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Gérard Leray, Vlaminck 1941-1946 – Un Fauve dans la tourmente

Ce livre est une commande en 2020 d’Anne Pendaries, conseillère juridique de Godeliève, la dernière fille de Vlaminck à Gérard Leray, professeur d’histoire-géographie et militant politique de gauche, chercheur micro-histoire en Eure-et-Loir. Elle voudrait réhabiliter la réputation de son père, ostracisé pour un « double passif » : son voyage de 17 jours en Allemagne avec d’autres artistes en 1941 organisé par la propagande, et son article virulent contre Picasso et le cubisme. L’historien cherche non à juger mais « à comprendre ». Il s’est appuyé pour cela sur tout un corpus fourni : les Archives nationales, une bibliographie de 31 livres dont trois de Vlaminck lui-même, mais aussi ceux de Pierre Assouline sur l’épuration, 17 périodiques dont l’Humanité, La France socialiste, le Figaro, Coemedia, Gringoire, Les Lettres françaises, Life magazine, les archives du fonds de dotation Maison Vlaminck, les archives personnelles d’Anne Pendaries comprenant des correspondances familiales, et divers sites internet dont les Archives de Paris, l’INA, le Journal du sculpteur Paul Landowski.

Le peintre, céramiste, graveur, poète et écrivain Maurice Edmond Devlaeminck, né à Paris en 1876 est mort en Eure-et-Loir à 82 ans en 1958. Il fut fauve (d’où le titre), commençant à peindre à 17 ans. Il a fait scandale lors du Salon d’Automne de 1905, appelé par les journalistes « La cage aux fauves ». Il était avec son ami André Derain, Henri Matisse et Raoul Dufy. Marié deux fois, il aura cinq filles.

En 1925, Vlaminck, écrit l’auteur « décline à l’infini des masures, des villages, des paysages de platitude, des bois et des étangs. La matière utilisée est toujours abondante. Seule évolution caractéristique (…) les couleurs criardes de la peinture fauve ont disparu. Elles sont remplacées par une dominante de tons sourds, l’expression d’un tourment intérieur structurel qui tranche avec l’autre trait essentiel du bonhomme, sa propension perpétuelle a provoquer, sa façon d’exister en société, coûte que coûte » ch.2. Il n’aime pas la mécanisation et la technique, comme Heidegger, et lui préfère la nature originelle, dans le ton des Wandervögel d’avant-guerre. « Pas étonnant qu’il ait été récupéré par l’État français pétainiste au début des années 40 pour la promotion de la ‘Révolution nationale’ dans sa dimension passéiste du ‘retour à la terre’. » Il reste avant tout anarchiste, la publication d’un de ses articles sur la guerre d’Abyssinie de Mussolini, qui critique violemment ce colonialisme armé dans l’Humanité en fait foi. Au fond, il était libertarien de tempérament, comme David Thoreau (prononcez zorro) – et aujourd’hui Sylvain Tesson.

C’est l’Allemagne qui a la première reconnu l’artiste, dès 1912 lors de l’exposition du « Sonderbund » de Cologne. Le marchand Kahnweiler expose six œuvres de Vlaminck, plus que pour Matisse ou Derain (Vlaminck est ostracisé dans sa fiche woke Wikipédia). Le peintre lie amitié avec le juif Léon Werth (Saint-Exupéry lui dédie Le Petit prince), qui critique Picasso et le cubisme ; ils ne rompront qu’en 1941. La réputation de Vlaminck pâtit encore de son fameux voyage en Allemagne organisé par la Propagandastaffel en novembre 1941. Un piège nazi habilement posé pour flatter son ego de 65 ans, lui qui était accusé peu avant encore d’artiste dégénéré, pour titiller son pacifisme et l’injustice faite à l’Allemagne vaincue par le traité de Versailles. On avait fait aussi miroiter aux artistes et intellos la libération de 300 prisonniers – qui n’aura jamais lieu : les dictatures mentent toujours et ne tiennent jamais (Hitler comme Poutine ou Trump).

La France vaincue ne méritait pas de faire camarade avec l’Occupant, ni les artistes de se commettre avec Vichy, même si l’on est comme Vlaminck antinationaliste et pacifiste, et si les communistes sont encore en faveur du pacte de Staline avec Hitler. Outre Vlaminck, ce voyage comprenait les peintres Otto Friesz, Kees van Dongen, André Derain, André Dunoyer de Segonzac, Roland Oudot, Raymond Legueult, Jean Janin, et les sculpteurs Louis-Aimé Lejeune, Paul Belmondo (père de Jean-Paul Belmondo), Charles Despiau, Paul Landowski, Henri Bouchard. Il y aura cinq voyages d’artistes et intellectuels français d’octobre 1941 à octobre 1942. Le voyage en Allemagne nazie a suscité plus d’ire intello que les voyages en URSS, en Chine de Mao, et l’adulation de Pol Pot ultérieurement, car vae victis ! (malheur aux vaincus). Mais les pays du goulag sont-il plus nobles intellectuellement que le pays des camps ?

Vlaminck, en autodidacte anti-élitiste, n’hésite pas à publier des articles attaquant les vaches sacrées du milieu tel Picasso, Matisse et Degas, « une véritable guerre de cinquante ans qu’il a menée contre Picasso et le cubisme ». Les milieux étroits où la concurrence est rude pour la reconnaissance engendrent des haines farouches. A la Libération, c’est la vengeance, d’autant que Picasso s’est fait communiste : le Comité national d’épuration l’interdit de vente et de production pendant… un an. C’est qu’en effet, il n’y a pas mort d’homme, mais critique légitime de la peinture. Maurice de Vlaminck a un nom en apparence à particule (son ancêtre s’appelle initialement Devlaeminck, nom flamand), ce qui fait « bourgeois » dans le marxisme d’ambiance après-guerre ; il a une personnalité robuste dont témoigne sa peinture, ce qui n’arrondit pas les angles.

L’après épuration voit Vlaminck faire profil bas ; il est vrai qu’il a plus de 70 ans. En peinture, « quelques masures campagnardes sur fond de paysage arborée. L’exaltation de l’air, de l’eau, de la terre et une relative mise en sourdine du feu. Du végétal, du minéral, une quasi absence de palpitation animale ou humaine. Le primat du durable sur l’éphémère » ch.6. Il meurt « terrassé par un arrêt du cœur » – autre façon de dire qu’on ne sait pas au fond de quoi.

En résumé, écrit l’auteur, Vlaminck est « un grand traumatisé de la vie », « se sent différent des autres », est « fabulateur », « narcissique, cynique et clivant », « cyclothymique », « autodidacte et instinctif », « limité dans sa technique », « aveuglé par son pacifisme viscéral hérité de la Grande guerre », « il en perd le sens critique », « est opportuniste en 1941 », « lâche en 1942 et 1943 »… N’en jetez plus ! Mais – car il y a un mais – écrit encore l’auteur en conclusion : « Pour autant, Vlaminck ne saurait être qualifié de collaborateur, ni de l’État français, ni de l’Allemagne nazie. D’ailleurs, sa condamnation en 1946 d’interdiction d’exposer et de vendre pendant un an (…) est purement symbolique. (…) Somme toute, il fut un sociopathe plus à plaindre qu’à blâmer » ch.7.

Un ouvrage documenté, non polémique sur un grand peintre volontairement oublié, par un historien de gauche mais honnête (notez le « mais », car c’est de moins en moins courant aujourd’hui – et on peut dire la même chose à droite). La raison et le bon sens étant de moins en moins partagés, au profit de l’émotion et des croyances, cet ouvrage de chercheur sur un peintre et écrivain polémique français qui a marqué son siècle mérite d’être examiné.

Gérard Leray, Vlaminck 1941-1946, Un fauve dans la tourmente, Ella éditions 2025, 172 pages, €20,00, e-book Kindle €7,99

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Vlaminck, Un instinct fauve, Skira 2008, 223 pages, €34,82

Ella éditions, attaché de presse Christophe Prat

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Jules Sergei Fediunin, Les nationalismes russes

Le nationalisme apparaît trop souvent comme un archaïsme vilipendé et méprisé tant par les humanistes des Lumières, que par les romantiques hugoliens de la « République universelle », et que par l’internationalisme communiste. Hélas ! Il résiste, comme toute réalité ancrée dans les profondeurs de l’humain. L’auteur, docteur en sciences politique de l’Inalco et chercheur post-doc à l’université d’Oslo sur les idées politiques en Russie a enseigné à Sorbonne-Université ainsi qu’à l’Inalco et mené des recherches au CESPRA de l’EHESS. Préfacé par Stéphane Audouin-Rouzeau, historien de la Grande guerre de 14-18 et frère de Fred Vargas, écrivaine de romans policiers, Jules Sergei Fediunin commence par une longue introduction sur ce qu’est « le nationalisme », avant de plonger dans les différentes sectes russes.

Ce nationalisme est idéologiquement bicéphale, comme l’aigle des armoiries tsaristes : un courant stato-impérial voulant dominer des ethnies diverses autour d’un pouvoir centralisé à Moscou considéré comme Etat-civilisation ; un courant ethnocratique porté à valorisé la seule nation russe blanche pour former un État national. Mais cette division masque tout un « écosystème d’acteurs » dans la Russie d’aujourd’hui. Poutine, dirigeant suprême qui se veut dans la lignée de Staline, a louvoyé entre ces courants pour se servir. Il est sans idéologie, en pragmatique exécutant des services de force ; il utilise les idées comme moteur et justificatif de ce qu’il veut : la guerre.

Car Poutine a toujours aimé la guerre, depuis celle de Tchétchénie, ouverte dès ses premiers mois au pouvoir comme nouveau président, étendue ensuite à la Géorgie, à la Crimée, au Donbass, au soutien du régime syrien, jusqu’à cette acmé de l’agression de l’Ukraine en 2022. Sauf que ce « nationalisme de guerre » a son revers : la critique d’un pouvoir trop mou. Evgueni Prigojine s’est mutiné pour cette raison, faisant trembler Poutine. En bon dictateur, il l’a éliminé et réprimé le « nationalisme Z ». Car point trop n’en faut, conserver le pouvoir (et le fric qui va avec) est à ce prix. On a bien vu combien l’armée russe était faible, masquée sous le nombre et l’immensité du territoire.

Mais Poutine a récupéré ce nationalisme pour créer son objet-vaudou : « l’Occident collectif », ennemi héréditaire de la Russie depuis les origines, impérialisme que le « Sud global » doit combattre, l’État-civilisation russe en tête. Si le soutien à la guerre semble minoritaire en Russie (10 à 15 % selon des sondages indépendants début 2024, selon l’auteur), la propagande est intégrée et la méfiance envers « l’Occident » bien installée. Elle agit sur un terreau fertilisé par plus d’un demi-siècle de communisme soupçonneux, qui accusait « la CIA » dès qu’un événement négatif survenait dans feue l’URSS. Nationalisme russe transformé par l’entrée en guerre de 1914 qui a « brutalisé » la société par la banalisation des pratiques radicales des violences de masse contre « l’ennemi étranger », et par l’imaginaire d’une « nation unie et assiégée ». Le « national-étatisme » poutinien enrôle la société civile comme Hitler l’a fait, dès l’enfance, encourageant la xénophobie tout en éradiquant par la prison, le camp ou l’exécution, tout opposant. Car le concept de « guerre totale » de Ludendorff, chef d’état-major des armées allemandes pendant la Première Guerre mondiale, et associé de Hitler avant son arrivée au pouvoir, suppose une implication de la société entière et pas seulement des militaires. La guerre est vécue comme « une crise existentielle collective » et tous les moyens disponibles doivent servir la cause pour conduire à la victoire.

Trois partie, après un introduction substantielle : 1/ Idées et acteurs du « nouveau » nationalisme russe ; 2/ Les nationalismes non et para-étatiques à l’épreuve de la guerre ; 3/ Du nationalisme officiel poutinien.

Passons sur les origines, sur l’opposition du temps de Gorbatchev entre les libéraux plutôt démocrates et les national-communistes plutôt autoritaires, pour en arriver aux années récentes. « Pour les nationalistes orthodoxes comme l’historienne Natalia Narotchnitskaïa(née en 1948), l’empire est d’abord un principe spirituel, associé sur le plan historique à Byzance, avec son principe du césaropapisme. Selon elle, ‘la Russie ne peut être qu’un empire’ car il n’y a aucune contradiction entre le principe national russe fondé sur la tradition orthodoxe et le ‘grand projet’ impérial permettant de renforcer le ‘potentiel historique’ du peuple russe sur les plans démographiques, économiques ou culturels. » Les néo-eurasistes comme Alexandre Douguine font de la position géographique de la Russie, au croisement de l’Europe et de l’Asie, un « pôle de résistance » à la domination atlantiste des États-Unis. Enfin, la mystique impériale d’Alexandre Prokhanov, admirateur de Staline et du complexe militaro-industriel soviétique prône un stalinisme chrétien-orthodoxe et voit dans l’empire russe une symphonie harmonieuse d’espaces, de peuples, de cultures et de systèmes de croyances. Analogue à la « symphonie » (syn-phonia, accord des instruments qui jouent chacun une partition d‘ensemble) à laquelle aspiraient l’empire hellénistique d’Alexandre, la romanité, puis les empereurs de Byzance.

