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Maisons goutsoul

Après le monastère, nous reprenons le chemin, mais à travers bois sur la pente. Nous n’allons pas très loin, vers une maison goutsoul bâtie en 1953 juste après la mort de Staline. Pourquoi nous précise-t-on ce détail ? Parce que la taille de cette maison aurait fait accuser ses occupants de « tendances bourgeoises » sous le Vieux, et qu’il valait mieux se méfier. La ferme est entourée d’un chien à niche, d’une luge pour transporter le bois l’hiver et d’une charrette à quatre roues, la télègue typique des plaines russes qui tient dans la neige et la boue. Le chien, qui aime à garder, se tient au-dessus de sa niche et non pas à l’entrée. Sa chaîne ne lui permet pas d’aller bien loin et son rôle est surtout d’aboyer devant tout ce qui lui paraît étrange. Nous qui sommes étrangers, avons droit à dix bonnes minutes d’alerte avant que, rien ne se passant, le chien considère que nous faisons partie du paysage.

telegue russe
La famille actuelle accueille des peintres du coin, dont certains sont titulaires d’État, vivant d’une subvention officielle. Les tableaux sont exposés aux murs de la pièce d’entrée qui sert de réception. C’est du naïf aux couleurs acides et aux traits peu sûrs. Elles ont un air riant, optimiste, « populaire », tout ce qu’on aimait au temps du kitsch viennois ou du « réalisme socialiste ». Une campagnarde aux joues rondes, la fille de la propriétaire, nous accueille par une distribution de yaourt à la louche dans des verres. Il est le produit de ses vaches, fort nombreuses alentour. L’herbe que nous avons foulée se retrouve dans notre gosier, distillée par les braves ruminants.

ferme goutsoul ukraine
Sur la droite de cette vaste demeure se trouvent la cuisine et la pièce d’apparat qui sert parfois de chambre. Elle s’ouvre sur un balcon qui longe toute une façade. Le poêle de la pièce est partagé avec la cuisine, le fourneau étant sur l’autre face. Sur la gauche de l’entrée s’ouvrent la laiterie et d’autres pièces sur l’arrière.

agriculture goutsoul ukraine
Les propriétaires actuels ont vendu du bétail en 1953 pour acheter les troncs d’arbre pour bâtir. Aujourd’hui, ce ne serait plus possible nous dit-on, le prix du bois a grimpé bien plus vite que le prix de la viande sur pied. La terre reste propriété d’État, seul le droit d’usage (comme de bâtir une maison) est concédé pour 99 ans. Il n’y a donc pas à acheter le terrain, c’est déjà ça. Le calcul du niveau de vie par rapport aux salaires doit tenir compte de cette particularité pour être équitable.

Un chat tigré affamé qui vient nous solliciter se régale du pâté « de rat » dont le goût de poisson lui plaît. Nous avons failli en avoir chacun une boite en guise de pique-nique ce midi : les rations sont préparées par Vassili qui adore ça. Natacha nous apprend un proverbe local : « l’Ukraine se trouve aussi loin de l’Europe qu’un cochon du ciel. » C’est vrai qu’il y a du chemin à faire mais l’optimisme des habitants (qui change des frilosités de chez nous) est très encourageant. Je ne trouve pas mauvais ce pâté (qui est en fait du hareng) malgré sa couleur grisâtre vraiment peu appétissante, mais il donne soif et j’aime aussi les chats. Comme saint Martin son manteau, je partage ma boite avec le pauvre félin. Nous déjeunons sur la table car il s’est remis à pleuvoir dehors.

foin goutsoul ukraine

Lorsque nous reprenons le chemin, il pleut toujours mais finement. La voie n’est pas trop en hauts et bas cet après-midi, plutôt piste de 4×4 que de quatre pattes comme hier. Nous passons par les prés fleuris qui donne ce spectacle du foin mis à sécher autour d’un piquet de bois, si joli sur les « cartes postales ». Nous sommes à 1039 m d’altitude. Nous voyons d’un côté Verkhovina et de l’autre le refuge où nous avons dormi hier. Le temps est gris, nuageux, ponctué d’averses intermittentes.

goutsouls bourres ukraine
Une autre ferme goutsoul se présente à la visite. Bien que ce mercredi soit « jour de fête » ici (il semble y en avoir souvent), nous trouvons les trois fermiers bourrés à la vodka. Un cadavre de bouteille est couché sur la table extérieure, voisinant avec quelques bières, tandis qu’un autre est à demi vidé. Autour du liquide, quelques tranches de pain noir, des cornichons au sel en bocal et un peu de fromage sur assiette servent à faire passer. La ferme n’est plus habitable et les trois hommes sont en train de monter le poêle intérieur pour cet hiver. Ils doivent encore coller les carreaux décorés de scènes de travail sur les briques maçonnées. Ces carreaux sont une production goutsoul typique, nous dit Natacha. Les plus grands poêles racontent toute l’histoire du peuple sur leurs carreaux juxtaposés.

reconstruire le poele goutsoul
Un cheval à l’attache médite sur le pré qui lui fait face ; sa longe est volontairement trop courte pour qu’il ne s’alourdisse pas d’herbe. Toute une lessive de chaussettes sèche sur la palissade qui borde un bâtiment bas, en face du corps de ferme. Comme partout ailleurs, la fenêtre est décorée d’un vase avec quelques fleurs séchées entouré de rideaux de dentelles. Deux chiens veillent sur cet atelier de célibataires. L’un des trois hommes vient nous serrer la main, jovial. Il nous demande, la langue épaisse, qui nous sommes et d’où nous venons ; je ne sais s’il a compris mon russe.

tracteur goutsoul ukraine
Nous repartons sous le ciel obstinément gris. Le chemin ne peut qu’être boueux, malgré les « sapins », terme générique pour une variété de cèdres locaux aux pignons bien cachés dont le nom est « pinus cimbra ». Un peu plus loin, nous ramassons des myrtilles. A la suite d’une longue descente par une piste en forêt, nous croisons trois hommes en discussion près de la rivière. L’un d’eux a réussi à pêcher ce qui ressemble à deux truites, pas bien grosses, aux points rouges sur le flanc.

biere ukraine
A un croisement s’élève une toute neuve chapelle. Trois autres hommes, animés de vodka eux aussi – cette maladie « à la russe » – sont assis là et discutent bruyamment. Un tracteur qui ramène des jeunes d’on ne sait où dans un grondement d’antique mécanique couvre un temps leurs voix. Nous en profitons pour bifurquer à quelques-uns afin d’aller acheter de la bière au magasin situé un peu plus haut. Il s’agit d’une belle maison de bois recouverte en partie d’acier repoussé qui luit au soleil. La petite fille de la maison, de 7 ou 8 ans, fait le ménage derrière nos pas. Le petit gars nous observe, réservé, engoncé dans un pull trop étroit pour ses épaules. Marie-Annick donne à la petite un bonbon-bague, acheté ce matin à la boutique du village. Grande effervescence de la fillette : « Mama ! Regarde ce qu’elle m’a donné la dame ! » Joie immédiate, pure. Cela avec presque rien, c’est le geste qui compte.

fenetre goutsoul ukraine
Le refuge qui nous attend se trouve un peu plus loin, en deux maisons. L’ensemble compose le hameau de Bistretz. Nous nous retrouvons, en compagnie de Natacha et Vassili, dans une maison située sur le chemin, à l’écart de la ferme familiale. Nous y sommes fort bien. La douche-sauna a un réglage délicat mais assez de place pour s’y retourner. Nous dînons dehors. Le bortch de tradition est suivi de kacha, une bouillie de céréales aux champignons, et d’une salade de chou. Des biscuits forment l’élément sucré nécessaire au concept (à mon avis bien surfait) de « dessert ».

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Martin Amis, Chien jaune

martin amis chien jaune

Martin Amis pénètre l’Angleterre, sodomise la société, baise les bobos. Il s’attaque cette fois à la presse tabloïd, raclure de poubelles, parfait reflet de son époque et de ses lecteurs. En 2003, toute la société anglaise semble n’être que baise. Les années 60 sont passées comme une tornade, désapant et désinhibant le puritanisme victorien. Aujourd’hui, plus rien ne tient : ni la langue (texto), ni la presse (de caniveau), ni les sentiments (sexués).

L’Anglais mâle ne semble plus avoir pour objectif que les trois B des collégiens américains : bite, bière et baston. Il se repaît des frasques des très jeunes filles aux prises avec les hommes en rut ; il achète et lit avec délectation les torchons people dont le style incite à l’action et les photos au porno. C’est toute la société qui est devenue bête : à deux dos, ventre à dos, dos sur dos. Sur l’exemple des vulgaires américains. « Le porno s’autorégulait jusqu’au second mandat du second gouvernement [Clinton] quand, comme vous le savez, tout à coup, nous nous sommes retrouvés avec un président porno. Le porno, sous cette présidence porno, a cessé de s’autoréguler et est entré dans sa période Salo » p.398. Mussolini et Pasolini sortis du spectacle, la vulgarité bestiale en référence a envahi toute la culture.

Les personnages de cet étrange roman contemporain tournent autour du foot, des médias, des gangsters et – nous sommes au Royaume-Uni – de la famille royale. La princesse Victoria, 15 ans, a été filmée nue dans sa baignoire ; une ombre montre qu’elle n’est pas seule. Est-ce « l’un de ces jolis petits Arabes », comme le pense le roi son père, dans un vocabulaire désuètement bienveillant ? Est-ce pire ? Les tabloïds s’en donnent à « cœur » joie dans les hypothèses, le pouvoir dément l’information, les gens n’en pensent pas moins : c’est vers 12 ou 13 ans que les chattes se déflorent au Royaume. Bugger, l’ami du roi, dont le surnom signifie bougre (ou sodomite en souvenir des années de collège en commun), gère la réputation ; le souverain se contente de régner, c’est-à-dire de ne rien foutre (ni plus personne).

Xan Meo, au nom invraisemblable même pour un Anglais, est un écrivain-musicien qui se prend un coup sur la tête, une vieille vengeance de famille. Il faut dire que sa mère était pute et son père gangster. Perdant un peu la mémoire, il régresse : il est enfin au niveau requis par la société, à même de la comprendre mieux. Il fantasme sur ses petites filles, regarde l’aînée – 4 ans – faire « ses exercices » (qui consistent à se remuer le vagin avec les doigts), discute avec ses garçons d’un premier lit, se voit rejeter par sa dernière fille encore bébé pour n’être plus lui. Il rencontre une ex-pute, star du porno, qui se révèle sa nièce. Pas simple de suivre l’histoire – si tant est qu’il y en ait une – et ses personnages, divers mais tous liés.

Le titre s’explique par un souvenir d’enfance, un chien jaune attaché pendant que son père se faisait tabasser, et retentit jusqu’aujourd’hui par la signature pseudo d’un rédacteur de tabloïd. « Et puis, si quelqu’un pose la question, nous pouvons dire que c’est une satire et qu’elle dérive de Jonathan Swift » p.302. Lilliput se fait désormais appeler Karla et se fait prendre par derrière après avoir joué de la bouche.

Il faut dire que l’actualité télévisée n’incite guère à l’optimisme. « Quelques images du monde moderne : le châssis calciné d’un bus ou d’un camion, une silhouette couverte de bandages dont le brancard filait dans un corridor d’hôpital, une femme en pleurs, avec des sous-titres… » p.322. Le choc des photos augmente le poids des mots. Le choc sur la tête a les mêmes effets individuels que les chocs sociaux : perte mnésique, régression de civilisation. « Je crois que j’ai fini par comprendre ce que mon accident avait produit en moi. Je pensais auparavant qu’il m’avait arraché quelques valeurs – les valeurs de la civilisation, plus ou moins. C’est vrai qu’il l’a fait. Mais il a aussi fait autre chose : il a bousillé mon talent pour aimer. Il l’a foutu en l’air » p.452.

