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Prieur, Malgras, Hervieux, Les guerres napoléoniennes 2

Suite du tome 1, chroniqué sur ce blog, les auteurs content avec humour de nouvelles histoire vraies à l’époque de l’empereur. « Tout est vrai », mais tout est revisité XXIe siècle. Cela plaît aux ados, qui ont plébiscité le tome 1, et l’un d’eux, en sweat à capuche orange comme le veut la dernière mode teenage, apparaît même à la page 33 pour dire que la charge des cavaliers de Rohan dans Le seigneur des anneaux ne vaut pas la charge de Murat à Eylau !

Ce sont treize anecdotes ainsi rappelées, passées souvent sous le radar de la grande histoire. Jean-Marie Cochet, corsaire fait prisonnier des Anglais, a pris la frégate où il croupissait à lui tout seul, ou presque, principalement par des mots. Comment ? Par la revendication révolutionnaire qui a un petit air d’actualité : « Je suis Français, mon gars, bloquer les transports, c’est une seconde nature ».

La bataille d’Auerstaedt a été gagnée sous le nom d’Iéna par Davout avec une avant-garde française, alors que le gros de l’armée autrichienne fonçait sur lui dans un mouvement de revers. Dans le même temps, Napoléon gagnait avec le gros de l’armée française à Eylau contre une avant-garde autrichienne. Chaque armée avait la même stratégie et fait le même mouvement.

La « méthode Masséna » est un truc de contrebandier : quand vous êtes acculé par l’ennemi sur un sommet avec une pente inaccessible, le truc est de glisser sur la cul de cette pente pour se dégager.

Claude-François de Malet, ex-général devenu fou, a fomenté un coup d’État alors que Napoléon était à Moscou en 1812. Les badernes de Paris n’y ont vu que du feu, sauf un, le gouverneur Hulin, qui a éventé le faux grossier annonçant la mort de l’empereur et les plein-pouvoirs au général félon. Comme si l’héritier naturel de l’empire n’était pas avant tout le fils, le roi de Naples.

En 1809, quand l’armée napoléonienne est en butte à la résistance des Espagnols et à l’armée des Anglais, Napoléon envoie la gendarmerie. Mais attention, les gendarmes ne sont pas des policiers, ce sont des militaires. Ils ont l’habitude des coups de main – et Espagnols comme Anglais s’en mordent les doigts. Le sujet est traité en anachronisme, en calquant les pratiques des pandores d’aujourd’hui : contrôle des fers des cheveux, jugés usés, des roues des charrettes, trop lisses, de conduite des carrioles en état d’ivresse, et ainsi de suite.

Lorsqu’on manque de boulet de canon,, quoi de mieux que d’en quémander à l’ennemi ? Il suffit de lui monter de loin ses fesses pour qu’il se mette à en envoyer. Il suffit ensuite des les ramasser pour les réutiliser. C’est ce que fis Daumesnil en 1799 au siège de Saint-Jean d’Acre.

En 1807 en Prusse-Orientale, à Eylau, l’armée française est mal barrée. Les fantassins russes avancent sans compter leurs pertes. Napoléon demande à Murat de composer une cavalerie avec tout ce qu’il trouve et de foncer dans le tas. Plus de 12 000 Français montés déferlent sur les Russes à pied, et repassent dans l’autre sens. Ils enfoncent tout. Ni subtilité, ni stratégie, mais la bonne grosse force, tant prisée des moujiks.

C’est tout le contraire pour le petit tambour d’Arcole en 1796. Lui joue la ruse : impressionner l’ennemi pour qu’il perde le moral. Le gamin traverse le fleuve à la nage pour aller battre la charge côté autrichien. Les soldats croient qu’ils sont encerclés et se débandent. Effrayer l’ennemi avec de la musique, cela se fait encore de nos jours : c’est l’horrovision.

Les femmes ne sont pas en reste, comme cette Agustina de Aragon, jeune espagnole qui a joué les Jeanne d’Arc en repoussant à elle seule les Français qui envahissent le village, à coup de pommes puis de canon. Il suffit d’oser et de surprendre.

Il y a encore les faux roubles de Napoléon, les dents du bonheur qui faisaient réformer pour incapacité à mordre la cartouche, Gaspard Monge, savant et ministre, colosse intenable qui savait pointer le canon, et la frégate de pierre, invention des Anglais face à la Martinique. Faute de navire en nombre suffisant, En 1804, le lieutenant de marine Maurice a fortifié l’îlot rocheux juste devant le port de la Martinique, faisant office de navire interdisant ses eaux. Il a tenu 17 mois avant qu’une flotte franco-espagnole, nettement supérieure en nombre, ne parvienne à l’en déloger.

La grande histoire racontée sur ses marges et à la blague, bien dessinée avec profusion de détails. Un délice à déguster pour Noël et à offrir dès 12 ans.

Prieur, Malgras, Hervieux, Le petit théâtre des opérations : Les guerres napoléoniennes 2, 2025, Fluide glacial éditions, 56 pages, €15,90, e-book Kindle €6,99

Prieur, Malgras, Hervieux, Le Petit Théâtre présente : Les guerres napoléoniennes – écrin tomes 1 et 2, €31,80

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Ready Player One de Steven Spielberg

Wade Owen Watts (Tye Sheridan) n’est pas encore né, il ne naîtra qu’en 2027. Mais, en 2049, orphelin depuis longtemps, il vit à 22 ans dans un taudis à Columbus (Ohio) avec sa tante qui l’a recueilli et le beauf macho qui est son compagnon. La société s’est effondrée avec la crise énergétique et climatique, et la société américaine « développée » s’est réfugiée dans l’illusion. La « réalité » virtuelle a remplacé la réalité tout court, tout comme les fausses vérités de Trompe remplacent dès aujiourd’hui la vérité réelle.

C’est ainsi que des petits génies de la tech, James Donovan Halliday (Mark Rylance) et Ogden Morrow (Simon Pegg), ont créé la société Gregarious Games – et fait fortune. Halliday est un inadapté social qui a voulu que l’Oasis remplace le monde réel où il se sentait mal. Il a inventé un système mondial de jeu vidéo multijoueurs, accessible par des casques de réalité virtuelle, des gants et des combinaisons qui simulent les sensations tactiles depuis chez soi dans son taudis. Dans ce métavers idéal, chacun compense ses frustrations dans la vie réelle. Une « bonne » façon (américaine) de se faire un max de fric avec la solitude et la psychopathie créée par le système économique où l’homme est un loup pour l’homme.

D’ailleurs, la compétition est ici encore encouragée. Halliday ne quitte pas le système américain lorsqu’il propose dans une vidéo, à sa mort en 2040, de « donner » les actions de son entreprise à celui ou celle qui parviendra à « gagner » (à l’américaine, où tous les coups sont évidemment permis) l’easter egg (œuf de Pâques) caché dans l’Oasis. Le gagnant des trois clés permettant d’ouvrir le coffre de l’œuf aura 500 milliards de $ et les pleins pouvoirs sur le jeu. De quoi devenir Maître du monde, même s’il n’est que virtuel.

Depuis cinq ans, rien. Nul n’a réussi à avancer dans le concours. Wade, sous son avatar de Parzival (le Perceval de la Quête du Graal) qui le magnifie en blond à la coiffure proliférante et aux yeux bleu clair, le corps tatoué de partout sous son tee-shirt noir et veste de jean sans manches ornée d’une épée d’or dans le dos, décide de devenir lui aussi un chasse-œufs. Il se mesure aux Sixers de la société Innovative Online Industries (IOI) dirigée par Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn). Cet entrepreneur qui n’a rien inventé veut mettre la main sur l’Oasis en remportant le concours, pour maximiser les profits avec de la pub. Wade veut que le jeu reste libre. Deux conceptions du capitalisme américain : le fric ou le divertissement – on ne sort pas du système, mais le jeune Parzival est plus sympathique que le technocrate Nolan qui s’est créé un avatar de gros con musculeux bien que lent du cerveau. D’autant que Parzival n’a pas une armée d’experts à sa solde, comme le business man qui les fait bosser à des horaires d’esclave, mais quatre amis et son astuce. Toujours le mythe du Pionnier, seul contre la nature hostile.

Il échoue dans l’épreuve de la course automobile, où il retrouve son grand ami Aech (sous avatar super-mâle Terminator et qui se révélera être… la fille Helen – Lena Waithe) et la fameuse Artémis (déesse de la chasse) sous l’avatar d’une jeune rousse à moto (Olivia Cooke). Il se tourne alors vers les archives de la vie d’Halliday, un ensemble d’enregistrements vidéo reconstitués en réalité virtuelle, guidé par le Conservateur du Journal d’Halliday. Il découvre que le fondateur d’Oasis regrette certaines de ses décisions et aurait voulu revenir en arrière : voilà comment il faut gagner la course, non en se précipitant en avant, comme les jeunes loups avides du système capitaliste, mais en arrière, pour les devancer à la fin de la boucle… Être à contresens permet de ne pas penser comme la horde. C’est le secret du génie.

La première clé obtenue permet un indice. Artémis l’imite, suivie par Aech ainsi que Daito (en vrai Toshiro – Win Morisaki) et Sho (Philip Zhao), autres amis de Parzival dans le monde virtuel. Notez que le politiquement correct est respecté dans la répartition des races dans le monde réel : un Blanc, une Blanche, une Noire, un Japonais et un Chinois (lequel est un geek de 11 ans). L’indice est « un pas non franchi ». Ce serait le regret d’Halliday de ne jamais avoir embrassé Kira, laquelle s’est accouplée avec son partenaire Ogden Morrow. Il semble qu’Halliday n’ait jamais fait l’amour à une femme, d’où sa fuite dans le virtuel. Parzival gagne son pari sur le Conservateur, qui croyait que Kira était mentionnée plus d’une seule fois. L’avatar lui donne alors une pièce de 25 cents, qui aura un rôle crucial par la suite.

Sorrento veut alors éliminer ce redoutable concurrent qui arrive mieux que ses équipes de petits besogneux à se retrouver dans le jeu. Il envoie son mercenaire i-R0k (T. J. Miller) rechercher l’identité réelle de Parzival, lequel a la niaiserie de révéler son nom à Artémis qu’il connaît à peine, dans une boite (virtuelle) où Halliday a rencontré Kira. Écouté par i-ROk, l’amoureux se vend, et comme le bataillon de Sixers ne parvient pas à le dézinguer dans la boite, il fait sauter la pile où il habite, pulvérisant sa tante et son mec. Le père de Wade est mort endetté dans un Centre de fidélité de IOI et a été contraint de servir pour payer ses dettes. Aussi, lorsque Sorrento propose à Wade de travailler pour lui pour un très gros salaire avec bonus s’il gagne le concours, il refuse.

Capturé par Artémis – qui est dans la vraie vie la rebelle Samantha Cook – il rejoint Aech, Daito et Sho et tous comprennent que la seconde clé se trouve dans une simulation de l’hôtel Overlook de Shining, le film que Halliday voulait voir avec Kira. Artémis est capturée, Parzival s’évade et rejoint ses trois autres amis dans un fourgon postal anonyme. Ils préparent la troisième épreuve, qui est de jouer sur la console de jeu favorite d’Halliday, l’Atari 2600. Elle se trouve dans une forteresse gardée par IOI et protégée par une orbe magique. Wade parvient à pirater le fauteuil de jeu virtuel de Sorrento, assez stupide pour avoir laissé écrit sur un post-it ses mots de passe, et à délivrer Samantha enfermée dans une cage de l’usine à jeu. Parzival lance alors un appel au peuple, comme une cagnotte virtuelle, pour attaquer en masse la forteresse. Le combat faite rage, Daito lutte contre le Mecha-Godzilla de Sorrento et meurt en virtuel, Aech aussi en Géant de fer, ce qui permet à Parzival, Artémis et Sho de pénétrer la forteresse. Pour que Samantha puisse s’enfuir de l’IOI, Parzival tue son avatar Artémis. Elle est cueillie dans le fourgon d’Aech, mais ils sont poursuivis par F’Nale (Hannah John-Kamen), cheftaine implacable des Sixers – une véritable executive woman yankee.

Sorrento, vaincu, réinitialise le jeu par une bombe qui anéantit tous les avatars… sauf un : Parzival, grâce à sa pièce de 25 cents, possède une vie supplémentaire. Il joue alors à Adventure pour y trouver l’easter egg en trouvant la salle secrète du jeu, et la troisième clé. Il découvre alors un avatar d’Halliday qui lui donne à signer le contrat de cession de ses actions. Mais Parzival est un pur ; il se souvient que qu’Halliday a perdu son seul ami, son partenaire Morrow, avec ce genre de contrat. Il refuse alors de signer – et Halliday est content. Cette tentation du veau d’or était la dernière épreuve (les Yankees restent très bibliques, et Sipelberg très dans les codes).

Après une dernière course-poursuite dans la tradition d’Hollywood (la trilogie grosses bagarres, grosse course, grosse explosion, auquel le film de Spielberg sacrifie largement), le Wade du monde réel décide de partager le contrôle de l’Oasis, qu’il a gagné avec leur aide, avec ses quatre amis. Le Conservateur était l’avatar de Morrow et il offre ses services de consultant pour un salaire de 25 cents. Le jeu qui aurait pu devenir totalitaire reste démocratique… jusqu’aux Tromperies depuis. Les cinq amis prennent la décision saluée d’interdire l’accès au jeu aux Centres de fidélité d’IOI. Ils prennent aussi une liberté très impopulaire : l’Oasis sera fermé deux jours par semaine, les mardis et jeudis. Il faut parfois être impopulaire pour le bien du peuple. Les gens doivent prendre du temps pour vivre et aimer dans le monde réel.

Le film a plu aux ados par ses nombreuses références à la pop-culture comme à la culture geek des jeux vidéo, des super-héros, des films et des séries télé cultes. Un film rempli d’effets spéciaux et sans aucune scène que la pudibonderie croyante pourrait réprouver (à peine un seul baiser, à la fin). D’innombrables souvenirs des années 80, ses jeux vidiots, ses héros super – toute une génération du divertissement, biberonnée à Hollywood sous Mitterrand, qui nous donne ces politiciens minables d’aujourd’hui. La génération des bébés boum, ceux qui animaient les boums et et y baisaient à loisir (et pas avec les curés), selon la nomenclature Bayrou. Pas la mienne. Reste un film qui se regarde une fois. Un vestige d’époque.

DVD Ready Player One, Steven Spielberg, 2018, avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Warner Bros. Entertainment France 2018, anglais doublé français, allemand, italien, 2h18, €3,45

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Île d’Ortigia à Syracuse 2

Devant le Duomo, le palais est du XVe rénové au XVIIIe siècle. La cathédrale est l’ancien temple d’Athéna aux colonnes reprises et leurs intervalles murés au VIIe siècle e notre ère. En 1754, Andrea Palma a ajouté une grande façade baroque pleine de mouvement. La nef centrale est l’ancien naos percé de huit grandes arcades de chaque côté. Les colonnes du périptère furent comblées pour faire les murs extérieurs. En 1518, un plafond de bois fut ajouté sur la nef. Nous sommes dimanche et un office interminable se déroule à l’intérieur, bien après midi juste. Nous ne pouvons nous y attarder. Des ados attendent à l’extérieur, assis sur les marches, consultant leurs smartphones ;

A un carrefour près du Lungomare, la source dite d’Aréthuse. Cette nymphe d’Artémis, pour Ovide (Métamorphoses, 4, 494), est aimée par Alphée, le dieu-fleuve. La voyant se baigner nue, il s’éprit de son corps juvénile et la poursuivit, métamorphosé en chasseur. Diane changea Aréthuse en une source souterraine qui jaillit à Ortygie. De l’eau douce y coule encore. La présence d’une source d’eau douce jaillissant au niveau de la mer est un phénomène géologique.

Nous déjeunons libre à cinq à la Trattoria Kalliope avec l’infirmière Mirande et son mari Eloi, et le couple de prof. Ils parlent de leurs voyages, ils en font un grand par an et deux petits depuis des années. Qui dit encore que les profs ne sont pas assez payés ? Je prends une tranche d’espadon sauce au fenouil et menthe, olives noires et câpres. C’est très bon. L’espadon est mariné au citron et à l’huile d’olive avant d’être frit sous le grill, puis arrosé de sa sauce. On le prépare parfois avec une compotée de tomate, poivron et piment, avec toujours des câpres et des olives noires. Deux petites chattes à qui je donne les peaux de poisson me sont très amicales.

Nous avons rendez-vous à 15 heures pour reprendre le bus, direction Neapolis, le quartier neuf antique où sont les carrières.

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Musée égyptien de Turin 2

Le tombeau de Khâ et Merit (1420-1375 avant), découvert intact par la Mission archéologique italienne en Égypte, livre sous vitrine des objets de la vie quotidienne destinés à accompagner le défunt dans l’au-delà. Il y a du mobilier, de la vaisselle, des vêtements et même une perruque en vrais cheveux. Les fouilles du village d’artisans de Deir el-Médineh fournissent du matériel, notamment la maquette d’une boulangerie qui montre les différentes phases de la fabrication du pain, ou un scribe enregistrant le grain.

La retraitée de l’Education nationale thésarde en histoire de l’art est d’une ignorance déconcertante ; j’en suis abasourdi. Elle pose des questions aberrantes sur l’Egypte, que tout le monde connaît quand même un tant soit peu. Elle n’a rien lu avant de venir, rien retenu de ses cours, ni du Louvre où elle « va souvent », ni même regardé les émissions de télévision sur Arte qui passent régulièrement des documentaires sur l’Égypte antique. De plus, elle avoue être « allée plusieurs fois » dans le pays, plus que moi semble-t-il ! Elle va voir un musée, côtoyer des œuvres, lire les étiquettes et les panneaux, discuter avec les autres… et elle ne retient rien ? Décidément, « la thèse » n’est plus ce qu’elle était.

Un papyrus est désigné comme « érotique ». Trouvé à Deir el-Médineh, il date de la période ramesside, environ 1150 avant. Bien qu’illisible car trop sombre, détaillé schématiquement sur des panneaux de métal, il est soigneusement évité par les classes et les familles. Son emplacement sur un côté d’une galerie très fréquentée est comme un grand vide de pudibonderie mal placée. Après tout, c’est la nature, et expliquer le contexte empêcherait d’être « choqué » par les scènes de sexe – que les ados ont vu en pire sur Youporn depuis l’âge de 10 ou 11 ans, d’ailleurs.

