
Décédé en 2017 à 92 ans, Jean-François Coatmeur, enseignant en lettres breton, est surtout l’auteur de romans policiers. Des croix sur la mer est son seul roman classique, où les croix font bien dans le titre, mais ne sont absolument pas représentatives du contenu. Inspiré d’un événement biographique brièvement relaté en préface, l’histoire laisse la religion accessoire. Il faut dire que l’auteur a subi les curés lors de ses études secondaires.
Sébastien Palu, le personnage principal, est infirmier « auxiliaire » après avoir entrepris des études de médecine, interrompues par la tuberculose. Puis la guerre est venue, la Seconde, l’effondrement de l’armée française « la plus puissante du monde », mais archaïque à cause des badernes qui la gouvernent ; toute la France est occupée, y compris un petit village breton qu’aucun Astérix ne défend, sauf quelques trop jeunes, exaltés de la dernière heure, au moment où les Allemands se replient.
Ils prennent des otages pour couvrir leur fuite. Ils sont sans cesse harcelés par les partisans, attaqués au coin de chaque bois. Ils raflent les villageois qui ont le malheur, ou plutôt la bêtise, de passer dans la rue, comme si de rien n’était. Or tout « est », justement, et les plus imbéciles se font pincer, au lieu de rester chez eux en attendant que la tempête vert de gris passe. Les soldats en fuite sont les plus dangereux, tout le monde le sait, ou devrait le deviner – mais non, il y a toujours des plus malins qui « croient » que…
En ce mois d’août 1944, la chaleur règne sur la Bretagne et les Américains repoussent l’armée allemande qui se replie en véhicules et tient les otages, dix-sept raflés parce qu’ils passaient par là. Dont Sébastien Palu, infirmier à ausweis, mais dont la soldatesque se fout comme de l’an 40. Heureusement, l’officier commandant est blessé à la cuisse et réclame un docteur. Palu en fait office, pansant sa plaie, pas bien grave car ni l’os ni les tendons ne sont atteints ; il suffit que la chair ne s’infecte pas. L’officier, un brin philosophe, garderait bien l’infirmier pour son repli, il peut toujours servir, mais le niais écoute l’appel d’un benêt qui est venu le chercher pour « soigner » sa mère soûlarde, une fois de plus beurrée à mort. C’est pour cela qu’il s’est fait pincer, en allant la secourir. Et le benêt en rajoute une couche en l’appelant à nouveau, pour lui cette fois, car il n’a pas su rester tranquille, il s’est fait salement tabasser. Une fois pansé, il croche la main de l’infirmier, ne veut pas qu’il le quitte. Et le niais cède – une fois de plus. Palu, au nom de maladie, n’est pas une personnalité forte, ni même sympathique.
Par d’incessants retours en arrière, l’auteur nous apprend qu’il a non seulement engrossé trop jeune la fille de hobereaux qui ont dû consentir au mariage, et l’ont méprisé, lui et sa famille, mais qu’il a échoué en médecine, pour cause de maladie, échoué à entrer dans la Résistance comme le cousin de sa femme, pour cause de faible santé, échoué à élever son fils Olivier, qu’il voit très peu, échoué à dire non au benêt inopportun, échoué à revenir auprès de l’officier allemand… En bref un « perdant » congénital.
De plus, cet être sans volonté, qui se laisse ballotter par le destin, a envisagé de dénoncer le jeune cousin fringuant, qui tringle sa femme en aparté. Il les a surpris en plein ébats lorsqu’il est revenu en vélo d’une tournée. Il s’est bien gardé d’apparaître et de jeter dehors le défonceur de chatte, faute de virilité. Avec ses 31 ans, il ne se sent pas de force contre un jeune homme en pleine vigueur de ses 18 ans. Il a donc écrit par vengeance de ressentiment une lettre de dénonciation à la Kommandantur, sur beau papier, toute en pleins et déliés tracés sur des lignes tirées à la règle. Comme si la maniaquerie du style compensait la lâcheté du procédé. Cette lettre, il a eu la faiblesse de ne pas l’envoyer, oh, pas pour de nobles motifs, mais par couardise d’avoir à en supporter les conséquences. Il a même eu la faiblesse ultime de ne pas la brûler, comme il en avait vaguement l’intention au moment où le benêt, au prénom inadéquat de Valentin, est venu gémir à sa porte pour le tanner de le suivre.
Lorsqu’il sait qu’il va être fusillé, comme les autres otages, les otages comme les partisans blessés pris sur le fait, cette lettre l’obsède. Il l’a enfermée à clé dans un tiroir, mais elle est intacte, et lui mort, elle survivra. Palu le cocu, connu de tout le village, sera vengé, mais dans le déshonneur d’avoir trahi un compatriote alors que l’ennemi est vaincu. Pas bien beau, comme souvenir pour le fils Olivier… Comme Marie, la putain des boches, passe pour donner de l’eau, il voit une sorte de double rachat en lui demandant, à voix basse, d’aller détruire cette lettre qu’elle trouvera dans le tiroir du bureau, dont la clé est dans le pot à tabac sur le meuble. Marie, qui a cédé trop facilement à l’argent allemand pour soigner son vieux père irascible, fera une bonne action, et lui Palu sera soulagé de gommer sa succession d’erreurs et de faiblesses.
Tout cela est pitoyable, pas tragique, même si la mort est au bout. L’auteur n’est pas un bon romancier car il privilégie trop, comme dans les romans policiers, le fil du récit à la profondeur des personnages, et il ne brosse les décors qu’avec un excès d’adjectifs. Malgré le « prix », donné pour motifs régionalistes, le livre reste de série B. Il se lit – et s’oublie.

Le roman a fait l’objet en 2001 d’un téléfilm de Luc Béraud, édité en DVD pour 9,99 euros. Il est probablement meilleur que le livre – une fois n’est pas coutume.
Prix Bretagne 1992
Jean-François Coatmeur, Des croix sur la mer, 1991, Presses Pocket 1993, 215 pages, occasion €3,64, e-book Kindle €5,49
DVD Des croix sur la mer, Luc Béraud, 2001, avec Laurent Malet, Isabelle Renauld, Marie Guillard, Jérôme Pouly, Stéphane Brel, LCJ Editions & Productions 2014, 1h35, €9,90
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