Est-ce pour cela que l’auteur imagine la princesse royale, héritière du trône, se convertir à l’islam ? Toute cette immoralité étalée à longueur de torchons imprimés et de vidéos sur Internet, toute cette « merde » télévisuelle et langagière (le mot est répété plusieurs fois, y compris par les garçons adonaissants de Xan Meo), incite à rechercher une forme de pureté. Qu’on ne trouve aujourd’hui que dans la régression religieuse : ne plus penser, obéir ; ne plus se laisser aller à ses instincts bestiaux, se prosterner ; ne plus jouir à tout bout de champ, prier.

Le lecteur non habitué à Martin Amis, auteur britannique original, sera plutôt déconcerté en début de lecture. Il ne verra pas bien le lien entre les chapitres ni entre les personnages, il se demandera pourquoi les gens portent des noms aussi bizarres. Mais le langage, réinventé, et la satire sociale, impitoyable, le feront bientôt jubiler. Nous sommes dans Swift et dans Nabokov, dans le fantasme et la satire sociale. Et, malgré les dix ans qui ont passés, elle reste très actuelle…

Martin Amis, Chien jaune, 2003, Folio 2008, traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux, 505 pages, €8.46

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Randonnée dans les Carpates

L’après-midi nous montre Vassili dans toute sa splendeur. Il nous « guide » dans une descente vertigineuse et hors piste, tout droit dans la forêt. Un chemin « à la russe » sans doute, dans le genre « allez les gars, sans réfléchir ». Et il se garde bien d’attendre les dernières du groupe qui ont du mal à suivre ; ni d’aider celle qui est tombée ; ni de soutenir celle qui a le vertige. C’est à nous, Occidentaux « individualistes », de lui faire souvenir que nous sommes en groupe et tenons à y rester, qu’il s’agit pour nous d’une randonnée de découverte, pas d’un record à battre ni d’un entraînement spetnaz… Il applique dans la réalité l’exact inverse du discours qu’il nous a fait quelques heures plus tôt ! Il se montre macho narcissique alors que nous nous révélons communautaires.

carpates
Il fait une chaleur moite. Nous sommes heureux d’arriver en bas, où coule une rivière. La Chemoche Noire a creusé son lit entre les prés où œuvrent les moissonneurs en famille. Un tout petit nous regarde passer comme s’il ne nous avait jamais vu (et je crois bien qu’il n’a pas tort). Le fauchage s’effectue encore comme dans les ultimes années 50 chez nos grands pères : à la faux qu’il faut manier d’un geste large de la hanche et aiguiser au fusil plusieurs fois le jour. L’herbe est mise en bottes, puis en meule autour d’un piquet fiché verticalement dans le sol, par les femmes et les enfants. Elle servira de fourrage d’hiver aux élevages bovins aujourd’hui dispersés dans les prés pour se gaver d’herbe fraîche.

foins des carpates

Nous marchons encore 800 m jusqu’au hameau qui dépend administrativement du village quitté ce matin. Dans une boutique rustique nous achetons de la bière. Son degré d’alcool est en général de 4,4% mais on en trouve à 11,5% ! Reste une montée de dix minutes pour accéder au refuge sur la colline d’en face. Notre soif peut enfin être étanchée et les sacs allégés de ce fardeau supplémentaire.

igor des carpates

Le refuge est une ferme d’altitude, ouverte seulement l’été, tenue par un couple de moins de trente ans, Rouslan et Marika, et leur petit garçon de trois ans, Igor. Il est tout blond, très actif et veut tout faire comme son papa. Nous dormons dans une pièce principale aux lits superposés le long de chaque mur.

diner des carpates

La table d’hôte est servie à l’extérieur, sur plusieurs mètres de long et flanquée de bancs de bois. Le bain est un sauna « à la russe ». Il s’agit d’un réservoir d’acier sous lequel on allume des bûches et qui contient de quoi prendre cinq ou six douches avant de devoir être rempli à nouveau. Tout l’art est de le faire bien chauffer avant l’arrivée des randonneurs, puis de remplir le réservoir d’eau froide toutes les deux ou trois douches, de façon à garantir une température à peu près égale pour tous. La cabane de bois, située à l’écart pour cause de feu, brille d’une lueur démoniaque lorsque sa porte s’ouvre dans le crépuscule qui tombe. Le petit Igor se voit d’office recouvert d’une veste supplémentaire, malgré ses protestations. La fraîcheur tombe en effet vite à plus de mille mètres et l’humidité s’élève du sol. Les toilettes sont écolos, une « cabane au fond du jardin » où s’asseoir sur trois planches percées d’un trou, la terre en direct dessous, avec les restes des précédents. Nous dînons campagnard d’un bortch de chou à la betterave rouge et patates, de salade aux poivrons jaunes et malassol, et de tomate au concombre. Une assiette de « pâté de rat », à la couleur grise peu engageante, se révèle être en fait du hareng. Des sprats à l’huile sortis de boite accompagnent les galettes de pomme de terre. La bière fait merveille pour arroser tout cela.

petit dejeuner des carpates

Un peu scoute, Natacha encourage l’hôte à faire un feu pour ne pas aller se coucher tout de suite. Pourquoi pas ? Nous, Français, sommes handicapés faute d’apprendre encore à chanter dans les écoles. Comme nous n’allons plus guère à l’église et que les mouvements de jeunesse adolescente, s’il en fut, sont bien loin, nous n’avons guère de quoi répondre à Natacha et à ses chants généreux, sauf « à la claire fontaine » et encore. Elle a une voix juste, chaude et le russe prend dans son gosier une musicalité admirable. Nous n’arrivons guère à distinguer l’ukrainien du russe, bien qu’elle chante dans les deux langues. Vassili se lance dans quelques chants de marche assez patriotiques, appris en collectifs. Le russe est une belle langue, difficile à apprendre, qui répond aux inflexions du cœur.

Cette fois, la nuit est dure sur un matelas crêpe « à la russe ». Le petit Igor, si vif et si affairé hier soir, dort ce matin comme un loir jusque fort tard. Le petit-déjeuner pantagruélique, lui aussi « à la russe », est servi dehors sur la table. Ce ne sont qu’assiettes de saucisson rose, de fromage local type Pyrénées, de poivrons crus, de biscuits et de graines de halva (tournesol pilé) en bloc sucré. Le « thé » est une tisane d’herbes du coin, à filtrer avant la tasse.

beurre et sucre des carpates

privations, sucre, beurre, diététiquesCe repas est très énergétique, coutume montagnarde certes, mais surtout compensation à la génération suivante des privations des parents et grands parents de l’ère soviétique. Le beurre et le sucre, si rares durant des décennies, sont aujourd’hui des produits valorisés que l’on met à tous les repas – justement les deux produits les moins diététiques que nous connaissions et que nous tentons de fuir au maximum dans l’alimentation. Vassili tartine généreusement son pain de beurre avant d’y saupoudrer du sucre… Il nous raconte qu’il compensait ainsi par une épaisseur de beurre aussi grande que celle du pain la pauvreté des rations, durant ses deux années de service militaire obligatoires dans l’armée rouge. Les sachets de « café » sont de même : au lieu de la poudre de café noir, comme chez nous, il n’y a que 12% de café dans le total de la poudre, pour 32% de crème et 55% de sucre ! Reconnaissons que nos parents, qui avaient subi les restrictions des années d’Occupation, étaient friands, eux aussi, de beurre, de sucre et de viande rouge, tout ce qui avaient manqué. Les recettes de cuisine de la fin des années 50 s’en ressentent dans les proportions de gras et de sucré !

carpates ukraine

Une forte boue dans la pente fait murmurer les filles qui se souviennent du « chemin Vassili » d’hier en fin d’après-midi. Mais cela ne dure pas, nous allons visiter le monastère. Il est tout neuf, de rite gréco-catholique – uniate – et bâti il y a deux ans seulement en pin. Il a remplacé une maison plus ancienne, plus petite et traditionnelle, qui subsiste en contrebas. La chapelle, qui jouxte les pièces à vivre et à dormir du monastère, ouvre ses offices les samedis, dimanches et fêtes seulement. Le moine, seul en ce moment pour cause de maladie de son compagnon, prie chaque jour mais pas en public. Il obéit aux règles bénédictines bien qu’appartenant à l’ordre des moines « vassiliens ». Deux jeunes chats, dont un noir tout jeune, meublent son actuelle solitude.

ferme des carpates

La maison traditionnelle, une cinquantaine de mètres plus bas, a 124 ans. Le moine l’a rachetée aux héritiers d’un fermier qui venait de mourir. Elle est bâtie tout en bois, coupé selon les phases de la lune pour assurer la longévité des fibres. Elle est typiquement goutsoul, nous dit-on, faite pour abriter un couple, cinq ou six gamins et quelques bêtes. Les enfants dormaient sur le poêle, une construction intérieure en maçonnerie « à la russe » sur un coin duquel on cuisine. La maison, tout en largeur, comprend trois parties. L’entrée est au centre et distribue le passage vers la cuisine-chambre à gauche et l’étable à moutons à droite. Un escalier de bois, sous l’auvent, mène au grenier à foin. Vassili nous vante « la vie saine » des Goutsouls d’hier : rien de chimique, le grand air et les efforts permanents des montagnes, l’occupation incessante aux tâches pratiques et l’élévation spirituelle une fois la semaine, la vie en commun autour du poêle, les contes aux veillées. On croirait du Jean-Pierre Chabrol. La ferme était autonome comme une forteresse. Nul besoin de se rendre à la ville, sauf pour les vêtements mais on les faisait durer et on n’habillait guère les enfants l’été. Alentour, il y a de l’eau potable en quantité, du bois pour se chauffer et des animaux pour le lait, la laine et la viande. Un âge d’or, quoi. Le chauvinisme « à la russe » apprend que la terre ne ment pas…

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Louxor

Nous reprenons le minibus avec des paniers repas. Nous sommes aujourd’hui vendredi, jour férié musulman, et le restaurant ne sert pas. Pendant que l’auto attend à la sortie de la ville le convoi de police qui se formera jusqu’aux limites de la province, nous dévorons les provisions. Poulet grillé, purée de sésame en barquette plastique, yaourt au concombre et ail, une salade de tomates et concombres, des galettes de pain et du riz pour ceux qui ont faim ! Un pot de gelée au lait vient terminer ce repas, avec une bouteille d’eau de marque Baraka, embouteillée en Égypte par Perrier-Vittel.

voiture de flics egypte

Le minibus roule déjà dans la campagne, le long du Nil. Nous voyons depuis la terre les rives vues jusqu’ici depuis le fleuve. Ce ne sont que champs – pas très grands – et villages de terre – aux aouleds pieds nus en galabieh, aux vieux en turbans blanc, et aux ânes. Bien que jour saint, tout ce monde ramasse quand même la canne à sucre ou le trèfle ou emmène au marché des cageots de tomates empilées dans les bétaillères. Nous longeons de temps à autre la voie ferrée. Quelques trains passent, presque vides.

A l’arrêt inter-région, où la voiture de police sensée nous accompagner prend la tête du convoi étiré sur plusieurs kilomètres, des gamins viennent nous proposer des boissons à vendre, ou des foulards. Adj en achète un « pour sa mère », pour 20 livres. Le vendeur, qui a à peu près son âge, embrasse le billet pour porter chance à son commerce. L’une de nous tente d’en acheter un pour le même prix, mais pas question : « ça, c’est le prix pour Égyptiens ; pour les étrangers c’est 25 livres ». Elle n’achète pas.

paysage egypte

Nous sommes de retour en fin de journée à Louxor, pour retrouver ses deux colosses et l’hôtel. Avant de dîner, nous décidons de passer le Nil pour aller voir Louxor. La barcasse qui nous fait passer est maniée par Omar, un autre jeune ami de Dji. Il a 14 ans, même s’il en paraît plus. Il l’avait pris comme aide-felouquier l’an dernier, mais une cliente a fait une remarque de bonne-conscience-repue sur « le travail des enfants » et il n’ose plus. Le grand rêve du gamin est quand même de quitter son petit boulot de passeur pour quelque chose qui lui fasse voir plus de pays et connaître plus de gens. Je reconnais bien là les aspirations constantes de la jeunesse. Ici, ils sont adultes bien plus tôt qu’ailleurs.

garcon égypte

En cherchant du change, nous passons devant l’hôtel Winter Palace. S’il est aujourd’hui noyé dans les constructions encore plus laides du monde moderne, Pierre Loti le dénigrait déjà en 1907 : « Winter Palace, un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. » Je ne sais comment il a été construit, mais il dure encore. Loti affectait parfois un snobisme qui faisait chic dans les salons parisiens.