Mais cet écart nous laisse à l’aise pour détailler le document. Il est ironique, présente des animaux vêtus qui agissent comme des humains, sauf que les rôles traditionnels sont inversés : ce sont les souris qui battent les chats et les gazelles qui emprisonnent les lions dans leurs rets. Sur la gauche, de jeunes femmes essaient diverses positions de coït tandis que leurs mâles exhibent d’invraisemblables phallus d’une grosseur qui les fait émerger de leurs vêture. Il s’agit moins de « pornographie » – où c’est l’œil qui est sale – que de caricature – où il s’agit de rire de l’outrance des actes qui restent naturels.

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Musée égyptien de Turin 1

Après l’Égypte, je désirais voir le premier musée européen d’égyptologie qui se trouve à Turin.

Le musée Egizio a été constitué en 1824 dans le Collège des nobles construit en 1679 par Michelangelo Garove par le roi Charles-Félix de Sardaigne. Il a acquis les collections de Bernardino Drovetti, consul général de France en Egypte de 1803 à 1839, que le Louvre a refusé d’acheter, les trouvant trop chères et sans intérêt. Le fond a été enrichi par Schiaparelli au début du XXe siècle et par Farina dans les années trente. Il ne comprend que des collections égyptiennes sur trois étages, plus le rez-de-chaussée. Il a été rénové entièrement en 2015 et présente une surface double d’auparavant. Il n’ouvre qu’à neuf heures et nous entrons les premiers. Nous y sommes avant les ragazzi des classes accompagnées, des 9 à 15 ans qui jacassent.

Le dernier étage destiné aux expositions temporaires étant fermé, nous commençons par le second, suivant la chronologie du haut en bas avec le prédynastique vers -3900 jusqu’à l’époque romaine dans notre ère. Il y a des milliers d’objets, près de 30 000 dit-on.

Les momies sont présentées dans les premiers stades, recroquevillées et desséchées au désert, avant d’être enfermées de bandelettes, amulettes, et jusqu’à trois sarcophages en poupées russes. C’est le cas évidemment des pharaons. Celui de Ramsès II est noir couleur de mort ; il contient un autre cercueil noir et doré décoré, symbolisant la transition entre la vie et la mort ; lequel contient enfin un dernier sarcophage tout d’or revêtu, symbole de renaissance à la lumière de Râ. Sa favorite, la reine Néfertari, n’a droit qu’à deux sarcophages emboîtés. Diverses momies de chats, mais aussi d’autres animaux comme des canards ou des crocodiles, sont présentées aussi.

Ramsès II apparaît en statue de pierre imposante, vêtu d’une tunique de lin plissé ou torse nu. La statuaire est particulièrement importante au musée de Turin. On y trouve des pharaons tels que Thoutmôsis III, Amenhotep II, Horemheb avec Amon, Thoutmôsis 1er, Ramsès II et Séthi II. La déesse lionne Sekhmet, fille de Râ et forme dangereuse du soleil, se reproduit en de multiples représentations, emplissant toute une galerie où les ados se prennent en selfie par trois, avec l’ami de cœur et la copine de sexe (ou l’inverse), pendant que leur prof pérore.

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Destination finale de James Wong

Premier d’une série de six films de série B par des réalisateurs différents qui ont pour thème « la Mort », comme si elle était un personnage : la Mort veut, la Mort a un plan, on peut déjouer la Mort… C’est flippant (un peu), débile (pas mal), ado (surtout). D’où son relatif succès juste après la hantise du Big Bug du millénaire (qui, comme l’ignorent les primaires, n’a commencé en vrai qu’au 1er janvier 2001).

Alex Browning (Devon Sawa) est un lycéen de 17 ans new-yorkais (et un acteur de 22 ans). Sa classe de 40 part en voyage en France en Boeing 747. Alex est fils unique, gros nez et bouche presque toujours ouverte, ce qui lui donne un air niais. Il a un « meilleur ami », Tod Waggner (Chad E. Donella), un rival, Carter Horton (Kerr Smith), mais pas de petite amie. C’est le jeune américain moyen, pas très futé ni fini.

A-t-il jamais pris l’avion ? Il regarde la face du 747 par la baie vitrée de l’aéroport et il ne l’aime pas. L’engin a un air obtus comme un Marine décérébré par l’entraînement. Il craint vaguement quelque chose, il hésite, ses copains doivent le pousser dans le dos pour qu’il avance. Dans le Boeing, deux filles lui demandent s’il veut bien échanger sa place pour qu’elles soient ensembles. Il veut bien, malgré son copain qui voulait en draguer une et qui gesticule pour qu’il dise non. Il s’installe à la place qu’il squatte et là, un cauchemar commence.

Il voit l’avion secoué, prendre feu, exploser. Lorsqu’on le houspille, il se réveille, transpirant, paniqué. Il crie que tout le monde doit sortir, s’attirant la hargne de son rival qui lui flanque un coup de poing. Comme les deux ados se battent, ils sont expulsés de l’avion et le commandant refuse de les reprendre. Ils sont suivis par leurs amis respectifs, Tod pour Alex, Terry Chaney (Amanda Detmer) la petite-amie de Carter, et Billy Hitchcock (Seann William Scott). Les suit une fille qu’il ne connaît pas, ne lui ayant jamais parlé sauf pour lui ramasser un guide de Paris, qui s’ouvre sur une photo prémonitoire : celle du crash de la Mercedes de la princesse Diana. Claire Rivers (Ali Larter), au prénom de cousin du Prophète, va devenir sa future petite-amie. Une prof les accompagne, puisqu’ils sont mineurs, Valérie Lewton (Kristen Cloke), tandis que tous les autres reprennent place dans l’avion.

Personne ne croit Alex, se moquant de son don de voyance – ce qui est classique pour préparer le suspense. Carter le provoque à nouveau et ils s’empoignent dans l’aéroport avant qu’à 21 h 40 ce 13 mai 2000, soit quinze minutes après le décollage, le vol 180 prenne feu et explose, tuant les 287 passagers, dont les lycéens. Carter regarde bizarrement Alex mais se calme d’un coup, tandis qu’Ali le regarde aussi, mais différemment.

Deux agents impassibles du FBI surgissent, ils veulent savoir pourquoi Alex savait. Ils le soupçonnent d’avoir quelque chose à voir avec cette explosion mais changent d’avis au bout de quelques jours. L’ado rentre dans sa famille, qui n’a pas l’air plus paniquée que cela. Ses parents ne le questionnent pas sur sa vision.

Mais Alex est obsédé par son cauchemar et par la réalité qui a suivi. Trente-neuf jours plus tard, après une cérémonie du souvenir au lycée, Alex apprend que Tod vient de se « suicider » tout habillé dans sa baignoire. Il n’y croit pas. Tod et lui avaient décidé de se revoir dès que possible pour penser à autre chose. Il joint Ali et ils décident d’aller voir le corps de Tod à la morgue pour être sûrs. Ils s’introduisent par le toit et découvrent les lacérations multiples sur le cou de l’adolescent, qui montrent qu’il a résisté et n’a donc pas péri volontairement. Le croque-mort qui les surprend, William Bludworth (Tony Todd) au teint funèbre comme il se doit, explique qu’ils ont déjoué la Mort et qu’elle prend sa revanche un à un sur ceux qui devaient mourir dans l’avion.

L’intérêt du film réside dans la reconstitution méticuleuse et séquencée des micro événements qui ont conduit Tod et la prof à mourir, avec ses fausses pistes et ses vrais ratages.

L’ado pieds nus sur le carrelage dérape dans du shampoing répandu insidieusement, tombe dans la baignoire où il n’a rien pour se rattraper, tandis que le fil à linge s’enroule autour de son cou et qu’il ne peut atteindre la paire de ciseaux salvatrice, posée non loin de lui. Laq prof, en femelle toute émotion, se fait un mug de thé mais sursaute en constatant que c’est le mug du lycée, un endroit honni qu’elle veut quitter au plus vite. Lorsqu’elle se reprend, c’est pour le remplir de vodka glacée avec supplément glaçons. Ce qui a pour effet de fendre le mug et de faire fuir le liquide. Elle le pose évidemment, en conne américaine-type qui fait n’importe quoi sans penser une seconde, sur l’écran taille large de son ordinateur branché, lequel court-circuite et enflamme l’alcool, ce qui la fait reculer, glisser dans la flaque quelle a créé en jetant le thé, tomber en se rattrapant à une serviette qu’elle a posé sur un pack de couteaux de cuisine, lesquels s’empressent de la transpercer de part en part tandis que la maison prend feu de partout (le genre de maison yankee en contreplaqué inflammable) et finit par exploser (comme s’il y avait de la dynamite dans la cave – mais c’est pour Hollywood).

En suivant un reportage télé, Alex « découvre » le plan de la Mort, qu’elle applique comme un ordinateur sans âme : elle « prend » dans l’ordre tous ceux qui sont sur sa liste, en sautant ceux qui la déjouent, volontairement ou par hasard. Alex « prévoit » donc que le prochain être humain à mourir devrait être la prof. Il se précipite chez elle, mais elle appelle les flics, voyant en lui « le Diable » – une façon bien américaine de dénier le réel en accusant un personnage imaginaire.

La suite est de la même eau. Carter en rogne, c’est congénital chez lui, dérape sa voiture et renverse Billy à vélo, mais ce n’est pas son heure. Il stoppe devant Alex et Ali qui boivent un café en terrasse. Il veut le cogner mais Terry sa copine s’interpose ; elle le quitte puisqu’il ne pense qu’à ça et pas à « ça » qu’elle voudrait bien qu’on lui fit. En reculant, un bus qui passait par là par hasard la happe et s’en est fait de cette autre survivante.

Ceux qui restent se réunissent et Carter apprend qu’il est le prochain sur la liste, ce qu’il refuse. Il veut mourir quand il le choisira, pas avant. Il fonce donc en bagnole (le permis est dès 16 ans dans certains États) mais ne réussit pas à emboutir une autre voiture aux feux et stops qu’il grille, ni un lourd camion qui surgit devant lui et que son copain assis à côté de lui évite en tournant le volant. Par dépit d’ado psycho-rigide, il arrête sa caisse en plein milieu d’une voie ferrée, sur un passage à niveau qui annonce l’arrivée imminente d’un train. Billy, Ali et Alex sortent de la voiture mais Carter y reste. Lorsqu’il voit la Mort arriver, il veut s’en sortir mais sa ceinture se bloque, ce qu’Alex avait « vu » dans un flash. Il se précipite pour l’aider et, in extremis comme il se doit, réussit l’opération. Tandis que l’auto est emportée par la loco, les ados roulent sur le bas-côté. Billy invective Carter debout, le dos tourné au train qui passe à toute allure, et est décapité par un morceau de tôle éjecté par les roues.

Les agents du FBI traquent Alex, toujours là où des morts se produisent, mais il leur échappe tant qu’il le peut. La prochaine sur la liste est Claire qui le cache dans une cabane, et il doit la prévenir. Mais elle se met en mauvaise posture en laissant fuir un bidon d’essence tandis qu’un orage effrayant éclate qui fait hurler le chien. Au lieu de le laisser et de se tenir tranquille, elle va le rejoindre dehors, alors qu’un câble électrique coupé, frappé par l’éclair, se tord comme un serpent dans des jaillissements hollywoodiens d’étincelles (comme dans le film Tremblement de terre). La maison prend feu et elle se réfugie dans la voiture, qu’elle cherche à sortir du garage. Alex surgit pour la prévenir et lui demande de rester où elle est, protégée par les pneus isolants. Sauf que l’essence répandue du bidon attaque la voiture et que la porte est – évidemment – coincée…

Trois mois plus tard, ils sont trois rescapés de l’avion – qui prennent l’avion… pour Paris. Buvant une bière en terrasse (ce que les fanatiques de l’islam détestent), ils se disent qu’ils ont déjoué la Mort. Mais celle-ci n’a pas dit son dernier mot. C’est Alex qui est visé mais Ali le sauve en l’appelant au dernier instant, tandis qu’un bus qu’il n’avait pas vu le frôle en faisant une embardée qui va décrocher une enseigne au néon où figure le chiffre 180 – le numéro du vol maudit -, laquelle s’écrase sur…

Vous saurez tout en visionnant le film. 17 ans est la fin de l’innocence, de la naïveté envers la vie – donc de la mort. Celle-ci est programmée et nul n’est éternel, contrairement à ce que croient les enfants. A chacun d’affronter son destin et les ados mûrissent brusquement lorsqu’ils s’en rendent compte. La moindre chose anodine de la vie de tous les jours peut se transformer en instrument mortel : un fil à linge, une tasse, un banal ordinateur, un déchet de métal, un bus. De quoi flipper – et réfléchir à vivre au mieux le jour présent. Il peut être le dernier…

DVD Destination finale, James Wong, 2000, avec Devon Sawa, Ali Larter, Kerr Smith, Kristen Cloke, Daniel Roebuck, Metropolitan Films video 2001, 1h34, neuf en français et anglais €4,00, ou édition prestige €20,43, ou Blu-ray français et anglais €12,99

DVD coffret 5 films Destination finale 1 à 5, Blu-ray €39,99

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Vieille ville d’Amsterdam

En ce dimanche, il fait soleil mais froid. Un vent glacé vient de la mer du Nord. C’est emmitouflé dans nos vestes et nos écharpes, certaines portant même des gants, que nous allons arpenter la vieille ville d’Amsterdam entre les trois canaux principaux de Messieurs les bourgeois (Heren), du roi (Keizer) et des princes (Prinsen). Ces canaux concentriques forment une toile d’araignée qui enserre les quartiers et irrigue toute la vieille ville des marchandises apportées par les bateaux. Le nom de la ville vient de la digue (dam) sur l’Amstel (la rivière).

Nous commençons face à la gare ferroviaire d’Amsterdam Central station. Sa construction a bouché l’entrée du vieux port qui arrivait auparavant juste devant la bourse de commerce, le long du Damrak. Les trois croix de saint André que l’on voit représentées un peu partout sur les panneaux municipaux sont les trois mots de la devise de la ville : « héroïque », « déterminée », « miséricordieuse » – ou, selon la tradition populaire, les trois menaces principales : eau, feu et peste.

Nous passons devant l’église Saint Nicolas mais nous n’y entrons pas. Toutes les églises sont payantes en Hollande. Nous empruntons une rue qui s’appelle Nieuwe Brugsteed, pour aller sur les canaux centraux du quartier rouge. Car dans le port d’Amsterdam, il y a des marins, et les marins ont besoin de dames plus que de hamsters. C’est donc dans ce quartier « chaud » que se tiennent les vitrines au rideau rouge derrière lesquels se pavanent les dames dévêtues, surtout ouverts le soir. En ce dimanche matin, nous ne voyons qu’une ou deux praticiennes en string qui exhibent au soleil derrière les vitres des formes à la Rubens. Le guide, bien que grande folle, prend un ton pincé pour évoquer avec la pruderie bourgeoise dégoûtée de rigueur ce qui se passe ici le soir. Des sex-shops côtoient des vendeurs de cannabis et la rue elle-même sent le sexe. Il y a même un musée du hash. Un père et deux jeunes ados, des Français, remontent l’endroit : curiosité ou éducation ? Comme par dérision, le quartier chic et branché est juste dans le prolongement du quartier chaud, le long du canal Oudezijds Voorburgwal. Ici les appartements sont rares et chers.

Nous traversons plusieurs canaux sur des ponts, à la vénitienne, pour aboutir au City Hall, bâtiment moderne qui contient l’opéra, construit sur l’ancien quartier juif rasé sous l’occupation. La statue de Baruch Spinoza (1632–1677), né à Amsterdam, y a été spécialement érigée. Nous traversons l’Amstel, rivière au nom de bière, pour emprunter la rue Amstel jusqu’à Rembrandtplein. C’est ici le quartier le plus chic et le plus cher de la ville. Des voitures de luxe sont garées en épi le long du canal, des Porsche, des SUV BMW, des Teslas électriques, tandis que de l’autre côté de la piste cyclable aux vélos incessants (sans passage piétons !), s’élèvent des façades étroites mais richement décorées, notamment dans le haut. Si les maisons sont resserrées, c’est parce que l’impôt foncier était calculé sur la largeur de la façade. La richesse ostentatoire consistait donc à avoir une façade très large.

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Viterbe 2

Nous y visitons le palais des papes de 1267 avec la salle des enfermés du conclave (con clave – sous clé) contenant le parchemin ordonnant le premier conclave, la cathédrale du XIIe siècle avec une façade de 1570 mais quelques fresques des XIIIe et XIVe siècle à l’intérieur, la sacristie et le petit musée civique.

C’est un ancien couvent dont le cloître du XIIIe sert de musée lapidaire pour les couvercles de sarcophages étrusques, des bustes et une déesse médiévale de l’abondance avec force symboles au-dessus de ses multiples seins (taureau, gémeaux, mamelles ou burnes). La pinacothèque montre des peintures dérivées d’icônes venues de Byzance, un Christ à la colonne et une Pieta de Sebastiano del Piombo.

Dans la via Mazzioni s’élève l’église romane San Giovanni in Zoccoli à la façade ornée d’une rosace du XIIe. Dans la via Casa di san Rosa (maison de sainte Rose) l’église santa Rosa abrite le tombeau de la sainte de la ville. Sainte Rose de Viterbe était contre la peste et la ville ouvre une place de la Mort toute arborée, probable lieu d’exécution de l’époque, endroit ombreux où l’on a aujourd’hui plaisir à déguster du vin couleur de sang frais dans des verres embués. Une Maria carbonara n’est peut-être pas la patronne des spaghettis mais est ici fort connue, « protectrice des jeunes époux », dit une plaque de marbre.

Nous sommes dimanche et des familles se promènent avec bébés ou petits tandis que les gamins jouent au ballon ou déambulent en vélo, les ados frimant en scooter avec les filles. Une se promène ventre nu, son haut de laine vert pistache laissant a découvert la base de ces seins intégralement bronzés lorsqu’elle marche. Elle n’a pas plus de 15 ans. Sur une place dont j’ai oublié le nom, le jasmin fleurit au-dessus d’une fontaine d’eau courante rafraîchissante ; des hommes vont y boire de temps à autre.

En face, une maison à tour, seul moyen de densifier l’habitat dans une ville ceinte de remparts. C’était moins à but défensif (encore que…) que pour avoir de la place. Un jeune homme en uniforme mignote sa copine en ce samedi soir. Il est sans doute cadet des carabiniers.

Nous allons dîner au restaurant La Piccola trattoria de Patrizia au 50 via Della cava. Il est familial et rempli. Nous avons le choix du traditionnel plat de pâtes en entrée (qui me ferait deux repas à lui tout seul au quotidien) – je prends des lombrichelli alla viterbese – des tripes à la mode de Rome avec tomates, ail et oignon, une salade de roquette avec tomates, et du vin rouge de la maison un peu âpre mais fruité. Surtout de grandes bouteilles d’eau.

