritie du capitaine fait que le San Pablo reste ancré sur la rivière Xiang à Changsha, parce que le niveau de l’eau est trop faible pendant l’hiver. Une foule hostile l’entoure dans de petites jonques mais laisse aller à terre le canot qui porte les dépêches au consulat. Comprenne qui pourra. C’est alors que débute une histoire d’amour entre le marin Frenchy (Richard Attenborough) et une métisse sino-américaine qui parle bien le yankee. Maily (Marayat Andriane, alias Emmanuelle Arsan, autrice immortelle du film porno chic Emmanuelle) est une belle prostituée que tous les Blancs réclament car elle fait moins chinoise que les autres. Elle a des dettes que Frenchy veut rembourser pour la sauver. Mais de gros porcs trafiquants, évidemment yankees, surenchérissent pour la foutre à poil devant tous. Une bagarre éclate, durant laquelle Frenchy, aidé de Jake, enlève la belle pour la mettre en lieu sûr. Il quitte régulièrement le bateau à la nage pour la voir et l’épouser, car les permissions sont interdites, mais le capitaine ferme les yeux. Comme c’est l’hiver, Frenchy attrape une pneumonie et finit par mourir dans le lit de Maily. Les Chinois, qui n’attendaient que cela pour provoquer un incident, cassent la gueule à Holman, tuent la métisse enceinte d’un bâtard blanc, puis accusent le marin de l’avoir tuée. Un procédé typiquement stalinien que Poutine reprend aujourd’hui sans vergogne. Le capitaine refuse de le livrer, malgré l’équipage qui l’exige.

Le capitaine est un officier faible, pris entre des ordres contradictoires. Les États-Unis doivent rester neutres dans la guerre civile, mais défendre les ressortissants américains. Ils ne doivent pas tirer, sauf pour défendre un citoyen américain et, bien-sûr, il y en a partout : des diplomates et leur famille, des commerçants et trafiquants, des missionnaires. Il doit évacuer tous les ressortissants en cas de danger immédiat, ce qui implique les évangélisateurs, même s’ils sont assez naïfs et stupides pour « croire » qu’ils ne risquent rien. D’où les errements du commandement, les ordres non exécutés sans aucune suite disciplinaire, l’indulgence coupable de l’officier envers l’équipage en rébellion. Le capitaine croira se racheter en se sacrifiant in fine pour défendre deux imbéciles qui refusaient sa protection, mais il ne fera que s’enfoncer dans une conception absurde de « l’honneur », complètement inefficace. S’exposer en pleine nuit en uniforme blanc n’est en effet pas très militaire ; s’exposer à découvert avec un fusil face aux murs où se dissimulent les tireurs non plus ; abandonner son navire au nom de l’honneur encore moins.

Jake, Frenchy, le capitaine, les marins, désobéissent aux ordres, en égoïstes typiquement yankees qui font passer leur intérêt personnel avant celui du bateau, de la mission, du pays. Aussi leur respect du « drapeau » apparaît-il grotesque. Est-ce une réaction à la guerre du Vietnam qui fait rage en 1966, lors du tournage du film ? Est-ce plutôt par déni de la réalité et la croyance ancrée en leur « mission », sans aucun souci des conséquences ? Trompe est aujourd’hui la caricature de ce comportement tellement yankee. Maily et Frenchy sont morts, le capitaine est tué, le missionnaire est tué (Larry Gates), l’ami milicien des missionnaires est tué avec tout un tas de Chinois, Jake Holman est tué – se demandant ce qu’il est venu foutre dans cette galère : beau bilan de la mission !

Un film très long, avec un début entièrement noir durant plusieurs minutes et un « intermission » (interlude) au milieu – ce qui est assez ridicule en DVD, convenons-en. Heureusement, Steve McQueen est un personnage de héros tranquille, qui suit son chemin sans en dévier dans le marigot des bourrins yankees, des intrigues à la chinoise et de la faiblesse du commandement. Les paysages, tournés à Taïwan (sur la rivière Keelung) et à Hong Kong (alors indépendant), sont de toute beauté, et le grouillement demi-nu de la foule chinoise bien rendu.

DVD La canonnière du Yang-Tsé (The Sand Pebbles), Robert Wise, 1966, avec Richard Attenborough, Richard Crenna, Candice Bergen, Emmanuelle Arsan, Steve McQueen, ‎20th Century Studios 2002,doublé français, anglais, italien, 2h55, €2,33, Blu-ray 2008, €16,71

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Jean Lartéguy, Enquête sur un crucifié

Notre époque a oublié la précédente, pourtant fertile en bouleversements du monde. La Seconde guerre mondiale et la Résistance, la décolonisation, les combats contre le communisme en Asie, contre les révolutions en Amérique latine, le journalisme d’investigation. Lucien Osty dit Jean Lartéguy, neveu du chanoine Osty qui traduisit la Bible qu’on lit encore, a vécu tout ce siècle. Né en 1920, il a été militaire, évadé, capitaine décoré, correspondant de guerre, écrivain, papa de deux filles. Il a écrit des récits, mais aussi des romans à propos de ce qu’il a vécu.

Enquête sur un crucifié évoque le Vietnam en 1970, envahi par une armée américaine de drogués et de hippies qui se reposait sur la grosse technologie du bombardement à haute altitude. Des guerriers, les Yankees ? De pauvres loques, manipulées par l’idéologie à la mode dans les campus, et par des stratèges en chambre au Pentagone. Où s’est-elle enlisée, la Mission de sauver le monde de la dictature froide des nouveaux curés rouges ? Dans l’héroïne, les putes à quelques piastres et les gamins orphelins qui se vendent avec plaisir pour survivre… L’époque de libération sexuelle semble littéralement obsédée par baiser les très jeunes ; l’auteur le relate, un brin dégoûté. Il faudra attendre quarante ans pour que cela devienne un délit moral et un crime puni par la loi.

L’auteur met en scène trois « jeunes hommes déboussolés qui se jettent dans les guerres en les haïssant, dans les dangers en les redoutant. Et, un jour, meurent où disparaissent sans que personne, même pas eux, ait connu les raisons qui les avaient poussés à se conduire de la sorte. » C’est le Christ, Ron Clark, flanqué de ses deux larrons, le drogué Jockey et le mercenaire Max. A trente ans, ils seront tous les trois exécutés par les Vietcongs, au Cambodge, dans l’affolement d’une retraite précipitée sous la poussée sud-vietnamienne.

Le juriste banquier neutre Hans Julien Brücker, est chargé par sa banque suisse de prouver que Ron est mort ou vivant. Il a pour le moment simplement « disparu » comme journaliste cameraman de la CBS, avec ses deux compagnons. Sa femme Andrea, comtessa italienne de pacotille, qui adore baiser avec n’importe qui et si possible avec deux éphèbes à la fois, voudrait bien qu’il soit déclaré mort pour toucher le pactole de sa fortune, alors qu’ils étaient en instance de divorce. Mais Ron n’a rien signé et la banque suisse, qui tient à garder les millions dans ses coffres, fait tout pour rechercher une preuve qu’il est encore vivant. Brücker est envoyé à la recherche d’une preuve.

C’est une véritable enquête de personnalité, qui le conduit tout d’abord aux États-Unis pour y rencontrer le père de Ron, un acteur américain célèbre, Edwin Clark, le double d’Errol Flynn dont l’auteur s’est inspiré (le Fletcher Christian du film Bounty de Charles Chauvel en 1933). Errol Flynn, comme Edwin Clark, était un homme à femmes, surtout mineures, à fêtes et à cuites. Pour les 18 ans de son fils Ron, Edwin Clark lui offre une pute de 15 ans sur un plateau, s’attendant à ce qu’il la prenne sur le champ, devant tous, comme c’était l’usage. A peine sorti de son collège suisse, l’adolescent est écœuré, mais June s’accroche à lui et le dissuade de mettre fin à ses jours. Ron a une demi-sœur, Sabrina, tout aussi paumée que lui, qui le recueille à Londres. Il va la quitter lorsqu’il rencontrera Andrea, trop belle pour lui, qui s’attachera comme une sangsue, profitant des dollars pour assouvir ses passions comme celle de son frère pédé et de son ami, fort amateur de petits garçons de Madère. Les années soixante avaient tellement désorienté les Yankees qu’ils avaient jeté toute morale et tout simple bon sens aux orties, contaminant le reste du monde occidental de leur argent et de leur tout-est-permis. Ron, élevé en Europe selon des principes calvinistes, en est révulsé.

Il n’aura de cesse de se plonger dans les aventures les plus extrêmes pour se prouver que l’argent qu’il a ne fait pas tout, qu’il existe en tant qu’homme, et qu’il peut témoigner des horreurs de la guerre. Les massacres à la bombe, mais aussi les trahisons, la drogue, les trafics, la prostitution. Cette mission personnelle lui sera fatale, lui qui rêvait, comme le Christ, de changer le monde. L’auteur se délecte à calquer la vie de Ron sur celle de Jésus, avec son faux père Erwin, June en Marie-Madeleine, Sabrina en sœur de Lazare, et les deux larrons. Manquent cependant son saint Jean et ses disciples.

Dans ce monde des années soixante où tous trichent et trahissent, où les religions et la morale ont disparu dans les petits intérêts commerciaux et doctrinaux, la vertu personnelle est la seule qui vaille. De même que Ron, le fils d’Edwin Clarck, Sean, le fils d’Errol Flynn, a lui aussi été porté disparu le 6 avril 1970, capturé par l’Armée populaire vietnamienne alors qu’il circulait sur les pistes du Cambodge en moto Honda. Et exécuté sans délai ; on relate aussi deux prêtres crucifiés comme leur Christ par les athées adeptes du petit Livre rouge.

Un beau roman d’aventure sous couvert d’une enquête quasi policière, qui fait se ressouvenir de cette époque tragique du jeu des puissances et de la tectonique des plaques idéologiques, au moment où un noveau mouvement des plaques se propage. Un livre introuvable sauf en recueil Omnibus, mais qui replace la grande histoire dans les esprits humains.

Jean Lartéguy, Enquête sur un crucifié, 1973, Flammarion, 507 pages, occasion €3,99

Jean Lartéguy, Le mal d’Indochine : Enquête sur un crucifié, L’adieu à Saïgon, Les naufragés du soleil, Le Gaur de la Rivière noire, Le cheval de feu, Le baron céleste, Omnibus 1976, €10,74

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Georges Coulonges, Pause-café

La série popu de la télé aux trois chaînes en 1981 est aussi – et surtout – un roman de Georges Coulonges. Il est rempli d’ironie et d’humour sur l’époque, la jeunesse, les adultes post-68 qui se cherchent comme des ados déstabilisé, tandis que « le Système » perdure en ses routines administratives.

Joëlle Mazart est une assistante sociale, nouveau métier de services qui monte. Elle a 22 ans et vient de sortir de l’école avec l’enthousiasme de sa mission et le bulldozer de ses convictions qu’il y a toujours quelque chose à tenter. Elle est proche des élèves par l’âge et les goûts un brin vulgaires, curieuse de nouveautés. Elle ne tarde pas à se faire appeler par eux « Pause-café » parce qu’elle en offre une tasse à qui vient dans son bureau.

Les élèves de lycée, entre 15 et 20 ans, sont à l’âge hormonal. Ils se cherchent, se flairent, se blessent. En conflit avec les parents souvent parce que ceux-ci ne les écoutent pas, ne font pas attention à eux, sont empêtrés dans leurs problèmes de couple, de boulot ou de salaire. A commencer par le proviseur, dont le fils le décrit comme flic pour se faire remarquer. Un fils d’ingénieur aimerait devenir trapéziste et, malgré ses facilités, accumule les mauvaises notes en physique. Un autre est obsédé parce qu’il n’a jamais baisé et qu’aucune fille ne veut de lui, surtout lorsqu’il leur propose tout à trac. Une fille est triste que son petit-ami ne la regarde plus parce qu’elle est obligée de garder un corset durant deux ans.

Ce sont de petits drames du quotidien, mais monstrueux à cet âge. Il y a pire : Une fille se fait chercher par son beau-père, qui aimerait bien la violer ; elle fugue et ne veut pas rentrer. Une autre s’est naïvement fait baiser et le compagnon de son âge est prudemment reparti en Tunisie ; elle doit se faire avorter, ce qui demeure interdit par la loi. Elle accouche donc dans les toilettes du proviseur au lycée.

Joëlle se préoccupe de tous ces problèmes comme s’ils étaient les siens. Au détriment de sa vie intime. Son compagnon, le censeur, accepte mal de devoir coucher sur le canapé parce qu’elle a recueilli une âme en peine, ou de subir le violoncelle du jeune qui ne peut pas jouer chez lui, ou encore « la fête » anniversaire qui laisse un tas de bouteilles vides et de mégots partout. Mais les jeunes sont drôles et n’hésitent pas monter des bateaux ou à subvertir les noms des profs qu’ils n’aiment pas. Ainsi le professeur Doche se fait surnommer Label ou Labide (à cause de la belledoche ou de la bidoche).

Les problèmes des années 70 – mes années lycée – n’ont pas grand-chose à voir avec les problèmes actuels : pas de bandes, peu de drogue, pas de prosélytisme religieux, pas de racisme car peu d’immigrés de couleur encore. Mais le système reste rigide, ancré en castes professorales, et les administrations se font rivales : l’assistante sociale dépend du ministère de la Santé et pas de celui de l’Éducation nationale.

Reste une tendresse pour la jeunesse, une attention portée aux oisillons qui tentent leurs premiers pas hors du nid, et l’activisme roboratif d’une assistante sociale qui ne sait pas mieux que vous, contrairement à beaucoup de celles d’aujourd’hui, ce qui est le mieux pour vous. Un bon roman qui se lit avec bonheur et qui rappellera leurs jeunes années aux retraités d’aujourd’hui.

La série en DVD intéressera les nostalgiques, la saison 1 est visible sur Dailymotion, mais j’avoue être agacé par la façon de parler de Véronique Jannot. Le chanteur Marc Lavoine y a débuté sa carrière.

Georges Coulonges, Pause-café, 1980, Livre de poche 1997, 317 pages, occasion €0,91, e-book Kindle €7,49

DVD Pause-café l’intégrale (3 saisons), Serge Leroy, avec Véronique Jannot, Jacques François, Georges Werler, Jacques Bachelier, Odile Michel, LCJ Editions & Productions 2007, 5h12, €34,19

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Le Bounty de Roger Donaldson

Bien qu’il s’agisse d’un film des années Mitterrand et de la gauche au pouvoir, je ne peux m’empêcher de songer à la blague du curé en train de confesser une matrone, et qui demande à un enfant de chœur quelle était le tarif que donnait l’ancien curé pour une pipe. Réponse du gamin, blasé : Oh, un bounty ! En anglais, c’est une « prime ». Ce Bounty-là est un bateau mais enrobé lui aussi de sexe.

Le Bounty est un trois-mâts charbonnier enregistré par la Navy comme cotre ; il est donc commandé par un lieutenant de vaisseau sans autre officier, pas par un capitaine avec officiers et détachement de fusiliers. Le lieutenant William Bligh (Anthony Hopkins), né à Plymouth en 1754, avait 33 ans au départ en 1787, marié, deux fillettes, lorsqu’on lui confie la mission « humanitaire » de ramener de Tahiti des arbres à pain en pot pour les acclimater en Jamaïque afin de nourrir les esclaves. Il a connu Fletcher Christian 23 ans (Mel Gibson – 28 ans au tournage), lorsqu’il était capitaine de commerce du Britannia et lui propose comme ami de venir avec lui. Son équipage de 46 hommes est composé du maître navigateur John Fryer, du chirurgien (alcoolique), de l’artilleur et du charpentier, plus deux seconds maîtres et deux aspirants de 15 ans.

Au siècle des Lumières, une belle aventure de mer avec une mission botanique : voilà qui devrait enthousiasmer un équipage jeune. Las ! La pruderie religieuse et la discipline de mer de la Navy allait la transformer en enfer. Bligh est le seul maître à bord après Dieu, il décide des châtiments devant tous et n’hésite pas à humilier qui le défie. Un peu de pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Quant au frustrations sexuelles, à peine exsudées par l’homoérotisme du bizutage des jeunes au passage de la Ligne, elles se révèlent au grand jour une fois arrivé à Tahiti.

Après avoir tenté durant 80 jours (le temps d’un tour du monde à la Jules Verne !) de passer le Cap Horn qu’il avait abordé trop tard du fait des retards d’ordres de l’Amirauté (de vrais bureaucrates imbus d’eux-mêmes), l’équipage est épuisé et empli de ressentiment avec les caprices du chef à bord. La danse, sain exercice qui devrait les divertir, est devenue obligatoire, avec chiens de garde exigeant de lever plus haut les genoux ; elle s’est transformée en devoir, voire en punition.

Ce pourquoi les cinq mois de relâche à Tahiti le 26 octobre 1788 pour empoter les arbres à pain, après 27086 milles marins de navigation, sont perçus comme un paradis dans la baie de Matavai au nord de l’île. Les filles sont quasi nues, ne portant qu’un vague pagne de feuilles de palmier sur le sexe, et peu farouches, désireuses mêmes de prendre du plaisir. Les cérémonies envers les dieux font même de la copulation une offrande et une fête collective. 18 officiers et marins dont Christian, qui a fini par tomber amoureux de la fille du chef (Tevaité Vernette), ont été traités pour des maladies vénériennes. Fletcher Christian, les aspirants et la plupart des jeunes marins ont ôté leur chemise, baisent à tout va, arborent des colliers de coquilles ou se font tatouer.

Le travail comme la discipline s’en ressentent, faisant monter la pression du capitaine soucieux de sa mission comme du bon ordre de la marine et comptable de la Morale. Il ne tarde pas à sévir, faisant fouetter au sang les plus rétifs. Trois s’évadent une nuit, mais finissent par revenir, rejetés par les indigènes ; ils sont à nouveau fouettés. Bligh n’a pas même envisagé que cinq mois hédonistes rendraient insupportable la discipline de fer que sa névrose obsessionnelle le poussait à rétablir dans toute sa rigueur. Son zèle fanatique sur la propreté du navire reflétait probablement une jalousie punitive envers la « saleté » qu’est pour lui liberté sexuelle et vestimentaire de Fletcher Christian, second qui donnait à son avis le mauvais exemple à tout l’équipage, jusqu’aux élèves-officiers de 15 ans. Sans compter peut-être une attirance très marine pour sa jeunesse vigoureuse et imberbe.

La mutinerie contre un tel tyran devenait inévitable. Christian n’était pas officier de la Navy mais venait des navires de commerce. Sa conception du devoir n’était donc pas de principe mais fondée sur l’efficacité pragmatique. Le 28 avril 1789 dans la nuit, à environ 30 milles au sud de l’île de Tofua, Christian décida de chasser le capitaine et ceux qui voudraient le suivre – mais sans tuer personne. Il plaça les 19 sur une chaloupe envoyée à la dérive avec cinq jours de nourriture et d’eau, un sextant, une boussole et une boîte à outils.

Bligh a réussi à rallier le port de Coupang dans les Indes néerlandaises sur la côte du Timor après des semaines de navigation éprouvante. Rapatrié en Angleterre le 14 mars 1790, il a été jugé, ce que le film présente avec les moments évoqués en flash-back. Il sera acquitté pour avoir fait respecter l’ordre, malgré sa rigueur, et avoir sauvé ceux de sa chaloupe, faisant preuve d’un caractère exceptionnel. Il finira vice-amiral en 1814 et mourra à 63 ans en décembre 1817.

Quant aux mutins, ils sont retournés à Tahiti, Fletcher Christian pour retrouver et emmener sa femme, les autres pour en enlever par traîtrise. Certains désirent rester ; ils seront capturés par la Navy et jugés pour mutinerie, trois seront pendus. Devenu capitaine et navigateur du vaisseau, Christian a réussi à trouver le 15 janvier 1790, après plusieurs mois, l’île Pitcairn à 2 200 kilomètres à l’est de Tahiti. Les mutins brûlent leur vaisseau pour ne pas se faire repérer et empêcher quiconque de fuir pour dénoncer leur repaire. Il semble que la situation ait ensuite dégénéré en septembre 1793 par une série de meurtres de mutins par les Tahitiens (dont Christian, blessé par balle et achevé à la hache), lesquels ont été par la suite tués par les veuves des mêmes mutins. Le fils de Christian a survécu et a donné des descendants. L’île fut retrouvée 18 ans après par un baleinier américain mais la Navy n’avait plus personne à juger.

Le réalisateur Roger Donaldson se fonde sur le roman de Richard Hough, Captain Bligh and Mr. Christian (e-book Kindle), qui fait une relation nuancée des protagonistes. Il n’y a pas le tyran d’un côté et les flemmards de l’autre, la vareuse collet monté d’un côté et le torse nu de l’autre, mais un choc de situations et l’incapacité manifeste de Bligh comme de Christian de tenter de comprendre son vis-à-vis. La domination hiérarchique écrasante empêchait tout compromis, avec la justification ultime du Règlement de marine et de la Bible. Reste que passer d’une grande liberté à la contrainte disciplinaire est difficile et demande du doigté : sur les navires, mondes clos, comme en politique…

DVD Le Bounty (The Bounty), Roger Donaldson, 1984, avec Mel Gibson, Anthony Hopkins, Laurence Olivier, Edward Fox, Daniel Day-Lewis, MGM 2003, 2h06, €21,38, Blu-ray €18,90

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John Le Carré, Le chant de la mission

Le personnage principal du roman est une originalité. Bruno Salvador – Salvo – est le « fils naturel d’un bouseux irlandais devenu missionnaire catholique et d’une villageoise congolaise dont le nom a disparu à jamais dans les ravages du temps et de la guerre » p.11. Son père meurt lorsqu’il a 10 ans et les autres ne le reconnaissent pas, voyant en lui un « enfant secret », à cacher aux autorités ecclésiastiques. Auprès des domestiques, il s’initie aux multiples langues et dialectes du Congo oriental et, auprès les pères blancs tous sodomites, à l’inversion due à sa beauté métisse. Déclaré au consul anglais de Kampala, il est reconnu citoyen britannique et envoyé dans « une pension pour orphelins catholiques mâles d’origines douteuses » p.19. Le frère Michael s’intéresse à lui, fraternellement et charnellement, et se réjouit de son don des langues : « Y a-t-il plus grande bénédiction, mon cher Salvo, que d’être la passerelle, l’indispensable maillon entre les âmes pécheresses de Dieu ? s’écria t-il en trouvant en l’air d’un poing noueux, tandis que l’autre main fourrageait honteusement sous mes vêtements » p.20.