Poutine a choisi dans le catalogue des idées celles qui convenaient le mieux à la stabilité de son pouvoir personnel. « Ainsi, les expressions politiques des ethno-nationalistes sont systématiquement exclues, et les manifestations violentes réprimées. Ces acteurs non étatiques sont jugés trop autonomes du fait de leurs convictions, ou trop dangereux. En revanche, les nationalistes d’obédience étatistes ou impérialistes sont tolérés et, pour certains, cooptés par le régime, dans la mesure où ils acceptent la domination du régime en place ou mieux encore, glorifie ses bienfaits. » Les révolutions de couleur, dont la révolution orange en 2004 en Ukraine, « sont interprétées comme une menace majeure aux intérêts russes dans son ‘étranger proche’ et, par delà, à la stabilité même du régime russe. »

Dès ses débuts, Poutine a valorisé l’État et la notion de grande puissance. « Le poutinisme, c’est aussi un ‘code’ fait d’idées, d’attitudes propres – le désir du contrôle, le culte de la loyauté ou la quête de l’unité, par exemple – ainsi que d’une gamme d’émotions comme le respect, le ressentiment ou la peur. » Ce nationalisme poutinien relève d’une passion de gouverner qui est un désir de jouir du pouvoir. Le conservatisme a été continuellement revendiqué, mais la posture anti-occidentale affirmée progressivement.

« Soutenu par l’Église orthodoxe russe et le patriarche Kyrill, intronisé en 2009, Vladimir Poutine s’est (…) érigé en défenseur des valeurs dites traditionnelles, centrées sur le stéréotype d’une famille hétérosexuelle stable et nombreuse ». Ce n’est qu’au fil des années que l’Occident en est venu à incarner l’éternel ennemi dans le discours du Kremlin. La Russie cherche à se distinguer et à faire valoir son statut de puissance. « Car, historiquement, la Russie n’aurait aucune raison d’être une nation si l’Occident n’existait pas ». Vladislav Sourkov a théorisé une vision autoritaire de la démocratie qui refléterait la spécificité historique et culturelle de la Russie. C’est un système politique dirigé par une élite mandatée par le peuple, pour assurer la puissance et l’identité dans un monde globalisé. Cette doctrine apparaît peu après les révolutions de couleurs entre 2003 et 2005 et promeut une nouvelle normalité de démondialisation, re-souveranisation et nationalisme. En 2013, Poutine a explicitement cité le philosophe conservateur Konstantin Leontiev de la fin du XIXe siècle, qui considérait la civilisation russe comme « une complexité fleurissante. »

« Selon Poutine, les Occidentaux auraient nié les principes moraux et toute forme d’identité traditionnelle : nationale, culturelle, religieuse et même sexuelle. » Il oppose la mentalité russe spirituelle à une mentalité occidentale individualiste, voire égoïste. Les Russes seraient de « vrais » Européens, attachés aux valeurs traditionnelles que l’Europe délaisse : la morale chrétienne contre l’amoralisme libéral de la ‘Gayrope’ défendant les droits LGBTQIA+ et promouvant le multiculturalisme. Poutine poursuit des stratégies de légitimation contre la pression idéologique occidentale. Au XIXe siècle, on craignait la contagion des idées républicaines ; aujourd’hui, on répudie la démocratie imposée, le droit-de-l’hommisme hypocrite et l’interventionnisme humanitaire de la politique extérieure occidentale (Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye, Syrie). « Le poutinisme se lit comme une réaction identitaire plus ou moins systématique au projet libéral-démocratique de l’Occident, dont l’imitation serait nuisible au développement d’une culture et d’une forme politique authentiquement russe. »

Néanmoins, « le Kremlin n’est pas parvenu à formuler une doctrine cohérente et codifiée. (…) Mais une idéologie en tant que forme vide ou technologie de domination qui fonctionne comme un ensemble de pratiques performatives. » Autrement dit, la seule chose qui compte est la stabilité, intérieure en éradiquant toute opposition, extérieure en imposant un glacis d’inféodés, pour garder le pouvoir.

Un livre utile pour démêler les discours idéologiques venus de Russie – comme des naïvetés des éternels commentateurs occidentaux, qui se précipitent pour donner leur opinion alors qu’ils ne savent pas grand chose.

Jules Sergei Fediunin, Les nationalismes russes, Calmann Lévy 2024, 368 pages, €22,50, e-book Kindle €15,99

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Retour du fascisme

A la question : peut-on parler de fascisme à propos de Poutine et Trump ? La professeure d’histoire de la Yale University Marci Shore répond clairement dans Télos : « oui ». Même si l’histoire ne se répète jamais dans le détail, le concept reste opérant. « À l’heure actuelle, le terme « fascisme » me semble le plus utile pour décrire à la fois ce qui se passe dans mon propre pays, les États-Unis, et en Russie. »

La relecture d’une biographie du promoteur du « fascisme », Benito Mussolini, par Denis Mack Smith, professeur à Oxford décédé en 2017, permet de retrouver dans le passé du dictateur italien les éléments du présent des dictateurs russe et américain d’aujourd’hui. Né en 1883, Mussolini a été élevé brutalement, à coups de ceinturon ; placé dans une pension catholique, il y a été battu (on ne dit rien à propos d’abus sexuels, mais c’était d’usage courant, si l’on en croit la libération de la parole encore aujourd’hui). Sa mère était institutrice et faisait vivre le ménage, tandis que son père forgeron était un soulard flemmard, violeur et violent avec les femmes, dont la sienne, et ses enfants. Le petit Benito a été élevé en sauvage, sans tendresse. Il est devenu ado un chef de bande brutal, bagarreur et qui aimait torturer ses camarades – qui en étaient fascinés. Renvoyé plusieurs fois des écoles, il n’a pas hésité à donner un coup de couteau à un élève. Tout à fait le genre américain des lycées : solitaire, instinctif, méprisant les femelles et la faiblesse.

En bref un frustré, revanchard social, empli de ressentiment social. On dirait aujourd’hui, avec Vance (né Bowman), un « plouc des collines » (hillbilly). Sa méthode est la violence physique, sa culture la brutalité, comme Poutine. Il a peu de volonté et de constance et ne cesse, jeune homme, d’enchaîner les petits boulots et les femmes, sans jamais se fixer. C’est un insatisfait perpétuel qui n’aura de cesse de parvenir à la gloire, pour enfin se sentir quelqu’un.

Mussolini lit des livres, mais sans ordre ; il se fixe sur Marx, parce que le philosophe juif allemand apporte une cohérence à son ressentiment social, mais s’en détache vite pour lui préférer le nihilisme dénoncé par Nietzsche, et les anarchistes activistes, plus en phase avec son besoin d’action violente. Il sera « socialiste », dans une Italie divisée en courants (comme « la gauche » française d’aujourd’hui), jouant son Mélenchon en poussant le groupe le plus radical pour opérer une scission et en faire le noyau du parti fasciste. Jacques Doriot avait opéré de même, du communisme au nazisme, dans la France des années 30. En 1903, Benito Mussolini se dira « communiste autoritaire ».

Comme Mélenchon a été pion, Mussolini a enseigné aux jeunes élèves avec un vague diplôme de français, mais il a été considéré comme « un tyran ». Il est plus doué pour l’imprécation et l’exhortation que pour l’analyse des faits. Il assène « ses » vérités – qui ont peu à voir avec les vraies, comme Trompe – et n’hésite pas à en changer selon les circonstances. Ainsi est-il contre la guerre coloniale en Libye, avant, quelques années plus tard, d’être à fond pour ; contre la guerre par pacifisme, avant de tourner casaque parce que l’exaltation guerrière devient populaire. Au fond, il n’a aucune idée, seulement le sens du vent (comme Trompe). C’est pourquoi « le fascisme », au départ, n’est qu’un amalgame d’idées confuses, du conservatisme au catholicisme ultra, du capitalisme à l’étatisme, du patriotisme à l’impérialisme. Il n’est unifié que par le grand imprécateur, l’orateur Mussolini, et par les arditi, ces groupes d’anciens combattants analogues aux SA de Hitler, aux mafias de Poutine et aux milices extrémistes de Trump marchant sur le Capitole. Lequel a imité en 2021 le Mussolini de la marche sur Rome en 1922.

L’Italien Mussolini a toujours considéré qu’il fallait l’équivalent des invasions barbares pour redonner à l’Italie sa grandeur, débarrassée des libéraux, humanistes et autres chrétiens démocrates. La « barbarie » permettrait un nouveau souffle à l’Empire romain – et c’est ce que dit aujourd’hui Poutine à propos de l’Europe, voyant les Russes en missionnaires d’une Troisième Rome. Poseur et exhibitionniste, Benito invente des histoires de toutes pièces lorsqu’il est journaliste au Popolo d’Italia. Ce sont ses « vérités alternatives » analogues à celles de Trompe. Entre storytelling – ou « belle histoire » à croire – et propagande éhontée – sur l’exemple de Goebbels : mentez, il en restera toujours quelque-chose. Mussolini n’a aucune conviction en dehors de lui-même. Il est une force qui va, et se justifie par ses succès – comme Trompe le vaniteux bouffon. Pas étonnant si, en élisant un clown, les Américains vivent aujourd’hui un spectacle de cirque. Benito est, comme Donald, d’accord avec le dernier qui a parlé. Quelle importance ? C’est la force qui mène la politique, disent en chœur Poutine le mafieux et Trompe le trompeur. Les masses sont passives, inaptes à analyser mais seulement à « croire ». Donnez-leurs des illusions ! Seules les élites ont un esprit critique, ce pourquoi Mussolini, Poutine et Trump s’efforcent de les brider, brimer, châtier – par la peur, l’assassinat, le goulag, la coupe de tout financement.

Les groupes fascistes ont été fondés par des socialistes en faveur de la guerre, et Mussolini (qui n’a rien inventé) a pris le train en marche. C’est en 1919 qu’il lance le mot « fasciste » dans ses discours. Le terme vient de « fascio », le faisceau, en référence aux faisceaux des licteurs romains. Cet emblème des verges et de la hache a été repris par les milices squadristes issues de la brutalisation de la guerre de 14. Il symbolisait bien le surveiller et punir du nouvel autoritarisme. Le parti fasciste a été créé avec une cinquantaine de personnes seulement, des futuristes et des arditi, des intellectuels modernes comme Marinetti exaltant les machines, la vitesse et l’énergie, et d’anciens combattants las des parlottes parlementaires et aspirant à l’autorité et à l’action. Cela convient à l’agitateur Mussolini, comme au bouffon Trompe avec ses avant-gardistes de la Silicon Valley et ses milices extrémistes. Il s’agit de surprendre chaque jour, comme Trump fait, afin d’anesthésier toute critique en ne laissant jamais le temps de penser.

Mais ce sera la politique politicienne, avec l’alliance de circonstance du parti fasciste et des libéraux de Giliotti, qui va porter le fascisme au pouvoir et précipiter la dictature mussolinienne. Le libéral croira manipuler le rustre Benito, mais se fera rouler dans la farine par son culte de la force. Hitler l’a imité, comme Poutine après Staline. Trump n’a même pas eu besoin de cela, l’effondrement moral de la gauche américaine dans le woke lui a offert un boulevard populaire.

Au total, ce retour de l’histoire montre que la bouffonnerie réactionnaire peut parvenir à s’imposer au pouvoir, contre toute raison. Et c’est ce qui nous pend au nez avec la dynastie Le Pen. Bardela candidat serait peut-être différent ; il semble plus proche du modèle Meloni d’un fascisme régénéré adaptable à l’Union européenne – donc contraint – pour le moment. Mais introduire le loup dans la bergerie, que ce soit Le Pen ou Mélenchon, serait une erreur. Le « moindre mal » n’est jamais qu’un « mal » qui peut grossir…

Denis Mack Smith, Mussolini : a Biography, 1981, en anglais €24,03 – une traduction en français a paru chez Flammarion en 1985 mais n’est plus référencée.

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Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang

Le 4 juin 1942 à Prague, dans le protectorat allemand de Bohême-Moravie, Reynard Heydrich meurt des suites de ses blessures après un attentat de la résistance tchécoslovaque. En mars 1943, Fritz Lang, juif catholique austro-hongrois devenu allemand par mariage et réfugié aux États-Unis dès 1934, sort un film sur l’affaire.

Ce n’est pas la réalité historique, peu connue alors, mais un imaginaire plausible. Heydrich, le SS-Obergruppenführer et gouverneur de Bohême-Moravie, meurt à 38 ans sous les balles de trois résistants tchèques en pleine Prague. Dans la réalité, cela se passait à la campagne et les résistants avaient été parachutés d’Angleterre. Heydrich a été atteint par les éclats d’une grenade qui avait fait exploser le siège de son auto et projeté des particules de crin de cheval dans ses plaies. Il mourra d’une septicémie quelques jours plus tard, et non pas d’une balle sur le moment comme dans le film. Mais Fritz Lang se garde bien de montrer l’attentat ; il n’en garde que les échos dans les rumeurs des voisins, la presse et les yeux d’une jeune fille.