Quant au musée, nous le cherchons, mais il est bien plus loin que l’on ne le croyait. Dji nous avait dit : « du Winter Palace, vous en avez pour 6 ou 7 minutes » ; en fait il en faut une vingtaine ! Il est bien présenté, très aéré, avec de jolies choses. Les explications sont fournies au moins en deux langues, parfois en quatre. La lionne Sekhmet se dresse, en granit taillé en 1403 avant, babines avides pleine de crocs. C’est elle qui envoie les maladies, mais elle aussi qui procure à ses prêtres (les médecins) la capacité de guérir. Sobek le dieu crocodile, apparaît redoutable, bien qu’en calcite datée de –1403. Amenhotep III serre les poings, on ne sait pourquoi ; il a les yeux en amande et la bouche régulière. Il s’agit en fait d’un autre nom d’Aménophis III, père d’Akhenaton ; il fut un monarque raffiné et voluptueux qui, déjà, s’est méfié du pouvoir trop grand des prêtres. Moubarak, aujourd’hui, pourrait bien s’en inspirer pour se défier des mollahs. Thutmosis III, vers –1490 offre un torse juvénile et un sourire indéfinissable aux visiteurs. Il succède à Hatshepsout, la reine redoutable, et conquiert le Soudan jusqu’à la quatrième cataracte ; c’était un fameux gaillard. Celui qui est indiqué « Amenhotep IV » est en fait Akhenaton. La statue colossale de son visage présente des traits adolescents accentués à dessein : un profil de poisson avec des lèvres et des narines gonflées avançant comme pour un baiser. Une acromégalie typique de la jeunesse où l’hypophyse travaille fort. On dit que la bouche charnue et les narines palpitantes traduisent le goût de la vie. Le mur des talatates est une paroi reconstituée d’un temple d’Aton érigé à Thèbes et détruit par les successeurs d’Akhénaton, acharnés à extirper son hérésie. Extraits du 9ème pylône de Karnak où ils avaient été réemployés comme de vulgaires blocs de construction, ces 283 blocs présentent sur 18 mètres de long et 3 mètres de haut le roi et la reine rendant hommage à Aton, le disque solaire.

2001 02 Egypte ticket Louxor

Des flèches de Toutankhamon sont présentées en vitrine ; elles sont en bois, en roseau, en plume, en bronze et en os. Le pharaon est présenté tout jeune sous les traits du dieu Amon. Dans la salle du sous-sol, Horemheb est statufié devant Amon. Le dieu est pour lui comme un père, les deux mains touchant ses épaules, les yeux au loin. Un Aménophis III de granit rose montre un visage aux traits ronds, un torse plat, carré, rigide comme une sculpture du Troisième Reich. Parfois, la grandeur dégénère en caricature. En revanche, est présentée une délicieuse Mout aux seins pommés qui tient par l’épaule Amon. Elle a un doux profil nubien et une petite bouche mignonne. De Ramsès II reste un torse en albâtre presque transparent qui accentue son air de jeunesse éternelle ; les muscles sont à peine dessinés, comme s’il sortait de l’enfance – ou renaissait aux regards.

Nous cherchons ensuite le restaurant Jamboree, près de la mosquée, recommandé à la fois par Dji et par le guide du Routard. De par sa proximité religieuse, l’établissement ne sert aucun alcool, et nous devrons attendre pour assouvir notre éventuelle soif de bière. Tenu par des Anglais, il sert plus de plats internationaux (poulet frites, spaghettis bolognaises, pizzas, glaces) que de cuisine « orientale ». Je réussis quand même à trouver de la purée de sésame tahina en entrée, suivie d’une aubergine farcie aux poivrons et au fromage (malheureusement du… chedar !). Il aurait fallu aller là où vont les Égyptiens du cru.

Nous reprenons le petit bateau pour traverser le Nil et rejoindre la rive ouest. Les jeunes se battent pour attraper des clients, à 1 livre chacun la traversée. Ils font vivre en partie leur famille avec ces gains. Pour cinq autres livres, une bétaillère trouvée à l’embarcadère nous ramène à l’hôtel, où nous avons encore la force – ou la volonté ? – de boire une bière. Elle est la première depuis des jours ! Et, comme nous sommes bien ensembles, nous cherchons à retrouver l’atmosphère intime de la felouque en nous installant sur la terrasse de toit de l’hôtel.

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Déjeuner chez Toutankhamon avec Dji

Louxor, au nom évocateur de luxure et de vieil or, nous ne la verrons pas aujourd’hui. Après les formalités d’aéroport, un peu de bus plus tard, nous traversons le Nil en bateau. Les eaux vertes sont peu limoneuses mais fraîches, vivantes. Et nous voici hors des hordes, dans l’Égypte millénaire. D’un coup. C’est très dépaysant et même brutal : il suffit de passer le Nil. La rive que nous quittons est envahie par les bateaux de croisière, les trois-ponts du tourisme de masse. Sur l’autre rive vivent les paysans, les artisans, les petits bateaux à moteur et les felouques à la voile triangulaire racées comme des oiseaux lorsqu’elles fendent l’eau sous l’effet du vent.

felouque en egypte

Un panneau à l’entrée de la ville indiquait en anglais : « Welcome to the mother of civilisations ». Rien de moins. Il s’agit d’une idée reçue pour les touristes qui ne quittent pas les atmosphères climatisées. S’il est vrai que Chateaubriand pouvait encore croiser des enfants tout nus comme ils sont sur les fresques des temples il y a 4000 ou 5000 ans, ils sont aujourd’hui habillés et vont à l’école. Si la pyramide représente peut-être la base de l’architecture et si Moïse était peut-être égyptien, « les civilisations » comme les religions sont diverses de par le monde – elles ont surtout évolué. L’Égypte symbolise à la perfection le passage du nomadisme à la sédentarisation : le ciel y brûle et l’eau jaillit de la terre pour y faire pousser les plantes. Les Égyptiens affirment que leur histoire commence avec le règne d’Osiris. Ce dieu-roi a fait passer les tribus nomades de chasseurs et de pasteurs à l’agriculture par l’irrigation du désert, le travail des métaux et l’écriture pour administrer. Mais aujourd’hui l’industrialisation a remplacé l’agriculture et, dans les sociétés les plus avancées, l’information remplace déjà l’industrie. Le « modèle » égyptien reste une idée reçue des voyageurs snob du XIXème siècle.

Crocodile a manger

Nous déjeunons chez Toutankhamon (c’est le nom du restaurant). Pas de crocodile au menu, il faudra attendre le retour en France pour en manger ! La viande a le goût entre dinde et thon, assez fade. Notre accompagnateur français nous y attend. Dji – comme disent les locaux – nous apparaît comme un homme d’âge mûr fatigué, en veston et chaussures de ville, au visage maigre et glabre lunetté de noir qui me rappelle celui de Jorge Luis Borges. Il parle avec des intonations choisies et n’a rien du look « routard » souvent de mise aux accompagnateurs français qui vivent à l’étranger. Dji est breton de Quimper élevé chez les Jésuites, il vit depuis plus de 25 ans dans les pays arabes et depuis 16 ans en Égypte. Il a acheté des felouques et est le prestataire pour ces circuits. Il vit dans un village non loin de Louxor, sur la rive ouest. Au premier abord, il a déjà l’oreille vissée à un téléphone portable ; nous le verrons souvent dans cette situation. Pour l’instant, il commande le repas : salade de tomates et citrons confits, poulet au curry et légumes en ragoût, crème de sésame, toutes ces spécialités du pays se retrouvent bientôt sur la table !

Il nous emmène ensuite à notre hôtel, l’Amenophès, au village de Medenit Habu. Il nous présente en passant aux deux colosses de Memnon en quartzite rouge, hauts de 10 m 60 sans le socle et qui représentent Amenophis III assis. Ils trônent, ils durent, d’une gravité inébranlable malgré les dégradations du temps. Ces colosses gardaient l’entrée d’un temple funéraire aujourd’hui complètement rasé et le vent ou la rosée les faisaient chanter aux temps grecs. Des champs sont cultivés tout autour. Ce qui nous frappe immédiatement ici est l’interpénétration de la vie paysanne et des ruines antiques. Les restes les plus anciens sont entourés de vie, intégrés au paysage quotidien. Il faut dire que si l’Égypte est étendue (997 000 km²), elle n’est qu’un long tube digestif dans un désert : seuls 55 000 km² sont habités le long du Nil (et dans quelques rares oasis). La population se concentre dans le grand Caire et dans le delta.

Nous déposons nos affaires dans les chambres et, face au temple de Ramsès III que nous visiterons plus tard, nous commençons à faire plus ample connaissance au café qui borde la place. Nous buvons… de l’eau gazeuse ou un Coca. Nous sommes ici dans un pays musulman, « sans alcool » officiellement. Tous les intégrismes aiment la prohibition ; la contrainte permet de mesurer leur pouvoir sur les masses. Le couple avec lequel nous sommes est particulièrement sympathique, encore amoureux après plus de quinze ans de fréquentation – ils se sont connus en terminale et ont deux petits enfants de 5 et 4 ans.

colosses de memnon

Le calcaire blond des murs du temple en face réfléchit la lumière. L’air un brin voilé donne au ciel une couleur translucide du plus bel effet. Je découvre le climat de l’Égypte, sa douceur sèche, sa lumière pastel, sa chaleur tempérée – tout en contrastes du aux forces opposées du fleuve et du désert ! Des enfants passent, œil noir, dents blanches, pieds nus. Ils rient et crient en vélo. Nous sommes en hiver, il fait 16°, ils sont très habillés. La galabieh grise qu’ils portent leur va bien au teint et à la silhouette, mais leur gêne l’entrejambe pour faire du vélo. L’Égypte connaît trois saisons, rythmées par le Nil. Autour du 19 juillet, quand Sirius apparaît dans le ciel au coucher du soleil, commence la crue. Quatre mois plus tard le Nil rentre dans son lit et débute la saison de croissance des plantes. La dernière saison, de mi-mars à mi-juillet, est celle de la sécheresse, de la gestion des réserves d’eau, et des récoltes.

Dji passe nous prendre alors que la lumière descend. Il nous mène au restaurant du soir par le chemin des écoliers. Ce ne sont que champs de cannes à sucre, carrés de blé en herbe, plantations de pommes de terre ou de fèves. Les maisons sont bâties de terre crue, des briques sèchent au soleil. Les femmes sont de sortie et les petites filles, pas sauvages, nous crient « hello ! » Les garçonnets nous accompagnent un bout de chemin, par curiosité. Dji est connu comme le loup blanc ici, il y habite, parle la langue couramment et il salue souvent l’un et l’autre.