Salvo fait des études, passe des diplômes, devient donc interprète. Il ressemble « davantage à un Irlandais bronzé qu’à un Africain pâlot » p.12 et se fait accepter par la « bonne » société, jusqu’à épouser Pénélope, gosse de riche et journaliste talentueuse de la presse à scandale. La fille prend le nègre plus comme sex-toy que comme amoureux, faisant la nique à sa famille collet monté ; mais elle initie Salvador au sexe hétéro, avec talent. A 29 ans, le Royaume-Uni multiculturel lui est offert, ses talents de polyglotte africain mis au service secret ou discret de Sa Majesté – la différence entre les deux n’est qu’une nuance.

Et le voilà convoqué à une réunion discrète dans une maison cossue mais anonyme de Londres, auprès de gens qui lui sont presque tous inconnus. Sa mission : durant un week-end sur une île du nord, traduire les propos de chefs de milices au Kivu, partie orientale du Congo qui borde le Rwanda entre autres. Il s’agit de provoquer un énième putsch pour s’approprier pour six mois les richesses minières – et ensuite qu’ils se débrouillent. C’est la volonté d’un Syndicat anonyme de capitalistes et de politiciens, dont un conseiller de gauche New Labour, un ancien ministre africain et un lord de droite réputé incorruptible.

Salvo quitte la réception où sa femme drague ouvertement son patron de presse, est embarqué pour deux jours sur l’île et joue les intermédiaires entre les langues parlées. Mais pas seulement : sa mission est aussi d’écouter les propos off des personnages en privé, tous les lieux étant sonorisés par une équipe aguerrie, y compris le jardin. Ce qu’il découvre est la triste réalité d’un Congo en proie aux intérêts privés des tribus et des milices qui se moquent du peuple et du pays du moment qu’ils peuvent piller et violer à volonté. Honoré Amour-Joyeuse, dit Haj, élevé à la Sorbonne à Paris, est le plus affairiste et le plus retord du lot.

L’interprète en est tout chamboulé, la mission idéaliste qui lui a été présentée se révèle bassement intéressée, en concurrence avec d’autres intérêts américains et libanais. Amoureux depuis peu d‘une infirmière congolaise, Hannah, mère d’un fils de 10 ans resté au Congo chez sa tante en attendant d’amasser le pécule nécessaire à son établissement avec sa mère, Salvo va définitivement changer de vie – et même de peau. Il n’est pas anglais et a été utilisé autant par sa femme blanche que par ses patrons affairistes ; il se retrouve congolais.

Il passe du demi-blanc au demi-noir, préférant la justice à l’argent. Le vieux chant des élèves de la mission « qui parle d’une petite fille qui promet à Dieu de protéger sa vertu contre tous, et en retour Dieu l’aide » est une dérision : ce n’est pas Dieu qui va aider les Africains mais les Africains eux-mêmes qui doivent se prendre en mains. Tout le reste est baratin, de l’ONU qui est là pour la façade et « l’aide au développement » qui va dans les poches intéressées, du politicien charismatique le Mwangaza qui roule en Mercedes aux chefs de milice qui se payent sur la bête.

John Le Carré décortique le cynisme aussi africain qu’occidental et pose le lecteur en médiateur, tel son métis interprète.

John Le Carré, Le chant de la mission (The Mission Song), 2006, Points Seuil 2008, 391 pages, €8,10 e-book Kindle €7,99

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Tolkien, Bilbo le hobbit

Bilbo Baggings, appelé Bilbon Saquet dans les films, est un hobbit, un personnage imaginaire de fantaisie inventé pour les contes que l’auteur écrivait pour ses enfants. Le terme hobbit viendrait peut-être de hob qui, en anglais littéraire, signifie le coin du feu, l’endroit du foyer où une bouilloire reste à chauffer dans la cheminée. « Le son de sa bouilloire sur le foyer lui parut toujours par la suite encore plus mélodieux », dit le narrateur de Bilbo à la fin de ses aventures. Le hobbit est un personnage qu’on dirait pot-au-feu, aimant manger et fumer la pipe, heureux dans son trou de Cul-de-Sac (Bag End).

C’est ce personnage peu aventureux qui va vivre des aventures hors du commun, sortant de sa coquille comme de lui-même pour se révéler héroïque. C’est une leçon initiatique comme en délivrent tous les contes destinés aux enfants. Se remuer ne fait jamais envie mais procure de grandes satisfactions par la suite. Voir du pays permet de relativiser ses préjugés et d’apprendre des choses nouvelles. Se frotter aux autres fait admettre que l’égoïsme n’est pas payant et que trop convoiter mène à tout perdre. Quant au courage, ce n’est pas de n’avoir jamais peur mais de surmonter sa peur.

Un jour qu’il est en train de fumer sa pipe confortablement installé au soleil, devant son trou de hobbit si confortable, aux réserves bien garnies, Bilbo reçoit la visite d’un vieux à barbe blanche, Gandalf. Il ne sait pas encore qu’il est magicien et qu’il va lui jouer un tour à sa façon. Il l’invite pour le thé au lendemain, mais c’est une paire de nains qui se présente. Le hobbit n’est pas un homme, il est de la taille d’un enfant, les pieds nus et velus et les oreilles fines, mais les nains sont les nains : bourrus, ventrus, avides. Ils se présentent par vagues de deux à la porte, avec à la fin Gandalf. Ils sont jusqu’à treize avec à leur tête Thorin. Le hobbit est ahuri et les nourrit mais tout s’éclaire.

Il s’agit d’une mission : récupérer l’or ancestral du royaume perdu des nains, caché sous la Montagne solitaire et gardé par un dragon féroce crachant le feu, Smaug. Pour cela il faut y parvenir au travers de territoires hostiles peuplés de trolls, gobelins, wargs, ours, elfes et même des hommes qui habitent une île sur un lac au confluent des deux rivières des Terres sauvages. Il faut ensuite s’introduire par une porte dérobée dans la montagne, faire fuir le dragon et le tuer, enfin récupérer l’or et les objets précieux. Bilbo est réputé « cambrioleur », astucieux et plein d’initiative malgré son existence paisible et casanière.

Les voilà donc partis, ils passent le col des Monts brumeux où une grotte salvatrice aux tempêtes sert de piège aux gobelins qui vivent dans les cavernes. Quatorze sur les quinze se font prendre et se libèrent grâce aux tours du magicien qui a pu s’échapper in extremis. Bilbo perd les nains et rencontre le Gollum, être falot et aigri qui dévore ceux qui s’aventurent dans les tunnels mais a perdu son trésor, l’anneau qui rend invisible. Que Bilbo trouve et empoche sans y penser, jusqu’à ce qu’il découvre grâce aux marmonnements du Gollum qui lui pose des énigmes sa vertu et en use pour s’échapper et rejoindre les nains à la porte de la montagne. Ce sont alors les wargs qui les pourchassent, montés par les gobelins assoiffés de vengeance, des aigles qui les sauvent des arbres où ils se sont perchés mais que le feu bouté par les ennemis est sur le point d’abattre. Ils n’ont plus rien mais rejoignent Beorn, l’homme ours, qui les héberge, les nourrit et les rééquipe pour la traversée de la forêt Mirkwood, domaine des elfes et des forces maléfiques.

Gandalf les quitte à l’orée, ayant une mission dans le sud à remplir. Laissant malencontreusement le sentier qu’on leur a fait jurer de toujours suivre parce qu’ils sont affamés et perçoivent des bruits de festin, ils se retrouvent piégés par des araignées géantes et leurs toiles engluantes. Bilbo use de toute son astuce pour les en délivrer, mais ils sont pris par les elfes qui voient d’un mauvais œil ces envahisseurs qui sèment le trouble. C’est encore une fois le hobbit, grâce à son anneau qui rend invisible, qui sauve les nains en les cachant dans des tonneaux qui sont jetés en train à la rivière jusqu’au port des hommes sur le lac, qui les rempliront de marchandises.

La Désolation de Smaug n’est pas loin au nord, dévastée par le feu du dragon, et les treize nains plus le hobbit s’y aventurent pour trouver l’entrée cachée de la montagne. Une carte qui a été léguée au chef des nains, aux runes gravées en filigrane seulement visibles les jours de pleine lune, montre le plan de l’entrée et une clé, récupérée par Gandalf, sert à ouvrir la caverne. Bilbo s’y aventure seul, sans aucun bruit, et trouve le dragon assoupi sur son tas d’or, le ventre à l’air dont une partie de chair vulnérable sous le sein gauche. Il en prend note. Cela servira à l’archer Brandon, chez les hommes, pour ajuster sa dernière flèche et mettre à mort le dragon venu dévaster la ville. Car Smaug renifle l’odeur des nains et celle, inconnue pour lui, du hobbit. Il découvre en volant alentour les poneys de bât prêtés par les hommes et s’en repaît avant de s’envoler vers l’île des hommes qui ont aidé les nains, pour se venger.

Tout finira bien, c’est un conte accessible dès 8 ou 9 ans mais que les adultes ont plaisir à lire. Le livre plus que le film sollicite l’imagination et les rebondissements incessants conservent l’attention. Les personnages sont typés et certains sympathiques, le hobbit, le magicien, l’archer, parfois les elfes et les nains mais pas toujours.

Écrit dès les années 1920 et publié en 1937, le conte prend son inspiration dans les peuples d’Europe qui se déchirent : les hobbits seraient plutôt irlandais paisibles et neutres, les gobelins les Allemands nazis féroces et prédateurs, l’île des hommes l’Angleterre commerçante, les nains les Juifs industrieux et avares mais bons garçons quand on les connaît, les elfes les Américains souvent généreux et évolués en technique ; quant au dragon, ce peut-être le communisme rouge de l’URSS qui dévore et foudroie. Qui le sait ? Les métaphores font sens.

La suite sera le cycle du Seigneur des anneaux.

John Ronald Reuel Tolkien, Bilbo le hobbit, 1937, Livre de poche 2014, traduction Francis Ledoux, 480 pages, €6,90

DVD Le Hobbit – la trilogie : Un voyage inattendu (2012), de La Désolation de Smaug (2013) et de La Bataille des Cinq Armées (2014), version longue, Warner Bros Entertainment France 2015, 8h31, €29,84

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Les trois mousquetaires de Richard Lester

Une série à l’ancienne de trois films d’1h45 chacun environ pour mettre en images les romans célèbres d’Alexandre Dumas. L’histoire est connue, d’Artagnan (Michael York) est un cadet de Gascogne écervelé, au corps souple et plein d’énergie, que son père ancien soldat a entraîné vigoureusement à l’épée et à la lutte pour l’envoyer à ses 18 ans à Paris, auprès du comte de Tréville (Georges Wilson), capitaine-lieutenant des mousquetaires du roi. Une lettre de recommandation lui est confiée ainsi que l’épée du grand-père en souvenir du bon vieux temps.

Le cadet agira comme un jeune chien dans un jeu de quilles, se battra en duel contre les gardes du cardinal et se fera trois amis, couchera avec sa logeuse qui a l’oreille de la reine, laquelle lui confie la mission d’aller récupérer à Londres des ferrets de diamant imprudemment donnés à Buckingham son amant de cœur. Aidé de son fidèle laquais Planchet (Roy Kinnear), d’Artagnan trouvera sur sa route le comte de Rochefort (Christopher Lee), capitaine des gardes du cardinal et Milady (Faye Dunaway), une perverse narcissique qui travaille contre la reine et Buckingham.

D’Artagnan est un personnage qui a vraiment existé, de son vrai nom Charles de Batz de Castelmore, né vers 1615 près de Lupiac en Gascogne et mort au siège de Maastricht en 1673, après que Louis XIV lui ait fait arrêter en 1661 le surintendant Fouquet puis l’ait fait gouverneur de Lille. D’Artagnan a habité au numéro 1 de la rue du Bac à Paris dans un hôtel particulier et a eu deux fils prénommés Louis tous les deux. Il a pris des notes avec lesquelles Gatien de Courtilz de Sandras a rédigé à la Bastille des Mémoires apocryphes qu’Alexandre Dumas, les découvrant par hasard chez son ami Joseph Méry à Marseille en 1843, s’empresse de reprendre pour son feuilleton dont le premier tome paraît en 1844. Quant aux autres « trois », ils ont aussi existé parmi les mousquetaires : Armand de Sillègue d’Athos d’Autevielle, Isaac de Portau et Henri d’Aramitz, tous Béarnais. Mais Dumas a bien sûr raccourci, enjolivé et déformé pour créer une œuvre d’imagination emplie d’action et de verve.

Le film de Richard Lester simplifie et caricature encore, ce qui est la loi du genre. Notre époque pressée préfère le simplet et les images font, plus que la lecture, support à l’imaginaire. La première scène où le jeune d’Artagnan se bat torse nu comme un lion contre son père qui finit par reconnaître qu’il est devenu son égal est un morceau d’anthologie. Après la sortie du film, en 1974, nombre de jeunes garçons sortaient se battre aux bâtons sans chemise sur les stades et dans les prés. D’autres scènes juste assez érotiques pour titiller la puberté naissante, sans faire sourciller les parents rigoristes, restent à la mémoire. Constance Bonassieux (Raquel Welch), la logeuse de Paris au mari faible et niais, femme de chambre de la reine, est bien jolie et aime prendre du plaisir avec les jeunes hommes plein de vigueur qui lui plaisent. Cela tombe à pic, d’Artagnan garde rarement sa chemise et ne la ferme presque jamais avant d’être devenu mousquetaire et policé. Plus tard, ce sera la courtisane espionne de luxe « Milady » dite « de Winter » alors qu’elle a été flétrie de la fleur de lys sur l’épaule comme voleuse et putain, qui sert les intérêts du cardinal duc de Richelieu (Charlton Heston). Elle est bien plaisante elle aussi et sait faire agir ses charmes, notamment la naissance de ses seins ; mais elle est un adversaire redoutable, loin d’être une faible femme, et porte toujours un poignard dans son corset entre ses deux mamelles.

Des « trois » mousquetaires restants, seul Athos (Oliver Reed) a quelque consistance dans le film ; les deux autres sont insignifiants et servent de faire-valoir. Porthos (Frank Finlay) est balourd et vaniteux, dépensier et constamment perdant ; Aramis (Richard Chamberlain) est fin et bien mis mais fasciné par la prêtrise. Athos, le plus âgé, prend le jeune d’Artagnan sous son aile, comme un fils qu’il croit n’avoir jamais eu (lisez la suite, Le vicomte de Bragelonne, pour le savoir). Il a été marié à une femme très belle à qui il a donné son titre de comte de la Fère, son château et sa fortune, et dont il a découvert la flétrissure lors d’une chute de cheval. Il l’a répudiée mais n’a jamais pu oublier son amour. Il la fera condamner au terme de péripéties aventureuses où elle trahit la reine de France Anne d’Autriche (Geraldine Chaplin) puis le duc de Buckingham (Simon Ward), Premier ministre d’Angleterre avec qui elle couche avant de le faire zigouiller, d’étrangler la Bonnasieux et de tenter de tuer à plusieurs reprises d’Artagnan après l’avoir mis dans son lit. Car il s’agit de Milady, évidemment. Le bourreau de Béthune, sur les terres de la Fère, lui tranchera la tête pour cinq pistoles, comme on fait d’un serpent.

Le roi Louis XIII (Jean-Pierre Cassel) est présenté comme frivole et bêta, la reine comme une jolie femme qui s’ennuie mais ne veut pas trahir son mari, son roi, ni la France. Le cardinal de Richelieu, en revanche, est un grand personnage du film, l’égal de d’Artagnan en importance. Il est fin, raisonnable et a le sens de l’honneur. Il fait de la haute politique, ce qui implique les intrigues et le meurtre, mais sait reconnaître les qualités de ses adversaires. A commencer par d’Artagnan, mousquetaire du roi, que les gardes du cardinal ne cessent de provoquer en duels divers. Ceux-ci sont assez mal organisés dans le premier opus, mieux dans le second, à moins que l’on s’habitue à ce que l’épée soit maladroite et les coups de pieds ou de poings majoritaires. C’est en tout cas un bon spectacle.

Les costumes sont superbes et les lieux bien rendus, quoique le palais du Louvre fasse carton-pâte en fond de décor. Des galapiats errent entre les soldats, les marins et sur les marchés, dépoitraillés à loisir à la mode des années 70, et toute cette vie bien rendue est un plaisir supplémentaire et un clin d’oeil aux gamins spectateurs. De même qu’un certain humour, comme ce duel sur la glace entre Rochefort et d’Artagnan puis, au siège de La Rochelle, ces moutons chassés par les canons qui tirent un à un – après qu’un prêtre catholique les eut bénis !

Une bonne série pour enfants et adolescents, emplie de scènes d’action, d’amitié virile et de désirs délicats pour les belles femmes, sur fond d’honneur du royaume et de trahisons d’espions.

DVD Les trois mousquetaires 1973 – On l’appelait Milady 1974 – Le retour des mousquetaires 1989, Richard Lester, 1973, avec Michael York, Faye Dunaway, Oliver Reed, Raquel Welch, Geraldine Chaplin, Charlton Heston, Richard Lester, Christopher Lee, Richard Chamberlain, Jean-Pierre Cassel, Frank Finlay, StudioCanal 2004, 5h04, €148,64

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Jean-Christophe Rufin, Check-point

Un pack d’humanitaires d’une association de Lyon part en convoi de deux camions de 15 tonnes livrer en 1995 des vivres, des médicaments et des vêtements dans la Bosnie en guerre.

Ils sont cinq, quatre garçons et une fille. Maud, 21 ans, la taille arrêtée à l’âge de 13 ans, porte des vêtements informes et de grosses lunettes inutiles pour ne pas qu’on la désire. Lionel, le chef de mission, est rigoureux et bureaucrate, il a horreur de sortir des clous et des règles ; il n’est pas fait pour l’action mais est venu pour impressionner Maud, qu’il désire et croit aimer. Alex et Marc sont deux anciens militaires de trente ans, devenus amis parce que blessés par la vie. Alex est métis, Marc est orphelin d’un légionnaire français d’origine hongroise et d’une Palestinienne du Liban ; confié aux enfants de troupe dès l’âge de 5 ans, il a manqué d’affection et a développé une force de résistance aux brimades comme une musculature de riposte. Enfin Vauthier. Hargneux, haineux, égoïste, anarchique, il est indic pour les services de sécurité ; on ne sait pas pourquoi il fait partie d’une mission humanitaire mais on ne tardera pas à le savoir.

Les camions et les bivouacs sont un huis-clos où se déploient les interactions sociales. Lionel aime Maud qui aime Marc, lequel est ami avec Alex ; seul Vauthier déteste et méprise tout le monde – qui le lui rendra bien. Maud et Marc vont baiser comme des lapins, pour le plus grand dépit de Lionel, sous le regard amusé d’Alex, un brin jaloux que son ami lui échappe, et sous l’œil mauvais de Vauthier qui se réjouit du mal fait aux autres. Mais le plus fin est le dilemme constant des jeunes engagés dans la mission : s’agit-il de sauver les corps en les nourrissant, les soignant et les vêtant, ou de porter assistance humaine à des populations confrontées à la guerre ? Auquel cas l’engagement ne peut rester niaisement « humanitaire ». Quand la violence surgit, l’humanisme déguerpit. Il y a ami et ennemi, il faut choisir.

Marc a choisi, Alex aussi, mais s’ils cachent aux autres leur mission personnelle, elle n’est pas la même. Maud découvre et Lionel tente de gérer, vite dépassé. Seul Vauthier, animé par une haine irrépressible pour quiconque est meilleur que lui (ce qui n’est pas difficile à trouver), sait que cela doit mal finir.

Les check-points sont l’expression du chaos, la surveillance de bandes armées autonomes qui limitent leur territoire. Les guerres civiles, partout sur la planète, morcellent les États et déboussolent les civils. Le check-point est le point de passage d’un univers connu à un autre, sauvage, où règne la loi du plus fort. « La guerre civile, c’est le triomphe des salauds. » On l’a bien vu sous l’Occupation. L’humanitaire à la française est devenu naïveté dans le monde actuel. Les French doctors touchés par la misère des enfants affamés du Biafra cèdent peu à peu la place à un engagement carrément militaire – en Libye, au Mali, en Syrie. Les certitudes humanistes sont ébranlées par les réalités de la guerre. Les frontières mentales sont aussi franchies aux check-points. « De quoi les ‘victimes’ ont-elle besoin ? De survivre ou de vaincre ? Que faut-il secourir en elles : la part animale qui demande la nourriture et le gîte, ou la part proprement humaine qui réclame les moyens de se battre, fût-ce au risque du sacrifice ? »

Une belle réflexion en forme de thriller psychologique par un pionnier du mouvement humanitaire français qui a beaucoup réfléchi à l’efficacité de l’action.A l’heure de l’agression sauvage des Russes sur les Ukrainiens, et puisque l’on se demande jusqu’où peut aller notre ‘aide’, ce roman aide à réfléchir.

Jean-Christophe Rufin, Check-point, 2015, Folio 2016, 416 pages, €8,40 e-book Kindle €5,99 ou emprunt abonnement

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Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine

Dans cet essai de biographie intellectuelle du dirigeant russe, paru en 2015 et révisé début 2022, l’auteur dresse le portrait d’un apparatchik soviétique devenu président de la Fédération de Russie après dix années de chaos Eltsine. Il prend ses marques par petites touches avant de devenir « souverain démocratique » avant – péché d’orgueil – d’agresser ses « frères » d’Ukraine au prétexte de « nazisme ». Parabole de la paille et de la poutre : comment en est-il arrivé à cette extrémité qui le déconsidère définitivement ?

Poutine n’est pas philosophe ; il préfère l’histoire et le sport. « Il n’est pas un intellectuel. Il adore raconter sa jeunesse de voyou et d’espion plutôt que d’évoquer ses études à la faculté de droit de Saint-Pétersbourg » p.7. C’est un pragmatique qui veut rester au pouvoir pour imposer sa conception du bien à sa population et a gardé une façon typiquement soviétique de voir le monde. Pour lui, seules les puissances nucléaires mènent le jeu et les organismes internationaux ne sont que des Machins (comme disait de Gaulle). « Il ne souhaite pas imposer une idéologie d’État sur le mode soviétique » p.7. Mais il est aussi un réaliste, conscient – jusqu’à il y a peu – des rapports de force. « Il ne dit pas les mêmes choses aux uns et aux autres. A ses amis européens, il cite Kant et proteste de l’européanité profonde de la Russie. Mais lorsqu’il se rend en Asie (…) c’est différent (…) il charge l’Occident et sa politique humanitaire » p.40.