Masha (Anna Lee), un peu nunuche, rentrait chez ses parents et s’était arrêtée chez l’épicière pour quelques achats de chou et de navets, seuls légumes disponibles – plus de pommes de terre. Elle a vu un homme à chapeau (Brian Donlevy) se planquer dans une encoignure tandis qu’une escouade de soldats déboulait d’une ruelle. Par réflexe anti-boche, elle a désigné une autre direction à l’officier qui lui demandait si elle avait vu un homme (oui) et où il était parti (à l’opposé). Fille du professeur d’université Novotny (Walter Brennan) qui ne peut plus faire cours, elle est fiancée à un jeune chimiste, Jan (Dennis O’Keefe) et a un petit frère de 11 ans au collège. Lors du dîner, on sonne à la porte. C’est l’homme au chapeau qu’elle a vu se cacher, qui porte un bouquet de fleurs pour se faire introduire, rappelant qu’il a rencontré Masha à un concert. Il est 19 h, heure du couvre-feu et il ne peut repartir. Il aura au moins un asile pour la nuit. Le père ne veut rien savoir, mais devine ; la tante, qui est une vraie pipelette et se préoccupe des voisins, en parle autour d‘elle, en bonne femme à tête de linotte. Voilà la famille bien embêtée.

Dès le lendemain, remontant la filière des témoins, la Gestapo embarque le père Novotny et ses étudiants à domicile, qui seront otages et exécutés par lots jusqu’à ce que l’assassin se dénonce. L’homme au chapeau qui se fait appeler Vanek a trop bien soigné la main du gamin qui s’était coupé en voulant du pain ; Masha ne tarde pas à le retrouver sous la figure du Docteur Franticek Svoboda, qui travaille à l’hôpital. Elle le met devant ses responsabilités : ou se dénoncer et sauver les otages, dont son père, ou garder le silence et avoir les centaines d’exécutés sur la conscience. Svoboda – qui veut dire liberté – a eu le même dilemme, mais ses amis résistants l’ont persuadé qu’il serait plus utile au pays vivant et qu’il devait ne rien faire. Tout le peuple est derrière lui, son héros.

Le réseau de résistance de Svoboda est infiltré par le riche brasseur Czaka, qui préfère le fric à la patrie. Tout le sel du film sera de le compromettre pour en faire l’assassin officiel d’Heydrich : faux témoignages, pistolet anglais caché dans son tiroir, briquet en or à ses initiales trouvé opportunément, cadavre de l’inspecteur de la Gestapo Grüber dans sa cave… Le gros industriel, qui se croyait malin à frayer (comme Trump) avec la Gestapo (le FSB), n’obtient aucune reconnaissance de ses pseudo « amis ». Il est interrogé comme les autres – avec brutalité et arrogance, retournant ainsi contre lui ses propres façons de faire. Cette ironie tout le long du film est assez réjouissante. Même si la Gestapo est persuadée qu’elle ne tient pas le vrai coupable, elle entérine le bouc émissaire Czaka pour ne pas se déjuger devant le peuple et donner la victoire à sa résistance. Le film se termine d’ailleurs par un « NOT THE END », qui laisse entendre que ce n’est que le début d’une résistance obstinée.

L’histoire devrait faire réfléchir les admirateurs trop aveuglés de Poutine et de Trump – soit l’électorat des extrêmes. Heydrich, suffisant et méprisant, faisant preuve de mauvaise foi et d’arrogance, s’est mis à dos ses « frères de race » tchèques, incitant à lui résister par tous les pores. Il en est crevé, des suites d’une infection due à la bombe. Le parallèle avec Trump ou Poutine est édifiant… Le Bouffon yankee est suffisant et méprisant envers tous les « faibles », notamment ses frères « de race blanche » ukrainiens et européens, il fait constamment preuve de mauvaise foi et d’arrogance en traitant tous ceux qui ne flattent pas son égo narcissique de « dictateurs » ou de « parasites » suçant le sang américain.

Fritz Lang, pour ce film de propagande anti-nazie, a collaboré avec Bertold Brecht pour le scénario, dramaturge allemand anti-nazi qui a fui lui aussi aux États-Unis en 1941. Rappelons que les Yankees sont restés « neutres » pour préserver leurs ventes d’armes aux belligérants jusqu’en 1941, après l’assaut japonais inopiné sur Pearl Harbor, et les attaques de sous-marins nazis en Atlantique. Ce n’est que lorsque leurs intérêts commerciaux ont été touchés que les États-Unis isolationnistes sont entrés en guerre. Il ne faut jamais compter sur eux, sauf à les menacer de faillite.

DVD Les bourreaux meurent aussi (Hangmen also Die), Fritz Lang, 1943, avec Brian Donlevy, Anna Lee, Walter Brennan, Hans Heinrich von Twardowski, Nana Bryant, Movinside 2017, 2h14, anglais doublé français, €14,99, Blu-ray + BD, Esc éditions 2025,€24,99

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Giovanni Guareschi, Don Camillo à Moscou

Tous les moins de 50 ans connaissent Don Camillo, incarné au cinéma par Fernandel dans une série de films culte entre 1952 et 1970. Don Camillo est un prêtre de paroisse qui s’oppose au maire communiste Peppone, mais à l’italienne – avec sentiments, fraternité et combinazione. Tous deux ont fait la guerre contre les fascistes et restent copains malgré leurs divergences idéologiques. L’auteur est carrément du côté catholique et se moque avec humour du communisme en marche, qui veut devenir religion à la place de la religion.

Don Camillo, en ce dernier opus de la série, connaît son point d’orgue. Un soir, en catimini, Peppone, artisan mécanicien devenu maire communiste, vient le voir au presbytère pour demander conseil. Il a joué au Totocalcio (le loto-foot de l’époque) et a tiré le numéro gagnant de dix millions de lires ! Mais c’est très mal vu pour un prolétaire communiste de jouer à des jeux d’argent capitalistes, et il ne peut décemment devenir riche en restant au Parti. Surtout que la rumeur commence à se répandre que le joueur a laissé un faux nom qui est l’anagramme de Giuseppe Botazzi, alias Peppone. Il demande au curé d’aller retirer le gain à sa place.

Un an plus tard, Peppone est élu sénateur ; il a empoché les millions… mais les mal placés auprès d’un financier véreux et s’est fait gruger : c’est ça le capitalisme, quand on n’y connaît rien. Lorsqu’il revient voir Don Camillo, piteux, le prêtre en profite. Le sénateur doit sélectionner les dix meilleurs communistes d’Italie pour un voyage d’une semaine en URSS, la glorieuse patrie du socialisme en plein essor, qui a déjà envoyé un satellite dans l’espace, puis une chienne, et est en plein grands travaux pour détourner les eaux de la mer d’Aral afin d’irriguer les champs de coton et de planter du maïs. Nous sommes sous Khrouchtchev, qui a déstalinisé le pays et deserré l’autoritarisme du Parti, tout en maintenant ferme la direction idéologique. Mais tout reste centralisé, fonctionnarisé, contrôlé.

Ce pourquoi le camarade Don Camillo, déguisé en typographe prolo méritant Tarocci Camillo, part en URSS avec Peppone et huit autres camarades, et l’autorisation de son évêque. Il n’aura de cesse de mettre en évidence pour le groupe les contradictions flagrantes entre la théorie du Parti et la réalité du pays. Il a déguisé son missel latin en Pensées de Lénine et ne cesse de le consulter. Il a cependant lu tout ce qu’il pouvait sur Marx, Lénine et Staline, ces trois piliers du communisme soviétique, et les cite à bon escient.

Les propagandistes qui leur font le voyage les abreuvent de statistiques, les chiffres étant plus falsifiables que les choses. Ils visitent une usine de tracteurs – dont certaines pièces sont défectueuses, incident signalé mais pas corrigé, car attendant le feu vert d’une commission à Moscou qui ne donnera pas son verdit avant une année. Ils visitent un kolkhoze dans la boue, avec les tracteurs et machines agricoles dont personne ne s’occupe, restant à rouiller dans les champs, tandis que d’autres machines sont conservées flambant neuves et inutilisées dans un hangar. Tout est à l’avenant. Si la viande est bonne, elle est rare, et la sempiternelle soupe aux chou-pomme de terre est lassante. Seule la vodka coule à flot et se boit comme de l’eau, faisant révéler les dessous des pensées communistes – impeccablement rouges à jeun, amèrement petite-bourgeoises saoul.

C’est drôle, édifiant, réaliste. Don Camillo n’est pas méchant, mais féru de vérité. Or le communisme est une illusion. Dieu existe toujours dans les esprits des gens. Des Italiens, restés après avoir été faits prisonniers durant la guerre, veulent retourner en Italie tant l’avenir radieux ne leur convient plus, et Camillo les aide. Au retour, l’évêque en est effaré : « Ce n’est pas possible! Conversion du camarade Tavan, conversion du camarade Gibetti, libération du camarade Rondella, élargissement du Roumain de Naples, messe et communion pour la vieille infirme polonaise, célébration du mariage entre la fille et l’ancien soldat, baptême de leurs six enfants, confession de l’expatrié et sa réhabilitation, messe des morts au cimetière. En outre dix-huit absolutions in articulo mortis. Par surcroît tu es devenu chef de cellule ! Et le tout en six jours seulement, et dans le propre pays de l’Antéchrist ! » Don Camillo s’est reposé le septième jour, comme Dieu après sa Création. Tel est l’humour de Guareschi, qui demeure.

Car le communisme a cédé la place à une nouvelle religion, l’adoration de Gaïa, la lutte contre le démon qui souffle le chaud et le froid sur le climat, et la décroissance néo-prolétaire face aux néo-bourgeois toujours « capitalistes », blancs, mâles, dominateurs, impérialistes, coloniaux, machos (etc…). Les Don Camillo, plus forcément chrétiens, mais aptes à penser par eux-mêmes pour résister aux sirènes de la pensée Panurge, sont toujours nécessaires.

Giovanni Guareschi, Don Camillo à Moscou (Il compagno Don Camillo), 1963, J’ai lu 1972, 307 pages, occasion de €19,44 à €48,80 selon disponibilités

DVD Don Camillo – L’intégrale (5films dont Don Camillo en Russie), avec Fernandel, Gino Cervi, Gastone Moschin, Lionel Stander, Vera Talchi, StudioCanal 2018, 8h37, €19,99

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Laurent Chamontin, Ukraine et Russie pour comprendre

Laurent Chamontin, diplômé de l’École Polytechnique, a vécu et voyagé dans le monde russe, il est décédé en 2020 d’un cancer et du Covid. Déjà auteur en 2014 de « L’empire sans limites – pouvoir et société dans le monde russe », (aussi en e-book Kindle) il s’est rendu fin 2015 à Marioupol pour étudier les répercussions de l’Euromaïdan dans le Donbass. C’est donc un spécialiste sur le terrain, qui parle russe et a parlé avec des Russes et des Ukrainiens, qui livre son témoignage géopolitique en sept chapitres. Bien que datant de 2017, ils n’a rien perdu de son actualité !

Tout d’abord la Russie

« L’effarante entreprise de prédation dont la Russie a été l’objet dans les années quatre-vingt-dix de la part de ses élites est la raison déterminante pour lequel ce pays n’arrive pas aujourd’hui à trouver un équilibre », écrit l’auteur. La loi de la jungle a favorisé ceux qui ont les relations et l’absence de scrupules nécessaires pour capter une part des ressources, tandis que ceux qui ont moins de chance doivent se faire une place dans l’économie informelle et se soumettre aux rackets de toute sorte. La propagande patriotique de Vladimir Poutine a pour fonction de rendre acceptable ce nouvel ordre des choses. Poutine est intimement lié aux mafias russes, comme l’ont montré les enquêtes de Catherine Belton du Financial Times.

La démocratie en a été durablement flétrie dans l’opinion, dermocratiya signifiant merdocratie. L’effondrement incompréhensible d’un cadre de vie familier, comme dans l’Allemagne des années 20 a fait le reste : l’aspiration à l’ordre et à un minimum de pouvoir d’achat – d’où Poutine. De plus, analyse l’auteur, « la civilisation russe se caractérise par le développement d’un État qui ne se reconnaît aucune obligation par rapport à la société dont il émane, ou, en d’autres termes, par une allergie persistante à la séparation des pouvoirs. Cette tendance, déjà observable aux temps d’Ivan le Terrible et de Pierre le Grand, est toujours à l’œuvre de nos jours ; elle explique le statut précaire de l’individu et le faible enracinement des garanties juridiques, le destin souvent tragique des courants libéraux comme la corruption et la cécité de la Russie officielle vis-à-vis des attentes de la société, malgré l’emprise sans commune mesure des services secrets. »

Mais la Russie est fragile, en déclin partout : démographique, économique, diplomatique. « Quand on prend la peine de regarder au delà des images soigneusement entretenues – celles du « dirigeant puissant à la tête d’un pays à la fierté retrouvée » – on rencontre une Russie bloquée et saturée de violence, minée par la corruption et l’irresponsabilité de ses élites. » Désormais, la militarisation à outrance voisine avec une société précarisée, ce qui laisse mal augurer de l’avenir : révolte populaire ou fuite en avant nationaliste ? Pour le moment, Poutine dose la première avec la seconde, mais l’équilibre est précaire.