Dans la conversation, nous apprenons qu’il a vécu plusieurs années au Maroc. Il a retrouvé dans les pays arabes cette vie familiale qu’il a connu en Bretagne dans son enfance à la ferme, les grandes tablées, la famille élargie. Dji a vécu aussi la dureté des relations entre bandes de garçons à Fès, plus ou moins abandonnés et livrés à eux-mêmes. Il est fasciné par la vie arabe, cette fraternité mâle émotive et toujours adolescente d’une société à l’origine guerrière. Les femmes en sont absentes, cantonnées à la tente ou à la maison, bonnes à reproduire les mâles. C’est avec les garçons que l’on échange des idées, fume des cigarettes, ou épanche sa tendresse. Il y a du moine en Dji – la terre d’Égypte n’était-elle pas la terre d’élection de la vie érémitique ? On se souvient de Macaire le Copte. Cette recherche de fraternité, cette indifférence à l’argent et aux biens matériels, cette capacité à attirer et à rendre de l’émotion autour de lui, ont quelque chose de monastique.

egypte hotel medenit habu

Le restaurant El Ghezira se trouve dans une ruelle qui ne paie pas de mine. Mais sa terrasse au troisième étage donne une large vue sur le Nil et sur les temples illuminés de l’autre côté du fleuve. Selon Dji, François Mitterrand venait souvent en Égypte parce qu’il aurait été « initié » aux mystères égyptiens ; il venait méditer devant les symboles. Franc-maçonnerie ? Si Jacques Mitterrand, son frère, fut un temps Grand Maître du Grand Orient de France, François ne semble pas y avoir appartenu. Il en a peut-être eu la tentation pour se faire des relations, mais aussi parce que la franc-maçonnerie est avant tout rationaliste, républicaine et positiviste. Elle vise à perfectionner l’être humain par la connaissance des symboles pour mieux comprendre le monde, et par la solidarité du travail. Née des corporations d’architectes et de bâtisseurs du moyen-âge, la maçonnerie mesure la connaissance à l’aide du calcul, de la règle et du compas. Elle voit le monde régi par des lois cosmiques, organisatrices du chaos, que l’initiation permet de connaître. François Mitterrand était d’évidence un être religieux. Avide découvreur de la Bible depuis que sa mère lui en faisait lecture durant son enfance, il n’a pas de réponse sur l’existence d’un dieu. Dans l’univers égyptien, « la découverte du Livre des Morts (est) ce qui lui importe le plus », écrit son biographe Jean Lacouture. Il a voulu apprendre à mourir dignement. Ses derniers voyages ont été pour Venise et pour Assouan. Il aurait voulu jucher sa tombe sur le Mont Beuvray, près des druides. Mystère ? Sans doute pas. Interrogation ? Sûrement. Cette quête très humaine, malgré sa position politique que l’on peut juger différemment selon ses opinions et la morale, suffit à le rendre sympathique.

La cuisine du restaurant ce soir ressemble à celle du midi ; elle est à base de crudités, de ragoût de légumes, de pommes de terre sauce tomate, de riz, de boulettes en sauce et de poulet grillé. Les crudités peuvent être consommées sans craindre la turista, bien connue des voyageurs en Égypte. Les malades sont tous en fait sur les bateaux du Nil où l’on sort des frigos les crudités pour le buffet, avant de rentrer les restes pour les resservir plus tard, ainsi que nous l’explique Dji. Nous pouvons prendre de la bière, fabriquée en Égypte (pourtant pays musulman…) ; elle est légère, bonne sous ce climat.

Nous rentrons à l’hôtel en bétaillère, ce taxi-brousse bâché où l’on monte à 12 dans la benne. Nous nous couchons tôt, après avoir contemplé un moment Orion, Cassiopée et la Grande Ourse depuis la terrasse sur le toit de l’hôtel. L’étoile polaire surplombe la colline calcaire creusée de tombes.

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Vikings réincarnés l’espace d’un été

En allant vers les animations, nous avons une belle vue de la grande halle, profilée contre le vent dominant, avec sa coque en bois gracieusement incurvée devenue grise comme le ciel avec les années. Les poutres faîtières supportent des têtes de dragon.

teinture viking Lofoten

Plus loin, au-delà de l’église venue christianiser les lieux en 1335, au bord du lac en contrebas, se tiennent les animations d’été. Le « festival » viking consiste en ateliers tenus par des locaux déguisés. Ils font des démonstrations de tir à l’arc, de lancer de hache ou de fer à cheval, de chants vikings, de simulations de combat. Ils brassent de la bière selon la tradition, forgent des fers, tournent la poterie, teignent la laine des moutons avec des décoctions de plantes, préparent des herbes sèches pour les tisanes, décoction et onguents de l’ancienne médecine. A certaines heures, les visiteurs peuvent ramer sur le snekkar amarré au ponton. Le Lofotr est une copie du navire-tombe de Gokstad de 23.3 m de long et 5 m de large, à 16 paires de rames, datant de l’an 900 et trouvé en 1880 dans la province de Vestfold. En hiver, le navire est démâté et remisé dans le hangar à bateau de bonne longueur en face du ponton.

bateau viking Lofoten

Nous assistons à la forge d’une pointe de flèche en fer, selon un fourneau utilisé en Scandinavie dès 600 de notre ère et  inspiré des fouilles de Rødsmoen dans l’Østerdalen. Le fer était fabriqué à partir de minerai extrait des marais, puis calciné en oxyde de fer dans un feu ouvert avant d’être transformé en fer pur dans le fourneau à 800°. Le métal était enfin travaillé dans la forge.

forge viking Lofoten

Le brassage de la bière d’orge aromatisée aux branches de genièvre en guise de houblon retient ensuite notre attention. Une Mexicaine parlant norvégien, anglais et français nous explique que c’est « le chef » qui fait la bière. Il s’agit d’un berger des environs dont la fille de douze ans passe en tunique, blonde comme une walkyrie, les pieds nus dans l’herbe mouillée. Un vrai désir sensuel. Le père se présente, robuste, barbu, en tunique bleue et marteau de Thor pendu au cou. C’est un paysan tradi, fier de sa lignée et de sa débrouille sur les terres.

viking Lofoten

Un autre berger vend du fromage de chèvre maison aux orties et du saucisson de bique très sec, longuement pendu au-dessus des feux d’hiver. Une femme très avenante nous propose de goûter de la « crêpe au sang ». Oui, elle a bien dit blood en anglais, malgré son accent norvégien. Nous lui faisons répéter, un peu effarés. « Du sang de mauvais voisin », précise-t-elle, malicieuse. Tête d’une fille, vaguement dégoûtée, devenue d’un coup végétarienne acharnée ! C’est en fait de la crêpe de boudin, où le lait de la pâte est remplacé par du sang de porc. La femme l’assaisonne au beurre et à la confiture d’airelles et nous l’offre à goûter. Ce n’est, ma foi, pas dégoûtant. Ils sont bons, les mauvais voisins ! Ont été ajoutés à la pâte clou de girofle, gingembre et poivre pour donner ce goût de pain d’épices.

duel gamins vikings Lofoten

D’autres vendent de l’artisanat, épées de bois, boucliers de cuir, saucisses de chèvre, fromage aux herbes, crêpes de sarrasin. Le folklore est bon enfant, d’autant que les jeunes adolescents et les gamins participent aussi, en tunique et pieds nus. Il fait 12°C et le ciel est couvert. Deux petits blonds qui miment un duel à la lourde épée franque (en bois) sont craquants en tunique échancrée au col et bijoux d’époque. D’autres se mesurent au sac de chiffon, posés en équilibre sur un tronc d’arbre. Un barde en longue tunique noire souffle dans une trompe pour appeler au récitatif d’une saga. Mais c’est en norvégien et nous n’y comprendrons rien. Passent et repassent garçonnets et fillettes aux cheveux blonds, portant arc et épée, courant d’un endroit à l’autre pour se battre ou s’exercer.

gamins blonds vikings Lofoten

Une fille a choisi le lancer de hache, pour lequel les gamins de dix ans sont bien meilleurs qu’elle, mais ils sont vikings, élevés tout petits à s’entraîner. Je réussis mieux au tir à l’arc, bien que ma première flèche passe au-dessus de la cible. Ce n’est pas le cas des suivantes et les ados initiateurs apprécient ma tension de l’arc. Le 13 ans en tunique bleue nous répète les consignes : « empennage rouge vers soi, talon de la flèche dans l’encoche de la corde, index au-dessus, majeur et annulaire en-dessous, viser rapidement en tendant, surtout ne pas retenir la flèche pour ne pas trembler… » C’est en anglais et une fille ne comprend pas tout malgré son usage assidu du « aïe »Phone.

Nous allons ensuite dans la grange face au lac, qui doit servir l’hiver à remiser les bateaux. Un groupe de jeunes hommes prépare un récital de chants vikings, bien virils et guerriers. Les voix mâles subjuguent garçons prépubères et filles de tous âges, le silence religieux en témoigne.

fillette viking Lofoten

Ce sont ensuite des démonstrations de combat viking devant le snekkar, face au lac où le vent empêche de tester les rames. Un bon vente de force 7 qui fait se cacher les cochons et rentrer les vaches. Il enlève bien 2° à la température. Duel à la hache et au bouclier, à la lance, deux contre deux.

bagarre viking Lofoten

Je suis heureux de cette parenthèse culturelle dans un séjour plutôt bourrin où marcher semble l’alpha et l’oméga du guide et la polarisation du groupe. J’aime voir les gens du pays vivre et s’amuser, en plus de la nature sauvage. C’est mieux épicé que les ail-phones.

Le bus, aux Lofoten, est manifestement voué au service des gens. Rien de cette conduite administrative de la station obligatoire, de l’horaire à la minute, du j’veux pas l’savoir qu’on peut connaître en France. Le bus va lentement, s’arrête longuement, conduit une petite vieille à cabas sur 200 m, lâche un petit de 8 ou 9 ans près de chez lui… Quelques touristes complètent le public d’été : une femme allée en courses et revenant avec deux sacs pleins, quatre gamins allés chez un copain, deux ados montés en ville traîner.

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Autour du Rorbu de Ballstad

Nous logerons dans les rorbus, ces cabanes de pêcheur construites sur pilotis au-dessus des eaux du port de Ballstad, dans l’île de Vestvågøy. Le mot vient du norvégien ror qui signifie ramer sur un bateau de pêcheur, et bu qui veut dire vivre. Ce sont donc des lieux d’existence pour les pêcheurs à rames. Ils y mangeaient, dormaient, se séchaient, y réparaient leurs filets. Initialement abris, elles ont été transformées par les riches venus du sud au début du XIXème siècle qui les ont aménagées confortables pour les louer contre une part du poisson ; le bourgeois s’occupait accessoirement d’acheter toute la pêche à son prix, qu’il revendait selon ses intérêts.

rorbus Lofoten

Les rorbus sont prévus aujourd’hui pour un couple avec deux ou trois enfants, pas pour un groupe de six adultes. Une chambre matrimoniale va au couple, une chambre à lits superposés basse de plafond aux deux garçons, quant aux deux filles restantes, elles sont reléguées au grenier, accessible par une échelle et sans aucune ouverture. Le guide couche sur le canapé de la pièce commune. Une fille râle en disant que ce n’est pas aux normes, qu’elle ne peut pas lire jusqu’à minuit comme chez elle, etc. Il y a quand même une pièce toilette avec douche et lavabos. Mais nous sommes sur le port, dans une délicate odeur d’huître qui ne nous quitte plus.

harengs marines norvege

Comme le rorbu est plutôt étroit, nous allons cuisiner et dîner à l’auberge de jeunesse Kramervik située 300 m plus haut. Nous dînons de riz aux légumes et de saumon grillé, puis d’une glace yaourt. Ils ne peuvent pas s’en passer : après les iPhone, toujours actifs, voici la télé ! Un poste trône dans la salle de l’auberge et un jeune Suisse nous le règle pour que la grande gueule puisse « voir les sports ». Le Suisse est réalisateur de documentaires filmés sur les pêcheurs. Il termine ici ses trois semaines et envisage de comparer avec le seul pêcheur du lac auprès duquel il habite en Suisse, « le canton des banques ».

nourriture en tube norvege

Grand soleil, odeur marine, tout est calme dans le petit port au matin. Pas un chat. Nous partons après le petit-déjeuner pris comme hier à l’auberge de jeunesse faire le tour du cap et grimper au sommet, à la norvégienne, avant de revenir par l’autre côté. Chacun se fait ses sandwiches de pique-nique avec du hareng aux oignons Sursild et des tubes d’œufs de poisson Kaviar ou de maquereau à la tomate.

claies a morues Lofoten

Tout commence par le chaos rocheux du bord de mer, juste après les séchoirs à morue. Ce sont des claies à perches croisées sur lesquelles les filets désarrêtés de cabillaud sont mis à sécher deux à deux, reliés par un fil sur la queue. Non, les mouettes ne viennent pas les dévorer car il leur faudrait se maintenir en vol stationnaire et passer le bec entre les perches, ce qu’elles ne savent pas faire. Ce sont les Vikings qui ont fait connaître le poisson séché aux Européens. Ils en emportaient dans leurs voyages vers le sud, et l’échangeaient contre d’autres produits. La tête et le corps sont séchés chacun de leur côté, du foie est tirée l’huile de foie de morue, tandis que les œufs sont transformés en kaviar. Les morceaux les plus prisés de la tête sont la langue et les joues. Après deux à trois mois de séchage, le poisson est si sec qu’il peut être stocké, trié selon sa taille et son apparence.

ballstad Lofoten

Nous avançons en équilibre sur les blocs, sans pouvoir regarder au-delà du premier mètre au risque de tomber. Toute vision nécessite un arrêt complet. Nous observons ainsi successivement les frétillements poissonneux qui agitent souvent la mer au bord de la côte, l’envol en V des canards eiders dérangés par notre passage. Un petit bateau trapu trace vaillamment sa route entre les balises rouge et verte d’un chenal entre deux rochers dans un ronron presqu’inaudible. La mer est à peine ridée par la brise, aujourd’hui.