Poutine est influencé par des penseurs russes. Il n’est pas marxiste-léniniste et préfère largement Staline (le nationaliste) à Lénine (l’internationaliste). Il a évolué, non qu’il ait changé de convictions « mais il a de plus en plus osé les exprimer » p.10. Il est revanchard de la chute de l’URSS et croit en la mission de la « civilisation russe », unique en Europe, et inégalée face à une Union européenne décadente et pourrie (selon lui) par l’argent et l’immoralité, « la propagande pédophile » p.69. Il veut un développement séparé et se pose en sauveur conservateur de la chrétienté européenne. « Vladimir Poutine, étrangement, semble surtout obsédé par une question, celle de l’homosexualité » p.77. Comme Hitler les Juifs, l’homosexualité pour Poutine paraît névrotique, comme une réaction effrayée et hystérique face à ses propres démons, génétiques pour l’un, pulsions pour l’autre.

Le conservatisme de Soljenitsyne lui sied, même s’il n’en garde que ce qui l’arrange ; c’est l’URSS militaire qui a fait reculer Hitler à Stalingrad, en plein hiver et a enchanté l’imagination du jeune Vladimir. « La culture de la guerre permanente est aussi celle de la victoire. Et celle-ci, aux yeux des dirigeants russes et soviétiques, donne des droits » p.19. Il s’agit d’une « supériorité morale dans les relations internationales » à défendre les positions russes fondamentales – d’où la revendication sur l’Ukraine pour « réparer le mal » p.25 dû à la chute de l’empire soviétique. L’humiliation de l’intervention Otan en Serbie et au Kosovo doit être vengée. D’où l’Ossétie du sud, la Crimée, les républiques séparatistes du Donbass. Laissez-le faire et il fera comme Hitler avec les territoires irrédentistes peuplés d’Allemands avant la Seconde guerre mondiale : il les annexera sans procès, avec l’habillage juridique adéquat (demande du pays frère, référendum en urgence, vote de la Douma) – ou par la guerre ouverte.

Ivan Ilyine est son penseur de référence, dont l’acteur et cinéaste Nikita Mikhalkov lui a parlé. Spécialiste de Hegel opposé à la révolution de 1917 et expulsé d’URSS en 1922, il « veut démontrer qu’on ne viole pas l’éthique chrétienne – à laquelle il se rattache – lorsque l’on s’oppose au mal, au besoin par la force » p.47. Poutine l’appliquera aux Tchétchènes, aux oligarques antagonistes (14 morts par « suicide » de plusieurs balles depuis quelques mois), à l’Otan, à l’opposition démocratique. Selon Berdaiev, Ilyine « a été contaminé par le poison du bolchevisme » p.48 : au nom du bien absolu il s’oppose par la force au mal. D’ailleurs Ilyine encensera les nazis en 1933, la fusion autour de l’idée nationale, l’éducation patriotique de la jeunesse, la défense de la famille traditionnelle, minimisant la persécution des Juifs. A la fin de sa vie, Ilyine penchera plutôt pour Franco et Salazar. Poutine, en effet, se montre de plus en plus conservateur chrétien autoritaire, comme ces deux-là – et comme Pétain. D’où le panégyrique de réhabilitation de Zemmour, très tenté par la vision Poutine, sur le maréchal.

La verticale du pouvoir – la dictature démocratique- et la démocratie souveraine – le nationalisme missionnaire – sont contenus dans Ilyine et repris avec délectation par Poutine. L’hégélianisme se retrouve dans une conception de la Russie comme acteur accomplissant l’Histoire, un « organisme historiquement formé et culturellement justifié » p.56. Un être original d’Eurasie selon Lev Goumilev, troisième continent, monde à part, voire troisième Rome. Que Poutine construit comme une Union européenne avec l’Union eurasiatique. Sauf qu’avec 145 millions d’habitants entre 500 millions d’habitants ouest-européens et les 1,4 milliards de Chinois, c’est plutôt mal parti ! D’où la hantise de l’homosexualité, de la « pédophilie » et du transgenre chez Poutine, qui restreint l’adoption d’un enfant russe par un étranger, la propagande homosexuelle dans les médias, les droits des LGBT, l’avortement. A noter que lui-même n’a eu que deux enfants, deux filles.

Leontiev est un autre penseur fétiche de Poutine. Aristocrate aventurier et mystique, il « hait l’Europe moderne » de la liberté, de l’égalité et de la laïcité et « exalte au contraire les formes sévères et hiérarchiques de l’Église byzantine » p.73. Il prophétise qu’une Europe fédérale finira par engloutir la Russie, cet « Etat-civilisation » où la diversité devient unité. La Révolution conservatrice allemande, si chère aux yeux d’unhttps://argoul.com/2015/05/25/alain-de-benoist-memoire-vive/ Alain de Benoist, est proche de Leontiev ; elle a préparé le nazisme. Elle prépare « la voie russe » pour Poutine, influencé aussi par Nicolas Danilevski qui proposait, en 1871, « une union de tous les Slaves sous la direction de la Russie » p.95. Pour eux – Danilevski et Poutine – « la lutte avec l’Occident est le seul moyen salutaire pour la guérison de notre culture russe, comme pour la progression de la sympathie panslave » p.96. Ses arguments – comme ceux des nazis – sont issus, écrit Eltchaninoff, des sciences naturelles « par la doctrine des races et des types d’évolution » p.98. Rien de moins.

Le chapitre X de cette édition augmentée fait le point depuis 2015 : il s’agit d’une « montée aux extrêmes ». D’où la Crimée, la Syrie, l’Ukraine – demain qui ? Les pays baltes ? La Géorgie ? La Moldavie ? Dans Les démons de Dostoïevski, un livre favori de Poutine, le nihiliste révolutionnaire donne la clé du succès en politique : « l’essentiel, c’est la légende. Pour obtenir le pouvoir et le garder, il faut remplacer les nuances de la réalité par la flamboyance du récit sacré, puis appliquer ce mythe à ce qui existe, au prix de la violence » p.196. Tout le programme du dictateur Poutine, comme celui des prétendants dictateurs que sont Zemmour, Le Pen, Mélenchon – ou Rousseau. L’archéo-conservateur antimoderniste « Poutine rend à la Russie sa vocation idéologique internationale. Le conservatisme identitaire doit devenir un phare pour tous les peuples du monde » p.171.

Nous avons au contraire, en Europe occidentale, le mythe de la vérité et de la liberté, des nuances de la réalité et du débat contradictoire. Nous comprenons Poutine, nous le combattons.

Un grand livre bien écrit et de lecture passionnante, en plein cœur de l’actualité.

Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine – édition augmentée, 2022, 198 pages, €7,50 e-book Kindle €7,49

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Les douze salopards de Robert Aldrich

Prenez une guerre mondiale industrielle mettant aux prises deux empires et deux conceptions du monde opposées ; prenez une brochette des pires salauds que la terre ait porté, tous condamnés à mort ou à 30 ans de prison ou travaux forcés après jugement ; prenez un commandement américain hardi qui tente tout pour réussir le Débarquement de juin 1944 – et vous avez cette aventure sans précédent des douze salopards réunis en commando pour attaquer un château breton rempli de hauts officiers nazis.

Il s’agit de péché et de rédemption, Dieu avec eux, la sauce idéologique habituelle aux Yankees imbibés de Bible. Mais, traité à la sauce Hollywood, cette épopée devient une aventure d’équipe où les relations humaines et la dynamique de groupe (très à la mode dans la psychologie du travail des années cinquante et soixante aux États-Unis) emportent l’adhésion. Bien que long, plus de deux heures, le film n’ennuie jamais. Il est pathétique et drôle, empli d’action et de personnages de caricature comme on les aime. Le pervers psychopathe religieux qui se croit missionné par Dieu lui-même est une sorte d’intégriste chrétien comme il y en a dans l’islam de nos jours (Telly Savalas) ; le colonel d’opérette imbu de sa tenue et de son rang (Robert Ryan) est ridiculisé par l’efficacité d’un commando de mal rasés rebelles à la discipline ; les officiers nazis du château ont tous des gueules d’ogre ou de démons.

Un jour proche de juin 44, le commandant Reisman (Lee Marvin) est convoqué par son général (Ernest Borgnine) qui le sait indiscipliné mais audacieux. Il lui propose un marché : entraîner un commando de douze hommes sorti des prisons où ils attendent leur peine longue ou capitale, pour attaquer un nid de nazis crucial pour la suite de la guerre. Reisman objecte qu’il faut une carotte pour les salopards, sinon aucun ne voudra se plier à la discipline minimum des armées. Le général consent à examiner la conduite de chacun en fonction des résultats et de commuer la peine une fois la mission terminée, comme il en a le droit en tant que général allié. A condition que les hommes en reviennent. De fait, il n’y aura qu’un condamné, Wladislaw, le moins con pour le spectateur, le plus digne de la rédemption aux yeux des croyants (Charles Bronson).

Le commandant Reisman va voir individuellement les prisonniers après les avoir soumis en groupe en domptant sous leurs yeux le plus offensif, Franko (John Cassavetes). Il leur propose le marché en s’adaptant à chaque caractère, laissant en suspens le contrat pour leur laisser le temps de penser tout seul dans leur cellule. Tous acceptent, se disant qu’un délai est toujours bon à prendre. L’entraînement n’est pas pour les fillettes et a lieu en pleine nature britannique, dans un champ où tout est à construire, y compris les baraquements (préfabriqués, à l’américaine).

Ce qui importe au commandant est de souder le groupe, le choc des individualités entraînant une dynamique où chacun trouve son rôle vis-à-vis des autres. Rien de tel que de les punir collectivement par exemple, lorsque Franko réclame de l’eau chaude pour se raser, comme en ont les gardes de la police militaire (MP sur leurs casque). Il entraîne les autres non sans réticence et Reisman décide qu’ils ne se raseront donc plus. Une fois le groupe soudé contre son commandant, il les motive contre les autres durant l’entraînement au parachute sous les ordres du colonel d’opérette à qui il fait croire qu’un général incognito vient avec les hommes. Puis il les soude enfin par une action collective sous ses ordres, d’abord en désarmant les gars du colonel venu visiter le camp des salopards sans étiquettes pour comprendre de quoi il s’agit, puis lors d’une manœuvre où il assure que son commando réussira à investir le PC du même colonel pris comme tête de turc. Il s’agit là du test auprès du général, pour valider son idée.

Le commando réussit au-delà de toute espérance, dans l’initiative et la bonne humeur. Ils sont donc parachutés près de Rennes en Bretagne, où un château accueille une trentaine d’officiers de haut rang nazis avec leurs putes et du petit personnel. Entraînés sur une maquette durant des jours, chacun sait ce qu’il a à faire : sécuriser le périmètre, s’introduire dans la place, escalader à la corde les balcons jusqu’au toit pour détruire l’antenne radio, puis forcer les officiers à se réfugier dans les souterrains barricadés avant de les griller vif à coup d’essence et de grenades via les bouches d’aération. Ce qui est fait. Le psychopathe intégriste prend un plaisir malsain à faire crier une femme venue chercher son amant à l’étage, puis la perce de son poignard comme une bite qu’il refuse d’utiliser par horreur des châtiments de l’enfer chrétien. Cet exploit quasi sexuel l’exalte et il tire sur tout ce qui bouge, ce qui conduit l’un de ses camarades à le descendre d’une rafale. La suite se passe comme prévu, malgré la défense de tous ceux qui ne sont pas au moins capitaine, interdits de souterrain par le plus haut gradé. Le nazisme, exaltant la race supérieure et la hiérarchie entre les hommes, réserve à son élite « au-dessus du grade de lieutenant » la protection du sous-sol. Petit message subliminal bienvenu pour qualifier les « vrais » salopards de l’histoire.

Le commando accomplit sa mission et les survivants s’évadent en volant un half-track nazi massif comme une forteresse – mais découvert (la bêtise de la puissance imbue d’elle-même). Le commandant se fait toucher à l’épaule tendis que Franko se fait carrément descendre sur le blindé décapotable. Ne survivent que les « bons », le commandant Riesman, le sergent chef de la police militaire et Wladislaw, plus intelligent que la moyenne et immigré d’Europe centrale, région méprisée par les nazis allemands (et les soviétiques russes – jusqu’à nos jours).

Il y a du plaisir à suivre une aventure grandiose du bon côté, mais les subtilités des relations humaines ne sont pas à négliger, l’action psychologique du commandant sur ses hommes est surtout à apprécier. Elle est éternelle depuis les petits groupes de chasseurs-cueilleurs dans la savane il y a des centaines de milliers d’années.

DVD Les douze salopards (The Dirty Dozen), Robert Aldrich, 1967, avec Lee Marvin, Charles Bronson, Ernest Borgnine, John Cassavetes, Warner Bros 2004, 2h23, €14.00

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Poutine-Hitler même Kampf

Le parallèle entre l’action d’Hitler et celle de Poutine me semble ressortir du mimétisme. Le kaguébiste empli de la grandeur de la sainte mère Russie, selon lui Troisième Rome de notre temps, est proche du messianisme délirant sur la « race » aryenne établie en grande Allemagne pour un règne de « mille ans ».

Cela dès le départ :

  • Tous deux sont possédés par « la patrie » au point d’en faire une terre de mission avec « espace vital » et glacis d’Etats tampons.
  • Tous deux sont obsédés d’idéologie, pliant les faits à leur volonté, parfois audacieux mais souvent aveugles aux réalités des faits.
  • Tous deux méprisent la démocratie, ce régime faible de parlotes où les médiocres prolifèrent.
  • Tous deux vénèrent la force et agissent en cyniques, manipulant les masses et maniant le mensonge par tactique. Tout est bon pour réussir, même le pire.
  • Poutine commence à 46 ans en faisant fomenter plusieurs attentats dans la banlieue de Moscou qui tuent trois cents civils en septembre 1999 ; Hitler est nommé chancelier à 44 ans et fait incendier dans la foulée le Reichstag tout en ouvrant le premier camp de concentration de Dachau.
  • Poutine débute la guerre en Tchétchénie et l’asservit par une occupation suivie d’un régime à la botte. Cette violence crue de gamin des rues plaît aux Russes assez frustes ; la popularité de Poutine augmente, tout comme celle d’Hitler après chaque meeting aux affrontements sanglants des SA. Comme si la violence légitimait la foi, la rendait « de nature ».
  • Une fois au pouvoir, Poutine comme Hitler mettent au pas les puissants qui croyaient avoir placé une marionnette aux fonctions suprêmes. C’est le cas des gros industriels pour Hitler, c’est le cas des oligarques pour Poutine. La plupart des grands médias passent aux mains amies, permettant à la propagande d’asséner l’idéologie.
  • Les puissants politiciens ou industriels en opposition sont tués ou emprisonnés, lors de la Nuit des longs couteaux d’Hitler ou lors des empoisonnements, « suicides » ou balles dans la tête de Poutine.

Dès 2007 Poutine assume sa guerre contre le reste du monde. La Russie est une grande puissance affaiblie par les traités de 1991, les autres en profitent et notamment les Etats-Unis qui veulent dominer le monde. « L’Union soviétique à la fin des années 80 du siècle dernier s’est affaiblie, puis s’est complètement effondrée », déclare Poutine dans son discours du 24 février 2022 publié par l’agence officielle Tass. Hitler a fait de même : l’Allemagne, grande puissance affaiblie par le traité de Versailles, est asservie aux puissances alliées, les États-Unis en tête. Elle doit se réarmer et redresser la tête : ce que fait Hitler, ce que fait Poutine. Accuser les autres de ses propres travers est le b-a ba de la manipulation : la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage ; l’ignorance, c’est la puissance. C’est Orwell 1984, c’est Hitler, c’est Staline, c’est Poutine. « Qui contrôle le passé contrôle le futur (…) qui contrôle le présent contrôle le passé ». D’où l’asservissement des médias et les « procès » contre ceux restés indépendants, l’interdiction de financements étrangers, la relecture des manuels scolaires et la réécriture de l’histoire dans le sens voulu. Poutine-Hitler, même combat.

Certes, les États-Unis ont exporté la guerre et Poutine le détaille dans son discours de revanche. En Afghanistan (mais il était le foyer du terroriste international Ben Laden, coupable des quelques 3000 morts des attentats du 11-Septembre), en Irak (mais Saddam Hussein avait tenté de faire assassiner le président des États-Unis), en Syrie (mais des armes chimiques, en violation des traités, avaient été utilisées par le régime et Bachar el-Hassad avait relâché exprès une myriade d’islamistes terroristes dangereux de ses prisons). Poutine ne dit rien de l’invasion soviétique (russe) de l’Afghanistan, ni de la mise au pas de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie par les chars en 1968, de l’asservissement de la Pologne avec le général Jaruzelski en 1981, de la guerre en Géorgie en 2008. Il ne parle que de ce qui l’arrange. Son idée-force est vieille comme la Russie : la paranoïa de l’encerclement, la forteresse assiégée – tout comme l’Allemagne sous Hitler. « L’importance territoriale proprement dite d’un Etat est ainsi, à elle seule, un facteur du maintien de la liberté et de l’indépendance d’un peuple ; tandis que l’exiguïté territoriale provoque l’invasion », écrivait Hitler dans Mein Kampf. D’où la grande respiration exigée du Lebensraum, de l’espace vital nécessaire au peuple aryen-allemand pour se sentir en sécurité et avec les ressources naturelles nécessaires. Poutine recherche lui aussi un glacis contre « l’OTAN », comme si l’adhésion demandée par les ex-États du pacte de Varsovie était un machiavélisme américain et non pas une peur de la Russie par des États trop longtemps sous son joug. « Agrandir l’espace vital et assurer la subsistance du peuple russe », justifie-t-il – comme Hitler.

La Russie est fondamentalement européenne mais Poutine ne veut pas le savoir. Il se croit encore une puissance mondiale avec ses 142 millions d’habitants (moins que le Brésil aujourd’hui, autant que la Tanzanie ou les Philippines dans trente ans) alors qu’il n’est qu’un pays déclinant, au PIB proche de celui de l’Australie et du Brésil, face à une Chine conquérante, avançant – elle – à marche forcée vers le progrès et la puissance économique. Que sera la Sibérie (10 millions d’habitants seulement) dans quelques décennies, face à une Chine d’1,4 milliard d’habitants avides de matières premières et de territoires neufs ? Se rapprocher de l’Europe aurait du sens stratégique, pas de la Chine qui avalera sa proie sans sourciller – question de masse et de puissance. Il est étonnant qu’un adepte des rapports de forces comme Poutine ait ce genre de raisonnement de petit garçon vantard en cour de récré. Dans la théorie marxiste, le fascisme est la réaction des classes dirigeantes lorsqu’elles se sentent menacées ; un raidissement policier, moral et militaire pour faire front au changement. Poutine a été élevé par la théorie marxiste, il obéit à ce qu’il croit une loi de l’Histoire, son autoritarisme de réaction en témoigne.

Parce qu’il y a pour lui autre chose, de plus fondamental.

« En fait, jusqu’à récemment, les tentatives de nous utiliser dans leurs intérêts, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer leurs pseudo-valeurs, qui nous rongeraient, nous, notre peuple, de l’intérieur, ces attitudes qu’ils imposent déjà agressivement dans leurs pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence, car elles sont contraires à la nature humaine elle-même, n’ont pas cessé », déclare encore Poutine dans son discours du 24 février. Il accuse l’Occident de véhiculer des valeurs de dérision, de pornographie, de perversion des mœurs, de changements de sexe, d’avortements de convenance, de métissage racial – tout ce que dénoncent en France Zemmour, aux Etats-Unis Trump, en Hongrie Orban, et hier Hitler dans la République de Weimar comme dans l’empire austro-hongrois. La Russie de Poutine comme les réactionnaires occidentaux sont revenus à la mentalité catholique bourgeoise de 1857 du procès contre Madame Bovary, avant celui contre Les Fleurs du mal. Il était reproché « l’immoralité » d’exposer des faits réalistes sans personnage ni auteur pour les juger. En effet, la démocratie demande à chacun d’être juge, pas à l’Eglise ni à l’Etat : c’est cela, la liberté.

Mais ce qui est débat démocratique chez nous (environ un tiers des Français sont d’accord avec la droite extrême aujourd’hui) est blasphème chez lui : il ne discute pas, il interdit. Comme Hitler dans Mein Kampf : « Il ne s’offrira donc dans l’avenir que deux possibilités : ou bien le monde sera régi par les conceptions de notre démocratie moderne, et alors la balance penchera en faveur des races numériquement les plus fortes ; ou bien le monde sera régi suivant les lois naturelles : alors vaincront les peuples à volonté brutale, et non ceux qui auront pratiqué la limitation volontaire ». Poutine ne se sent pas « européen » dans ce sens-là des libertés. Il fait siens les propos d’Hitler dans son livre de combat : « plus le véritable chef se retirera d’une activité politique, qui, dans la plupart des cas, consistera moins en créations et en travail féconds qu’en marchandages divers pour gagner la faveur de la majorité, plus la nature même de cette activité politique conviendra aux esprits mesquins et par suite les captivera ». Il veut guider le peuple comme le chef charismatique qu’il se croit après 22 ans de pouvoir sans partage : un Führer, un Petit père des peuples, un Grand timonier, surtout pas lui laisser la liberté, ni la responsabilité qui va avec.

Lorsqu’il déclare « Au cœur de notre politique se trouve la liberté, la liberté de choix pour tous de décider de manière indépendante de leur avenir et de l’avenir de leurs enfants », ce n’est rien moins qu’Hitler réclamant la liberté pour « la race » de vivre selon sa force et de s’épanouir sans contraintes… sous le régime du Guide. Les opposants sont des malades mentaux, des inconscients, des pervertis, des « espions de l’étranger ». En bref : la liberté, c’est l’esclavage. N’expose-t-il pas, Poutine, que « le bien-être, l’existence même d’États et de peuples entiers, leur succès et leur vitalité trouvent toujours leur origine dans le puissant système racine de leur culture et de leurs valeurs, de l’expérience et des traditions de leurs ancêtres et, bien sûr, dépendent directement de la capacité de s’adapter rapidement à une vie en constante évolution, de la cohésion de la société, de sa volonté de se consolider, de rassembler toutes les forces pour aller de l’avant » ? Adolf Hitler dans Mein Kampf écrivait : «  Qu’on élève le peuple allemand dès sa jeunesse à reconnaître exclusivement les droits de sa propre race; qu’on n’empoisonne point les cœurs des enfants par notre maudite « objectivité » dans les questions qui ont trait à la défense de notre personnalité ». Ein Volk ! Ein Reich ! Ein Führer ! En Allemagne hier comme en Russie aujourd’hui.

