Articles tagués : etats-unis

Ready Player One de Steven Spielberg

Wade Owen Watts (Tye Sheridan) n’est pas encore né, il ne naîtra qu’en 2027. Mais, en 2049, orphelin depuis longtemps, il vit à 22 ans dans un taudis à Columbus (Ohio) avec sa tante qui l’a recueilli et le beauf macho qui est son compagnon. La société s’est effondrée avec la crise énergétique et climatique, et la société américaine « développée » s’est réfugiée dans l’illusion. La « réalité » virtuelle a remplacé la réalité tout court, tout comme les fausses vérités de Trompe remplacent dès aujiourd’hui la vérité réelle.

C’est ainsi que des petits génies de la tech, James Donovan Halliday (Mark Rylance) et Ogden Morrow (Simon Pegg), ont créé la société Gregarious Games – et fait fortune. Halliday est un inadapté social qui a voulu que l’Oasis remplace le monde réel où il se sentait mal. Il a inventé un système mondial de jeu vidéo multijoueurs, accessible par des casques de réalité virtuelle, des gants et des combinaisons qui simulent les sensations tactiles depuis chez soi dans son taudis. Dans ce métavers idéal, chacun compense ses frustrations dans la vie réelle. Une « bonne » façon (américaine) de se faire un max de fric avec la solitude et la psychopathie créée par le système économique où l’homme est un loup pour l’homme.

D’ailleurs, la compétition est ici encore encouragée. Halliday ne quitte pas le système américain lorsqu’il propose dans une vidéo, à sa mort en 2040, de « donner » les actions de son entreprise à celui ou celle qui parviendra à « gagner » (à l’américaine, où tous les coups sont évidemment permis) l’easter egg (œuf de Pâques) caché dans l’Oasis. Le gagnant des trois clés permettant d’ouvrir le coffre de l’œuf aura 500 milliards de $ et les pleins pouvoirs sur le jeu. De quoi devenir Maître du monde, même s’il n’est que virtuel.

Depuis cinq ans, rien. Nul n’a réussi à avancer dans le concours. Wade, sous son avatar de Parzival (le Perceval de la Quête du Graal) qui le magnifie en blond à la coiffure proliférante et aux yeux bleu clair, le corps tatoué de partout sous son tee-shirt noir et veste de jean sans manches ornée d’une épée d’or dans le dos, décide de devenir lui aussi un chasse-œufs. Il se mesure aux Sixers de la société Innovative Online Industries (IOI) dirigée par Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn). Cet entrepreneur qui n’a rien inventé veut mettre la main sur l’Oasis en remportant le concours, pour maximiser les profits avec de la pub. Wade veut que le jeu reste libre. Deux conceptions du capitalisme américain : le fric ou le divertissement – on ne sort pas du système, mais le jeune Parzival est plus sympathique que le technocrate Nolan qui s’est créé un avatar de gros con musculeux bien que lent du cerveau. D’autant que Parzival n’a pas une armée d’experts à sa solde, comme le business man qui les fait bosser à des horaires d’esclave, mais quatre amis et son astuce. Toujours le mythe du Pionnier, seul contre la nature hostile.

Il échoue dans l’épreuve de la course automobile, où il retrouve son grand ami Aech (sous avatar super-mâle Terminator et qui se révélera être… la fille Helen – Lena Waithe) et la fameuse Artémis (déesse de la chasse) sous l’avatar d’une jeune rousse à moto (Olivia Cooke). Il se tourne alors vers les archives de la vie d’Halliday, un ensemble d’enregistrements vidéo reconstitués en réalité virtuelle, guidé par le Conservateur du Journal d’Halliday. Il découvre que le fondateur d’Oasis regrette certaines de ses décisions et aurait voulu revenir en arrière : voilà comment il faut gagner la course, non en se précipitant en avant, comme les jeunes loups avides du système capitaliste, mais en arrière, pour les devancer à la fin de la boucle… Être à contresens permet de ne pas penser comme la horde. C’est le secret du génie.

La première clé obtenue permet un indice. Artémis l’imite, suivie par Aech ainsi que Daito (en vrai Toshiro – Win Morisaki) et Sho (Philip Zhao), autres amis de Parzival dans le monde virtuel. Notez que le politiquement correct est respecté dans la répartition des races dans le monde réel : un Blanc, une Blanche, une Noire, un Japonais et un Chinois (lequel est un geek de 11 ans). L’indice est « un pas non franchi ». Ce serait le regret d’Halliday de ne jamais avoir embrassé Kira, laquelle s’est accouplée avec son partenaire Ogden Morrow. Il semble qu’Halliday n’ait jamais fait l’amour à une femme, d’où sa fuite dans le virtuel. Parzival gagne son pari sur le Conservateur, qui croyait que Kira était mentionnée plus d’une seule fois. L’avatar lui donne alors une pièce de 25 cents, qui aura un rôle crucial par la suite.

Sorrento veut alors éliminer ce redoutable concurrent qui arrive mieux que ses équipes de petits besogneux à se retrouver dans le jeu. Il envoie son mercenaire i-R0k (T. J. Miller) rechercher l’identité réelle de Parzival, lequel a la niaiserie de révéler son nom à Artémis qu’il connaît à peine, dans une boite (virtuelle) où Halliday a rencontré Kira. Écouté par i-ROk, l’amoureux se vend, et comme le bataillon de Sixers ne parvient pas à le dézinguer dans la boite, il fait sauter la pile où il habite, pulvérisant sa tante et son mec. Le père de Wade est mort endetté dans un Centre de fidélité de IOI et a été contraint de servir pour payer ses dettes. Aussi, lorsque Sorrento propose à Wade de travailler pour lui pour un très gros salaire avec bonus s’il gagne le concours, il refuse.

Capturé par Artémis – qui est dans la vraie vie la rebelle Samantha Cook – il rejoint Aech, Daito et Sho et tous comprennent que la seconde clé se trouve dans une simulation de l’hôtel Overlook de Shining, le film que Halliday voulait voir avec Kira. Artémis est capturée, Parzival s’évade et rejoint ses trois autres amis dans un fourgon postal anonyme. Ils préparent la troisième épreuve, qui est de jouer sur la console de jeu favorite d’Halliday, l’Atari 2600. Elle se trouve dans une forteresse gardée par IOI et protégée par une orbe magique. Wade parvient à pirater le fauteuil de jeu virtuel de Sorrento, assez stupide pour avoir laissé écrit sur un post-it ses mots de passe, et à délivrer Samantha enfermée dans une cage de l’usine à jeu. Parzival lance alors un appel au peuple, comme une cagnotte virtuelle, pour attaquer en masse la forteresse. Le combat faite rage, Daito lutte contre le Mecha-Godzilla de Sorrento et meurt en virtuel, Aech aussi en Géant de fer, ce qui permet à Parzival, Artémis et Sho de pénétrer la forteresse. Pour que Samantha puisse s’enfuir de l’IOI, Parzival tue son avatar Artémis. Elle est cueillie dans le fourgon d’Aech, mais ils sont poursuivis par F’Nale (Hannah John-Kamen), cheftaine implacable des Sixers – une véritable executive woman yankee.

Sorrento, vaincu, réinitialise le jeu par une bombe qui anéantit tous les avatars… sauf un : Parzival, grâce à sa pièce de 25 cents, possède une vie supplémentaire. Il joue alors à Adventure pour y trouver l’easter egg en trouvant la salle secrète du jeu, et la troisième clé. Il découvre alors un avatar d’Halliday qui lui donne à signer le contrat de cession de ses actions. Mais Parzival est un pur ; il se souvient que qu’Halliday a perdu son seul ami, son partenaire Morrow, avec ce genre de contrat. Il refuse alors de signer – et Halliday est content. Cette tentation du veau d’or était la dernière épreuve (les Yankees restent très bibliques, et Sipelberg très dans les codes).

Après une dernière course-poursuite dans la tradition d’Hollywood (la trilogie grosses bagarres, grosse course, grosse explosion, auquel le film de Spielberg sacrifie largement), le Wade du monde réel décide de partager le contrôle de l’Oasis, qu’il a gagné avec leur aide, avec ses quatre amis. Le Conservateur était l’avatar de Morrow et il offre ses services de consultant pour un salaire de 25 cents. Le jeu qui aurait pu devenir totalitaire reste démocratique… jusqu’aux Tromperies depuis. Les cinq amis prennent la décision saluée d’interdire l’accès au jeu aux Centres de fidélité d’IOI. Ils prennent aussi une liberté très impopulaire : l’Oasis sera fermé deux jours par semaine, les mardis et jeudis. Il faut parfois être impopulaire pour le bien du peuple. Les gens doivent prendre du temps pour vivre et aimer dans le monde réel.

Le film a plu aux ados par ses nombreuses références à la pop-culture comme à la culture geek des jeux vidéo, des super-héros, des films et des séries télé cultes. Un film rempli d’effets spéciaux et sans aucune scène que la pudibonderie croyante pourrait réprouver (à peine un seul baiser, à la fin). D’innombrables souvenirs des années 80, ses jeux vidiots, ses héros super – toute une génération du divertissement, biberonnée à Hollywood sous Mitterrand, qui nous donne ces politiciens minables d’aujourd’hui. La génération des bébés boum, ceux qui animaient les boums et et y baisaient à loisir (et pas avec les curés), selon la nomenclature Bayrou. Pas la mienne. Reste un film qui se regarde une fois. Un vestige d’époque.

DVD Ready Player One, Steven Spielberg, 2018, avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Warner Bros. Entertainment France 2018, anglais doublé français, allemand, italien, 2h18, €3,45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Trump en Mussolini

« Italia is back ! » aurait pu dire, en langue romaine, le Bouffon d’il y a un siècle. Il s’agissait, hier comme aujourd’hui, de la gloire de l’Empire, de l’autarcie du pays, de menacer les autres grâce aux gros canons, aux gros cuirassiers, aux avions innombrables… Trump n’est pas Mussolini, mais il lui ressemble beaucoup. Non par sa vie, le premier paysan pauvre et le second gosse de riche, mais par son tempérament : la brutalité et l’égoïsme narcissique. Plus on avance dans la lecture d’une biographie de Benito Mussolini, plus le parallèle avec Donald Trump saute aux yeux.

Trump change d’avis d’un jour à l’autre, tout aussi affirmatif et confiant dans ce qu’il dit. Il manie la brutalité en public comme moyen de pression. Zelenski en a fait l’expérience, en direct à la télévision depuis la Maison-Blanche. « Mussolini admet volontiers n’attacher que peu d’importance à la cohérence des idées et des opinions, mais la propagande n’en persiste pas moins à le représenter comme quelqu’un qui ne change jamais d’avis. Il sait l’impact de l’alternance entre la menace et la conciliation, cette aptitude à être, selon ses propres termes, « réactionnaire ou révolutionnaire », selon les circonstances. Il connaît aussi l’impact de la brusque violence et il est suffisamment illusionniste pour s’amuser à dérouter les multiples publics qu’il rencontre quotidiennement » p.146.

Trump sort une idée par jour, en général une provocation. Pour tenir en haleine ses partisans, électrisés de voir que le Chef agit – même si ce n’est qu’en paroles. Demain sera pire si on ne fait pas ce que je dis… « Il faut toujours savoir frapper l’imagination du public ; c’est en cela que réside le vrai secret de l’art de gouverner. En politique, il faut éviter de lasser ou de décevoir son public et, sans jamais perdre son pouvoir sur lui, maintenir le spectacle vivant, faire en sorte que les gens demeurent à leur fenêtre année après année, dans l’espoir angoissé de quelque grand événement apocalyptique » p.163.

Trump comme Mussolini a nommé ministres – exprès – des incapables ou des ignorants, pour montrer combien les élites étaient méprisables, et le « bon sens » popu le meilleur : Elise Stefanik, une America First, aux Nations Unies ; Robert Kennedy Jr, antivax et anti fluor Secrétaire à la Santé ; Lee Zeldin, pro-énergies fossiles à l’Agence américaine pour la protection de l’environnement ; John Ratcliffe, pro-russe, à la tête de la CIA ; Steven Witkoff, partenaire de golf et magnat de l’immobilier comme Envoyé spécial au Moyen Orient, Sean Duffy, ancien commentateur sportif, Secrétaire aux transports ; Linda McMahon, ex patronne de la fédération de catch comme ministre de l’éducation ; le fraudeur fiscal Charles Kushner ambassadeur des États-Unis en France… « Lorsqu’il s’agit de nommer un ministre, il reconnaît préférer un imbécile à quelqu’un de méritant et va parfois jusqu’à choisir de véritables escrocs » p.165.

Trump fait de la diplomatie de coups, pas de négociations – tout en affirmant haut et fort être grand maître incontesté de l’Art du Deal (un livre qu’il n’a pas écrit, seulement signé). Ainsi le Canada : au lieu de se rapprocher de son voisin pour faire avec lui une zone de libre-échange, il le taxe de droits de douanes iniques ; ainsi du Groenland : au lieu de se rapprocher de son allié danois et d’investir chez les Inuit, il braque tout le monde en usant du langage de la force, comme un impérialiste à l’ancienne. « Ses gestes spectaculaires servent à masquer son inefficacité et son absence de sens des réalités. Ils couvrent une incapacité à affronter les difficultés ou à prendre des décisions à un moment critique et lui permettent de dissimuler le fait qu’il préfère laisser aux événements le soin de dicter sa politique » p.168.

Trump croit que les relations internationales sont celles du vendeur face à l’acheteur : le coup de pied dans la porte pour sidérer et menacer, avant d’avancer ses arguments de vente. Tout ça pour la gloire. « L’Ukraine, je réglerai la question en 48h », fanfaronnait-il – sauf qu’il faut être deux pour négocier et, quand un Poutine ne veut rien entendre, comment fait-on ? On menace le maillon faible – sauf que lorsque ledit maillon résiste, comment fait-on ? On met de l’eau dans son bourbon… « A en croire ses propres explications, c’est délibérément qu’il cherche à confondre puis à apaiser ses adversaires en alternant tension et détente, emportement et raison. (…) Il est pratiquement prêt à signer n’importe quel accord international, sans se préoccuper de son contenu, pour autant que cela lui permette de se montrer un homme fort, décidé dans l’action » p.200.

Trump commence par menacer tout le monde avec le fracas d’un éléphant dans un magasin de porcelaines, avant de faire risette – car il ne veut pas la guerre – et d’attendre que le monde vienne voir ce que le monstre veut et lui offre quelque chose pour apaiser son courroux. Jusqu’à ce que le monde prenne la mesure de son impuissance mondiale de plus en plus avérée, et qu’il se détourne des rares leviers encore actionnables : le rôle de monnaie de réserve du dollar (remplacé par des tonnes d’or depuis peu), le « sans risque » des bons du Trésor américain (vendus massivement le 8 avril, d’où la volte-face immédiate de Trump après la réaction des marchés), le retrait des agences internationales d’aide et de santé (au profit immédiat de la Chine, pourtant grand rival), appui marqué à Netanyahou et à son gouvernement d’extrême-droite (qui braque les pays arabes de plus en plus, au détriment du rapprochement précédent contre l’Iran). « Il s’intéresse moins à la négociation en tant que moyen de résoudre des différends internationaux qu’à la création de tensions visant à effrayer les autres pays et à les forcer à acheter sa bienveillance » p.257.

Quant à la suite… on connaît la stratégie de Mussolini pour parvenir au pouvoir. Si Trump déclenchait une guerre avec le Canada, comme il le proclame, il pourrait instaurer l’état d’urgence aux Etats-Unis, et convoiter un troisième mandat sans respecter la Constitution, pas plus que Mussolini ne l’a fait…

Denis Mack Smith, Mussolini : a Biography, 1981, en anglais €24,03 – une traduction en français a paru chez Flammarion en 1985 mais n’est plus référencée.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Géopolitique, Livres, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un fauteuil pour deux de John Landis

La vieille histoire du Prince et du Pauvre, ici un riche courtier en matières premières, directeur chez Duke et Duke Commodity Brokers à Philadelphie, et un misérable arnaqueur de rue. Ils font l’objet du pari entre deux businessmen sûrs de leur réussite, les frères Mortimer et Randolph Duke (Ralph Bellamy et Don Ameche), patrons de Louis. Ils prennent la « liberté » de les utiliser comme cobayes pour voir ce qu’il sort de l’inversion des rôles : les gènes ou l’environnement ? Vaste débat dans l’Amérique des self-made men. Réussit-on parce que l’on est WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ou parce que l’on est immergé dans un milieu favorable ? Pour l’un des Duke (duc en français…), c’est l’évidence : « un Nègre apprend à voler avant de savoir marcher » ; pour l’autre, pas sûr, il suffit d’expérimenter. Tant pis pour la dignité humaine.

Louis Winthorpe troisième du nom (Dan Aykroyd) est sorti d’Harvard et exerce de façon talentueuse son métier de prévisionniste sur les matières premières ; il compte épouser Pénélope (Kristin Holby), la petite nièce de ses patrons, avec leur bénédiction. Billy Ray Valentine (Eddie Murphy) est un Noir pauvre qui joue les vétérans du Vietnam, faux aveugle et faux cul de jatte sur les trottoirs en plein hiver. Que se passerait-il si le premier était déshonoré aux yeux de sa classe, le club conservateur The Heritage, chassé de la boite, accusé de vol et de trafic d’héroïne, ses comptes bloqués et sans argent, mis en prison, embrassé devant sa fiancée par une pute nommée Ophélie (Jamie Lee Curtis) payée par l’employé Beeks (Paul Gleason) ? Réussirait-il par sa valeur génétique à surmonter cette déchéance du sort ? A l’inverse, comment le nègre Valentine, lavé, brossé, costumé, argenté, réussirait-il dans le job de directeur à la place de Louis ? Qu’est-ce qu’un « gagnant » ? Celui qui profite des conditions favorables ou qui réussit grâce à ses dons innés ?

La ficelle est grosse et le début est conforme aux préjugés : Louis se noie dans la pauvreté, toute son armure sociale craque, de son costume volé par ses codétenus, à ses cartes de crédit qui lui sont confisquées, ses « amis » qui le méprisent ouvertement, son majordome Coleman (Denholm Elliott) qui feint sur ordre de ne pas le connaître, malgré qu’il en ait, jusqu’à sa fiancée qui ne veut plus le voir. Malgré son arrogance, Louis n’est pas seul. Ophélie, payée cent dollars pour l’embrasser, se prend de pitié pour l’oisillon déplumé jeté du nid ; elle le recueille chez elle et lui avoue sa profession. Elle est pute indépendante, sur rendez-vous, pour se payer une retraite à 40 ans – une vraie entreprise. Au vu de ses mains, blanches et manucurées, elle croit Louis lorsqu’il dit être l’objet d’un complot pour le rabaisser à rien. Elle veut l’aider à s’en sortir.

La suite est moins conforme aux préventions sociales : le nègre Billy s’en sort très bien. Il a la tchatche, le bon sens populaire et la faculté d’adaptation qu’il faut pour se couler dans le costard taillé à sa mesure. Il fait gagner de l’argent aux Duke en supputant que les cuisses de porc devraient baisser parce que c’est Noël, et remonter ensuite, une fois les fêtes passées. Louis s’introduit dans la société lors du pot de Noël pour discréditer son rival Billy, mais se fait surprendre et chasser. Pari gagné pour Randolph : c’est bien le milieu qui compte, pas l’hérédité. Les deux frères se congratulent en se lavant les mains aux toilettes, sans savoir que Billy est dans un cabinet, en train de fumer une clope de haschisch que Louis a mis dans son tiroir pour le faire accuser. Le « nègre » s’aperçoit qu’il n’est qu’un objet entre les mains des Duke et qu’ils vont le virer après les fêtes puisqu’il n’a pas sa place dans cette société de courtages, blanche et respectable.

Dès lors, Billy va rejoindre Louis en suivant son bus dans un taxi jusque chez Ophélie, pour lui révéler le complot contre eux deux, et envisager la façon de se venger. Après avoir écarté le coup de fusil, qui mènerait en prison, quoi de mieux que de ruiner les financiers ? Pour cela monter un coup de délit d’initié, comme les Duke savent le faire – et Louis aussi, à leur bonne école. Billy sait que les Duke attendent que leur employé fantôme Beeks, qui ne figure pas dans la liste mais reçoit un copieux chèque chaque mois, doit voler une copie du rapport confidentiel sur la production mensuelle d’oranges aux États-Unis, pour le ministère de l’Agriculture. Ils s’arrangent pour monter dans le même train que Beeks avec Ophélie et Coleman, le majordome de Louis, lui subtiliser sa valise d’attaché et remplacer le rapport par un autre qui dit l’inverse. La récolte a été bonne et le cours doit baisser, mais ils font croire que la récolte a été mauvaise, ce qui fera immanquablement monter les cours. La scène dans le train est désopilante, faisant même intervenir un gorille, une sorte de sous-nègre de caricature, qui va jouer son rôle lui aussi à la perfection… et une certaine « humanité ».

La bourse des matières premières était alors dans le World Trade Center, les tours jumelles que les Arabes ont fait sauter en y jetant deux avions bourrés de passagers. Mais nous sommes sous Reagan, et les Arabes se tiennent tranquille. C’est l’effervescence sur le parquet : le rapport va bientôt tomber sur les écrans et les spéculations vont bon train. Les Duke font acheter force contrats à terme, croyant pouvoir les revendre largement au-dessus du cours d’ouverture de 102 $ ; Louis et Billy, qui ont rassemblé toutes les économies de Coleman, d’Ophélie et d’eux-mêmes, se positionnent en vendeurs à découvert, pour les racheter lorsque le cours se sera effondré. La vente à découvert est quand vous n’avez pas les titres et que vous les vendez d’abord ; vous devrez les racheter avant la clôture du marché. Opération réussie : ce qui valait 102 $ à l’ouverture est monté jusqu’à 129 $, avant de clôturer à 29 $. Une belle plus-value : la différence entre la vente vers les plus hauts et le rachat vers les plus bas. Les Duke ont perdu 394 millions de dollars qu’ils doivent couvrir immédiatement, selon le règlement de la Bourse. Ils ne peuvent pas, ils sont ruinés ; leurs biens personnels seront donc saisis en plus de leur office. Randolph en fait une crise cardiaque.

Louis, Billy, Ophélie et Coleman sont désormais riches et, selon les conventions du temps, passent des vacances sur une plage tropicale des îles Vierges à boire des cocktails, à manger du crabe et à naviguer en yacht. Louis n’épousera pas Pénélope mais plutôt Ophélie, il ne travaillera plus chez Duke et Duke qui a fait faillite, mais profitera de sa fortune – peut-être pour monter quelque chose avec ses associés Billy et Coleman ?

Gros succès dû aux acteurs, au parti-pris de comédie, mais aussi au jeu de « qui est riche ». Vu l’époque, les blagues racistes sont en nombre, ce qui ne plaît pas aux wokes d’aujourd’hui. On ne dit plus nègre, ni noir, ni black, il paraît qu’il faut dire désormais « nwar » – où s’arrêtera la stupidité sociale ? Mais on rigole, ce qui devrait plaire à tout le monde. D’ailleurs, le terme « nègre », employé à tout va, est réhabilité par Billy et même par le gorille : ces « sous-Blancs » montrent qu’ils sont aussi talentueux que les vrais Blancs ; il suffit des circonstances.

Tout le monde, dans cette société américaine, est dans le paraître. Chacun est déguisé et, pour la société, l’habit fait le moine, pas ce qu’il y a entre les oreilles. Mais c’est bien le soi qui crée la réussite réelle, pas le costume. Même la pute montre qu’elle n’est pas qu’un objet sexuel à la Marilyn, mais capable d’humanité ; même le majordome, formaté bourgeois conforme, montre qu’il n’apprécie pas la trahison des patrons. Au fond, le « rêve américain » est ouvert à tous – à condition de révéler ce qu’on est en vrai.

Un film intelligent – ce n’est pas si courant chez les Yankees.

DVD Un fauteuil pour deux (Trading Places), John Landis, 1983, avec Dan Aykroyd, Eddie Murphy, Ralph Bellamy, Don Ameche, Denholm Elliott, Paramount Pictures France 2007, 1h52, doublé anglais, français, €39,68

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Beetlejuice de Tim Burton

Un film horrifico-comique qui nargue « la Mort » par la dérision ; une bouffonnerie adaptée à la mentalité yankee. Un jeune couple un peu niais occupe leur maison du bonheur américain, îlot isolé près d’un village campagnard de Nouvelle Angleterre. En revenant d’une course, la femme veut éviter un chien qui passait par là et défonce le tunnel en bois qui protège du pourrissement de la pluie un pont en bois sur la rivière. Après avoir hésité, la voiture chute à l’envers et les deux jeunes se noient. Le chien, qui faisait contrepoids, avait quitté la planche qui maintenait l’équilibre…

Adam (Alec Baldwin) et Barbara (Geena Davis) se réveillent chez eux, mais ne peuvent en sortir, ils sont devenus des fantômes. Personne ne peut les voir. En lisant le Manuel des récents défunts, découvert sur leur table après leur décès, le couple sait comment accéder à l’après-vie. Adam dessine à la craie une porte sur le mur de briques. Dehors, il y a le désert, et un gigantesque ver des sables (comme dans Dune), qui cherche à dévorer tout ce qui bouge. C’est l’enfer. Ce monde éternel est une immense bureaucratie où les morts ont des conseillers… qui leur conseillent de gérer eux-mêmes (à l’américaine) leur non-vie au-delà. Ils sont condamnés à hanter leur maison durant 125 ans, dit Junon (Sylvia Sidney), leur guide d’au-delà.