La montagne surplombe les rorbus de Ballstad avec, au sommet, un plateau d’alpage. Petite brise sur les graminées du col qui inclinent leur tige et sur les campanules à corolle mauve. Le panorama est beau, permettant une vue d’ensemble. Mais pas sans grimper 250 m de dénivelé à 30% de pente d’un seul tenant ! Nous pique-niquons après la pente de sandwiches hareng-tomate, ou Kaviar, toutes préparations en tube qu’il suffit de tartiner, ou encore de fromage cuit au goût de caramel que j’aimais tant avec Éliane il y a 25 ans. Nous sommes sous le soleil et le climat est doux. Le Gulf Stream vient caresser les côtes, ce qui donne cette douceur toute l’année. Avec la mer bleu sombre parsemée de rochers bruns ornés de vert, nous pourrions nous croire en Bretagne.

ballstad vue de haut Lofoten

Nous ne sommes pas encore au sommet, qui est à 490 m au-dessus de l’eau. Nous y aurons vue sur tout l’environnement de Ballstad : le port, les lacs derrière, le paquebot de croisière ancré dans le fjord.

La redescente est herbue, parfois en pierrier, mais pas si dure que celle du premier jour. Elle permet une vue plongeante sur le port, notre rorbu, le snekkar de parade (mot scientifique pour drakkar) près de la cabane d’accueil qui fait aussi bar. Nous allons d’ailleurs y prendre une bière sitôt arrivés, tandis que d’autres se ruent déjà à la douche. 47 NOK pour 33 cl, soit 6€ au comptoir. Deux kids abordent en canot à moteur, le ponton est situé en terrasse du bar. Ils vivent sur l’eau ici et le canot est leur mobylette ; ils le manient dès dix ans avec maestria. Le plus jeune, douze ans, parle un anglais parfait et joue de l’orgue électronique un moment dans le bar. Que faire d’autre dans ce bled isolé, durant les mois d’hiver ?

Un pêcheur prépare son cabillaud sur le ponton, sous les moustaches d’un chat norvégien à long poil gris rayé, très intéressé par les morceaux frais qui tombent. Il en ronronne presque en se laissant caresser.

De retour au rorbu, il n’est pas très tard. Nous dînons à l’auberge de jeunesse de soupe à la tomate en sachet, de salade iceberg (évidemment), de patates-cabillaud crème au four, et d’une gelée au chocolat instantanée. Ce n’est pas de la cuisine locale, encore que, en visitant les supermarchés locaux, les Norvégiens semblent avoir adopté l’habitude américaine de la malbouffe toute prête…

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Marche vers Solvaer aux Lofoten

Nuit calme avec les boules Quiès à cause d’un maxi-ronfleur. Nous quittons le chalet bleu à pied, après avoir mis les bagages lourds dans le bus. Nous allons traverser l’autre moitié de l’île Våugan jusqu’à Svolvaer, une marche de près de 20 km sur un terrain montagneux. Nous commençons par les lupins géants devant les maisons de bois, le long de la route. Ils sont mauves, indigos, blancs, du plus bel effet.

lupins Lofoten

Certaines maisons ont un toit d’herbes. Discussion sur les bienfaits écolos d’un tel procédé.

maisons toit herbe Lofoten

Grand soleil et petit vent marin heureux, qui nous rafraîchit lors des montées interminables du début de matinée. Forêt de sapins et bouleaux, puis marche dans les tourbières, des sources traversent la piste à peine tracée entre les herbes. Mousses, linaigrette. Conversation sur la montagne, l’escalade, le théâtre, tous domaines d’intérêt des autres. Trois iPhone (prononcer « aïe » !) sont souvent sollicités, trois doudous dont c’est la première fois que je constate l’attachement durant une randonnée. Peut-être parce que nous sommes en Europe et pas dans un pays lointain où l’on ne capte pas ? Il faut dire aussi que certaines (que des filles) prennent des notes directement sur leur ail Phone, juste après les photos. Le couteau suisse du branché.

neige eternelle Lofoten

Pique-nique au soleil face au lac, adossé à un chaos de granit chauffé par l’astre toute la matinée. L’eau du lac est transparente, immobile, à peine ridée par la brise du col. Il suffit de lever les yeux vers l’horizon pour apercevoir, au-dessus de l’herbe vert tendre, le fjord. La mer n’est jamais loin dans ces îles.

paysage Lofoten

Malgré quelques passages en dévers, c’est une descente « ludique » qui nous attend pour Svolvaer (ainsi parlait le guide). Autrement dit un sentier difficile. Ça rigole quand même, une fille entend ce qu’elle veut entendre : descente lubrique. La fille à un gars : « quand tu sautes, j’entends tes bonbons ! » Il s’agit de sa boite de pastilles des Vosges dans le sac, mais… Le guide les appelle « les chaudasses », ces nanas qui ne pensent qu’à ça. C’est dire le niveau. Reste que nous sommes sur des dalles en pente, pas de piste mais un chaos de rochers pour la descente. De quoi éprouver les genoux et les chaussures.

cote Lofoten

En bas, un lac, auprès duquel nous nous reposons un peu. Je prends de l’eau que je pastille car la chaleur du jour m’a fait épuiser ma gourde. Dans une heure, je pourrai boire. Nous passons au-dessus des tourbières stagnantes sur des passerelles de bois aménagées pour préserver le milieu. Nous faisons connaissance avec le drosera, carnivore. Deux indigènes blonds cueillent les mûres des tourbières pâles et roses dans un bocal.

Nous remontons une piste de ski de fond, reconnaissable à sa couche tissée sous la tourbe. Elle nous permet d’atteindre la route, puis la ville de Svolvaer, centre administratif de la commune de Vågan. Nous marchons dans les rues. Trois kids passent en vélo, on dirait des clones : casque sur la tête, tous blonds, élancés, même short noir et même maillot de foot bleu. Ce ne sont pas des frères. Les filles repèrent un Norvégien torse nu, qui s’affaire sur sa terrasse. Beau mec selon elles. Un autre, plus vieux, passe avec une barbiche qui lui pend en longue tresse jusque sur le sternum. Nous, les garçons, préférons les Norvégiennes croisées sur le trottoir et au-dessus du pont sur le fjord. Elles sont évidemment blondes, vigoureuses, souriantes. Celles sur le port, sortant d’un café branché, sont en short de cuir fort court.

filles court vetues Lofoten

Pendant que le guide fait des courses au supermarché Rimi pour les jours suivants, nous visitons le port. Un vieux bateau de bois arbore un safran apparent. Il sert désormais à promener les touristes, « 38 passagers max. », ainsi qu’il est imprimé sur la cabine de pilotage. Les autres sont des voiliers, de petits chalutiers. Peu d’activité, même si nous sommes à la belle saison pour naviguer. Il faut dire que Svolvaer, même capitale des Lofoten, même mentionné dans la Heimskringla saga vers l’an 800, n’a guère qu’environ 4200 habitants. La Lofotkatedralen, église de la ville, est pimpante, tout en bois peint.

bateau solvaer Lofoten

Presque 4€ pour 30 cl de bière, c’est cinq à six fois plus cher qu’en France. En cause les taxes. Pour éviter le péché de soûlerie, le gouvernement fait la morale en prélevant des impôts. Tout en limitant le taux d’alcool à 4.5% dans les bières. Nous sommes en pays luthérien où tout ce que vous faites peut être retenu contre vous.

carte matmora solvaer Lofoten

Un long transfert de bus en suivant l’E10 nous fait passer d’île en île pour joindre Ballstad, notre nouvelle étape. L’E10 est la route européenne de 850 km de long aux 18 tunnels qui relie Å, ville à l’extrémité sud des Lofoten, à Luleå en Suède. Centaines d’îles le long de la côte, des îlots parfois, des fjords tourmentés selon l’érosion. Sous un pont, j’aperçois des courants tourbillonnants, version en petit du fameux maelström, rendu célèbre par Edgar Poe et Jules Verne. Le terme vient du norvégien – ces rencontres de courants sont particulièrement fortes entre les îles Lofoten. Nous croisons au loin le Hurtigruten, l’express côtier, qui joint l’extrême nord depuis les côtes sud du pays. Nous apercevons aussi fugitivement le long de la route un vaste hall viking en bois en forme de coque de bateau renversée. Une affiche vantant le ‘Viking festival’ nous invite à y venir au début août.

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Ambiance délétère à Tahiti

Le journal Le Monde jette encore un pavé dans la mare ! Il y aurait une « ambiance délétère » au Palais de Justice de Papeete, un climat tendu, les juges d’instruction s’intéressant à certains de leurs collègues suspectés d’avoir entretenu des relations étroites avec l’homme d’affaires Bill Ravel… Deux clans s’affrontent au tribunal : ceux qui ont choisi de vivre au grand jour et de fréquenter le microcosme local et les autres qui s’en écartent délibérément. En tout cas cette lutte fratricide souille l’image de la Justice.

Qui a volé plusieurs centaines de caisses de bière qui ont disparu d’un conteneur situé en zone sous douane ?  Il paraît que ces caisses de bière d’une célèbre marque américaine se sont vendues  « sous le manteau » à un tarif fort intéressant. A la tienne !

RAPA (Australes)

Une famille de producteurs de vanille a été victime d’un cambriolage. Les malfrats sont repartis avec 150 kg de vanille, un butin estimé à 3,5 millions de CFP. Les deux interpellés par les gendarmes sont des proches des exploitants, l’un d’eux était leur homme de confiance. C’est que jouer au kikiri coûte cher et on ne gagne pas à tous les coups !

Le « Poresidon » a dit manger local. Il a bien raison sur le papier, mais les îles Fidji sont le fournisseur de la farine la plus consommée en Polynésie ; côté matières grasses, sucre, lait en poudre, viandes, c’est la Nouvelle-Zélande qui fait son beurre ; la Chine règne sur la sauce soja, les biscuits secs salés, les soupes de pâtes, les champignons chinois évidemment ; les USA fournissent leur beurre de cacahuètes, leur mayonnaise, les « cuisses de poulets », les boîtes de fruits cocktail, les fromages, les salades, les fenouils, les poivrons, les choux fleurs ; La Suède fait péter les allumettes ; et au pays de la noix de coco, c’est la Thaïlande qui règne sur les boîtes de conserve de lait de coco ! L’Inde livre le café ; le Danemark la viande de porc en boîtes ; le Canada les pommes ; l’Australie le sel de table et les oranges ; la métropole exporte cosmétiques, confiture, huile d’olives… Les pommes de terre de Nouvelle-Zélande sont moins chères que celles de Rurutu (Australes). Et si (par miracle !) tout allait mieux après les élections territoriales ?