Aux racines du conflit : la décomposition de l’URSS.

Choc traumatique. Vladimir Poutine déclare que la chute de l’URSS est « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » et il touche une corde sensible dans son public. « En pratique, la politique de transparence, la glasnost, et la renonciation de plus en plus explicite au recours à la force conduisent en quelques années à la désagrégation de l’empire soviétique sous l’effet de forces centrifuges qui lui échappent désormais, et aussi sous celui d’une désaffection généralisée vis-à-vis de l’idéologie officielle ».

D’où la réaction nationaliste, analogue à celle des Allemands dans les années 30. L’assimilation de Poutine à Hitler est commode comme diabolisation mais, « aussi autoritaire qu’elle soit devenue aujourd’hui, elle ne présente pas pour autant les caractéristiques des grands systèmes totalitaires du XXe siècle ». Il s’agit plutôt de « nostalgie de la puissance perdue comme la persistance sur le long terme des méthodes des services secrets. »

Le surgissement de « l’étranger proche »

La chute de l’URSS en décembre 1991 a fait émerger une nouvelle réalité géopolitique entre la Russie et les pays nouvellement indépendants d’Europe centrale. Ces pays doivent compter avec un voisin russe incontournable et resté fort jaloux de sa prérogative impériale, tandis qu’Américains et Européens ont développé avec eux de nouveaux liens. L’étranger proche est la zone considérée comme d’intérêt vital pour la Russie.

Les pays baltes adhèrent à l’Otan, puis à l’UE, les révolutions de couleur en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan en 2004 et 2005, soutenues par Washington pour les aider à en finir avec la corruption et le népotisme post-soviétiques, fâchent Moscou, bien que ce soient les électeurs qui votent et choisissent le droit et l’ouverture à l’Europe. L’ours russe a l’impression d’être encerclé, une forteresse assiégée dans ses valeurs traditionnelles, menacé par la puissance économique comme par l’attrait des libertés. La propagande russe a contribué à élargir la divergence de perception entre une population qui connaît mal le monde hors du périmètre soviétique et les peuples de l’Europe – Ukrainiens compris – qui connaissent le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux.

D’où, une fois de plus, la réaction du pouvoir qui confond puissance et capacité de nuisance. Il tente de maintenir l’illusion d’une parité renouvelée avec les États-Unis, et nie implicitement l’existence de l’Ukraine comme acteur autonome du jeu international. Bien que le référendum du 1er décembre 1991 ait consacré l’indépendance de l’Ukraine à 90,3 % (54,1 % pour la Crimée), Poutine nie l’existence même de ce pays. Cité par le quotidien russe Kommersant, il aurait déclaré au Président Bush : «  Tu comprends bien, George, que l’Ukraine n’est même pas un pays ! C’est quoi, l’Ukraine ? Une partie de son territoire, c’est l’Europe de l’Est, et l’autre partie, qui n’est pas négligeable, c’est nous qui lui avons donnée ! ».

Le choc de 2014

La révolution orange en Ukraine s’est déclenchée à la suite de fraudes massives, mobilisant près de 20 % de la population. La classe moyenne n’arrivait pas à sortir de la précarité à cause de la corruption du quotidien, clientélisme, copinage et trucage des marchés publics. Les petites et moyennes entreprises ont été très actives, y compris sur le plan politique comme le montre le Maïdan des entrepreneurs de 2010. Les associations très dynamiques dans des domaines variés traduisent le désir de pallier aux carences de l’État. Les lois de décommunisation ont clairement pour objectif de marquer une rupture avec ce passé et de remodeler l’identité nationale, à l’encontre de la nostalgie soviétique en vogue au même moment en Russie. 3 200 statues de Lénine ont été démontées en Ukraine entre 1991 et novembre 2015 sur les 5 500 initialement en place. Cet exemple effraie le pouvoir autoritaire de Moscou qui craint la contagion car la mafia prend tout, la corruption règne à tous niveaux en Russie aussi.

En février 2014, la fuite de Viktor Yanoukovitch sous la pression de la rue ukrainienne a incité Moscou à s’emparer de la Crimée subrepticement, son armée déguisée en petits hommes verts sans étiquette, puis à favoriser les pro-Russes du Donbass. La propagande moscovite directement inspirée par celle de Staline fait d’un peuple entier l’héritier d’un passé « nazi ». « La persistance de ce thème de propagande tient en fait à l’inquiétude qu’inspirait à Staline le nationalisme ukrainien, matérialisé par la résistance farouche des partisans de l’OuPA au-delà de la fin de la guerre : dans l’Ouest du pays, les derniers foyers de résistance ne furent réduits au silence par les troupes soviétiques qu’en 1950. » Mais le Kremlin fait silence sur sa propre collaboration avec Hitler lors de la signature en 1939 du pacte germano-soviétique – qui lui a permis d’envahir la Galicie, territoire ukrainien alors sous souveraineté polonaise.

Les traités sont pour la Russie des chiffons de papier. Par exemple, la signature du mémorandum de Budapest en 1994 fait renoncer l’Ukraine à son armement nucléaire contre la garantie de ses frontières par la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni…. Mais Poutine s’est assis dessus. Comment ne pas comprendre la crainte de l’impérialisme russe par tous les autres pays de l’étranger proche ?

L’Occident ignorant et pusillanime

La mentalité change peu à peu depuis la guerre à outrance de Poutine, ses massacres de civils sans état d’âme et ses mensonges réitérés. Mais subsiste en Occident la peur de la guerre, la fausse impression que Poutine puisse être rationnel dans tout ce qu’il fait et qu’il est impossibles que l’aventurisme militaire puisse être préféré à la croissance et à la stabilité des frontières. Eh bien, si !

D’autre part, le mythe de l’homme fort qui court-circuite les débats du parlementarisme, et le récit du héros pliant la réalité à ses désirs, restent une nostalgie chez certains. Ce qui est incompatible avec l’exercice des valeurs démocratiques d’écoute et de concertation. L’auteur écrit : « Dans la mesure où certains « gaullistes » d’aujourd’hui se laissent attirer par les sirènes du culte de Vladimir Poutine, il importe au passage de préciser quelques points à ce sujet, et en premier lieu, que l’homme du 18 juin est l’auteur de la déclaration définitive selon laquelle « un État digne de ce nom n’a pas d’amis » ; ensuite, qu’il était un lecteur averti de Custine, et qu’à ce titre il n’avait aucune illusion sur l’Union Soviétique, ni sur l’ouverture de la civilisation russe à la démocratie libérale ; et enfin, qu’il était porteur d’une vision et d’un sens de l’honneur dont l’ensemble de notre propos suggère qu’ils pourraient ne pas être le lot de l’homme du Kremlin. » chap.7

Si les États-Unis restent encore un élément essentiel de l’ordre du monde, ils sont moins concernés que les Européens par les échanges avec la Russie. Les hydrocarbures non conventionnels leur permettent d’être autonomes en énergie. Leur défi est plus chinois (1,4 milliards d’habitants) que russe (145 millions). Ce qui renvoie l’Europe à son faible poids démographique, sa relative pauvreté en ressources, et à sa division devenue handicap.

Les risques montent pour l’Europe. En interne le populisme qui déstabilise les institutions, à l’extérieur la menace islamiste et la crise dite des migrants, à laquelle s’ajoute depuis 2020 l’imprévisibilité fondamentale du Kremlin, engagé dans une fuite en avant nationaliste qu’il sera infiniment plus difficile d’arrêter que de lancer, résume l’auteur.

Un livre à lire, « pour comprendre. »

Laurent Chamontin, Ukraine et Russie pour comprendre, 2017, Diploweb, 106 pages, e-book Kindle €6,49

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Hugo Micheron, La colère et l’oubli

Un jeune docteur en science politique, désormais maître de conférences à Sciences Po et chercheur rattaché au CERI publie, après le jihadisme en France et le jihadisme en Europe, une histoire du jihadisme européen. Une occasion de prendre de la hauteur et d’apercevoir les aveuglements innombrables des « bonnes âmes », des « associations », de la gauche morale, des droitdelhommistes naïfs – et des politiciens qui sont l’écho de l’opinion (exprimée – manifestement pas de la silencieuse).

Car la première leçon à tirer de l’expansion du jihadisme depuis la guerre soviétique d’Afghanistan (1979) est la suivante : « la prise de conscience » vient toujours trop tard, après les faits, après les tueries.

L’auteur répète plusieurs fois ce constat navrant. Sur l’effet de communauté (nié par la gauche qui ne voyait que de la pauvreté), sur les réseaux sociaux (laissés sans règles une dizaine d’années durant au nom de l’interdit d’interdire), sur la radicalisation (minimisée au prétexte de ne pas stigmatiser « l’islam »), sur l’effet prison (remis en cause seulement récemment), sur l’alliance entre grand banditisme et religion, sur les faux « loups solitaires » (qui obéissaient en fait à des directives venues de Syrie). En avons-nous vraiment fini avec la naïveté et ce « détail de l’histoire » réputé passer (mais qui ne passe pas) ?

La seconde leçon est, certes, que ce n’est pas « l’islam » en général qui est à surveiller et à condamner, mais une secte fanatique qui appelle au meurtre de tous ceux qui ne croient pas comme eux (y compris la majorité des musulmans) : le salafisme.

« Il apparaît que le facteur le plus déterminant pour expliquer le nombre de départs vers la Syrie à l’échelle d’une ville n’est ni le niveau de pauvreté, ni la taille de la population musulmane locale, mais la proportion d’acteurs salafistes en son sein » p,14. C’est vrai en Allemagne, en Suisse et en Autriche – comme en France. « Le jihadisme n’est ni tombé du ciel, ni sorti de terre : il a été transplanté par des militants » p.15. Ceux revenus d’Afghanistan, puis du GIA algérien, convertis à l’extrémisme islamiste. Le salafisme est un islam littéral (hanbalisme) « et se confond en partie avec le wahhabisme – la doctrine religieuse d’État en Arabie Saoudite » p.31. Il s’appuie en Europe sur les Frères musulmans qui cherchent à obtenir une reconnaissance auprès des pouvoirs publics afin de poursuivre « une stratégie d’affirmation communautaire exploitant toutes les ressources de la démocratie (procédures judiciaires, associations, etc.). p.30. Qui contrôle les mosquées ? Qui finance le culte musulman ? Pourquoi l’Arabie saoudite peut-elle impunément répandre une doctrine de haine ?

La troisième leçon est que l’activisme djihadiste connaît des phases hautes et basses.

Une première phase haute entre 1995 et 2001, entre les attentats du GIA en France et les attentats du 11 septembre aux États-Unis, suivie d’une phase de repli jusque vers 2006, les attentats de Londres et la proclamation de l’État islamique d’Irak ainsi que les premières affaires Charlie hebdo.

Puis une phase de repli jusqu’en 2014 avec la mort de Ben Laden, les printemps arabes, le déclenchement de la crise syrienne, la mort du chef d’Al Qaïda au Yémen et à nouveau une phase haute à partir de 2015 jusqu’en 2018 avec la proclamation du califat de Daech, les attentats de Bruxelles, de Paris, Denise, de Copenhague, en Allemagne, de Manchester et Londres, de Stockholm, de Barcelone.

Suit une phase de repli qui pourrait bien s’inverser depuis 2022 avec l’assassinat de Samuel Paty, suivi des meurtres au couteau d’isolés radicalisés par les réseaux, de plus en plus fanatiques et de plus en plus jeunes…

De nouveaux attentats sont à prévoir sans que la société inerte, ni les politiciens obnubilés par « l’extrême-droite », ni les pouvoirs publics toujours lourdauds, n’en aient vraiment pris la mesure. L’étiquette « de droite » collée à tout ce qui touche la critique de l’islamisme aveugle les bonnes consciences de gauche et du centre moral, et inhibe toute action décisive.

La quatrième leçon est que le salafisme à visée terroriste s’est implanté durablement et largement dans certains clusters en Europe.

Selon les doctrinaires qui entraînent les activistes, « il revient à une avant-garde, composé de militants déterminés (les salafo–djihadistes) à éclairer les autres musulmans, d’intervenir partout où les conditions sont remplies » p.47. C’est typiquement la stratégie de Lénine : créer un parti de militants doctrinaires et violents, afin d’entraîner les masses qui restent souvent amorphes sans ce déclencheur.

Le but ? « Un retour à l’islam véridique, étape décisive pour accomplir la promesse coranique : l’avènement du califat et la diffusion dans le monde entier de l’islam, vérité universelle soufflée par Dieu » p.47. Rien que cela. Autrement dit, le massacre de tous ou la soumission immédiate.