Le lieu ne tarde pas à être vendu et c’est un couple new-yorkais, Charles (Jeffrey Jones) et Delia (Catherine O’Hara) qui emménagent avec force meubles design et sculptures de l’épouse. Car Charles a fait fortune avant son surmenage qui l’a conduit à cette campagne, et sa seconde femme se pique d’être artiste. Ils amènent avec eux la fille du premier mariage de Charles, Lydia (Winona Ryder, 17 ans au tournage), une ado gothique qui s’habille de noir, se maquille en noir, voit tout en noir. Sauf qu’elle peut voir les fantômes, puisque c’est dans sa croyance. Adam et Barbara ne tardent pas à s’en faire une alliée, après avoir vainement tenté de condamner la porte du grenier où ils se sont réfugiés. En utilisant les draps coûteux du nouveau couple, ils se déguisent en fantômes. Ainsi Lydia les photographie car, si l’on peut voir les draps, ils n’ont pas de pieds. Elle montre les photos à ses parents, qui ne croient pas aux fantômes.

Otho (Glenn Shadix) le décorateur qui accompagne le couple est aussi snob qu’eux et veut tout redécorer en contemporain, murs mauves, salle de bain vert pré, meubles nouveaux. C’est l’horreur. La quotidienne, pas la surnaturelle. Pour se venger et tenter de les faire quitter la maison, Adam et Barbara vont se déguiser en monstres – sans effet puisqu’on ne les voit pas – puis tenter, sur les conseils de la conseillère d’au-delà rencontrée en enfer, de faire bouger les choses, s’envoler les draps, et ainsi de suite. Rien n’y fait chez les sceptiques.

En désespoir de cause, le couple décide de faire appel à Beetlejuice (Michael Keaton), qui fait sa pub à la télé (ah, l’attraction commerciale de « la télé » dans les foyers yankees !). Junon leur a déconseillé, c’est son ex-assistant qui a mal tourné et qui se veut « bio-exorciste ». Mais l’attrait du défendu est irrésistible pour Barbara (ornière très biblique de la mentalité yankee), et elle taraude son Adam de faire ce qu’elle désire. Ils l’invoquent en prononçant trois fois son nom, le délivrent de sa tombe au cimetière maquette qu’Adam a constitué dans le grenier (en gamin jamais grandi). Beetlejuice se révèle grossier, esbroufeur, capable de tout – en bref un gamin de 2 ans égoïste et vantard, un Trump aux cheveux en pétard et au déguisement de clown. Son nom signifie jus de scarabée et d’ailleurs il en croque, lorsque de tels insectes passent à sa portée.

Beetlejuice réussit quelques « tours » pendables, faire danser les invités malgré eux, leur précipiter à la gueule leur cocktail de crevettes comme autant de doigts, faire apparaître un serpent sadique, les faire s’envoler au plafond… Mais les snobs « adorent » ça, c’est tellement tendance. On comprend aujourd’hui pourquoi les Ricains ont voté Trump ! Charles pense même à en faire de l’argent, une attraction touristique, pas moins. Otho conduit une séance de spiritisme avec le manuel pour prouver à l’associé investisseur de Charles que la maison est vraiment hantée. Otho a découvert le Manuel pour récents décédés et le lit avec application. Pour faire apparaître Adam et Barbara, qui ne veulent pas devenir clowns à touristes, il prononce un exorcisme à l’aide des vêtements de mariage laissés dans l’armoire – tout ce qui reste des biens terrestres, le reste ayant été donné à l’Armée du salut (on jette volontiers, chez les gaspilleurs yankees). Le sort fonctionne et les costumes reprennent vie, se regonflent des corps revenus d’au-delà. Mais la décomposition est accélérée.

Lydia demande alors l’aide de Beetlejuice, qui boude d’avoir été chassé. Mais pour agir dans ce monde sans être invoqué – comme pour obtneir la nationalité américaine – il lui faut épouser quelqu’un. Ce sera donc Lydia, qui a l’âge nubile. Elle accepte pour sauver ses amis, sans penser qu’ils sont déjà morts et que rien de pire ne peut encore leur arriver. Tout le monde est convié au « mariage » mais Adam, Barbara comme Lydia cherchent par mille tours à le retarder. Finalement, le ver des sables survient, par la porte ouverte sur l’au-delà par Barbara, et dévore Beetlejuice. Ouf ! L’ado qui voulait mourir est sauvée et les fantômes deviennent de quasi parents, palliant le manque d’attention de ses parents juridiques. Ils l’aident aux devoirs, écoutent ses peines de cœur, tandis que les snobs vivent leur vie en laissant Adam et Barbara tranquilles. Quant à Beetlejuice, il se retrouve dans la salle d’attente de l’enfer, où il tente de piquer le ticket mieux placé d’un sorcier réducteur de têtes. Qui la lui réduit derechef. Il n’avait déjà pas tant que ça de cerveau…

Un bon divertissement typiquement américain, avec hantise de l’au-delà, bouffonneries de salon et situations perverses – sans jamais parler de sexe. Recette du succès : ne jamais ennuyer et tout de suite passer à autre chose. On rit.

Mais la technique des effets spéciaux a remplacé l’atmosphère psychologique des films noirs qui prennent trop la tête. Il n’y a ni histoire, ni personnages, seulement un script d’un quart de page (comment faire déloger les gêneurs) et des êtres plats de carte à jouer (l’Eve menée par ses désirs, l’Adam niaiseux qui suit comme un toutou, l’Artiste snobissime méconnue, l’homme d’affaire surmené qui ne pense qu’au fric, le « décorateur » gras et inverti qui se croit un « goût » supérieur…). Une débauche de « moyens », est-ce mieux que la subtilité pour faire rire ?

Oscar des meilleurs maquillages 1989

Saturn Award du meilleur film d’horreur 1990

Tim Burton a donné une suite en 2024, Beetlejuice Beetlejuice.

DVD Beetlejuice, Tim Burton, 1988, avec Michael Keaton, Alec Baldwin, Geena Davis, Winona Ryder, Catherine O’Hara, Warner Bros. Entertainment France 1999, français, italien, anglais, 1h32, €7,45, Blu-ray €7,60

DVD Beetlejuice 1 et 2, Warner Bros. Entertainment France 2025, doublé français, allemand, néerlandais, 3h13, €24,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Destination finale 3 de James Wong

Après l’accident d’avion et le carambolage sur autoroute, voici les montagnes russes du parc d’attraction. Wendy l’héroïne (Mary Elizabeth Winstead) et ses amis lycéens de 17 ans, fêtent la fin de l’année scolaire dans un parc de loisirs américain classique. L’attraction principale est The Devil’s Flight, le vol du Diable, où une statue rouge vif ricanante incite les ados à venir transgresser la peur et les tabous religieux pour se faire jouir. C’est un gigantesque cercle roulant (roller coaster), un défi à la gravité, avec tous les excès à l’américaine : plus grand que grand, plus spectaculaire que solide, plus effrayant que tout.

Et le Diable s’en mêle, autrement dit la Mort, le tueur en série de la série des films Destination finale. Le script ne dépare pas des précédents : une fille a un pressentiment, elle « voit » avant de partir l’échafaudage des montagnes russes se démantibuler et ses amis se faire éjecter, écrabouiller, sectionner… en bref, du grand art qui cloue au fauteuil au premier quart d’heure. Le reste paraîtra plus fade.

Évidemment Wendy panique et quitte l’attraction in extremis, moquée par tous et jetée dehors par les appariteurs en colère. Son petit ami Jason reste, ainsi que la petite amie de Kevin (qui voulait d’ailleurs le larguer). Ils seront tués, leur fierté obstinée leur sera fatale. Wendy gâche le spectacle, péché suprême après « le mensonge » dans les comportements sociaux yankee. Sauf qu’elle a vu juste. Tout s’écroule dans un concert d’étincelles et de bruits discordants. Ceux qui sont restés sont tués. Il y a sept survivants, ceux qui sont sortis à temps. Ceux-là vont inévitablement mourir, dans l’ordre de leur place, comme précédemment. Wendy, qui a pris des photos avec l’appareil numérique du lycée pour faire un compte-rendu de la fête, étudie chaque portrait, cherchant à y déceler des signes annonçant leur fin. Cela afin de déjouer la Mort au dernier moment.

C’est trop tard pour les deux mijaurées snobinardes du lycée, qui ne pensent que fringues, bronzage et sucreries pour parader devant les jeunes mâles – sans en accepter aucun (ce serait mauvais pour leur teint). Égoïstes comme des ados gâtées, elles n’en font qu’à leur tête et le lit à U.V. leur sera fatal. C’est une suite de circonstances imprévues qui aboutit à ce qu’elles grillent tout vif, à poil au four pour se faire « belles ». Le Diable devrait apprécier ces poulettes apportées toutes rôties.

Pour les autres, ce sera un camion lâché sans conducteur, une presse de musculation, un pistolet à clous, les feux d’artifice, un cheval emballé, un mât de drapeau, une catastrophe de métro : à chaque fois l’impéritie des hommes face à la technique qui leur échappe. Sans parler des vantardises des garçons comme des filles, qui défient la Mort par orgueil de jeunesse et hubris yankee. Que peut-il arriver à la jeunesse la plus saine du pays le plus puissant du monde, en avance sur tout le monde en économie et en technique ? Eh bien… tout. Comme les autres. Plus que les autres peut-être, puisqu’ils défient sans cesse les lois physiques et les lois morales.

Se regarde, mais pas le meilleur de la série.

DVD Destination finale 3 (Final Destination 3), James Wong, 2006, avec Mary Elizabeth Winstead, Ryan Merriman, Kris Lemche, Alexz Johnson, Sam Easton, Metropolitan Film & Video 2006, 1h29, anglais doublé français + st, €3,99, Blu-ray 2012 €22,59

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les films précédents :

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Bobby d’Emilio Estevez

Évocation de l’espérance Kennedy, en la personne du frère Robert dit Bobby (Dave Fraunces), sénateur démocrate en campagne aux primaires pour la présidentielle de 1968. Le 5 juin, il est assassiné lui aussi, à l’hôtel Ambassador de Los Angeles où il prononçait un discours.

Le film vaut pour les stars qu’il accumule, on appelle ça un « film choral », grand mot du jargon pour dire mosaïque, autrement dit éclaté façon puzzle… Le spectacle est trop long, afin de donner à chacune des pas moins de 22 vedettes ses dix petites minutes de gloire dans la première partie. Le réalisateur aurait pu amputer une demi-heure de bavasseries futiles des débuts pour renforcer son message. C’est dommage, car le thème de l’espérance messianique qu’incarne les Kennedy fut réelle, et elle est bien rendue dans le restant du film. Elle me rappelle l’engouement pour John Kennedy bien sûr, mais aussi celle pour Barack Obama et celle – inversée – pour Donald Trump 2. Ce genre de messianisme charismatique des politiciens fait beaucoup de déçus dans la durée, mais il transporte sur le moment.

Aucun rôle principal pour incarner l’espérance, si ce n’est Bobby lui-même, déjà fantôme sur pellicule enregistrée, d’autant qu’on connaît sa fin. Aucun des personnages du film n’est d’ailleurs vrai, tous ont été inventés, sauf le cuisinier latino qui tient la tête de Bobby abattu. Mais l’époque est bien rendue car, si tous étaient différents, tous étaient frappés de la même espérance. John Casey (Anthony Hopkins), le portier d’hôtel à la retraite qui passe ses journées dans le hall à jouer aux échecs avec son ami pré-alzheimer Nelson (Harry Belafonte) et qui n’a jamais vu ça ; Diane (Lindsay Lohan), qui épouse son ami William (Elijah Wood) dans l’espoir que le mariage lui permettra d’être envoyé sur une base militaire en Allemagne plutôt qu’au Vietnam ; Virginia Fallon (Demi Moore), une chanteuse vieillissante devenue lentement alcoolique parce que sa carrière décline ; Miriam Ebbers (Sharon Stone), une esthéticienne qui travaille dans le salon de l’hôtel, et son mari Paul (William H. Macy), le directeur de l’hôtel, qui a une liaison avec la standardiste Angela (Heather Graham) ; l’acheteur d’hôtel pour les aliments et boissons Daryl Timmons (Christian Slater), licencié pour ne pas avoir autorisé noirs et latinos à quitter leurs portes pour voter aux primaires ; le sous-chef afro-américain Edward Robinson (Laurence Fishburne) et les serveurs américano-mexicain José (Freddy Rodriguez) et Miguel (Jacob Vargas) ; Susan (Mary Elizabeth Winstead) la serveuse du café de l’hôtel ; Jimmy (Brian Geraghty) et Cooper (Shia LaBeouf) volontaires Kennedy qui sèchent la campagne, avides d’essayer un trip d’acide pour être « stone » avec le dealer hippie Fisher (Ashton Kutcher) – et peut-être coucher ensemble, inhibitions levées, puisqu’on les voit un moment tout nu ; les mondains mariés et donateurs de la campagne Samantha (Helen Hunt) et Jack (Martin Sheen) ; le directeur de campagne Wade (Joshua Jackson) et son collaborateur pressenti secrétaire d’État aux transports Dwayne (Nick Cannon), lequel est amoureux de la collègue d’Angela, Patricia (Joy Bryant) ; enfin la journaliste tchécoslovaque Lenka Janáčková (Svetlana Metkina), qui se dit « socialiste, pas communiste », et veut obtenir une interview avec Bobby Kennedy.

Elle ne l’aura pas : Sirhan Sirhan, un Palestinien, lui tire plusieurs balles alors qu’il sort après son discours par les cuisines ; trois l’atteignent et il décèdera vingt-six heures plus tard au Good Samaritan Hospital. Samantha, Daryl, Cooper, Jimmy et William sont blessés par balles avant que le tireur ne soit maîtrisé. Le tueur sera condamné à mort, peine commuée en prison à vie – il est toujours derrière les barreaux, ses demandes de libération étant toutes rejetées, la dernière en 2023.

Des scènes d’actualité de l’époque, notamment des discours de Bobby Kennedy, sont intercalées avec bonheur pour souligner les propos des comédiens. Dommage là encore que la voix off moraliste use les nerfs du spectateur par son lamento interminable de fin.

Shiran Shiran accusait les Kennedy d’avoir livré des avions de chasse à Israël, mais était-ce la vraie raison ? Les résistances conservatrices aux changements de la société américaine étaient fortes en 1968, aussi fortes qu’aujourd’hui, un demi-siècle et deux générations plus tard, avec la radicalisation de droite trumpiste. La guerre du Vietnam était de plus en plus impopulaire, sans buts stratégiques clairs pour les Américains, et inégalitaire car les riches et les étudiants pouvaient y échapper. La déségrégation portée par la Cour suprême avait ouvert les écoles publiques aux non-Blancs par l’arrêt l’arrêt Brown v. Board of Education. Le mouvement des droits civiques était exalté par Malcolm X, assassiné en février 1965, le Ku Klux Klan multipliait les attentats racistes. Malgré cela, le Civil Rights Act et le Voting Rights Act furent adoptés et promulgués en juillet 1964 et août 1965, Lyndon Johnson poursuivait la politique de John Kennedy, voule par la majorité sociale, tout en annonçant qu’il ne se représentait pas à la présidentielle – il avait trop peur pour sa peau. Il n’est pas exclu que Shiran ait été poussé par des ultra-droitiers, dans la lignée de l’assassinat de John Kennedy. Le film n’en dit rien, se contentant de chanter le paradis perdu. Malgré le troisième candidat Wallace, et en l’absence de Bob Kennedy assassiné, ce sera le républicain Richard Nixon qui sera élu. On sait comment il finira lamentablement, lors de son second mandat, par espionnage interne et mensonges dans l’affaire du Watergate.

Malgré les chansons de Stevie Wonder, Marvin Gaye, The Miracles ou Simon et Garfunkel, le propos de l’espérance politique est noyé dans les scénettes de vedettes au début et la moraline sirupeuse de la fin. Une belle idée, gâchée par trop vouloir en faire.

DVD Bobby Kennedy, Emilio Estevez, 2006, avec Harry Belafonte, Joy Bryant, Nick Cannon, Emilio Estevez, Laurence Fishburne, Brian Geraghty, ‎TF1 Studio 2007, vo anglais doublé français + st, 1h52, €4,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le village des damnés de John Carpenter

Pas de damnés dans ce film, mais des enfants nés le même jour d’une étrange façon. Dans le village isolé de Midwich, deux mille âmes, des femmes rêvent d’être enceintes. Lors d’une fête communautaire, tout le monde tombe évanoui dans un cercle restreint, durant six heures précisément, comme après le passage d’un nuage empoisonné. Mais tous ceux qui ne se sont pas crashés dans leur bagnole, ou grillés en tombant sur le barbecue, ou noyés dans leur bain, se réveillent comme si de rien n’était.

Sauf que quelque chose est : les femmes en âge se retrouvent enceintes, parfois même la mère et la fille en même temps (au moins 16 ans pour la décence). L’une reste vierge (justifiant Marie), une autre est fidèle et n’a pas baisé avec son mari en déplacement, une troisième ne pouvait pas avoir d’enfant selon la Science. Alors ? Parthénogenèse auto-suggestive ? Expérience secrète de la CIA (elle en a fait d’autres) ? Viol collectif sans consentement après sédation comme à Mazan ? Ce serait trop facile, ou plutôt trop rationnel. Ici la queue de l’homme n’a pas mis le pied, c’est probablement venu du « ciel », ce n’est que suggéré.

Les enfants sont nés, ils étaient dix, comme dans le roman agathachristique et le film qui en a été tiré – sauf qu’une est morte-née, laissant orphelin un petit David (Thomas Dekker), « fils » de l’ami du docteur, explosé dans sa voiture lors du nuage. Il n’en restait que neuf, tous blonds aryens, dont un non-accouplé. Car chacun a sa chacune, comme si c’était programmé (ça l’est). La grande executive arrogante du FBI, le docteur épidémiologiste Suzanne Verner (Kirstie Alley), autopsie le cadavre du bébé fille : elle est clairement extraterrestre, du genre E.T. yeux fendus à l’asiatique, air mongolien – tous les fantasmes du péril japonais en ce début des années 1990 où les États-Unis se sentaient dépossédés de leur industrie et de leurs savoir-faire jusque dans le cinéma par les Nippons en mal de puissance.

Les mères sont incitées à choisir, « mais » à garder leur bébé grâce à une allocation d’État pour que « les services » (secrets) puissent étudier l’évolution de « leurs pouvoirs ». Car ils sont très clairement « anormaux », hors des normes. Très vite en effet, les enfants montrent leur intelligence ; ils montrent aussi qu’ils n’ont aucune empathie, ne ressentent aucune émotion. De parfaits nazis ou kamikazes, seule leur survie compte et qui les menace ou leur fait du mal, même par inadvertance, doit le payer. « La vie est une lutte impitoyable où le plus fort gagne », dit Mara la fillette (Lindsay Haun), leur cheftaine. Leurs yeux s’allument alors, en vert pour prendre le contrôle de l’humain comme se plonger le bras dans l’eau bouillante, ou en rouge pour tuer, comme s’empaler sur un balais en tombant d’un toit où l’on est monté de force, en retournant le fusil contre soi, ou en brûlant avec la torche censée faire un bûcher de sorcières de ces êtres maléfiques. Car le pasteur l’a dit, les humains sont à l’image de Dieu, ils ne sont pas purs esprits (n’y a-t-il pas contradiction ? Dieu, justement, n’est-il pas pur esprit ?). « Donc » être « parfait » ne signifie-t-il pas être « diabolique » ? Loin de leur vraie « nature » divine (encore une contradiction) ?

Les adultes, qui devraient représenter l’ordre et la sécurité, sont dépassés par ces êtres plus intelligents qu’eux. Ils les élèvent à part, dans une école pour eux seuls, où ils se rendent sagement en rang deux par deux, comme des robots écoliers (l’idéal des profs…). Les autres gamins ont été éloignés, on n’en voit plus un seul. De morts en morts adultes, par faux suicides ou folies diverses, les autorités décident d’en finir une fois pour toutes, ce qui est fait dans d’autres pays qui ont connus le même phénomène – et qui n’ont pas les scrupules biblico-humanistes des Yankees imbibés de foi chrétienne. Bien que le pasteur vise au fusil à lunette la belle Mara, il hésite trop longtemps avant d’appuyer sur la détente ; trois enfants sont derrière lui qui captent son attention, le fusillent de leurs yeux rouges et lui font tirer dans sa propre tête. Un essaim de flics toutes sirènes hurlantes et camions de l’armée déboulent pour les éliminer comme des rats, mais les enfants, qui ont établi domicile dans une grange au bord du village en attendant de grandir suffisamment pour « essaimer », mettent leurs yeux en batterie devant la horde bien armée, qui finit par se tirer dessus sans laisser un seul humain belliqueux en vie.

C’est le docteur (Christopher Reeve) qui va trouver la solution. Car, s’ils lisent dans les pensées les plus secrètes, les enfants le respectent car il ne les considère pas comme des monstres. Il a aussi une personnalité plus forte que les autres, mes Américains moyens de la cambrousse. Il peut d’élever un mur mental contre l’intrusion télépathique. Du moins pendant un temps… Le veuf de sa moitié, le gamin David, qui ressent quelques émotions mais reste soudé à la horde de ses semblables comme un bon petit Coréen du nord, sera le seul sauvé. Je ne vous dis pas comment, ce serait dévoiler le suspense insoutenable des secondes qui s’égrènent lentement à la pendule.

John Carpenter reprend le film britannique de Wolf Rilla 1960, lui-même adapté du roman The Midwich Cuckoos (Les coucous de Midwich) de John Wyndham paru en 1957. Un film pas très bon mais qui se laisse regarder, intéressant surtout par le contraste entre l’humanisme chrétien du Yankee moyen opposé à l’implacable logique cybernétique de la perfection incarnée.

DVD Le village des damnés (Village of the Damned), John Carpenter, 1995, avec Christopher Reeve, Kirstie Alley, Linda Kozlowski, Michael Paré, Mark Hamill, Elephant films 2023 anglais ou français, 1h35, €16,90

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les films de John Carpenter déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Cinéma, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Destination finale de James Wong

Premier d’une série de six films de série B par des réalisateurs différents qui ont pour thème « la Mort », comme si elle était un personnage : la Mort veut, la Mort a un plan, on peut déjouer la Mort… C’est flippant (un peu), débile (pas mal), ado (surtout). D’où son relatif succès juste après la hantise du Big Bug du millénaire (qui, comme l’ignorent les primaires, n’a commencé en vrai qu’au 1er janvier 2001).

Alex Browning (Devon Sawa) est un lycéen de 17 ans new-yorkais (et un acteur de 22 ans). Sa classe de 40 part en voyage en France en Boeing 747. Alex est fils unique, gros nez et bouche presque toujours ouverte, ce qui lui donne un air niais. Il a un « meilleur ami », Tod Waggner (Chad E. Donella), un rival, Carter Horton (Kerr Smith), mais pas de petite amie. C’est le jeune américain moyen, pas très futé ni fini.

A-t-il jamais pris l’avion ? Il regarde la face du 747 par la baie vitrée de l’aéroport et il ne l’aime pas. L’engin a un air obtus comme un Marine décérébré par l’entraînement. Il craint vaguement quelque chose, il hésite, ses copains doivent le pousser dans le dos pour qu’il avance. Dans le Boeing, deux filles lui demandent s’il veut bien échanger sa place pour qu’elles soient ensembles. Il veut bien, malgré son copain qui voulait en draguer une et qui gesticule pour qu’il dise non. Il s’installe à la place qu’il squatte et là, un cauchemar commence.

Il voit l’avion secoué, prendre feu, exploser. Lorsqu’on le houspille, il se réveille, transpirant, paniqué. Il crie que tout le monde doit sortir, s’attirant la hargne de son rival qui lui flanque un coup de poing. Comme les deux ados se battent, ils sont expulsés de l’avion et le commandant refuse de les reprendre. Ils sont suivis par leurs amis respectifs, Tod pour Alex, Terry Chaney (Amanda Detmer) la petite-amie de Carter, et Billy Hitchcock (Seann William Scott). Les suit une fille qu’il ne connaît pas, ne lui ayant jamais parlé sauf pour lui ramasser un guide de Paris, qui s’ouvre sur une photo prémonitoire : celle du crash de la Mercedes de la princesse Diana. Claire Rivers (Ali Larter), au prénom de cousin du Prophète, va devenir sa future petite-amie. Une prof les accompagne, puisqu’ils sont mineurs, Valérie Lewton (Kristen Cloke), tandis que tous les autres reprennent place dans l’avion.

Personne ne croit Alex, se moquant de son don de voyance – ce qui est classique pour préparer le suspense. Carter le provoque à nouveau et ils s’empoignent dans l’aéroport avant qu’à 21 h 40 ce 13 mai 2000, soit quinze minutes après le décollage, le vol 180 prenne feu et explose, tuant les 287 passagers, dont les lycéens. Carter regarde bizarrement Alex mais se calme d’un coup, tandis qu’Ali le regarde aussi, mais différemment.