Le retour des internes, originaires de Rapa (Iles Australes), au collège de Mataura à Tubuai a été encore digne d’un film folklorique ! Souvenez-vous, lors de leur retour des vacances de décembre/janvier, la baleinière qui devait les mener à terre avait  perdu l’usage de son moteur. Pour ce voyage le bateau Tahiti Nui chargé de les ramener à Tubuai (Iles Australes) avait laissé les barcasses à Papeete car, la grue du Tahiti Nui qui les descend à l’eau était « en panne ». Elle devait être réparée durant les 15 jours de vacances – mais rien n’a été fait, évidemment. Il a fallu solliciter le propriétaire de la pension Wipa Lodge  et son bateau pour assurer le débarquement des internes de Rapa, et l’embarquement des Tubuai vers Papeete, soit une douzaine de navettes. Le Tahiti Nui est l’un des bateaux de la flottille administrative.

baise gamins tahiti

A Papara, une fillette de 5 ans violée tout près de chez elle, son agresseur introuvable. Après une quinzaine de jours de recherches pour les mutoi farani (gendarmes), des prélèvements pour les recherches ADN envoyées en France, deux frères de 22 et 23 ans ont été appréhendés. Cela me donne des frissons.

Hiata de Tahiti

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La route du pain vers Erevan

Nous avons 80 km à faire pour rejoindre la capitale. Une escale bière dans un supermarché d’une ville intermédiaire nous permet de faire comme tous les autres touristes allemands, hollandais ou italiens que nous voyons. L’attraction du supermarché est la fabrication du pain.

Le client voit tout, du pétrissage de la pâte au fond de la salle à la mise au four par de grandes perches sur le devant. Deux fours sont installés en plein milieu, demi-ballons de briques au trou central par lequel le mitron enfile habilement les miches crues pour les coller aux parois. Il retire de même celles qui sont cuites et dorées. Sur la fin, il doit pencher son buste dans le trou pour attraper celles du fond et il y disparaît jusqu’aux reins.

Le pain embaume, il suscite le désir et l’achat. Comme il fait chaud, autant acheter de la bière aussi, ou du Coca pour les enfants. Les filles font provision d’eau en bouteille, même si l’endroit ne s’appelle pas Achadeau.

Mais si les photos sont permises, aucun vigile de supermarché n’autorise qu’on les prenne eux. Peut-être sont-ils anciens du service de sécurité de l’URSS ? Au passé trouble ? Ou bien ils se la jouent façon film, imitation des mercenaires internationaux ?

Sur le chemin, nous pouvons voir le mont Aragats, le plus haut sommet de l’Arménie actuelle puisque l’Ararat a été piqué par la Turquie. L’Aragats ne dépasse pas les 5000 m malgré ses neiges éternelles : 4095 m seulement.

Nous échouons, fatigués, au même hôtel Regineh d’Erevan qu’au départ. Nous avons une heure pour nous doucher avant dîner. Notre guide arménienne nous a fait son dernier exposé au micro sur le social arménien, l’éducation, la santé, la retraite, les impôts, la délinquance. De fait, tout va bien, l’Arménie est un pays moderne et démocratique, ou plutôt tout va de mieux en mieux. Tel est le message. Il ne dépare pas les autres propos de fierté nationale sur les records et la débrouille distillés durant tout le voyage. Ce pays s’évertue à exister aux yeux du monde civilisé ; il a été trop longtemps oublié, noyé dans l’empire turc puis dans le trou noir soviétique.

Nous dînons en centre ville dans un restaurant en sous-sol spécialisé dans les tour-operators. The Club propose des repas et une boutique où acheter des souvenirs. Il est tenu par des Italiens arméniens et le fils n’hésite pas à pousser sa voix jusqu’à chanter du bel canto. Une tablée de touristes italiens derrière nous est fervente des airs de Verdi et applaudit à tout rompre. Étonnante sensibilité transalpine à la musique, même loin des cités de la botte.

La cuisine est arménienne, mais avec une teinte internationale, je n’ai pas retenu d’originalité. Quelques dés de fromage italiens nous sont présentés en entrée au lieu des fromages arméniens habituels. Nous avons pris un vin d’Areni 2010 qui était presque meilleur que le 1991 bu l’autre jour. Peut-être mieux conservé, tout simplement. Mais il est servi à température ambiante, de 12 bons degrés trop chauds car nous retrouvons les 35°C du départ. La boutique est un fouillis à la mode intello de livres, photos, disques, DVD, figurines, lainages et poupées. On en trouverait de même sorte à Milan ou New York.

A la fraîche, Erevan est très animée. 30° sont encore affichés à une pharmacie en fin de soirée, mais les familles sortent pour marcher et se montrer dans la relative fraîcheur. A 23 h, les petits restent emmenés en promenade, il est vrai qu’ils sont en vacances.

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Sissian, ville de l’Arménie intérieure

Le bus conduit enfin à Sissian nos jambes fatiguées et nos gosiers à sec de la marche. L’endroit apparaît comme une vraie ville, avec ses rues à angle droit. Le macadam est largement défoncé, mal entretenu. L’hôtel est l’ancien bâtiment soviétique réservé aux apparatchiks en visite. Il a une façade qui en jette avec jardin arboré et bassin, mais un arrière sordide. Nous entrons d’ailleurs par l’arrière pour que le bus puisse décharger les bagages plus facilement.

Un ourson empaillé devant le guichet d’accueil ressemble à un loup agressif, mais griffu. Le guichet est muni d’un hygiaphone comme à la Poste chez nous il y a quelques années encore. Préjugés de toute administration : les assujettis sont des emmerdeurs dont il faut se garder ; les fonctionnaires sont les gardiens des règlements qu’ils délivrent comme un oracle, soigneusement protégés derrière le guichet. Combien faudra-t-il de générations pour que la mentalité administrative disparaisse en Arménie ? Et chez nous ?

Dans le bassin devant l’hôtel, trois gamins jouent dans l’eau. Le plus petit de sept ans marche tout habillé dans la cuve tandis que le grand de neuf ans ne se met en slip pour se baigner que lorsqu’il voit que les filles du groupe le photographie. Il a le corps peu bronzé, rarement poitrine nue. La petite fille, dans les huit ans, reste au bord et se contente de regarder jouer les mâles. Elle ne peut ni se baigner nue ni mouiller ses vêtements, ce sont là rudes manières de garçons dont le corps a besoin de sensations fortes. Ainsi se font les préjugés, dès la prime enfance.

Les chambres sont vastes mais mal foutues, à la soviétique. La seule fenêtre donne sur l’arrière de l’hôtel et est réservée à la salle de bain, pièce qui tient toute la façade ! La chambre sans fenêtre n’est donc chichement éclairée de jour que par la porte de la salle de bain si elle est ouverte… Le mobilier est du style petit-bourgeois (ou prolétaire imbu), typique de ce modernisme de l’est balourd et clinquant : nappe de velours synthétique, tapis mal imprimé, lustre kitsch à la lumière chiche, lit matrimonial plaqué de faux bois, miroir placé dans un coin pour que personne ne s’y voie, téléphone vert-pomme sans cadran, uniquement pour communiquer avec la réception qui centralise et surveille…

Nous avons rendez vous pour aller dîner au restaurant Lalaneh, « le » restaurant officiel qui ouvre sur la place principale. Sa porte est fermée, nous entrons une fois de plus par l’arrière. Explication : il est réservé pour tout un mariage, fort bruyant avec chanteur aux baffles impressionnants et karaoké. Nous passons par les cuisines pour gagner une salle isolée du micro qui beugle des tubes à la mode d’ici. Quand un petit garçon entrouvre la porte pour voir qui est là, nous en recevons des bouffées dans les oreilles.

Aux nombreuses entrées de légumes cuits et crus s’ajoutent de la charcuterie et plusieurs sortes de fromages. Le jambon sec entouré d’une pâte au paprika est solide à mâcher mais fort gouteux. Un plat d’herbes aromatiques fraîches accompagne les tomates et concombre de rigueur : basilic, estragon, aneth, persil, coriandre, cardamone. On croque les tiges telles quelle. Suit un ragout de mouton à l’eau avec pommes de terre, tomates, poivrons, oignons – et un piment pour donner le piquant. C’est excellent de simplicité. Le dessert est un paklava, feuilleté aux noix et au miel, spécialité du pays. Des pichets de jus de cynorrhodon orange épais agrémentent l’eau minérale et la bière que j’achète pour 300 drams (60 centimes d’euro) la bouteille d’un demi-litre. Le jus orange a peu de saveur mais rafraîchit bien le gosier en cas de brûlure au piment. J’en profite pour nourrir de restes de mouton un minet tigré gris qui vient miauler désespérément à la porte sur la rue.

Nous sortons le lendemain matin à pied visiter l’église Saint-Jean de Sissian qui date du VIIe siècle. Elle est tétraconque avec rentrants antisismiques – pour causer comme la guide. Ce qui veut dire simplement qu’elle a un chœur et trois chapelles, que ses murs extérieurs ne sont pas droits mais bâtis en coins rentrant pour que le mouvement sismique se répartisse sur les piliers.

Les deux popes, qui s’affairent à épousseter les ornements du chœur avec une sorte de balais tenu en l’air, puis discutent dans la sacristie avec l’air important, portent la barbe. Avec leur long visage persan et leur robe noire, on dirait des khomeynistes. Pour un historien formé aux frises babyloniennes, ils ont plutôt le profil assyrien.

Un monument large et fraîchement fleuri, aux trois aigles sculptés, en contrebas de l’église, a l’apparence stalinienne de tout ce qui est bâti en ville. Mais il s’agit d’un commémoratif aux soldats arméniens tombés il y a dix ans pour le Haut-Karabagh.

En revanche, de jour, la place du peuple (rebaptisée de la République) et sa maison commune massive flanquée de lions carrés de profil, reste dans la tradition prolétaire.

Une épicerie bazar qui vend de tout quand il y en a (à la soviétique), permet des achats massifs d’eau en bouteille et de Coca pour les gourmandes. Elle est installée, comme deux autres à côté, au rez-de-chaussée d’un immeuble « grand ensemble » typique des banlieues de l’est.

Balcons garni de linge qui sèche et chacun une parabole pour la télé, vélo monté pour éviter le vol, fils qui pendent pour relier on ne sait quoi, fuites d’eau sporadiques. Des compteurs à gaz jaunes sont autant de preuves individualistes du socialisme réel. Heureusement que la façade est plaquée de basalte d’un rose sombre, car le béton brut comme à Moscou serait sordide.

Malgré ce décor déprimant, les habitants vivent et sourient. Des femmes font leurs courses et papotent, un couple se tient en sous-vêtements sur leur balcon du premier étage au-dessus de la rue et échangent des propos avec une vieille en fichu et cabas. Des gamins en débardeur, short et tongs regardent de tous leurs yeux les étrangers, mais sans ostentation, ne dédaignant pas sourire en réponse à nos regards.

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Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens

Les chiots de la nouvelle éponyme sont devenus les chiens. Ils ont grandi dans le Lima péruvien des années 1950. Nous sommes en Amérique latine, continent machiste, catholique, hiérarchique et autoritaire – tout ce qu’adorent les Français, même à gauche. Aussi bien les touristes sur les sites des sacrifices humains au Mexique que la révolution guévariste à Cuba. L’Amérique latine a les mœurs de la France, en plus archaïque, ce qui fait qu’on se sent les maîtres bienveillants… Castro a symbolisé ce que Mélenchon rêve de devenir, et Allende ce que Martine Aubry aurait rêvé d’être – sans parler du très gaulliste Perón. Passons.