Comment faire ? « À l’origine se trouve un groupe de militants salafo–djihadistes (un), qui se rassemble dans certains quartiers qu’ils sont identifiés préalablement (deux). Ils établissent des structures de formation, organisent collectivement la prédication, tissent des réseaux de solidarité (trois). Cela aboutit à l’affirmation d’un nouveau référentiel islamique local, imprégné de salafo–djihadisme (quatre), qu’ils peuvent ensuite propager vers de nouveaux horizons » p.55. Dans cette optique, l’intégration démocratique ne fonctionne plus, le contrat social est nié, tout comme les valeurs d’égalité entre les sexes, de liberté de conscience et d’expression.

Le fonctionnement est celui d’une secte : couper les ponts avec la famille et les amis, se purifier et obéir à une austérité imposée, se radicaliser progressivement par un sentiment d’exclusion sociale et une valorisation du groupe fanatique. C’est tout cela que la société, les politiciens et les intellectuels n’ont pas voulu voir entre 1990 et aujourd’hui. C’est tout cela qu’explique l’auteur admirablement.

Pourquoi chez nous, qui accueillons volontiers la misère du monde ? « L’un des paradoxes les plus mal compris de l’arrimage djihadiste en Occident est que les propagateurs ont choisi l’Europe pour les garanties exceptionnelles et la protection dont ils bénéficient à l’abri de l’État de droit, tout en dénonçant les principes fondateurs des démocraties comme des avanies dont il faudrait absolument protéger les musulmans » p.67.

Faut-il pour cela remettre en question l’État de droit ? Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, comme prônaient les gauchistes des années 70 ? Non, dit l’auteur, mais l’appliquer en intégralité et sans faillir. Cela implique la police, la justice, mais aussi l’ambiance morale des associations et autres prêcheurs de pardon qui nient la dangerosité sectaire de ce genre de salafistes. « L’idée du ‘eux contre nous’, que l’amour des siens va de pair avec la détestation de l’autre et que tout ça est un commandement divin, est une idée très puissante » p.72. Cela aboutit à ce que Abou Hamza, déclare que « les mécréants peuvent être traités comme des vaches ou des cochons et que les femmes et les enfants qui ne sont pas musulmans peuvent être réduits en esclavage » (dans The Guardian du 20 mai 2014), cité P. 102.

Cette stratégie est celle du chaos, analogue à celle que Mélenchon poursuit par intérêt électoraliste personnel. « Les guérillas djihadistes doivent avoir pour objectif de créer un climat de harcèlement permanent des sociétés démocratiques, qui se retourneront selon lui sans nuance contre l’ensemble des musulmans. Confrontés à une défiance grandissante, ceux-ci n’auront plus d’autre choix que de rejoindre en masse la guerre sainte dans une guerre civile » p.160. Les manifs en faveur de la Palestine peuvent être comprises à cette aune. L’agitateur Mélenchon attise le chaos afin de capter l’électorat musulman pour une gauche révolutionnaire dont il serait – bien évidemment – le seul chef imam autoproclamé. L’auteur remarque pour l’islam « l’importance de l’activisme estudiantin durant les années 2000. Cela se traduit par une politisation croissante des contenus de la propagande » 225. C’est sur ce terreau que surfe Mélenchon, cet idiot utile (comme disait Lénine). Car « l’islam peut être présenté sous un jour incroyablement révolutionnaire » 229.

La tactique permanente ? « L’effort de propagande de l’État islamique consiste donc à inverser le rapport des faits entre eux, afin de prétendre que les exactions appartiendraient à une forme islamique de légitime défense. » p.292. C’est exactement ce qui se pratique à propos de la Palestine, le pogrom initial barbare est écrasé par l’ampleur des bombardements et des morts à Gaza. Mais lorsque l’un des protagonistes n’obéit plus à aucune règle, l’autre s’en dispense également. En ce cas jouent les rapports de pure force, que les ennemis devraient prendre en compte avant d’agir. C’est le cas du Hamas comme le cas de Poutine, ce pourquoi il faut réaffirmer les règles avec force et opérer des pressions efficaces pour rétablir le barrage du droit.

Ultime leçon : nous n’en avons pas fini avec l’islam religieux, l’islamisme politique, le salafisme terroriste.

« Partout où les chiffres sont disponibles, il apparaît à l’orée de la décennie 2020 que le salafisme occupe une place plus importante que 10 ans auparavant. (…) En France, les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur à la presse font part d’un milieu salafiste composé de 30 à 50 000 personnes, dont 10 à 12 000 particulièrement virulentes, six à dix fois les niveaux estimés en 2004 » p.336. De quoi remettre en cause les deux mamelles du débat, bloqué par les intellos moralistes : « Déni et hystérie, les deux écueils de la pensée sont bien en place au début de la décennie 2010 et empêchent une prise de conscience de l’activisme islamiste en démocratie » p.249.

Un livre salutaire pour remettre les faits que nous avons vécus en perspective et comprendre le pourquoi et le comment d’une histoire qui n’est pas prêt de finir.

Prix du livre géopolitique 2023

Prix Fémina essai 2023

Hugo Micheron, La colère et l’oubli, les démocraties face au jihadisme européen, 2023, Gallimard, 395 pages, €24,00 e-book Kindle €16,99

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Elsa Vidal, La fascination russe

Un essai fascinant d’une journaliste parlant russe, connaissant bien la civilisation russe et au fait de la Russie contemporaine. Pour elle, le tropisme français envers la Russie date de loin, de Voltaire avec Catherine II peut-être, mais il est resté un dogme de la pensée stratégique depuis de Gaulle.

C’est l’objet de la première partie. Le général président voulait équilibrer les puissances anglo-saxonnes, qui avaient libéré le territoire de l’Occupant allemand, avec l’autre puissance européenne une fois le Reich vaincu : « la Russie ». C’était alors l’URSS, qui englobait tout un empire de « républiques » soviétisées, et de Gaulle aimait bien l’idée « d’âme des peuples » . Mais lors de la crise de Berlin en 1961 et de celle de Cuba en 1962, « De Gaulle se range sans hésitation aux côtés de ses alliés occidentaux, un fait généralement passé sous silence par ceux qui aujourd’hui se revendiquent du gaullisme ».

Les présidents suivants se sont engouffrés à sa suite avec plus ou moins d’enthousiasme, mais avec constance. Mitterrand est resté « dans les pas de De Gaulle », Chirac était « amoureux de la Russie » (et parlait vaguement russe depuis l’âge de 15 ans), il a insisté en 1997 pour faire signer l’acte Otan-Russie et l’accord de partenariat UE-Russie, Sarkozy a été un candidat anti-Poutine avant de virer casaque et d’accepter de vendre à la Russie deux frégates Mistral sophistiquées, que Hollande, « exception française », a refusé de livrer après l’invasion de la Crimée en 2014.

Quant à Macron, il a d’abord été dans la conciliation durant deux années entières après l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine, déclarant qu’il ne fallait « pas humilier la Russie », avant de prendre l’option d’aider l’Ukraine à résister au maximum. Option qui tient à la position stratégique de la France, seule puissance nucléaire indépendante de l’Union européenne, mais aussi à une tactique électorale qui est de contrer les partis de Le Pen, Zemmour et Mélenchon, tous pro-Poutine, tandis qu’il se pose, étant bloqué sur les réformes à l’Assemblée faute de majorité absolue, comme le président qui prend les grandes décisions sur l’avenir du pays.

Sur la Russie, c’est l’objet de la seconde partie, les Français vont de « faux-semblants et confusions en série ». La « Russie éternelle » a du charme, mais la Russie éternelle n’existe pas ; elle est un mythe. Le pays n’a surtout jamais été « un allié de toujours » ! Les troupes du tsar Alexandre 1er ont occupé Paris en 1814. Sur la Crimée déjà, les troupes françaises ont vaincu les troupes russes à Sébastopol en 1854.

De même « la puissance russe » est un autre mythe. La Russie n’a rien d’un pays invincible. Certes, le territoire est immense et les armées peuvent s’y perdre, faute de commandement suffisant et d’objectifs précis (Napoléon, Hitler), mais les Russes ont souvent été vaincus dans l’histoire : en 1854 par une alliance franco-anglaise en Crimée, en 1905 par les Japonais, alors puissance du tiers-monde, en 1917 par les Allemands, qui lui ont envoyé Lénine en wagon plombé pour la déstabiliser de l’intérieur, en 1942 à cause des erreurs de Staline et après avoir signé le pacte germano-soviétique avec Hitler, en Afghanistan en 1989 après dix ans d’occupation sans résultat – et en Ukraine, où le « pays-frère » qui devait être libéré des pro-occidentaux a résisté en masse et bouté l’armée de Poutine hors du Dniepr.

Et ce n’est pas « la Russie » qui a « sauvé la France du nazisme », mais l’armée rouge de l’URSS, soit 70 millions de citoyens non-russes sur 170 millions de soviétiques. Et les Alliés qui ont débarqué sur son sol, et qui ont massivement aidé l’URSS industriellement indigente en livrant des radios, des camions et du carburant, tout en bombardant massivement les infrastructures industrielles allemandes. La Russie est « une puissance pauvre », selon le mot d’Hélène Carrère d’Encausse. Elle a des missiles nucléaires mais vit mal au quotidien. La seule chose qui la rend attirante pour les intellos français est sa contestation de la puissance américaine.

La propension pro-russe des militaires et du Renseignement français est avérée. Il fallait défendre la Serbie (orthodoxe) par tradition depuis le XIXe siècle contre la Bosnie (musulmane) ; la lutte contre le terrorisme rapproche les services, les Tchétchènes sont laissés aux Russes en faveur d’échange des renseignements sur les mouvements islamistes. L’ancien chef des renseignements intérieurs français Bernard Squarcini, reconverti dans le privé, a plusieurs clients russes oligarques. Le Centre français de recherche du renseignement, dirigé par Eric Denécé « utilise des éléments de langage provenant du Kremlin ». Le militaire préfère l’ordre au chaos, surtout dans un pays nucléaire : plutôt Staline ou Poutine qu’un inconnu imprévisible. En outre, Poutine défend le conservatisme tradi, ce qui tente maints officiers élevés dans la foi catho tradi et le respect des hiérarchies.

Tradi, la Russie ? Pas vraiment, sauf dans les discours officiels. Soixante-dix ans de communisme athée ont libéralisé les mœurs (divorce, avortement, première femme ministre, gestation pour autrui autorisée, suicides à la 3ème place mondiale). « Déprécier l’Occident est avant tout un levier politique puissant en Russie » – il n’y a que les idiots utiles français qui croient à cette propagande, et les pays du « sud global » conservateurs et religieux. Poutine a fait remettre dans la constitution russe en 2020 « la foi en Dieu » ! La Russie reste messianique et se voudrait, comme en 1453, « la Troisième Rome » contre les coups de boutoir de l’islam qui a fait chuter Constantinople. Mais la pratique religieuse est aussi faible que chez nous, et les divorces représentent 68 % des mariages.

L’homosexualité, la pédocriminalité et l’avortement sont les vrais ennemis de Poutine : ils empêchent la renatalité ! En 2022, la population russe est de près de 147 millions d’habitants, inférieure aux 149 millions de 1994, et risque de passer sous les 120 millions d’ici cinquante ans (partie 4). Le tournant réactionnaire du régime est motivé par cette menace vitale, mais aussi par le vieillissent des dirigeants : Poutine a 71 ans. La perspective de la mort incite les dirigeants à se tourner vers la religion… Et à exalter le patriarcat, pas seulement celui de l’orthodoxe Kyrill, mais celui de tous les mâles du pays. Les violences faites aux femmes sont courantes et la Russie est le seul pays du Conseil de l’Europe à ne pas les criminaliser.

Nous ne voulons pas voir que la Russie est violente : à l’intérieur à l’extérieur, dans les films, dans le romantisme machiste de la jeunesse. « Tous les faibles sont exploités, violentés et tués » dans le film Grouz 200 (Cargaison 200). « Tous ces films déploient sans exception et sans espoir une vision pessimiste de la nature humaine – mauvaise – et du monde – chaotique – qui ne peuvent être contenus que par une violence justifiée (…) Dans cette optique, le pouvoir lui-même est un mal nécessaire contre un péril plus grand. » Maximalisme et dualisme caractérisent la culture russe, c’est tout ou rien, le Bien ou le Mal absolus, le Paradis ou l’Enfer. Pas de purgatoire intermédiaire dans l’orthodoxie russe, pas de société civile mais seulement les citoyens et l’État. Toutes les organisations et ONG deviennent « indésirables ». La guerre est un des moyens du pouvoir. Les ex-républiques soviétiques sont déstabilisées par des conflits où la Russie « s’engage ou s’implique (…) Non pas pour les régler mais pour se doter de leviers d’influence » : Arménie-Azerbaïdjan, Transnistrie-Moldavie, Ossétie du sud-Géorgie. Ce n’est qu’après ces conflits que ces pays envisagent de se tourner vers l’UE et l’Otan – pas avant, contrairement à ce que croient les imbibés de propagande.