Deux agents impassibles du FBI surgissent, ils veulent savoir pourquoi Alex savait. Ils le soupçonnent d’avoir quelque chose à voir avec cette explosion mais changent d’avis au bout de quelques jours. L’ado rentre dans sa famille, qui n’a pas l’air plus paniquée que cela. Ses parents ne le questionnent pas sur sa vision.

Mais Alex est obsédé par son cauchemar et par la réalité qui a suivi. Trente-neuf jours plus tard, après une cérémonie du souvenir au lycée, Alex apprend que Tod vient de se « suicider » tout habillé dans sa baignoire. Il n’y croit pas. Tod et lui avaient décidé de se revoir dès que possible pour penser à autre chose. Il joint Ali et ils décident d’aller voir le corps de Tod à la morgue pour être sûrs. Ils s’introduisent par le toit et découvrent les lacérations multiples sur le cou de l’adolescent, qui montrent qu’il a résisté et n’a donc pas péri volontairement. Le croque-mort qui les surprend, William Bludworth (Tony Todd) au teint funèbre comme il se doit, explique qu’ils ont déjoué la Mort et qu’elle prend sa revanche un à un sur ceux qui devaient mourir dans l’avion.

L’intérêt du film réside dans la reconstitution méticuleuse et séquencée des micro événements qui ont conduit Tod et la prof à mourir, avec ses fausses pistes et ses vrais ratages.

L’ado pieds nus sur le carrelage dérape dans du shampoing répandu insidieusement, tombe dans la baignoire où il n’a rien pour se rattraper, tandis que le fil à linge s’enroule autour de son cou et qu’il ne peut atteindre la paire de ciseaux salvatrice, posée non loin de lui. Laq prof, en femelle toute émotion, se fait un mug de thé mais sursaute en constatant que c’est le mug du lycée, un endroit honni qu’elle veut quitter au plus vite. Lorsqu’elle se reprend, c’est pour le remplir de vodka glacée avec supplément glaçons. Ce qui a pour effet de fendre le mug et de faire fuir le liquide. Elle le pose évidemment, en conne américaine-type qui fait n’importe quoi sans penser une seconde, sur l’écran taille large de son ordinateur branché, lequel court-circuite et enflamme l’alcool, ce qui la fait reculer, glisser dans la flaque quelle a créé en jetant le thé, tomber en se rattrapant à une serviette qu’elle a posé sur un pack de couteaux de cuisine, lesquels s’empressent de la transpercer de part en part tandis que la maison prend feu de partout (le genre de maison yankee en contreplaqué inflammable) et finit par exploser (comme s’il y avait de la dynamite dans la cave – mais c’est pour Hollywood).

En suivant un reportage télé, Alex « découvre » le plan de la Mort, qu’elle applique comme un ordinateur sans âme : elle « prend » dans l’ordre tous ceux qui sont sur sa liste, en sautant ceux qui la déjouent, volontairement ou par hasard. Alex « prévoit » donc que le prochain être humain à mourir devrait être la prof. Il se précipite chez elle, mais elle appelle les flics, voyant en lui « le Diable » – une façon bien américaine de dénier le réel en accusant un personnage imaginaire.

La suite est de la même eau. Carter en rogne, c’est congénital chez lui, dérape sa voiture et renverse Billy à vélo, mais ce n’est pas son heure. Il stoppe devant Alex et Ali qui boivent un café en terrasse. Il veut le cogner mais Terry sa copine s’interpose ; elle le quitte puisqu’il ne pense qu’à ça et pas à « ça » qu’elle voudrait bien qu’on lui fit. En reculant, un bus qui passait par là par hasard la happe et s’en est fait de cette autre survivante.

Ceux qui restent se réunissent et Carter apprend qu’il est le prochain sur la liste, ce qu’il refuse. Il veut mourir quand il le choisira, pas avant. Il fonce donc en bagnole (le permis est dès 16 ans dans certains États) mais ne réussit pas à emboutir une autre voiture aux feux et stops qu’il grille, ni un lourd camion qui surgit devant lui et que son copain assis à côté de lui évite en tournant le volant. Par dépit d’ado psycho-rigide, il arrête sa caisse en plein milieu d’une voie ferrée, sur un passage à niveau qui annonce l’arrivée imminente d’un train. Billy, Ali et Alex sortent de la voiture mais Carter y reste. Lorsqu’il voit la Mort arriver, il veut s’en sortir mais sa ceinture se bloque, ce qu’Alex avait « vu » dans un flash. Il se précipite pour l’aider et, in extremis comme il se doit, réussit l’opération. Tandis que l’auto est emportée par la loco, les ados roulent sur le bas-côté. Billy invective Carter debout, le dos tourné au train qui passe à toute allure, et est décapité par un morceau de tôle éjecté par les roues.

Les agents du FBI traquent Alex, toujours là où des morts se produisent, mais il leur échappe tant qu’il le peut. La prochaine sur la liste est Claire qui le cache dans une cabane, et il doit la prévenir. Mais elle se met en mauvaise posture en laissant fuir un bidon d’essence tandis qu’un orage effrayant éclate qui fait hurler le chien. Au lieu de le laisser et de se tenir tranquille, elle va le rejoindre dehors, alors qu’un câble électrique coupé, frappé par l’éclair, se tord comme un serpent dans des jaillissements hollywoodiens d’étincelles (comme dans le film Tremblement de terre). La maison prend feu et elle se réfugie dans la voiture, qu’elle cherche à sortir du garage. Alex surgit pour la prévenir et lui demande de rester où elle est, protégée par les pneus isolants. Sauf que l’essence répandue du bidon attaque la voiture et que la porte est – évidemment – coincée…

Trois mois plus tard, ils sont trois rescapés de l’avion – qui prennent l’avion… pour Paris. Buvant une bière en terrasse (ce que les fanatiques de l’islam détestent), ils se disent qu’ils ont déjoué la Mort. Mais celle-ci n’a pas dit son dernier mot. C’est Alex qui est visé mais Ali le sauve en l’appelant au dernier instant, tandis qu’un bus qu’il n’avait pas vu le frôle en faisant une embardée qui va décrocher une enseigne au néon où figure le chiffre 180 – le numéro du vol maudit -, laquelle s’écrase sur…

Vous saurez tout en visionnant le film. 17 ans est la fin de l’innocence, de la naïveté envers la vie – donc de la mort. Celle-ci est programmée et nul n’est éternel, contrairement à ce que croient les enfants. A chacun d’affronter son destin et les ados mûrissent brusquement lorsqu’ils s’en rendent compte. La moindre chose anodine de la vie de tous les jours peut se transformer en instrument mortel : un fil à linge, une tasse, un banal ordinateur, un déchet de métal, un bus. De quoi flipper – et réfléchir à vivre au mieux le jour présent. Il peut être le dernier…

DVD Destination finale, James Wong, 2000, avec Devon Sawa, Ali Larter, Kerr Smith, Kristen Cloke, Daniel Roebuck, Metropolitan Films video 2001, 1h34, neuf en français et anglais €4,00, ou édition prestige €20,43, ou Blu-ray français et anglais €12,99

DVD coffret 5 films Destination finale 1 à 5, Blu-ray €39,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Comment voler un million de dollars de William Wyler

Nicole (Audrey Hepburn) est la fille unique d’un riche héritier parisien dont la passion est la peinture. Il possède une belle collection, commencée par son père et qu’il a poursuivie. Surtout, il réalise des faux de génie que les collectionneurs cherchent à tout prix à lui acheter comme des vrais. C’est toujours la même histoire de la « fausseté ». Le fétichisme du « nom » fait le prix, alors que ce devrait être plutôt la qualité de l’œuvre. Mais « la loi » est faite ainsi qu’elle défend la propriété et les affaires plus que la beauté et le plaisir.

Un faux Monet réalisé par le grand-père est exposé dans une rétrospective d’art moderne au musée parisien (imaginaire) Kléber-Lafayette, dans le quartier très protégé de l’Élysée. Son directeur, Monsieur Grammont (Fernand Gravey), qui prépare la prochaine exposition, demande à Charles Bonnet, père de Nicole et collectionneur français réputé (Hugh Griffith), de lui prêter la Vénus dite « de Benvenuto Cellini » qu’il a chez lui. Bonnet accepte, au grand dam de sa fille Nicole qui sait qu’il s’agit d’un faux, réalisé par son grand-père qui a pris pour modèle sa grand-mère. Mais c’est l’illusion qui compte et elle ne peut rien faire, quoiqu’elle cherche la moindre faille pour tenter de casser l’œuvre avant qu’elle ne soit emballée pour le musée et emportée, escortée d’une armada de flics dans leur cube Citroën et leur Dauphine Renault pie. Le directeur roule évidemment en DS Citroën noire, la voiture de luxe à la française des années 60.

Le soir, alors que son père est parti à l’inauguration de l’exposition et qu’elle n’a pas voulu voir ça, elle lit dans sa chambre un Hitchcock Magazine. Elle entend du bruit et surprend un cambrioleur qui a prélevé un peu de peinture et décroché le faux Van Gogh que son père vient d’achever en imitant à la perfection la signature de Vincent. Le bandit est bel homme et gentleman (Peter O’Toole). Elle le menace avec un vieux pistolet pris sur une panoplie au mur, ignorant qu’il est chargé. Le coup part et blesse légèrement au bras l’homme aux yeux très bleus. Séduit par la belle, il fait semblant d’avoir mal pour qu’elle le soigne, puis de ne pouvoir remuer le bras pour qu’elle le reconduise « chez lui ». Le cambrioleur roule en Jaguar type E, la voiture de sport fétiche des années 60, et loge au Ritz, l’hôtel le plus cossu de la capitale. Nicole ne peut le dénoncer sans que la police cherche à en savoir plus sur le Van Gogh, et elle est elle-même séduite par la prestance du jeune homme.

Le lendemain, un assureur (Edward Malin) se présente à la villa des Bonnet. Il faut signer le contrat pour la Vénus prêtée, évaluée à un million de dollars. Il n’entrera en vigueur qu’après expertise, c’est la règle. Effondrés, le père et la fille s’aperçoivent que la supercherie va bientôt être dénoncée par les experts mandatés. Qu’à cela ne tienne, Nicole appelle au téléphone le beau cambrioleur pour qu’elle l’aide à voler son propre bien dans le musée où il est exposé.

Déjà amoureux, Simon Dermott la reçoit au café du Ritz où se mènent nombre d’affaires (encore aujourd’hui, j’en fus témoin). Devant un scotch, la boisson fétiche des années 60, Nicole lui expose sa volonté de voler ce qui lui appartient pour des motifs qui lui appartiennent, et lui demande de l’aider. Dermott accepte, à condition qu’il fasse tout ce qu’il lui ordonne. En spécialiste, il va rôder dans l’exposition, examiner les cachettes possibles, le plan pour désactiver l’alarme, le chemin de sortie. Chacun a ses règles, c’est l’un des charmes du film.

Ils se laissent enfermer le soir dans l’exposition en se cachant dans un placard à balais. Un gardien, dans sa ronde, s’aperçoit que la porte du réduit n’est pas fermée à clé et regarde dedans avant de verrouiller. Les deux qui se sont cachés ressurgissent et Dermott sort divers outils de sa poche, de sa cravate et de sa manche pour récupérer la clé et lui faire ouvrir la porte. C’est plutôt sophistiqué, un grand moment de suspense : l’aimant va décrocher la clé du tableau derrière le mur, lui fait suivre le chemin de la porte, le tout mesuré auparavant au mètre à ruban, la fait passer sous l’huisserie, puis ressortir par un fil car elle ne peut être actionnée que de l’extérieur. Tout un chemin symbolique et précis, comme la séduction amoureuse de l’homme pour la femme. La clé trouvera sa place dans la serrure et déverrouillera la porte, tout comme Simon trouvera sa place dans la vie et s’ajustera au corps de Nicole.

Pour l’alarme, il suffit de la déclencher plusieurs fois avec… un boomerang acheté dans le parc à un vendeur ambulant devant qui les gamins font la queue. L’alarme stridente affole les gardiens, fait venir fissa les flics en nombre et… réveille les pontes du gouvernement qui dorment dans le quartier. En fin psychologue, Dermott sait que le gardien-chef à moustaches (Jacques Marin) décidera que c’en est trop et qu’il va la désactiver. La seconde fois, il reçoit même un coup de fil courroucé du… président de la République ! Entre deux rondes, il suffit alors à Dermott d’attraper la statuette et son socle, de mettre à sa place la bouteille du gardien soûlographe (Moustache) planquée dans le seau à incendie. Pour la sortie, il déguise Nicole en femme de ménage et la fait suivre en brossant le sol à genoux les employées qui s’affairent de une à quatre heures du matin. Scène sexy où l’on peut contempler le postérieur de la belle, tendu par l’effort. Ils sortent par l’escalier repéré, lui déguisé en gardien, après un long baiser près de l’alarme remise qui stridule une troisième fois, mais trop tard.

Tous ces préparatifs sont l’objet de gags successifs concernant les gardiens sourcilleux mais stupides, les policiers qui viennent et reviennent en force et pour rien, dans un comique de répétition, la stupeur du gardien alcoolique de voir sa bouteille exposée comme une femme nue (l’alcool est sa maîtresse à lui).

Une fois la statuette récupérée, pas question qu’elle reparaisse. Elle n’a pu être assurée et il n’y a donc pas vol de la part de Bonnet. Dermott est avisé comme expert par un intermédiaire qui lui envoie un collectionneur américain très riche (Eli Wallach), désireux de l’acquérir si on la retrouve. Lequel collectionneur a persuadé Nicole de se fiancer avec lui, touché par sa ressemblance avec la statuette. Simon Dermott, qui s’avère non pas gentleman cambrioleur mais détective indépendant spécialisé dans les œuvres d’art et les systèmes de protection pour les musées et les assureurs, conclut un double deal. Il récupère la statue ni vu ni connu et la livre au collectionneur à condition qu’il en jouisse en privé sans jamais l’exposer ; et que ledit collectionneur ne revoie jamais, pour sa sécurité, sa fiancée Nicole.

Ce qui est réalisé sans heurt tant les yeux bleus dans le visage impassible sont persuasifs. Dermott convainc cependant Charles Bonnet de ne plus réaliser de faux et de ne pas se mettre en contravention avec la loi en vendant une œuvre. Jusqu’ici, il n’a fait que les prêter ou les montrer, mais il ne doit pas franchir les limites. Sauf qu’alors que les amoureux s’éloignent en Jaguar type E, se présente un sud-américain (Marcel Dalio) amoureux du Van Gogh et désireux de l’acquérir.

Une comédie bien tournée au charme malicieux, avec des acteurs fétiches des années 60, Audrey en robes Givenchy.

DVD Comment voler un million de dollars (How to Steal a Million), William Wyler, 1966, avec Audrey Hepburn, Peter O’Toole, Eli Wallach, Hugh Griffith, Charles Boyer, ‎ 20th Century Fox 2004, 1h58, €21,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Patricia Highsmith, Sur les pas de Ripley

Un soir, Tom Ripley va boire un café au bar de son village. Un jeune garçon d’environ 15 ans en veste de jean le dévisage ; la tenancière lui apprend que c’est un Américain qui parle français, employé depuis quelques jours comme jardinier chez une dame du village d’à côté. La situation est déjà étrange, en cette fin des années 70, mais elle l’est encore plus lorsque l’adolescent suit Ripley lorsqu’il rentre chez lui à pieds, suivant la route dans la nuit noire. Va-t-il l’agresser ? Non pas, le garçon se présente et lui révèle ce qu’il a appris de lui dans les journaux après l’affaire des faux Derwatt. Son père en possède un, ce pourquoi son nom a été évoqué à table ; il voulait le connaître.

Mais pourquoi le garçon est-il en France ? A-t-il fugué ? Pourquoi justement Ripley ? Pourquoi semble-t-il se cacher sous un faux nom, un faux passeport, un faux âge ? Piqué par la curiosité, et par un certain penchant amical, Ripley l’invite à prendre une bière chez lui avant de le ramener chez la dame qui l’emploie, et qui le loge dans un cabanon de son jardin en le payant 50 francs par jour. L’adolescent avoue ; il se fait appeler Billy mais il se nomme Franck. Il est parti de la vaste demeure de milliardaire où personne ne s’intéresse à personne sur un coup de tête, après la mort de son père, tombé en fauteuil roulant de la falaise au bout de la propriété, et alors que sa petite copine Teresa ne répondait pas au téléphone, toujours partie avec des amis.

Franck a eu un père qui s’est fait tout seul, devenu très riche et très connu à la tête d’un empire alimentaire. Il a 16 ans, même s’il fait plus jeune, et a emprunté le passeport de son frère Johnny qui en a 19 pour entrer en France. A cette époque pas si lointaine, les contrôles aux frontières ne sont pas très stricts et falsifier un passeport est plus aisé qu’aujourd’hui où tout est numérisé. Dans la rue de la dame qui emploie Billy, deux hommes en voiture partent lorsque l’auto de Ripley se gare ; ils ne veulent pas être reconnus. La vieille dame vient prévenir Billy qu’on l’a demandé à plusieurs reprises et que deux hommes vont revenir. Ripley engage alors Billy/Franck à faire sa valise et à venir résider chez lui, avant de retourner aux États-Unis.

Le garçon accepte, et c’est le début d’une relation presque filiale. Tom Ripley devient à la fois père de substitution (le précédent étant autoritaire et peu aimant) et maître pour son disciple (Franck est fasciné par la réputation trouble de Tom Ripley). A 16 ans, on se cherche un modèle, surtout lorsqu’on porte un secret trop lourd – et que votre seul amour (le premier, romantique, le plus fort) vous fait faux bond.

Franck s’attache aux pas de Tom et suit ses directives. Il cherche à tester son attachement en se cachant une fois pour voir si Tom est inquiet (il l’est) ; il lui fait un cadeau une autre fois pour le remercier de son attention (une robe de chambre en soie) ; il dîne avec lui, sort avec lui, dort avec lui deux fois dans le même lit ; se montre une fois nu en rejetant volontairement sa serviette dans la douche alors que Tom lui apporte un jean. En bref tout ce qu’un garçon normal fait avec un proche, sans jamais franchir les bords de la sensualité. Franck est en quête affective, et il rencontre un Tom en quête de transmettre, comme souvent les hommes en milieu de trentaine.

Il fallait un long développement touristique pour que le lecteur finisse par le comprendre, ce qui désoriente un peu car l’action se fait attendre. Mais c’est à Berlin, ville improbable, que Franck, éloigné deux minutes pour pisser dans le Grünewald, se fait enlever. Après des démêlés rocambolesques, Tom va s’investir physiquement pour le récupérer tout seul.

Dans ce Berlin interlope, où les jeux de sexe et de travestissements explosent, l’autrice joue aux limites. Tom est sexuellement abstinent comme on dit aujourd’hui, ne baisant sa femme Héloïse que quelques fois par an (elle aime ce qu’il lui fait et s’en contente). Mais il emmène Franck dans un bar à pédés, puis se travestit en femme pour le récupérer, le déshabille entièrement pour le coucher alors qu’il est dans les vapes, dort avec lui sur le même canapé-lit. A la parution du livre, c’est l’époque : ce piment sexuel attise la curiosité, sans franchir les bornes de la morale ni de la loi. Bien que Franck soit séduisant et même « mignon » à 16 ans (surtout, dit l’auteur, quand il dort tout nu), Tom ne manifeste aucun désir ; Franck se calque sur sa conduite et continue de rêver à Teresa qu’il a tenté de baiser une fois sans conclure, parce qu’elle a ri.

Une fois Franck récupéré, la rançon restituée, le garçon ne consent à être rapatrié aux États-Unis que si Tom l’accompagne. Sa mère n’est pas venue l’accueillir à l’arrivée, prise par la crise d’une vieille servante, ce qui montre ses priorités. Seul son frère aîné Johnny se préoccupe un peu de lui, mais en bon copain, sans affection particulière. Il lui balance même tout à trac que Teresa s’est mise avec un autre garçon plus âgé, qu’il lui a présenté. Franck se retrouve tout seul avec son secret, qu’il n’a franchement avoué qu’à Tom qui l’avait plus ou moins deviné. Mais Ripley n’est pas son père, ni un parent, seulement un ami d’aventures. Il semble même ne pas le vouloir et va repartir en France pour laisser Franck à son destin. Il aurait pu lui enseigner à recommencer à zéro, comme lui l’a fait, ce que demande Franck, mais il ne l’envisage pas un instant.

Il montre ainsi sa double face : ses capacités de chaleur humaine pour un plus jeune sont réelles, mais ne vont pas jusqu’à s’investir dans une tutelle durable. Franck aurait besoin de directives, de suivi, d’affection permanente. Ripley n’y songe même pas. D’où la chute finale du roman.

Patricia Highsmith, Sur les pas de Ripley (The Boy who Followed Ripley), 1980, Livre de poche 2002, 479 pages, €3.45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de Patricia Highsmith déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Starship Troopers de Paul Verhoeven

Un film de série B avec des acteurs de série B, mais qui est le genre de divertissement grand public dont raffolent les Yankees : discipline de l’armée, sauver le monde, bluette amoureuse, grands badaboums et débauche de munitions pour massacrer d’immondes aliens. Reste que ce n’est pas aussi nul.

L’histoire est tirée du roman Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers) de Robert A. Heinlein, paru en 1959. D’infects insectes « arachnides » (qui ressemblent plutôt à des mantes religieuses) partis d’une étoile lointaine envoient vers la Terre des astéroïdes emplis de parasites qui visent à éradiquer toute vie pour s’y installer à la place. Buenos Ayres, paradis du futur, est ainsi pulvérisée. La Fédération mondiale réunie à Genève mandate donc un «Sky marshall » pour élaborer une stratégie… qui échoue. Car c’est toujours la même chose, la stratégie yankee consiste à foncer en masse pour balancer un déluge de feu partout. Sauf que les petites bêtes se terrent dans les trous et ressurgissent là où on ne les attend pas.

Nouvelle stratégie, un peu moins primaire : essayer de comprendre les étrangers. Là, c’est mieux, on recherche « le nid », l’antre de « la reine ». Et « l’opération spéciale » – c’est dit comme ça bien avant le Putin – est enclenchée : la bonne planète, le bon endroit, la bonne tactique. Une planète à la fois, dans l’ordre. La bête, immonde limace à gros yeux multiples et bouche répugnante qui adore sucer les cerveaux des humains, est prise au filet. On va pouvoir « l’étudier » (avec des méthodes de camp nazi, mais la survie humaine est à ce prix).

Voilà pour la trame. S’y greffe une historiette vaguement amoureuse entre amis. Le capitaine de l’équipe de foot (américain) du lycée Johnny (Casper Van Dien) est « sous emprise » à la fois des valeurs patriotiques pour devenir « citoyen », véhiculées par son prof d’histoire et instruction civique (Michael Ironside), et de sa copine du moment Carmen (Denise Richards), bien meilleure en maths que lui. Son père voudrait qu’il intègre Harvard et reste « civil », sans les droits associés aux citoyens mais riche et en vie, alors que lui penche pour s’engager pour baiser Carmen, qui veut devenir pilote de vaisseau spatial. Il n’en a pas les capacités intellectuelles mais peut devenir « trooper », autrement dit biffin dans l’infanterie mobile. Belle gueule, corps d’athlète, il serait le « gendre idéal » s’il était un peu moins bovin. Carmen, qui s’éloigne en raison de sa formation, privilégie très vite sa carrière à son amourette et déclare qu’elle le quitte. La carrosserie musculaire ne suffit pas à son ambition ; elle préfère être en phase avec son coéquipier Zander (Patrick Muldoon), rival de Johnny au foot du lycée, qui a plus de cervelle. Elle masque son cruel égoïsme (tellement yankee) en arborant un sourire de Cadillac découvrant son râtelier étincelant, quasi d’une oreille à l’autre, qui pousse au baiser amoureux.

Dizzy est la fille délaissée, entichée du beau Johnny qui lui a préféré Carmen. Elle s’engage à sa suite et intrigue pour être dans son unité d’entraînement. Elle sait ce qu’elle veut et elle l’obtiendra car elle est forte, déjà en foot au lycée, mais le beau gosse ne le voit pas et elle donnera sa vie pour cela. Carl (Neil Patrick Harris) est l’intello de la bande ; avec Johnny et Carmen, il jure amitié éternelle avant de s’égayer après le lycée. Excellent en maths, il est le savant rationaliste par excellence, qui n’a pas froid aux yeux mais quitte toute humanité lorsqu’il s’agit de science. C’est lui qui déterminera que les aliens ne sont pas uniques et qu’il existe une hiérarchie comme chez les humains : les « scarabées des sables » ouvriers, les « cuirassés » armes incendiaires, les « criquets » appui aérien, les « guerriers » troupes au sol, les « plasmas » lutte antiaérienne et le « cerveau » qui est le général des infects. Il l’étudiera une fois capturé avec des procédés intrusifs. Carl est télépathe, ce qui lui permet à la fois le pire (il sait que la bête est « effrayée » et s’en réjouit) et le meilleur (il suggère à Johnny où se trouve Carmen en danger de mort). Il arbore d’ailleurs un long manteau noir de colonel SS. La hiérarchie des trois est fixée : Carl colonel, Carmen capitaine, Johnny caporal, puis lieutenant faute d’officier.