En ce sens, l’allusion à « une anti-Russie » dans le discours vise moins à la sécurité militaire qu’au mauvais exemple donné par les libertés à l’occidentale. La Russie de Poutine ne veut pas être contaminée par les contestations « démocratiques » – ce pourquoi on empoisonne, on emprisonne, on interdit l’ONG Memorial qui documentait les crimes soviétiques, on accuse de « pédophilie » ou de malversations financières tous les opposants aux pseudo « élections ». C’est que la démocratie autocratique n’a rien de la démocratie : le peuple ne décide pas, il se contente d’acquiescer et de faire comme on lui dit. Il s’agit clairement d’une tyrannie : selon Aristote, la tyrannie est lorsque « le pouvoir politique est entre les mains d’une seule personne cherchant son propre bien ou celui de sa famille ». Le chaos démocratique des opinions contradictoires qui se percutent et négocient un compromis majoritaire n’est pas dans l’ADN du Kremlin et, depuis la révolution orange de 2004 puis les manifestations de Maidan de 2014, l’Ukraine prenait la pente européenne des démocraties – un danger suprême pour le pouvoir de Poutine ! Le mauvais exemple d’un pays-frère qui pourrait faire tache d’huile à la Navalny (Ukrainien par son père).

Dès lors, le mécanisme à l’hitlérienne de l’invasion est planifié.

Comme dans les Sudètes où une présence allemande avait fait « appeler » la Grande Allemagne au secours pour réunifier le peuple germanophone de Tchécoslovaquie, « les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie », dit Poutine dans son discours. Elles servent de base et de prétexte contre « des abus et à un génocide par le régime de Kiev ». Cela après l’annexion manu militari de la Crimée considérée comme historiquement russe (comme Hitler fit de la Sarre et de l’Autriche). C’est une politique internationale analogue à celle des SA dans la rue ; une politique que le très jeune Vladimir a pratiqué dans les rues de Leningrad avant d’être repris en main à 16 ans par un « bienfaiteur ». Les négociations « à Munich » rappellent celles d’Hitler (quelle bourde de la diplomatie allemande ou européenne que d’avoir fixé à Munich ces pseudo-négociations avec Poutine ! Les technocrates n’ont-ils aucune notion du symbole?). Négocier ne signifie d’ailleurs pas grand-chose pour les Hitler ou Poutine : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable », disait-on du temps de l’URSS. Staline l’avait appris d’Hitler et Poutine le reprend à son compte. Le protectorat hier de Bohème-Moravie veut se transformer aujourd’hui sous Poutine en protectorat d’Ukraine-Moldavie.

Pour cela, accuser les autres, les ennemis, de « génocide », de « nazisme ». Le président juif Zelenski de l’Ukraine ne fait pas un nazi crédible, il serait plus du côté des cabarets de la République de Weimar lorsqu’il joue du piano avec sa bite (pour les puritains religieux horrifiés, il s’agit d’une illusion comique – on ne voit aucun sexe). L’injure « hitléro-fasciste », comme le rappelle le trotskiste Alain Krivine récemment disparu, est l’anathème favori des staliniens – il ne recouvre rien d’autre que la haine absolue contre ce qui représente l’antiparti, la lutte à mort. Lorsque l’armée de Poutine rase sous les bombes la maternité de la ville (russophone) de Marioupol (comme à Grozny en Tchétchénie, comme à Alep en Syrie), est-ce pour éradiquer les bébés nazis ? A chaque fois les frappes russes visent intentionnellement les populations civiles, les hôpitaux et les secours – y compris les convois humanitaires ; c’est une tactique de terreur volontaire. Vous ne vivrez que si vous vous soumettez, sinon on empilera vos têtes comme le fit Gengis Khan.  

Lorsque Poutine évoque dans son discours « les bandes punitives des nationalistes ukrainiens, collaborateurs d’Hitler pendant la Grande Guerre patriotique, [qui] ont tué des gens sans défense », on dirait qu’il parle de ses propres bandes armées lorsqu’elles envahissent l’Ukraine. Comme toujours, accuser les autres du mal qu’on fait est la base de la manipulation. Un mot sur les « nazis » ukrainiens : ils existent mais ont peu de chose à voir avec ceux d’Hitler. Une milice privée nationaliste analogue au groupe russe Wagner s’est créée en 2014 après le séparatisme du Donbass encouragée par la Russie ; elle a été financée par un oligarque ukrainien juif, Kolomoïsky, parce que le gouvernement ne se défendait que mollement. Elle ne comprenait que quelques centaines d’hommes. Versée en 2016 dans l’armée régulière sous le nom de régiment Azov, elle attire surtout les jeunes qui en veulent, y compris de nombreux juifs qui sont nationalistes mais pas nazis ! Même si quelques symboles du passé sont repris, c’est clairement contre les Russes, qui ont affamé l’Ukraine en 1932-33 et ont entraîné 5 millions de morts ; lorsque les vrais nazis sont arrivés, une division de grenadiers SS nommée Galicie a été constituée par les nationalistes ukrainiens opposants à l’Union soviétique. Il s’agit donc d’une réponse en défense d’une attaque, pas d’une idéologie née de rien, ni surtout « encouragée » par l’Occident (le Congrès américain en a interdit en 2015 le financement, avant que cela ne soit aboli par l’équipe Trump).

Mais à quoi bon tenter de réfuter des mensonges aussi bruts que ceux qui les profèrent ? Seule la force des mots compte, pas la réalité des faits. Il y a comme un suicide analogue à celui d’Hitler dans l’attitude jusqu’au-boutiste de Poutine qui préfère sacrifier sa race aryenne son peuple russophone à ses idées obtuses… Le bombardement des abords d’une centrale nucléaire ukrainienne est de cette eau, tout comme la répétition des menaces d’user de la Bombe au cas où « l’OTAN » franchirait une « ligne rouge ».

Oui, il y a bien des parallèles entre Poutine et Hitler !

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Alexander Kent, Au nom du roi

En 1819, dernière aventure du capitaine de vaisseau Adam Bolitho, missionné par Leurs Seigneuries pour aller porter une lettre scellée à l’amiral commandant Freetown, dans l’actuelle Sierra Leone. Il s’agit toujours de la traite des Noirs, que le Parlement anglais veut interdire au nord de l’équateur, la traite restant permise au sud par compromis diplomatique après la chute de Napoléon, pour les empires espagnols et portugais.  Comme le passage de la Ligne est tout proche, nombre de commerçants britanniques, avides de fortune vite gagnée, tentent d’ignorer la loi et de poursuivre le trafic sous pavillon portugais. Bolitho porte des lettres commandant à l’amiral de traiter ce problème par tous moyens de force.

Le lecteur se trouve donc réembarqué sur l’Onward, une frégate à voiles, le meilleur des vaisseaux pour un capitaine selon l’auteur (et selon les dires du temps) car rapide et manoeuvrant tout en restant suffisamment armé. Le capitaine Bolitho, Vincent le second un peu amer de n’avoir pas obtenu de commandement à lui, Squire le lieutenant en second et le troisième lieutenant Monteith craintif donc criard et mauvais maître poussé à trop punir pour compenser ses insuffisances dans l’exemple. Sans compter les quelques aspirants, dont Napier, 16 ans, et le plus jeune de 13 ans, Walker, les marins spécialisés, le maître d’hôtel Jago, le chirurgien Murray, le bosco Drummond, le pilote Julyan, le charpentier Hall, le commis Vicary. Tout ce petit monde entassé dans la promiscuité dans un vaisseau de guerre se doit d’être connu pour être digne, reconnu pour être motivé. Bolitho, sur l’exemple de son oncle Richard, y excelle ; il l’a transmis à son pupille David Napier, aspirant sous ses ordres, qui l’imite.

Seul l’humain peut permettre des relations saines et une obéissance volontaire ; la punition en excès nuit et le mépris pire encore. Or il y a trop de cette morgue sociale dans la marine anglaise. Telle est l’opinion de l’auteur, engagé à 16 ans dans la Navy en 1940, et qui se met probablement un peu en scène sous l’uniforme de Napier – réduit à une simple chemise ouverte tant il fait chaud sous l’équateur. Comme lui, il a perdu un ami aspirant comme lui lors d’une bataille, et a pris son nom pour pseudo en guise d’hommage. Ainsi Napier perdra Howard. Comme lui il a peur dans l’imminence de l’action, mais sent « comme une main sur son épaule » le conseil de son mentor Bolitho de faire ce qu’il doit sans ciller. Comme lui il observe, il converse, il connaît les gens par leur nom. Outre l’action, c’est peut-être le meilleur de ces romans de mer qui s’achèvent avec ce tome. L’auteur est décédé en 2017 à 92 ans.

L’Onward entend le canon puis trouve une frégate détruite prête à couler avec un blessé grave qui ne prononce qu’un nom : « Ballantyne ». David Napier, qui a pris le temps d’écouter et d’accompagner à mourir, en est retourné. L’amiral qui l’interroge, n’en apprend pas plus mais envoie Bolitho, accompagné de son capitaine de pavillon Tyacke, porter vers un comptoir anglais tout nouveau, au sud, nommé New Haven (nouveau havre). Il est commandé par Ballantyne, aristocrate méticuleux qui aime les Noirs mais qui suscite des rancoeurs car il interdit la traite lucrative. L’Onward assiste de loin à la destruction complète d’un brigantin dont le dernier marin mourant ne prononce qu’un mot : « mutinerie ». Ce bis repetita fait un peu désordre dans le récit mais permet par allusions de comprendre vaguement de quoi il s’agit. Car l’auteur aime écrire par ellipse, laissant deviner plus qu’il ne dit, ce qui donne du sel à l’action, au demeurant féroce et courageuse comme il se doit. La mort prendra son lot, donc le jeune domestique noir de Ballantyne un peu plus jeune que Napier, qu’il a sauvé des trafiquants qui lui ont coupé la langue après autres sévices, et l’ami aspirant Howard, que Napier ne reverra plus.

Mission accomplie, le capitaine défiguré Tyacke, rencontré dans les précédents tomes, récompensé par une marque d’amiral, Bolitho de retour en Cornouailles où il retrouve son amour Lowenna, mais aussi l’un des premiers navires à vapeur. Ce n’est plus sa marine, ce sera celle de David.

Alexander Kent, Au nom du roi (In the King’s Name), 2011, Phébus Libretto 2021, 340 pages, €10.70

Les romans de mer d’Alexander Kent chroniqués sur ce blog

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Terrorisme intellectuel

Le terme « terrorisme » appliqué aux intellectuels est un bien grand mot – mais après tout, ils exigent de s’engager. Il est cependant l’un des gros maux de notre époque, tout particulièrement en France. Il s’agit de l’application totalitaire de la bonne conscience. Hypocritement, on continue d’affirmer les grands mots de liberté d’expression et de démocratie d’opinion ; dans la réalité un microcosme intello-médiatique règne sans partage et vise à ôter la parole à tout contradicteur en le désignant comme bête à abattre.

La bonne conscience est Tartuffe, la bonne conscience est pensée unique, la bonne conscience est dictatoriale. Elle est restée longtemps de gauche ; elle passe désormais à droite. Jean Sévilla, dans un petit livre d’il y a plus de vingt ans, nous en donne encore les clés.

La France, depuis la Ligue catholique n’a jamais renoncé aux guerres de religion. A croire qu’elle ne se sent politique que lorsqu’elle attise la guerre civile. Fille aînée de l’Eglise, elle a écrasé toutes les déviances, des Cathares aux Protestants ; devenue révolutionnaire, sa mission a été d’exporter la liberté dans toute l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis – mais pas une liberté de faire – plutôt une liberté-contrainte qui est d’obéir à la tyrannie majoritaire, à l’étroite cléricature qui dicte ce qui est vrai, à la technocratie qui exige de se faire obéir du bas-peuple – forcément ignorant et volage.

La Terreur, les historiens l’ont montré, n’est pas une exception dans le cours de la Révolution, mais l’aboutissement de la conception rousseauiste du peuple en armes, du citoyen sans cesse mobilisé, de la mission révolutionnaire d’éradiquer toute déviance.

Il n’est pas étonnant que, depuis 1945, ce soit la gauche qui ait eu le plus recours à cette forme de terrorisme intellectuel. Sévillia le montre, mais la droite n’est pas en reste. Par mimétisme ou par culture catholique-révolutionnaire commune, il s’agit toujours de coloniser les esprits. Les intellos sont chargés de mission comme jadis les gens d’église. Envoyés dans les médias plutôt qu’aux colonies, ils doivent avec les mêmes moyens évangéliser les « sauvages ». Ceux-ci sont-ils citoyens comme eux-mêmes ? Il faut donc s’en fabriquer de faux sur mesure pour mieux les combattre !

« Les circonstances varient mais le procédé reste le même. Il consiste d’abord à imprimer dans l’imaginaire du pays un archétype du mal. Depuis la guerre, cette funeste figure a été incarnée par le fasciste, le capitaliste, l’impérialiste, le colonialiste, le xénophobe, le raciste, le partisan de l’ordre moral. Ces étiquettes, au minium déforment la réalité ; au pire, elles mentent. Collées par des mains expertes, elles revêtent un sens indéfini, dont l’élasticité permet d’englober tout ce que les idéologues vouent aux gémonies.

« Ensuite, la technique habituelle consiste à assimiler l’adversaire à l’archétype du mal. L’effet de cet amalgame est radicalement dissuasif : qui prendrait le risque, par exemple, d’être traité de fasciste ou de raciste ?

« L’accusation peut être explicite, ou s’effectuer par insinuation, ouvrant la porte au procès d’intention : tout opposant peut être attaqué non sur ce qu’il pense, mais sur les pensées qu’on lui prête.

« Manichéisme oblige, une autre logique s’enclenche en dernier lieu : la diabolisation. Pas question de discuter pour convaincre : il s’agit d’intimider, de culpabiliser, de disqualifier » p.10.

Pas de complot organisé (même si le Kominform l’a initié après-guerre). Il s’agit surtout de la connivence d’un milieu étroit, doctrinaire, issu de la même génération, qui fait réseau. Il s’épanouit en force dans le centralisme français ! Etonnez-vous après ça que les média n’aient rien compris au vote Le Pen en 2002, au « non » au traité européen et à la révolte des banlieues en 2005, au dégonflement de la baudruche socialiste en 2009, aux gilets jaunes et au surgissement Zemmour ? Technocrates de droite et intellos de gauche ont leur bonne conscience – mais celle-ci les aveugle ; ils n’écoutent pas. Toute nuance est pour eux un crime de lèse-vérité et tout « non » un symptôme de maladie mentale.

Cet esprit stalinien ouvrirait volontiers des camps de rééducation comme Mao le fit, après Lénine et Staline, pour mettre les mains des intellos dans la merde des champs, ou comme Pol Pot le réussit si bien en vidant les villes du Cambodge de millions de citoyens ravalés au rang de bêtes. Quatre bourreaux que les intellos français ont fort adulés, de Sartre à Sollers en passant entre autres par Aragon, Jean Lacouture ou Jean-Marie Domenach. Qu’importent les morts à ceux qui veulent construire ici-bas l’utopie ? Ce ne sont que des dommages collatéraux, comme on le dit en guerre.

Aucun procès en révisionnisme ne sera fait à qui déclare tranquillement que les millions de morts dans les camps soviétiques, maoïstes ou cambodgiens ne sont que “des détails” de la guerre froide… Ou que les idéologues ne sont “pas très catholiques”.

A gauche, les aveuglements missionnaires ne manquent pas :

  • l’URSS était un paradis, de même que Mao, Fidel Castro, Ho Chi Minh, Pol Pot, allaient, du simple fait de libérer leurs peuples de l’oppression étrangère, installer un régime idéal où les droits de chacun seraient positifs ;
  • la décolonisation devait résoudre par miracle tous les problèmes dus – forcément – au colonialiste mâle, blanc et de droite (en oubliant que les socialistes Mitterrand, Mollet et Lacoste étaient pour l’Algérie française…) ;
  • mai 68 allait forcément libérer les énergies, à commencer par celles du sexe, pour rendre la société apaisée et gentille, sans ego ni exploitation ;
  • en 1981, les intellos de gauche « croyaient quitter la nuit pour entrer dans la lumière » (disait l’ineffable Jack Lang) – tout en affirmant que la démocratie se résume à la dictature de la majorité (selon Laignel, député évidemment PS) ;
  • en 1985, cinéastes, metteurs en scène et chanteurs soutenaient que l’immigration devait être libre et que tout sans papiers se devait d’en avoir – et qu’importe à ces nantis habitant les beaux quartiers et les villas sécurisées de Côte d’Azur, la cohabitation des banlieues et l’impuissance de l’école quand 70% des enfants parlent à peine le français
  • la doxa d’aujourd’hui n’a guère changé : l’immigration c’est « le Bien » – et le pape ne dit pas autre chose ; leur « morale » pas la nôtre exige que tous obéissent aux « valeurs » abstraites décrétées par quelques-uns où le Droit est sans aucun devoir et la circulation ou la vaccination « libres », même si cela fait du tort aux autres.
  • s’y ajoute l’idéologie woke de la culpabilité blanche socialiste nantie qui accuse tout mâle européen aisé et cultivé d’ignorer les « souffrances » de ceux qui se sentent simplement regardés

A droite, l’aveuglement technocratique est de la même eau :

  • il faut être atlantiste, même si les Etats-Unis n’en font qu’à leur tête et que la France n’a pas son mot à dire – on l’a encore vu récemment avec le contrat de sous-marins australiens annulés pour s’aligner sur le Washington soi-disant « de gauche » sous Biden ;
  • il faut être pro-européen, même si la bureaucratie s’emballe et régente la taille des bouchons ou la production au lait cru, même si les diplomaniaques « croient » en la vertu d’intégrer la Turquie, voire le Maroc et l’Algérie, même si la production du Droit entre hauts magistrats échappe à tout contrôle parlementaire ;
  • il faut encourager l’immigration pour une société « métissée » car le système social ne saurait subsister sans l’apport incessants de nouveaux actifs – et les patrons ont un besoin crucial de main d’œuvre à bas prix ;
  • il faut déréguler et ouvrit tous nos marchés, même si les autres s’ne gardent bien (comme la Chine ou les Etats-Unis), car le progrès économique se mesure à l’aune du monde – et tant pis pour les chômeurs, les in-requalifiables, les prises de contrôle étranger sur les fleurons industriels, les pénuries latentes de biens essentiels ou d’énergie ;
  • il faut être pour la mondialisation par principe car la nation est un concept dépassé – comme on l’a si bien vu dans les Balkans après la mort de Tito – mais un peu moins depuis Trump…

Ce n’est pas affirmer une opinion, ou de se tromper, qui est en cause dans ce petit livre – mais l’arrogance de vouloir l’imposer à tous par des moyens totalitaires.

  • au mépris de l’intelligence (ce bon sens dont serait doté tout homme selon les Lumières),
  • au mépris du débat argumenté (seule base solide du régime démocratique), désormais refusé par les menaces de mort  contre les élus et le tabassage systématique de ceux qui ne pensent politiquement pas comme vous,
  • au mépris des citoyens (relégués comme ignares, donc ’sous-hommes’ bons pour la schlague ou la psychiatrie).

Le relais est pris aujourd’hui par l’islamisme et plus récemment par le trumpisme et ses avatars zemmouriens (d’émergence plus récente, Sévilla n’en parle pas) : les MEMES procédés de diabolisation et d’intimidation sont à l’œuvre, servis par la naïveté des « compagnons de route » qui – en toute bonne conscience – défendent la cause palestinienne et le droit pour chacun de pratiquer sa religion, ou l’appel à réguler l’immigration et à assurer plus d’ordre dans la nation.

Amalgame, dénonciation pour déviance imaginaire, braillements pour couvrir tout débat, injures et menaces physiques, mobilisation pour interdire de la cancel sous-culture – comment la démocratie peut-elle survivre, elle qui fait de l’expression publique libre le ressort de son fonctionnement ?

En quelques 300 pages, avec index, le lecteur cavalera dans les trois générations avant l’an 2000, révisant les polémiques déjà oubliées et les regardant désormais d’un autre œil. Un seul manque à ce volume qui se lit d’une traite : une comparaison internationale. Le storytelling blairiste, la pensée unique financière, les manipulations des néo-conservateurs américains jusqu’à la bouffonnerie putschiste de Trump, l’investissement légal de Berlusconi dans les médias comme celui de Bolloré souteneur de Zemmour – tout cela est manipulation électoraliste. Sévillia propose une histoire de ce qui nous arrive aujourd’hui.

Jean Sévillia, Le terrorisme intellectuel, 2000, réédition avec postface 2004, collection de poche Tempus, Perrin, 303 pages, €8,50 e-book Kindle €7.99

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Alexander Kent, Sans relâche

Le lecteur peut suivre les aventures du neveu de Sir Richard Bolitho, Adam, dans ce nouvel opus. Il s’agit toujours de mer, de navires à voile, de la Marine de Sa Majesté. Il s’agit toujours d’histoires d’hommes, d’obéissance et de combat, de justice et de commandement, avec le bonheur de vivre en vase clos et de voguer sur la mer comme un espace de liberté.

Nous sommes fin 1815 et la paix est enfin venue entre l’Angleterre et la France. C’est désormais l’esclavage, à la fois la traite des nègres au large de Sierra Leone et l’enlèvement de chrétiens par les corsaires du dey d’Alger, qui font l’essentiel des nouvelles missions d’une Marine qui désarme. Le capitaine de vaisseau Adam Bolitho, sur sa frégate Le Sans-Pareil prise aux Hollandais, reçoit l’ordre d’assister les navires de surveillance au large de l’Afrique, avant de rallier Plymouth pour repartir en Méditerranée bombarder Alger sous les ordres de Lord Exmouth.

Chez lui, près de Falmouth, la grande demeure des Bolitho est vide. Ni femme, ni enfant pour l’attendre, seulement les domestiques et les vieux amis de son oncle de retour à terre qui œuvrent alentour. Sa tante Nancy, sœur de sir Richard, demande à Montagu, un artiste renommé, de faire son portrait. C’est dans la maison de campagne du peintre tout près de Falmouth, qu’Adam rencontre Lowenna, une jeune femme qui a connu des malheurs et qui pose nue pour le tableau d’Andromède enchaînée par le monstre marin à son rocher, attendant Persée. Il va être saisi, tomber amoureux, s’imaginer en héros. Cela semble réciproque et cela le ravit, surtout en mer lorsqu’il n’est qu’avec des hommes et qu’il tâte dans sa poche le billet qu’elle lui a écrit in extremis le jour de son départ.

Le capitaine est toujours soucieux de son équipage, faisant confiance à ceux dont il connaît la compétence, quel que soit leur grade, et surveillant plus particulièrement ceux qui se prennent au sérieux et qui abusent de leur position. Le lecteur qui a suivi la série des Bolitho reconnaît en Adam le tempérament de son oncle Richard. Comme tout jeune garçon impressionné par celui qui l’a formé, père, parent, ami ou supérieur, il reproduit. Il traite les plus jeunes comme on l’a traité lui, jeune. Ainsi de David Napier, son garçon de cabine de 14 ans, qu’il a sauvé d’un éclat dans la jambe dans le volume précédent. Sa mère l’a abandonné à la Marine, elle lui écrit qu’elle se remarie et part en Amérique, laissant l’adolescent seul au monde. Bolitho prend soin du garçon et en fait l’un des membres privilégiés de son « petit équipage », tel que son oncle en avait un. C’est à la fois beau et touchant.