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Nager

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » s’exclamait Baudelaire dans un poème célèbre.

Les gamins en premier, qui adorent l’eau et se baigner, nager. Mais les ados aussi, mâles et femelles.

« Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur », dit encore le poète qui avait gardé une âme d’enfant.

Rien de tel que plonger nu, ou avec le slip minimum conseillé. La peau goûte de toute sa surface l’onde fraîche, les muscles se raidissent à sa gifle.

La mer est un cocon, un ventre maternel, un liquide amniotique. Nager permet de retrouver la paix initiale, celle des premiers instants de la vie.

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Léo Koesten, Le manoir de Kerbroc’h

Éloïse de Kérambrun est bourgeoise au foyer, épouse d’un polytechnicien de petite noblesse bretonne très catholique, directeur d’usine et souvent absent, et mère de deux ados, Margaux de 16 ans et Théodore de 14 ans. La famille très BCBG habite Versailles et part en vacances au manoir ancestral en Bretagne, le Kerbroc’h, où les grands-parents paternels tiennent à maintenir la tradition et la bienséance.

Le sel du roman est de faire craquer ces gaines, devenues insupportables aujourd’hui. La femme à la maison, réduite au rôle de servante de Monsieur et des ados, sans opinion autre que celle de son mari sur la tenue de la maison, l’éducation des enfants, la politique – c’est bien fini. Lui déclare « aimer » sa femme comme il se doit mais va batifoler ailleurs, avec Jupencuir sa secrétaire vêtue ras la moule, alors qu’elle-même n’aurait pas le droit de prendre un amant. C’est la révolte.

Madame veut son indépendance, découvrir un métier, passer le concours de professeur des écoles – autrement dit institutrice ; elle enchaîne les stages en CE1 à Versailles (gamins bien élevés, adorables) puis en Section d’enseignement général et professionnel adapté ou Segpa (ados perturbés et sexuellement avides, retardés mentaux et sociaux, en rébellion). Devant cette sortie du moule catho tradi, la fille aînée avoue vouloir baiser avec son copain Martin, son amoureux depuis la cinquième – et le fils de 14 ans coucher avec son ami Corentin, tout en refusant le dessein paternel de lui faire intégrer Polytechnique au profit d’un CAP de pâtissier !

Le mari prénommé Foucault, comme son père le grand-père, ne voit pas d’un bon œil cette révolution contre son autorité tenue de Dieu et de la coutume, sinon de la loi lors du contrat de mariage. Si les coutumes et la loi changent, pourquoi lui changerait-il ? Comme tous les mis en cause, il « réagit » – en réactionnaire : par la crispation sur ses « Zacquis » et par la violence. C’en est trop, le divorce est inéluctable même si lui comme elle ont chacun encore des sentiments l’un envers l’autre.

Quant aux enfants, c’est la baffe : le sexe, le sexe, le sexe ! Passe encore pour Margaux, elle a l’âge d’être active, même si le hors mariage n’est pas admis par l’Église ni par la précaution bourgeoise. Mais pour Théo, un fils pédé est une tache indélébile sur la lignée, la réputation et l’avenir. Tout fout le camp et un abbé est requis pour redresser l’homo illico. Sauf que la loi française interdit l’homothérapie, que le bon sens trouve aberrant de confier la tâche de redressement à un célibataire frustré trop souvent tenté par les enfants de chœur, et que la mère s’insurge carrément contre. Elle a milité contre le mariage gay avec ses relations versaillaises de la « bonne » société mais son fils la met devant la nature. Elle est d’ailleurs aidée par sa belle-mère qui trouve cette contrainte inepte. Le gay contrarié risque d’être aussi névrosé que le gaucher contrarié.

Chacun doit s’épanouir comme il est, non tel que le pater familias le veut. Ce choc des époques, ces dernières cinquante années, se révèle tout cru en ce roman jubilatoire autant que jaculatoire. Car chacun baise à couilles rabattues, Foucault en Jupencuir, Éloïse avec Sandro le prof de gym puis Richard le directeur puis Stéphane le réalisateur de films, Margaux avec Martin avant un autre, Théo avec Corentin dans le même lit. Cet élan vital et vigoureux ressoude la famille – sans le père. Pour le moment, car il arrivera peut-être à résipiscence avec le temps, lorsqu’il aura « rebondi » et se sera trouvé un nouvel équilibre – plus réaliste et mieux en phase avec l’époque.

La grand-mère Lucille divorce aussi de son mari prof de prépa qui collectionne les maîtresses et tient des fiches soigneuses sur les mensurations et performances de chacune d’elles, cachées dans la cave condamnée pour « risque d’éboulement » sous le manoir. Elle retrouve son amoureux d’adolescence Rémy et sa vocation de comédienne. Mère, grand-mère et petits-enfants forment alors une sorte de gynécée contre le pouvoir du mâle (Théo étant du côté féminin), un phalanstère égalitaire face au pouvoir hiérarchique patriarcal. L’argent n’est pas un problème car chacun va travailler : Éloïse comme instit, Margaux comme garde d’enfants, Théo comme blogueur vendant ses pâtisseries et donnant des formations payantes, Lucille avec la location de gîtes et comme metteuse en scène. Elles ont le projet de monter un spectacle au manoir racheté par la grand-mère, afin de pouvoir l’entretenir et le sauvegarder pour la lignée.

Un roman contemporain dans le vent, adoubant un « matriarcat » qui n’a jamais été qu’un mythe mais que la vertu démocratique égalisatrice peut permettre en temps de paix, avec pour objectif que chacun puisse être enfin lui-même, hors du moule religieux et social.

Léo Koesten, Le manoir de Kerbroc’h, 2023, Éditions Baudelaire, 243 pages €19,00 e-book Kindle €12,99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Sur le thème de l’Ascension

Toujours, les hommes ont voulu aller plus haut, regarder au-delà de l’horizon, se hisser au-dessus.

Tous jeunes, les gamins ne cessent de grimper aux arbres, monter à la corde, escalader les murs, avant les montagnes une fois ados – et parfois le ciel.

Dans l’Antiquité, les humains voulaient se surmonter pour s’égaler aux dieux. Ainsi Héraclès le grec, dit Hercule chez les Romains.

Le christianisme a renversé les valeurs pour soumettre les humains au seul Dieu : c’est son « fils » qui est descendu sur terre pour se faire homme… avant de remonter aux cieux une fois crucifié, mort et enterré. Mais le caveau était vide et, quarante jours après Pâques, date de sa mort, il est monté depuis le mont des Oliviers (certains croient qu’ils voient la trace de son pied) pour rejoindre son « père » avec son corps glorieux. Un jeudi.

Les catholiques disent qu’il s’agit de vivre dans son amour pour atteindre le nirvana chrétien : « l’état de bonheur suprême et définitif », selon le caté.

Sans aller jusque-là puisqu’ils ne sont pas dieux, les petits grimpent par atavisme, pour forger leurs muscles, pour mieux voir. L’esprit leur viendra plus tard, saint ou pas. Mais rien que l’énergie de vivre suffit à les faire se redresser, se lever et se surmonter. Au risque de la chute.

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Vieste

Nous reprenons nos sacs et renfilons nos vêtements pour aller déambuler dans Vieste, 14 000 habitants avec les abords. Au bas de la falaise, le Pizzomunno est un monolithe de calcaire blanc haut de 25 m qui donne son cachet au paysage.

La vieille ville est tout en ruelles étroites contre le soleil et les pirates, dont le fameux Dragut, amiral ottoman issu de Grecs qui a commencé sa carrière à 12 ans, a massacré une partie de la population et réduit à l’esclavage l’autre partie, femmes et enfants compris. C’était le 15 juillet 1554 sur le rocher appelé Chianca amara. Rien de pire que les renégats à leur race.

Le château Svevo a été élevé en 1242 par Frédéric II avant d’être endommagé par les Sarrasins puis par un tremblement de terre. Sa forme actuelle date de l’intervention espagnole au XVIe siècle.

Des constructions en poutres de pin d’Alep dites trabucchi servent encore à pêcher le poisson depuis la côte, l’antenne permettant de descendre et de relever un filet. Ils sont désormais monuments historiques propres aux Abruzze et au Gargano.

Aujourd’hui, les ados ne travaillent pas mais s’amusent. Ils ne pêchent plus mais sautent d’un rocher dans l’eau, se défiant à grands cris, tout muscles dehors. Aucune fille à l’horizon pour les admirer ; ils restent entre eux mais ne s’entre-admirent pas moins.

La basilique Sante Maria Assunta est du XIe, de style roman des Pouilles, maintes fois saccagée par les invasions sarrasines, d’où le campanile plutôt baroque. Elle est dédiée à la « supposée » (assunta) Vierge, à saint Georges, patron de la cité et à saint Michel, patron de l’archidiocèse. Trois placettes belvédères au-dessus de la mer ouvrent au paysage et aux trabucchi comme au Pizzomunno vu de haut comme un chicot devant la plage.

Nous sommes à l’heure de la sieste et tout est fermé, y compris les bars. Malgré notre soif, nous devons attendre. Ce n’est qu’aux abords de la ville neuve que des glaciers-bars sont ouverts, nous permettant des rafraîchissements. Je bois un demi-litre d’eau frizzante plus un verre avec une rondelle de citron. Les filles engloutissent des glaces ou divers parfums, les autres garçons sont à la bière. Mais celle-ci donne soif et j’en ai moins envie qu’auparavant. Les goûts changent avec l’âge ; c’est la même chose pour la viande rouge ou la choucroute.

Sur la porte d’une maison, un chouchou rose est accroché : ici une petite fille est née. Ce serait bleu pour un garçon, selon les traditions toujours vives dans cet extrême-sud européen.

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Nez de Jobourg

Après le petit déjeuner-buffet à l’hôtel, le Renault nous emporte en 20 minutes sur un parking proche de Jobourg. Nous suivons le sentier de la falaise. Il y a du vent et quelque pluie mais le vent chasse les grains et le soleil apparaît assez souvent. Nous partons à pied de la baie d’Ecalgrain, dont le nom vient des graines « écalées », ce qui veut dire moulues, en référence aux moulins-à-vent qui autrefois peuplaient cet endroit à l’atmosphère très agitée. Nous aurons d’ailleurs du vent à l’arrivée comme au retour. Nous voyons sur la mer le phare de Goury dressé comme un dard viril autour des friselis des vagues. Le ciel est très bleu donc la mer aussi aujourd’hui.

Après le Nez de Voidries qui limite la baie d’Escalgrain, le Nez de Jobourg, 127 m au-dessus de la mer, ressemble à un vieux saurien assoupi, le bec dans l’eau. Il fait un dragon plus plausible que les fameux mugissements qu’évoquait la guide hier. Le saint a pu enchaîner bien mieux le dragon de pierre que les bruits de la mer – d’autant que les trois grottes sous le cap servaient aux contrebandiers qui avaient intérêt à entretenir la terreur. Au large, le raz Blanchard s’étend entre la Hague et Aurigny l’anglo-normande, dont nous apercevons la silhouette engourdie dans la brume. Nous croisons des familles, des couples dont un jeune avec un énorme chien allemand de race Leonberg qui ressemble à un ours et peut peser jusqu’à 80 kg. Ce croisement de Terre-Neuve et de Saint-Bernard nage très bien et sert au sauvetage en mer, nous dit la fille, ayant ramené dans sa gueule un bateau rempli d’une dizaine de personnes à l’entraînement. Il serait assez sociable et patient avec les enfants.

Nous faisons le tour du Nez (du norrois nes qui veut dire « cap »), qui n’est pas accessible aux promeneurs. De dos, il figure vraiment une colonne vertébrale terminée par une tête serpentine. Planent dans le ciel, en se jouant des courants de l’air, « les trois sortes » de goélands selon la guide (le grand, l’argenté et le marin), des mouettes (qui sont en fait des goélands plus petits), des cormorans huppés, des fulmars et même des fous de Bassan qui plongent à pic dans l’eau pour piquer un poisson. Nous avons vu un épervier crier sur la falaise. Le cap est une réserve ornithologique protégée.

Nous pique-niquons après le Nez en descendant sur une plage peu accessible. La guide a tracé un sentier dans les herbes et la gadoue qui vient se jeter la dans la mer. La copine en profite pour rouler sur les galets les quatre fers en l’air, sans aucun mal heureusement. La guide nous a préparé cette fois-ci une salade de tomates poivron vert, olives noires, féta et aneth (pour changer du basilic ?). Elle a acheté des tranches fines de rosbif à placer entre deux tranches de pain avec un peu de moutarde. Nous avons des chips, du camembert, une compote de pommes chacun, plus le petit tube de café moulu à diluer dans l’eau chaude. Une famille avec deux ados, une fille de 15 ans et un garçon de 13 ans, viennent croquer un sandwich sur les rochers à côté. Les ados, évidemment munis de smartphones, font des vidéos de la mer et des vagues ou des photos des parents. Ils sont blonds, vikings et plutôt sages.

Au loin sur le plateau, nous pouvons voir en contre-jour les tours du centre de retraitement du combustible nucléaire usé de La Hague, inauguré en 1966 et exploitée désormais par Orano. Plus vers le sud, nous pouvons entrevoir Flamanville où se construit depuis fin 2007 la centrale nucléaire EPR de nouvelle génération. Elle n’est que la troisième tranche de réacteurs à eau pressurisée dont deux sont en service depuis 1986 et fournissent chacun une puissance de 1330 MW sur le réseau électrique. La prochaine tranche en fournira 1650… quand toutes les questions et tous les problèmes seront (enfin) résolus !

Nous quittons le GR côtier pour bifurquer vers le plateau. Le sentier devient vite en chemin creux ouvert sur la lande. La guide nous montre les roches de gneiss icartiens datant du Précambrien il y à 2 milliards d’années, les plus anciennes affleurant en France. Les bruyères en fleur font un tapis mauve plus bel effet milieu du genet européen dit « à balais » déjà fané et des genets épineux aux fleurs jaunes éclatantes. Quelques digitales pourpres, des orchis et de la guimauve complètent la palette de couleurs au milieu des fougères et de l’herbe rase. Dans le sentier encaissé et caillouteux, les bâtons sont non seulement inutiles mais embarrassent.

Après le « Hameau Mouchel – Croûte à l’âne », dans un petit village paysan aux maisons de grès de plus en plus restaurées en résidences secondaires, probablement le village de Jobourg, un four à pain est entretenu par le Patrimoine. Une fenêtre permet de voir la voûte en terre réfractaire. La guide engage la conversation avec un moustachu qui n’est pas d’ici mais possède un bateau dans le port le plus proche. Il est accompagné d’une femme d’un certain âge qui jardine et d’une autre plus jeune au beau bébé blond qui cligne des yeux au soleil, un vrai petit Normand. La femme nous ouvre la porte du four à pain avec une clé, ce qui nous permet de voir la réserve de bois et l’entrée du four. L’endroit se visite mais il n’y a pas grand-chose à dire. Le moustachu dit que ce four « conservé » ne sert qu’aux yeux des (rares) touristes et déclare faire du pain dans sa cocotte-minute en bateau, ce qui est assez courant chez les marins mais étonne encore les citadines. Une fois la pâte préparée, pétrie et reposée (une nuit), il faut la poser dans la cocotte-minute huilée et faire lever à feu très doux une demi-heure. Puis fermer la cocotte et cuire 30 min toujours à feu très doux, sans la soupape. Ouvrir, ôter le pain, huiler à nouveau le fond, refermer et cuire l’autre coté à nouveau 30 min. L’essentiel est le feu très doux, le temps de cuisson peut être allongé. Le pain n’a rien à voir avec la baguette sortie du four mais ressemble plus à une sorte de pain de mie anglais.

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Le Canardeur de Michael Cimino

Une église en bois parmi les champs de blé ; c’est la campagne immense à l’est du Montana. Nous sommes en 1972. Un pasteur marmonne la fin d’un sermon devant la communauté assoupie (Clint Eastwood). Une Chevrolet fatiguée surgit dans un nuage de poussière, un homme en sort et entre dans l’église. Il reste un moment silencieux puis sort un flingue et vise le pasteur. Malgré les balles bien ajustées, le héros s’en sort toujours. Il fuit par la porte de derrière jusque dans les champs de blé où l’autre lui court après.

C’est alors que surgit une fringante automobile volée conduite par un jeune fou (Jeff Bridges). Le pasteur tente de l’arrêter mais celui-ci le frôle avant de piquer dans le champ droit sur le tueur, qu’il renverse, avant de revenir sur la route où le pasteur s’agrippe acrobatiquement à la voiture avant de s’insérer à l’intérieur par la fenêtre passager ouverte. Il n’a pas combattu en Corée pour rien.

C’est le début d’une amitié virile entre un aîné et un cadet, Thunderbolt (coup de tonnerre – mal traduit en français par canardeur) et Lightfoot (pied léger – mal traduit en français par pied de biche). Pour ces noms, le réalisateur Cimino s’inspire d’un de ses films préférés, Capitaine Mystère (1955) de Douglas Sirk. Le premier use d’un canon de 20 millimètres des surplus de l’armée pour démolir la porte blindée des coffres-forts ; il a fait la Une des journaux il y a quelques années. Le magot d’un demi-million de dollars n’a curieusement pas été partagé mais planqué… dans l’école primaire du chef des braqueurs. Seuls deux personnes savent où et l’une est morte ; Thunderbolt, que ses complices veulent doubler, s’est mis au vert dans la plaine avant d’être repéré. Quant à Lightfoot, à peine 25 ans, il est l’aventurier qui cherche sa voie, le pionnier du mythe yankee. Il a comme ses ancêtres le goût des grands espaces et de l’aventure.

Mais « tu arrives dix ans trop tard », lui dit l’aîné. Le temps des héros est révolu, la guerre de Corée en a marqué la fin car le Vietnam enlise les vocations et pourrit les âmes. 1972, date que l’on peut apercevoir sur un calendrier dans le film, marque une rupture. C’est bientôt la fin des Trente glorieuses avec la première crise du pétrole, la fin prochaine de « la mission » au Vietnam, le tout proche empêchement du président américain Nixon, la montée de la contestation jeune (hippie) et féministe. Plus rien ne sera jamais comme avant et le film est un peu nostalgique. Plus d’épopée à la western et plus de héros mâles traditionnels d’un seul bloc.

Le jeune devrait bâtir son propre monde mais il reste fasciné par l’ancien. Ce sera sa gloire et sa perte. Entraîné par hasard dans la fuite du vieux, passant de voiture en voiture, il se prend au jeu. Poursuivis, ils parviennent à l’école mais elle a été remplacée par des bâtiments modernes. Lorsqu’ils sont finalement rattrapés par le « copain » Red qui lui a « sauvé la vie en Corée » (George Kennedy) et son comparse (Geoffrey Lewis) en vieille guimbarde des années 50, il suggère de refaire le coup de la Montana blindée : de percer à nouveau les coffres avec un canon de 20 antichar. Cette idée folle fait son chemin et les voilà partis.