Les effets spéciaux sont plutôt réussis, notamment l’arrière-train des insectes « plasmas » qui envoient des décharges d’énergie vers le ciel, et les pattes des « guerriers » qui transpercent les poitrines des pauvres humains. A noter que la tactique militaire est lamentable : les soldats en troupeau, sans ordre et trop rapprochés, leur progression dans un canyon sans contrôler les hauteurs, leurs fusils ridicules face à des insectes géants, l’envoi de troupes sans protection aérienne… L’armée est bête, on le savait ; la bêtise est ici portée à son paroxysme.

Mais on l’aura (peut-être) compris, ce film est une caricature qui dénonce l’impérialisme yankee, le militarisme patriotard, la fausse égalité des armes (quand filles et garçons, Noirs et Blancs, prennent leur douche collective tout nu). Verhoeven aime la satire bien lourde pour dénoncer le fascisme partout, même celui américain de la trop bonne conscience. Avouons que ce n’est pas sur le moment, mais avec du recul, que l’on saisit son intention. Ce pourquoi le film n’est pas aussi mauvais qu’il en a l’apparence. Les acteurs trop lisses sont des cases vides qui représentent des « types » : l’athlète trop beau gosse qui fonce mais sans cerveau, l’ambitieuse allumeuse qui sacrifie tout à sa passion, le cerveau rationaliste qui perd tout affect. A chaque fois des humains incomplets. Sans parler des rôles sociaux : les parents intrusifs, le prof manipulateur, le sergent psychopathe, le Sky Marshall imbu de lui-même. Ou des médias : les actualités avec le « voulez-vous en savoir plus ? » à cliquer sur le net.

DVD Starship Troopers, Paul Verhoeven, 1997, avec Casper Van Dien, Dina Meyer, Denise Richards, Jake Busey, Michael Ironside, Touchstone Home Video 2001, 2h10, €4,90, Blu-ray €15,61

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les autres films de Paul Verhoeven déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Libéral, libertin, libertaire, ultra-libéral, libertarien – Partie 1

Tout est confondu et ce n’est pas nouveau. Dans un billet publié il y a 20 ans (déjà…), je tentais de clarifier le sens de ces mots que l’on voit surgir dans les débats comme des slogans pour nuire ou des étiquettes pour outrager. Car personne ne se réclame de l’un de ces qualificatifs, sauf peut-être Michel Onfray, mais c’est un rebelle de naissance contre l’Establishment. Combattons donc les fantasmes et les émotions véhiculées par ces mots et prenons conscience de leur sens.

D’où cette note en deux parties. Une aujourd’hui : libéral, libertin ; l’autre demain : libertaire, ultra-libéral, libertarien.

LIBÉRAL

Le libéralisme est né de l’exigence de libertés des Lumières. Apparu sous l’Ancien régime, autoritaire, de droit divin, patriarcal et soumis à la hiérarchie de l’Église, la philosophie libérale de Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Beaumarchais est tout entière contenue dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : liberté de penser, d’opinion, d’aller et venir, de croire ou non, de posséder et d’échanger… Les Lumières voulaient libérer l’être humain de ses déterminismes biologiques, religieux, nationaux, sociologiques, familiaux.

Au 19ème siècle, l’Angleterre industrielle et commerçante est porteuse de valeurs libérales, elle place la liberté de l’individu au cœur de sa politique, de son économie et, plus tard, du social. France, Royaume-Uni et États-Unis d’Amérique se sont constitués en « sociétés », en opposition aux « communautés » holistes que furent l’Allemagne de Bismarck puis de Hitler, le Japon militariste, l’URSS et aujourd’hui la Russie de Poutine, l’Inde de Modi ou le monde arabe islamique. Communauté ou société ? Sparte ou Athènes ?

Les sociétés reposent mythiquement sur un contrat (Locke, Rousseau). C’est leur projet social : au Royaume-Uni l’Habeas Corpus, en France ou en Suède la protection sociale, aux États-Unis la libre-entreprise su self made man, en Allemagne la cogestion. Leur régime est celui de la confrontation des opinions en libre débat dans les assemblées représentatives, avec assentiments réguliers du contrat par le vote. Elles vont bien lorsque l’optimisme règne.

Lorsque c’est moins le cas, elles se replient sur les communautés, organisation archaïque qui repose sur une unité mythique, celle du sang et du sol. Les sociétés communautaires sont organiques, elles se représentent comme un corps vivant qui assigne ses sujets aux traditions sans débat. L’unanimisme est requis, comme dans une foule, noyant les individus et leur pensée propre sous l’élan des déterminismes. Leur régime est de démocratie directe, « illibérale » car l’opposition et les contre-pouvoirs sont muselés (voire éradiqués comme sous Staline et Poutine). Le plébiscite est roi, désignant un dirigeant charismatique pour incarner le Peuple tout entier et le Pays dans sa tradition immobile.

Les pays communistes ont débuté comme des sociétés à contrat (celui de faire advenir le communisme), avant de virer démocratures puis dictatures sous la résistance du réel. Un homme providentiel, déifié par les masses comme Staline, Mao, Castro, a accentué le virage de la société à la communauté, se repliant sous la force du mal-développement en nationalisme. A noter que les pays soumis à la religion prennent la même pente : l’Inde de Modi, l’Iran des ayatollahs, la Turquie d’Erdogan, la Hongrie d’Orban ; Poutine voudrait faire de même en Russie largement laïcisée par 70 ans de communisme athée, et les cathos tradis en France rêvent d’un pays contre-révolutionnaire réunifié par l’Église.

Mûre avec les Lumières, cette conception des libertés vient peut-être d’Aristote (chez qui l’homme est un animal politique) opposé à Platon (à la république très aristocratique), du stoïcisme contre le césarisme romain, de Montaigne opposé aux guerres de religions. En tout cas, elle s’élève contre tous les dogmes, tous les fanatismes, toutes les contraintes de naissance, de croyance, d’apparence. Elle prône l’analyse lucide, le débat contradictoire, l’équilibre des intérêts en présence, la « décence commune » en guise de morale. Ni la religion ni l’État n’ont le droit de tout faire ni de tout décider. L’État est nécessaire, régulateur et garant du droit et de la sécurité, pour le reste, l’initiative individuelle et la responsabilité personnelle sont de mise.

Libre-arbitre et arts libéraux sont les soubassements de la citoyenneté et les libertés réelles ont pour préalable nécessaire les libertés formelles. Adam Smith, économiste philosophe qui a incarné ce courant libéral au XIXe siècle, est à la fois partisan du marché (La richesse des nations) et de la Théorie des sentiments moraux ; pour lui, l’économie n’est qu’un outil social. Keynes, après-guerre, définira un nouveau libéralisme tempéré par l’intervention publique quand nécessaire (mais pas à tout va comme les socialistes français l’ont traduit !)

Le libéralisme classique va bien au-delà de la réduction économique que lui ont concocté les Jacobins ou les colbertistes, les « alter » comme les souverainistes. C’est une conception du monde qui place la liberté de l’homme avant toute chose. Cette liberté n’est pas un état de nature qu’il faudrait conserver mais une disposition toujours à construire avec chaque enfant qui naît, un combat toujours à mener contre la tentation du privilège, de l’hégémonie, du volontarisme impatient et autoritaire.

LIBERTIN

D’où l’accusation de libertin que formulait volontiers l’Église, en réaction à ces libertés que prenaient les peu croyants ou les carrément athées en leur temps, les libre-penseurs à la Dom Juan de Molière ou les hédonistes à la Casanova ou Laclos. Libertins qui non seulement fleuretaient avec les femmes ou les mignons, au grand dam de la pruderie ecclésiastique, mais aussi professaient des opinions non conformes au canon exigé des « bonnes » mœurs. Les libertins sont contre le politiquement correct et contre la moraline petite-bourgeoise – ils sont pour la liberté de dire et de faire dans le cadre intime ce qu’ils désirent, avec pour limites la simple décence humaine (ne pas forcer, torturer, faire mal).

La propagande d’Église a associé la déviance de pensée à la déviance des mœurs, accusations aujourd’hui complaisamment reprises par toutes les sectes politiques ou féministes. Accuser quelqu’un de turpitudes sexuelles met le doute sur sa moralité donc sur sa pensée et ce qu’il dit en est désormais déconsidéré. « Cancel ! » hurlent les fanatiques.

A notre époque, l’Église était le Parti communiste (cela devient l’Écologisme). Le vocable « libertaire », porté par les anti-staliniens, fleure bon Mai 1968 et ses aspirations à sortir d’une société autoritaire au profit de la liberté individuelle de penser, de s’exprimer et de désirer. « Faites l’amour, pas la guerre », s’opposait à l’État présidé par un général autant qu’à une gauche dominée par le PC et l’idéologie communiste. Jouir sans entraves était préféré aux grandes manifs collectives où les esprits et les corps se perdaient dans le panurgisme des foules, habilement manipulées par les apparatchiks. Ceux qui se réclament de Mai 68 sont désormais d’une génération vieillissante et contestée pour machisme », « viols » et autres libertés prises avec le sexe. La pruderie et l’abstinence remontent. Tant pis pour le plaisir : il faut au contraire se châtier et expier la sur-consommation de la planète… J’y vois, comme Nietzsche, un symptôme de déclin de l’énergie vitale.

Catégories : Economie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Embrasse-moi idiot de Billy Wilder

Le titre, en américain comme en français, est la dernière réplique du film. Il se termine en happy end, comme il se doit. Entre temps, c’est le drame… désopilant. Chacun est dans son rôle et le joue jusqu’au bout – ce qui, aboutit à l’absurde. Lequel est, par son outrance, comique. Comme quoi le rire naît souvent de la caricature ; en faire trop provoque la moquerie car l’être humain présenté comme mécanique est en décalage.

Dans une petite ville perdue au bout du monde – et surtout loin de la grand route – Orville et Barney végètent dans leurs petites vies avec des idées de grandeur. Le premier (Ray Walston) donne des leçons de piano pour pas cher à un ado de 14 ans qui n’a aucune oreille mais qui commence à avoir la queue qui le démange. Le second (Cliff Osmond) est le garagiste station-service du village. Comme ils habitent l’un en face de l’autre, ils se réunissent pour créer des chansons. Barney compose les paroles, Orville les met en musique. Tous deux rêvent de succès, mais comment faire lorsqu’on habite un bled isolé ?

Le hasard, malicieux, va détourner le crooner de charme Dino (Dean Martin) de la route principale vers la petite route poussiéreuse et l’amener au village de Climax – dont le nom signifie ‘point culminant’ (plutôt drôle pour un bled paumé dans la grande plaine) mais aussi ‘orgasme’. Car il existe un bar à hôtesses pour routiers, le Belly Button (autrement dit le nombril), la seule chose qui les attire dans le coin. Les filles sont laides à faire peur mais exhibent leur ventre avec (pour contrer le code Hays de décence puritaine) un diamant (faux) dans le nombril. Elles servent des alcools, et plus si affinité. Celle qui a le plus de succès est Polly (Kim Novak), surnommée ‘Pistolet’ en américain pour son pouvoir de tir, et ‘Volcan’ en français, plus conforme au sens de bombe sexuelle.

Le hasard, malicieux, va détourner le crooner de charme Dino (Dean Martin) de la route principale vers la petite route poussiéreuse et l’amener au village de Climax – dont le nom signifie ‘point culminant’ (plutôt drôle pour un bled paumé dans la grande plaine) mais aussi ‘orgasme’. Car il existe un bar à hôtesses pour routiers, le Belly Button (autrement dit le nombril), la seule chose qui les attire dans le coin. Les filles sont laides à faire peur mais exhibent leur ventre avec (pour contrer le code Hays de décence puritaine) un diamant (faux) dans le nombril. Elles servent des alcools, et plus si affinité. Celle qui a le plus de succès est Polly (Kim Novak), surnommée ‘Pistolet’ en américain pour son pouvoir de tir, et ‘Volcan’ en français, plus conforme au sens de bombe sexuelle.

Barney, qui sert de l’essence dans la grosse auto blanche de l’artiste pressé qui doit rallier Los Angeles le lendemain, reconnaît sans peine la célébrité et incite Orville à lui faire la réclame de leurs chansons. Mais Dino en a vu d’autres, il est sans cesse sollicité par l’un ou par l’autre d’intervenir auprès des producteurs de radio ou des maisons de disque. La seule chose que peut le retenir est sa voiture – et Barney la sabote en coupant l’arrivée d’essence dans le carburateur – et les filles – car il ne peut passer une nuit sans décharger, au risque d’avoir la migraine le lendemain. Cette outrance sexuelle est déjà désopilante, ses conséquences psychosomatiques encore plus. Mais Barney, l’entrepreneur du duo, ne se démonte pas. Puisqu’il a pu retenir Dino à cause de sa voiture (dont il doit commander la pièce, etc.), il le confie à Orville pour l’accueillir la nuit.

Sauf qu’Orville est diablement jaloux. Sa femme Zelda (Felicia Farr) est trop belle pour lui et il n’en revient pas d’avoir pu la lever dans sa jeunesse. Après le jeune laitier (James Ward) qu’il soupçonne d’échanger des mots doux avec sa femme (lorsqu’il vérifie, il s’agit d’une commande de lait et de beurre), il a déjà molesté, arraché le tee-shirt et jeté dehors le « Lolita mâle » Johnny Mulligan (Tommy Nolan, 16 ans au tournage) qui vient d’offrir des fleurs à sa femme – à 14 ans ! Il ne veut surtout pas que Dino lui tourne autour, surtout qu’il est de notoriété publique que la star chavire les cœurs et que Zelda apprécie ses chansons. Barney décide alors Orville d’éloigner Zelda pour un jour ou deux, le temps que Dino reconnaisse le talent des compositeurs-interprètes. Mais comme Orville a annoncé qu’il va faire la connaissance de sa femme, il lui faut en trouver une à louer pour l’occasion. Deux missions désopilantes qui ne vont pas se passer comme prévu car les femmes sont autrement bâties que les hommes.

Afin d’éloigner Zelda, rien de tel qu’une bonne dispute pour l’inciter à retourner un temps chez sa mère, comme le font toutes les épouses qui en ont marre. Sauf que Zelda est toujours amoureuse de son Orville et qu’elle veut le lui prouver par une bonne baise en plein jour. Il y a urgence, Dino fait justement la sieste dans la chambre d’amis à côté. D’où un quiproquo dans la salle de bain communicante où Zelda prend Dino pour Orville et lui tapote les fesses au travers du rideau de douche. Dino est incité à en vouloir plus et Orville est forcé d’accentuer la dispute. Il critique sa femme, la mère, les souvenirs du mariage, du voyage de noces. Enfin ! Zelda prend son sac et sa voiture pour filer chez maman.

Quant à trouver une épouse de substitution, Barney a l’idée de payer la pute Polly pour jouer le rôle. Elle est bonne fille et ne crache pas sur les beaux billets, d’autant que baiser avec un Dino n’est pas donné tous les jours à tout le monde. Big Bertha la mère maquerelle accepte (une Barbara Pepper dûment choucroutée en blonde vaporeuse malgré ses formes informes). Barney enlève Polly dans sa dépanneuse pour dépanner Orville. Polly est ravie de jouer la ménagère plutôt que la serveuse, et d’exiger des égards plutôt que des avances. Dino est émoustillé et frustré, ce qui accentue son goût de rester et l’incite à prêter une oreille favorable aux chansons que lui inflige Orville. Après tout, elles ne sont pas si mal et il a besoin de rajeunir son répertoire qui commence sérieusement à battre de l’aile.

Tout va donc pour le mieux dans un climax euphorique pour tous lorsque Zelda revient plus tôt que prévu. Sa mère, une vieille bique acariâtre qui ne cesse de bavasser et de critiquer tout et tout le monde, ne cesse de lui reprocher son mariage, lui vantant tous les ex-prétendants qui, eux, ont réussi à gagner beaucoup d’argent et une position sociale. En bref, tout le discours assommant de la génération qui a vécu la guerre et qui ne comprend pas la propension à l’hédonisme et à l’individualisme des jeunes du baby boom. Nous sommes en 1964 et 1968 pointait déjà, il suffisait de humer l’air du temps.

C’est donc la catastrophe, l’écroulement des scénarios bien peaufinés, l’explosion du rêve de gloire. Zelda est outrée que son mari l’ait remplacée au pied levé par une pute. Elle quitte la maison une fois de plus mais ne peut retourner chez maman ; elle échoue donc au Belly Button, où elle se saoule consciencieusement. Big Bertha la fait porter dans la caravane de Polly, puisqu’elle n’est pas là. Dino, privé de femme parce qu’il a à peine pu sauter Polly qu’Orville revient et le fout dehors, pris de remords d’avoir exposé son épouse, va échouer lui aussi au Belly Button où il demande à un serveur s’il existe une serveuse un peu moins moche que les autres. Évidemment ! C’est Polly. D’ailleurs sa caravane est juste en face. Dino s’y rend et trouve Zelda, pas claire, qui se laisse sauter avec un certain plaisir. Il laisse en partant une grosse somme en billets.

Content, il récupère sa décapotable réparée le lendemain et file vers Los Angeles. Il va proposer les chansons des bouseux pour mettre un peu de sang neuf dans les productions. Orville a été convoqué par Zelda via Barney pour la rejoindre devant le cabinet d’un avocat pour une demande de divorce. Le trio est attiré par une vitrine où les gens sont collé aux écrans de télé qui diffusent Dino chantant. C’est justement l’une de leurs chansons ! Le rêve de gloire est arrivé puisque le crooner les cite nommément comme auteurs en public. Passe alors Polly qui, avec les 500 $ laissés à Zelda et que celle-ci lui a remis pour avoir joué son rôle, a pu s’acheter la voiture qui pourra tirer la caravane – et se tirer de ce trou ! Dérision en ultime pirouette : l’auto est une Fiat 500 minuscule et peu puissante, qui ne vaut d’occasion que 495 $, ainsi que l’indique l’étiquette collée sur le pare-brise.

De l’époux traditionnel au tombeur professionnel, de l’amoureuse ménagère à la pute au grand cœur et chaud vagin, les écarts à la norme donnent la mesure de ce qui était acceptable au milieu des années soixante du siècle dernier. La jalousie ne mène à rien, pas plus que la possession d’un soir. Un couple est une rencontre dans la durée. L’épouse comme la pute désirent et aiment ; elles peuvent interchanger leur rôle sans changer au fond. L’époux comme le tombeur désirent et aiment ; ils peuvent jouer divers rôles mais sans changer eux non plus au fond. L’american way of life de la pruderie puritaine est une stupidité que Billy Wilder conspue avec une insolence réjouissante : il s’agit avant tout d’aimer, et peu importe comment ! Quant aux médias de masse comme la radio, la télé ou le disque, ils apportent la révolution des mœurs jusque dans les campagnes perdues.

DVD Embrasse-moi, idiot (Kiss Me, Stupid), Billy Wilder, avec‎ Dean Martin, Kim Novak, Ray Walston, Felicia Farr, Cliff Osmond, Filmedia 2014, 1h59, €7,76

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Les Valeurs de la Famille Addams de Barry Sonnenfeld

La famille loufoque aux valeurs inversées refait surface après un premier opus très réussi. Morticia (Anjelica Huston) et Gomez (Raúl Juliá) ont un troisième enfant, un garçon prénommé Puberté (Kaitlyn et Kristen Hooper). La sœur aînée et le frère, Mercredi qui ne rit jamais (Christina Ricci – 12 ans) et Pugsley en lourdaud (Jimmy Workman – 12 ans), en sont naturellement jaloux, croyant que l’arrivée d’un nouvel enfant fera mourir l’un d’eux. Ils cherchent donc à le tuer, dans la meilleure tradition des aînés : ils le jettent du haut du toit, lui mettent le cou sous la guillotine, tentent de l’écraser d’une enclume. Mais rien ne fonctionne, le bébé déjoue tous les pièges en souriant sous sa (déjà) petite moustache.

Les parents veulent détourner leur attention en engageant une gouvernante mais les enfants les épuisent l’une après l’autre, jusqu’au jour où paraît Debbie (Joan Cusack), blonde cruelle et poitrine pigeonnante qui ne se laisse pas marcher sur ses hauts talons. Elle est connue dans le pays sous le nom de Veuve noire car elle a épuisé sous elle plusieurs maris, comme par hasard riches : un chirurgien, un sénateur… Sans jamais se faire prendre. Debbie n’est pas débile et, si elle reste dans le manoir lugubre avec ces gosses d’enfer, elle vise la fortune de l’oncle, prénommé Fétide (Christopher Lloyd) tant il est repoussant. Mais il a le coffre empli de titres, d’actions et d’obligations – et même une mine d’or.

Debbie veut convoler en justes noces avec le richard et, pour cela, se débarrasser des mômes qui la surveillent et percent son jeu. Elle intrigue auprès des parents pour leur faire croire que leurs rejetons veulent prendre un peu l’air, et les Addams mettent les deux préados dans un camp d’été pour gosses de riches. C’est l’enfer sous les bonnes intentions. Le film est tout entier dans l’inversion des valeurs : ce qui est « bien » s’avère très mal et ce qui paraît « mal » est nettement meilleur malgré les apparences. C’est ainsi que l’individualisme est honni dans le camp où toutes les petites filles entraînent tous les petits garçons (réputés moins avancés) à se soumettre aux règles de la camaraderie et du partage. On chante, on danse, on niaise. La seule activité sérieuse est le canoë, encore le canoë. Les deux animateurs sont des caricatures du politiquement correct et de l’optimisme de rigueur aux Yankees et le camp est perçu comme un camp de rééducation, voire de redressement. La « maison du bonheur » est le cachot, joli comme chez Disney, où les enfants punis sont isolés et nourris de films à l’eau de rose pour les faire réfléchir.

Ce qu’on ne peut empêcher, on le contourne. C’est ainsi que la tête pensante des rebelles, Mercredi, s’efforce de jouer le jeu pour mieux le subvertir. Elle accepte de jouer Pocahontas dans la scénette qu’a inventé le stupide animateur pour la fête du camp devant les parents. La chipie de service jouera naturellement la colon venue (en force) « partager » la dinde de Noël (piquée aux Indiens sur leur propre territoire). Mercredi à la tête de sa bande de nazes, tous les non WASP – blancs, anglo-saxons, protestants – déguisés en sauvages avec plumes sur la tête et torse nu sous le plastron, commence par réciter le texte puis déclame le sien : les gentils colons sont de méchants envahisseurs, le partage n’est que de la prédation déguisée, et ainsi de suite. Les « natifs » renversent la table, attachent la gentille colon au poteau et boutent le feu aux cabanes. Un grand moment d’anthologie.

Mercredi en profite pour séduire sans le vouloir un garçon juif qui préfère lire et que ses parents ont forcés à venir au camp s’initier à la sociabilité. Il sera invité au mariage de Fétide et Debbie, puis aux retrouvailles après que Debbie ait tenté de tuer par trois fois sans succès son encombrant mari très amoureux. A la question de savoir si une épouse peut aimer son époux, Mercredi avoue qu’elle chercherait à le tuer – mais sans se faire prendre. Tout est sens-dessous et c’est le ressort principal des gags. Un gentil divertissement.

DVD Les Valeurs de la Famille Addams (Addams Family Values), Barry Sonnenfeld, 1993, avec Anjelica Huston, Raul Julia, Christopher Lloyd, Joan Cusack, Christina Ricci, Paramount Pictures 2001, 1h30,  €9.99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Dune de David Lynch

L’univers de l’écrivain américain Franck Herbert est devenu au fil du temps une industrie qui exploite de nombreux produits dérivés, dont un film récent de Denis Villeneuve, tourné en juillet 2019. David Lynch a réalisé le premier long métrage en 1984, qu’a pu voir l’auteur du roman avant de mourir en 1986. Ce n’est pas un bon film bien qu’il y ait des scènes mémorables ; il fait trop Grand guignol, mais le réalisateur en a accusé la production qui exigeait de faire serré et commercial.

Je préfère la série des six romans aux films car l’imagination peut ainsi courir librement, sans être contrainte par les images. Mais la réalisation de David Lynch permet de cerner les thèmes du cycle, qui reviennent à la mode : l’empire tenu par le commerce, l’exploitation des planètes par l’humain sans souci du milieu, l’adaptation écologique des hommes de terrain qui veulent vivre libres (Fremen), le pouvoir charismatique d’un seul qui doit se mériter, le poison mais le lien offert par la religion, la puissance de la pensée orientée par le langage…

Ainsi l’éducation de Paul Atréides (un Kyle MacLachlan de 24 ans encore rose – 15 ans dans le roman) est-elle abordée de façon sommaire dans le film alors qu’elle est cruciale dans le cycle de Dune. A la fois son père le duc Leto (Jürgen Prochnow), qui le fait initier aux arts martiaux, au combat au couteau et à la stratégie, et sa mère dame Jessica (Francesca Annis), qui développe ses pouvoirs psychiques et sa résistance à la douleur (prana-bindu), contribuent également, chacun à sa façon, à la formation du jeune homme. Paul sera un adulte accompli qui connaîtra un destin de chef (et même de « dieu » dans le film) parce qu’il a eu une éducation poussée et équilibrée. Sa mère a désobéi aux révérendes mères Bene Gesserit qui contrôlent la génétique, pour donner un mâle à son mari. Paul lui est donc précieux autant qu’au duc. Elle donnera naissance à une fille sur la planète Dune, Alia (Alicia Witt), qui aura des pouvoirs psychiques étendus et finira par tuer le baron Harkonnen d’un coup d’aiguille empoisonnée.