Un bon roman d’aventures qui se répète un peu par rapport au tome précédent, la jeunesse d’Adam ne compensant pas la richesse de Richard, héros favori de l’auteur.

Alexander Kent, Sans relâche (Relentless Pursuit), 2001, Phébus Libretto 2017, 451 pages, €11.99 e-book Kindle €7.99

Les romans maritimes d’Alexander Kent chroniqués sur ce blog

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The Good Criminal de Mark Williams

Avec un titre faussement anglais en français (l’imbécile soumission des collabos aux plus forts, hier nazis, aujourd’hui yankees !), un policier très américain où les salauds ne sont pas ceux qu’on croie. Mais ce n’est pas l’américanisation du titre qui fait la qualité de l’œuvre. Nous avons un correct film d’action avec fusillades, bagarres, poursuites en voiture et explosion de rigueur dans la mythologie d’Hollywood, mais les personnages sont caricaturaux et le sujet un peu court.

Tom « Carter » de son pseudo (Liam Neeson) est un ancien démineur des Marines qui, il y a neuf ans, a décidé d’user de son savoir technique sur les explosifs pour cambrioler des banques. Non pas pour le fric mais par vengeance contre « le système ». Son père, ouvrier modèle en aciérie durant trente-cinq ans, s’est vu frustrer de sa retraite par la malversation d’un dirigeant et, désespéré, s’est jeté à 100 km/h contre un arbre avec sa Chevrolet « sans freiner ». Tom a cambriolé la banque du mec. Puis d’autres. Il ne s’est jamais fait prendre, choisissant toujours le lieu et l’endroit adéquats, travaillant seul et préparant toujours minutieusement ses coups. Il est pour le FBI « le voleur invisible », il a accumulé 9 millions de dollars.

Mais, arrivé dans la ville où l’action se passe désormais, il tombe amoureux de la fille à l’accueil de la société de location d’entrepôts où il vient pour un box. Dès lors, sa vie change, il ne cambriole plus, ne dépense pas son butin. Ce qu’il voulait au fond est « d’être aimé », comme chacun. Il veut donc solder sa période bad boy et « se rendre aux autorités », rendre l’argent et négocier une peine minimum avec visites sans limites. Un peu court comme rédemption, thème yankee obligatoire à la morale. Tom aurait pu jouer le Robin des bois en donnant une justification politique à ses vols, faisant un don anonyme par exemple à une association ou à une caisse de retraite, ameutant la presse. Au lieu de cela il se soumet, en bon garçon modèle yankee, rêvant mariage, maison, gosses et petit travail tranquille, sa morale en paix. C’est de la bouillie pour les chats, pas du bon cinéma.

Le FBI contacté ne le croit pas, une dizaine de « dingues » s’étant déjà fait passer pour le voleur invisible afin de se faire mousser. L’agent chef contacté délègue à deux agents subalternes le soin d’aller voir ce Tom « Carter » à l’hôtel où il dit attendre. Mais deux jours passent et toujours rien. Alors que Tom va – enfin ! – décider que les flics fédéraux, comme le reste des institutions aux Etats-Unis, ne valent pas grand-chose, et qu’il va quitter sa chambre, il trouve les deux sbires à la porte, déguisés en Témoins de Jéhovah avec costume sombre, cravate sur chemise blanche, voiture noire, air impassible de Jugement dernier. Des caricatures de jeunes cons que leur « plaque » rend immortels et invincibles en mission.

Tom leur raconte « ce que les journaux n’ont pas dit » sur les casses, mais les sbires en veulent toujours plus. Notamment le fric, puisque ce n’est que ça qui compte dans la société yankee. Tom fait la bêtise de leur donner les clés d’un box où il a planqué les cartons, mais sans exiger d’aller avec eux ! C’est invraisemblable. Evidemment les deux se servent et entassent dans leur bagnole les cartons de biffetons, bien que le plus jeune et le plus latino ait des scrupules (Anthony Ramos). L’autre, Nivens (Jay Courtney), lui en impose et ils font finalement comme il dit. Sauf que la fille des entrepôts, Annie (Kate Walsh), la copine de Tom qui a fait des études de psychiatre, vient voir ce qu’ils font puisqu’elle les a vus sur la télésurveillance. Ils lui expliquent qu’ils sont des amis, que Tom leur a donné la clé et qu’ils déménagent quelques cartons pour lui afin d’emménager dans la maison qu’il a choisi. Ce n’est pas mal tourné, ça passe, la psy ne subodore rien. Mais les deux agents sont alertés du fait qu’ils sont enregistrés.

Ils vont entasser le fric dans une « planque » du FBI qui ne sert pas et veulent s’en servir « pour leur retraite » (!). Ils reviennent vers Tom à l’hôtel et Nivens veut le descendre avec une arme non immatriculée qu’il a pris dans la planque, mais ce dernier leur demande s’ils ont compté les billets. Trop cons, ils ne se sont pas aperçus qu’il n’y avait qu’un million cinq et pas neuf millions et que le reste est ailleurs. Nivens hésite, l’autre suit. L’avidité sans limites est le propre des yankees et ils ne font pas ce qu’ils sont venus faire, enfin Nivens seulement, l’autre suit. Toc, toc ! A la porte leur chef (Robert Patrick), énervé qu’ils n’aient pas obéis à son ordre d’aller voir le voleur invisible le jour dit et qui vient le faire à leur place. Que faire ? Grave question qui a tourmenté maint révolutionnaire ! Bof, quand on est yankee, on ne fait pas dans la dentelle : une balle en plein cœur et tout est dit. Le chef est descendu et Tom va y passer, malgré le non-Nivens qui a des scrupules. Mais Tom se défend, en Marine. Il assomme le scrupuleux et lutte avec Nivens, passant par la fenêtre où il finit sur lui, l’autre groggy.

Il trouve alors Annie la conne, venue « voir ce qui se passe », la gueule enfarinée. Ils fuient dans sa jeep noire et sont poursuivis par les deux sbires remis de leurs cocards dans leur puissante Chevrolet qui vrombit comme un V8. C’est clair, le chef « a été descendu par Tom » avec le pistolet non marqué, version officielle de flics, habitude yankee. L’autre suit, toujours aussi latino, aussi veule, aussi niais. Le racisme anti-latinos est sous-jacent même si le gars se rachète dans la plus belle tradition biblique à la fin.

Bref, poursuite en bagnoles, feintes, dérobades, Annie mise dans un autocar Greyhound pour n’importe quelle ville car elle est repérée, Tom qui veut « régler ça ». Et Annie la conne qui évidemment n’en fait rien, sachant mieux en féministe obstinée ce qu’il faut faire – qu’un mâle pourtant ancien Marine. Elle revient au bureau pour récupérer la carte mémoire de la vidéo et tombe évidemment sur Nivens venu pour la même évidente raison (mais la conne n’y a pas pensé, n’a pas même écouté son mec). Elle se fait tabasser mais a eu le culot de téléphoner avant sur son portable (pas d’une cabine comme il avait dit, donc toujours aussi conne) pour lui dire qu’elle n’a pas obéi mais qu’elle n’en fait qu’à sa tête (de linotte). Tom accourt, la voit à demi-morte, l’emmène à l’hôpital. Le chef qui reste sur les deux au FBI (Jeffrey Donovan) se pose des questions, Tom voulait se rendre, pourquoi ces brutalités ? Tom Carter réussit à le convaincre que c’est Nivens la pourriture et il lui tend un piège (explosif) pour qu’on le confonde enfin et que sa propre morale soit blanchie.

Je ne vous en dis pas plus mais le reste est de la même eau, avec grands boums, fusillades, suspense et rédemption à la fin, la conne dans les bras du con. Car malheureusement l’acteur Liam Neeson fait ce qu’il peut mais en vieux, et son rôle est celui d’un benêt. Un film qui peut se voir pour l’action mais ne se revoit jamais pour son scénario pas plus que pour ses personnages. De la mélasse de l’ère Trump, sorti en pleine pandémie.

DVD The Good Criminal – Un honnête voleur (Honest Thief), Mark Williams, 2020, avec Liam Neeson, Kate Walsh, Jai Courtney, Metropolitan Video, 1h36, €16.50 blu-ray €18.98

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George Orwell, Wigan Pier au bout du chemin – Le quai de Wigan

Commandé par un éditeur sur la vie des chômeurs du nord de l’Angleterre durant la crise de 29, Orwell va passer plusieurs mois dans une région où les mines de charbon et les filatures de coton ont partiellement fermé. Il séjourne dans des familles ouvrières à Wigan, Sheffield, Barnsley et même dans une triperie qui fait pension, dont il décrit l’horreur dès le début du livre. Il visite quelques mines et va au fond, ce qui donne une description dantesque et superbe de la première partie où il voit les mineurs, dès 15 ans, en titans de bronze quasi nus, aux muscles forgés par l’effort dix heures par jour. La mine oppresse, la mine humilie, la mine transforme en « nègre » – les ouvriers sont comme une tribu opprimée par le colonialisme patronal. Il décrit aussi le crassier des terrils, la poussière qui s’incruste dans les murs des maisons, la promiscuité et la boue des paysages miniers. Seule la neige, en hiver, forme des « îlots de propreté et décence ».

Décence : le mot est lancé. C’est un fétiche d’Orwell, une traduction british de notre vieux « bon sens » doublé du « sens moral » très anglais. La Common decency – la décence commune – est ce naturel qui vous vient humainement et vous permet de juger de tout, des autres comme du système économique et politique.

Parmi les ouvriers autodidactes, il établit son idée encore vague du « socialisme » qu’il expose en seconde partie. Pour Orwell, c’est moins le “capitalisme” qui fait problème (rien qui ne puisse évoluer sous la pression sociale) que « l’industrialisme » qui est le règne progressivement envahissant de la machine. Un thème à la mode en ces années-là comme en témoignent H. G. Wells mais aussi Heidegger ou Spengler. Un thème qui demeure aujourd’hui avec l’effroi envers l’IA, « l’intelligence » artificielle dont le seul mot intelligence fait peur alors qu’il ne recouvre que des processus automatiques initiés par l’homme. Pour Orwell, l’être humain va par intelligence au plus efficace : si une machine existe pour faire le travail, pourquoi continuer à trimer ? Ce qui va faire dégénérer la race comme il le constate en une génération, comparant les types humains qu’il croise dans la rue ou chez les soldats de la Garde royale : de colosses ils sont devenus filiformes. Un témoignage de plus du virilisme mâle affiché par Orwell, une probable rançon de son dressage à Eton. C’est donc une autobiographie intellectuelle et idéologique qu’il écrit, à tâtons parce que la réflexion progresse de se voir couchée sur le papier. Je ne peux qu’inciter tout lecteur à faire de même, écrire en une page la conception qu’il se fait du monde et de la société : il y verra plus clair.

George Orwell n’est pas communiste au sens du parti marxiste-léniniste, dans lequel il voit clairement la dictature de quelques-uns et le machinisme de pensée. Il compare ces fanatiques aux catholiques romains anglais, tout aussi religieux, tout aussi sectaires. Mais sa critique porte surtout sur les petits intellos des classes moyennes – classe à laquelle il appartient – qui vont au prolo comme la vache au taureau tout en étant incapables par construction éducative et sociale de changer. On ne devient pas ouvrier, on y nait. Quiconque se déclasse pourra singer les gestes et les manières mais il restera ce que sa prime éducation l’a fait. Le socialiste bourgeois aime « le progrès », « la machine », il a « un sens hypertrophié de l’ordre » chap. XI p.612 Pléiade. Ce qui conduira certains au fascisme. Car l’intello socialiste sait mieux que vous ce qui est bon pour vous et vous l’imposera par la loi des urnes et de l’Etat transformé en mécanisation administrative. « La vérité, c’est qu’aux yeux de bons nombres de gens, qui se disent socialistes, la révolution ne présente pas un mouvement de masses auquel ils comptent s’associer ; elle représente un ensemble de réformes que « nous », les gens intelligents, allons leur imposer à « eux », les « classes inférieures » chap. XI p.613. Une dérive qui déshumanise mais qui est bel et bien dans la mentalité petite-bourgeoise socialiste. Le socialisme n’est-il pas l’idéologie de la période industrielle de l’histoire humaine ? « Seul l’homme ‘instruit’, notamment l’homme de lettres, s’arrange pour tomber dans le sectarisme. Et, mutatis mutandi, il en va de même avec le communisme. On n’en trouvera jamais le credo sous sa forme la plus pure chez un authentique prolétaire » chap. XI p.612. Il nous suffit de citer Sartre, Bourdieu, Mélenchon Badiou, Ian Brossat… et les écolos – venus de la gauche socialiste.

Car l’écologie est le nouveau socialisme de notre temps, imbu des mêmes rhétoriques, qui se sent une même mission de sauver les gens malgré eux, avec les mêmes petits intellos sectaires aux commandes. « L’intellectuel socialiste, à la culture livresque, qui juge nécessaire de jeter notre civilisation aux orties et qui est tout prêt à le faire. Pour commencer, ce dernier type se trouve exclusivement dans la classe moyenne, qui plus est la fraction citadine et déracinée de la classe moyenne. Plus ennuyeux encore, il inclut (…) les pourfendeurs de la bourgeoisie tout écumants de rage, les réformateurs plus tiède (…), les jeunes arrivistes astucieux des milieux littéraires, qui sont communistes à l’heure actuelle comme ils seront fasciste d’ici cinq ans, parce que c’est ce qui fait fureur, et toute cette sinistre tribu de femmes animées de nobles sentiments, de dévots de la sandale et de fanatiques du jus de fruit barbus et massivement attirés par le fumet du ‘progrès’ comme des mouches bleues fondant sur un chat crevé » chap. XI p.615. Nous reconnaissons aisément, près d’un siècle plus tard, les mêmes types politiques qui se croient originaux… Et nous verrons peut-être « d’ici cinq ans » si d’aventures Marine Le Pen gagne les présidentielles, les dévots du gauchisme et de l’écologie, venir lui lécher la main « parce que c’est ce qui fait fureur ». Après tout, si l’écologisme doit être imposé aux gens malgré eux, pourquoi pas un bon vieux fascisme à la chinoise ou à la russe pour le réaliser ?

Car, expose Orwell, le fascisme n’est pas le Mal en soi mais peut exercer une certaine fascination qu’il faut comprendre pour mieux la combattre. Les gens « n’ont pu être précipité vers le fascisme que parce que le communisme s’attaquait ou paraissait s’attaquer à certaines choses (le patriotisme, la religion, etc.) plus profondes que les motivations économiques ; et, en ce sens-là, il est tout à fait exact que le communisme mène au fascisme » Chap. XII p.619. C’est ce qui risque de nous arriver après les excès intello-sectaires de la gauche et le politiquement correct de lâcheté envers les extrêmes minorités : c’est ce qui est arrivé aux Etats-Unis avec Trump, sauf que les Américains sont pragmatiques et n’hésitent pas à tout changer (Trump a été viré) alors que c’est plus difficile et plus lourd en nos pays. « Il n’est sans doute pas très difficile, quand on en a soupé de la propagande socialiste la plus grossière, de voir dans le fascisme le dernier rempart contre ce qui menace le meilleur de la civilisation européenne » Chap. XII p.642. D’autant que le discours des socialistes est un repoussoir : « Parfois, quand j’écoute parler ces gens, et plus encore quand je lis leurs livres, j’ai le sentiment qu’à leurs yeux le mouvement socialiste dans son ensemble n’est rien d’autre qu’une sorte de chasse aux hérétiques grisante – les sauts de cabri de sorciers en transe dansant au son des tams-tams et sur l’air d’un ‘Abracadabra, je sens le sang d’un déviationniste de droite !’. C’est pour cette raison qu’il est bien plus facile de se sentir socialiste quand on se trouve parmi des ouvriers » chap. XIII p.648. Ils ne sont pas idéologues mais connaissent très bien la différence entre les opprimés et les  oppresseurs.

Orwell se met en verve dès qu’il en parle car, pour lui, le vrai socialisme se résume à deux mots que réclame la décence commune : « justice et liberté » – rien de plus, rien de moins. Pas besoin de château de cartes idéologique pour cela (un Mitterrand, qui venait de la droite calotine, l’avait bien compris, au fond). Il vilipende donc la trahison des clercs, ces intellectuels qui devraient donner le sens et fournir le modèle de la société à venir. « Le socialiste-type (…) est soit un bolchevique de salon à l’air juvénile dont il est vraisemblable que, moins de cinq ans plus tard, il aura épousé un bon parti et se sera converti au catholicisme romain ; soit, plus fréquemment encore, un petit employé de bureau collet monté, en général secrètement abstinent et souvent d’inclination végétarienne, au passé protestant non-conformiste, et, surtout, avec un statut social auquel il n’a nulle intention de renoncer » chap. XI p.608. Le type subsiste de nos jours, nous en avons tous rencontrés. Ceux qui s’affligent des mortifications comme se passer de sexe, d’alcool, de viande ou de voiture, voudraient que tous soient aussi malheureux qu’eux : c’est cela « l’égalité » à leurs yeux.

Inspirateur de Jean-Claude Michéa, ce livre de George Orwell mérite la postérité tant il décrit encore parfaitement les mouvements humains vers la politique.

George Orwell, Le quai de Wigan (Wigan Pier au bout du chemin), 1937, Ivrea 1982, 260 pages, €18.00

George Orwell, The Road to Wigan Pier (Wigan Pier au bout du chemin), 1937, Penguin Books Classics 2001 (en anglais), 240 pages, €11.14 e-book Kindle €0.65

George Orwell, Œuvres, édition de Philipps Jaworski, Gallimard Pléiade 2020, 1599 pages, €72.00

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L’Année du dragon de Michael Cimino

New York 1981, le capitaine Stanley White (Mickey Rourke) est muté sur la demande de son ami Bukovski (Raymond J. Barry) dans le quartier de Chinatown pour qu’il se rapproche de lui. Le mariage de Stanley avec Connie (Caroline Kava) bat en effet de l’aile et Bukovski les aime tous les deux. White est rentré de la guerre du Vietnam décoré mais aigri, la victoire ayant échappé à l’Amérique à cause de la ruse des Bridés. Bukovski, un peu plus âgé et plus posé, a fait la guerre de Corée et comprend son ami.

Mais ce dernier est impossible, tout en excès pour résoudre ses fêlures intimes. Pour gagner, il s’affranchit de toutes règles, comme le Vietminh. Et, comme lui, il étudie son ennemi sans le caricaturer, compatissant aux coolies chinois venus construire le chemin de fer transpacifique à la fin du XIXe. Il obtient des résultats, mais au prix de la caricature, d’une Amérique de la prise en main qui n’est peut-être pas celle dont rêve le pays. En tout cas pas celle de sa hiérarchie, contente du statu quo qui échange la paix sociale dans les quartiers contre fermer les yeux sur les trafics les plus juteux – nous connaissons cela aujourd’hui dans nos banlieues, avec nos politiciens. Fils d’immigrés polonais, White (Blanc) veut bâtir les Etats-Unis du Melting pot et éradiquer les communautarismes au nom de la loi. Ce shérif du New York PD fait du redressement des gangs chinois une guerre personnelle. Perdue à Saïgon en 1975, la guerre sera gagnée à New York en 1981. L’histoire est en phase avec l’ex acteur devenu président conservateur Ronald Reagan qui prend ses fonctions en janvier 1981 après l’humiliation des otages américains à Téhéran. Nul doute que le film de Cimino violent, macho et raciste en apparence, a à voir avec son époque et une Amérique dont le moral était au plus bas. Cela résonne étrangement avec le mandat Trump où la Chine est redevenue le principal ennemi.

Adapté du roman de Robert Daley portant le même titre et sorti en 1981, le film est cependant plus subtil que le divertissement à destination du public primaire qui rejoue sans cesse le mythe du cow-boy solitaire au pays des pionniers. Stanley White le Blanc, investi de la mission de faire respecter la loi, s’oppose à Joey Tai le Jaune (John Lone) qui veut arriver au pays des arrivistes. Lequel convainc ses « oncles » de le laisser régner sur leurs triades issues de Hongkong qui rackettent les commerçants et importent de l’héroïne. L’un brandit le droit, l’autre le fric, mais tous deux ont la rage qui fait les entreprises. La dernière réplique de Stanley White dans le film sera, en guise de portrait : « Tu sais, t’avais raison et j’avais tort, désolé. J’aimerais bien être un type sympa ; j’aimerais, mais je sais pas comment m’y prendre ». Ni la guerre, ni les affaires ne sont « sympas ». Pour qui veut arriver, tous les moyens sont bons et ni les sentiments personnels ni la morale sociale ne sont efficaces.

Joey est un solitaire qui s’entoure de jeunes Chinois mercenaires excités en débardeur et dont les affaires sont le seul ressort ; Stanley délaisse sa femme qui voudrait bien faire un enfant alors qu’elle atteint déjà 35 ans alors que son mari lui préfère sa croisade personnelle. L’opposition machiste de caricature entre les deux hommes n’est cependant que vue superficielle du film, d’un côté le jeune Chinois beau et fin au naturel soupçonné d’être un brin pédé – et le vétéran mûr Polono-Américain qui porte beau, chapeau, cravate avec épingle de régiment et cheveux teints qui prend par utilité comme maitresse une journaliste demi-chinoise, Tracy Tzu (Ariane Koizumi) qu’il baise dans son superbe loft au-dessus du River Bridge avec vue sur Manhattan. Plus profondément, chacun veut faire bouger les lignes et redonner vie à leur vision d’Amérique. Le compromis entre les triades et la police n’est plus supportable, ni dans les affaires qu’il bride, ni dans la morale qu’il bafoue. Les deux iront jusqu’au bout de leur combat, jusqu’au duel de style western sur un pont de chemin de fer des docks portuaires.