Mais Red ne peut sentir Lightfoot, trop jeune et fringuant pour ne pas lui rappeler sa propre jeunesse perdue. Il le déguise en femelle blonde pour appâter le gardien et le bourre de coups à la fin, causant sa mort par hématome au cerveau quelques jours plus tard – lorsque les deux ont enfin récupéré le magot à Warsaw (Varsovie, Montana), dans l’école « déplacée » comme monument historique.

Le road movie est drôle, les rencontres cocasses comme ce couple tradi où la bourgeoise houspille son mari pour qu’il se sente insulté avant d’être tous deux éjectés de leur belle voiture pour « l’échanger » avec la voiture volée repérable. Ou encore ce chauffeur fou (Bill McKinney) qui les prend dans une voiture aux amortisseurs renforcés qu’il mène à fond de train sur la route et dans les champs avant de sortir du coffre une trentaine de lapins qu’il veut relâcher avant de les canarder.

Ou la pute qui refuse de baiser, puis exige de se faire raccompagner en pleine nuit faute de quoi elle va sortir en string et crier « au viol » à la cantonade, devant ce couple religieux à la statuette de la Vierge sous le parebrise.  Ou ce gamin roux qui pinaille sur les horaires et l’itinéraire du glacier, boulot de remplacement des casseurs autour de la Montana blindée. Ou la femme qui s’exhibe entièrement nue, la chatte à l’air, derrière la vitre de la villa où le jeune Lightfoot au torse nu jeune et musclé manie un pilon sur la pelouse.

Ou ces ados en train de baiser à poil à l’insu des parents chez le directeur de la sécurité de la Montana blindée que Red reluque avec envie avant de les ligoter fermement et bâillonner à plus soif. Ou en final ce vieux couple de bourgeois cultureux qui prend des photos de l’intérieur de l’école devenue musée, la femme laide et bête avec sa bouille de grenouille et ses immenses lunettes qui ne l’arrangent pas. Toute une caricature sociale des Américains.

Le casse se passe bien mais un détail fait tout foirer, un pan de chemise de l’instable Red qui dépasse du coffre de la guimbarde où ils se planquent… dans un cinéma en plein air. Décidément, le temps des héros est révolu. Place à un autre monde où les gens sont moins simples, où ni la violence primaire ni l’ivresse naïve ne sont plus de mise.

DVD Le Canardeur (Thunderbolt and Lightfoot), Michael Cimino, 1974, avec Clint Eastwood, Jeff Bridges, George Kennedy, Geoffrey Lewis, Bill McKinney, Carlotta films 2014, 1h50, €7.47 blu-ray €5.08

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Vacances

Est vaquant celui qui vaque, vide dans les lieux vides, sans travail ni contraintes.

Les kids en sont tout particulièrement friands.

Les ados en liberté ouvrent leurs vêtements.

Les filles se parent de peu pour être ce qu’elles ne peuvent être ni en cours d’année, ni en cours tout court.

Quelques jeunes gars se font des cheveux, hier à la punk mais c’est passé de mode, aujourd’hui à la footeux, ce qui n’est guère mieux.

Les copains d’abord, et foin des apparences. Moins on est habillé et plus l’on est naturel.

La mode ne sied qu’aux gamines qui, même en vacances, veulent paraître plus que les gars, et surtout pas nues.

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Plage de Donnant

Lorsque nous repartons sur le sentier, nous croisons un couple avec deux jeunes garçons. La mère, en tête, tient dans sa main le T-shirt de l’aîné, brun et déluré, tandis que le père ferme la marche avec le cadet dans le même appareil, plus timide petit blond à mèche sur l’œil. Les enfants sont très blancs et ont besoin de bronzer. Ils ont peut-être 7 et 5 ans.

Nous passons devant l’éperon barré de Koh Kastell (vieux château). Il est appelé le camp de César parce qu’occupé par les Romains en 56 avant JC (non, pas Jacques Chirac, l’Autre), mais était d’abord une forteresse naturelle des Vénètes entre -700 et -450.

Il est désormais réserve ornithologique et, dans la bruyère rase aux tons déjà d’automne, se cache un courlis cendré que m’indique Sandrine pour la photo. Mouettes tridactyles, goélands bruns et argentés, cormorans huppés, huîtriers pie colonisent aussi le site. Le bec de l’huîtrier pie sert à ouvrir des mollusques ; malgré son nom donné par l’homme, l’oiseau préfère les moules et les coques, moins dures, aux huîtres elles-mêmes.

Nous atteignons la grotte de l’Apothicairerie, une falaise verticale sur la mer où les cormorans étaient jadis alignés comme des bocaux en pharmacie. Les cons s’amusaient à les dégommer aux cailloux. Ce fut interdit mais il n’y a plus de cormorans. Des marches dans la roche permettaient d’accéder à deux grottes au ras de l’eau. Un hôtel s’était bâti mais plusieurs accidents mortels dus à la proximité du vide les ont fait fermer. Il faut toujours que l’on prenne soin des gens malgré eux.

Nous croisons de nombreux touristes sur cette portion facile accessible en voiture, à cheval, en vélo, et bien sûr à pied. Dont un père et sa fille d’environ 14 ans qui fait la tronche. Typique des ados : mieux vaut la bande de potes en ville que les vacances avec papa à l’air libre !

La plage de Donnant, fort célèbre, l’une des trois grandes plages de sable de l’île, est noire de monde. Elle est le paradis des surfeurs débutants avec ses rouleaux venus du large. Les jeunes ados sont aussi nombreux que des pingouins et s’essaient mais n’osent, nageant à côté de leur planche comme des gars à côté de leurs pompes.

Sur la plage de sable, que nous traversons, des gamins construisent des châteaux comme pour se protéger de ce large que les ados préfèrent défier – question d’âge. Une fille seins nus, toute bronzée et en slip rouge, me regarde avec un air de défi. Ses seins sont pommés et se tiennent, fort esthétiques ; elle n’a pas à s’en faire. Je lui souris, bienveillant. Un peu plus loin, un frère de 15 ans crème le dos nu de son frère de 13 ; puis c’est au tour du plus jeune. Ces garçons ados chaleureux entre eux, sans jalousie, sont la fierté et le défi des nouveaux pères.

Venue tourner ici en 1947 le film La Fleur de l’âge sur la chasse aux enfants évadés de la colonie pénitentiaire, Arletty (Léonie Bathiat) achète une maison de pêcheur près de la plage du Donnant pour Hans Jürgen Soehring, l’officier allemand dont elle est amoureuse et qui lui a valu d’être arrêtée en 1944. Pour cette collabo horizontale, « mon cœur est français, mais mon cul est international ». Le Jean Georges ne viendra jamais mais des amis de l’actrice si.

Le minibus des Cars bleus nous attend déjà à 17h10 quand nous arrivons enfin, fourbus, ayant traversé la plage, remonté la piste jusqu’au parking, puis parcouru le kilomètre et demi de route jusqu’au cœur du village de Kervellan.

Au menu du Grand hôtel de Bretagne ce soir, le dessert est un « tiramisu breton ». Je me demande quelle en est l’originalité : il s’agit d’un gâteau aux pommes formant base, sur le lequel est coulé du mascarpone battu saupoudré de cannelle. C’est très bon. L’assiette de charcuterie en entrée est en revanche très banale et le poisson en sauce répétitif.

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Quiberon

La station balnéaire de Quiberon est composée d’une rue à boutiques qui descend vers la mer et d’une promenade ou les restaurants et les glaciers se côtoient coude à coude. Beaucoup de jeunes style école de commerce ou d’ingénieurs, propres sur eux et riches, descendent en même temps que moi du train. Le soleil est lourd, le masque obligatoire dans la ville.

Je regarde le spectacle des couples, des familles, des jeunes. Des gamins en slip tout blonds et tout dorés vont de l’appartement à la plage avec mamie, d’autres rentrent pieds nus, du sable jusqu’aux genoux, leurs chaussures à la main. Un couple arabe avec la fatma, tous voilés – l’homme aussi – m’apparaît comme un comble ; j’en souris sous le masque. Trois jeunes filles aux seins nus qui pointent sous un haut laissant à découvert le nombril se promènent, ballottant des seins et balançant du cul en guitare. « J’ai pas mes lunettes », dit un jeune mâle à son copain qui l’incite à regarder le spectacle, pas si courant de nos jours. Dommage pour lui. Passent des vieux aux cheveux courts, genre bateau en vacances et directeurs au civil, et des amis septuagénaires qui se reconnaissent et se congratulent, échangeant des adresses de boutiques ou de restaurants. « Quand j’ai besoin de quelque chose, je vais dans telle boutique », déclare une ridée aux cheveux blanc parlant fort, pour affirmer sa haine du net trop moderne. Les glaces continuent à faire recette malgré les masques, mais surtout auprès des kids, même si le soleil se voile. Un petit Noir passe torse nu comme s’il voulait bronzer.

Je suis sur le banc de pierre devant la crêperie à l’enseigne de L’île verte. La ruelle qui monte à côté de moi est décorée de poissons qui ont beaucoup de succès auprès des smartphones petit-bourgeois. La station balnéaire est recherchée pour sa plage de sable fin où joue, en cette fin d’après-midi voilée, une bande d’ados en slip. Pour le reste, des adultes se baignent ou se dorent, allongés sur des serviettes à ne rien faire, tandis que les enfants quasi nus terrassent le sable ou pêchent on ne sait quoi dans les creux de rochers.

Le groupe se constitue à Port Maria devant la gare maritime. Nous sommes quatorze, dont trois gars seulement, un en couple. Les âges s’étagent entre 50 et 65 ans. Notre guide est probablement la plus jeune, elle s’appelle Sandrine, d’origine bretonne mais qui randonne surtout dans les Pyrénées et aux Canaries. Elle est accompagnée d’un chien border colley noir de 9 ans. Mais le nombre de mâles ne s’élève pas pour autant : même le chien est une chienne ; elle répond au nom de Pixie.

Nous embarquons sur le Bangor qui fait la navette entre Quiberon et Le Palais. Sur le pont supérieur, un petit Lubin blond bouclé de 3 ans court partout. Il appartient à une famille de trois enfants dont deux sœurs aînées de 9 et 7 ans. Derrière moi, une bande de cinq filles dans les 20 ans jacasse comme des mouettes. Un goéland jeune au plumage brun plane au même niveau que le bateau ; quand il bat des ailes, il va plus vite que lui. Dans un groupe de quatre, un grand jeune homme porte un sweat-shirt au logo de la SCEP – la Société cairote d’élevage de poulets. Cette société est fictive, pas issue d’un stage d’école de commerce. Elle sert de couverture à OSS 117… Le garçon n’a qu’une raquette de tennis et un mini sac à dos pour tout bagage. Il a dû aller voir des copains sur le continent.

Je trouve l’arrivée du ferry bien rapide dans le port du Palais. Il envoie de grands coups de sirène pour signaler sa présence et le fait qu’il ne s’arrêtera pas. Beaucoup de plaisanciers grouillent encore autour de la cale dont deux petits en gilet de sauvetage sur un canot boudin.

Lorsque nous débarquons, notre hôtel est juste en face. Le Grand hôtel de Bretagne, quai de l’Acadie, a dû acheter le bâtiment de l’autre côté de la rue pour créer une annexe, tant la demande de lits est forte en été. Les chambres sont petites avec deux couches jumelles serrées mais une grande salle de bain qui fait la moitié de la chambre. C’est propre et neuf mais étroit et sombre. La seule fenêtre ouvre au niveau de la ruelle qui monte sur le côté du bâtiment ; nous voyons sans cesse passer les pieds des touristes. Le groupe est d’ailleurs très varié avec deux Marseillaises et deux Bordelaises, un couple de Poitevins, une Messine d’Afrique du Nord, une fille du Pays basque et deux Parisiens.

Le rituel de l’apéro consiste en une bière blanche de Belle-Île, la Morgate, qui est le nom breton de l’os de seiche. Nous prenons le dîner à l’hôtel, en terrasse fermée mais où nous pouvons (évidemment) enlever le masque pour manger. Il faut simplement le remettre pour tout déplacement, même pour aller chercher une cuillère. Le menu est simple et goûteux : gaspacho qui fait plutôt purée, très parfumé au basilic et au thym, servi bien frais ; un duo de deux poissons pas terribles, lieu noir et cabillaud, probablement congelés, avec du quinoa écolo-austère mais une sauce aux agrumes très appétissante ; une panacotta pistache en dessert.

La nuit tombe, la foule a disparu, le dernier bateau ne partira que vers 22 heures.

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Creepshow 2 de Michael Gornik

Creep, qui signifie ramper, s’aplatir (creep – crêpe ?) veut aussi dire le frisson qui nait des choses viles et diaboliques tel le serpent. Le show du creep est une revue de BD pour enfant d’après celles qui faisaient le délice du jeune Stephen King dans les années cinquante. Tiré de trois de ses nouvelles, le second opus du film met en scène Billy, en préado blond au col jamais boutonné (Domenick John), tirant sur son vélo pour atteindre le premier le camion qui livre le libraire. Un être immonde au nez en bec et aux doigts crochus – le Creep (Tom Savini) – le conforte de son rire sadique en son choix hideux. Remuer les bas-fonds de l’âme humaine et les terreurs des choses inouïes est une attirance du diable, fascinante mais contre laquelle il faut mettre en garde.

La première histoire passe des cases dessinées à la réalité d’une ville morte où subsiste un General Store où pas un seul client n’est venu acheter quelque chose en quatre jours. Le patron est un « bon garçon » à l’américaine (George Kennedy), mais niais de sa soixantaine, devenu lâche et trop indulgent. Il fait crédit, n’est jamais payé, s’achemine tout doucement vers la ruine. Son épouse (Dorothy Lamour) essaie de le mettre en garde mais il la calme avec sa fausse générosité qui est de paresse plus que de cœur. Un grand chef indien trône en façade, qui fait l’enseigne de bois (Dan Kamin). Le vieux lui repeint ses traits de guerre sur les pommettes lorsqu’un chef indien d’aujourd’hui arrive (Frank Salsedo), en Pontiac décatie mais conduite par un chauffeur. Tout comme le pionnier, l’Indien a bien baissé depuis qu’il a vieilli… Mais lui a du cœur et il ne veut pas laisser les dettes de son peuple sans garantie. Ce serait mendier alors que, s’il offre en caution les bijoux en turquoise donnés par chaque famille, c’est encore un prêt. Le vieux ne veut pas accepter mais ce n’est pas négociable. Tout serait donc moral si, en retournant dans sa boutique, le couple ne se retrouvait devant quatre jeunes, un fils de riche (Don Harvey), un gros lard glouton (David Holbrook) et le neveu du chef Indien qui tient un fusil, torse nu sous sa veste en jean (Holt McCallany). Ils se servent dans la boutique sans vergogne, ils pillent la caisse, piquent le sac de la vieille. Ce sont des « mauvais garçons » que la société ne peut tolérer. L’Indien est narcissique avec ses longs cheveux qu’il laisse pousser depuis l’âge de 13 ans et veut percer à Hollywood. Ils doivent partir le soir même. Mais, dans l’euphorie de l’arme excitée par la lâcheté des vieux, le coup part, la vieille meurt ; le vieux, égaré, s’avance, il s’en prend un autre dans le bide. Tout est consommé et le Mal triomphe. Sauf que… le grand chef indien de bois ne reste pas de bois. Il va rétablir l’équilibre du cosmos comme ses ancêtres l’ont toujours fait. Les trois délinquants seront punis, fléchés comme des Sébastien pour avoir cru à la mauvaise foi et le vaniteux Samson sera scalpé.

La seconde histoire – nettement la meilleure des trois – se passe dans les montagnes de l’Utah où quatre étudiants roulent en voiture vers un radeau ancré sur un lac, repéré par l’un d’entre eux. Ils rigolent, fument un joint, sont tout euphorie entre garçons et filles. Sitôt arrivé, le chauffeur qui est aussi le chef (Paul Satterfield, 27 ans), se dépouille de ses vêtements et se jette à l’eau. Elle est glacée, « pas plus de 10° », mais elle l’apaise de sa tension juvénile un brin sexuelle augmentée par la fumette. Son copain un peu plus jeune le suit (Daniel Beer) et les filles avec retard, tout habillées, nageant plus lentement. Sur le radeau, le moins pris par l’hubris de l’ébriété hormonale observe une nappe gluante qui se déplace sur le lac et avale un canard en l’engluant. Il presse les filles de rejoindre le radeau. Peu à peu, le froid aidant à la lucidité, les quatre jeunes s’aperçoivent que le lac tranquille et l’eau amicale sont un réel danger. La nappe mystérieuse semble douée d’une vie propre et la stupidité de l’une des filles (Page Hannah, 23 ans), qui trempe sa main dans l’eau comme par défi, tourne au drame : elle est engluée, attirée vers le fond, digérée par la « chose ». Terreur des autres qui ne savent plus quoi faire, la dernière fille hystérique comme il se doit dans les films d’Hollywood jusqu’aux années 2000. Le leader disparait, avalé par la nappe qui s’est coulée sous le radeau et infiltré entre les planches ; il en reste deux, frigorifiés, lui en slip toute une nuit (l’acteur a failli y passer). Ils sont beaux, blonds, athlétiques, emplis d’énergie ; ils sont l’avenir de l’Amérique – mais encore immatures, conduits par leurs instincts et non par leur raison. Tout l’hédonisme d’une génération est ainsi pointé, jusqu’à la caresse sur les seins dénudés par sa main du dernier garçon sur la dernière fille endormie (Jeremy Green). Ils périront. Non sans avoir lutté, mais avec l’implacable du destin, la dernière image étant la plus vive. Sur la pancarte était marqué : « baignade interdite ».