Pourquoi ce penchant pro-russe est le propos de la troisième partie. L’autrice y voit trois raisons principales, la nostalgie de la grandeur par le souvenir français de l’empire colonial perdu (que la Russie voudrait retrouver après l’URSS), l’obsession anti-américaine pour notre indépendance (Echelon, Prism, contrats des sous-marins avec l’Australie, dépeçage d’Alcatel) – mais la dépendance au gaz et au pétrole russe est minimisée…. Enfin la référence messianique à de Gaulle (sans recul, sans relire ce qu’il a écrit ou dit).

Tout le monde se veut gaulliste (lutte contre le déclin pour Le Pen, la bannière pour Zemmour, les convictions économiques pour Mélenchon, la résistance pour Macron). Mais de Gaulle avait une hauteur de vues qui manque aux politiciens qui voudraient le récupérer. « Stratégiquement, il croit à l’utilité de la relation avec Moscou pour équilibrer l’influence américaine. En revanche, ce qui n’est presque jamais mis en avant dans ce débat, c’est sa loyauté sans faille à l’Alliance atlantique et le fait que, dans sa vision, une entente avec la Russie ne signifie pas une rupture avec Washington ». L’exemple de la crise de Berlin en 1961 est éclairant sur la situation actuelle.

De Gaulle a des mots qui cinglent à la fois l’impérialisme soviétique et la mauvaise foi des politiciens français d’aujourd’hui. Le relire est un plaisir : «A un certain point de menace de la part d’un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l’agresseur, de le pousser à redoubler sa pression, et finalement, facilite et hâte son assaut ». C’est pareil face à un caïd de banlieue ou à un chien agressif. Quand Obama a reculé face à Bachar el-Assad qui a usé d’armes chimiques alors que c’était une ligne rouge américaine, Poutine a senti qu’il pouvait envahir la Crimée sans réaction de l’Occident. Ce qu’il a fait. A l’inverse, quand Nicolas Sarkozy a été à Tbilissi en Géorgie durant l’offensive russe, Poutine s’est arrêté et a négocié. « Dans le système de valeurs de la culture russe, la faiblesse ou les signes de faiblesse sont méprisés. Ce qui pour un Européen est considéré comme un compromis, avec sa connotation positive, est regardé comme une ‘concession’, ce qui a un sens négatif ».

Pour sortir de la fascination, que faire (Chto dielat? demandait déjà Lénine). C’est l’objet de la quatrième et dernière partie de cet essai plutôt riche. Eh bien, il faut d’abord « regarder le régime russe en face » et ne pas s’illusionner : voir qu’il est en réalité répressif à l’intérieur et impérialiste à l’extérieur. Puis nous voir, nous Français, dans les yeux des Géorgiens et des Ukrainiens, et ce n’est pas très glorieux : « la France, (…) avance sous les traits de discours sur les valeurs, mais se révèle beaucoup plus pragmatique et intéressée ». Toujours l’écart entre a théorie et la pratique, l’idéal et la réalité – le mal français.

Enfin choisir entre être « réalistes ou naïfs ». Les réalistes n’ont que des intérêts, c’est que ce disent Hubert Védrine et Pierre Lellouche, mais cela nous empêche de comprendre réellement le réel : « il sert surtout à réduire au silence ceux qui tentent de faire entendre que notre politique pro-russe par défaut représente maintenant une menace sur notre souveraineté. » Car quel réaliste a pris au sérieux la menace russe sur l’Ukraine ? « Se placer du côté du plus fort et de l’agresseur » – c’est le parti de Pierre Lellouche et d’Eric Zemmour. Mais la Russie de Poutine est-elle forte ? Il est bien naïf de le penser, puisqu’elle craint la « contagion démocratique »… tandis que son PIB est la moitié de celui de l’Inde, dépassée même par les économies de l’Allemagne et de la France réunies. Quant à sa protection sociale, elle est bien inférieure à celle qui existe en Europe ! Pourquoi donc se soumettre ?

Elsa Vidal, La fascination russe – Politique française : trente ans de complaisance vis-à-vis de la Russie, Robert Laffont 2024, 324 pages, €20,00 e-book Kindle €13,99

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Le discours de Vlad la Terreur

A l’Assemblée fédérale de Russie le 29 février 2024, autrement dit hier, Vladimir Poutine veut à la fois préparer sa population à une mobilisation militaire (impopulaire), tout en mobilisant les esprits patriotiques contre l’Occident (impie). Comme pour Hitler, la guerre est le moyen pour lui de rester au pouvoir indéfiniment ; il ne connaît que la force, comme les bagarreurs de rues dont il a été – il ne la lâchera pas comme ça. Ce pourquoi les appels candides à la « négociation » avec la Russie des (trop) belles âmes intéressées à « la paix » et à la « fin des massacres » est une illusion. Pour négocier il faut être deux. Or Vlad l’empaffeur ne veut rien négocier. Il est en position de force et en profite – qui ne le ferait ? Pour éviter la guerre, il faut la préparer. Vlad le rempileur n’a que trop profité en Tchétchénie, en Géorgie, en Crimée, au Donbass, des faiblesses et lâchetés occidentales. Il ne connaît que la force, seule la force peut limiter ses désirs immodérés.

Soyons réalistes et – surtout, écoutons ce qu’il a à dire. Dans son discours il parle de « nos objectifs stratégiques, des questions qui, à mon avis, sont d’une importance fondamentale pour le développement confiant et à long terme de notre pays. » La Russie est confrontée à des changements radicaux en raison des sanctions : repli sur soi, économie de guerre, militarisation du politique. «  Il est important pour nous d’accélérer le rythme de résolution des tâches sociales, démographiques, infrastructurelles et autres, tout en atteignant un niveau qualitativement nouveau d’équipement de l’armée et de la marine. »

Les grandes écoles sont transformées en casernes et en centre de propagande idéologique ; les universités sont mises au pas. « Les militaires et les vétérans ayant fait des études supérieures et possédant une expérience en matière de gestion, quels que soient leur grade et leur position, pourront participer à ce programme. L’essentiel est qu’il s’agisse de personnes ayant fait preuve de leurs meilleures qualités et ayant montré qu’elles étaient capables de diriger leurs camarades. » La militarisation de la société doit être du haut en bas, elle prépare la suite : la guerre perpétuelle. Les anciens vétérans, lorsqu’ils reviendront, seront la base de cette nouvelle élite patriote. « Ils devraient occuper des postes de premier plan dans le système d’éducation et de formation des jeunes, dans les associations publiques, dans les entreprises publiques, dans les affaires, dans l’administration nationale et municipale, à la tête des régions, des entreprises et, en fin de compte, des plus grands projets nationaux. » « Je le répète, la véritable élite, ce sont tous ceux qui servent la Russie, les travailleurs acharnés et les guerriers, les personnes fiables, dignes de confiance, qui ont fait leurs preuves, qui ont prouvé leur loyauté envers la Russie. »

Finies les oppositions, quiconque n’est pas avec le président est contre la Russie et sa civilisation. Exit les traîtres ! Emprisonnés, empoisonnés, suicidés, abattus, traqués dans le monde s’il le faut, la combat n’a aucune limite. Finies les privatisations juteuses : tous les oligarques soupçonnés d’être tièdes verront leurs propriétés confisquées « par l’État » (autrement dit la mafia proche de Poutine).

Comme Staline, Poutine veut renouveler les élites pour en mettre de nouvelles à sa botte. Staline avait fait entrer massivement de jeunes communistes incultes pour qu’ils votent en sa faveur et le considèrent comme un intellectuel ; Poutine a conspué la fête des « presque nus » de la jet-set moscovite. Pour lui, c’est une caste qui se croit des droits et des privilèges particuliers (tiens, pas lui ?) et qui ne rendent aucun service à la société (c’est vrai, Moscou n’est pas une fête). Les Occidentalisés ont déjà quitté le pays (autour de un million de personnes, croit-on) et les autres vont être mis au pas (dans des camps de redressement ?). Pour les anciens combattants en Ukraine (qui ont survécu, ce qui fait peu de monde ..), une nouvelle filière de formation va être mise en place pour leur assurer une place dans la société au retour de guerre. Comme après la 2GM en Occident… la Russie n’invente jamais rien.

L’enjeu ? « la Russie est le bastion des valeurs traditionnelles sur lesquelles s’est bâtie la civilisation humaine ». La Chine, empire millénaire, appréciera ; les chefferies africaines aussi. Mais Poutine n’en est pas à une contradiction près. Le combat doit être porté jusque chez l’adversaire par la subversion, la propagande, le hacking, l’enrôlement d’« idiots utiles ». Le poutinisme est un humanisme, tous les partis pour la tradition doivent se rallier à son kimono blanc. Utiliser la force de l’adversaire pour, habilement, le terrasser : telle est l’essence du judo, que Poutine pratique depuis son adolescence. Il faut quitter l’intégration économique dans les structures occidentales par l’exportation de matières premières et d’énergie (le piège où les Allemands, gros nigauds avides, se sont fait engluer) pour assurer l’autarcie russe – et exporter vers les ennemis de l’Occident : Chine, Iran, Afrique.

Car si la Russie est immense par son territoire, elle est un nain par sa population (145 millions d’habitants) : natalité en berne, mortalité forte, système de soins défaillant, alcoolisme et violences conjugales. Poutine, qui se tourne vers la Chine, a peur d’être absorbé. Pour l’instant, l’empire « du milieu » a d’autres préoccupations, mais dans l’avenir ? Poutine voudrait faire exister la Russie comme « grande puissance » à l’égal de l’URSS ; pour cela, il lui faut l’Europe. Non seulement les provinces irrédentistes peuplées de russophones et plus largement les territoires perdus de l’empire, mais toute l’Europe. Face au continent asiatique dominé par la Chine, au continent américain dominé par les États-Unis, le continent européen doit être dominé par la Russie, seul pays capable – selon Poutine – d’unifier les divisions.

Pour cela, travail-famille-patrie, la trilogie des fascismes. « Et bien sûr, l’objectif principal de la famille est la naissance d’enfants, la continuation de la race humaine, l’éducation des enfants, et donc la continuation de notre Peuple multinational. Nous voyons ce qui se passe dans certains pays, où l’on détruit délibérément les normes morales et les institutions familiales, poussant des peuples entiers vers l’extinction et la dégénérescence ». Aussi, « une famille nombreuse avec beaucoup d’enfants doit devenir la norme ». Hitler avait dit la même chose. Mais il n’a pas eu d’enfants – et Poutine ? Seulement deux…

Guerre ouverte, conquête de territoires, mais surtout menaces, sujétion par la peur, domination des esprits. Voilà le plan. A moins que, forces nucléaires aidant, la Russie soit à demi-vitrifiée – comme l’Europe – et que la Chine alors en profite de s’emparer de toute la Sibérie, quasiment vide de Russes. Poutine aura échoué, mais tout son peuple avec lui. Comme le disait Hitler, que périsse l’Allemagne puisqu’elle n’a pas été capable de vaincre.

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Il y a un siècle mourait Lénine

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine (du nom de la rivière Léna, fleuve de Sibérie), a quitté ce monde le 21 janvier 1924 (131 ans après Louis XVI) après avoir fait beaucoup de mal. Il a fondé le communisme de combat, a théorisé la prise de pouvoir et la façon de le garder par la dictature. Il a profondément transformé la Russie et le monde, renouvelant le messianisme religieux par l’idéologie laïque. Persuadé de détenir la Vérité révélée par la Science, théorisée par Karl Marx, il a gelé le régime pour accoucher de l’Histoire. Résultat : des millions de morts et une arriération économique, politique et mentale qui ont produit un clone de nazi réactionnaire en la personne de Vladimir Poutine.

Petit-fils d’un serf affranchi et d’un marchand juif qui a renié sa religion, Vladimir Oulianov est baptisé orthodoxe et son père enseignant est anobli par le tsar Alexandre II. La tradition de tolérance et d’ouverture de son éducation ne transparaîtra pas dans sa vie adulte. Il faut dire que son père meurt quand il a 16 ans et que son frère aîné est pendu pour complot visant à assassiner le tsar quand il a 17 ans. Il sera exclu de l’université à cause de son nom connoté pour avoir manifesté avec les étudiants. Retiré à la campagne, il lit le Que faire ? de Tchernychevski, roman où le personnage principal est un révolutionnaire ascétique professionnel (il reprendra ce titre en 1902 contre le révisionnisme).

Complété par les œuvres alors publiées de Karl Marx, son idéologie est prête. Il passera en candidat libre les examens de droit et se retrouve diplômé, avocat stagiaire, mais s’occupe surtout de politique. Comme Mélenchon, il n’a guère travaillé dans sa vie, se vivant comme un clerc agitateur du marxisme et un missionnaire prêchant la révolution. Né en 1870, il devra attendre ses 47 ans pour la voir enfin triompher en Russie. Pour la consolider, il se montrera alors impitoyable.