Le film apparaît comme un portrait d’une Amérique qui en avait marre de reculer un peu partout dans le monde, en Corée et au Vietnam contre les Chinois, en Afghanistan contre les Soviétiques, en Iran contre les islamistes. A l’orée de la réaction Reagan, le film de Cimino réaffirme les valeurs viriles et macho des pionniers blancs qui veulent bâtir « leur » pays selon « leurs » valeurs. Certes, il est politiquement incorrect aujourd’hui où voudraient bien s’imposer le féminisme, le multiculturalisme, la loi du genre et l’exaltation des minorités « victimes ». Mais il explique avec quarante ans d’avance le Trump et les trumpistes. Qui n’ont pas fini de faire parler d’eux…

DVD L’Année du dragon (The Year of the Dragon), Michael Cimino, 1985, avec Mickey Rourke, John Lone, Ariane Koizumi, Leonard Termo, Raymond J. Barry, Caroline Kava, Eddie Jones, Joey Chin, Victor Wong, MGM United Artists 2003, 2h09, €12.00 blu-ray €9.65

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Steff Rosy, Méthana – L’appel de l’univers

Qui n’a jamais rêvé d’être extra-ordinaire, rejeton d’un dieu et princesse interstellaire ? C’est ce que réussit Steff Rosy dans ce premier roman naïf et emballant de science-fiction pour ados. Marie est une jeune fille ordinaire née en 1979 (comme l’auteur), un père militaire qui fait déménager souvent, une petite sœur et un petit frère dont elle craint l’avenir. Elle est bonne en math et habile en judo, et a toujours été très proche de son arrière-grand-mère Rosy, morte à 83 ans lorsqu’elle en avait 5. Elle en avait eu la prémonition, comme il lui arrive parfois. C’est alors qu’un soir, ou plutôt une nuit, elle rêve d’un lion. Il la regarde et ne la dévore pas. Elle a 15 ans et a décidé ses parents à l’inscrire à un internat militaire dans les Alpes pour préparer le bac sans tous ces déménagements. Le lion est son totem de feu, son signe d’août, son moi profond.

Commence alors une double vie dont rêveraient nombre d’adolescentes et même d’adolescents. L’internat est rythmé par les horaires, les cours, l’uniforme ; c’est une discipline dans laquelle Marie excelle, un brin maniaque, en tout cas organisée et toujours forte en calculs. Elle se fait des amis, un garçon « hyper bien fait » p.58 et une fille (noire), un amoureux mystérieux. Un jeu de divination la fait se remémorer ses « dons » pour la prescience ; elle « voit » ce qui s’est passé pour un copain, elle s’initie à la lecture des tarots, puis à l’écriture automatique. C’est à ce moment que le lecteur se dit qu’il entre dans un univers à la Harry Potter où les vieilleries de la fantaisie vont mettre un peu de piment dans l’existence routinière d’un internat de province. Nous sommes page 75 sur 462.

Tout faux ! Lorsque Marie s’initie à l’écriture automatique – qui parait simple, faites le vide en votre esprit et laissez courir le crayon sur la feuille – ne voilà-t-il pas que mémé Rosy lui parle ! Née en 1912, l’ancêtre a une double vie, même après sa mort. Car la mort terrestre n’est rien au regard de la Source qui est l’énergie primordiale et cosmique, en bref Dieu. C’est que Marie n’est pas n’importe qui… Son incarnation terrestre est une mission : ramener dans le droit chemin de l’Amour, du « respect » et de la bienveillance pour la Paix universelle une humanité qui se perd dans le pouvoir, l’agression et l’orgueil. Rien que ça. Sauver le monde avant 2019, ou peut-être 2049 dernier délai. Pour cela devenir aimant, écologique, spirituel – en bref tous les poncifs de l’idéalisme New Age revu ère Trump. Cela fait un peu cliché mais ça marche ; après tout, l’auteur écrit pour les ados.

Elle en a adopté le vocabulaire, qui fera vite daté, comme « ah d’accord », « alors je me présente, « sinon je me présente », mais « soyez comme vous êtes », « donc attention », où tout est « hyper » mais chaque baiser « langoureux », où les gars sont très « musclés » et ont tous « le visage carré » (les filles sont simplement « sportives »), disent des « trucs de fou », alors « elle fait style de rien », ou sont « trop » quelque chose, mais sans cesse avec « respect » – mot fétiche repris maintes fois – qui « échangent » juste pour échanger mais on ne sait jamais quoi, tout en interjetant « t’inquiète », « profite », et surtout « écoute ton cœur » (la raison on s’en fout). Et ponctué par le déjà vieilli « lol » d’il y a quinze ans. Ce n’est pas très littéraire mais urgent, phrases raccourcies et mot-valise approximatifs. Les ados « adorent », autre mot fétiche employé à tout va.

Malgré ma douce ironie, j’aime ces créateurs d’univers chez qui l’action court, échevelée, parmi les êtres plus parfaits les uns que les autres, filles et garçons d’une beauté de statue grecque avec un physique de thriller américain, jonglant avec les armes laser des étoiles tout en rêvant au Roi lion ou à La Petite sirène. Marie, durant son sommeil d’internat, est transportée en vaisseau spatial et vit plusieurs semaines le temps d’une nuit à s’entraîner avec son frère jumeau et son amoureux éternel devant ses amies extraterrestres et son père archange… Défilent les wikifiches des minéraux bons pour le cerveau, la hiérarchie des Trônes et des Dominations, les multiples démons autour de Belzébuth (que j’aime à écrire Bézléputh) et divers poèmes d’anthologie amoureuse que s’échangent par écrit (le mél n’existe pas à l’internat ?) un Terminale avec une Seconde. Nous sommes entre Avatar, Star Trek, La Guerre des étoiles, les dessins animés Disney et les séries télé yankees favorites de TF1. L’Amour est une bombe A puisqu’écrit à majuscule, avec baise torride et lente de désir et bracelets d’union énergétiques irradiant. Un rêve.

Car Marie est un être de Lumière opposée à tous ceux des Ténèbres, selon la vieille dichotomie biblique de Dieu et de Satan, la liberté étant un piège cosmique pour choisir le Bien plutôt que le Mal. Dans cette vision paternaliste, les humains sont considérés comme des enfants ou des handicapés barbares. Les pyramides d’Egypte ne peuvent, par exemple, n’avoir été bâties que par des puissances extraterrestres. Comme si les humains du temps pharaonique étaient des cons finis réduits à demeurer assistés par l’aide au développement. La page 250, même si elle sert à « justifier » l’univers de fiction, est un bon ramassis de toutes les inepties qu’on a pu écrire sur la construction en Egypte antique malgré les faits prouvés par les archéologues. Ne demandez pas à l’un d’entre eux à ses heures perdues (moi) de souscrire à ces fake news qui ne peuvent que préparer les esprits malléables (les ados entre autres) à la niaiserie du Complot et autres Puissances qui évacuent toute responsabilité et préparent la voie au fascisme – on l’a vu avec Trump le trompeur.

Malgré cela l’histoire est jolie comme un premier roman enthousiaste dont l’énergie passe et rend positif par ouverture de conscience. Avec ce message politique bien dans l’air du temps : « Ils sont prêts à écraser n’importe qui pour du pouvoir ou de l’argent ! Ils sont d’une indifférence et d’un égoïsme extrême ! Chacun ne pense qu’à soi. Diviser pour mieux régner, c’est leur devise préférée ! Ils pensent que la beauté vient de l’apparence alors qu’elle vient de l’âme, ils sont prêts à ne rien manger pour maigrir à s’en rendre malade, tout cela pour s’insérer dans leur société. Il faut être idiot pour le croire ! Ils ne respectent même pas leur planète. Ils polluent l’air qu’ils respirent, après ils se demandent pourquoi ils se rendent malades ! Et le lobbyisme, parlons-en, ils préfèrent gagner de plus en plus d’argent plutôt que de trouver de vraies solutions dans tous les domaines ! Ils trichent, ils volent, ils pillent, ils arnaquent, ils violent, ils manipulent… » p.404. L’auteur parle-t-elle de nous ? Pas du tout, mais de la planète P-231-125, vouée à être détruite. C’est vrai, nous ne sommes pas comme ça, nous les Vertueux.

Un conte de fantaisie pour ados raconté au présent par une fille étonnante d’aujourd’hui nommée Marie, fan de Bruce Lee.

Steff Rosy, Méthana – L’appel de l’univers, 2020, Vérone éditions, 462 pages, €27.00 e-book Kindle €17.99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Un premier roman ne saurait être exempt d’erreurs à corriger lors d’une réédition (parce que je lis tout livre jusqu’au bout et avec attention) :

p.15 : « une vieille carte postale des années 1800 » – impossible, la carte postale n’existait pas avant 1870 au mieux.

p.75 : « un climat apaisant résonne dans la pièce » – jamais entendu un climat résonner comme une cloche, en revanche il peut régner.

p.123 : « le cerveau est un muscle » – ah bon ? les cellules neurales n’ont rien à voir avec les cellules musculaires et c’est un raccourci terrible de les assimiler car cela entretient une confusion. Le cerveau peut être entraîné à se connecter plus et mieux mais cela ne se fait pas avec des contractions bovines devant la glace.

p.225 : « combien de jets » – les G n’ont rien à voir avec les jets mais avec la gravité, ils mesurent une accélération. https://fr.wikipedia.org/wiki/G_(acc%C3%A9l%C3%A9ration)

p.331 : « ne pas faire d’imper des us et coutumes » – sans être imperméable à l’humour lorsqu’il s’agit d’habillement, « commettre un impair » serait mieux vu et plus français – même ado.

p.451 : « un peu rétissent » – du verbe rétisser ? Jamais vu. « Réticent » me semble plus juste.

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Philip José Farmer, Les amants étrangers

En 1961, l’auteur né dans l’Indiana, nous projette en 3050. La Grande guerre apocalyptique partie des ex-Terriens de Mars a ravagé la Terre par un virus qui étouffe en quelques heures. Seules ont été épargnées quelques régions qui ont repeuplé la planète et se sont partagé les continents. Ainsi les Islandais occupent le nord jusque vers la Loire, les Israéliens le sud autour de la Méditerranée et jusqu’en Inde, les Hawaïens l’Amérique et les Australiens l’Océanie. Pour le reste de la planète, ce n’est pas très clair.

Mais l’ordre règne chez les ex-Yankees : le Clergétat est une théocratie hiérarchique contraignante, une sorte de communisme biblique issu des croyances protestantes exacerbées. Il est curieux que, mille ans après le XXe siècle, l’humanité en soit encore là… Mais le puritanisme, projection de celui des années cinquante et du Maccarthysme aux Etats-Unis, est bel et bien caricaturé. Un prophète autoproclamé (comme tous les prophètes) est un germano-russe appelé Sigmen ; il est mort il y a longtemps mais le système continue de faire croire qu’il est parti prospecter les étoiles pour l’humanité. Il enjoint ainsi à coloniser les planètes vivables et à éradiquer façon prophète biblique tous les peuples extraterrestres ou ex-terriens (forcément dégénérés) qui les occupent.

Hal Yarrow, linguiste « touchatout » est mandaté par le Sandalphon Macneff (dont le prénom n’est pas Gabriel) pour rejoindre la mission qui va aller « étudier » la planète Ozagen. Dans le dessein de créer un virus qui va exterminer toute vie non humaine et permettre de faire main basse sur la planète. Rien de nouveau sous les soleils : l’américain croyant reste un prédateur que Dieu a « élu » et que les prophètes encouragent à croître et attaquer. D’ailleurs, le mariage est obligatoire et faire des enfants nécessaire sous peine de rétrogradation sociale. Hal est « marié » contre son gré à Mary, qu’il déteste parce que frigide et moraliste, prête à le dénoncer aux autorités pour toute incartade même de langage. Les Etats-Unis n’ont pas changé, qui traquent le politiquement incorrect et le « racisme » partout et en tous lieux (sauf chez les Noirs). L’intérêt de la mission est que le voyage va durer quarante ans, et autant pour l’éventuel retour, donc que le divorce est automatique pour raison d’Etat. Hal est délivré de Mary, qui s’en consolera.

Mais son mentor depuis l’enfance, le disciplinaire Pornsen (au nom ambigu) fait partie du voyage. Hal s’est fait recadrer et fouetter maintes fois pour des écarts à la ligne que l’ange gardien interimaire (agi) est chargé de lui faire respecter. Il le hait. Car, dans cette société de morale surveillée et punie en continu, l’amour n’est pas possible, ni même l’amitié. L’homme est constamment un loup pour l’homme, allant « le dire à la maitresse » ou dénoncer les déviances aux agis pour se faire valoir plus vertueux. La méfiance règne et le chacun pour soi est de rigueur. La seule unité est donc d’attaquer les autres, ce qui ne peut avoir de cesse dans l’univers entier. Le lecteur d’aujourd’hui peut voir en cette doctrine distopique une critique aussi du communisme soviétique où un commissaire politique surveille toujours deux exécutifs, la troïka permettant des dénonciations croisées, et où le prophète Marx-Lénine-Staline-Khrouchtchev (etc.) donne la route et guide le peuple dans l’interprétation de l’Histoire. Au fond, Etats-Unis moralistes et URSS moralisante mènent le même combat. Ce que les années soixante vont justement secouer avec les manifestations anti-Vietnam.

Sur Ozagen, Hal est curieux des autres et se lie d’amitié avec Fobo le woh ozagénien qui l’emmène visiter les ruines d’une cité anciennement humaine, des Terriens venus de France s’étant échoué là au moment de la Grande guerre. Ils se sont métissés avec une population locale, une forme mimétique qui a pris leur ressemblance. Hal rencontre clandestinement à la nuit une femme qui l’appelle, Jeannette. Elle parle un français abâtardi que le linguiste réussit à comprendre avant de lui apprendre l’américain usuel. Il va tomber amoureux, la belle étant experte en plaisirs charnels (cliché facile sur les Françaises) que Hal n’a jamais connus.

Car le plaisir est un péché dans la religion Sigmen, plus proche du Talmud que des Evangiles, comme dans l’Amérique profonde depuis les origines. La nudité est proscrite sur terre et on ne fait l’amour que dans l’obscurité et tout habillé. Jeannette exige la lumière et la peau nue, ce qui scandalise et ravit Hal dont la transgression des normes semble de nature, en témoignent les cicatrices de fouet dont son dos et sa poitrine sont remplis depuis la petite enfance. L’agi qui surveille et punit n’est pas sans un certain sadisme, disant « aimer » son pupille d’autant plus qu’il le fait souffrir – comme dans les collèges anglo-saxons. La SF américaine était jusqu’ici héroïque et prude, en phase avec les valeurs yankees sorties de la Seconde guerre mondiale et du patriotisme ; Philip José Farmer change cela d’un coup avec Les amants. Baiser à poil et aimer ça sans avoir en tête l’obsession de la progéniture était nouveau et diablement excitant. Avec une humanoïde extraterrestre est encore plus osé, allusion peut-être à la ségrégation des Noirs aux Etats-Unis jusqu’à l’ère Kennedy. Les Peace and Love vont s’y ruer partout et dans toutes les positions, balançant slip, soutif et morale aux orties.

« Que vous ont-ils fait ? » susurre Jeannette à Hal lors d’une de leurs étreintes. « Ils vous ont appris à haïr au lieu d’aimer, et la haine, ils l’ont appelée l’amour » p.188. Comme le ministère de la Paix est celui de la Guerre dans 1984 d’Orwell… « Ils ont fait de vous des moitiés d’hommes, afin que l’ardeur emprisonnée en vous puisse se tourner contre l’ennemi ». Son ami Fobo le wog en rajoute : « Vous professez, vous autres Sigménites, que chacun est responsable de tout ce qui lui arrive, que seul le moi est à blâmer. (…) Si vous commettez un crime, c’est que vous le souhaitez. Si vous vous faites prendre, ce n’est ni que vous avez agi stupidement, ni que les Uzzites [les flics] ont été plus intelligents que vous, ni que les circonstances leur ont permis de vous capturer. Non : c’est que vous vouliez vous faire prendre. (…) Cette foi est très shib [super] pour le Clergétat car vous ne pouvez rien lui reprocher s’il vous châtie, s’il vous exécute, s’il vous force à payer des impôts injustes ou s’il viole les libertés civiles. Il est évident que, si vous ne l’aviez pas voulu, vous n’auriez pas permis que l’on vous traitât de la sorte » p.193. Etienne de La Boétie l’avait déjà théorisé : n’est esclave que celui qui se soumet et aucun tyran ne subsiste sans le consentement (tacite ou contraint) des sujets. Le Sandalphon Macneff qui obéit à l’Archuriélite ne lui dit pas autre chose lorsqu’il le convoque pour lui faire un sermon sur « la pureté » : ne pas désobéir, ne pas boire, ne pas baiser. Hal finira par l’étrangler.

L’amoureux humain Yarrow va faire le malheur de Jeannette l’humanoïde pour son bien car l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions dans la norme biblique. Mais Jeannette va le sauver de sa civilisation haineuse en lui permettant une autre vie. Le nom de Yarrow signifie en anglais l’Achillée, une herbe contre les fièvres et le prénom Hal, issu du germanique, signifie tourmente ; ce n’est sûrement pas par hasard. Le dénouement est rapide et clair, bienfaisant.

Philip José Farmer, Les amants étrangers (The Lovers), 1961, J’ai lu 1974 réédité 1999, 251 pages, €5.00

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Jules Roy, La vallée heureuse

Jules Roy avait 33 ans – l’âge du Christ à sa mort – en 1940. Officier d’aviation, il conte ici sous forme romancée ce que fut sa vie de capitaine de bombardier Halifax B dans les Forces françaises libres en Angleterre à partir de 1943 dans le groupe de bombardement Guyenne.

Les bombardiers Halifax B sont de gros bourdons (30 tonnes en charge) bruyants, lents (426 km/h maxi) et peu manœuvrant qui volent en essaims et se font descendre soit par la chasse adverse, soit par les canons au sol. Sur 1200 ou 1500, quelques pourcents ne reviennent pas. 82 773 opérations de Halifax B ont largué 224 207 tonnes de bombes sur les nazis et ont perdu 1 833 unités durant toute la guerre sur 6000 avions construits, soit environ un sur trois. Mais il arrive qu’un avion parvienne à atterrir, endommagé et avec des morts à bord. Les pièges sont la flak bien-sûr, les chasseurs ennemis, mais aussi les pannes au décollage ou à l’atterrissage et les collisions en vol avec les collègues qui volent aux instruments, en formation serrée. Ou parfois une colline, sur le sol anglais au retour, mal estimée dans le brouillard…

Lui est guerrier de métier mais nombre des pilotes, mécaniciens, navigateurs ou mitrailleurs sont des civils engagés pour résister. Tous forment une équipe de bombardement, soumis au même avion, aux mêmes missions, aux mêmes aléas de la chance. Au sol, ils ne copinent pas ; en vol, ils sont une famille. La treizième mission est particulièrement angoissante en raison de la superstition christique de la Cène où le treizième compagnon a trahi. La trentième mission est la pire car elle est théoriquement la dernière, les études ayant montré que les volants connaissaient trop de stress au-delà. Bien-sûr, la pénurie de relève oblige parfois à dépasser ce cap… L’auteur effectuera 36 missions dans le Squadron 346 Guyenne créé le 15 mai 1944 sur la base de RAF Elvington, dans le Yorkshire. Le groupe effectuera 118 missions entre juin 1944 et avril 1945 et 18 équipages seront perdus, soit 15%.

Chevrier est Roy en son domaine, chef du Halifax B, quadrimoteur Rolls Royce conçu en 1937 et actif pour la première fois en mars 1941. L’avion restera opérationnel dans l’Armée de l’air française jusqu’en 1952. S’il a bombardé Le Havre en sa toute première mission, cet avion était destiné à surtout bombarder la Ruhr – surnommée « la vallée heureuse » – avec ses 2000 km de rayon d’action. Ce seront Mannheim, Stuttgart, Berlin parfois, Goch près de Clèves, à la princesse bien connue des profs après Sarkozy. A chaque fois, le bombardant ne se préoccupe pas des bombardés, il accomplit son travail comme un ouvrier dans l’industrie de la guerre. Il ne voit pas l’ennemi, ni les corps déchiquetés, ni les civils pris au piège ; il veut la fin de la guerre contre la barbarie et, pour cela, accepte la barbarie de toute guerre. Croit-il en Dieu ? Oui, mais guère en l’Eglise. Doute-t-il du bien-fondé de sa mission ? Oui, mais que faire lorsque votre pays est aux mains de l’ennemi, sinon combattre ?

Ce sont ces doutes, ces actes de courage pour faire son métier malgré tout, ces relations humaines attentives aux autres hommes et aux quelques femmes lors des permissions, qui font de ce roman vrai une œuvre de la littérature de guerre.

Prix Renaudot 1940, décerné en 1946

Jules Roy, La vallée heureuse, 1946, J’ai Lu leur aventures 1967, 187 pages, €3.89 occasion

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La Forêt d’argent d’Emmanuel Bourdieu

La Commission européenne accorde une subvention de 900 millions d’euros pour construire une autoroute permettant de désenclaver la Roumanie : une forêt d’argent contre « la » forêt d’argent. Car les banques sont sur les rangs, alléchées par le montant de leurs commissions possibles sur les prêts – mais la population roumaine ne veut pas de cette modernisation forcée, du passage d’une économie paysanne et religieuse à l’économie consommatrice et capitaliste.

La Banque européenne de développement emploie un couple, lui qui n’est jamais passé directeur et s’occupe de financements, et elle qui vient de passer directrice pour l’Asie. Jeunes, ils étaient ambitieux tous les deux. Et puis, pour lui, David (Nicolas Duvauchelle) la flamme est devenue la flemme aux yeux de sa femme Elisabeth (Julia Faure) qui a gardé les dents longues. Lui non ; il préfère regarder grandir son fils, George s(Albert Carpentier), « 8 ans, 1m30, les cheveux bruns », dit son père. Le gamin est élevé surtout par sa baby-sitter Roxana (Marina Palii), une Roumaine de 30 ans car ses parents sont souvent absents, retenus par le boulot, sa mère surtout. Roxana est devenue sa mère de substitution, elle lui parle en roumain et il apprend la langue (proche des langues latines).

David préfère aux bureaux de verre et de béton de Strasbourg les forêts de sapins de Belgique, où il a vécu enfant, ou la forêt de bouleaux de Roumanie. Car il a une idée : pour faire passer la pilule aux bureaucrates de la Commission et que sa banque l’emporte, il faut lui vendre non un projet économique (la Roumanie a peu d’industries) mais un projet culturel : l’autoroute des monastères. C’est en faisant parler Roxana de son pays qu’il lui est venu cette idée, en phase avec son côté plus humain que calculateur.

Ce concept plaît bien à sa chef Valeria (Dominique Reymond), directrice aux dents encore plus longues que celles de sa femme. Elle l’envoie en mission avec Roxana comme assistante interprète dans la partie moldave de la Roumanie pour convaincre la population qui manifeste contre. La mère supérieure d’un monastère est surtout particulièrement remontée, ne voulant ni que l’autoroute dévaste la forêt d’argent composée de bouleaux frissonnant à la brise, ni qu’il amène des dizaines de cars de touristes qui vont troubler la paix des lieux de recueillement et acheter avec vulgarité la morale des habitants resté traditionnels.