La troisième histoire est plus macabre. Elle met en scène une femme mûre, riche, adultère, égoïste (Lois Chiles), la génération entre deux des précédentes histoires. « Tu es conne, Madame Lansing » – le spectateur ne peut que souscrire devant ce constat réaliste, comme devant les imbécilités de la bourgeoise. Si elle a obtenu « six orgasmes » dans la même journée de son amant étalon (David Beecroft) – qu’elle paie 150 $ pour la performance – elle doit rentrer à l’heure chez elle, à des centaines de milles de la baise, où son mari concessionnaire Mercedes l’attend. Elle conduit donc sa luxueuse et puissante voiture, de nuit et assez vite. Ayant la bêtise d’allumer une cigarette, celle-ci lui échappe des doigts et va brûler le siège, ce qui lui vaut de déraper et de heurter un auto-stoppeur qui reste étendu, ensanglanté, sur le sol (Tom Wright). Ni vu ni connu, elle s’enfuit tous feux éteints tandis qu’un particulier puis un chauffeur de camion (Stephen King lui-même !) s’arrêtent, balisent et préviennent la police. Mais la chauffarde a l’autre bêtise de s’arrêter pour on ne sait quoi et, lorsqu’elle voit dans son rétroviseur l’auto-stoppeur mort la poursuivre clopin-clopant, elle ne repart pas tout de suite. L’individu la rattrape, c’est un Noir – une vengeance venue du fond des âges et des rancœurs accumulées. Il cherche à l’agripper par le toit ouvrant qu’elle a eu la bêtise encore de laisser entrouvert. Malgré ses manœuvres, il s’agrippe et ne lâche pas. Elle s’enfonce dans la forêt pour que les branches le chassent mais rien n’y fait, il est encore sous la calandre. Elle vide un chargeur entier de revolver mais, comme le chat allemand de la chanson, il est toujours vivant. Elle fonce alors dans un arbre pour l’écrabouiller, recule, recommence, encore une fois, et une autre (le film est « interdit » aux moins de 12 ans). Sa robuste Mercedes est en ruines, un œil pendant à terre, mais fonctionne encore : bonne mécanique. La femme atteint son domicile, où son mari n’est pas encore rentré. Dans le garage, elle pousse un ouf de soulagement. Sauf que… L’auto-stoppeur est à sa portière, puis tout contre elle. « Merci Madame de m’avoir renversé, vous serez avec moi maintenant ».

Le film s’achève à nouveau sur Billy mais cette fois dessiné, en butte à trois ados plus âgés qui veulent le cogner. Mais il a commandé par la poste des plantes carnivores à la revue Creepshow et en a planté un terrain « privé ». C’est là que, par sa fuite sur son vélo, il emmène ses ennemis – qui se font dévorer. Juste revanche du faible contre les forts, fantasme puissant des jeunes garçons en butte aux plus grands. Tout le film est ainsi moraliste, rétablissant une sorte d’équilibre immanent. Tourné au temps de l’Amérique au sommet de sa puissance et sûre de ses valeurs, à quatre ans le la chute ignominieuse de l’URSS, il se regarde avec plaisir et se revoit avec bonheur. Après tout, l’horreur est humaine.

DVD Creepshow 2, Michael Gornik, 1987, avec George Kennedy, Dorothy Lamour, Paul Satterfield, Daniel Beer, Lois Chiles, Tom Wright, 1h26, €16.22 blu-ray €18.05

Film à ne pas confondre avec la série du même nom sortie en 2021

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Steff Rosy, Méthana – L’appel de l’univers

Qui n’a jamais rêvé d’être extra-ordinaire, rejeton d’un dieu et princesse interstellaire ? C’est ce que réussit Steff Rosy dans ce premier roman naïf et emballant de science-fiction pour ados. Marie est une jeune fille ordinaire née en 1979 (comme l’auteur), un père militaire qui fait déménager souvent, une petite sœur et un petit frère dont elle craint l’avenir. Elle est bonne en math et habile en judo, et a toujours été très proche de son arrière-grand-mère Rosy, morte à 83 ans lorsqu’elle en avait 5. Elle en avait eu la prémonition, comme il lui arrive parfois. C’est alors qu’un soir, ou plutôt une nuit, elle rêve d’un lion. Il la regarde et ne la dévore pas. Elle a 15 ans et a décidé ses parents à l’inscrire à un internat militaire dans les Alpes pour préparer le bac sans tous ces déménagements. Le lion est son totem de feu, son signe d’août, son moi profond.

Commence alors une double vie dont rêveraient nombre d’adolescentes et même d’adolescents. L’internat est rythmé par les horaires, les cours, l’uniforme ; c’est une discipline dans laquelle Marie excelle, un brin maniaque, en tout cas organisée et toujours forte en calculs. Elle se fait des amis, un garçon « hyper bien fait » p.58 et une fille (noire), un amoureux mystérieux. Un jeu de divination la fait se remémorer ses « dons » pour la prescience ; elle « voit » ce qui s’est passé pour un copain, elle s’initie à la lecture des tarots, puis à l’écriture automatique. C’est à ce moment que le lecteur se dit qu’il entre dans un univers à la Harry Potter où les vieilleries de la fantaisie vont mettre un peu de piment dans l’existence routinière d’un internat de province. Nous sommes page 75 sur 462.

Tout faux ! Lorsque Marie s’initie à l’écriture automatique – qui parait simple, faites le vide en votre esprit et laissez courir le crayon sur la feuille – ne voilà-t-il pas que mémé Rosy lui parle ! Née en 1912, l’ancêtre a une double vie, même après sa mort. Car la mort terrestre n’est rien au regard de la Source qui est l’énergie primordiale et cosmique, en bref Dieu. C’est que Marie n’est pas n’importe qui… Son incarnation terrestre est une mission : ramener dans le droit chemin de l’Amour, du « respect » et de la bienveillance pour la Paix universelle une humanité qui se perd dans le pouvoir, l’agression et l’orgueil. Rien que ça. Sauver le monde avant 2019, ou peut-être 2049 dernier délai. Pour cela devenir aimant, écologique, spirituel – en bref tous les poncifs de l’idéalisme New Age revu ère Trump. Cela fait un peu cliché mais ça marche ; après tout, l’auteur écrit pour les ados.

Elle en a adopté le vocabulaire, qui fera vite daté, comme « ah d’accord », « alors je me présente, « sinon je me présente », mais « soyez comme vous êtes », « donc attention », où tout est « hyper » mais chaque baiser « langoureux », où les gars sont très « musclés » et ont tous « le visage carré » (les filles sont simplement « sportives »), disent des « trucs de fou », alors « elle fait style de rien », ou sont « trop » quelque chose, mais sans cesse avec « respect » – mot fétiche repris maintes fois – qui « échangent » juste pour échanger mais on ne sait jamais quoi, tout en interjetant « t’inquiète », « profite », et surtout « écoute ton cœur » (la raison on s’en fout). Et ponctué par le déjà vieilli « lol » d’il y a quinze ans. Ce n’est pas très littéraire mais urgent, phrases raccourcies et mot-valise approximatifs. Les ados « adorent », autre mot fétiche employé à tout va.

Malgré ma douce ironie, j’aime ces créateurs d’univers chez qui l’action court, échevelée, parmi les êtres plus parfaits les uns que les autres, filles et garçons d’une beauté de statue grecque avec un physique de thriller américain, jonglant avec les armes laser des étoiles tout en rêvant au Roi lion ou à La Petite sirène. Marie, durant son sommeil d’internat, est transportée en vaisseau spatial et vit plusieurs semaines le temps d’une nuit à s’entraîner avec son frère jumeau et son amoureux éternel devant ses amies extraterrestres et son père archange… Défilent les wikifiches des minéraux bons pour le cerveau, la hiérarchie des Trônes et des Dominations, les multiples démons autour de Belzébuth (que j’aime à écrire Bézléputh) et divers poèmes d’anthologie amoureuse que s’échangent par écrit (le mél n’existe pas à l’internat ?) un Terminale avec une Seconde. Nous sommes entre Avatar, Star Trek, La Guerre des étoiles, les dessins animés Disney et les séries télé yankees favorites de TF1. L’Amour est une bombe A puisqu’écrit à majuscule, avec baise torride et lente de désir et bracelets d’union énergétiques irradiant. Un rêve.

Car Marie est un être de Lumière opposée à tous ceux des Ténèbres, selon la vieille dichotomie biblique de Dieu et de Satan, la liberté étant un piège cosmique pour choisir le Bien plutôt que le Mal. Dans cette vision paternaliste, les humains sont considérés comme des enfants ou des handicapés barbares. Les pyramides d’Egypte ne peuvent, par exemple, n’avoir été bâties que par des puissances extraterrestres. Comme si les humains du temps pharaonique étaient des cons finis réduits à demeurer assistés par l’aide au développement. La page 250, même si elle sert à « justifier » l’univers de fiction, est un bon ramassis de toutes les inepties qu’on a pu écrire sur la construction en Egypte antique malgré les faits prouvés par les archéologues. Ne demandez pas à l’un d’entre eux à ses heures perdues (moi) de souscrire à ces fake news qui ne peuvent que préparer les esprits malléables (les ados entre autres) à la niaiserie du Complot et autres Puissances qui évacuent toute responsabilité et préparent la voie au fascisme – on l’a vu avec Trump le trompeur.

Malgré cela l’histoire est jolie comme un premier roman enthousiaste dont l’énergie passe et rend positif par ouverture de conscience. Avec ce message politique bien dans l’air du temps : « Ils sont prêts à écraser n’importe qui pour du pouvoir ou de l’argent ! Ils sont d’une indifférence et d’un égoïsme extrême ! Chacun ne pense qu’à soi. Diviser pour mieux régner, c’est leur devise préférée ! Ils pensent que la beauté vient de l’apparence alors qu’elle vient de l’âme, ils sont prêts à ne rien manger pour maigrir à s’en rendre malade, tout cela pour s’insérer dans leur société. Il faut être idiot pour le croire ! Ils ne respectent même pas leur planète. Ils polluent l’air qu’ils respirent, après ils se demandent pourquoi ils se rendent malades ! Et le lobbyisme, parlons-en, ils préfèrent gagner de plus en plus d’argent plutôt que de trouver de vraies solutions dans tous les domaines ! Ils trichent, ils volent, ils pillent, ils arnaquent, ils violent, ils manipulent… » p.404. L’auteur parle-t-elle de nous ? Pas du tout, mais de la planète P-231-125, vouée à être détruite. C’est vrai, nous ne sommes pas comme ça, nous les Vertueux.

Un conte de fantaisie pour ados raconté au présent par une fille étonnante d’aujourd’hui nommée Marie, fan de Bruce Lee.

Steff Rosy, Méthana – L’appel de l’univers, 2020, Vérone éditions, 462 pages, €27.00 e-book Kindle €17.99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Un premier roman ne saurait être exempt d’erreurs à corriger lors d’une réédition (parce que je lis tout livre jusqu’au bout et avec attention) :

p.15 : « une vieille carte postale des années 1800 » – impossible, la carte postale n’existait pas avant 1870 au mieux.

p.75 : « un climat apaisant résonne dans la pièce » – jamais entendu un climat résonner comme une cloche, en revanche il peut régner.

p.123 : « le cerveau est un muscle » – ah bon ? les cellules neurales n’ont rien à voir avec les cellules musculaires et c’est un raccourci terrible de les assimiler car cela entretient une confusion. Le cerveau peut être entraîné à se connecter plus et mieux mais cela ne se fait pas avec des contractions bovines devant la glace.

p.225 : « combien de jets » – les G n’ont rien à voir avec les jets mais avec la gravité, ils mesurent une accélération. https://fr.wikipedia.org/wiki/G_(acc%C3%A9l%C3%A9ration)

p.331 : « ne pas faire d’imper des us et coutumes » – sans être imperméable à l’humour lorsqu’il s’agit d’habillement, « commettre un impair » serait mieux vu et plus français – même ado.

p.451 : « un peu rétissent » – du verbe rétisser ? Jamais vu. « Réticent » me semble plus juste.

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Eric Jeux, Les chimères de Karl

Ce roman de science-fiction pour ados fait suite au premier volume, L’envol de Lena, paru en 2017 en autoédition sous le titre Le maître des temps et chroniqué sur ce blog. Le succès est venu : les ados adorent. Les éditions Pierre Guillaume de Roux ont alors repris la saga sous le titre Le temps des Infralents et publié la suite, en reprenant le premier volume.

Autant le premier tome privilégiait les filles, autant le second est destiné aux garçons. Il mêle la technologie qui libère l’imaginaire, la pédagogie qui fait alterner recherche en bibliothèque virtuelle et réalisation de cas pratiques en commun, la vie de groupe qui oppose ou allie les Maisons du collège entre elles. Roman d’initiation à la vie adulte et au monde complexe tel qu’il est, le tome de Karl, 14 ans, est consacré à l’écologie. Le tome premier de Lena, 13 ans, était consacré aux relations politiques pour travailler ensemble.

J’avoue préférer le second tome, celui de Karl, à mon avis mieux réussi dans sa démonstration initiatique. L’écologie est une chose trop sérieuse pour qu’on la confie aux écologistes autoproclamés, qui font de la tactique politicienne plus que de l’équilibre harmonique. Ici, les adolescents mettent la main à la pâte, filles comme garçons. Ils sont guidés par leurs professeurs, parfois un brin mystiques ou apprentis-sorciers. Mais ils doivent tout explorer, même le pire, pour avancer. Ce n’est que par l’erreur que l’on progresse en expérience et – tel est l’idéal – en sagesse.

Le monde virtuel dans lequel les jeunes évoluent est expliqué en une page d’introduction : le « réchauffement climatique » a engendré des « famines » et « en Europe, la seule échappatoire a été la virtualisation ». En Europe seulement ? Les corps physiques ont été « abandonnés » à l’état de cadavres pour vivre dans un monde virtuel, informatique, où le Système s’autoproduit. Les adultes virtuels ont ainsi pu avoir des enfants virtuels qui grandissent et atteignent désormais la période adolescente. Ce sont eux que le collège Poltec forme « à programmer les systèmes virtuels ».

Tout est permis et, l’année de Karl, il s’agit de créer du vivant. L’environnement du collège est donc ensemencé de plantes au hasard, mais un cactus prolifère et étouffe toutes les autres ; il faut alors créer un insecte prédateur qui va réguler l’espèce. Mais l’insecte prolifère et bouffe tout ce qui pousse ; il faut alors créer araignées et oiseaux comme prédateurs qui vont réguler l’espèce. Et ainsi de suite. La tâche consiste à recréer un milieu équilibré entre tout ce qui vit, autorégulé comme dans la vraie vie sur la vraie terre.

Les élèves commencent par copier ce qu’ils trouvent en bibliothèque : les panthères, les zèbres, les rats, les chats. Puis on leur demande de l’imagination – c’est alors que tout se complique. Rien de tel, dans l’univers scolaire, que la compétition pour motiver les individus et les forcer à travailler en équipe. Marco, le fondateur de l’école, invente un concours de chimères. Il s’agit de créer des animaux imaginaires puissants et rusés, et de les faire combattre à mort. Le survivant fera gagner son équipe. Aussitôt dit, aussitôt fait, et les programmes d’hybridation sont mis à contribution pour créer des sortes de dragons volant crachant le feu quasi invulnérables. Mais, le jour de la compétition, rien ne se passe comme prévu…

Le collège finit par être détruit et ses élèves comme ses professeurs éventrés, croqués, avalés, incendiés (l’imagination raffine de sadisme). Heureusement que nous sommes dans le virtuel et que le programme de Restauration fonctionne ! Chacun est recréé tel qu’il était avant, sans même le souvenir des douleurs atroces qu’il a vécu juste avant sa mort. Dans l’action, le collège se recrée grâce à la diversion d’une petite chatte que je connais dans la réalité de notre monde : Jasmine. Elle permet de détourner l’attention d’une chimère assez longtemps pour que Karl restauré puisse se cacher et entreprendre de sauver tous les autres. La chatte de l’attachée de presse devient un personnage littéraire pour ados, elle devrait susciter un engouement et donner son nom à de vrais chatons.

Ce second tome en reste aux platitudes puritaines sur l’attrait entre garçons et filles. Le bal » conventionnel de fin d’année scolaire, calqué sur les traditions des collèges américains, permet à la fille la plus riche de la famille la plus puissante de parader dans le virtuel comme dans la réalité, sans que les émois du corps aient leur part autrement que par la musique et la danse.

Il reste cependant assez bien écrit, tout au présent et sans difficultés de langage, sauf quelques fautes de français ou d’orthographe que les logiciels de correction (évidemment américains) ont laissé passer dans leur ignorance : « tâche » ou lieu de tache (sur une panthère), « résonner » au lieu de raisonner, « qu’il meurt » au lieu du subjonctif qu’il meure, « afféré » au lieu d’affairé. Une relecture professionnelle serait de rigueur pour présenter aux ados une langue française exempte de tout laxisme.

Présentée à titre d’exercice pédagogique dans certains collèges remerciés en fin de volume, la saga semble enthousiasmer les jeunes imaginations. Elle est mieux adaptée à l’esprit cartésien que les références gothiques de Harry Potter mais fonctionne sur le même thème. De quoi encourager la lecture, la programmation et le jeu avec le monde !

Eric Jeux, Les chimères de Karl – Le temps des Infralents 2, 2019, édition Pierre Guillaume de Roux, 270 pages, €17.99

Eric Jeux, L’envol de Lena – Le temps des Infralents 1, 2017, réédition Pierre Guillaume de Roux 2019, 240 pages, €17.99

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Ski nordique et sauna en Finlande

Le jour, le skidoo forme la trace dans la neige cristalline. Chacun la suit à skis, à son rythme, en vue des autres mais le plus souvent seul.

L’air est vif, la lumière froide, le silence minéral. Chaque son porte loin et est capté immédiatement par l’oreille, plus attentive dans ce vide. L’envol brutal d’une perdrix des neiges, surgissant d’un buisson, est un choc à chaque fois. Le paysage prend des nuances métalliques sous le soleil le plus souvent voilé. Une forêt, un lac ; une forêt, un lac…

Variété des chemins en forêt, monotonie des lacs où le rythme du corps atteint toute son ampleur, aucun obstacle, aucune montée ni descente ne venant rompre l’effort. Bras en avant, appui sur le bâton de tête, jambe qui glisse sur le ski, puis l’autre bras, l’autre jambe. Ran ! Ran !

Le cœur pulse au rythme de batterie, le sang irrigue avec joie les artères, les poumons s’enflent et se contractent, j’ai le sentiment curieux d’être une sorte de machine, d’actionner mes pistons, de relâcher ma pression, locomotive de chair fumante à l’effort, régulière, obstinée, mécanique. Il y a un plaisir de la machine, depuis le rythme du cœur maternel aux pulsations de la batterie des ados jusqu’à ces exercices physiques ancestraux qui font les abdos dont les jeunes ici sont bien pourvus.

Dans la solitude ambiante, avec le rythme qui irrigue mieux le cerveau et fait chanter les muscles, les pensées vont à leur gré, détachées. Nietzsche le savait : on pense mieux en marchant qu’assis immobile à digérer de lourdes nourritures.