Il se préoccupera des hommes plus que des matières premières qui font la richesse de Dune, comme son père, et nouera des relations immédiates avec les Fremen. Il est, comme eux, un Pionnier, un self-made boy, un leader. Mais, plutôt que d’exploiter et dominer, il mesure la production et associe les hommes. C’est ainsi que l’empire s’écroule – une leçon prémonitoire aux partisans d’un Trump égocentré sur America first et qui vise à transformer les Etats-Unis en nouvelle Afrique du sud de l’apartheid. Ce qui est un retour à… l’ère avant Kennedy, un programme réellement « réactionnaire ». Ce ne sont pas les légions de troupes spéciales Sardaukars aux ordres de l’empereur Shaddam IV (José Ferrer) qui vont gagner, mais la ruse des Fremen résistants aux exploiteurs. On peut penser au Vietnam et aux islamistes qui ont tenu en échec la plus grande puissance militaire par leurs initiatives au ras du terrain, fondées sur quelques hommes organisés qui bricolent avec ce qu’ils ont.

Psychologue junguien, Franck Herbert s’est intéressé aux pouvoirs de l’esprit, ancré dans les mythes culturels et sociaux et exprimé de façon particulière par le langage. Ainsi « la Voix » permet d’influencer l’interlocuteur sans qu’il s’en aperçoive, pouvoir Bene Gesserit développé par les femmes d’après les expériences tibétaines durant des millénaires. Mais elle permet aussi de focaliser sa conscience et sa force en un seul point pour détruire comme une arme les matières les plus dures, comme le karaté l’apprend avec les briques. Paul Atréides excelle dans cet Art étrange et l’apprend aux Fremen comme jadis les samouraïs l’apprenaient aux paysans pour se défendre. Ils l’appellent Muad’Dib, la « souris du désert », mais Usul de son nom secret, qui signifie « la force de la base du pilier ».

Le cycle de Dune se passe dans un futur lointain, en l’an 10191 après fondation de la Guilde spatiale. Les humains ont essaimé dans l’espace grâce à l’Epice, une substance qui augmente les pouvoirs de l’esprit et la prescience, permettant de se télétransporter sans bouger d’un point à l’autre de l’espace. La Guilde a été créée après le Jihad butlérien qui a vu la révolte des humains contre les robots et les machines d’intelligence artificielle – ce qui pourrait bien nous arriver. Mais un empire féodal a été reconstitué, comme durant toutes les périodes de peur, qui allient d’homme à homme les puissants barons à l’empereur, le Padishah Shaddam IV. Il engendre vendettas et rivalités de pouvoir, tel le baron Harkonnen (Kenneth McMillan), « un gros lard flottant » sur suspenseurs comme le nomme l’empereur, contre le duc Atréides.

L’enjeu est la planète Arrakis, aride et déserte, surnommée Dune à cause du sable qui forme la majeure partie de son sol et qui est parcouru de vers géants qui avalent tout ce qui bouge en rythme. Elle seule produit l’Epice, substance mystérieuse et unique – on pense aujourd’hui aux métaux rares monopolisés par les Chinois, qui permettent de produire ces instruments électroniques vitaux pour notre nouvelle pensée. Les Fremen vivent réfugiés « dans les montagnes », inaccessibles aux vers et loin de la capitale exploiteuse, tout comme les Rocheuses offrent aujourd’hui un refuge à tous les survivalistes yankees, du bug du Millenium aux prochaines anticipations catastrophes. L’eau est rare, donc précieuse, et toute l’ingéniosité est de l’économiser. Les Fremen ont ainsi créé des pièges à vent pour capter la rosée et l’accumuler dans des réserves de la roche, et l’écologiste planétologue d’Arrakis (Max von Sydow) une combinaison qui recycle la transpiration et les urines, le Distille.

L’empereur confie la gestion d’Arrakis au duc Leto, la retirant aux Harkonnen qui ne songent plus qu’à se venger. Il joue double jeu, voulant faire détruire la maison Atréides par les soudards Harkonnen afin de contrer le pouvoir grandissant du duc auprès des Grandes Maisons du Landsraad. Un traître ouvrira le bouclier de la ville aux troupes des Harkonnen pour délivrer sa femme, détenue par le baron. Le duc, de toute façon condamné par l’empereur, sera tué, sa femme et son fils envoyés crever dans le désert. Mais leur intelligence des situations et leur équipement psychique leur permettent de s’enfuir et de trouver refuge auprès des Fremen. Paul, du fait de ses pouvoirs de combat, sera vu comme un Mahdi qui délivrera la planète ; en retour, les Fremen lui apprendront à appeler et à chevaucher les grands vers des sables. L’Epice, omniprésente dans son nouvel univers, lui donne les yeux bleus et décuple sa prescience. Il tente de boire l’Eau de la vie, fatale à ceux qui l’ont tenté. Il n’est pas tué et en ressort plus fort, devenant le Kwisatz Haderach, celui qui peut voir le passé et le futur, terme hébreu qui se réfère à une téléportation miraculeuse. Il sait que celui qui maîtrise l’Epice et contrôle sa récolte est maître de facto de l’empire… S’il peut la détruire, il commande.

Rabban la Bête, neveu du baron Harkonnen, est une brute incapable qui croit qu’exploiter impitoyablement les humains permet le pouvoir ; son échec à faire produire l’Epice sur Dune le fait exécuter par l’empereur. Son autre neveu, Feyd (Sting), est plus fin et désiré physiquement par son oncle, adepte des jeunes mâles ; il se battra en duel avec Paul devant l’empereur et les représentants de la Guilde, dans la meilleure tradition du western.

La victoire de Paul permettra aux Fremen de mettre en œuvre la terraformation d’Arrakis en planète arrosée et aux Atréides de régner sur l’empire. Le film est un peu raccourci sur tous ces événements, bien détaillés dans les romans, ce qui le rend précipité et superficiel. Le spectateur n’a pas le temps de comprendre tout ce qui lie les personnages et les fait agir. Sont privilégiées les scènes commerciales de Grand guignol comme les explosions, les vers géants qui ouvrent toujours la gueule sans raison, les batailles rangées et les hallucinations à grand spectacle dues à l’Eau de la vie. Une déception, malgré quelques scènes qui ancrent dans l’univers complexe de Franck Herbert.

DVD Dune, David Lynch, 1984, avec Kyle MacLachlan, Sean Young, Francesca Annis, Sting, Max von Sydow, G.C.T.H.V. 2000, 2h10, standard €19.99 blu-ray €17.29

Franck Herbert, Pocket 2012

DVD Dune de John Harrison, 2001, L’intégrale en 2 DVD, €40.08

Catégories : Cinéma, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le diable s’habille en Prada de David Frankel

La jeune Andy (Anne Hathaway) sortie de l’université et ayant une petite expérience dans le journalisme postule, comme ailleurs, auprès de Miranda Priestly, rédactrice en chef du magazine de mode newyorkais Runway. A sa grande surprise, car elle n’a pas le profil habituel, elle est retenue par l’impérieuse et caractérielle Miranda devant laquelle tout le monde se couche tant elle fait la pluie et le beau temps dans ce monde futile et éphémère de la mode. Les branchés croient en « l’art » alors que Miranda, cynique et froide (Meryl Streep payée 4 millions de $ pour ce film), croit au seul pouvoir. La mode, pour elle, n’est pas une création mais une direction. Elle aux commandes, comme dans la réalité du magazine Vogue, elle domine le secteur et tous lui magnent dans la main.

Elle règne sur son duo d’assistantes qui doivent tenir l’agenda mais surtout assouvir tous ses caprices : ranger le sac et le manteau du matin jeté sur le bureau, réserver les avions, chercher les cafés et faire les courses, livrer le soir le book du prochain magazine à valider, les vêtements revenus du pressing, et ainsi de suite. Un travail d’esclave dans l’ombre de sa grandeur qui permettra – peut-être – au bout d’un an d’avoir une ligne prestigieuse sur son CV et de pouvoir évoluer ailleurs. Miranda consomme des assistantes comme des kleenex.

Andy n’a pas la taille mannequin anorexique et se « fringue » n’importe comment, plus confortable que soucieuse de son apparence – qui n’en a pas besoin. Elle n’est pas « une fashion victim » ni n’est attirée par le miroir aux alouettes des robes et autres accessoires branchés coûtant deux fois le salaire du mois. Elle cherche à faire son boulot et à écrire des articles. Mais Miranda la reprend alors qu’Andy rit sous cape devant le choix de deux ceintures bleues identiques : toute cette frime pour ça ! Non, récuse Miranda en public, vous-mêmes portez du bleu et pas par hasard : « ce bleu céruléen représente des millions de dollars et un nombre incalculable d’emplois, et je trouve assez amusant que vous pensiez avoir fait un choix qui n’a pas été dicté par l’industrie de la mode, alors qu’en fait vous portez un vêtement qui a été choisi pour vous par les personnes qui se trouvent dans ce bureau… » Ce monologue – devenu célèbre – essaie de justifier la futilité par le business. Au fond, la mode est une idéologie qui asservit volontairement. Être comme les autres exige de suivre les tendances avancées par quelques-uns, selon les meilleures règles du marketing pour faire vendre de l’inutile à ceux qui n’en ont pas besoin.

Ce pourquoi cet univers de paillettes en compétition permanente est impitoyable : chacun cherche à faire valoir son image au détriment des autres et le talent réel n’est guère récompensé. La première assistante, Emily (Emily Blunt), rabaisse sans cesse Andy. Seul Nigel (Stanley Tucci), le directeur artistique revenu de tout et fort de son utilité, donne des conseils paternels à la jeune assistante : il l’habille, l’initie au goût, lui indique les tendances de la mode. Andy séduit et il faut dire que l’actrice Anne Hathaway qui l’incarne est belle à 24 ans avec ses grands yeux et sa bouche un peu large qui lui donnent un air de Bambi. L’écrivain Christian Thomson (Simon Baker), sur lequel elle avait fait un article avant d’entrer chez Runway, la rencontre dans un cocktail et la drague.

Andy étend donc ses relations, ce qui lui permet, après des débuts maladroits, de satisfaire sa patronne. Elle trouve notamment in extremis pour ses jumelles le manuscrit à paraître du dernier Harry Potter ! Thomson connait l’illustratrice de la couverture. Miranda est étonnée de son initiative et de son obstination et commence à voir en elle un double d’elle-même.

Elle sera déçue car Andy ne veut pas piétiner les autres comme il est requis ; le pouvoir lui indiffère, elle préfère écrire, faire le métier qu’elle aime, en étant bien avec les gens. Lorsque Miranda lui dit qu’elle doit l’accompagner à Paris pour la Fashion Week à la place d’Emily qui en rêve depuis des mois, Andy commence par refuser, mais sa carrière s’arrêtera là. Elle tente alors de joindre Emily pour lui annoncer mais celle-ci la coupe, tout entière prise par ses préoccupations immédiates, rapporter les carrés Hermès exigés ce matin même par Miranda. Andy n’aura pas à lui faire de la peine, Emily distraite se fait renverser par un taxi et se retrouve à l’hôpital.

Andy souhaite aussi ne pas couper les ponts avec ses anciens amis de l’université qui exercent des métiers divers ni avec son compagnon, Nate (Adrian Grenier), saucier dans un restaurant, dont elle n’a pas pu souhaiter l’anniversaire. Elle n’a plus le temps de les voir, partant aux aurores pour être la première au bureau, le café prêt pour Miranda, et appelée tard le soir pour une réunion impromptue ou un book à livrer. Andy est écœuré lorsqu’elle lui apprend qu’elle suit Miranda à Paris : Son Andy serait-elle devenue celle qu’elle ne voulait justement pas être ? Est-ce qu’elle rêve de devenir une Miranda à son tour ?

La semaine à Paris lui décillera les yeux : Christian Thomson l’invite à coucher avec elle puisqu’elle est libre et lui livre sur l’oreiller l’information que Miranda n’en a plus pour longtemps à diriger Runway. Jacqueline Follet (Stephanie Szostak), directrice du magazine France est plus jeune et plus moderne. Andy cherche à prévenir Miranda de ce qui se trame, l’ayant vue le soir précédent défaite en évoquant son divorce prochain dû à son boulot trop prenant et les répercussions qu’elle anticipe sur ses deux filles. Mais Miranda annonce publiquement que c’est Jacqueline Follet qui quittera Runway pour aller travailler chez le styliste James Holt (Daniel Sunjata), au détriment de Nigel, pressenti pour ce poste. Malgré sa fidélité, elle sacrifie Nigel pour garder son pouvoir.

Ce dernier événement, qui révèle l’égoïsme sacré des puissants obéissant à la seule loi de la jungle, finit de rebuter Andy qui décide de tout plaquer. A commencer par sa maitresse tyrannique qui la rappelle déjà à l’ordre à peine sortie de voiture, place de la Concorde. Elle jette son téléphone sonnant dans la fontaine, ne remet plus les pieds à Runway, quitte l’univers frelaté de la mode et donne toutes ses robes branchées à Emily.

Elle postulera en pull et jean dans un journal newyorkais où elle sera acceptée malgré les références mitigées de Miranda tandis que Nate se verra proposer un poste de sous-chef à Boston. La vraie vie pourra alors commencer, loin des prédateurs et selon les bonnes valeurs.

Juste avant « la crise » de 2007-2008 due aux errements de la finance spéculative, ce portrait en pied du patronat style yankee est criant de vérité et ne manque pas d’humour. Tous les cadres des multinationales influencées par le modèle anglo-saxon l’ont vécu – j’en témoigne. Le film est un appel à résister à la tentation diabolique du pouvoir et de l’argent, à rester soi-même et à savoir dire non – parfois au détriment de sa carrière. Mais la vie bonne est à ce prix, surtout avec les siens. Il est intéressant d’observer que c’est Paris, ville lumière et atmosphère tradi, qui désensorcelle Andy du diable régnant sur New York.

DVD Le diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada), David Frankel, 2006, avec Meryl Streep, Anne Hathaway, Adrian Grenier, Emily Blunt, Stanley Tucci, 20th Century Fox 2007, 1h45, €6.00

Un roman récent sur le pouvoir d’une patronne en France

Catégories : Cinéma, Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Total Recall de Paul Verhoeven

La planète Mars et les voyages virtuels, cela revient nettement à la mode, trente ans après la sortie du film ! Dans cette aventure de science-fiction adaptée d’une simple nouvelle de Philip K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale – En gros, nous pouvons nous en souvenir pour vous – publiée en 1966) un homme (Arnold Schwarzenegger) sauve la planète rouge d’un prédateur industriel volontiers fasciste, après avoir été manipulé et ses souvenirs réimplantés. Au fond, rien de nouveau sous le soleil américain : les puissants gouvernent et utilisent des esclaves pour parvenir à leurs fins. Quand ceux-ci se révoltent, ils en sont tout surpris, comme si la Providence leur faisait injure : quoi, ne sont-ils pas fait eux-mêmes en élite élue du peuple élu pour bâtir une nouvelle terre promise ?

Doug Quaid, en 2048, fait un cauchemar récurrent. Cela se passe sur Mars – où il est censé n’être jamais allé – avec une belle jeune femme athlétique et brune – alors que la sienne est blonde. Ouvrier au marteau-piqueur sur un chantier terrestre, Doug est obsédé par son inconscient surgi des rêves et cède aux sirènes de la publicité omniprésente dans les métros. La société Rekall (recall = rappel) propose des voyages virtuels moins chers et plus confortables que les voyages réels. Il suffit de paramétrer la machine pour qu’elle implante dans le cerveau des souvenirs aussi réels que ceux qui ont été vécus. Big Brother n’est pas loin, mais privatisé.

L’ouvrier se laisse tenter, pour explorer cette planète rouge dont il rêve chaque nuit. Sa femme est contre mais il passe outre. Il veut savoir, même si la « vérité » ainsi créée n’est au fond qu’alternative – artificielle. Mais le conditionnement se passe mal. Il semble que l’implantation de souvenirs factices entre en conflit avec les souvenirs vécus. Doug Quaid aurait-il déjà été sur Mars ? Dans le rôle d’agent secret hétéro qu’il s’est choisi ? La société Rekall, effrayée des conséquences, ne veut plus rien savoir de lui et le drogue, le rembourse, efface ses données et le colle dans un taxi automatique qui le ramène chez lui. Quatre hommes, dont son ami de chantier Harry, l’attendent et tentent de l’enlever et il ne doit qu’à ses muscles imposants (et à son entrainement passé ?) de les zigouiller tous. Il y aura d’ailleurs au moins une centaine de morts durant le film, le début des années 1990 faisant bon marché de la vie humaine en virtuel. Après les deux guerres du Golfe, l’Afghanistan et les attentats du 11-Septembre, il en sera autrement.

Lorsqu’il raconte son aventure à sa femme, (la venimeuse Sharon Stone), celle-ci appelle « un médecin », son vrai mari crétin (Michael Ironside), puis tente de le descendre au pistolet mitrailleur avec une maladresse aussi invraisemblable que louche. En fait, elle lui avoue cyniquement qu’elle n’est pas sa femme mais chargée de le surveiller ; Doug Quaid n’est pas Doug Quaid mais un autre. Ses souvenirs ont été réimplantés après son séjour sur Mars comme agent secret du patron minier Cohaagen (Ronnie Cox) qui l’a engagé pour découvrir les rebelles sur la planète. Car la lutte des classes existe sur la planète rouge entre ceux qui possèdent les machines à produire de l’air et les autres, qui subissent le monopole.

Quaid assomme celle qu’il croyait son épouse et fuit jusqu’à un hôtel… où le téléphone vidéo ne tarde pas à sonner. Un ancien « ami » lui annonce qu’il dépose une valise que Quaid lui a confié au cas où il disparaîtrait. Comment l’a-t-il retrouvé et pourquoi maintenant ? Ce sont des questions qui n’ont pas de réponse (avant la fin). Dans cette valise, Quaid trouve de l’argent, des cartes d’identité, divers instruments et un ordinateur portable sur lequel une vidéo de Quaid explique qu’il n’est pas Quaid mais celui qui parle : Hauser (comme Gaspard ?). Il doit se rendre sur Mars.

Ce qu’il fait, passant le contrôle déguisé en vieille femme. Mais le système s’enraye, défaillance ironique de la technique en écho à la manipulation technique sur l’humain – et à la dérision sur le « héros » hollywoodien. L’Amérique se moque déjà des Rambo invincibles et des convictions ancrées (alors qu’elles peuvent être suggérées) comme du « transformisme » qui vise à augmenter les capacités humaines : si le résultat dépend d’un bug ou d’un mauvais montage, l’avenir n’est pas rose ! C’est l’occasion d’une course-poursuite avec mitraillages, cassure du dôme de protection (bien fragile pour l’an 2048…) d’où l’air s’échappe, avec des gens aspirés à l’extérieur, en bref un nombre de morts de plus en plus impressionnant.

Le faux Quaid se rend à l’hôtel Hilton dont il se souvient vaguement (le film diffuse plusieurs pubs de grandes marques actuelles en affiches lumineuses sur la place). Sa carte le fait reconnaître du réceptionniste qui lui donne la même suite et le contenu d’un coffre qu’il a retenu avant de partir. Dans ce coffre un seul papier, une affiche d’un club érotique dans Venusville, le quartier chaud de la planète, avec pour mention : « demander Melina ». Il s’y rend, dans un taxi conduit par une espèce de Jamaïcain qui se révélera menteur et mutant en plus de traître (Mel Johnson Jr) – la psychose ironique de l’Etranger pour l’Américain moyen : on ne peut jamais se fier à ces sous-êtres « anormaux » (ni blanc, ni anglo-saxon, ni protestant).

De poursuites en bagarres, Quaid rencontre la brune et athlétique Melina (Rachel Ticotin) – sur le même type qu’il avait choisi en option chez Rekall. Elle ne le croit pas quand il dit ne plus se souvenir. Peu à peu la réalité lui sera révélée : il était le sbire du puissant patron des mines qui garde son monopole de l’air produit sur Mars en protégeant un secret bien gardé : les réacteurs construits par les séléniens aptes à reconstituer une atmosphère sur Mars grâce à la calotte glacière souterraine. De fil en aiguille, et de combats en morts supplémentaires, Quaid parviendra avec l’aide de Melina et des rebelles à contrer l’industriel, à actionner le réacteur et à sauver la planète à la fois de l’asservissement et de la misère. Pas mal pour un futur gouverneur de Californie ! A moins que cela ne soit qu’un rêve… la dernière image sème le doute, exprès.

Nous sommes dans la bande dessinée façon geek, aussi absurde qu’invraisemblable mais le film ne manque pas de moments cocasses qui restent à la mémoire des années après, comme cet écran de contrôle du métro où les surveillants voient passer les squelettes – jusqu’à ce qu’une arme apparaisse en rouge -, le rat baladeur de la puce de suivi de Quaid, la pute mutante à double paire de seins, le chef des rebelles enceint d’un mutant intuitif, l’usage facétieux des hologrammes pour duper la milice bornée du dirigeant, et ainsi de suite. De l’action, de l’ironie, une fin optimiste – voilà un bon divertissement que j’ai revu avec plaisir.

DVD Total Recall, Paul Verhoeven, 1990, avec Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone, Ronny Cox, Michael Ironside, StudioCanal 2003, 1h50, €6.80

Catégories : Cinéma, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Shooter tireur d’élite d’Antoine Fuqua

Un thriller efficace sur un scénario banal dans la théorie du Complot chère à l’époque. Tiré du livre Point of Impact de Stephen Hunter, il met en scène le Yankee moyen, le sergent Bob Swagger (Mark Wahlberg), en butte aux riches et puissants qui veulent n’être qu’encore plus riches et puissants. Le patriotisme est utilisé comme hochet pour agiter le peuple tandis que la super-élite se goinfre sur le dos de la planète, des gens pauvres et des pays faibles.

Le sergent des marines Bob Lee Swagger est dressé pour tuer au fusil à longue portée  CheyTac M200 Intervention. Il est un expert de son métier, capable d’évaluer le vent, l’hygrométrie et la température pour ajuster sa hausse à plus de mille mètres. Formé à l’excellence par le système, il est sacrifié lors d’une mission clandestine en Éthiopie où la CIA protège des mercenaires yankees chargés de faire le vide (par le massacre) d’un territoire destiné à un oléoduc de pétrole. Demandant une protection aérienne devant la survenue d’une armada ennemie, cela lui est refusé et la liaison est coupée : on ne vous connait plus. Son observateur est tué à ses côtés et lui parvient à s’en sortir et se venge. Le chef de la CIA qui a ordonné de le laisser tomber « disparaît » un mois après.

Le sergent se retire dans les Rocky Mountains (ce refuge du Millénaire) où il vit en solitaire survivaliste avec son chien. Trois ans passent mais il est rattrapé par son dossier. Un certain colonel Isaac Johnson (Danny Glover) – un Noir pour montrer que la corruption n’épargne personne – parvient en puissant 4×4 V8 à accéder à son chalet perdu et lui demande de l’aider – en tant qu’expert – à contrer un attentat prévu contre le président des États-Unis. Swagger, un peu con, ne voit pas le piège pourtant évident : son expertise peut servir sur le terrain à réaliser l’impossible en temps réel, tirer à plus de mille mètres sur une cible protégée par les Services seulement jusqu’à 800 m. Où l’on mesure le grand écart entre la formation experte pointue, délivrée par l’entraînement américain à ses spécialistes, et leur niveau de bêtise. Gros bras, petit cerveau ; tout dans l’action efficace, rien dans la réflexion. Le succès des bataillons français lors de la première guerre du Golfe avait de même surpris les Américains, peu habitués à ce qu’un colonel prenne de l’initiative sur le terrain.

Le président doit prononcer prochainement trois discours dans trois villes et Bob finit par accepter par « patriotisme », bien qu’il n’aime pas spécialement ce président (le tournage a lieu en 2007 et le président est George W. Bush).  Il confie son chien, et explore les trois villes pour cibler le meilleur lieu pour un attentat, livrant tout cuit le meilleur plan aux comploteurs. Ce sera à Philadelphie.

Le fameux jour, Swagger parle tout haut en expert et donne le moment où le tir doit avoir lieu. Les comploteurs sont ravis et tout se passe comme prévu : « on » tire sur le président à la tribune. Sauf que ce n’est pas lui qui est touché mais l’évêque d’Ethiopie à un mètre à sa droite, venu là pour « dénoncer » des faits. Il ne parlera plus et le spectateur saura de quoi il retourne par la suite. Aussitôt, le shérif de la ville, Timmons tire dans le dos sur un Swagger qui ne se méfie pas. Il est touché à l’épaule droite et sur le flanc mais bascule par la fenêtre et réussit à fuir. Il rencontre un agent du FBI sorti de l’école trois semaines plus tôt, Nick Memphis (Michael Peña), lui vole son flingue et sa tire après lui avoir quand même dit ne pas avoir tué le président.