Econduit par le chef de la majorité au Parlement, peut-être achetable (question de prix) mais devenu subitement injoignable, il va à la rencontré de la supérieure du monastère via la mère de Roxana qui habite le même village et la connait bien. Il se permet de « négocier » une modification du tracé qui épargne le village et évite que l’on touche à la forêt d’argent où Roxana l’a emmené promener. Mais il n’y a aucun réseau de téléphonie mobile dans la région et il ne peut communiquer, restant quatre jours sans donner de nouvelles. Le spectateur, un peu dérouté, se dit qu’il existe quand même un téléphone fixe ou même le bon vieux télégramme ? Qu’il pourrait quand même aller à la ville voisine d’où la maman de Roxana utilise Skype couramment pour parler avec sa fille à Strasbourg. Mais non, le digital native ne connait rien à ces archaïsmes préhistoriques de la communication et fait le mort. Ou plutôt il a des états d’âme. Il sait au fond de lui que ce projet routier va éventrer le pays, forcer la modernisation, violer les habitudes des habitants.

Conclusion : la direction est passé par-dessus sa tête, il est viré du dossier, repris d’une main de fer par Valeria sa chef, pour qui l’ambition consiste à faire ce qu’on lui dit de faire, pas à considérer les habitants. Le projet va donc en force, tout droit, massacrant la forêt et expropriant une partie du village – dont la maison ancestrale de la famille de Roxana. David voit bien que l’ambition est une impasse car elle mène à déshumaniser le travail et les relations avec les gens. Son voyage avec Roxana lui a permis de retrouver les valeurs simples de la famille et de la campagne, certes envahissantes toutes les deux mais plus apaisées. Il se verrait presque vivre dans une ferme en Roumanie à élever des brebis avec la douce Roxana qui aime son fils plutôt qu’avec la technocrate sans âme qu’il a épousée et qui ne voit l’enfant que rarement. Elle compense avec des cadeaux démesurés, un camion de pompier aussi gros que lui, un projet de Nouvel an à Hong-Kong, alors que le petit garçon réclame surtout, comme tous les enfants, présence et attention.

Roxana répond bien plus à la définition d’une mère qu’Elisabeth qui a le droit pour elle. Ce pourquoi, après l’échec de la mission et les avances prudentes qu’il lui a faites sans insister, lorsqu’elle décide une nuit de quitter l’appartement et son travail pour rentrer chez elle, Georges qui l’appelle, découvre qu’elle est partie. Il l’a senti dans son sommeil, lui qui fait souvent des cauchemars parce que ses parents sont absents. Il enfile un blouson sur son pyjama, lace ses chaussures et sort dans la nuit à sa recherche. Il ne pense même pas à réveiller sa mère biologique qui dort à côté ; pour lui, elle n’est qu’une étrangère, bien plus que l’étrangère en droit Roxana.

Au matin, Georges a disparu. Roxana aussi, et les parents portent plainte, croyant qu’elle l’a enlevé.  Rattrapée par la police dans le bus pour Bucarest, Roxana tombe des nues. Elle aime Georges comme son propre enfant, ne l’a ni enlevé ni fait du mal, elle ne peut plus vivre avec son patron pour raisons professionnelles, parce qu’il lui a fait miroiter un accord avec son pays qu’il a été incapable de tenir. Le gamin est retrouvé à une vingtaine de kilomètres, en état de choc ; on ne sait pas comment il a pu en faire autant (pas à pieds, quand même !), on ne sait pas si quelqu’un a profité de lui, on ne sait rien.

Toujours est-il que tout semble bien qui finit bien, sauf que s’ouvre alors le début d’une autre histoire : le divorce probable du couple désuni, la démission du métier de banquier pour lequel David n’est pas fait, la bataille pour la garde du fils que la mère est incapable d’élever, le divorce entre l’exploitation des gens par le système et la relation humaine de la famille…

Filmé d’après le roman Kidnapping de Gaspard Koenig (mais qui se passe à Londres avec un Georges de 2 ans), la leçon est dans cet accord qui ne se fait plus entre l’ambition et l’humanisme, entre la technocratie calculatrice individuelle et les rapports humains sociaux. Qui kidnappe l’autre ? La Roumanie par l’Union européenne ? La jeune fille paysanne de l’est par la richesse bourgeoise de l’ouest ? La tradition respectueuse de la nature par la technocratie industrielle ? Le cœur par l’argent ? La maman de droit par la maman quotidienne ? A un moment, il faut choisir ; on ne peut mener de front tous les combats.

David, en jeune homme tourmenté, est un personnage révélateur des contradictions du présent. Roxana, en candide venue d’un pays de l’est retardataire mais attirée par la modernité en est un autre. Entre les deux, Georges, un enfant déchiré entre ses affections et qui voudrait comprendre.

Film La Forêt d’argent, Emmanuel Bourdieu, 2019, avec Nicolas Duvauchelle, Marina Palii, Albert Carpentier, Julia Faure, 1h30, pas de DVD, visible en streaming gratuit

Roman Gaspard Koenig, Kidnapping, 2016, Livre de poche 2019, 384 pages, €8.20

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Christian de Moliner, Vers les ruines de Paris

Nous sommes dans cinq générations au futur, en 2163. Le monde vu par Moliner ne ressemble plus à celui que nous connaissons. L’hyperpuissance a éclaté en trois, le sud s’est rattaché au Mexique, la Californie à la Colombie britannique – exit les Etats-Unis. La Chine elle-même, pourtant de peuplement homogène Han et d’idéologie multimillénaire avec Confucius et Mencius, semble avoir disparu en tant que puissance – ne subsiste qu’une Ligue des cinq villes autonomes avec Singapour, Hongkong, Macao, Taipeh et Kuala Lumpur. La Russie est devenue croupion avec la perte de la Sibérie au profit d’une Union chinoise qui rassemble les communautés chinoises du Pacifique. Quant à la France, elle fait partie du Califat, immense rassemblement de l’Oumma musulmane qui a intégré le Pakistan et toute l’Europe occupée par l’islam démographiquement conquérant des deux siècles précédents. Sauf le « royaume de Syagrius » qui comprend le nord-ouest français, dirigé par le nationaliste François Delattre.

Dans ce décor, on se demande où est passée l’Inde, pourtant puissance montante prête à dépasser la Chine au XXIe siècle. Et l’Afrique ? Fait-elle partie du Califat ou celui-ci se limite-t-il aux Maghreb et Machrek ? L’explosion démographique noire que nous observons en 2018 semble un non-événement.

L’intrigue se noue entre le Califat, la France en reconquête de Delattre et la ligue menée par Singapour. Cette dernière entend jouer le rôle d’arbitre pour faire respecter la paix mondiale et établir, dans le futur, la paix définitive par un gouvernement mondial. Un rôle que les Etats-Unis ont dédaigné au XXIe siècle pour jouer le repli xénophobe et la guerre commerciale de tous contre tous. Le Calife est un petit homme faiblard, fétu de paille entre les mains du vizir ou Premier ministre qui fait assassiner son prédécesseur Benyouche pour établir les El Assad. Et El Assad veut la guerre ; car l’islam se dilue quand il ne conquiert plus. Jusqu’à ce que la planète soit convertie, le djihad ne doit pas cesser. Une autre voie de l’islam existe, mais elle est sous la terreur de la version extrémiste – tout comme aujourd’hui.

Christian de Moliner monte alors un scénario rythmé comme un thriller où le Calife veut tendre un piège à son Premier ministre, tandis que ce dernier tend un piège à la Ligue de Singapour. Il s’agit de porter un message à François Delattre par son ancien ami le diplomate Geymal, chrétien maronite vivant à Jérusalem en plein Califat. Celui-ci emmène sa fille Soria, qui emmène un couple de Juifs talistes menacés de pogrom par l’attentat contre le précédent Premier ministre et qui se sont cachés dans un puits. Soria est amoureuse du jeune homme Salomon, mais il est promis à sa cousine Sarah pour reproduire de petits Juifs. Le Califat, fort de la sagesse de Dieu et de la prescience de Hitler, a en effet stérilisé tous les Juifs pour éviter les ferments de discorde dans l’Oumma – sauf la secte taliste qui se voue à la prière et à l’existence contemplative. Comme il est dit plusieurs, fois, remugle de Bible qui remonte des profondeurs culturelles de l’auteur, lorsque le dernier Juif périra, la terre sera détruite. D’où l’intérêt qu’ils fassent beaucoup de petits même s’ils ne vivent pas heureux, à l’inverse des fins de contes.

Geymal et sa smala sont donc transportés aux frontières des Français de souche, entre Somme et Loire (sauf Paris et Versailles), pour convaincre Delattre de ne pas chercher à reconquérir Paris, ce champ de ruines, sous peine de déclencher la guerre avec le Califat, donc la riposte de la Ligue de Singapour qui veut conserver l’équilibre des puissances. Rien ne va se passer comme prévu, malgré les probabilités calculées des prédicteurs et la puissance informatique des ordinateurs neuroniques.

L’amour, cette passion trop humaine, va interférer avec la froide logique de la mission. A croire qu’il vaut mieux être un robot guerrier qu’un humain stratège pour gagner n’importe quel combat. François Delattre, fanatique monomaniaque, sacrifie son fils de 16 ans appelé dans les commandos et sa fille à peine plus jeune ou plus vieille (le lecteur ne sait pas) qui officie comme infirmière de l’avant. Il n’a qu’une seule faiblesse, l’autre fille qu’il a eue avec Anne, fusillée par le Califat lors d’une mission vingt ans auparavant.

Il est curieux de constater que l’auteur n’aime pas les hommes : tous ses personnages masculins sont nuls. Delattre, son jeune général, son fils et El Hassad sont des dogmatiques poussés aux excès ; le Calife, Geymal et Salomon des couards qui n’osent jamais prendre de décision ; le ministre Longue vue (Long Wu en chinois) produit toujours des plans qui pêchent. Seules Soria parvient à encaisser amour déçu et amour impossible, Sarah l’absence d’amour malgré l’accouplement, et la Présidente de la Ligue de Singapour soupèse le pour et le contre avant de trancher en chef d’Etat responsable ; quant à la fille de Delattre, elle refuse le monde sans son père.

Il est curieux de constater aussi que l’auteur fait un éloge de l’hybride, du métissage. Singapour est pour lui « le » lieu du monde futur où la rencontre de la Chine confucéenne, de la Malaisie musulmane et du droit anglais peut produire la paix mondiale (p.80). J’en doute, mais on peut rêver à la République universelle, Hugo l’a fait un siècle et demi en arrière.

Au total, malgré une typographie qui mériterait d’être aérée et un découpage de l’action qui réclame plus de suspense et de scènes alléchantes (préparations, minutieuses, violence des duels, sexe torride, explosions spectaculaires), cette fiction politique futuriste mérite le détour !

Rien ne se réalise jamais comme on croit car nous projetons le présent sur l’avenir et la mentalité d’aujourd’hui sur celle du futur, mais ce thriller politique a la vertu de nous projeter dans le temps long où l’ardeur belliqueuse de quelques-uns et la lâcheté morale de quelques autres a transformé le monde en un lieu qui ne nous plaît guère.

Christian de Moliner, Vers les ruines de Paris, 2017, éditions du Val, broché €8.12 e-book Kindle €2.99

Les autre œuvres de Christian de Moliner déjà chroniquées sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

A l’attention de l’auteur, subsistent certaines coquilles qu’il serait utile de corriger :

p.24 au hurlement (et pas à l’)

p.26 nous nous terrons (manque un nous)

  1. 27 problème posé par Salomon et Sarah (supprimer de)

p.35 qui les accueille (supprimer ent)

p.48 chez les Chinois (les majuscules sont inversées)

p.63 ils sont passés et se sont posés (et pas ils ont, ni posé sans s)

p.104 ils ne démêlent pas le vrai du faux (manque pas)

p.143 mosquée Al Aqsa (et pas comme c’est écrit)

passim Q.G. (quartier général) et pas Q.C. ( ?)

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Terminator de James Cameron

George Orwell avait imaginé en 1949 l’année 1984 (ici en DVD) comme un soviétisme généralisé ; le millésime atteint, James Cameron se projette 45 ans plus tard en 2029. La tyrannie a changé de genre : ce ne sont plus les apparatchiks robotisés du communisme « scientifique » qui tiennent le pouvoir, mais les robots créés par l’essor de la connaissance scientifique et la sophistication des « ordinateurs ». L’intelligence artificielle a un beau jour déclenché la guerre nucléaire et les rares survivants se trouvent en butte aux machines, fabriquées à la chaîne dans des usines automatisées, et qui ont pour « volonté » de détruire toute vie organique pour assurer leur règne.

Ces fantasmes, qu’il faut déconstruire, hantent toujours l’imaginaire d’aujourd’hui, d’autant plus que 2029 : c’est dans dix ans ! Il est en effet possible qu’une programmation informatique déclenche un processus de guerre (cela s’est déjà produit), même si les clés de sécurité multiples empêchent de finaliser la catastrophe. Mais rappelons qu’il n’existe pas « d’intelligence » artificielle, seulement une programmation sophistiquée qui ne fait que dérouler ses instructions ; les algorithmes automatiques reproduisent, ils n’inventent pas ; s’ils « apprennent », c’est par itération, pas par capacité de synthèse. Ni la mémoire, ni le réflexe, ne composent en eux-mêmes « l’intelligence ». Il est probable que les robocops ou autres robots de combat puissent acquérir une autonomie dans la réussite de leur mission programmée. Mais qui va recharger leurs batteries (et leurs munitions, dispensées largement dans le film) ? Qui va fournir l’énergie pour recharge ? Qui va extraire le minerai, le raffiner et l’usiner pour remplacer les pièces endommagées ? Qui va faire la maintenance du vaste système automatique de tout cela ? Un processus peut être automatisé, mais une volonté doit décider l’entretien et la rénovation, faute de quoi l’obsolescence se fait d’elle-même.

Mais l’intérêt du film est moins dans le fantasme que dans l’action et ce qu’elle implique. Schwarzenegger en méchant cyborg Terminator T-800 venu du futur pour tuer avant qu’elle ne tombe enceinte la mère du futur résistant aux machines, est une statue du Commandeur : elle se pose, implacable, face aux apprentis sorciers des fans de la technique jusqu’au bout, et sans contrôle. Kyle (Michael Biehn), venu du futur lui aussi, envoyé par le résistant aux machines, est un bel humain élevé dans les sous-sols d’un Los Angeles détruit et qui a connu la faim ; il s’est fait les muscles et la volonté dans le combat sans merci contre ces dérives de la technocratie capitaliste qui préfère le toujours plus jusqu’au pire, et le profit immédiat plutôt que se soucier des conséquences à long terme. Kyle sera le père de John Connor en baisant fiévreusement une seule fois la Sarah Connor (Linda Hamilton) encore étudiante et serveuse de fast-food pour se payer les études que le Terminator est venu éliminer. Tous deux ont 28 ans au tournage. Choisir pour père son propre compagnon de combat est un paradoxe étonnant qui préfigure la recomposition des familles et toutes les manipulations assistées. Il y a bien d’autres abymes que l’action brute dans ce film grand public. Sans parler des caricatures sociologiques que sont le commissaire benêt (Paul Winfield) et le psychiatre limité (Earl Boen) tous deux fonctionnaires qui fonctionnent – comme des robots – et le baiseur obsédé de la colocataire de Sarah en sex-machine.

Il ne faut pas pour autant bouder son plaisir à l’action, toujours haletante et aux scènes bien découpées. Tout commence par un Schwarzy à poil qui se matérialise dans un nuage de fumée (diabolique ?) devant les yeux d’un gros Noir conduisant une benne à poubelles. Lequel Schwarzy se balade toujours à poil en cherchant des vêtements, jusqu’à rencontrer trois racailles qui le menacent de leurs couteaux. Qu’à cela ne tienne, à peine une minute plus tard, les deux plus cons sont disloqués, la main du Terminator arrachant vif le cœur palpitant de l’un d’eux, tandis que le troisième s’empresse de quitter tous ses vêtements pour les donner au monstre. Puis Kyle apparaît dans un même arc électrique et nuage de fumée, mais plus fragile, éprouvé par la translation. Il pique son pantalon à un clochard avant de fuir habilement la police – toujours en nombre et toujours aussi nulle.

Les deux futuristes se procurent immédiatement des armes (cette prothèse mâle de tout Américain qui se respecte) et l’un va tuer systématiquement toutes les Sarah Connor de l’annuaire tandis que l’autre cherche l’unique qu’il doit protéger. Rafales de balles, explosions, massacres, tout un commissariat dévasté, rodéo de voitures… rien ne manque au spectaculaire hollywoodien. Le Terminator n’a qu’une mission qu’il poursuit inexorablement, et il est quasi indestructible. Mais c’est une machine, aussi bête qu’un guichet de sécurité sociale, à la fois tenace et persévérant dans la stupidité. Kyle apprend à Sarah à penser, prévoir et agir par elle-même au lieu d’attendre que tout (c’est-à-dire la mort) arrive. Elle retrouve l’esprit pionnier de la Frontière, ce grand mythe américain. Ce film est le premier d’une série, tous aussi bons, mais campe les personnages et le décor. Sarah perdra Kyle, programmé lui aussi mais par la biologie à lui faire un petit pour le futur ; mais elle vaincra le Terminator qui termine écrabouillé par une presse industrielle en la poursuivant jusqu’à l’absurde – sauf une main articulée qui seule subsiste (et qui servira pour la suite).

Un grand film des années 80 qu’il ne faut pas voir seulement au premier degré.

DVD Terminator (The Terminator), James Cameron, 1984, avec Arnold Schwarzenegger, Michael Biehn, Linda Hamilton, Paul Winfield, Lance Henriksen, MGM United Artists 2003,1h43, standard €7.99 blu-ray €11.04

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Hot shots ! de Jim Abrahams

Un film culte sorti l’année où George Bush 1er déclenche la guerre du Golfe contre un Saddam Hussein qui a envahi le Koweit et où Gorbatchev est séquestré par une tentative de putsch de la vieille garde communiste en Union soviétique. Nous sommes dans la bouffonnerie lourde, le pire des travers yankees et le meilleur des gags. Ce pastiche de Top gun mandate un autre jeune premier, Charlie Sheen, pour jouer au pilote virtuose mais psychologiquement névrosé.

Viré de sa base quinze mois plus tôt pour acrobatie dangereuse, Topper Harley (Charlie Sheen) est rattrapé par son commandant (Kevin Dunn) qui va le chercher dans sa réserve indienne où il se terre pour être en communions avec la terre. Cric-crac ! fait la peau à l’entrée du tipi lorsque le commandant sonne à la porte comme s’il s’agissait d’une maison normale. Ce n’est que le début d’une série de gags désopilants qui mettent à mal tout héroïsme et toute tentative de se prendre au sérieux.

Le nom du pilote féru d’avion et de moto est par exemple issu du scooter Harley-Davidson Topper des années 1960. L’amiral Benson (Lloyd Bridges) est une baderne incapable et réparée de bric et de broc de ses blessures de guerre depuis quarante ans, une sorte d’homme diminué plutôt qu’augmenté. Car tout est inversion dans les sketches : un loup apprivoisé erre dans le campement indien mais c’est un ridicule clebs qui glapit à chaque fois que quelqu’un s’assoit quelque part, car il est toujours sur la chaise. Le copilote Pas d’bol (William O’Leary) rencontre un chat noir, passe sous une échelle, brise le miroir de sa femme (Heidi Swedberg) qui lui raconte que ses deux gosses tout joyeux de leur nouvelle maison commencent à gratter les murs pleins d’amiante cancérigène, avant de ne pas signer l’assurance-vie en reportant cela à plus tard – il se crashe à l’entraînement. Lorsque Topper donne ses économies (600 malheureux dollars) à l’épouse éplorée lors de l’enterrement, celle-ci lui déclare que ce sera juste, avec le chèque de 3 millions qu’elle vient de gagner au loto, pour financer sa croisière. Tout est de la même veine…

Topper enfourche donc sa moto pour revenir à la base et reprendre le manche. Il ne se fait pas faute de rencontrer sur la route une belle femelle (Valeria Golino) chevauchant son cheval et faisant des acrobaties dessus. Il la retrouvera comme psy de la base et sera réglementairement obligé d’aller la voir régulièrement. Car il garde en lui le souvenir douloureux de son père, responsable de la mort de son coéquipier lors d’une mission d’entraînement. En fait, il ne l’a pas tué mais l’avion s’est crashé et des tarés de chasseurs de cerf l’ont descendu en prenant les branches prises dans son casque pour des bois d’animal. Dans la chambrée à la base, chacun d’ailleurs se trouve plus ou moins fils, cousin ou nièce des protagonistes. Une femme vit d’ailleurs comme un homme dans le baraquement, tandis que le sergent noir aboyeur comme dans Full Metal Jacket lui demande de faire saillir ses pectoraux.

Mais l’absurde n’irait pas loin s’il n’y avait une sombre histoire de magouille du lobby de l’armement pour fourguer leur dernier avion. Une mission en Irak depuis un porte-avion en Méditerranée en donne l’occasion. Le commandant, soudoyé par les lobbyistes, compose une improbable équipe de bras cassés pour faire échouer la mission, tandis que le meccano sabote les armements. Le guide radar est atteint d’un strabisme divergent qui l’a fait virer du pilotage, Topper le casse-cou est choisi comme chef de mission. Pas d’bol aurait été le meilleur pilote pour cette mission mais il n’est plus là. C’est peut-être cela qui va sauver le coup – et l’influence femelle de la psy, qui en pince pour le Topper et arrive à le convaincre que l’histoire de son père n’est pas de sa faute.

Les jets ont à bombarder une centrale atomique en Irak, dans la piscine de laquelle Saddam Hussein (Jerry Haleva) aime à se tremper. Leurs bombes sont sabotées, leurs missiles aussi, mais Topper détourne en virtuose les missiles des ennemis à ses trousses pour faire tout exploser dans un feu d’artifice à la Hollywood. Les chasseurs ennemis sont noirs et chaque pilote, en visière noire, porte un nom de dérision : Couscous, Kebab, Houmous… Tout à leur traque, ils percutent tous une montagne tandis que Topper passe un col étroit en braquant son jet à la perpendiculaire.

Le commandant félon est blessé dans l’opération mais avouera à Topper que son père n’a pas démérité et que c’est lui qui a tu la vérité par jalousie et envie de prendre sa place. Mission réussie, père réhabilité, ego restauré, Topper n’aura plus qu’à couler des jours heureux avec la psy, que son ex-fiancé (Cary Elwes) lui laisse, autre inversion improbable dans le machisme yankee. Mais elle est si « chaude » : on peut faire griller du bacon et frire un œuf sur son bas-ventre, après avoir fait sauter une olive plantée dans son nombril jusque dans sa bouche !