Dans les rares villages que nous traversons, les enfants vont emmitouflés, trapus, la démarche un peu lourde. Un adolescent blond et bouclé, soucieux d’apparence américaine, va, les jambes fuselées sous le jean qui le protège mal du froid, coupe-vent blanc échancré sur un pull noir en V sur le cou, il balance les épaules. Nous croisons quelques adultes aux faces épiques, un gros au nez coupé, un géant aux cheveux et à la barbe fournis en proportion comme un vrai père Noël. Ou encore ce jeune homme roux à face de renard, les pommettes larges et saillantes, les yeux fendus, une large bouche et un nez allongé.

Les petites filles sont ici belles comme des enfants et vigoureuses comme des garçons. Nous ne voyons guère leurs mères, occupées en cuisine ou en courses, ou pour certaines à travailler à la comptabilité. Et nous faisons connaissance avec les rennes. Ils sont bas sur pattes, moins grands que des cerfs. Les mâles arborent cette ramure qui fait leur charme. Les troupeaux sont curieux, ils galopent en horde mais tournent autour de vous pour sentir le vent et avec une vraie curiosité.

Vers le milieu du parcours, nous nous arrêtons dans une cabane pour dormir, au lieu de la tente. L’intérêt est qu’elle a, attenant, un sauna.

Nous faisons comme les locaux : tout nus pour suer dans la chaleur, puis se rouler dans la neige glacée avant de venir nous réchauffer dans le sauna, puis de recommencer. Avec un peu d’aquavit pour nous détendre avant le dîner.

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Porto Azzurro sur l’île d’Elbe

Après avoir exploré hier le sud des deux caps qui forment l’île à l’est, nous partons ce matin vers le nord. Un bus nous mène à Rio nell’Elba.

Dans l’église, figure une statue du Padre Pio, ce capucin italien affecté des stigmates du Christ et canonisé le 16 juin 2002 sous le nom de saint Pie de Pietrelcina.

Puis les montées et descentes se succèdent à pied  sur la ligne de crête, jusqu’au plus haut point du Cima del Monte – 516 m –  qui sert de relais aux antennes mobiles.

La vue porte sur les deux versants du cap, Portoferraio d’un côté, Rio Marina de l’autre. Nous regardons passer les traits blancs des ferries longeant la côte et le profil des îles au loin, dans l’embrumée de la distance.

Le Castello del Volterraio est à 395 m ; il date du 13ème et est le plus ancien château de l’île ; il commandait la route du fer. L’île perçue au loin est Capraia, elle sert de pénitenciers pour courtes peines.

Denis nous montre les plantes du maquis, la lavande des maures, le ciste pyrophytes, la queue de lièvre si mignonne et douce à caresser, le pistachier des oiseaux.

Il nous parle du continent proto-ligure qui enfonce l’Italie comme un bélier sous les Alpes et qui a redressé nord-sud les îles de Corse et Sardaigne. Ce pourquoi ces îles, comme Elbe, ont une géologie particulière, non calcaire, comme les îles du Levant. Flore et faune ont de même gardé l’empreinte de ce continent perdu.

La dernière grimpée au Monte Castello – 396 m – est très pentue, sous un soleil brûlant, en état de fatigue et en hypoglycémie. La pause pêche pour attendre les autres, est particulièrement bienvenue. Nous pique-niquons une demi-heure plus bas, sous des pins parasols, au-dessus de la Madonna Monserato.

La salade du jour est à retenir : roquette, tomates grelot coupées en deux, pois chiches, cœur de fenouil cru émincé, copeaux de parmesan, huile d’olive et vinaigre balsamique. Les lambeaux de jambon cru sont en option. Nous faisons la sieste sous les pins à l’adolescence du jour : les 13-15 heures, comme les ans, sont toujours les plus pénibles. La Madonna Monserato est une abbaye construite par les Espagnols sur le modèle de Montserrat. Une croix de fer sur un pic la surplombe.

Nous descendons par un « sentier de chèvre » caillouteux, avec des passages sur vire – mais dans la pinède. Il fait moins chaud. Nous rejoignons la vallée, puis la route devant le pino nonno, le pin grand-père, tricentenaire. Une branche morte vient de lui être coupée. Denis demande de l’eau à une dame qui habite une petite ferme au bord de la route ; elle cultive probablement les champs plus bas. Nous sommes assoiffés comme hier. J’ai bu aujourd’hui plus de quatre litres, ayant emporté pas moins de deux bouteilles d’1,5 l et ayant bu pas moins d’un demi-litre au petit-déjeuner. Avec le nouveau demi-litre d’eau de la dame que j’avale, cela fait bien quatre litres. Et la journée n’est pas terminée. La chaleur d’aujourd’hui (34°) et l’effort des montées et descente du jour fait consommer du liquide. Le corps s’adapte et je me sens physiquement moins fatigué qu’hier.

Nous rentrons par la plage de Porto Azzurro à la sortie de la baie, dans une calanque protégée. Le sentier du littoral longe la forteresse – centre pénitentiaire. Le comble est que de gigantesques marches casse-pattes hautes de 25 à 55 cm chacune nous obligent à grimper encore, le long d’une pinède « propriété privée ». Agaves et figuiers de barbarie agrémentent les rochers. Plus loin, de grands ados se lancent des défis à qui sautera de la falaise le plus haut dans l’eau. Le sentier passe à sept ou huit mètres des vagues et ce n’est pas très élevé, mais il faut le faire. Et c’est à grand cri que le dernier s’élance, le plus timoré peut-être. Une fois en bas, la bande des sept s’éloigne à la nage, raffermie par le défi partagé entre mâles, dans un grand sillage. Les filles attendent en maillot de bain à l’ombre, assises sur les dernières marches du sentier aménagé, juste avant les bars du bord de mer. Il faut que les garçons aillent dépenser leur énergie avant de venir flirter en douceur.

Sur la plage de la cale, juste avant le port, une colonie pour les 7 à 9 ans montre des corps souples et bien grillés, peu sportifs mais élégants. Une sirène à flotteurs est avachie sur un rocher devant eux, prenant de toute sa peau comme avidement les rayons solaires. Selon Denis, on ne salue du « salve » que les jeunes sportifs comme soi ; ce serait familier autrement – le terme vient des Romains et a été repris par Mussolini. Ciao vient de schiavo, esclave et, même s’il est répandu aujourd’hui, n’en est pas moins un peu vulgaire. Signe du tutoiement, il signifie « je suis à ton service ». La façon correcte de saluer est de dire Buongiorno jusqu’à la sieste (vers 15 h), Buonasera ensuite et Buoanotte juste avant d’aller dormir. Arrivederci est utilisée comme formule d’adieu pour ceux que l’on vouvoie ; ArrivederLa est encore plus respectueux.

Avec au moins six des filles, je prends un granité citron – 3 € le grand verre – dans une gelateria du port que connait déjà Isabelle. C’est un luxe de temps caniculaire, bien que le sirop soit un peu sucré pour mon goût. Je l’allonge d’un peu d’eau de la gourde pour faire fondre le restant de glace pilée et prolonger ce moment. Les filles veulent ensuite se baigner en mer après leur douche à l’hôtel, ce qui est peu logique. Je préfère quant à moi laisser les vagues pour aujourd’hui et me rafraîchir sous la douche avant de me reposer, d’écrire ce carnet, puis d’aller acheter de l’eau au Coop pas loin pour la marche de demain, deux bouteilles d’1.5 l.

Nous dînons le soir à l’hôtel de risotto aux fruits de mer (au riz un peu trop al dente pour moi), d’un demi-filet d’espadon grillé avec courgettes sauce menthe et asperges vertes, et d’une tarte à la crème de la nonna (étouffe-chrétien).

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Pissac aujourd’hui

Nous redescendons à pieds par les sentiers qui coupent et recoupent les pentes, empruntant parfois des escaliers de pierres antiques entre les terrasses. Nous rejoignons le village actuel de Pissac, établi au bord de la rivière.

Le chemin nous mène tout droit au centre d’une place où pousse un vieil arbre planté il y aurait 300 ans. Ses branches soutiennent des lichens qui pendent comme des mèches de vieille femme. Nous sommes sur la place du marché artisanal. Les étals commencent à être remballés car la nuit tombe dans moins d’une heure. Mais nous pouvons encore admirer les traditionnels pulls et couvertures « d’alpaca » et autres genres de lamas, des objets de cuivre imitant ceux du rituel inca, des poteries joliment décorées et de curieuses statuettes de bois sombre. Les Christs sculptés sont de particulières caricatures : le visage buriné, le corps émacié aux côtes saillantes, une plaie béante où l’on mettrait le poing au côté droit, les mains griffues clouées à la croix, les pieds recroquevillés aux os saillants sous la douleur… C’est un concentré d’influences malsaines. Il y a tout le masochisme traditionnel du catholicisme espagnol, allié à la haine indienne pour ce dieu qui leur a volé leur culture.

Dans les boutiques d’une rue qui descend vers la rivière on trouve de hideux porte-clés aux positions érotiques d’une soi-disant « culture pré-inca », élaborés plutôt pour flatter les instincts hypocrites des touristes yankees. Toutes les positions imaginables sont représentées, sans oublier le quota pour la minorité homosexuelle. Choisik porte depuis le départ un collier de perles en porcelaine émaillée qui fait envie aux filles depuis longtemps. Elle nous conduit dans une boutique où on les trouve au kilo. Et chacune de composer son collier. Je remarque que Carène, la blonde bordelaise aux yeux bleus, assortit son échantillon avec beaucoup de goût. Elle a le sens de l’harmonie des couleurs. Réservée, souvent échevelée, est fiable comme le vin de Bordeaux, région dont elle est originaire avec une trace d’accent. Pablito achète pour sa nièce ou son filleul (les garçons ados portent aussi des colliers), Salomé pour elle (d’abord) puis pour « une copine ».

Nous revenons par les boutiques d’épicerie pour trouver du pisco, mais Choisik ne trouve pas de « bonne marque ». Un boutiquier nous fait goûter une liqueur de sa composition, à l’anis, dont le parfum est agréable. Juan achète à un marchand ambulant un verre de tisane d’herbes médicinales. Nous en goûtons quelques gorgées : elle a une odeur de gazon frais tondu et un goût de raisin à peine pressé.

Nous rentrons à l’hôtel à la nuit tombée, pour la douche. Nous avons eu froid presque tout l’après-midi en raison du vent fort qui soufflait sur le site. Personne n’avait pris la peine de se munir de coupe-vent, en ayant assez de porter le sac. Aussi, ce soir, le feu de bois d’eucalyptus à la bonne odeur médicinale, le pisco sour du bar et la partie de billard avec la blonde Carène, ont été de sérieux médicaments. C’est elle qui a gagné, révélant un autre de ses talents cachés.

Au dîner, nous avons de la soupe de maïs, de la truite du rio avec ses frites et divers autres légumes. Au moment de payer les boissons, c’est encore le quart d’heure de comptes d’apothicaire entre ceux qui ont bu ceci, ceux qui ont bu cela, sans compter ceux qui n’ont rien bu. Il y a quelques années, le groupe organisait une caisse commune qui se chargeait du tout. Aujourd’hui, l’individualisme est devenu intégriste et, à quinze, c’est plutôt bordélique !

La nuit dans un vrai lit sera bonne, il ne pouvait en être autrement.

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Chacun selon ses courses

Faire les courses, lorsqu’on est observateur, apprend beaucoup sur les autres. Sans collecter des milliers de « data » par le vol systématique de toutes les requêtes faites sur votre ordinateur, le simple regard attentif et non intrusif permet de mieux connaître ceux que vous rencontrez. Dans les boutiques, à la caisse des supermarchés, l’étalage des achats sur le tapis roulant vous permet de détecter des profils types.

Vous avez le beauf ventre à bière qui a peu de moyen, peu de culture et peu d’intellect – il en faut, car qui ferait le métier qu’il fait ? – mais il est reconnaissable entre tous. Dans son chariot, une pizza surgelée, deux packs de bière, des chips, un savon de Marseille et des saucisses préemballées.

La variante familiale, plus populaire que laisser-aller, entasse pâtes, boites de sauce tomate, Coca-cola, corn-flakes (probablement pour les ados), tranches de jambon sous blister, lessive en poudre, eau de javel, une bouteille de rosé et un cubitainer de rouge Côtes du Rhône (probablement pour les parents), quelques paquets de biscuits et un sac de friandises (probablement pour les petits).

Le petit-bourgeois reste entre le traditionnel et l’écolo branché, prenant par habitude ce que prenait sa mère et osant parfois essayer du bio ou du nouveau. Un paquet de lard fumé mais des croquettes de céréales bio, un filet de merlan mais de temps à autre une daurade, le bon vieux saumon fumé mais aussi du tarama, les sempiternels poireaux pour la soupe mais de temps à autre un artichaut, du savon de Marseille pour les sols mais une savonnette parfumée pour le bain.

Le grand bourgeois ne vient pas faire ses courses en supermarché, il envoie sa bonne ou se fait livrer via Internet. Mais, quand il s’y hasarde, notamment dans certains quartiers de Paris où il habite, sa consommation est révélatrice : champagne, bordeaux rouge, glace Häagen-Dazs cookies et crème ou caramel au beurre salé, beurre d’Echiré, sole portion ou cœur de filet de saumon, carottes bio, aubergines, poulet de Loué élevé au grain sans OGM en plein air, gigot d’agneau de prés salés, shampoing bio usages fréquents au miel et huiles essentielles olive et orange douce…

Outre les classes, vous avez aussi les âges. Une petite vieille au fichu de plastique sur la tête en raison du temps qu’il fait, portant lunettes de vue à monture Sécurité sociale, achète devant moi une tranche de tripes pour une personne, une part de pâté en croûte, une barquette de céleri rémoulade. Ce sont là des plats anciens, tout comme la tête de veau ou le pâté de foie. Elle prendra aussi un chou-fleur et une betterave rouge à préparer en vinaigrette avec de l’ail.

Une mature probablement célibataire regarde les conserves de légumes exotiques, tajines de légumes du sud, raviolis à la provençale, caviar d’aubergine. Elle demandera deux tranches de petit salé, du jambon de pays et une ribambelle de boudins blancs, plus du pâté de porc noir de Bigorre. Dans le caddie se trouvent aussi deux endives, un pot de rillette de saumon, un pack de yaourts au café, une brioche au beurre pré-tranchée, une boite de thé parfumé et des fruits exotiques, des ramboutans je crois.

Vous reconnaissez les couples jeunes à ce qu’ils achètent force jus de fruits et Coca, un peu de vin rouge, les plus gros paquets de corn flakes existant en rayon, deux pots de miel et de la confiture de fraise, deux glaces grand format aux parfums passe-partout (style vanille ou coco), des pommes et des oranges à l’exclusion de tout autre fruit, des lingettes et des kleenex, du sopalin en promotion par paquet de douze et j’en passe.

Les ados passent en coup de vent, entassant chips, sandwiches en barquette, pack de bière ou de Cubanisto (bière + rhum), cacahuètes et plaques de chocolat au lait. Ils payent en espèces, sortant de diverses poches billets roulés en boule et pièces de monnaie.

Je ne m’ennuie jamais en observant mes contemporains.

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Au-dessus de Pigra

A deux heures du matin débarque, dans les couloirs de l’hôtel, un troupeau d’éléphants en rut : barrissements, piétinements, coups dans les portes et les murs. C’est une horde d’Allemands venus directement de Bavière en moto. Cette tribu est vulgaire, balourde, bruyante, avide de bière, elle porte des anneaux dans le nez. Nous les avions croisés avant le dîner, déjà au bar à se pré-saouler. Un bambin de cinq ans est avec eux, kinder attendrissant coiffé long sur le cou et rasé sur les tempes, à la mode qui date, un joli démon pas encore façonné en tonneau par les litres de mousse.

A 8h14 précises nous prenons l’hydrofoil. Devant l’embarcadère, une camionnette attend les enfants du primaire de Bellagio pour l’école, tous ces petits vêtus de chaudes chasubles à capuches mais en polo à col ouvert ou tee-shirts bayant. Le temps reste mitigé, nuageux, mais il ne pleut plus. Des fonctionnaires en chemise blanche et costume gris débarquent de l’hydrofoil à son arrivée à Bellagio pour effectuer leur journée, comme nous-mêmes sortirions du métro à Paris.

Le téléphérique nous monte haut, d’Argegno (où nous faisons les courses dans une ruelle pittoresque) à Pigra déjà en altitude, presque mille mètres au-dessus. La piazza Fontana nous offre son eau miraculeuse, surveillée par saint Roch, san Rocco ici. Son compagnon est un chien qui porte un pain dans la gueule, seul être vivant qui ait accepté de nourrir le saint infecté par la peste. Dans la chapelle attenante est une fresque datant de 1662 montrant saint Dominique et saint Etienne, saint Jean-Baptiste et saint Sébastien, ce dernier en éphèbe langoureusement torturé de multiples flèches ensanglantées. Le tout est signé Pozzi.

Au sortir du village, nous prenons un chemin dans les bois. Il pleut à nouveau. La marche se poursuit à flanc de pente, sous les branches dégoulinantes, sur les feuilles pourrissantes et les pierres glissantes. Quelques ruisseaux cascadent en travers du chemin qu’ils ravinent largement et doivent être passés à gué. Les sentiers se croisent et le guide se perd, comme de bien entendu. Sa carte est peu précise et il a oublié le chemin qu’il a pris à l’automne dernier. Demi-tour, tours et détours, nous ne nous retrouvons pas plus. Alors nous y allons au jugé et ce n’est pas plus mal. Deux heures après, nous en avons assez, mais la forêt s’éclaircit. Nous débouchons enfin sur un chemin empierré qui mène quelque part. Il nous conduit à des maisons perdues, fermées en semaine. A plus de huit cents mètres au-dessus du lac, qui émerge soudain d’un coude du chemin, le point de vue est grand. Le soleil daigne faire son apparition entre deux nuages, chauffant les prés humides et chassant les toiles de brumes arachnides au-dessus du lac gris acier en contrebas. Mais ce n’est pas fini, nous montons encore, trois cents mètres plus haut, jusqu’au bistrot tant vanté par le guide depuis près d’une heure. Il est fermé, ce n’est pas encore la saison…

Certains poussent jusqu’à la croix qui marque le sommet ultime vers 1300 m, mais je n’en suis pas. La vue n’est même pas belle, pas aussi belle que celle du pré un peu plus bas (à ce que l’on me dit). Nous nous installons sur la terrasse vide du bistrot, tirons une table de plastique renversée là, et commençons notre pique-nique du jour : jambon, mortadelle, tomate, fromage, pomme – et une part de pizza froide pour ceux qui aiment le pâteux vulgairement épicé.