A 14 ans, les gamins sont happés par les collèges, soit curés, soit militaires. L’idée reçue dans la bonne société est qu’il faut les dresser. Ces mômes qui abordent la vie sont obsédés par les idées de faire comme les grands : bite, bière et baston. Il y a trop de tentations dans la ville, entre les lieux obligés : l’école, la plage, la salle obscure et la maison. Rien de tel qu’une bonne pension pour les mater, ces bouillonnants. Les parents le disent eux-mêmes : le collège militaire, c’est pour éviter la maison de redressement ou pour empêcher qu’ils soient pédés. Dans une société où le ‘virilisme’ est poussé au paroxysme d’une Méditerranée portée aux rives d’un océan, faire des hommes vaut mieux que frère des hommes.

Alberto est donc envoyé au collège militaire Leoncio Prado de Lima. Il entre l’année de ses 14 ans en troisième année, il devient donc un « chien ». Il doit être dressé, tenu en laisse par ses aînés et faire le beau sur ordre de ses supérieurs. Mais la vie de caserne, à l’âge tendre, n’est pas des plus drôles. Comme en meute, il faut établir sa place, se battre, mordre et se palper pour être accepté. Très vite naît le surnom, celui qui qualifie votre originalité. On ne sait pas son vrai nom mais il y a « le Jaguar », parce qu’il est aussi souple, vif et insaisissable que le félin lorsqu’il se bat. Alberto – l’auteur – est vite appelé « le Poète » parce qu’il sait écrire des lettres d’amour pour les filles des autres, et de petits romans porno qu’il vend à ses copains pour acheter des cigarettes. Il y a aussi « Boa » parce qu’à poil dans les douches on peut voir pendre son long sexe ; il se fait d’ailleurs une poule (une vraie, à plumes !) devant ses copains sur les arrières du collège. « Le Frisé » l’est en raison de ses cheveux nègres en poil de couilles. Et puis « l’Esclave », parce qu’il répugne à se battre et qu’il se laisse faire.

Tous se soudent lors des premiers jours d’entrée au collège où le bizutage des grands est humiliant et prolongé. Il s’agit comme toujours de coups, d’alcool et de sexe – tout ce qui « fait un homme » ma bonne dame, selon les mœurs machistes du temps et de la culture catho-latine. Le Jaguar, parce qu’il n’a pas peur, devient chef de la bande, il est le plus rusé. Il fait se venger les chiens juste entrés, organise les vols pour compenser les affaires perdues ou pour connaître à l’avance les sujets d’examens, ment avec aplomb lorsque son intérêt le commande. Mais il n’aime pas les mouchards. Sa force repose sur l’emprise qu’il a sur les autres. La dénonciation, par morale ou devoir, casse ce pouvoir personnel. Ce pourquoi le drame va se nouer.

Poussé par le Jaguar, Cava va voler un soir les sujets d’une composition de chimie. Nerveux, il casse un carreau et l’effraction est découverte. Tout le monde est consigné. L’Esclave devait sortir pour voir la copine Teresa dont il est amoureux ; il ne peut pas. Rejeté par les autres qui lui pissent dessus quand il dort, lui collent des morpions dans les poils pubiens, le frottent sexuellement et le traitent de petite femme, il n’a rien à perdre et tout à gagner. Il négocie donc sa sortie contre la dénonciation du coupable.

Mais dans ce monde étroit tout finit par se deviner, sinon par se savoir. La vengeance sera terrible. Cet excès même va retourner Alberto, qui a brimé l’Esclave comme ses copains. Il a grandi, mûri, est lui-même amoureux. Il s’interroge sur les limites : tout est-il permis au nom de la solidarité de clan ? N’y a-t-il pas des principes supérieurs concernant la vie humaine ? Est-ce courageux de se taire alors qu’une chose très grave a été commise ? Dénoncer le mal, est-ce trahir ?

Ce long roman, le premier de l’auteur, écrit à 23 ans, se déroule par chapitres captivants qui vous laissent en haleine. De fréquents retours en arrière, changement de plans et de personnages qui disent « je » avant d’être repoussés au « ils », composent une trame baroque, accordée à la mentalité du Pérou années 50. La sensualité affleure aux chemises déboutonnées, aux baisers des petites amies ou aux actes gratuits des putes envers les moins de treize ans. Le milieu des garçons entre eux est carrément planté, avec ses défis permanents, son exaspération sexuelle, sa hiérarchie des compétences, ses rêves naïfs et sa camaraderie de panier : les chiots entre eux s’aiment, non d’affection mais de promiscuité. Voir un semblable « à poil » des mois durant crée un sentiment, ainsi qu’il est dit dans le roman.

Les filles, c’est l’extérieur, la ville, un terrain vierge où se répandre en conquérant. Jusqu’aux statues érigées des généraux, héros nationaux, qui indiquent la voie de leur sabre brandi. Il s’agit d’ériger le sexe mâle dans toute sa splendeur sociale, le sabre n’étant que le prolongement viril de la chose. Ces statues balisent le collège et les places de la ville, symboles du pouvoir mâle dominateur que les chiens doivent adopter pour devenir des hommes (des vrais).

D’ailleurs le Poète deviendra ingénieur et le Jaguar banquier.

Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens (La ciudad y los perros), 1962, Folio, 530 pages, 7.98€

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Montaigne à table

L’austère Montaigne serait-il épicurien ? Bien sûr ! L’adepte de la vie bonne aime les sens, dont celui du goût. Mais avec modération. Pas la modération des fonctionnaires du social dont la seule justification est de vous régenter la vie mais la vraie, celle du corps apaisé et repu selon sa complexion. « C’est une absolue perfection, et comme divine, de jouir loyalement de son être » dit Montaigne (Essais III, 13, 800). Le corps est le seul guide raisonnable et le sage tiendra l’équilibre entre son appétit et se rendre malade. Pas de modération par principe mais une modération par santé, chacun selon ses capacités, suivant son mouvement.

Christian Coulon, professeur émérite à Science Po Bordeaux et auteur de livres sur la cuisine gasconne, explore avec bonheur et érudition ce terrain mal défriché de Montaigne à table. Non sans humour, ni critique féroce envers les régionalistes qui croient découvrir en cette figure périgourdine l’ancêtre de la gastronomie-qui-fait-la-réputation-internationale-de-la-région. Fi ! Ni le maïs (qui sert à gaver les oies), ni la truffe (laissée aux cochons), ni l’aubergine, ni la tomate, ni le poivron (qui font les délices de la cuisine basque), ni la pomme de terre (célèbre en sarladaise), ni le haricot (qui fait le cassoulet) n’étaient encore parvenus en France ! La cuisine « éternelle » des régions a été inventée au XIXe siècle avec l’essor du tourisme bourgeois et le nationalisme d’ambiance.

Michel Eyquem de Montaigne ne savait pas faire la cuisine, il le dit. Il ne connaissait rien aux plantes mangeables, ne sait pas comment lève le pain ni faire le vin et est inapte à trancher les viandes. Aucune de ces petites choses pratiques de la vie quotidienne n’intéresse son esprit. Peu habile de son corps, il se dit de nature rêveuse. Il déteste ces grands banquets politiques où la frime de cour en jette aux provinces. Mais il aime manger. Il se jette avec appétit sur « les viandes », avalant hâtivement le service à la française où les plats restent peu de temps sur la table.

Montaigne mange ce qu’il a et notamment ces mets paysans de son enfance, le pain bis, le lard et l’ail. Comme il est aristocrate, il a accès à la viande, surtout conservée au sel et garnie de sauces grasses aux épices. Contrairement à la mode, il préfère le poisson. Avec la mode, il se gave d’huîtres et de melon, tout récemment venu d’Italie, pays qui donne le ton de cour au XVIe siècle. Il apprécie aussi l’artichaut dont la reine, venue de Rome avec le légume, était folle. Il aime beaucoup le vin, mais le blanc ou le clairet qui est du vin de l’année. Il en boit 75 cl (une bouteille actuelle) à chaque repas mais le coupe d’un tiers d’eau.

Le philosophe est adaptable et curieux. Il aime aller voir ailleurs, voyageant en Allemagne et en Italie, et rien de mieux que la table pour y connaître une culture. C’est que manger n’est pas seulement se nourrir. C’est découvrir les mets de la nature, combler son corps de sensations et ouvrir son esprit à la conversation. En sage à l’antique, Montaigne n’aime rien tant que deviser autour d’un banquet. La table est lieu de sociabilité où le vin délie les langues et les mets ouvrent à l’économie. La maîtrise de l’appétit comme le goût de manger à bonne santé prouvent le gouvernement de soi. Point de « principes » diététiques, de convenance sociale ou de restriction « bio » (dirait-on aujourd’hui) : il faut goûter de tout et s’emplir à satiété, l’équilibre étant celui de soi, de son corps plus ou moins apte, de sa propre complexion. « Je me défends de la tempérance comme j’ai fait autrefois de la volupté », déclare Montaigne (Essais III, 5, 611). C’est au bon goût et à l’appétit de régler les voluptés de table, pas à la médecine qui, dès cette époque, prenait l’allure d’une morale autoritaire.

Montaigne est curieux du monde et tout est bon à son philosophique intérêt, surtout ce qui le met hors de l’habitude. Il découvre ainsi la profusion d’écrevisses en Allemagne, dont il apprécie les vins blancs non coupés. Il s’étonne de ces choux hachés salés servis chauds ou en salades (qu’on appelle désormais choucroute), et l’usage de servir la viande aux fruits (pommes, poires, airelles). Le pain aux épices (cumin, maniguette, fenouil) le ravit bien plus que le froment sans sel qu’il a coutume de manger chez lui. Mais il n’aime pas la bière.

L’Italie, tant vantée du temps comme modèle gastronomique imitée à la cour de France, le déçoit par ses vins, troubles et indigestes, mal vinifiés et qui ne se gardent pas. S’il note surtout le protocole du repas, ce théâtre de la table mise en scène avec usage de la serviette et de l’assiette, il préfère les repas des petites auberges où l’on s’intéresse à ce qu’il y a dans l’assiette. Il mange moins de viande (elle se conserve mal en raison de la chaleur) mais apprécie le veau que les Italiens cuisinent de diverses façons. Il se goinfre de poisson, bien plus abondants en Italie qu’en pays gascon. Il découvre les oranges, les citrons, les olives, les salades aux herbes, tout ce qui n’existe pas chez lui. Il mange cru l’artichaut et les fèves, ce qui ne se fait jamais en Périgord, et les truffes blanches émincées simplement à l’huile d’olive et au vinaigre. Il goûte à la moutarde de fruits sucrée, spécialité italienne, et s’empiffre de melon, de coing et de jujube.

Il aime manger, plaisir simple loin de la gastronomie du discours. Son comportement à table est une sagesse mise en pratique. Elle nous fait découvrir un Montaigne tout à soi, ouvert, sensuel, tempéré, aimant la sociabilité et l’exploration des autres coutumes. L’auteur pousse le talent jusqu’à nous proposer en fin de volume douze recettes pour Montaigne, composées par lui aujourd’hui, selon ce qu’il aime. Vous saurez ainsi élaborer une soupe de melon, une salade de fonds d’artichauts aux fèves, une pintade aux aromates, une moutarde de fruits italienne, et même ces sauterelles grillées mexicaines en honneur des cannibales !

Un ouvrage court et plaisant qui donne envie de goûter à Montaigne.

Christian Coulon, La table de Montaigne, 2009, Arléa, 187 pages, €15.20

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Le mal au paradis

Un paradis, Tahiti ? Où le temps est toujours beau, la nourriture saine qui pousse sur les arbres et dans les lagons poissonneux, où les femmes sont belles et nues et les hommes faciles ? Tout cela, c’est le rêve, l’illusion biblique, parce que Tahiti se trouve au plus loin de la France et qu’on ne sait pas. La réalité est bien plus triviale… Alcool, drogue, dépression, suicides – qui se compensent par la bouffe, les horoscopes, les nouvelles religions.