Course-poursuite classique, ruse dans une station de lavage pour échapper à l’hélicoptère de traque, trucs pratiques pour soigner une blessure par le sucre désinfectant, Swagger va trouver la seule personne en qui il a confiance au plus près de là : la fiancée de son coéquipier tué, Sarah, qui voulait devenir infirmière. Il a lui a écrit une longue lettre après le décès de son ami Denis et envoyé des fleurs chaque année. La fille aux seins bien moulés vit seule, hésite à l’aider, alertée par les médias qui dénoncent le sergent comme auteur de l’attentat, ne connait rien au métier d’infirmière, « fantasme de Denis », et manque d’appeler la police. Puis elle se ravise, selon les stéréotypes classiques de l’instinct maternel et de l’obscur désir pour les muscles vigoureux. En bref elle suit ses instructions, va se fournir en magasins et le soigne.

Swagger se remet (un peu vite pour la vraisemblance) et décide de traquer les comploteurs car il sera à jamais recherché s’il ne le fait pas. Cette prédestination est bien dans la mentalité biblique version protestante – et la seule façon de s’en sortir est de se montrer méritant, donc d’agir. Il sauve l’agent du FBI qui commençait à avoir des doutes sur la version officielle et s’intéressait de trop près aux détails de l’attentat : son supérieur lui dit carrément d’attendre le rapport officiel pour rédiger son propre rapport. Encore une fois, le système montre ses contradictions en formant des spécialistes pointus tout en les forçant à ne surtout pas penser par eux-mêmes mais à aveuglément obéir (la bonne recette pour opérer des attentats aux Etats-Unis, le livre que lit Swagger porte justement sur le rapport du 9-11). Comme l’agent du FBI s’y refuse, les comploteurs mettent en scène son suicide et Swagger intervient in extremis, comme il se doit, avec sa spécialité qui est le tir à longue portée. Les deux vont alors remonter la filière. Il y aura d’autres péripéties, Sarah sera enlevée et violée pour faire pression, des tirs fuseront dans tous les sens, beaucoup d’explosions illumineront l’écran, en bref  vous ne vous ennuierez pas.

La fin n’est pas morale – mais efficace : dans la mentalité yankee. Un immonde sénateur (le gros Ned Beatty) qui annonce le cynisme de Trump est derrière tout cela. Il n’obéit qu’aux intérêts de sa caste de prédateurs économiques cupides et déclare, dans son langage inculte propre à ces milieux : « la vérité, c’est ce que moi je décide ». Le procureur reconnait l’innocence de Swagger parce qu’il n’y avait pas de percuteur dans le fusil retrouvé (en bon spécialiste, il le changeait toujours après avoir tiré) et qu’il n’a pas pu être l’arme du crime. Le colonel s’en sort devant la justice et le sénateur aussi – mais le procureur dit que, si la loi l’empêche d’agir, il faudrait pour faire justice en revenir aux pratiques du Far-ouest. Ce propos tombe dans une oreille préparée et Swagger, une fois libéré, fera ce qu’il faut dans un opéra à la Rambo.

Le patriotisme comme opium du peuple est une originalité du film. Malgré son canevas peu vraisemblable (l’assassinat simulé du président pour atteindre la vraie cible) et la stupidité du sergent (« il suffit d’appuyer sur un bouton et je marche »), l’action est bien menée et tient en haleine jusqu’au bout. Avec pour conclusion cet aspect de la mentalité américaine post-11-Septembre : chacun pour soi. Retour à la mentalité « western », la justice n’est que paravent bridé par les lois faites par les politiciens pour protéger les politiciens (et leurs financeurs). A chacun de régler ses problèmes comme au temps du Far-ouest ; par le flingue.

DVD Shooter tireur d’élite, Antoine Fuqua, 2007, avec Mark Wahlberg, Michael, Danny Glover, Kate Mara, Ned Beatty, Paramount Pictures 2007, 2h01, standard €9.99 blu-ray €10.99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Sheldon Siegel, Preuves accablantes

Un thriller d’avocat n’est jamais anodin. Cette fois, les preuves sont accablantes : l’accusé, Prentice Gates surnommé Skipper, procureur de San Francisco qui se présente à sa réélection, est retrouvé dans sa chambre d’hôtel, endormi avec un cadavre nu et menotté de pute. Sauf que la pute est un garçon, Johnny Garcia, 17 ans. Et que le corps a été utilisé menotté aux quatre membres et de l’adhésif sur les yeux, la bouche et le nez, dénotant une particulière perversité dans la jouissance.

Le scandale est à la mesure des faits : Skipper nie tout en bloc, il ne comprend pas, ne connait pas le garçon, n’a jamais eu de relations homosexuelles, jure qu’il n’a tué personne. Il s’est simplement endormi dans son fauteuil devant la télé après une série de réunions électorales pour préparer sa campagne qui l’ont épuisé. Dès qu’il s’est réveillé, il a découvert le corps, demandé à appeler la sécurité de l’hôtel, puis la police, puis a répondu aux questions.

Mike Daley, l’avocat, a été membre du cabinet de Skipper mais celui-ci l’a viré. Il lui reconnait cependant un certain talent puisqu’il l’engage pour le défendre. Tâche ardue tant toutes les preuves paraissent évidentes. Mais si Skipper a tué le jeune homme, pourquoi est-il resté dans la chambre au lieu de fuir ? S’il a eu des relations sexuelles avec lui, pourquoi ne pas avoir utilisé de préservatif et laissé des traces de sperme évidentes sur les draps ? Pourquoi du GhB (la drogue du viol qui se dissipe en quelques heures dans le corps) a-t-il été retrouvé dans les deux flûtes à champagne ? Quel besoin de droguer un prostitué consentant ? Et de se droguer soi-même ?

Le système américain permet à l’avocat de la défense comme au procureur de mener leur enquête, le juge (ici une femme) n’est qu’un arbitre. Ce sera long et tortueux, permettant au lecteur de pénétrer la turpitude de San Francisco, les « affaires » sans scrupules qui se rachètent en dons à l’église, la froideur glaçante des avocats d’affaires qui contournent la loi s’ils sont bien payés, l’absence totale d’entraide sociale de la ville et de l’Etat qui réduit des mômes à la mendicité, la drogue et la prostitution (Johnny a commencé à 15 ans) – et la pratique habituelle des « vérités alternatives » (autrement dit des mensonges) auxquelles on finit par croire sincèrement soi-même, jusqu’à ce que des preuves matérielles prouvent le contraire.

La « vérité alternative » est probablement le ressort de l’audace des Américains : point besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, il suffit d’y croire et (une fois sur deux) cela se réalise. Sinon, on recommence. Skipper apparaît comme une ordure qui manipule les uns et les autres, à commencer par sa femme et son meilleur ami ; il est tout entier tourné par narcissisme vers on plaisir et sa gloire. Mais la réalité qui émerge de la reconstitution minutieuse des faits est différente, moins catégorique.

Les parties n’ont qu’une semaine pour instruire avant le procès, selon les vœux mêmes de Skipper. C’est bien court pour démêler le vrai du faux et l’inextricable des liens révélés progressivement, de chapitre en chapitre. Un vrai coup de théâtre surviendra sur la fin, doublé d’un contrecoup énigmatique.

Bien que l’esprit yankee diverge de plus en plus du nôtre et que nous soyons moins enclins à passer sur ces mœurs de sauvage où le droit du plus fort et du plus friqué domine, le lecteur d’aujourd’hui pourra trouver palpitante l’enquête, sur des prémisses impossibles. Une bonne lecture de train !

Sheldon Siegel, Preuves accablantes (Incriminating Evidence), 2001, Livre de poche 2004, 569 pages, €0.98 occasion

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Le Casse du siècle d’Adam McKay

La crise économique mondiale de 2008, préparée par la spéculation américaine sur les prêts immobiliers irremboursables de 2007, est racontée de façon à la fois pédagogique et déjantée, à l’américaine. C’est instructif et biaisé, comme toujours dans les films yankees à la gloire des yankees. Déjà les attentats de 2001 avaient rendu paranoïaques les Etasuniens, en 2007 ils sont carrément devenus incontrôlables et, avec Trump, ils ne se sentent plus, trop contents d’eux et xénophobes. De bonnes raisons pour prendre de la distance avec ce peuple infantile et vaniteux, d’un égoïsme forcené, qui ne comprend que la loi du plus fort. J’ai longtemps travaillé avec des Américains, et longtemps sur la bourse en tant que gérant, analyste et stratège ; je les connais bien. Ce qu’ils sont devenus depuis vingt ans m’écœure. Ce film est une pierre noire supplémentaire à leur tombeau. Il est tiré du livre paru en 2010 d’un des leurs, Michael Lewis, The Big Short : Inside the Doomsday Machine (Le grand pari à la baisse : dans la machine à Jugement dernier).

Il tourne autour de quatre personnages qui, par esprit de contradiction et par tempérament pionnier, osent aller contre les conventions de leur milieu d’affaires et contre les valeurs établies. Le premier, dès 2005, est le docteur Michael Burry (Christian Bale), un gestionnaire de fonds spéculatif qui tient au titre de « docteur ». Outre qu’il l’a brillamment obtenu comme neurologue et que, comme le dieu Odin, il ne voit que d’un œil, il l’oppose à sa propre apparence « californienne » : pieds nus au bureau, voix qui bafouille et air planant du syndrome d’Asperger, tee-shirt bleu uniforme tous les jours. Il se gave à fond de heavy metal et semble ne pas écouter ses interlocuteurs. Mais il découvre que le marché de l’immobilier résidentiel américain est un château de cartes fondé sur des prêts sans garanties consentis à des acheteurs insolvables, souvent immigrés et parfois au chômage.

Le vendeur en salle de marché de la Deutsche Bank de New York Jared Vennett (Ryan Gosling), entend parler de Burry par un banquier qui s’en gausse et trouve qu’il y a au contraire à creuser : si tout le monde pense dans le même sens, faire fortune consiste à prendre le pari inverse – même si cela peut prendre un certain temps : le balancier des excès revient toujours dans l’autre sens.

Le hasard d’un coup de téléphone au mauvais numéro fait réfléchir le gestionnaire de hedge fund Mark Baum (Steve Carell), juif psychotique qui en veut à la terre entière et qui cherchait déjà des incohérences dans le Talmud étant enfant, au grand dam de son rabbin. Il est convaincu par Vennett de la probabilité non négligeable d’un retournement et va sur place observer la situation du marché immobilier subprimes (à risques plus élevés que la norme), celle des bénéficiaires des prêts, la spéculation d’une strip-teaseuse qui a acheté à crédit cinq maisons plus un appartements sans avoir le premier sou, et des courtiers prêteurs qui font du bonus sans se préoccuper de la suite.

Charlie Geller (John Magaro) et Jamie Shipley (Finn Wittrock), jeunes créateurs d’un fonds de placement de mprovince qui est passé de 110 000 à 30 millions de dollars en quelques années découvrent par le bouche à oreille la prise de position baissière des iconoclastes et y croient. Ils ne sont pas assez gros pour avoir accès au ISDA Master Agreement, une autorégulation de l’International Swaps and Derivatives Association visant à canaliser les contrats d’échanges privés en bourse. Ils demandent au trader repenti Ben Rickert (Brad Pitt) de les épauler ; ils ont fait sa connaissance en promenant le chien.

L’opinion générale en 2005-2007 est que l’immobilier reste un placement sûr et que les prêts seront toujours remboursés, même par voie judiciaire et saisie du bien. Sauf que non seulement le risque est grand en cas de retournement économique à cause des taux variables dont les mensualités sont fondées sur la valeur de la maison, mais les prêts à peu près solvables deviennent de plus en plus rares, incitant les courtiers à prêter à n’importe qui et les banques à revendre ces prêts à faible espoir de remboursement (subprimes) aussitôt sans contrôle. Cela par le tour de passe-passe de la titrisation hypothécaire Mortgage Backed Securities (MBS). Dès 2006 la rentabilité s’effrite et le taux de défaut augmente. Les mauvais crédits notés B sont mélangés à d’excellents crédits notés AAA par les agences de notation devenues sociétés de commerce et qui ont donc un intérêt financier à « bien » noter le titre final pour plaire à leur client. Pire, avec deux titres, les banques en créent un troisième qui contient une part de chacun des deux et est vendu comme « synthétique », les Collateralized Debt Obligations (CDO). L’effet de levier des bénéfices est enclenché… mais aussi celui des pertes éventuelles.

En bref, tous les acteurs du marché boursier obligataire américain ont intérêt à voir perdurer le système de spéculation : les emprunteurs ont enfin leur rêve de maison réalisé, les courtiers en prêts s’en mettent plein les poches en bonus, les banques refourguent à leur clientèle de fonds de pension et d’investissement les titres risqués enjolivés d’un joli ruban de notation pour lesquelles les agences touchent une grasse commission, la Fed (banque centrale) ou la SEC (qui surveille la bourse) n’y voient rien d’inquiétant ou d’illégal. Mais l’appât du gain aveugle ceux qu’il veut perdre et la finance comportementale (citée dans le film) montre qu’une suite de gains réguliers ne préjuge jamais du futur. Les moutons de Panurge se précipitent tous d’un même élan à la baille sans réfléchir parce que le premier a sauté.

Nous sommes début 2007 et, dès que les taux variables vont varier à la hausse, le vélo spéculatif va ralentir sa course et précipiter de plus en plus de détenteurs de titres subprimes en pertes. Pour parier contre le marché, tous contractent des Credit Default Swap (CDS), options d’assurance qui montent quand les titres hypothécaires tombent. Au Forum de la Titrisation américaine à Las Vegas (ville du jeu et de la démesure), Baum déjeune avec un administrateur de CDO synthétiques qui avoue la pyramide de paris de plus en plus gros et risqués qui existe sur les prêts subprimes. Le marché atteint déjà vingt fois la taille de l’économie sous-jacente et l’explosion – inévitable – de la bulle risque d’entraîner toute l’économie.

Il faut attendre plusieurs mois, tandis que les clients sont inquiets de perdre les appels de marge tant que les subprimes montent ou restent à niveau, mais le marché finit par retrouver le réel : il s’effondre et le fonds de Michael Burry gagne 2,3 milliards de dollars, soit + 489 %. Mais huit millions de gens perdent leur emploi, six millions sont jetés à la rue après la saisie de leur maison, des retraités sont ruinés, des insolvables saisis, perdant souvent espoir et parfois la vie. Lehman Brothers fait faillite, Bear Stearns et Merrill Lynch sont absorbés par d’autres banques, Citicorp comme Deutsche Bank sont renflouées avec l’argent des contribuables et les activités de banque d’affaires séparées des activités de dépôts par décision du Congrès. Mais un seul banquier (suisse) sera mis en prison, tous les autres s’en tireront sans dommages, certains même entreront au Government Sachs composé en 2009 par Barack Obama… L’Islande, la Grèce, l’Irlande, sont en grave défaut de paiement et il faudra dix ans pour qu’ils réémergent.

Malgré un son mal mixé qui rend tonitruantes les musiques vulgaires du rap et du metal, les sons acculturés de l’Amérique contemporaine qui s’assourdit pour ne rien entendre du vrai, malgré les images parfois hachées, comme subliminales, faites pour zapper la trépidation spéculative et la fièvre du fric, le spectateur va apprécier quelques moments d’ironie assez lourde (le voyant qui n’a qu’un œil, la fille de l’agence de notation aux lunettes très noires qui « n’y voit rien ») et de bons moments de pédagogie, comme ce chef cuisinier qui prend l’exemple du flétan qu’il n’a pas venu à ses clients et qu’il remixe dans un consommé à la carte, donc apprécié comme « nouveauté ». Moins les produits vendus sont clairs et compréhensibles, plus il faut se méfier : aux Etats-Unis, l’arnaque est un sport national et faire du fric le but ultime de l’existence. Les lanceurs d’alerte sur les subprimes ne sont d’ailleurs pas philanthropes : ils ont gagné beaucoup d’argent en pariant à l’envers des cons qui suivent béatement le mouvement et s’en confortent dans les dîners arrosés et les boites à filles. Mais, fortune faite, Michael Burry investit sur une seule matière première : l’eau ; Beckett fait pousser des graines bio dans son potager ; Baum ne se vante plus de niquer les autres et se recentre sur sa famille ; les deux jeunes provinciaux jouissent de leur réputation sans plus spéculer. Aux Etats-Unis, pays brutal, il faut une baffe pour que vienne la sagesse !

Un bon film sur la finance, sur la folie tradeuse et sur la démesure vaniteuse yankee. Et si vous ne vous intéressez pas à la finance, vous avez tort – car elle commande à l’économie et à votre épargne retraite.

DVD Le Casse du siècle (The Big Short), Adam McKay, 2015, avec Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling, Brad Pitt, Paramount Pictures 2016, 2h05, €6.99 blu-ray €10.98

Catégories : Cinéma, Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Barbara d’Amato, Trafics d’innocence

Voilà un roman policier américain nouveau style : vite lu, vite jeté. Un roman à thème conçu comme un reportage sur un « grand » sujet de société avec de l’action en plus. Un découpage en séquences publicitaires qui vont d’un quart de page à quatre pages au maximum. Est-ce le début des « romans twitter » ?

Pour la larme, il s’agit de trafic de bébés avec enlèvement d’enfants.

Pour l’action, un couple « innocent » – évidemment Américain moyen – résout à lui tout seul une affaire dont se mêle (évidemment sans grand succès) le FBI.

Pour la démocratie, le courage journaliste s’obstine à enquêter là où « il ne faut pas » (et où très peu le font en réalité).

Pour le politiquement correct, le journaliste est une femme.

Pour la morale, il s’agit bien sûr du contraste entre fric et désir de maternité. Tout s’achète au berceau du dollar : une entreprise à fortes marges répond aux besoins pressants et précis de clients pour de très fortes sommes. Les acheteurs sont des mères éplorées de ne pouvoir concevoir – ce qui est inconcevable dans un pays où la « maternité » est aussi valorisée par la Bible et par l’esprit pionnier.

Ce qui est dommage n’est pas tant le sujet ni le type des personnages que le découpage en plans-séquence aussi courts. Comment faire passer de la psychologie humaine en 140 signes ? Comment captiver avec l’action en une demi-page ? Comment démonter des rouages de machination en faisant un récit en charpie ?

Le lecteur a donc un produit aseptisé, vite lu, vite jeté, sans un brin d’humour ni une quelconque envolée poétique. Un Mc Donald’s du roman, aussi insipide, aussi peu nourrissant d’humanité. Oh, cela se lit bien !… mais s’oublie aussitôt sans regret, tel un reportage larmoyant « vu à la télé ». Une « grande cause » paranoïaque où les flics sont impuissants, les politiciens inertes et les médias muets. De la guimauve… Ceux qui aiment le thème ou le style – ceux qui n’aiment pas se prendre la tête et « consommer » sans état d’âme – apprécieront. Les autres préféreront Michael Connelly, Minette Walters ou Peter Robinson.

Barbara d’Amato, Trafics d’innocence (White Male Infant), 2002, Livre de poche décembre 2009, 384 pages, €5.71

Biographie sur le site officiel des amateurs d’Amato

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Les 55 Jours de Pékin de Nicholas Ray

Tout commence par les musiques à la montée des couleurs de chacune de huit des onze délégations étrangères sur le sol de Pékin ; tout finit par les musiques de chacune des mêmes délégations étrangères : Autriche-Hongrie, France, Allemagne, Italie, Japon, Russie, Royaume-Uni et États-Unis. Entre les deux périodes, l’union pour 55 jours autour de l’ambassadeur britannique, Sir Arthur Robertson (David Niven, excellent dans ce rôle). Rien de tel que d’être attaqué en milieu hostile pour forger une solidarité occidentale contre les menaces chinoises. Nous sommes de juin à août 1900 pendant la guerre des Boxers, les boxeurs populaires et nationalistes adeptes des arts martiaux de l’empire du milieu, groupés en société secrète au poing fermé.

Le spectateur se voit proposer héroïsme et histoire d’amour dans un Pékin reconstitué sur une centaine d’hectares dans les environs de Madrid – car il était impossible de tourner en Chine de Mao un péplum moderne sur l’humiliation chinoise de Tseu-Hi écrit aujourd’hui Cixi (Flora Robson).

Le 20 juin 1900, les Boxers sont incités par le prince Tuan (Robert Helpmann) à tuer les chrétiens et les Blancs et à envahir les concessions, après leur refus de quitter Pékin sur les instances de l’impératrice. Toutes les délégations sont pour le départ, par prudence et pour protéger les civils ; seul l’Anglais est pour rester, afin de ne pas se montrer impressionné. Le représentant américain, qui n’a pas de territoire concédé et n’en demande pas (le beau rôle), s’abstient. Mais si les Anglais restent seuls, qu’auront l’air les autres ? Le droit de la majorité est donc soumis au droit de la minorité par intérêt supérieur : l’orgueil. Tous restent.

Les Boxers attaquent ; ils sont repoussés parce qu’ils sont peu armés. Mais les munitions manquent et les blessés occidentaux s’accumulent. L’armée impériale n’intervient pas pour ne pas se mettre à dos les puissances, comme le préconise le général Jung-Lu (Leo Genn). Mais celui-ci, s’il prône la prudence diplomatique, a eu comme maitresse la baronne Ivanoff (Ava Gardner), sœur de l’ambassadeur russe (Kurt Kasznar), dont le mari, pourtant brillant colonel, s’est suicidé en apprenant cette infidélité. Depuis la baronne, qui n’écoute que son plaisir personnel, est réprouvée par toute la société et ce n’est qu’avec un œil neuf, l’arrivée du major américain Matt Lewis (Charlton Heston, mâchoire carrée et sourire d’acier) qu’elle revient sur la scène sociale. L’Américain n’obéit en effet à aucunes conventions autres que celle des droits humains et il accueille les circonstances comme elles viennent, sans passé.

Il ne réussit pas à sauver un pasteur anglais torturé par les Boxers et celui qui le vise est tué par son sergent ; l’ambassadeur anglais lui en fait reproche : mieux vaut sauver les apparences et la diplomatie, même si cela doit coûter une vie occidentale ! Ledit ambassadeur sera d’ailleurs touché directement par ces mêmes rigides principes lorsque son fils de 7 ans est abattu par un tir de Boxer (happy end, après un coma de plusieurs jours, il sera hors de danger).

La baronne et le major vivent dans la même chambre (et probablement couchent ensemble). Lors du siège, elle officie comme infirmière pleine d’humanité et tout le monde l’aime, depuis les blessés qu’elle réconforte jusqu’au docteur (Paul Lukas) qui fait ce qu’il peut. Par ses liens avec le général Jung-Li, son ex-amant, elle parvient à acheter de l’opium pour pallier l’épuisement des stocks de morphine pour les blessés et des fruits « pour les enfants ». En ramenant son chargement, elle est tuée d’une balle Boxer mais elle a racheté son « péché ». De même, le major Lewis qui n’a pas réussi à sauver la vie du pasteur anglais, sauve une métisse de 12 ans, Teresa, fille d’un de ses capitaines tué pendant le siège ; il lui avait promis de l’emmener aux Etats-Unis malgré le racisme ambiant dans son pays. Lewis la prend in extremis sur son cheval alors qu’il quitte Pékin ; peut-être va-t-il même adopte l’orpheline ? Son regard pur scande en tout cas le film du début à la fin : elle observe, elle juge selon sa morale candide de 12 ans ; elle n’a qu’une envie, quitter ce cloaque de Pékin.

Les Etats-Unis ont évidemment le beau rôle, bras militaires des Anglais par solidarité de « race », tandis que les autres sont réduits à la portion congrue, notamment les Français, quasi absents de l’action. Les Russes sont représentés comme des mous qui suivent le mouvement (Kurt Kasznar), alors que les Japonais, avec leur colonel méticuleux (Jūzō Itami), sont réévalués. Les préoccupations politiques du début des années soixante – ainsi que les préjugés du temps – tordent comme d’habitude les faits historiques pour chanter la gloire de l’Amérique comme leader du monde « libre » (libre commerce, libre disposition de chacun, libre croyance) – alors que c’est par exemple le Japon qui apporte la moitié des 20 000 hommes qui parviennent à Pékin.

L’action ne manque pas, des grands combats avec tirs nourris, charrettes de feu et explosions, aux coups de main commando pour faire sauter la réserve impériale de munitions ou tenter de joindre Tientsin. Les Occidentaux résistent, le prince Tuan perd la face, les armées étrangères convergent des concessions portuaires vers la capitale, l’impératrice Tseu-hi a perdu. Le colonialisme ne peut être secoué et le réformisme social a échoué.

L’impératrice s’enfuit de la Cité interdite déguisée en paysanne. La dynastie Qing sera balayée douze ans plus tard pour ces raisons. Il est très difficile à faire accepter par le populo les changements en cas de crise économique et nationale : les incultes préfèrent ce qu’ils connaissent, la force brute. Ils vont donc avec élan vers les leaders radicaux conservateurs et xénophobes. Ce n’est pas différent aujourd’hui…

Un beau et long film que j’ai vu au moins cinq fois en quelques décennies et où l’on ne s’ennuie jamais.

DVD Les 55 Jours de Pékin (55 Days at Peking), Nicholas Ray, 1963, avec Charlton Heston, Ava Gardner, David Niven, Flora Robson, Leo Genn, Robert Helpmann, John Ireland, Harry Andrews, Kurt Kasznar, Paul Lukas, Jerome Thor, Jūzō Itami, GCTHV 2000, 2h25, €13.46 blu-ray €13.10

Catégories : Chine, Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La chute de l’empire romain d’Anthony Mann

Un long péplum américain avec un décor monstre reconstitué en Espagne pour mettre en garde sur le déclin et la chute de l’empire. Au moment où les Etats-Unis sont empêtrés dans la guerre du Vietnam, cet avertissement d’Hollywood ne manque pas de sel.