Pour redescendre, nous suivons cette fois la route jusqu’au village de Pigra où nous attend le téléphérique. Trois enfants du primaire en débarquent, remontant de l’école située à Argegno, 881 mètres plus bas. Ils jaillissent de la cabine enfin arrêtée comme des diables de leur boite, dans un feu d’artifice de jeunesse joyeuse. Ils sont pressés de rentrer chez eux dans leur forteresse d’altitude, goûter, ôter des vêtements et aller jouer.

Nous reprenons la cabine pour une descente vertigineuse qui nous bouche les oreilles, suspendus au-dessus du vide en glissant sur un fil jusqu’au niveau du lac. Nous passons le torrent Telo sur un pont de pierres à ogives. La première fournée du groupe est déjà affalée en terrasse d’un café-glacier, devant l’embarcadère des motoscafi, à siroter une bière ou à savourer des gelati à petits coups de cuillère. Les filles se gavent de glace au melon et aux marrons, André de glace à la « crème de lait » et au yaourt. Je prends une bière contre la soif. Le soleil daigne se montrer depuis quelques heures, souvent enlaidi de nuages d’un gris triste qui n’hésitent pas à lâcher quelques larmes.

Au retour, nous devons prendre le bus jusqu’à l’embarcadère le plus proche de Bellagio, à Tremezzo. Je ne comprends pas pourquoi nous ne reprenons pas un bateau comme ce matin. Le bus est plein de vieilles locales qui rentrent d’on ne sait quelle course et qui commentent les ragots du coin. Quelques ados du lycée voisin montent à un arrêt, laids et percés comme de vulgaires Bavarois des banlieues industrielles. Ils portent des barbes naissantes comme des acteurs de cinéma sur le retour et une boucle d’or à chaque oreille.

Le ferry nous conduit à Bellagio et nous voici de retour à l’hôtel pour la dernière douche du dernier jour. Nous ne sommes pas sitôt dans nos chambres qu’il commence à tomber une nouvelle et violente averse. Décidément, quel temps de chien !

La pluie ne s’arrête que peu de temps avant que nous n’allions au restaurant. Il est loin cette fois, à Pescallo, sur l’autre rive du promontoire, donnant sur l’autre lac, celui de Lecco. L’hôtel-restaurant La Pergola, très chic, nous attend piazza del Porto, une Ferrari devant la porte (« pas une bien », me dit Jean). Nous ne pouvons dîner sur la terrasse ouverte sur le lac, en raison du temps. Dans une salle antique rarement ouverte, meublée d’ancien, on nous sert « la » spécialité du restaurant, un risotto sauce curry (au riz souvent mal cuit), avec des goujonnettes de poisson du lac appelé ici pesce persico, puis un tiramisu plutôt classique. A la table du dîner, deux ou trois conversations ont lieu en même temps, rançon d’un groupe de désormais quatorze sans les Lapinot. De mon côté, cela parle voyages : « et où iras-tu prochainement ? ».

Nous rentrons vers 22 h par les ruelles pavées de galets, quasi désertes. Qui irait se hasarder dehors par un temps pareil, même s’il ne pleut plus pour le moment ? Même la jeunesse locale ne sort pas en ce vendredi soir – où est allée ailleurs, dans les petites villes alentour. Le bourg de Bellagio ne comporte que des familles, des hôteliers et des touristes d’un âge certain.

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Un siècle de bains de mer

Se baigner a toujours été une tentation, mais pas toujours un plaisir. Ce n’est que l’hédonisme post-68 qui en a fait un bonheur d’été, un art de vivre décorseté. Longtemps, en effet, l’eau était hostile. Les marins ne savaient pas nager et les mamans craignaient par-dessus tout le coup de froid, puis les microbes. Ce pourquoi on se baigne habillé en 1900, surtout aux Etats-Unis puritains.

A Brest en 1910, le « bain de mer » a déjà des vertus prophylactiques et est même considéré, les jours de soleil voilé, comme médical. Le torse se dénude un peu, mais pas trop, juste pour prendre sa dose de vitamine D.

Mais la « Grande » guerre survint, qui fit se replier sur soi les corps et la morale. Retour à l’habillé pour se tremper dans l’eau en 1918 – même si les vêtements mouillés refroidissent nettement plus que la peau nue, dès que l’on sort de l’élément liquide ! Le catholicisme aimait assez ce qu’on allait plus tard appeler, chez les « autres », le burkini.

En 1930, les épaules se dénudent aux Etats-Unis avec le débardeur de bain, mais pas question de montrer le moindre « nibble ». Le pointu téton masculin apparaît aussi pornographique que le lourd mamelon féminin.

Pourtant, les années folles en Europe remettent au goût du jour le sauvage et le naturel. Des filles de la haute osent se baigner nues dans les criques reculées en 1930. Elles s’encanaillent : en effet, seuls les jeunes garçons du peuple se baignaient nus sans vergogne ces années-là.

Dès 1940, les congés payés réhabilitent le populaire et ses mœurs – plus libres que celles des bourgeois collet monté. Le torse nu camping s’affiche sur les plages, au grand dam des poitrines creuses au pouvoir, pour qui ce laisser-aller vestimentaire « explique » la défaite – alors que les jeunes Allemands vainqueurs exhibent volontiers leurs pectoraux virils. Molière avait hélas raison : « cachez ce sein que je ne saurais voir ! » : ce mantra des impuissants érige le déni en bonne conscience.

Les années 1950 sont celles du baby-boom ; les enfants font l’objet de toutes les attentions tandis que les femmes commencent à revendiquer une autonomie. Les préoccupations reviennent à la santé, au médical : du soleil sur la peau pas trop, pas de bain froid durant trois heures au moins après avoir mangé – même une brioche ! De même communiait-on à jeun : il ne fallait pas mêler le Corps divin aux vulgaires nourritures terrestres. Le slip existe, mais le maillot de bain à bretelles (parfois en laine !) fait fureur. En une pièce pour les filles.

La grande révolte des mœurs à la fin des années 60 fait sauter tout ce carcan. « Laissez craquer vos gaines », conseillait Gide en début de siècle ; il a fallu attendre deux générations. Par refus de la société de consommation qui pousse à s’habiller même pour se baigner, par mépris de la morale sociale qui pousse au conformisme pour se faire bien voir et à se contraindre par discipline d’usine, l’àpoilisme fait des relations peau contre peau le nouveau mode d’être. Jusqu’à l’excès : on ne se dit plus bonjour, on couche d’abord avec.

En 1981, la gauche arrive au pouvoir, et avec elle le désir. Tout, tout de suite durera un an et demi avant que trois dévaluations du franc et une quasi faillite de la Banque de France n’obligent Président et idéologues « de gauche » à délaisser l’hédonisme pour la « rigueur ».

La discipline revient, mais plus individuelle que collective, plus narcissique que contrainte. Le culte des héros sportifs, la volonté de sculpter son corps, le féminisme qui remet en cause la prééminence du garçon, forcent à se muscler. La plage se prépare et les ados se comparent.

Si les garçons semblent plus sensibles à leur apparence que les filles, ces dernières ne sont pas en reste, affichant des hauts mini, moins pour afficher leur musculature que pour mettre en valeur leurs atouts plus ou moins gonflés. Comme quoi le « féminisme » est bien une idéologie : les filles ne veulent pas être « l’égal » des garçons, mais avoir les mêmes droits. A quand leur torse nu ?

Ces toutes dernières années, la frilosité américaine de l’attentat 2001 passe dans le moralisme des séries télé et contamine peu à peu les mœurs en Europe ; le rigorisme islamiste s’allie au renouveau disciplinaire catholique ; le tout est accentué par les attentats – et voilà qui pousse à se protéger de tout et de n’importe quoi. La plage est moins nue, le jean y fait son apparition, voire la salopette. Certains se baignent en tee-shirt – à cause des UV et du réchauffement climatique disent les peureux.

Demain, la combinaison de plongée intégrale sera peut-être exigée pour tous. Et les bédouins du burkinis pour une fois en avance sur l’Histoire.

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André Gide sexuel

Il écrit à 19 ans (14 mai 1888) : « La mélancolie chez les Anciens, ce n’est pas dans la morne douleur de Niobé que je l’irais chercher, ni dans la folie d’Ajax – c’est dans l’amour leurré de Narcisse pour une vaine image, pour un reflet qui fuit ses lèvres avides et que brisent ses bras tendus par le désir… » p.13. Narcisse, c’est lui-même André, aspirant au fusionnel et ne trouvant que l’éphémère.

Quelques jours plus tard, le 17 mai, il a cet aveu en vers :

« Ne pourrais-je trouver ni quelqu’un qui m’entende

Ni voir quelqu’un qui m’aime et que je puisse aimer

Qui pense comme moi et qui comme moi sente

Qui ne flétrisse pas mon âme confiante

Par un rire moqueur, qui la pourrait briser ? » p.17.

« J’ai vécu jusqu’à vingt-trois ans complètement vierge et dépravé », avoue-t-il en mars 1893 p.159. C’est la Tunisie et l’Algérie, pour lui, qui le déniaise cette année-là en compagnie du peintre Paul Laurens ; il le contera dans Si le grain ne meurt. Il faudra que le printemps 1968 passe pour balayer cette odieuse contrainte sexuelle, morale et religieuse (mais elle revient avec l’islam !). Des ados d’aujourd’hui s’interrogent sur « dormir nu à 14 ans » (requêtes du blog). Gide leur répond, il y a déjà un siècle : « Sentir voluptueusement qu’il est plus naturel de coucher nu qu’en chemise » 18 août 1910 « bords de la Garonne ») p.647.

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Séparer radicalement la chair et l’esprit engendre la névrose, et le christianisme a été et reste un grand pourvoyeur de névrose. « Je ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse – doublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie » (2 juillet 1907) p.576. Haïr le désir pour adorer l’idéal n’est pas la meilleure façon de se trouver en accord avec le monde. « Le propre d’une âme chrétienne est d’imaginer en soi des batailles ; au bout d’un peu de temps, l’on ne comprend plus bien pourquoi… (…) Des scrupules suffisent à nous empêcher le bonheur ; les scrupules sont les craintes morales que des préjugés nous préparent » (septembre 1893) p.173. Freud nommera cela le Surmoi. Des « personnalités dont s’est formée » la sienne (1894) p.196, on distingue principalement des rigoristes et des austères : « Bible, Eschyle, Euripide, Pascal, Heine, Tourgueniev, Schopenhauer, Michelet, Carlyle, Flaubert, Edgar Poe, Bach, Schumann, Chopin, Vinci, Rembrandt, Dürer, Poussin, Chardin ».

Marié en 1895 à 26 ans avec sa cousine amie d’enfance Madeleine, de deux ans plus jeune que lui, il ne consommera jamais l’union, préférant de loin l’onanisme solitaire ou à deux (il a horreur de la pénétration et ne pratique pas la sodomie). Il est attaché à celle qu’il appelle le plus souvent Em dans son Journal (Em pour M., Madeleine, mais aussi pour Emmanuelle, ‘Dieu avec nous’). Il a pour elle « une sorte de pitié adorative et de commune adoration pour quelque-chose au-dessus de nous » (janvier 1890) p.116. Sa femme reste pour lui la statue morale du Commandeur, le phare pour ses égarements, la conscience du Péché.

Son grand amour masculin, en 1917 (à 48 ans), est pour Marc Allégret le fils de son ex-tuteur, 16 ans, dont il est conquis par la jeunesse plus que par la beauté : « Il n’aimait rien tant en Michel [pseudo pour Marc] que ce que celui-ci gardait encore d’enfantin, dans l’intonation de sa voix, dans sa fougue, dans sa câlinerie (…) qui vivait le plus souvent le col largement ouvert » p.1035. Cet amour du cœur et des sens pour Marc fera que sa femme brûlera ses trente années de correspondance avec elle, une part vive de son œuvre. Elle savait pour son attirance envers les jeunes, mais il s’agit cette fois d’une infidélité du cœur qu’elle ne pardonne pas.

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La peau, la nudité, est pour André Gide la jeunesse même ; ainsi regarde-t-il les enfants de pêcheurs se baigner en Bretagne (p.86), ou admire-t-il le David de Donatello : « Petit corps de bronze ! nudité ornée ; grâce orientale » (30 décembre 1895) p.207. « Ce contre quoi j’ai le plus de mal à lutter, c’est la curiosité sensuelle. Le verre d’absinthe de l’ivrogne n’est pas plus attrayant que, pour moi, certains visages de rencontre » (19 janvier 1916) p.916. Il note souvent ses éjaculations par un X, aboutissant parfois à une comptabilité cocasse : « Deux fois avec M. (Marc Allégret) ; trois fois seul ; une fois avec X (un jeune Anglais) ; puis seul encore deux fois » 15 juillet 1918, p.1071.

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André Gide est sensuel, mais surtout affectif ; il n’a de relations que mutuellement consenties, joyeuses, orientées vers le plaisir. Sa chasse érotique est surtout celle des 14-18 ans – ni des enfants impubères (dont il se contente dans le Journal d’admirer la sensualité), ni des hommes faits. Nombreuses sont ses expériences, avec les jeunes Arabes en Algérie, des marins adolescents à Etretat, un petit serveur de Biarritz, un jeune Allemand dans un train, des titis parisiens de 14 ans qui aiment « sonner les cloches », Charlot un fils de bourgeois parisien déluré de 15 ans, Louis un paysan des Alpes…

« Le portrait D’Edouard VI de Holbein (Windsor Castle) (…) Disponibilité de ce visage ; incertaine expression d’enfant ; visage exquis encore, mais qui cessera vite de l’être… » (février 1902) p.347

« Le portrait D’Edouard VI de Holbein (Windsor Castle) (…) Disponibilité de ce visage ; incertaine expression d’enfant ; visage exquis encore, mais qui cessera vite de l’être… » (février 1902) p.347

« Plus encore que la beauté, la jeunesse m’attire, et d’un irrésistible attrait. Je crois que la vérité est en elle ; je crois qu’elle a toujours raison contre nous. (…) Et je sais bien que la jeunesse est capable d’erreurs ; je sais que notre rôle à nous est de la prévenir de notre mieux ; mais je crois que souvent, en voulant préserver la jeunesse, on l’empêche. Je crois que chaque génération nouvelle arrive chargée d’un message et qu’elle le doit délivrer » (26 décembre 1921) p.1150. Il publiera Corydon, un livre un peu pensum sur le rôle civilisateur de l’homosexualité, en 1924, bien qu’il l’ait écrit dès 1910.

Mais il aura le 18 avril 1923 une fille, Catherine, d’une liaison avec Elisabeth Van Rysselberghe (p.1189). Et Marc Allégret se trouvera une copine passé vingt ans, avant de devenir un réalisateur reconnu grâce à Gide qui lui donne du goût et de la culture.

André Gide présente avec humour dans son Journal un plaidoyer pro domo : « Socrate et Platon n’eussent pas aimés les jeunes gens, quel dommage pour la Grèce, quel dommage pour le monde entier ! » p.1092. Il va même plus loin – ce qui va choquer les ‘bonnes âmes’ qui aiment se faire mousser à bon compte grâce à la réprobation morale : « Que de telles amours puissent naître, de telles associations se former, il ne me suffit point de dire que cela est naturel ; je maintiens que cela est bon ; chacun des deux y trouve exaltation, protection, défi ; et je doute si c’est pour le plus jeune ou pour l’aîné quelles sont le plus profitables » p.1093. Rappelons qu’il s’agit de relation avec des éphèbes – donc pubères actifs d’au moins 14 ans – qu’il ne faut pas confondre avec des « enfants », immatures et usés comme jouets. Comment dit-on, déjà, en politiquement correct ? « Pas d’amalgame ? »

André Gide, Journal tome 1 – 1887-1925, édition complétée 1996 Eric Marty, Gallimard Pléiade, 1748 pages, €76.00

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Vendredi 13

vendredi-13

Premier film d’une série comme – hélas ! – les Yankees y cèdent quand le film original a bien marché. La suite, me dit-on, est assez mauvaise ; ce premier opus a le mérite de la fraîcheur, même s’il est assez lent pour nos critères d’aujourd’hui. Mais il était osé en 1981, mêlant comme toujours amour et mort, scènes de sexe et scènes de meurtre. Avec, ici, le couteau de chasse comme substitut de pénis… je ne vous en dis pas plus.

L’histoire se passe au fin fond d’un état rural américain, autrement dit chez les sauvages. Un camp de vacances pour ados au bord d’un lac est réputé maléfique depuis qu’il a connu en 1957 la noyade d’un gamin, Jason, puis en 1958 le meurtre d’un couple de moniteurs surpris en train de baiser. Le garçon a été éviscéré, la fille égorgée.

Vingt ans après, comme dans les Trois mousquetaires, le centre de vacances de Crystal Lake a l’intention de rouvrir et Steve le directeur (Peter Brouwer) embauche six moniteurs – trois gars et trois filles pour respecter le déjà politiquement correct (mais les minorités visibles n’en faisaient pas partie).

Annie, une monitrice qui aime les enfants est embauchée comme cuisinière ; elle arrive avec son gros sac à dos, roulant les épaules et claquant les portes avec des gestes brusques, en vrai faux-mec que les filles 1980 se croyaient obligé de jouer par féminisme naissant. Le camionneur obèse de malbouffe (Rex Everhart), tout comme la grosse tenancière de bar du coin – vrais portraits de l’Amérique – tentent de la dissuader, tandis qu’un demeuré sexuellement perturbé (Walt Gorney) enfourche son vélo écolo en prophétisant un massacre. On se demande s’il est net, piste possible…

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Avec les activités génésiques qui commencent presque aussitôt dans la voiture qui amène un trio, puis dans le camp où le directeur aide une fille à réparer une gouttière branlante, enfin par les jeux entre ados attardés de tous ces jeunes dans la vingtaine dont les muscles mâles ou les seins femelles apparaissent gonflés d’hormones, le spectateur se dit que le sexe et le mal vont – une fois de plus – déformer les choses réelles.

Ce qui ne manque pas d’arriver – nous sommes en Amérique. A part le destin rapide de la future cuisinière, embrochée à la forestière dans un fourré, celui des autres se distille avec lenteur. La caméra à l’épaule se met souvent à la place du tueur et l’image est efficace. La musique grinçante de Harry Manfredini reproduit une atmosphère à la Psychose, bien que le rythme et les contrastes soient moins frappants. Il y a toutes les atmosphères dramatiques requises : la nuit, le lac immobile, l’orage, la pluie battante, la voiture qui tombe en panne, le générateur saboté, les lieux isolés qui grincent.