Lénine a été clair dans ses écrits et ses discours :

la révolution doit disposer d’un bras armé,

la dictature est un moyen,

le Parti n’admet pas d’institutions concurrentes,

la politique de la terreur est justifiée par les circonstances.

Maxime Gorki, l’ami de Lénine, dont on donnera le nom à une ville, a eu ces mots terribles : « le peuple russe des villes et des villages, bête à demi sauvage, stupide, presque effrayant, mourra pour laisser la place à une nouvelle race humaine. » Les « hommes nouveaux » de Tchernychevski.

Lénine n’a rien d’un démocrate, ni aucune révérence pour « le peuple ». Mis en minorité, il nie la signification du vote et sort du journal L’Iskra peu après le Congrès de Bruxelles. Puisque les Bolcheviks y sont minoritaires, le journal ne représente plus la majorité « réelle », et Lénine transporte le centre du parti hors de L’Iskra. Il fera de même lors de la prise du pouvoir, en dissolvant l’Assemblée constituante où sa faction bolchevique est minoritaire. Mélenchon tente de jouer de même avec la Nupes et Poutine en empoisonnant, emprisonnant ou envoyant au goulag tous ses opposants potentiels. En 1917, Lénine espère le miracle de la Révolution mondiale dans trois semaines ou trois mois. Mais les prophéties ne se réalisant pas, il faut sauver du doute la doctrine et le système. Le responsable, c’est l’ennemi, qu’il faut détruire. La coercition commence avec Lénine, qui a écrit de sa main l’essentiel des articles du premier Code pénal soviétique. Staline n’a rien amélioré

Ce qui faisait le génie de Lénine était de ne pas prendre Marx à la lettre, mais seulement comme référence et étendard. Staline vint, matois, terre à terre, dogmatique, il accentua les exagérations fanatiques de Lénine. Pouvait-il en être autrement ? Staline a fait de Lénine un homme devenu mausolée et de sa pensée un bunker théorique dans lequel on peut se retrancher à tout moment. En témoigne ce monument de Leningrad ou Lénine, devant la gare de Finlande, harangue la foule debout sur la tourelle d’un blindé coulée dans les douilles de bronze des obus de la guerre. Toute l’histoire de la Russie, puis de l’URSS, est celle de la force, de la violence, de l’asservissement. Des Mongols aux Bolcheviks puis aux silovikis poutiniens. Lénine, puis Staline avant Poutine, se sont emparés de la force pour conserver le pouvoir.

Lénine croit que le socialisme est le fils de la grande industrie mécanique. Lénine disait : « enregistrement et contrôle, tel est l’essentiel (…) Ici, tous les citoyens se transforment en employés salariés de l’État constitué par les ouvriers armés (…) Le tout est d’obtenir qu’ils fournissent un effort égal, observent exactement la mesure de travail et reçoivent un salaire égal. »

Les règnes de Lénine et de Staline, malgré les illusions lyriques, voient se développer le plus grand mépris pour la vie humaine, qui ne compte pas au regard du Projet communiste (toujours remis à demain). D’après Maksudov, démographe soviétique d’ailleurs interdit de publication du temps de l’URSS :

Les années 1918 à 1926 ont vu la mort de 10,3 millions de personnes par la guerre civile, la famine, les épidémies et la répression.

Les années 1926 à 1938 ont vu 7,5 millions de morts, provoquées par la collectivisation, les exécutions, les déportations.

Les années 1939 à 1958 ont vu plus de 25 millions de morts dus à la guerre (7,5 millions de militaires et 8 millions de civils), aux exécutions et aux déportations de Staline (11 millions de morts environ).

soit plus de 40 millions de morts en 40 ans.

Pour Lénine, le Parti devait être un instrument efficace composé de militants dévoués et instruits ès-marxisme par leurs pairs. Bref, une élite restreinte. Cette exigence, ajoutée à la certitude de détenir la clé permettant d’être dans le sens de l’Histoire, a conduit le Parti à ne jamais se remettre en question, même si l’aptitude de l’instrument à fonctionner dans la clandestinité est moins utile après 65 ans de pouvoir communiste. Des responsabilités on a glissé aux privilèges.

Staline a encouragé cette tendance en faisant entrer massivement au Parti une couche nouvelle, médiocre, mais qui lui devait tout et lui était dévouée. Il a fait du Parti l’instrument docile d’une politique décidée d’en haut, sans débat – la sienne. Comme Poutine, qui reprend de Staline la force et le mépris. Les militants manifestant une quelconque personnalité furent exclus, emprisonnés, envoyés en camps ou exécutés – et Poutine a suivi, en petit chien de son maître.

Khrouchtchev s’est appuyé sur cette couche nouvelle pour gérer le pays. En contrepartie, il lui fallait garantir son statut. Lorsqu’il a tenté de toucher aux privilèges en imaginant une certaine mobilité des cadres, la nomenklatura devenue assez puissante l’a chassé. Elle a investi Brejnev, homme d’appareil sans brillant, pour jouer le rôle d’arbitre et de clef de voûte.

Lénine, pour assurer le pouvoir du Parti Bolchevik a entassé mensonges sur mensonges. Il n’a cure de l’opinion internationale socialiste alors suffoquée d’indignation, il va comme une force, persuadé d’avoir raison. En regard du but, peu importent les moyens. La seule Vérité est d’assurer l’accouchement de l’Histoire. La réalité n’a d’autre consistance que de révéler les lois du matérialisme historique. Poutine « croit » de même en une religion russe, une mission de civilisation contre celle de l’Occident. Lorsque ces vérités ne sortent pas, on croit en un « complot » et l’on épure le Parti et la société. Les purges ont été réclamées par Lénine dès le printemps 1919. Lui ne parlait pas pour le Prolétariat, il estimait constituer lui-même le Prolétariat en l’emplissant de ses paroles et en agissant à sa place (« C’est moi la République », hurlait Mélenchon aux policiers mandatés par un juge). Le règne de Staline a figé les choses : désormais, tout a été dit, de tout temps.

Lénine connaissait peu l’économie et imaginait tout régenter sur le modèle de l’armée. Il a laissé s’élaborer une économie-machine parce que, selon Raymond Aron (Les dernières années du siècle p.118), « il ne voyait pas de différence radicale entre la gestion des chemins de fer et la gestion de l’économie tout entière. »

La propagande est fille du volontarisme politique de Lénine, pour qui les ouvriers ne sauraient parvenir à la conscience de classe par eux-mêmes. C’est pourquoi il faut lire avec attention et littéralement la presse hier soviétique et aujourd’hui poutinienne officielle, car les intentions des dirigeants y sont clairement exposées. Le « centralisme démocratique » dans le Parti signifie que non seulement la direction fixe l’ordre du jour des réunions, mais « organise » la discussion de façon à mettre en valeur les idées qu’elle juge les meilleures et les apparatchiks fidèles qu’elle désire promouvoir. Tout « débat » est donc un monologue. Dans un système où tout est absorbé par la sphère idéologique, où tout acte est « politique », il ne saurait y avoir débat. De Lénine à Staline, puis Poutine, rien n’a changé : le chef dicte, il a toujours raison. Le discours politique est donc dithyrambe ou chasse aux sorcières. La propagande se trouve être la forme logique du discours totalitaire.

L’entreprise de Lénine voici 70 ans a donné soudain aux peuples de l’Europe, étouffés dans leurs petits problèmes parlementaires, et au sortir d’une guerre absurde et totale, un grand souffle d’espoir. L’enthousiasme pouvait exister quelque part, une soif d’apprendre, un besoin d’agir, de construire, la perspective d’une vie nouvelle dans un univers transformé. L’homme pressé des années 20 avait un lieu où renaître. A l’écart du cœur pourri de « la » civilisation, ce pays sauvage aux cent jeunes nationalités représentait un autre monde. Mais ce communisme devint très vite L’opium des intellectuels, une nouvelle religion qui a remplacé le christianisme, avant le gauchisme des gourous puis l’écologisme mystique.

Dominique Colas, qui a bien étudié Lénine, écrit dans Le léninisme, p.11 : « Un sophisme classique attribue ce qui choque ou déplaît exagérément dans l’histoire du mouvement communiste depuis 1917 à des facteurs exogènes : arriération économique, archaïsmes politiques, agressions étrangères, ou bizarreries psychologiques de Joseph Staline. Mais puisque l’idéologue et l’organisateur de bolchevisme, Lénine, a fait l’éloge de la dictature du parti unique, du monolithisme, puisqu’il a souhaité la guerre civile, qu’il a ordonné les camps de concentration, la terreur de masse et l’extermination des Koulaks, il serait absurde de ne point considérer tous ces éléments comme des caractères intrinsèques de cette politique. »  Il n’y a pas un bon et un mauvais communisme : il y a une tentation utopique, mais une réalisation qui ne peut qu’être dictatoriale pour forcer la réalité à entrer dans le cadre prédéfini.

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Cinquième colonne d’Alfred Hitchcock

1942, l’Amérique entre en guerre contre l’Allemagne nazie qui coule ses paquebots civils et le Japon qui l’a agressé sans sommation à Hawaï. Alfred Hitchcock, Anglais égaré aux États-Unis, monte un film d’espionnage qui est aussi un film de propagande pro-américaine et un hymne à la liberté, symbolisée par la statue dans le port de New York où aura lieu la scène finale.

Barry Kane (Robert Cummings) est un jeune homme dans les 25 ans, ouvrier dans une usine d’aviation, ce pourquoi il n’est pas mobilisé. Un incendie se déclare et il donne à son meilleur ami un extincteur que lui a passé l’ouvrier Fry… sauf que l’extincteur est un allumeur rempli d’essence et que le feu redouble, tuant son ami. Barry est donc vite accusé, bien qu’il s’en défende.

L’histoire se déroule en trois parties : la première raconte l’accident à l’usine et sa fuite pour retrouver le saboteur Fry dans la campagne américaine ; la seconde est son périple avec Patricia Martin (Priscilla Lane), la fille de l’aveugle dans un décor de western ; la troisième se situe à New York et passe de la « bonne » société à la révélation du réseau d’espionnage.

C’est que l’espionnage, à cette époque, n’est pas considéré comme une trahison de la patrie mais comme une opinion politique. Certaines hautes sphères de la société, par convictions conservatrices ou pour le jeu des affaires, sont plutôt sympathisants des nazis, vus de loin comme des redresseurs du chaos dans cette Europe décidément aristocratique et décadente qui a justement conduit à l’Indépendance américaine. Le chef des traîtres, Charles Tobin (Otto Kruger), réside paisiblement dans un ranch, symbole de l’Amérique historique des pionniers, et se délasse à la piscine avec sa petite-fille. La couverture urbaine se situe dans un hôtel particulier d’Henrietta van Sutton (Alma Kruger), une richissime rombière endiamantée qui offre des « galas de charité » pour financer le réseau, tout comme Trump lorsqu’il a flirté avec les réseaux de l’ex-KGB. Ces gens sont défendus par « la police », ce qui comprend à la fois les bouseux shérifs des provinces et le fameux FBI censé traquer le crime. D’où le premier message du film asséné par le musicien aveugle qui vit isolé sur le devoir de se soustraire parfois à la loi en raison des dérives patriotiques. Parce qu’une fois suspect, on l’est aux yeux pour tous.

Le second message est celui du Pionnier, de l’homme qui se prend en main, seul contre tous s’il le faut, pour faire triompher la vérité, le droit et la liberté. Cet homme est Barry Kane, jeune premier issu du peuple, qui a perdu un ami et acquerra un amour tout en défendant sa patrie et ses valeurs. Il se souvient d’une enveloppe portant l’adresse du saboteur Fry ; il part en routard sur le réseau américain et parle avec l’Américain de base en la personne d’un camionneur. L’adresse est celle du ranch de Tobin, loin de tout. Le propriétaire le reçoit en peignoir blanc, à peine sorti en slip de sa piscine : évidemment, il ne connaît aucun Fry mais va « se renseigner » auprès de son voisin à 20 km. En fait, il téléphone au shérif, dit qu’il a retrouvé le fugitif dont le portait-robot est diffusé sur toutes les radios. Lorsqu’il revient, il est en peignoir noir. Mais Barry a compris qu’il était joué quand la petite-fille de Tobin a extirpé pour jouer, de la poche de la veste de son grand-père, des lettres de Fry. Rappel du message premier, le contraste frappant entre le dangereux pro nazi et sa tendresse affichée envers le bébé fille évoque les images de propagande où les dictateurs font de l’enfant le symbole de leur sentiment pour le peuple. Le Pionnier sera évidemment rattrapé au lasso lorsqu’il s’enfuit à cheval.

Remis à la police, qui ne veut rien entendre pour sa défense, il profite du camionneur qui bouche un pont pour sauter menotté dans la rivière. Les flics, toujours aussi peu compétents, ne parviennent pas à le reprendre et Barry se présente, trempé et sous une sévère pluie d’automne, devant une masure dans la forêt. Il y rencontre le pianiste aveugle qui est un idéaliste croyant en la bonté humaine. Il la ressent : « Je vois des choses intangibles, l’innocence. » Il est l’homme des Lumières américaines, croyant optimiste en l’être humain bon et sans préjugés, adepte juridique de l’innocence jusqu’à preuve du contraire. Chez lui, Barry Kane fait la connaissance de Patricia Martin (Priscilla Lane), sa nièce.