La référence à l’empereur philosophe Marc Aurèle a des airs de Kennedy tandis que son successeur Commode est montré comme mégalomane cruel aimant la fête et la dépense. Un avertissement à Lyndon Johnson, devenu président à la mort de John Kennedy en 1963, puis réélu en 1964 ? Les émeutes raciales et les assassinats politiques ne manquent pas aux Etats-Unis, tandis que le programme humaniste du philosophe Timonides (James Mason) dans le film est proposé comme projet de Great Society en faveur du droit des minorités, de l’éducation et de guerre contre la pauvreté. Un programme qui pourrait être stoïcien car toutes choses participent du même Tout et sont liées, d’où l’idée que bien faire est faire utile pour la communauté, selon les lois de la Nature. Peut-on comprendre le film d’Anthony Mann aujourd’hui sans cet arrière-plan politique ?

C’est que les distorsions historiques ne manquent pas dans ce péplum. Toutes les hypothèses hasardeuses ou polémiques des historiens romains sont reprises telles quelles : Marc Aurèle « déshéritant » son fils Commode, l’empoisonnement par une pomme coupée avec une lame à demi trempée dans du poison, la bâtardise de Commode qui serait fils de gladiateur, son goût pour la débauche avec les deux sexes dès l’enfance occulté, sa mort en combat singulier avec son rival inventé Livius alors qu’il est assassiné à 31 ans par étranglement d’un esclave…

Mais l’histoire est belle et il fallait l’inventer. Sur les bords du Danube dans l’actuelle Autriche, face aux sombres forêts peuplées de « barbares » où tombe la neige, Marc Aurèle (Alec Guinness) vieux et malade songe à l’empire et à ses responsabilités. Il est considéré comme « faible » avec ses ennemis, préférant s’en faire des clients que des esclaves afin de ne pas alimenter la haine. Les généraux et le bouillant jeune héritier Commode (Christopher Plummer) veulent tout casser de cette politique et affirmer la puissance de Rome comme l’emprise du César.

Commode se fait appeler à la fin de son règne en décembre 192 : Imperator Caesar Lucius Ælius Aurelius Commodus Augustus Pius Felix Sarmaticus Germanicus Maximus Britannicus Hercules Romanus, Pontifex Maximus, Tribuniciae Potestatis XVIII, Imperator VIII, Consul VII, Pater Patriae. Rien de moins. Il rebaptise Rome et l’Italie, il veut refaire le monde à sa volonté – puisqu’il se croit divinisé. Dans le film, il s’écroule moralement lorsque son général Verulus (Anthony Quayle), un ancien gladiateur vainqueur de plus de cent combats dans l’arène, lui avoue qu’il est son père biologique, Fausta, l’épouse de Marc Aurèle, ayant fauté avec lui. Dès lors, son dernier combat sera le jugement des dieux : César ou pas ? C’est joli mais faux. Peu importe, le spectateur marche.

Marc-Aurèle aurait voulu désigner son général Livius (Stephen Boyd) comme César mais il ne l’a pas proclamé devant les troupes et Livius, qui aime Antonia (Sophia Loren), la fille de l’empereur, reste légitimiste en s’effaçant devant son ami Commode. Pire Marc-Aurèle, par diplomatie mondialiste, accorde la main de sa fille au roi d’Arménie pour se concilier le pays. Livius se trouve doublement floué mais son honneur stoïque lui interdit de regimber. Il garde son jugement personnel et propose ses idées au Sénat de Rome, qui sont celles du défunt empereur : concilier les peuples pour la prospérité de tous, donc éviter la guerre qui engendre la haine perpétuelle, ne lever que des impôts justes et ne pas favoriser les inutiles (rentiers, gladiateurs, prévaricateurs, courtisans). Commode s’en amuse et l’envoie sur les frontières de l’empire.

Il ne le rappelle que lorsqu’il a besoin de lui car il est bon général. Les armées romaines d’Orient se soulèvent contre Rome à cause des livraisons de blé exigées qui affament les peuples. A Livius d’aller les mater. Discipliné, le jeune homme obéit… mais il retrouve Antonia parmi les rebelles. Les Romains vont-ils se massacrer entre eux ? Livius renvoie les messagers de Commode avec le « conseil » d’éviter les menaces et les taxes pour gouverner de façon juste. De retour à Rome, Commode le fait enchaîner tandis qu’Antonia cherche à le poignarder.

La fin est à la western, un duel à armes égales dans le saloon d’un mur de boucliers : que le meilleur gagne, le dieu est avec lui. Et Commode est crevé d’un coup de lance, trop sûr de lui, de son entraînement, de la faveur des divinités. Le pouvoir monte à la tête lorsque les contrepouvoirs manquent.

DVD La chute de l’empire romain (The Fall of the Roman Empire), Anthony Mann, 1964, avec Sophia Loren, Stephen Boyd, Alec Guinness, James Mason, Christopher Plummer, Anthony Quayle, Filmedia 2013, 2h57, blu-ray €23.98 standard €16.59

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Piège fatal de John Frankenheimer

Voici un film américain habilement tissé mais moralement répugnant.

La trame est bien faite. Un jeune et beau détenu pour vol de voiture libéré de prison, Rudy (Ben Affleck) se fait passer pour son copain de cellule Nick (James Frain), poignardé justement la veille de sa sortie. Il emballe à sa place la copine de ce dernier Ashley (Charlize Theron), connue par correspondance, en se faisant passer pour lui. Mal lui en prend ! Celle-ci se révèle un appât pour une bande de routiers dirigée par le frère psychopathe (Gary Sinise) qui projette le casse d’un casino préparé par Nick avant d’être emprisonné et cherche en Rudy l’expérience d’un spécialiste. La fin verra un retournement de situation subtil et magistralement amené.

Mais le style n’est pas tout. Le film se vautre avec complaisance dans la peinture brute des plus bas instincts. Dans la prison, ne règnent que les rapports de force et le seul rayon d’amitié se révèle d’une machination intéressée. L’amour entre homme et femme est réduit à des galipettes bestiales sans préliminaires ni reconnaissance, la suite étant consacrée à emmancher la trahison. La seule fille plutôt jolie est une pute qui se sert de ces seins pour affoler les mecs et leur faire faire ce qu’elle veut. Elle en prend trois et en trahit autant, sans plus de sensibilité que s’ils étaient des Kleenex à jeter une fois usés. Les hommes, quant à eux, sont représentés en primates ignares et abrutis, fascinés par les armes, le fric et le cul. Ils tabassent et ils tuent comme ils baisent, tout en rigolant, sans que cela ait une quelconque importance.

Le spectateur est transporté bien loin de la virilité des westerns où la lutte impitoyable pour la survie peut justifier la violence. Ici, au contraire, ne règne aucune morale en dehors du seul assouvissement des pulsions les plus immédiates. Chacun baise comme une bête, bâfre comme un cochon, se saoule à même la bouteille, tabasse sans remords à grands coups de crosse, massacre sans distinction au fusil-mitrailleur, embrasse avec d’ignobles chuintements mouillés. Quant au fric, typique de l’avidité primaire américaine, tout le monde en ramasse à plein sac. C’est répugnant, vous dis-je.

Et c’est cette Amérique-là, une année avant les attentats du 11 septembre, qui invoque Dieu et veut faire la morale au monde entier ? Piège fatal est le spectacle de l’abjection la plus basse, fièrement exhibée comme pour s’en vanter, comme si elle était le parfait exemple de la vitalité profonde des États-Unis.

Malgré l’intrigue et les coups de théâtre, un réflexe de pudeur éthique suscite en moi une vive aversion pour le film. Il est clairement immoral malgré son héros naïf qui passe dans le récit comme un innocent éternel toujours indemne, toujours sauvé, terminant l’histoire par un geste de conte de fées. Mais ce personnage ne rattrape pas le reste, cet étalage complaisant et empressé des pulsions brutes considérées comme désirables et sans frein. Le spectateur sort du film avec une piètre idée de l’humanité américaine – et que ce qui va lui arriver avec les attentats était au fond mérité. Ce n’est pas la première fois, en ce début des années 2000. Ce sera pire avec Trump et ses Trumpistes.

DVD Piège fatal, John Frankenheimer, 2000, avec Ben Affleck, Gary Sinise, Charlize Theron, Dennis Farina, James Frain, TF1 video 2001, 1h44, €3.00 blu-ray €14.72

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Fantômes sur Mars de John Carpenter

Un western de science-fiction série B où la grosse bagarre, les tirs nourris d’armes automatiques et les explosions tiennent lieu de psychologie. Mais la nouveauté est « le matriarcat » qui règne sur la colonie terrestre en l’an 2176. Les femmes sont aux postes de responsabilité et les hommes réduits au rôle d’exécutants. C’est que « le Cartel » minier exploite la planète de part en part et que les femmes sont probablement mieux à même de le faire à moindre coût et avec plus d’habileté que les gros machos frustres et frustrés qui semblent composer le reste de la population.

Être un homme, c’est être une sous-espèce, en témoigne l’obsédé sexuel sergent Jericho Butler (Jason Statham) qui ne pense qu’à sauter la lieutenante. C’est pire encore lorsque vous êtes un homme noir, présumé sombre suppôt du mal par nature. La commandante latino Helena Braddock (Pam Grier) et la lieutenante blonde aux yeux clairs Melanie Ballard (Natasha Henstridge) doivent ramener en train de la cité minière de Shining Canyon le désigné criminel, Desolation Williams (Ice Cube). Il est accusé de six meurtres barbares et l’on a retrouvé la caisse de la mine entre ses mains. Il doit être conduit à la capitale pour y être jugé.

Mais sa culpabilité est moins évidente qu’il n’y paraît ; s’il a bien fait main-basse sur le fric, il n’a peut-être pas massacré. Le récit en flash-back montre le train arrivant à la capitale en pilotage automatique, réduit de moitié et ne contenant à son bord comme être vivant que la lieutenante menottée. L’aréopage matriarcal l’interroge, elle raconte ; on prend acte de ce qu’elle dit mais on passe outre. « Le Cartel » n’est pas prêt à lâcher l’exploitation minière de Mars au nom d’on ne sait quel danger supposé. Sauver le monde va bien aux héros romantiques, mais l’an 2176 ne connait plus que des professionnels de l’industrie.

C’est qu’une explosion minière a révélé un tunnel construit jadis de mains d’hommes, scellé par une porte aux mystérieux hiéroglyphes. Mais quiconque met la main dessus l’ouvre, sans pouvoir lire le possible avertissement. Une ancienne civilisation martienne se propulse au-dehors sous la forme d’un nuage de poussière rouge et prend possession des êtres humains, considérés comme des envahisseurs. Ceux-ci s’automutilent, se décapitent entre eux et font sauter tous les bâtiments un à un. Lorsque l’équipe de police (2 officières, 1 sous-off et deux nouveaux) arrive en train à Shining Canyon, la ville-champignon semble pillée comme jadis par les Indiens. Des sculptures tribales en instruments tranchants et des totems de têtes coupées accueillent les visiteurs. La lieutenante est contaminée mais résiste parce qu’elle est camée et recrache la poussière, ce qui est invraisemblable.

Le prisonnier Desolation est à l’abri dans sa prison fermée, mais plus aucun gardien ; le poste de commandement est un massacre, cadavres éviscérés, la tête en bas ; les mineurs errent en bandes de sauvages armés de coutelas avec à leur tête un ex-être humain bestial à l’intelligence de Martien et aux pectoraux percés d’aiguilles pour faire plus viril. En bref, il ne fait pas bon s’attarder parmi ces attardés.

Mais le train est reparti, on ne sait pourquoi ; les policiers, qui ont pris et repris Desolation et sa bande des quatre, ont compris. Les humains doivent se serrer les coudes et il n’y a plus ni flic, ni bandit, mais des gens égaux qui luttent pour leur survie. Ils se barricadent dans la prison et résistent le temps qu’il faut au train pour revenir en gare (sans en être empêché par les zombies, ce qui est peu vraisemblable).

Quand tout le monde est à bord et que le train roule enfin, la lieutenante qui a pris la tête du groupe après la décapitation de la commandante pas très futée, décide de rebrousser chemin. Il faut détruire Carthage… ou plutôt Shining Canyon. Une bonne petite bombe atomique des familles ? Qu’à cela ne tienne, la centrale de la ville est nucléaire et il suffit de bricoler la serrure, de lever les barres de combustible pour que tout saute. C’est réglé en un quart d’heure, encore plus invraisemblable, mais façon de décimer encore plus l’équipe qui se réduit à deux, un flic, un bandit – la lieutenante et le présumé criminel. Tous les autres sont anéantis.

Cela va-t-il sauver la planète ? Même pas, si l’on en croit l’ultime scène. Après un début bien commencé, dans une atmosphère dense aidée de la musique synthétique et métallique de John Carpenter lui-même, arrive le plat de résistance des grosses bagarres bien sanglantes avec explosions à l’américaine et balles qui tuent à tous les coups, puis la fin décevante, irréaliste et expédiée à la va-vite. Un bon divertissement d’action mais pour cerveaux réduits.

DVD Fantômes sur Mars (Ghosts of Mars), John Carpenter, 2001, avec Natasha Henstridge, Ice Cube, Jason Statham, Clea DuVall, Pam Grier, Joanna Cassidy, M6 vidéo 2006, 1h40, €7.50  blu-ray €13.77

Catégories : Cinéma, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La malédiction d’Arkham de Roger Corman

La démonologie rejoint le fantastique et Lovecraft Edgar Poe dans ce film du début des années soixante avec un Vincent Price en acteur redoutable de prestance. Howard Phillips Lovecraft a écrit en 1927 une longue nouvelle intitulée L’Affaire Charles Dexter Ward, publiée en 1941 dans Weird Tales. Un adorateur de Cthulhu, entité extraterrestre puissante, cherche depuis toujours à assurer son emprise sur les humains et un certain Joseph Curwen, au XVIIIe siècle y parvient grâce aux jeunes filles du village (imaginaire) d’Arkham en bord de mer, près de Boston. Les habitants mâles, outrés, décident de se venger et brûlent « le sorcier ». Dans les flammes, celui-ci leur lance une malédiction.

Cent dix ans plus tard… Charles Dexter Ward (Vincent Price) accompagné de sa femme Ann (Debra Paget) arrivent un soir en fiacre dans le village et s’adressent à l’auberge à l’enseigne du Burning Man pour trouver le manoir dont il a hérité : celui de son arrière-grand-père Curwen. Les villageois, descendants des vengeurs maudits, sont méfiants et lui conseillent de quitter le village et d’abandonner l’héritage. Mais Charles veut en savoir plus. Le manoir a quelques toiles d’araignées mais paraît globalement entretenu, un « gardien » se matérialise dans l’obscurité de la chambre et se présente sous le nom de Simon (Lon Chaney). C’est un ancien associé de Curwen.

Ce dernier, dont le portrait tourmenté trône au-dessus de la cheminée principale, a les yeux ravagés de folie à la Van Gogh et fascine Charles. C’est en fait le pont que l’âme du sorcier utilise pour entrer dans l’enveloppe corporelle de son descendant, qui lui ressemble physiquement.

L’épouse de Charles s’aperçoit que mon mari change, parfois brutal et machiste sous l’emprise de l’ancêtre, parfois gentil et doux lorsqu’il redevient lui-même. Elle s’en ouvre au docteur Willet (Frank Maxwell), matérialiste convaincu qui ne croit pas aux démons mais aux troubles de la personnalité. Il la convainc de partir mais elle aime son Charles et elle reste.

Dommage pour elle, Curwen se venge des descendants de ceux qui l’ont brûlé et leur tend des guet-apens pour les cramer à son tour. Délaissant sa femme comme jadis, « stupide femelle » dit-il d’Ann, il va déterrer le cercueil de sa maîtresse morte depuis cent-dix ans en prononçant des formules en latin qui appellent les puissances des ténèbres. Simon a conservé le fameux grimoire imaginaire du Necronomicon, livre interdit écrit par l’arabe fou Abdul al-Hazred selon Lovecraft. La séance réussit et, pour récompenser le démon extraterrestre Yog-Sothoth à forme de crapaud qui croupit dans les caves sous une grille, il attache Ann à l’autel de sacrifice comme lors de la première scène au XVIIIe siècle. Il veut l’accoupler au monstre pour assurer la dissémination des extraterrestres dans l’humanité. Les descendants ainsi générés paraissent dégénérés, aveugles, difformes ou monstrueux – c’est la malédiction d’Arkham. Mais, comme un siècle et dix ans plus tôt, les villageois en foule – symbole de la sagesse des nations – attaquent le manoir et y mettent cette fois carrément le feu. Le portrait de Curwen est incendié, ce qui rompt le lien magique entre Ward et son ancêtre maléfique.

Sauf que nous ne serions pas au cinéma tendance gothique si l’inquiétante expression de Curwen et son faciès verdâtre ne se retrouvait in fine sur le visage de Ward soi-disant délivré… Le poème d’Edgar Poe intitulé The Haunted Palace, fait allusion à un manoir extérieurement riant mais à l’intérieur inquiétant, incitant à ne pas confondre l’habit et le moine, les apparences et la réalité. Un thème inusable sur la naïveté humaine qui se contente trop souvent du superficiel sans creuser au-delà.

DVD La malédiction d’Arkham (The Haunted Palace), Roger Corman, 1963, avec Vincent Price, Debra Paget, Lon Chaney Jr., Frank Maxwell, Leo Gordon, Sidonis Calysta 2010, 1h25, €21.99 blu-ray €29.99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Le processus historique du capitalisme

Le capitalisme, tout le monde en parle, rare sont ceux qui savent ce que c’est.

Il est en premier lieu une technique d’efficacité économique née avec la comptabilité en partie double à la Renaissance dans les villes italiennes, puis développé par le crédit – basé sur la confiance. Il devient avec la révolution technique puis la révolution industrielle un système de production qui prend son essor et submerge progressivement les velléités du politique. Si les guerres et les grandes crises ramènent l’Etat sur le devant de la scène, le système de production, par son efficacité, reprend très vite le dessus.

La démocratie n’est pas indispensable au capitalisme, puisque les régimes autoritaires comme la Chine l’utilisent à leur plus grand profit ; mais c’est en démocratie, où règne le maximum de libertés, que le capitalisme peut s’épanouir le mieux. Tout le processus démocratique réside cependant dans le délicat équilibre à tenir entre le politique et l’économique, l’intérêt général et les intérêts particuliers. L’historien Fernand Braudel a défini le capitalisme comme outil de la puissance d’Etat pour fonder une économie-monde (aujourd’hui les Etats-Unis, demain peut-être la Chine) : « Puissance dominante organisée par un État dont l’économie, la force militaire (Hard Power), l’influence culturelle (Soft Power) rayonnent partout ailleurs, dominant les puissances secondaires ».

Ce n’est qu’à la pointe du système d’efficacité économique que « le capitalisme » prend la forme idéologique répulsive de l’opinion commune. Fernand Braudel : « Les règles de l’économie de marché qui se retrouvent à certains niveaux, telles que les décrit l’économie classique, jouent beaucoup plus rarement sous leur aspect de libre concurrence dans la zone supérieure qui est celle des calculs et de la spéculation. Là commence une zone d’ombre, de contre-jour, d’activités d’initiés que je crois à la racine de ce qu’on peut comprendre sous le mot de capitalisme, celui-ci étant une accumulation de puissance (qui fonde l’échange sur un rapport de force autant et plus que sur la réciprocité des besoins), un parasitisme social, inévitable ou non, comme tant d’autre. » Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVE –XVIIIe siècles, 1979, t.2 p. 8.

David Djaïz, « haut fonctionnaire » mais diablement intelligent, livre dans le numéro 209 de la revue Le Débat, mars-avril 2020, une brève histoire du processus capitaliste dans l’histoire. S’il est né dans les villes italiennes et flamandes au XVe siècle, il est resté « en taches de léopard » dans les villes libres et les grandes foires, « espaces de transaction d’où étaient exclues la violence et la ruse ; [né] d’une accumulation ‘primitive’ de capital par des marchands devenus des banquiers et des assureurs ; de la construction d’un réseau d’infrastructures et de moyens de transport (ports, routes, flottes de bateaux) ; d’une sécurité juridique naissante des contrats et des lettres de change ».

En revanche, l’expansion « systématique » du capitalisme ne fut est possible qu’avec la formation de l’Etat-nation moderne. « L’Europe a été le berceau de ce processus puisqu’elle a vu, entre le XVIe et le XIXe siècle, se produire une triple révolution : spirituelle (la Réforme et la Contre-Réforme), politique (la Révolution française et ses épigones), et productive (la révolution industrielle) ». Le capitalisme a cependant dû s’émanciper du carcan des Etats-nations pour repousser les frontières du possible, au-delà du cadre institutionnel, réglementaire et politique. Le pays de la Frontière (les Etats-Unis) est le lieu où le capitalisme s’est épanoui le mieux parce que la mentalité du pionnier encourageait de repousser n’importe quelle borne (l’Ouest, le monde, l’espace, le « trans » humanisme). « Lorsqu’un marché intérieur approche de la saturation, que l’équilibre épargne/investissement est rompu à l’intérieur d’un territoire donné (le plus souvent en raison d’un excès d’épargne qui n’arrive pas à ‘s’allouer’), les capitaux cherchent à se déployer à l’extérieur du périmètre géographique dans lequel ils se sont formés ». D’où les liens avec l’impérialisme hard (colonialisme européen ou soviétique) ou soft (hégémonie culturelle, économique, militaire américaine ou chinoise). D’où la pression pour désocialiser de l’intérieur les Etats en repoussant les limites du travail et de la fiscalité. Enfin la sape systématique de la propension à « économiser » des individus en poussant la consommation par la publicité et en suscitant le désir via le prestige social et la mode.

La disposition à créer sans cesse de nouvelles inégalités sociales est la règle, puisqu’elle permet l’émulation du désir, donc du commerce. Il s’agit « d’intégrer au circuit de l’échange marchand non plus simplement les biens matériels qui sont produits, mais les facteurs de production eux-mêmes – la terre, la force de travail, le capital financier, les savoir-faire – et ce afin d’intensifier et d’optimiser leur utilisation dans le cadre du processus productif ». Je vous le disais : le capitalisme est la forme d’efficacité économique la plus avancée. En tant que méthode de production, il peut s’appliquer à tout : y compris l’écologie. Car produire le plus avec le moins est son système – donc l’épargne maximum des ressources et l’optimisation du savoir. Sauf que « le capitalisme » n’a pas de but autre que persévérer dans sa propre technique. C’est le rôle des politiques de le faire servir – aux Etats-nations puisque nous en sommes toujours là, à la planète Terre puisque c’est indispensable. L’outil n’agira pas de lui-même, il servira ceux qui l’utilisent.

Ce pourquoi nous assistons à une « réaction » – analogue à celle des années 1930 après la Grande guerre puis la Crise de 29 – contre « le capitalisme ». Mais c’est accuser le marteau d’écraser plutôt que celui qui le tient… « Lorsque la marchandisation du travail et de la terre atteint un degré tel que la dignité humaine, la culture, les traditions, le cadre de vie sont menacés par la transgression du marché en dehors de la sphère économique, la société cherche à se protéger ». Après 1945 par exemple, le capitalisme « fut reterritorialisé, resocialisé et respécialisé ». Les Etats devant se reconstruire, les entreprises ne visaient pas le grand large. La croissance forte des Trente glorieuse a servi à financer plus de protection sociale et « le pouvoir d’achat réel des salariés a triplé en 25 ans » (1950-1975). Le développement du droit du travail et du droit international a démarchandisé le travail humain (durée maximum du travail, interdiction du travail des enfants, etc.). Mais ces « progrès » ne sont pas acquis une fois pour toutes car ils ont été permis par « les bas coûts de l’énergie, ainsi que la fluidité et la disponibilité des réseaux d’extraction et de circulation du pétrole » – avec les « perturbations irrémédiables que celle-ci engendra sur le système Terre ».

Le « système » de progrès indéfini – économique, social – n’est donc pas possible sans énergie abondante et bon marché. Dès lors que nous ne l’avons plus, deux voies s’ouvrent : la voie autoritaire (à la chinoise) où le capitalisme devient « vert » au prix du rationnement ; la voie démocratique qui négocie capitalisme et soutenabilité dès la base locale en associant le citoyen à « la production de la politique publique ». La troisième voie existe, mais elle est purement réactive, comme un combat désespéré pour persévérer selon le passé, par refus de voir la réalité et sans véritable espoir : « du Brésil à l’Inde, en passant par les Etats-Unis, nous voyons surgir un néonationalisme morbide, viril et excluant, peu soucieux des libertés individuelles, dont il est peu niable qu’il soit le résultat de la polarisation des sociétés provoquée par la grande crise de 2008 et, plus structurellement, par quarante années de mondialisation libérale mal maîtrisée ».

Où l’on en revient à Fernand Braudel : le capitalisme efficace exige un Etat puissant qui organise l’économie et la société et qui fait face à l’extérieur. L’article a été publié avant, mais la maladie Covid-19 l’a démontré sans conteste.