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Le directeur, parti avec sa Jeep chercher du matériel, ne reviendra jamais de la ville, malgré l’obligeance d’un shérif qui le reconduit jusqu’aux abords du camp ; il y rencontre son destin muni d’une lampe torche et d’un couteau. L’un des garçons, Ned (Mark Nelson), qui a simulé une noyade dans le lac (sans le savoir comme le gamin jadis), est égorgé dans un lieu isolé pour avoir crié au secours comme le noyé, sans que personne ne l’entende. Ce qui est haletant est qu’on ne sait pas pourquoi, ni qui opère.

Restent trois personnes, un couple qui se forme, un autre garçon et une fille solitaire relevant d’une rupture. Le couple qui s’est trouvé, Jack (Kevin Bacon) et Marcie (Jeannine Taylor), s’isole dans un baraquement sous l’orage pour baiser, comme ceux de 1958 – et il leur arrive la même chose. Ils sont tous deux beaux et bien faits, vigoureux et dessinés. Leur baise dure ce qu’il faut pour apprécier, en débardeur puis torse nu, puis entièrement nus, selon la gradation savante qui (à l’époque) mettait en appétit. Mais la fille – nunuche, comme souvent dans les films américains – a « envie de pisser » après l’amour (!). Elle sort donc pour rencontrer une hache dans les toilettes – évidemment isolées – où elle va bêtement chercher les zones obscures en croyant qu’« on » lui fait une blague. Le garçon resté allongé jouit de son corps repu, remet son débardeur parce qu’il fait un peu froid après l’intense activité génitale qu’il vient d’avoir, et allume « un joint » – comme c’était furieusement la mode à cette époque post-hippie.

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Tous ces détails de l’hédonisme ambiant sont cruciaux, parce qu’ils vont connaître la punition divine (selon les critères bibliques) : une main lui saisit le front par derrière (le siège présumé de l’intelligence), tandis qu’un couteau de chasse perce la couche et vient trancher lentement la gorge (comme on le fait d’une bête pour qu’elle soit casher). La jeunesse dans sa puissance a été sacrifiée au Dieu vengeur, comme Isaac par Abraham. Mais pas d’ange ici pour retenir la main : le moniteur baiseur n’a que ce qu’il mérite, même si aucun gamin à surveiller ne peuple encore le camp.

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Alice (Adrienne King) est la seule à ne pas baiser dans le film et c’est – selon la morale biblique américaine – ce qui va la « sauver ». Elle sera l’unique survivante du massacre, bien que le noyé – Jason, qui deviendra célèbre dans les films qui suivront – tente de l’emporter in extremis avec elle sous les flots. Pour se venger. Car le spectateur perçoit très vite qu’il y a un lien entre la mort du jeune garçon et le massacre des moniteurs. Le couple qui a baisé en 1958, a déjà baisé en 1957 – en laissant le gamin qui ne savait pas nager sans surveillance. Quelqu’un donc en veut à tous ces jeunes qui se croient responsables mais qui préfèrent leur plaisir hédoniste à leur fonction. Le centre ne rouvrira pas, foi de tueur !

Reste Alice, la fille solitaire. Avec Bill, le dernier garçon (Harry Crosby). Il est beau, gentil, tendre, prévenant, mais n’est pas travaillé par la bite comme les deux autres. Ils ne savent pas encore que tout le monde a été massacré ; ils n’ont pas vu les corps ; ils pensent qu’ils se donnent tous du bon temps entre eux et les laissent à leurs activités supposées. Un strip-monopoly les a bien un peu excités, mais l’orage et la pluie ont refroidi leurs ardeurs. Ce pourquoi le tueur, qui les veut, les fait sortir en coupant le générateur. Le garçon va voir – il disparaît. La fille va voir – elle découvre son cadavre embroché de flèches derrière la porte ; le garçon avait fait la démonstration de son habileté à l’arc. Symboliquement, il est mort de trois flèches : une dans l’œil – pour ne pas avoir surveillé ; l’autre dans la gorge – parce que le noyé a hurlé et que personne ne l’a entendu ; la troisième dans le poumon – siège du souffle perdu par Jason. Mais personne ne comprend, vingt ans après – et c’est bien là le tragique.

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La fille va hurler (selon l’hystérie américaine de convention), se barricader à multiples tours, se jeter d’un côté et de l’autre de la pièce comme une poule affolée, puis tout débarricader pour se précipiter vers une Jeep qui arrive, croyant voir revenir le directeur. Ce n’est qu’une femme (Betsy Palmer), une amie de la famille de Steve qui possède le camp.

La suite n’est pas racontable sans dévoiler le suspense – contentons-nous de dire qu’Alice s’en sortira, mais de justesse. Entre temps schizophrénie, voix de Psychose (tues-la !), coups, gifles, duel au couteau, bagarre dans le sable mouillé, décapitation… Les voies du saigneur sont impénétrables. On voit peu le sang dans les films de l’époque ; tout comme les seins nus, c’était encore tabou. Mais la décapitation est filmée au ralenti, ce qui permet de bien imprégner le spectateur.

Nunuche elle aussi, la dernière survivante se croit à l’abri au milieu du lac, dans un canoë. Elle y restera jusqu’au matin lorsque les flics du coin – arrivés trop tard, comme la cavalerie yankee – la verront de loin. Mais lorsqu’elle leur fait signe, elle est saisie brutalement par le zombie Jason… pourri mais qui hante toujours les fonds.

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A moins qu’elle n’ait rêvé ? Dans le lit d’hôpital où elle se réveille, elle apprend que les flics l’ont tirée de l’eau et qu’ils n’ont vu personne, aucun « enfant ». La suite au prochain numéro est alors donnée par la réflexion de la fille : « alors il est encore là ».

Ce n’est pas gore, un brin maladroit, trop lent pour nos habitudes prises depuis les années 80 – mais se laisse regarder avec intérêt. Le contraste entre cette jeunesse éclatante de sève et l’horreur de la vengeance à l’arme blanche reste prenant.

DVD Vendredi 13 (The Friday 13th) de Sead Cunningham, 1981, avec Betsy Palmer, Adrienne King, Harry Crosby, Laurie Bartram, Kevin Bacon, blu-ray Warner Bros 2003, €8.59

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Jeepers Creepers

jeepers creepers 1 et 2 dvd

Nous sommes dans l’Amérique profonde, celle des grands espaces agricoles désertés, l’Amérique des bouseux arriérés. Les superstitions y sont conservées comme il y a deux siècles, la bigoterie biblique nourrit les fantasmes de culpabilité et les images diaboliques. Un être « venu des profondeurs » ressurgit une fois toutes les 23 ans « pour se nourrir » durant 23 jours. Il « choisit » les êtres dont il veut aspirer les organes selon l’odeur de leur peur. Curieusement sexiste, il prend surtout les garçons, en général jeunes et bien bâtis… Peut-être veut-il « aspirer » leur force plus que celle des filles ?

Le titre de Jeepers Creepers est une chanson de jazz écrite en 1938 par Johnny Mercer, composée par Harry Warren et interprété pour la première fois par Louis Armstrong. Je ne sais pas ce que veut dire jeeper (un rapport avec la jeep ?), mais creeper signifie rampant. Cette chanson est le fil des histoires, revenant de façon lancinante, notamment sur les ondes, pour annoncer l’approche du monstre.

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Dans le premier film, le jeune homme (Justin Long) est l’incarnation de l’étudiant moyen, trépidant, avide de sensations fortes, empli de trouille. Sa sœur (Gina Philips) est plus sensée, même si elle ne l’empêche pas de vivre jusqu’au bout sa bêtise. Il ne s’agit pas de courage pour le garçon, mais de stupidité : les choses s’enchaînent et il ne fait rien pour les éviter : au contraire, il se précipite dedans tête baissée, sans réfléchir une seconde. Il ne fuit pas le camion fou du Creeper (Jonathan Breck) qui emboutit sa Chevrolet 1941 – et rappelle le film Duel de Spielberg ; il ne croit pas la voyante noire qui le met en garde contre une certaine musique (dont le titre est tiré). Il y a quelque chose de la Prédestination dans son attitude, mais aussi de l’orgueil d’être plus fort que ça, trop rationaliste, ou peut-être trop égoïste ? Choisi, marqué, il est Coupable et doit expier. Le diable prend sa part et nul Dieu ne vient le sauver – comme s’il était absent, inaccessible ou inexistant. Un comble dans l’Amérique cul-béni qui « croit » et qui veut « croire » ! A moins que la leçon soit : chacun se sauve par soi-même ?

jeepers creepers gina philips justin long

Dans le second film, c’est toute une bande d’ados de 17 ans, en dernière année de lycée, qui revient d’un match de basket où leur virilité vantarde a pu se donner libre cours ; seules trois groupies les ont accompagnés. Leur bus est arrêté par une crevaison – mais elle n’est pas due au hasard. La Créature maléfique, qui vit son 22ème jour sur ses 23 sur terre, est aux abois ; elle a lancé un shaken (étoile métallique tranchante de ninja) pour les stopper. Les trois adultes présents, dont la conductrice du bus assez sensée, sont vite aspirés par la créature. Restent les ados, image vivante de l’Innocence américaine en proie au Mal – un thème bien connu d’Hollywood et qui fait toujours recette. Les garçons sont montrés le plus souvent torse nu, ce qui ajoute à leur vulnérabilité, tandis que les filles jouent leurs hystériques selon les conventions – tout en appelant parfois à la raison, ce qui n’est pas sans ambivalence (le féminisme est passé sur les mythes !). Le Creeper, lui, est affublé d’un long manteau et d’un chapeau de western, typiques des bandits de l’Ouest.

creeper

Mais certains ne sont pas si ingénus que cela : outre deux Noirs, susceptibles mais au fond plus machos que méchants, un Blanc élitiste (Eric Nenninger) se sent rejeté par le groupe et nourrit des pensées d’exclusion vaguement racistes. Lui sera emporté, comme s’il y avait une « Justice »… La vraie justice n’est pas divine (où est Dieu dans tout ça ?) même si une fille prie et en appelle à Jésus (elle sera sauvée, mais par les circonstances). La justice est bel et bien humaine, hymne au Pionnier américain qui n’a pas froid aux yeux et ne se décourage pas devant les difficultés. On dit d’ailleurs que, pour ce film, « plus de 2000 candidats ont passé l’audition pour devenir l’une des proies éventuelles de la créature maléfique » !

jeepers creepers 2 le bus

Contrairement au premier opus, où la tragédie se déroulait sans résistance autre que celle de flics en bande (donc abêtis), manifestement inaptes et dépassés par les événements, le second film met en scène un fermier autoritaire qui a perdu son dernier fils à peine adolescent sous ses yeux, dans leur champ de maïs. La Bête l’a emporté d’un bond dans les airs et le père n’a même pas pu tirer au fusil. Cette fois, il a bricolé un harpon avec sa machine à planter les pieux et l’a installé sur son pick-up, ce symbole des bouseux américains. Avec l’aide de son fils aîné au volant, il va harponner la Créature plusieurs fois et la « planter » au sens propre, jusqu’à ce que le soleil se lève sur son dernier jour sur terre. Apollon serait-il assimilé à Jéhovah ?

kinopoisk.ru

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Le Père (terrestre plus que céleste) sauvera donc les rares rescapés et passera ensuite sa retraite à surveiller le réveil du Monstre dans sa ferme, le harpon pointé sur la Bête en croix. Le spectateur trouve-t-il un peu curieuse cette « inversion » chrétienne ? N’est-ce pas le Christ venu sauver les hommes qui se trouve habituellement sur la croix, comme tous les martyrs romains ? Cette fois, c’est le diable ou son avatar… Et à nouveaux trois « innocents » vont passer par là, une fille et deux garçons, dont l’un torse nu pour exhiber symboliquement sa fragile humanité. Nous sommes 23 ans plus tard et presque tout le monde a oublié. Le premier fils du fermier, qui conduisait le pick-up 23 ans plus tôt lorsque son père a planté la Bête, fait payer 5$ à chaque visiteur, belle leçon de capitalisme dans ce monde hanté par la superstition.

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Mais la leçon de tout cela est qu’il ne faut jamais oublier le Mal ; qu’il guette l’humain candide ; et que seuls les valeureux peuvent le combattre, ceux qui ont gardé les valeurs des pionniers. On le voit, les mythes (marqués en gras ici) sont puissants dans ces films.

Le spectateur français reste imperméable à l’atmosphère de malédiction biblique qui lui paraît aussi incompréhensible que la malédiction des Pharaons. Il bout parfois d’impatience devant la bêtise du garçon dans le premier film, devant l’incompétence des adultes dans le second. Mais il se laisse volontiers emporter par l’atmosphère épaisse, glauque, du fantasme de la Bête, de ses grognements et ses bruits de succion. Reste qu’à mon avis le second opus est meilleur que le premier : plus d’action, plus de rebondissements, plus d’optimisme.

A éviter aux gamins en-dessous de 12 ans (et même un peu plus selon les tempéraments), sous peine de cauchemars !

Jeepers Creepers, film de Victor Salva, 2001, avec Gina Philips, Justin Long et Jonathan Breck, Bac film 2014, €7.49

Jeepers Creepers 2, film de Victor Salva, 2003, MGM United artists 2004, €16.99

Jeepers Creepers 1 et 2, blu-ray, €39.00

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Massacre à la tronçonneuse

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La production courante du cinéma américain ne brille pas par son originalité, ni par son intérêt. Elle est faite pour consommer de suite, sans l’emballage du désir, ni la nostalgie du revoir. Ni rêve, ni imagination, mais l’excitation morbide – et unique – d’un instinct. Une fois vu, le produit est usé, bon à jeter tel une capote anglaise. Pourquoi donc interdire aux junkies de se shooter, puisque la pseudo-culture de masse américaine leur sert du film sur le modèle de la seringue jetable ?

L’attrait de ces productions prêtes à consommer est des plus primaires : l’horreur, l’excès, l’imprévu inexorable. La construction en reste au schéma de base : présentation des personnages au quotidien, anesthésie du bonheur tranquille et naïf en famille standard – voiture Ford, maison Levitt, jean Levis et tee-shirt Fruit-of-the-Loom – puis mise en situation par quelque excentricité qui tourne très vite à l’anormal inquiétant, paroxysme et hystérie de rigueur, et final rapide où le Bien se fait souvent avoir. Malgré l’espoir de happy-end ancré au cœur de l’Amérique. Pimentez tout cela d’un brin de sexe, de beaucoup de violence et d’une histoire plate aux images banales – et vous avez le navet-qui-se-vend. Car seule la mise en scène, qui vise au spectaculaire, est au niveau. Or la technique est tout ce qui importe aux incultes.

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Tels sont ces films médiocres pour middle-class désœuvrée en fin de semaine. Fast-food, fast-film, tout est sur le même modèle industriel formaté du vite fait-mal fait. En 1974, le Texan de 28 ans Tobe Hopper fonde avec Massacre à la tronçonneuse le genre consommable du film d’horreur ; il va faire des émules. Le titre est accrocheur, attisant cette fascination malsaine pour la fureur et l’hémoglobine, jouant sur toute la palette du sadomasochisme enfouie en chacun. Une catharsis, bien sûr, mais qui la demande ? Ces pauvres solitaires voués à la masturbation en cabines individuelles pour 1$ alors qu’une fille se trémousse nue derrière la vitre ? Les films défouloirs sont dans le même rapport que la pipe l’est à l’amour partagé : l’effet physique est le même, mais les conséquences psychologiques et la profondeur durable de l’acte n’ont rien à voir !

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Le film est vide : vite vu, vite perdu ; on ne le revoit pas car on connait la fin, ce qui se passe pendant n’est que progression technique glauque sans littérature, malgré son prix de la critique au Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1976. Cinq jeunes insouciants – typiquement des ‘innocents’ américains – s’enfoncent lors d’un bel été – la saison hédoniste – dans les tréfonds du Texas en minibus, à la recherche de la maison d’enfance de l’une des filles. Retour aux origines… ce qui va prendre un tour macabre. Kirk et Pam se baignent dans un étang, près d’une vieille ferme loin de tout – et le tueur futur s’amuse à les approcher sous l’eau. En quête d’essence – ce sang de l’Amérique – ils vont voir s’ils ne peuvent en acheter à la ferme ; Kirk est massacré à coup de marteau par un primate masqué, Pam est empalée sur un croc de boucher et mise au congélateur ; Jerry, qui les cherche, est assassiné au marteau. Seuls restent deux survivants dans la nuit qui tombe… Franklin est découpé à la tronçonneuse et Sally s’enfuit, seins nus. Slurp ! Sexe et cruauté font bon ménage.

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Inspiré de l’histoire véridique d’Ed Gein, « le boucher du Wisconsin » arrêté en 1957, profanateur de tombes et meurtrier de 33 êtres humains, qui portait un masque de chair et décorait sa maison des restes de ses victimes, le film ne laisse surnager au fond que les obsessions de la société américaine : la peur de la campagne isolée ‘où-l’on-ne-sait-jamais-ce-qui-peut-se-passer’ ; la hantise des pauvres, dégénérés par la solitude, l’endogamie, le puritanisme bigot, la sauvagerie et la mauvaise éducation ; la culpabilité biblique du massacre historique des Indiens natives ; l’hystérie automatique des femelles – sauf si elles font ‘mec’ par féminisme (alors : respect !) ; la normalité ‘innocente’ et désarmée de l’Américain moyen (surtout jeune au teint frais) face au Mal, cette violence gratuite qui viole tous les tabous sociaux, religieux et humains ; l’angoisse devant la machine, pourtant créée par l’homme et que l’homme pervertit, le banal outil utilitaire devenant arme brutale pour crime atroce.

massacre a la tronconneuse hysterie

Le début des années 1970 représentait le pourrissement de l’Amérique et le délitement de ses valeurs ancestrales : jeunesse massacrée au Vietnam, mensonges politiques du Watergate, récents assassinats politiques (John Kennedy, Martin Luther-King), génocide historique des Indiens, chômage dû à la crise du pétrole – tous les cadavres ressortent du placard pour engendrer des monstres et tuer les jeunes vies. Le film rend compte de cette psychologie d’époque.

massacre a la tronconneuse seins nus

Mais il est difficile pour nous Européens d’entrer aujourd’hui dans ce jeu pervers où les bas instincts se défoulent, où la foule se fascine pour le morbide, où le Mal absolu sort vainqueur du pauvre bien – que l’on croit naïvement ambiant. Ce révélateur social yankee ne révèle rien de nous ; ce pour quoi nous l’appelons médiocre. Mais il rapporte des dollars et encore plus de temps de cerveau disponible ! Aujourd’hui les ados, déculturés par toute la génération post-68 adorent. Si ça vous dit…

Massacre à la tronçonneuse, 1974, version restaurée StudioCanal 2004, €19.00

Massacre à la tronçonneuse (remake plus soigné que l’original), blu-ray Metropolitan 2013, €19.71

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