L’exagération des rôles et l’inversion systématique des attitudes normales, avec le comique de répétition et les trouvailles des dialogues est un peu difficile à assimiler à la fois à la première vision, ce pourquoi certains n’aiment pas. Mais si vous faites attention aux détails, vous prendrez beaucoup de plaisir. Allez par exemple jusqu’au bout du très long générique, parsemé de recettes de cuisine et de gags insérés ici ou là ; vous y serez aidé par une bonne musique. Il se termine d’ailleurs par ce message « Si vous étiez parti au début du générique vous seriez déjà chez vous ». L’époque était encore à la parodie : qui, aujourd’hui, oserait se moquer aussi ouvertement des travers de l’armée, du lobby militaro-industriel et des héros pilotes de l’aéronavale ?

Il existe une suite, Hot shots 2, que je n’ai pas vue mais qui paraît aussi drôle.

DVD Hot shots ! de Jim Abrahams, 1991, avec Charlie Sheen, Cary Elwes, Valeria Golino, Jon Cryer, Lloyd Bridges, 20th Century Fox 2001, 1h24, standard €5.89, blu-ray €21.36

DVD Hot shots ! + Hot shots 2, 20th Century Fox 2012, standard €9.99, blu-ray €11.99

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Permanence des gauloiseries ?

Alors que le Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain en Laye, inauguré par Napoléon III en 1867, fête ses 150 ans, Laurent Olivier, conservateur en chef des collections d’archéologie celtique, fait le point de nos connaissances sur les « Gaulois » dans le dernier dossier de la revue L’Histoire (n°439, septembre 2017). L’étonnant, à sa lecture, est la permanence des façons de voir le monde…

Certes les « Gaulois » sont des peuplades diverses, désignées par les Romains entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; ces mêmes « Gaulois » appartiennent à la culture celtique qui date de La Tène au VIe siècle avant ; la partie sud, du lac Léman aux Pyrénées, a été romanisée trois générations avant la conquête de César. Donc les « Gaulois » ont changé, se sont acculturés, sont devenus progressivement Gallo-romains avant d’être presque tout à fait « Romains ». Mais quand même…

La civilisation gauloise était riche de connaissances et avancée dans les techniques – mais elle écrivait peu, ou bien sur des supports éphémères. Hiérarchiques, élitistes, les Gaulois semblaient considérer que le savoir n’était pas à mettre entre toutes les mains. Il devait être réservé aux initiés, cooptés par les puissants qui leurs transmettaient oralement ce qu’ils devaient connaître – comme aujourd’hui où le pouvoir ne s’apprend pas dans les écoles… Comment ne pas voir en effet une suite de cette mentalité dans la technocratie des hauts-fonctionnaires qui se croient pour mission de guider le peuple enfant ? Ou dans les apparatchiks idéologues qui savent-mieux-que-vous-ce-qui-est-bon-pour-vous ? Ou encore dans ces corporatismes enseignants, cheminots, chauffeurs d’hydrocarbures, conservateurs de musée… qui se font un « honneur » du métier qu’ils exercent, et se veulent imperméables à toutes les pressions de changement ? Etrangeté française, en a conclu Philippe d’Iribarne…

La société gauloise, nous apprend Laurent Olivier, devient vers le Ve siècle « de type étatique, avec des capitales de cités qui sont tout autant des centres politiques que des pôles économiques : les oppida ». La culture est guerrière avec pour objectif le prestige personnel, la renommée. D’où aujourd’hui comme hier la vanité affichée des dirigeants, qu’ils soient politiciens, patrons, intellos, artiste ou histrions médiatiques. Chacun veut « arriver », avoir son petit quart d’heure de gloire narcissique. La richesse n’est pas d’argent mais de prestige.

L’économie est secondaire par rapport à la politique. En effet, la renommée consiste non pas à accumuler comme l’oncle Picsou, ni à produire comme les peuples industrieux (les Romains par exemple) ou à commercer (comme les Grecs), mais à redistribuer pour s’acheter des clients. Cette « économie du don et du contre-don » (qui fait rêver nos nouveaux écologistes) est archaïque, fondée sur le pouvoir de redistribution. Comme « l’Etat » aujourd’hui (ou plutôt les politiciens à tous niveaux de collectivités locales et nationale qui accaparent « l’Etat »), comme les « bon patrons » paternalistes qui créent crèches et comité d’entreprise pour le personnel ou assurance santé et épargne-retraite abondées, comme les partis et les syndicats qui « aident » par copinage leurs membres influents. L’efficacité économique n’existe pas, seule compte la gloire. Le don crée de la dépendance, la domination se fait par l’argent, mais l’argent redistribué, « social » dirait-on de nos jours. Les suites de cette gauloiserie serait-il le « modèle social français » qui consiste à donner avant de produire, comptant sur la spoliation des classes moyennes qui travaillent pour assurer le flux récolté par les puissants pour donner à la masse appauvrie ?

Chez les Gaulois, « les nantis créent de la dette, qui traverse ainsi toute la société, de haut en bas. Les riches se donnent et se rendent des biens de luxe, mais les pauvres, eux, n’ont rien à donner en contrepartie de ce qu’ils ont reçu. Si ce n’est leur vie ; et c’est pourquoi ils deviennent dépendants des nantis ».

Les étrangers exploitent cette particularité culturelle… comme aujourd’hui les Américains et les Chinois, voire les Allemands, le font des Français. « Ils ont alimenté les ‘maîtres des richesses’ des aristocraties celtiques en vins méditerranéens, que les indigènes ne savaient pas produire et dont ils sont devenus avides. » Aujourd’hui, ce sont les gadgets électroniques dont les Français sont accros, n’hésitant pas à payer un téléphone dernier cri 800€ pour, en contrepartie, pleurnicher qu’on leur ôte 5€ par mois « d’aide » au logement.

Les aristocrates gaulois commandaient des « gros machins » de prestige sans aucune utilité économique, comme ce cratère de Vix qui permettait d’abreuver en vin 4500 personnes ou ce chaudron d‘argent de Gundestrup à vocation peut-être religieuse. Nous avons connu nos « gros machins » d’Etat inutiles comme le paquebot France, l’avion Concorde, le Plan calcul, la « Très grande » bibliothèque – moins fonctionnelle qu’estampillée Mitterrand… Ce « gaspillage » en termes d’efficacité économique (et écologique !) reste très « français » : la gloire vaniteuse avant la hausse du niveau de vie. Même les panneaux solaires – achetés aux Chinois – consomment plus d’énergie et de matières premières à produire qu’ils ne produisent d’électricité dans leur dizaine d’année de fonctionnement. D’où l’explosion de la dette française… qui ne date pas d’hier, puisque les Gaulois du IIIe siècle l’ont connue – avec ses conséquences inévitables : « l’explosion de la dette et de la dépendance économique, puis culturelle, vis-à-vis de Rome ». Aujourd’hui, la dépendance est envers l’Allemagne dans l’industrie, envers les Etats-Unis pour la culture, envers la Chine pour la consommation. Le Gallo-ricain est né, avant bientôt le Gallo-chinois. Et tous nos intellos de se coucher devant la puissance qui monte…

Il faut dire – encore une curieuse coïncidence des mentalités – que contrairement aux Grecs et aux Romains, « l’art gaulois n’est pas naturaliste : il ne cherche pas à représenter le monde comme nos yeux le voient, mais comme l’esprit le conçoit », explique Laurent Olivier. Ce qui permettra au christianisme, cette religion d’un « autre monde possible », de séduire des adeptes comme plus tard le communisme et les différentes formes d’utopies gauchistes, ou encore le « libéralisme du plus fort » yankee qui sévit aujourd’hui, marchandisant tout (et qui n’a rien à voir avec le libéralisme originel : français des Lumières). L’esprit invente son monde, il méprise celui que les yeux voient, d’où cette constance distorsion des actes avec le réel qui fait que l’on invente le Minitel mais que ce sont les Américains qui créent l’Internet, et toutes ces sortes de choses.

Notons aussi que « si l’on croit ce qu’écrivent Plutarque et César (…), les femmes jouissent de droits inconnus en Méditerranée, tels ceux d’endosser le pouvoir politique et de mener à la guerre ». Le tropisme bobo du compromis avec l’islam pour ne pas choquer les croyants, montre combien ces intellos sont hors sol et américanisés, bien loin des permanences gauloises des mœurs…

Il ne s’agit pas de plaquer l’histoire sur le présent pour expliquer nos mentalités, mais de constater combien des traits culturels demeurent enracinés profondément. Hiérarchique, élitiste, étatiste, guerrier, vaniteux avide de gloire, jetant l’argent qu’il a spolié pour acheter des clientèles, refaçonnant le monde à son image sans l’observer une seconde, mais accordant aux femmes une place égale aux hommes – tel est le Gaulois historique, tel est le Français d’aujourd’hui.

C’en est troublant…

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Max Gallo, Richelieu

Dans l’un de ses derniers livres historiques Max Gallo, mort en juillet 2017, délivre un message de foi patriotique. Sa biographie de Richelieu n’est pas œuvre d’historien mais de militant chevènementiste. Le sous-titre, La foi dans la France, en témoigne. Il s’agit d’admirer les grands hommes, pas de connaître la vérité. Ainsi le mythe patriote peut-il servir aujourd’hui.

L’opération est sympathique, pédagogique, mais fait bon marché de la complexité des hommes – et des femmes ! Car, à lire Max Gallo, tout n’était qu’intrigues et manigances autour du roi faible Louis XIII, intronisé à neuf ans alors que son père, le tonitruant Henri, était troué par l’assassin charentais Ravaillac. Louis fut terrorisé par papa, grand baiseur et truculent bavard, qui eut six enfants et douze bâtards ; il fut dominé par maman, Marie de Médicis jalouse et très dévote qui s’accommoda fort bien de la régence et eut beaucoup de mal à laisser les rênes du pouvoir à l’adolescent lorsqu’il eut 16 ans.

Par religion, le jeune Louis a en horreur la chair femelle ; par rébellion, il prend le contre-exemple de ses parents. Mais comme il est épris d’affection, il a besoin de jeunes favoris et d’un vieux mentor. Les favoris seront Luynes puis Cinq-Mars, « marquis de quinze ans », ainsi que Mlle de La Fayette parce qu’elle voulait rester chaste et entrer au couvent. Le mentor sera Richelieu.

Armand Jean du Plessis n’est devenu cardinal-duc que par la faveur du roi, et « de » Richelieu qu’à la mort de son frère aîné. Il était de 16 ans plus vieux que le roi et a su faire allégeance à maman avant de séduire fifils. Comme il n’a jamais dévié des conseils d’aîné avisé et de la ferveur qu’il a mis au service du royaume, d’après Max Gallo, Louis XIII l’a laissé faire, en pleine confiance. Adolescent bretteur et occupé de femmes, Armand Jean est vite contraint par sa famille à entrer dans les ordres pour conserver le bénéfice de l’évêché de Luçon. Il serait resté obscur évêque sans les intrigues de la Cour.

Mais il va dès lors accomplir sa « mission » – comme si, selon Gallo, elle lui avait été confiée par En-haut : « car telle est la volonté de Dieu qui a choisi de faire d’un homme, d’une dynastie, ses représentants sur terre. Le roi est sacré » p.250 (édition XO). L’ordre établi doit être respecté, telle est « la foi » de Max, « Dieu » venant en argument imparable. Or ce n’est pas « la France » qui est en jeu, mais « le royaume » – ce qui est un peu différent. Sous l’Ancien régime la nation existe peu, bien que le sentiment d’appartenance soit né contre les Anglais au moyen-âge, se soit affirmé contre les Espagnols au siècle des Louis, avant les Allemands aux 19ème et 20ème. Le royaume est surtout l’apanage du roi : tout ce qui l’enrichit conforte sa gloire, signe que Dieu est avec lui.

C’est tout ce qui importe à Richelieu, joignant son propre orgueil à celui de la dynastie, éminence rouge tuteur du roi. Le peuple ? Il s’en moque ; il fait réprimer les croquants va-nu-pieds en les pendant « par grappe ». Les Protestants ? Ce sont des traîtres en puissance, que les Grands manipulent avec l’aide de l’Espagne afin d’asservir le royaume à leurs intérêts particuliers. Gaston d’Orléans est ainsi habillé pour l’hiver, fat, inconstant, lâche. L’Eglise ? Elle doit servir le royaume, fille aînée vassale spirituelle du pape, mais bras armé bien plus puissant.

Dès lors, la geste du héros est écrite, et foin des détails qui ne cadreraient point. Le « trop joli enfant » qui accompagne Richelieu dans une campagne contre l’Espagne ? Pur instrument de propagande pour faire parler les soldats et rapporter leur moral au cardinal. L’enrichissement personnel incommensurable ? Rien que de très normal pour parler en égal aux Grands. Le népotisme familial ? Pratique courante de clientélisme d’époque.

Max Gallo nous offre une biographie qui se lit bien, phrases courtes, temps présent de rigueur. Des vérités simples à retenir, assénées et répétées comme un prof, pour bien ancrer dans la tête de linotte les points essentiels. Mais la « vraie » vie ? A quoi servirait-il de savoir ? Le lecteur ne doit retenir que ce qui reste dans l’histoire, le personnage et non la personne, le symbole agitable aujourd’hui et non la réalité humaine du temps.

Car Richelieu est l’Exemple du politicien voué à son pays… tout l’inverse de ceux d’aujourd’hui, des Grands serviteurs socialistes qui se servent avant tout eux-mêmes, et des barons de droite qui servent leur famille. Vite lu car  écrit au Gallo, mais un peu court quand même.

Max Gallo, Richelieu – La foi dans la France, 2015, Pocket 2017, 416 pages, €7.40

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Flaubert, politicien très actuel

Dans une lettre au grand historien libéral que fut Jules Michelet, dont le lyrisme et l’analyse sont encensés aujourd’hui, Gustave Flaubert rend compte de sa lecture de Préface de la Terreur, dans la fameuse Histoire de la Révolution française. Michelet n’hésite pas à y écrire : « ce temps fut une dictature ». Flaubert l’en remercie : « Je hais comme vous la prêtraille jacobine, Robespierre et ses fils que je connais pour les avoir lus et fréquentés. (…) Je crois qu’une partie de nos maux viennent du néo-catholicisme républicain. J’ai relevé dans les prétendus hommes du progrès, à commencer par Saint-Simon et à finir par Proudhon, les plus étranges citations. TOUS partent de la révélation religieuse » (2 février 1869).

Flaubert vit dans un siècle positiviste où la science cherche à s’établir contre toutes les croyances, à commencer par la religion. Mais les cléricaux derrière leurs curés ne sont pas les plus dangereux, selon lui : les Jacobins le sont aussi. Laïcs, ils n’en croient pas moins détenir une Vérité qu’ils se sentent la mission d’imposer à tous pour leur bien. Rien n’est pire que les bonnes intentions : l’enfer en est pavé, la politique française aussi. Hier comme aujourd’hui : voyez les socialistes et les écologistes, ou les économistes ultra-libéraux.

Dans une lettre à George Sand, Flaubert précise qu’il est contre le culte de l’État qui a remplacé celui de l’Église. « L’expérience prouve (il me semble) qu’aucune Forme ne contient le bien en soi ; orléanisme, république, empire ne veulent plus rien dire, puisque les idées les plus contradictoires peuvent entrer dans chacun de ces casiers. Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde qu’il est temps de ne plus en avoir du tout ! A bas les mots ! Plus de symboles, ni de fétiches ! » (5 juillet 1869). Durant la guerre de 1870, lorsque la Prusse envahit la France jusqu’en Normandie, Flaubert écrit à sa nièce Caroline : « La société qui va sortir de nos ruines sera militaire et républicaine, c’est-à-dire antipathique à tous mes instincts. ‘Toute gentillesse’, comme eût dit Montaigne, y sera impossible » (22 septembre 1870). Il faudra être pour ou contre, militant d’abord, bien croyant et très discipliné. Flaubert n’avait pas tort, la IIIe République a bel et bien créé ses ‘hussards noirs’, profs et instits chargés d’évangéliser les villes et les campagnes selon le Bien républicain (et revanchard). C’est ce cléricalisme laïc, cet embrigadement du tout politique, que vomit Flaubert.

flaubert-pleiade

Un peu plus tard, il précise : « On sera utilitaire et militaire, économe, petit, pauvre, abject » (à Claudius Popelin, 28 octobre 1870). L’existence formatée par l’industrie et l’esprit formaté par le tout calculable du commerce, renforceront la militarisation des esprits et la surveillance des consciences. On entre dans l’ère du « muflisme », dit-il à George Sand. « Si nous prenons notre revanche, elle sera ultra-féroce, et notez qu’on ne va penser qu’à cela, à se venger de l’Allemagne ! (…) Attendons-nous à des hypocrisies nouvelles : déclamations sur la vertu, diatribes sur la corruption, austérité d’habits, etc. Cuistrerie complète ! » (11 mars 1871). Ce n’était pas si mal vu pour l’avoir été ainsi à chaud… Mais remplacez Allemands par ultralibéraux (américains), et vous avez de nos jours les mêmes « hypocrisies nouvelles » social-protectionnistes, jacobino-mélanchoniques ou écolo-mystiques (vertu, diatribes, austérité…). La cuistrerie a-t-elle changé ?

Flaubert revient auprès de George Sand sur le ‘démocratisme’, ce militantisme clérical des laïcards missionnaires : « Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), parce qu’elle s’appuie sur ‘la morale de l’évangile’, qui est l’immoralité même, quoi qu’on dise, c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du Droit, en un mot l’anti-sociabilité » (30 avril 1871). « Le Sentiment est tout, le droit rien ! » (8 septembre 1871). La grâce est verticale : la faveur, le pardon concédé d’en haut, paternellement, le bon plaisir de Dieu ou du prince, l’oukase politique du Jacobin-chef. Le droit est à l’inverse horizontal : l’ensemble des règles débattues et négociées en commun, ce qui fait société.

Seul le droit est démocratique ; la grâce est féodale. Le droit organise les différents intérêts dans la société tandis que le militantisme jacobin ne cherche qu’à imposer systématiquement ses propres vues à tout le monde. Rien n’est neutre dans le jacobinisme militant (ni dans le léninisme ou le trotskysme, ni dans l’écologisme) : qui est avec eux est pardonné, quoiqu’il ait fait ; qui veut l’équilibre et la mesure se place de fait contre eux, parce qu’il n’applaudit pas à tous ce qu’ils font au nom de leur Bien. Sommes-nous sortis de la religion ?

« Au théâtre, même histoire », dira Flaubert un peu après. « On ne s’inquiète pas de la pièce, mais de l’idée à prêcher. (…) rappelez-vous une pièce du père Hugo, dans ‘La légende des siècles’, où un sultan est sauvé parce qu’il a eu pitié… d’un cochon. C’est toujours l’histoire du bon Larron ! béni, parce qu’il s’est repenti. Se repentir est bien ; mais ne pas faire le mal vaut mieux. L’école des réhabilitations nous a amenés à ne voir aucune différence entre un coquin et un honnête homme » (12 octobre 1871). Monsieur Fillon comme Monsieur Bayrou, Monsieur Hamon comme Messieurs Hollande ou Mélenchon, après Monsieur de Chirac et sa majesté François III Mitterrand, auraient dû lire Flaubert.

Gustave Flaubert, Correspondance IV (1869-1875), édition Jean Bruneau 1998, La Pléiade Gallimard, 1484 pages, €73.50

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Faire un plan pour un rapport de stage

Ne confondez pas le sujet (qui est un thème général), la problématique (qui est la mise en problème du sujet) et le plan (qui est la phrase disant ce que vous voulez démontrer).

Exemple pour un rapport de stage en entreprise :

  1. sujet = lancer un nouveau produit
  2. problématique = quels moyens utiliser pour lancer efficacement tel nouveau produit ?
  3. plan = « Dans mon agence La Poste, le nouveau PEA-pme pourrait intéresser le segment de clientèle des professionnels. Ma mission est de relancer la base clients professionnels de l’agence par téléphone, d’obtenir des rendez-vous, des noms de prospects recommandés, ou d’envoyer une documentation en attente; ses résultats ont été… »

Cette phrase dit ce que vous avez fait.

Cette phrase est donc votre plan d’exposé.

Ce plan est en deux parties et deux sous-parties, il est dynamique : il dit (1) où vous êtes et votre diagnostic des besoins, (2) ce que vous faites pour y remédier (votre mission) donc la façon de vous y prendre (votre organisation) et les résultats que vous obtenez.

Dans la phrase est contenu le plan numéroté !

1/ « Dans mon agence

1.1 La Poste (situation, clientèle, organisation, forces/faiblesses face à la concurrence),

1.2 le nouveau PEA-pme pourrait intéresser le segment de clientèle des professionnels (votre diagnostic).

2/ Ma mission est

2.1 de relancer la base clients professionnels de l’agence par téléphone, d’obtenir des rendez-vous, des noms de prospects recommandés, ou d’envoyer une documentation en attente ;

2.2 ses résultats ont été…(tableau de chiffres, budget et temps dépensé, apports) »

Il vous suffit de remplir ce canevas avec des faits précis pour chaque sous-partie.

plan-powerpoint

La règle est d’équilibrer la partie 1 et la partie 2 pour qu’aucune ne soit plus longue que l’autre (vous avez tendance à vous étendre sur votre agence et à rester vague sur vos actions).

A cet exposé, il faut joindre une introduction et une conclusion.

L’introduction dit pourquoi vous faites ce stage et pourquoi dans cette entreprise ou agence. La dernière phrase de cette introduction est la phrase de plan vue ci-dessus.

La conclusion donne le bilan de votre action : efficace/pas efficace ? faire comment si à refaire ? faire plus si vous êtes embauché. Vous devez aussi en conclusion résumer ce que VOUS avez apporté à l’entreprise (nombre de contacts, rendez-vous, capitaux, mise en place de procédure, organisation, etc.) – et que cette expérience en entreprise VOUS a apporté :

  • compétences personnelles, ex. mieux s’exprimer, articuler, écouter le client, s’habiller en conformité avec le style de la maison, etc.
  • compétences professionnelles, ex. savoir organiser un plan d’appels téléphonique, planifier les rappels, prendre un rendez-vous (sans rien oublier…), ouvrir un compte, définir un argumentaire de vente produit, savoir répondre aux objections, etc.

Autre exemple de plan en une phrase :

1/ « Dans mon agence

1.1 Unetelle, située ici et dont la clientèle est de telle gamme,

1.2 je diagnostique que l’assurance-auto est mal représentée

2/ Ma mission

2.1 est donc d’organiser une prospection téléphonique à partir du fichier clients (+ de 18 ans, qui ont demandé un crédit auto…)

2.2 avec tels résultats (X appels passés, X rappels, X courriels envoyés à la place du téléphone, X documentation envoyée, X rendez-vous pris, X contrats ouverts pour X capitaux apportés).

A vos PowerPoint !

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