Catégories : Economie, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Philip José Farmer, Les amants étrangers

En 1961, l’auteur né dans l’Indiana, nous projette en 3050. La Grande guerre apocalyptique partie des ex-Terriens de Mars a ravagé la Terre par un virus qui étouffe en quelques heures. Seules ont été épargnées quelques régions qui ont repeuplé la planète et se sont partagé les continents. Ainsi les Islandais occupent le nord jusque vers la Loire, les Israéliens le sud autour de la Méditerranée et jusqu’en Inde, les Hawaïens l’Amérique et les Australiens l’Océanie. Pour le reste de la planète, ce n’est pas très clair.

Mais l’ordre règne chez les ex-Yankees : le Clergétat est une théocratie hiérarchique contraignante, une sorte de communisme biblique issu des croyances protestantes exacerbées. Il est curieux que, mille ans après le XXe siècle, l’humanité en soit encore là… Mais le puritanisme, projection de celui des années cinquante et du Maccarthysme aux Etats-Unis, est bel et bien caricaturé. Un prophète autoproclamé (comme tous les prophètes) est un germano-russe appelé Sigmen ; il est mort il y a longtemps mais le système continue de faire croire qu’il est parti prospecter les étoiles pour l’humanité. Il enjoint ainsi à coloniser les planètes vivables et à éradiquer façon prophète biblique tous les peuples extraterrestres ou ex-terriens (forcément dégénérés) qui les occupent.

Hal Yarrow, linguiste « touchatout » est mandaté par le Sandalphon Macneff (dont le prénom n’est pas Gabriel) pour rejoindre la mission qui va aller « étudier » la planète Ozagen. Dans le dessein de créer un virus qui va exterminer toute vie non humaine et permettre de faire main basse sur la planète. Rien de nouveau sous les soleils : l’américain croyant reste un prédateur que Dieu a « élu » et que les prophètes encouragent à croître et attaquer. D’ailleurs, le mariage est obligatoire et faire des enfants nécessaire sous peine de rétrogradation sociale. Hal est « marié » contre son gré à Mary, qu’il déteste parce que frigide et moraliste, prête à le dénoncer aux autorités pour toute incartade même de langage. Les Etats-Unis n’ont pas changé, qui traquent le politiquement incorrect et le « racisme » partout et en tous lieux (sauf chez les Noirs). L’intérêt de la mission est que le voyage va durer quarante ans, et autant pour l’éventuel retour, donc que le divorce est automatique pour raison d’Etat. Hal est délivré de Mary, qui s’en consolera.

Mais son mentor depuis l’enfance, le disciplinaire Pornsen (au nom ambigu) fait partie du voyage. Hal s’est fait recadrer et fouetter maintes fois pour des écarts à la ligne que l’ange gardien interimaire (agi) est chargé de lui faire respecter. Il le hait. Car, dans cette société de morale surveillée et punie en continu, l’amour n’est pas possible, ni même l’amitié. L’homme est constamment un loup pour l’homme, allant « le dire à la maitresse » ou dénoncer les déviances aux agis pour se faire valoir plus vertueux. La méfiance règne et le chacun pour soi est de rigueur. La seule unité est donc d’attaquer les autres, ce qui ne peut avoir de cesse dans l’univers entier. Le lecteur d’aujourd’hui peut voir en cette doctrine distopique une critique aussi du communisme soviétique où un commissaire politique surveille toujours deux exécutifs, la troïka permettant des dénonciations croisées, et où le prophète Marx-Lénine-Staline-Khrouchtchev (etc.) donne la route et guide le peuple dans l’interprétation de l’Histoire. Au fond, Etats-Unis moralistes et URSS moralisante mènent le même combat. Ce que les années soixante vont justement secouer avec les manifestations anti-Vietnam.

Sur Ozagen, Hal est curieux des autres et se lie d’amitié avec Fobo le woh ozagénien qui l’emmène visiter les ruines d’une cité anciennement humaine, des Terriens venus de France s’étant échoué là au moment de la Grande guerre. Ils se sont métissés avec une population locale, une forme mimétique qui a pris leur ressemblance. Hal rencontre clandestinement à la nuit une femme qui l’appelle, Jeannette. Elle parle un français abâtardi que le linguiste réussit à comprendre avant de lui apprendre l’américain usuel. Il va tomber amoureux, la belle étant experte en plaisirs charnels (cliché facile sur les Françaises) que Hal n’a jamais connus.

Car le plaisir est un péché dans la religion Sigmen, plus proche du Talmud que des Evangiles, comme dans l’Amérique profonde depuis les origines. La nudité est proscrite sur terre et on ne fait l’amour que dans l’obscurité et tout habillé. Jeannette exige la lumière et la peau nue, ce qui scandalise et ravit Hal dont la transgression des normes semble de nature, en témoignent les cicatrices de fouet dont son dos et sa poitrine sont remplis depuis la petite enfance. L’agi qui surveille et punit n’est pas sans un certain sadisme, disant « aimer » son pupille d’autant plus qu’il le fait souffrir – comme dans les collèges anglo-saxons. La SF américaine était jusqu’ici héroïque et prude, en phase avec les valeurs yankees sorties de la Seconde guerre mondiale et du patriotisme ; Philip José Farmer change cela d’un coup avec Les amants. Baiser à poil et aimer ça sans avoir en tête l’obsession de la progéniture était nouveau et diablement excitant. Avec une humanoïde extraterrestre est encore plus osé, allusion peut-être à la ségrégation des Noirs aux Etats-Unis jusqu’à l’ère Kennedy. Les Peace and Love vont s’y ruer partout et dans toutes les positions, balançant slip, soutif et morale aux orties.

« Que vous ont-ils fait ? » susurre Jeannette à Hal lors d’une de leurs étreintes. « Ils vous ont appris à haïr au lieu d’aimer, et la haine, ils l’ont appelée l’amour » p.188. Comme le ministère de la Paix est celui de la Guerre dans 1984 d’Orwell… « Ils ont fait de vous des moitiés d’hommes, afin que l’ardeur emprisonnée en vous puisse se tourner contre l’ennemi ». Son ami Fobo le wog en rajoute : « Vous professez, vous autres Sigménites, que chacun est responsable de tout ce qui lui arrive, que seul le moi est à blâmer. (…) Si vous commettez un crime, c’est que vous le souhaitez. Si vous vous faites prendre, ce n’est ni que vous avez agi stupidement, ni que les Uzzites [les flics] ont été plus intelligents que vous, ni que les circonstances leur ont permis de vous capturer. Non : c’est que vous vouliez vous faire prendre. (…) Cette foi est très shib [super] pour le Clergétat car vous ne pouvez rien lui reprocher s’il vous châtie, s’il vous exécute, s’il vous force à payer des impôts injustes ou s’il viole les libertés civiles. Il est évident que, si vous ne l’aviez pas voulu, vous n’auriez pas permis que l’on vous traitât de la sorte » p.193. Etienne de La Boétie l’avait déjà théorisé : n’est esclave que celui qui se soumet et aucun tyran ne subsiste sans le consentement (tacite ou contraint) des sujets. Le Sandalphon Macneff qui obéit à l’Archuriélite ne lui dit pas autre chose lorsqu’il le convoque pour lui faire un sermon sur « la pureté » : ne pas désobéir, ne pas boire, ne pas baiser. Hal finira par l’étrangler.

L’amoureux humain Yarrow va faire le malheur de Jeannette l’humanoïde pour son bien car l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions dans la norme biblique. Mais Jeannette va le sauver de sa civilisation haineuse en lui permettant une autre vie. Le nom de Yarrow signifie en anglais l’Achillée, une herbe contre les fièvres et le prénom Hal, issu du germanique, signifie tourmente ; ce n’est sûrement pas par hasard. Le dénouement est rapide et clair, bienfaisant.

Philip José Farmer, Les amants étrangers (The Lovers), 1961, J’ai lu 1974 réédité 1999, 251 pages, €5.00

Catégories : Livres, Science fiction | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

L’Associé du diable de Taylor Hackford

Le droit est, pour les Américains, la loi divine sur terre et ses avocats sont ses clercs et ses prêcheurs. Les lois sont si complexes et proliférantes qu’il ne faut rien moins que des spécialistes pour s’en débrouiller : où l’on retrouve la loi du plus fort chère aux pionniers, ou la loi du plus riche, ce qui revient là-bas au même. Qui a la puissance a l’argent donc les meilleurs avocats – et gagne ses procès.

Lorsqu’un jeune défenseur de Floride gagne trop souvent, le soupçon vient que le diable s’en mêle. Car faire acquitter un prof pédocriminel qui a attouché une ado de quatrième ingrate et bafouillante est un crime aux yeux de Dieu (s’il s’en préoccupe). Or il semble ne rien faire au nom du « libre arbitre ». L’être humain est libre depuis la Chute où la femme, séduite par le serpent, a croqué la pomme. La connaissance s’est révélée au couple humain et « ils virent qu’ils étaient nus » (quelle horreur ! au lieu d’en jouir ils en eurent « honte »). Désormais, ayant désobéi, à eux de se débrouiller tout seul dans la jungle terrestre et avec les autres humains qui prolifèrent à cause de la frénésie sexuelle. Kevin voit son client frétiller de la main sous la table lorsque l’adolescente raconte en pleurant comment il lui a mis la main sur le chemiser, puis l’autre sous la jupe et qu’il est remonté, de plus en plus haut, et ainsi de suite. Rien que le souvenir le fait bander et l’avocat lui dit qu’il irait jusqu’à éjaculer devant le juge ! Il s’aperçoit bien que son client est coupable mais, par vanité, lui qui n’a jamais perdu aucun procès, il ne veut pas laisser la justice gagner et, malin, va discréditer devant le jury la parole de la fille, moins innocente qu’elle ne paraît.

L’adaptation Hollywood du roman The Devil’s Advocate d’Andrew Neiderman, Kevin Lomax (Keanu Reeves, 33 ans) a la beauté du diable et l’habileté qui va avec. Après l’acquittement improbable du pédocriminel, une grande firme juridique de New York lui propose un pont d’or (à cinq chiffres) pour qu’il vienne seulement deux jours choisir un jury pour un procès. Il s’en tire avec les honneurs et son dirigeant John Milton (Al Pacino) décide de l’engager en créant pour lui un service d’avocat pénaliste au lieu d’envoyer les clients habituels vers d’autres cabinets.

Tout est trop beau pour être honnête : salaire mirobolant, appartement de fonction aux trois chambres dans un immeuble donnant sur Central Park, proximité du bureau, des commerces, des écoles et du staff de la firme qui loge dans le même immeuble réservé, d’étage en étage en fonction de la hiérarchie, le dernier au sommet étant réservé au chef. Composé d’une seule pièce immense, un grand feu y brûle toujours, été comme hiver, et une composition gigantesque du Paradis perdu du poète John Milton trône au-dessus du bureau principal.

Mary Ann, l’épouse de Kevin, n’aura plus à travailler mais se fera-t-elle au climat et à la trépidation de New York ? Kevin lui laisse le choix (encore le libre-arbitre). Mais est-on libre lorsqu’on est tentée ? Séduite par le fric et le luxe comme par le discours susurré du serpent Milton sur sa beauté et sa coiffure, elle se laisse tenter et croque la Grosse pomme. Elle va vite s’apercevoir de la fatuité des autres épouses qui ne pensent qu’à se regarder entre filles seins nus pour se faire valoir, dépenser en robes à 3000 $ portées une fois et à s’envoyer en l’air pour passer le temps. Est-ce cela la vie d’une épouse ? Attendre dans l’appartement immense et vide que son mari rentre à pas d’heures et qu’il la délaisse pour un boulot si prenant qu’il passe sa vie avec son patron plutôt qu’avec elle ? Mary Ann (les prénoms de la mère du Christ et de la mère de la Vierge) voudrait un enfant mais « on » (le diable ?) lui a, dit-elle, ôté les ovaires.

Kevin Lomax, de son côté, se prend au jeu et s’active. Son orgueil (plutôt que sa vanité, ainsi qu’il est traduit en français) est le plus grand des péchés capitaux car il voit l’homme tenter de s’égaler à Dieu, offense suprême ! Kevin ne veut jamais perdre et s’investit en totalité dans la défense de ses clients, même les plus vils salauds. Un promoteur immobilier très semblable à Trump, Alexander Cullen (Craig T. Nelson), très gros client de la firme pour se trouver constamment aux marges de la loi (plus de 1600 fois en un an…), est accusé d’avoir tué sa troisième femme, son beau-fils et sa domestique au pistolet en rentrant un soir chez lui. C’est un mégalomane menteur qui ne connait de vérités que celles qu’il affirme et qui compte bien être acquitté de toute accusation. Il va jusqu’à faire témoigner pour lui son assistante : il était en train de la baiser, trois heures durant, à l’heure des meurtres (« vous avez dû être éreintée », susurre malignement Lomax). Sauf que c’est probablement faux et que l’avocat malin s’en rend compte lorsque la fille ne sait même pas si Cullen est « coupé » (circoncis). Comme en Floride, Lomax va-t-il jouer le jeu du client ou celui de la justice ? Son patron Milton lui laisse clairement son libre-arbitre, puisque son épouse Mary Ann ne va pas bien : qu’il laisse l’affaire à un autre et qu’il s’occupe d’elle pour sauver son mariage. Mais est-on libre lorsqu’on est tenté ? L’orgueil parle une fois de plus – une fois de trop – et Lomax fait son métier au détriment de toute humanité. Le diable a gagné et ce pourrait bien être John Milton, patron cynique et sans aucun scrupule dont le sourire sardonique éclate trop souvent pour être honnête.

Mary Ann qui hallucine se réfugie à poil dans la plus proche église de son appartement et, lorsque son époux sort de sa plaidoirie pour la retrouver enveloppée dans un duvet rose de clocharde, sur appel d’une âme charitable, elle lui avoue que John Milton l’a baisée tout l’après-midi – le même argument que celui du promoteur. Or John Milton a assisté au procès aux côtés de Kevin Lomax durant tout ce temps. Déjà que Lomax l’avait surpris à parler plusieurs langues (chinois, italien, espagnol), ne voilà-t-il pas qu’il prend toutes les formes et peut se trouver en plusieurs lieux à la fois ? Si ce n’est pas la définition chrétienne du « diable », qu’est-ce donc ? La mère de Kevin, Alice au pays des Marvel comics (Judith Ivey) a fauté jadis avec un barman aux yeux de braise et a élevé seul son fils ; elle sait bien que New York est la Babylone de la Bible, où la Bête a établi ses quartiers, et que son Kevin a atteint 33 ans, l’âge du sacrifice du Christ. Mais son fanatisme obsessionnel à citer sans cesse les mêmes saintes Ecritures la dessert : qui peut croire en la répétition plutôt qu’en la dialectique ? Obéir à Dieu, c’est abolir toute pensée personnelle pour se soumettre et radoter ce qui est écrit une fois pour toute sans plus penser ; c’est donc abolir son humanité et son libre-arbitre. Est-ce sensé ? Mais le libre-arbitre est-il franchement libre ? La Bible ne guide-t-elle pas l’égaré sur les chemins du juste ?

Kevin fait donc interner Mary Ann qui, malgré les calmants, reste confuse. Quand Pam, l’assistante juridique de Milton (Debra Monk), tend à la jeune femme un miroir pour qu’elle se voit belle, elle aperçoit le visage démoniaque de l’assistante sous le masque de chair et brise le miroir ; elle prend un éclat et se tranche la gorge sous les yeux de son mari et de plusieurs témoins. C’est le moment (mal choisi pour Kevin Lomax) où sa mère lui avoue qui est son père et il déboule au dernier étage de l’immeuble Milton pour y trouver ce dernier avec une fille, Christabella (la belle Christ) que John lui présente comme sa sœur (Connie Nielsen). Ce qu’il lui apprend, je laisse le spectateur le découvrir, mais tout finit comme à Hollywood, avec le libre-arbitre mais dans les flammes et l’hystérie…

…Jusqu’à ce que Kevin Lomax se réveille dans les toilettes du tribunal de Floride du début, juste avant qu’il n’interroge la gamine abusée. Sa prescience le fait changer d’avis et « la justice » pourra peut-être passer. A moins que l’orgueil, toujours présent, ne compromette une fois de plus le processus, en abyme.

Les effets spéciaux ne manquent pas, des visages qui se diabolisent jusqu’à la fresque qui s’anime, faite par William Blake pour le Paradis perdu de John Milton, effet qui aurait coûté à lui seul deux millions de dollars. Keanu Reeves est parfait dans le rôle d’ange déchu ou de diable en herbe, juvénile séducteur de toutes les femmes ; Al Pacino est remarquable en Satan incarné, regard de braise pour les hommes et de baise pour les femmes, sourire méphistophélique qui n’atteint que les lèvres sans aller jusqu’aux yeux ; Charlize Theron est superbe en hystérique devenant progressivement folle à lier (l’hystérie étant une névrose d’origine sexuelle que le Moyen Âge a assimilé à la possession par le diable). La partition musicale angoissante de James Newton Howard ajoute au charme vénéneux du film. Je ne l’avais encore jamais vu, il est très bon.

Nous sommes dans l’extrême de l’Amérique : le tout est possible se transforme en tout peut-il être possible sans y perdre son âme ? Le pacte faustien de Goethe à la Renaissance rejoint l’ambition yuppie des années 1980 et 90 pour faire croire aux jeunes loups du droit, de la finance ou de la promotion immobilière qu’ils sont les maîtres du monde, les égaux de l’Éternel. Satan les tente par le sexe, l’argent, la gloire et le pouvoir. Ils en sont ivres et perdent leur humanité à l’image de Dieu au profit du diable qui en rit et les tient. S’ils trahissent par jalousie, ils sont exécutés, tel le directeur général Eddie Barzoon (Jeffrey Jones), tabassé à mort par deux clochards nègres (aux visages de démons) alors qu’il fait son jogging (à l’envers) autour de Central Park. L’enfer est désormais sur terre.

Il faut bien sûr entrer dans la mythologie chrétienne de Dieu, du Diable, de la tentation du Paradis perdu et de l’Enfer, mais cette culture se mérite tant elle continue d’irriguer tout ce qui vient des Etats-Unis. Une façon de prédire tout ce qui allait arriver en 2000 avec la chute des valeurs Internet en bourse, le krach séculaire de 2008 et l’arrivée du clown populiste Trump au pouvoir en 2016. Ce film apparaît comme une Apocalypse de saint Taylor.

DVD L’Associé du diable (The Devil’s Advocate), Taylor Hackford, 1997, avec Keanu Reeves, Al Pacino, Charlize Theron, Jeffrey Jones, Judith Ivey, Connie Nielsen, Craig T. Nelson, Ruben Santiago-Hudson, Tamara Tunie, Debra Monk, Warner Bros 1999, 1h18, €9.48 blu-ray €14.05 

Catégories : Cinéma, Religions | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Echec du social et du démocrate

La revue Gallimard Le Débat, dans son numéro 209 de mars-avril 2020, propose un dossier de réflexion sur « la gauche face à l’avenir ». Les contributions sont inégales, parfois se répètent, mais émergent quelques idées fort intéressantes à qui veut comprendre pourquoi la social-démocratie est en échec dans toute l’Europe, et particulièrement en France.

L’idée générale est que le mouvement économique du monde, porté par les Etats-Unis, dérive vers l’inégalité sociale (les plus qualifiés parisiens et la finance revalorisés, les moins qualifiés et les provinciaux dévalorisés par le numérique) et vers la destruction accrue de l’environnement (produire toujours plus, vendre toujours trop, remplacer artificiellement par obsolescence programmée), tout en évidant la souveraineté nationale par des traités internationaux, depuis l’Union européenne aux normes juridiques contraignantes jusqu’aux traités de « libre-échange » négociés par les technocrates loin du peuple. D’où chômage des vieux ouvriers et précarité des jeunes mal qualifiés… qui se tournent alors vers les partis extrêmes : extrême-droite pour les vieux peu cultivés, extrême-gauche pour les petits intellos déclassés.

« L’échec de la gauche de gouvernement s’explique d’abord par l’incapacité de ses représentants à rendre intelligibles les profondes mutations des sociétés occidentales au cours des quatre dernières décennies » (1980-2020), martèle Benjamin Vendrand-Maillet, diplômé de Cambridge. L’échec de Jospin l’avait montré, l’échec de Hollande fut pire.

Les deux chocs pétroliers (1973 et 1979) ont terminé les Trente glorieuses de la croissance forte et inclusive, tandis que l’échec du communisme à l’Est jetait la suspicion sur les injonctions d’Etat, potentiellement totalitaires. Par effet de balancier, l’individualisme libéral a chassé le progrès collectif et les luttes sociales au profit de l’autonomie de l’individu rationnel, donc responsable de lui-même. A la puissance publique de lui donner les capacités, pas des emplois, ce que prônaient le centre droit et la droite. D’où Macron après Sarkozy ; Fillon serait allé probablement au-delà, vers plus de responsabilité individuelle et moins de sécurité sociale.

L’illusion du PIB fait que la croissance moyenne – déjà faible – ne dit rien de ses bénéficiaires : or la croissance est forte pour une frange de plus en plus étroite d’individus (financiers, informaticiens, consultants en organisation, stars des médias et de l’écran, chanteurs vendus comme des paquets de lessive, footeux portés au pinacle de la société du spectacle…) tandis qu’une stagnation allant vers la précarisation et la marginalisation est le lot d’une majorité de plus en plus vaste. D’où la révolte fiscale en « sac de pommes de terre » des gilets jaunes, composés principalement des classes moyennes déclassées, des petites villes et des petites retraites – mais incapables de s’unir pour proposer une alternative collective.

L’illusion de la technologie, née à la Renaissance et florissante au XIXe siècle jusque dans les années soixante dans la science-fiction, est que seul vaut ce qui est calculable, probabilisable et contrôlable. Tout le reste n’est rien, à commencer par l’humain. La société influe-t-elle sur la technique ? En tout cas la technique influe sur la société : tout ce qui est techniquement possible sera un jour réalisé, malgré les comités d’éthique et autres garde-fous provisoires. L’informatisation de tout a ceci de cocasse que les « services publics » ne suivent plus : réseau encombré, serveurs sous-dimensionnés, embouteillage au traitement (l’Assurance-retraite bloque dès l’envoi de deux ou trois documents numérisés, la Mairie de Paris a déconnecté ses « services en ligne » tant vantés sur le site officiel). D’où aussi la dévolution progressive du pouvoir aux algorithmes (ainsi Pôle emploi vous « désinscrit » automatiquement sans prise de contact préalable si certains critères automatiques sont remplis), et le « capitalisme de surveillance » qui vise à prédire les comportements pour vendre, surveiller et punir (notamment en Chine où le parti unique domine la technique d’efficacité capitaliste à son profit). L’homme-machine de La Mettrie redevient d’actualité, les travailleurs n’étant plus guère que des auxiliaires des ordinateurs, smartphones et oreillettes qui guident leur temps. Ce qui ne se mesure pas n’existe pas. D’où les « évaluations » sans cesses sollicitées pour un oui ou pour un non, du e-commerce au salarié, de l’image de marque au produit acheté, du service commercial aux gîtes ruraux. Les Français, formatés très scolaires, adorent : sans mesurer combien cela se retourne contre eux. Quand ils « donnent leur avis » ou cliquent sur « j’aime » en croyant être libres, ils sont fichés, mesurés, paramétrés – en un mot empêtrés dans une suite de liens qui font sens à qui veut les contrôler. Des courriels et des démarchages téléphoniques suivent. Et ils s’en étonnent !

L’illusion de la mondialisation fait que l’on exige de s’adapter toujours plus vite et toujours au mieux. Les voyages sur les plages paradisiaques au bout du monde – quinze jours par an – ne sont que la faible contrepartie d’un dressage permanent pour éviter tout retard au rythme de vie trépidant exigé par le système, ou de décalage sur les compétences requises sans cesse étendues. « Il faut » rester en forme, performant, au top, branché, jeune, à la page, à la mode, in – en bref sans cesse plus royaliste que le roi, à la pointe de la tendance. Mouvement qui va comme un donné, sans discussion ni débat, du « c’est comme ça » au TINA (there is no alternative). Vers quel mur ? Humain ou ressources ?

Les institutions démocratiques ne sont plus qu’apparence car de plus en plus de choses se décident en dehors d’elles, d’où l’impression de Complot planétaire de mystérieux « maîtres du monde » qui rejoignent souvent le faux grossier russe des Protocoles des sages de Sion. « Ils » sont partout, « ils » nous volent notre sang, notre travail, nos enfants, « ils » nous méprisent et nous tuent par leurs cadences, leurs poisons et leurs impôts. Le doute est mis par les « vérités alternatives » (ce qui est vrai est ce que je crois, pas les faits), les détournements de vidéos et les trucages de photos sur le net, les rodomontades des coqs politiciens à la Trump, Bolsonaro et Erdogan (chacun trouvera en son propre pays des exemples). Les outils d’autonomie collective sont accaparés par une élite autoproclamée de technocrates et techniciens qui contrôlent l’agenda, les règles, les finances et l’action publique. La réforme ou l’innovation se substitue au progrès, le projet électoral court-terme remplace une certaine idée de la France.

Avec tout ça, comprenez que votre fille est muette ! La « gauche » est aussi gauche que son nom et seuls les chamboule-tout qui naissent attirent l’attention. Alors que ce que veut le peuple, au fond, reste toujours la même chose : économie de gauche, culture de droite – participation et redistribution de la valeur ajoutée et maintient d’une identité culturelle ouverte.

Catégories : Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,