La femme de tout Polynésien est la bière Hinano qu’il consomme avec abus entre vendredi soir et dimanche soir. Sa petite soeur est le pakalolo (cannabis) et l’ice (metamphétamine). Ce sont deux drogues dévastatrices ici, surtout lorsque mélangées à de la bière ou de l’alcool. Le résultat : des accidents de la route, des bagarres, des viols, des violences conjugales. Chaque fin de semaine voit des morts. Dans le cas des violences conjugales, la femme frappe avec un couteau son tane (mari) tandis que l’homme la bat à mort avec ses poings laissant, comme en juin, cinq orphelins de 10 à 2 ans.

Ironie, le Français de Polynésie constate que le Français de France boit plus que lui sans être victime de tous ces maux ! Comme l’expliquent les journalistes en suivant les médecins, c’est que le Métropolitain boit certes trop aussi, mais sur huit jours tandis que le Fenua (pays) avale la même quantité en deux jours, tout en le mélangeant avec d’autres drogues. Pourquoi ? A cause du « fiu ».

C’est un sentiment respectable et respecté. Quand un Polynésien vous dit : « je suis fiu », la Popaa que je suis se fait toute petite. Comment traduire : cela peut être qu’il s’ennuie terriblement, qu’il est las de tout et que cela déclenche chez lui un sentiment de rejet, de ras-le-bol, et donc qu’il n’y a lieu de ne pas insister. Le fiu est la dépression noire. C’est fiu de retourner acheter des allumettes oubliées chez le Chinois. Si le maçon est fiu, il s’arrêtera de travailler pour quelques jours ou pour plusieurs semaines. Si la serveuse du café est fiu, elle s’appuie sur son comptoir et reste là, donc pas de service. Je traduirais par mélancolie, langueur, dégoût de tout. Parfois, cela me gagne aussi. Est-ce que l’ennui n’est pas le revers du paradis ?

Ne pas confondre le fiu avec le « burn out ». Une étudiante en médecine fenua, Sabrina Chan Lin, épouse Chanteau, vient de soutenir une thèse de doctorat sur l’épuisement professionnel. Il se manifeste par un épuisement émotionnel, une déshumanisation et la réduction de la compétence personnelle. A Tahiti, 12% des jeunes médecins présenteraient un tel syndrome.

Ils se suicident alors beaucoup aussi. Les jeunes de 15 à 35 ans sont les plus nombreux, même mariés, même chargés de famille.

Pour compenser, les festivités sont nombreuses, les dépenses en cadeaux importantes et les enfants gâtés pour la plupart. La nourriture d’exception, venue de Nouvelle-Zélande, prend ici de l’importance : les huîtres très laiteuses, les palourdes énormes, les moules vertes grosses comme des moules espagnoles, le veau débité en gros morceaux, le puaa (cochon) local grillé. On ne mange pas, ici, on bouffe. Le mauvais cholestérol s’accumule car le Polynésien aime les moules farcies, les palourdes farcies, la volaille farcie et mange moins légumes et de fruits (produits locaux moins tentant). Le diabète apparaît avec les mœurs américaines de boire des sodas très sucrés, beaucoup et n’importe quand. Beaucoup de Polynésiens sont obèses, 30% selon les études, et 40% sont atteints de surpoids (soit 70% de la population au total !). Les jeunes et les vieux, les femmes et les hommes, les gamines et les gamins sont obèses, sauf ceux qui s’adonnent aux sports traditionnels comme aux sports introduits par la modernité, mais cela demande un effort.

D’autres font confiance aux horoscopes. Chaque jour dans « La Dépêche de Tahiti »  ou dans « Les Nouvelles de Tahiti », vous pouvez consulter votre horoscope. Sur toutes les radios et sur les différents programmes de télévision on diffuse plusieurs fois par jour l’horoscope « normal » et, en plus, l’horoscope « chinois ». Les programmes de télé donnent tous les horaires.

Les nouvelles religions fleurissent. J’ai été conviée à assister à une conférence donnée par une voyante marseillaise qui invoque les « Maîtres », Ramtha, les archanges, les anges, qui soigne par les chakras et la respiration « essinienne » (?). Mais elle fait concurrence aux sorcières et prêtresses locales. Un sort a été lancé sur la Marseillaise par la meneuse de la prière à la cascade. En effet, chaque dernier samedi du mois, j’accompagne E. à la cascade de Faone. Merci de ne pas rire, pas même de sourire. Il s’agit d’aller recevoir de l’énergie. Tous les participants se mettent en rond, pieds nus sur le sol, se donnent les mains, une main donnant, l’autre main recevant. La Prêtresse parle aux nouveaux adeptes, puis récite un Notre-Père. Les nouveaux en priorité s’en vont, huilés de monoï, dans le bassin pour recevoir l’eau de la cascade. Ils touchent la roche pendant que la Prêtresse prononce des paroles. Certains pleurent, certains crient. Quand tout est calmé, les participants font déborder le bassin et prononcent une autre prière. Séchage, rhabillage et le petit-déjeuner est pris en commun de l’autre côté de la route face à l’océan.

Hiata de Tahiti

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Arnaldur Indridason, La voix

On a assassiné le père Noël ! Même en Islande, pays de la glace et du feu, cet incident ne passe pas inaperçu. Mais point de cellule d’aide psychologique pour les enfants déçus, on n’est pas dans la France du care aubryste. La compassion est plus subtile au pays des sagas et des poèmes skaldiques. Elle consiste en une enquête à la Maigret, avec tâtonnements et fausses pistes, toujours dans la psychologie.

C’est que l’aujourd’hui dépend d’hier et qu’hier n’a pas été toujours innocent. Qui était donc ce père Noël, dans le civil portier d’hôtel effacé vivotant au fond d’un cagibi depuis vint ans ? Pour quelle raison l’a-t-on tué ? Le sexe ? L’argent ? La réputation ? Ces trois motifs récurrents de tous les meurtres sont examinés tour à tour.

Le grand hôtel de Reykjavik s’emplit de touristes venus apprécier la bonne neige et la tempête hivernale, tout en se gavant de mouton fumé, de bière hors de prix (la plus chère du monde, dit l’auteur en 2002) et en se déguisant des fameux pulls islandais qui ne sont guère portables autrement, sinon dans l’Himalaya. Le criminel est-il un touriste de passage ? Un collègue de l’hôtel ? Une pute attirée par la foule des michetons ? Quelqu’un d’autre entré ici comme dans un moulin ?

Le commissaire Erlendur est un taiseux. Il cache en ses profondeurs un drame qu’il a peine à sortir. Divorcé depuis vingt ans, il a délaissé ses enfants (dans ce roman, on apprend pourquoi) et sa fille, qui vient le voir quand même, s’est droguée et a perdu un bébé. Pas simple de se dépatouiller des vies des autres lorsque la sienne n’est déjà pas claire… C’est tout le sel de cette enquête, menée en lieu clos et en six jours – comme dans la Bible. Le septième jour est Noël, où chacun se retire en famille, comme il se doit.

Flanqué de ses adjoints l’inspecteur Sigurdur Öli, qui n’a jamais pu avoir d’enfant jusqu’ici, et de l’inspectrice Elinborg, qui suit le procès d’un enfant battu, le commissaire Erlendur patauge mais avec méthode. La lumière se fait peu à peu, d’indices en indices. L’enfant est ici le thème du livre : enfant désaimé, enfant prétexte, enfant modèle, enfant repoussoir, enfant poupée… Certains pères exigent de leur enfant qu’ils deviennent le modèle qu’eux-mêmes ont dans la tête, la réalisation qu’ils n’ont pu accomplir. D’autres se servent de leur enfant comme d’un punching ball dans les moments de stress, ou de faire-valoir social quand ça les arrange. A moins que ce soit la mère, effacée en apparence, en retrait ou décédée, qui soit finalement responsable de tout ce qui arrive.

La voix du titre français est celle d’un soliste de douze ans. Elle ouvre et clôt le livre. Un bien beau livre où la psychologie atteint des profondeurs qu’on ne trouve plus guère en France.

Arnaldur Indridason, La voix, 2002, Points policier, Seuil 2008, 401 pages, €7.12

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Tahiti se drogue à ce qu’il peut

Je vais vous conter la candide aventure d’une pakamobile à Papeete. Il était pourtant rutilant ce 4×4, mais il est tombé en panne. Impossible d’aller effectuer les livraisons aux différents points de vente ! Qu’à cela ne tienne ! Les livreurs de paka (cannabis) ont vendu aux passants la cargaison « au cul du camion ». Ils ont évidemment été pris en flagrant délit par la police et les hommes du GIR. Un kilo 500 d’herbe séchée a été détruit. Puis 500 pieds de paka ont ensuite été arrachés chez le « pakaculteur ». Un millier de boîtes (d’allumettes) destinées au conditionnement et le 4×4 ont été saisis.  Les livreurs ont « donné » le producteur qui a expliqué qu’il avait mis au point une espèce « d’herbe » capable « de donner » tous les 3 mois.

A noter qu’une boîte de 3g se vend 5000 FCP. En 2009, les autorités estimaient ce marché souterrain à 40 milliards de FCP/an. Les quantités saisies ne représentent en gros qu’un quart de la production en circulation. A Tahiti, on n’a pas de pétrole mais on a du paka.

La semaine précédente, dans l’enceinte du Palais de Justice, un individu s’était allumé un joint. Mais il est vrai que le gouvernement veut interdire la vente de la bière fraîche après 16 heures.

D’ailleurs ledit gouvernement vient d’être renversé. Président du peï : Oscar, indépendantiste ; Président de l’Assemblée : Jacqui, indépendantiste; Présidents des diverses commissions : tous indépendantistes. 57 représentants pour 267 000 habitants dont 29 représentants indépendantistes, autrement dit la majorité. La question que tout le monde se pose : c’est quand que les Indépendantistes boutent les Popaa hors du fenua ?

Réponse : pas tout de suite car l’autre drogue c’est les sous. La CPS (Sécurité sociale du fenua, autrement dit de Tahiti) réclame 27 milliards à la France en remboursement de tous les frais occasionnés par les malades du nucléaire, c’est à dire quasiment tous les patients de Polynésie, sans distinction, depuis une quarantaine d’années.

Quand on n’a rien à se mettre dedans, on s’en met dessus. Le monoï ? ça marche bien ! Soin original, le monoï est un produit utilisé par 250 marques de cosmétiques. 28 tonnes exportées au 1er trimestre 2010 et, pour le 1er trimestre 2011, ce sont 98 tonnes qui sont parties. Plus de 10 millions de produits finis en contiennent. L’année prochaine on fêtera les 20 ans de l’appellation d’origine. La fleur de tiare possède des propriétés apaisantes et assainissantes reconnues. Le tiare ne pousse de façon naturelle qu’à Tahiti. Le monoï fabriqué avec l’huile raffinée de coprah a des vertus émollientes avérées… D’où l’intérêt des grandes marques de cosmétiques : Schwarzkopf, Estée Lauder, Cinq mondes pour ne citer qu’elles parmi les 250 cosmétiques intéressés.

Il faut bien exporter quelque chose quand on ne sait plus accueillir… Publication des chiffres du tourisme : en 2010, 153 919 visiteurs soit une baisse de 4,1% par rapport à 2009, alors que l’Organisation mondiale du tourisme annonce que le nombre de touristes internationaux a augmenté de 7%.

On crée des emplois entre soi, comme ça on ne sort pas de la famille : l’annonce officielle qu’une nouvelle prison de Papeari (Tahiti), coûtant de 8 milliards de FCP, donnerait 245 emplois permanents.

Portez-vous bien, à bientôt.

Hiata de Tahiti

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