C’est une star publicitaire très connue, elle apparaît sur toutes les affiches de la campagne et dans la ville. Ses messages pub vont rythmer le film et commenter l’histoire comme un chœur antique. C’est You’re Beeing Followed (vous êtes suivi) en première partie, She’ll Never Let You Down (elle ne vous laissera jamais tomber) en seconde partie, A Beautiful Funeral (un bel enterrement) en troisième partie à New York. Après avoir douté de Barry et cru plutôt la masse manipulée par la police que son oncle anarchiste, Patricia va se convertir au jeune homme qui la protège, et sur l’exemple de ces parias sociaux que sont les monstres d’un cirque ambulant qui les cachent dans leur fuite. Elle va découvrir Soda City, une mine de potassium abandonnée qui servait à faire du Coca en plein désert et qui sert de repaire aux espions. Une ouverture découpée dans la cloison, un trépied et une longue vue indiquent clairement que la prochaine cible est le barrage hydroélectrique qui fournit un quart de l’énergie au comté. Mais comme Barry joue le jeu des traîtres en se faisant passer pour complice de l’incendiaire Fry et envoyé par le chef Tobin, Patricia change une nouvelle fois d’avis, en tête de linotte femelle habituelle aux standards d’Hollywood. Elle va le dénoncer à la police… qui est de mèche avec les traîtres. Comme quoi il vaut mieux suivre son bon sens que les représentants de la loi.

Ce qui la fera emmener à New York, où Barry accompagne les espions qui le croient acquis. Ils se retrouvent chez la van Sutton, en plein bal de charité. Patricia découvre qu’elle s’est une fois de plus trompée sur Barry (elle ne le reniera que deux fois) en entendant Tobin parler dire aux autres qu’il n’est pas des leurs. Mais Barry et elle ont du mal à s’extirper de ce repaire mondain, la fille servant d’otage aux traîtres pour forcer Barry à ne pas faire de vagues. Emprisonné dans un sous-sol, il a l’idée de Pionnier de déclencher avec une allumette le système anti-incendie du Radio City Hall, sous lequel il se trouve. Il s’y fait arrêter tandis que Fry parvient à s’échapper dans un déluge de coups de feu qui doublent ceux du film passé à l’écran.

Barry parvient à s’échapper pour se rendre aux docks, où les saboteurs ont prévu de faire sauter l’Alaska, un nouveau navire américain qui doit être baptisé au champagne. L’explosif convainc enfin la police, qui ne peut que suivre tant elle est incompétente, tandis que Patricia prend Fry en filature. Mais c’est Barry Kane qui va acculer le saboteur Fry au sommet symbole de la statue de la Liberté. Il a réussi à promouvoir et défendre tout ce qui fait l’Amérique face aux Nazis : l’usine, le ranch, le barrage, l’art dégénéré du cirque, le cinéma de divertissement, le building, le bateau. Mais aussi l’initiative individuelle, la quête de la vérité. C’est tout cela la liberté, tout cela l’art de vivre à l’américaine.

DVD Cinquième Colonne (Saboteur), Alfred Hitchcock, 1942, avec Robert Cummings, Priscilla Lane, Otto Kruger, Universal Pictures 2022, 1h49, 4K Ultra HD + Blu-Ray €19,95

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Il y a un an, l’invasion de l’Ukraine par Poutine

Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine sous la forme d’une « opération spéciale ». Il n’a pas employé le terme de « guerre », qui faisait trop agressif pour les pays de l’ONU, mais a présenté cette soi-disant promenade de santé de son armée comme une remise en ordre d’un département de la Russie – tout comme les Français l’ont fait pour la « guerre » d’Algérie. Il ne pouvait y avoir de guerre, disait le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France en 1954 – puisque l’Algérie était alors un département français ! Ce ministre était François Mitterrand, opposé à l’indépendance du territoire algérien.

L’invasion poutinienne s’est faite depuis la Russie, l’Etat fantoche de Biélorussie et des territoires ukrainiens occupés par les Russes depuis la guerre de 2014, Crimée et « républiques populaires » autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Que Poutine s’empressera très vite de « rattacher » à la Fédération de Russie par un vote des godillots de sa Douma pour en faire une patrie russe – susceptible, au cas où, de « justifier » le recours aux armes de destruction massive : qui envahit le territoire national peut se voir opposer les armes nucléaires.

On a dit que cette invasion n’était pas une agression mais une « juste » riposte au soi-disant avancées de l’OTAN. Mais c’est croire sans vérifier la propagande du Kremlin. Un numéro spécial de la revue L’Histoire, de février 2023, fait justement le point, en historien, sur la question. Il déconstruit les fausses vérités de Poutine et de ses sbires qui font, de leurs fantasmes une croyance à prendre ou à laisser – sur l’exemple stalinien que le père Joseph a piqué au nazi Goebbels. Quiconque est citoyen russe et refuse de croire ce mythe, se voit aussitôt, de par la loi, taxé d’antipatriotisme, de menace pour la sécurité de l’État, d’être agent de l’étranger ou carrément « espion de la CIA ». Toutes les vieilles ficelles staliniennes reprises en bloc et sans vergogne – quiconque résiste est un terroriste.

Nicolas Werth, spécialiste de la Russie depuis l’Union soviétique, directeur de recherche honoraire au CNRS, décrit très bien le « nouveau roman national poutinien ». Il s’agit pour Poutine de rejouer la « Grande guerre patriotique » qui a opposé l’URSS à l’Allemagne nazie. Il s’agirait d’une « cause sacrée », pour réaffirmer l’identité russe et l’opposer globalement à tout ce qui est non–russe – traitant ainsi l’Occident tout entier de « nazi ». Comme les Ukrainiens penchent vers le mode de vie européen, ses libertés de pensée, de s’exprimer, d’aller et venir, de travailler et de consommer, ils seraient donc « nazis » – CQFD. Car Poutine « fait de l’anti nazisme une sorte d’ADN du peuple russe ». Le reste de l’Europe se serait fort bien accommodé de l’occupation allemande durant la dernière guerre…

C’était peut-être vrai sous Pétain, encore que le nazisme ait peu de choses à voir avec le conservatisme catholique du vieux maréchal, et que la résistance s’est quand même organisée, et pas seulement à Londres mais dans tous les pays occupés jusqu’en Allemagne même. Mais ces vérités historique ne sont pas du goût de Poutine et il les ignore volontairement. Selon Nicolas Werth, son idéologie n’est guère qu’un « anti-occidentalisme sous-jacent, qui reprend les vieux clichés du slavophilisme le plus rétrograde XIXe siècle sur la « décadence », « l’absence de principe » et la « perversion » de l’Occident ».

L’historien rappelle que, s’il y a eu deux organisations ukrainiennes proches des nazis durant la dernière guerre, c’était une minorité, et qu’elles ont principalement sévi « dans les années 1945–1948, lorsque les partisans de l’OUN (organisation des nationalistes ukrainiens) et de l’UPA (armée insurrectionnelle ukrainienne) ont opposé une farouche résistance à la soviétisation de ces confins occidentaux de l’Ukraine. » Il rappelle aussi que « au cours de cette sale guerre, un demi-million de personnes furent tuées, déportées ou envoyées dans les camps de travail forcé du goulag ». Merci à la Russie, pays frère !

Poutine veut faire croire qu’il est le successeur des tsars et du rassembleur Staline. Nicolas Werth analyse : « le nouveau récit national promu par le régime poutinien propose en effet un étonnant (détonnant !) syncrétisme entre le passé tsariste et l’expérience soviétique, une expérience débarrassée de ses oripeaux communistes, « décommunisée ». La réconciliation entre ces deux périodes antagonistes se fait autour de la glorification d’une « Grande Russie éternelle » et d’un Etat fort capable de défendre le pays contre des puissances étrangères toujours menaçantes. Inscrite dans la longue durée de la lutte de la Russie contre ses ennemis, la Grande guerre patriotique devient, dans sa dimension épique, l’apothéose de toute l’histoire russe, la clé de voûte du nouveau récit national. » Il s’agit bien d’un mythe, agité pour rassembler la Nation en forteresse assiégée autour de son chef, le dictateur et bientôt génial Poutine.

Mais, explique l’historien, « cette victoire héroïque, remportée par le peuple russe, guidé par Staline, justifie et efface la violence de la collectivisation des campagnes, des famines du début des années 1930, des répressions de masse de la grande terreur de 1937–1938 et des camps de travail forcé du goulag. » Foin du passé, regardons l’avenir : la violence est consubstantielle au peuple russe, elle a forgé la nation – donc les exactions des soldats en Ukraine sont justifiées par l’intérêt supérieur du peuple russe (on disait « la race » du temps de Hitler mais cela aboutit bien aux mêmes conséquences). Pour Poutine, la révolution de 1917 et la guerre civile qui a suivi, a divisé et affaibli la nation. La politique des nationalités de Lénine a cassé la nation russe en trois peuples slaves distingués artificiellement, les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens. Il s’agit aujourd’hui, selon le nouveau tyran, de rassembler tous ces peuples dans un seul, tout comme Hitler l’a fait dans les années 1930 avec l’Anschluss autrichien, l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’annexion d’une part de la Pologne ainsi que de l’Alsace-Lorraine. Il s’agissait là aussi de rassembler tout le peuple allemand.

Comme, évidemment, cette belle histoire sous forme de légende n’a rien d’historique, le renforcement de la propagande d’État s’est mué en persécution croissante des historiens, à commencer par la société Memorial qui voulait, depuis 1989, perpétuer la mémoire des répressions soviétiques. Ce sont désormais les historiens, les journalistes, les membres d’O.N.G., qui sont visés par les lois successives concernant « les déclarations diffamatoires ou dénigrantes » la comparaison entre « les buts et les actions de l’URSS et de l’Allemagne nazie ». Arrestations, poursuites judiciaires, campagnes publiques de dénigrement, intimidations, assassinats, sont les divers moyens utilisés par le pouvoir poutinien pour réprimer la liberté de chercher et de s’exprimer afin d’imposer la seule vérité officielle qui fait office de religion.

Il s’agit en effet de foi et non pas d’histoire, de croyance et non de science, de mensonges et non de politique. Quiconque croit les bobards du Kremlin n’est pas un historien, ni un penseur libre, ni même un citoyen patriote soucieux de préserver légitimement sa nation – mais un croyant en la religion de Poutine. Aucun argument rationnel n’est susceptible de faire évoluer une croyance. Ce pourquoi les complotistes français ou européens ne croiront pas les historiens, et ce pourquoi nous, qui connaissons les méthodes scientifiques du métier et avons étudié depuis près d’un demi-siècle la Russie et sa variante soviétique, pouvons déconstruire les mensonges du Kremlin.

Il s’agit donc, encore et toujours, de résister à la tyrannie. Comme du temps des nazis, résister signifie ne pas se soumettre au diktat physique (d’où la résistance armée des Ukrainiens), mais aussi de résister aux légendes forgées de toutes pièces et aux belles histoires moins « patriotiques » que nationalistes et xénophobes.

Ce numéro de la revue L’Histoire, plongé dans l’actualité la plus brûlante, contient divers articles sur la grande famine imposée par Staline à l’Ukraine, sur la fondation de Kiev par les vikings, sur la Crimée au carrefour des empires en 1750, sur la notion de crime de guerre, sur l’armée russe en colosse aux pieds d’argile, sur la mer Noire comme visée constante de la Russie depuis le XVIIIe siècle, sur l’exemple de résistance de la Finlande en 1939, sur les nouvelles règles de la guerre, et sur la politique de la violence instaurée par la Russie qui consiste au viol de guerre et à russifier les enfants enlevés.

Au bout de cette année de guerre, vous serez ainsi beaucoup mieux informés.

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Jacques Perret, Bande à part

Anticonformiste patriote né en 1901, donc trop tard pour la guerre de 14 où son frère aîné fut tué et son père blessé, Jacques Perret s’est engagé en 40 dans les Corps francs – unité commando d’élite – après avoir pas mal bourlingué après Louis-le-Grand et des études d’histoire. Il a été journaliste, pêcheur, bûcheron, ethnologue, trafiquant, docker, marin, hôtelier… et écrivain. Fait prisonnier par les Allemands, ce qui donnera Le caporal épinglé, il s’évade et entre dans la résistance à l’ORA, Organisation de résistance de l’Armée, créée en 1943 et apolitique.

Catholique et traditionaliste, ce qui l’a fait oublier dans les années marxistes, et pire, Algérie française antigaulliste, bien que jamais pétainiste ni fana-mili comme la jeunesse à cheveux courts et idées courtes, Jacques Perret mérite d’être relu aujourd’hui que le conservatisme nationaliste s’égare dans l’imitation de l’archaïsme poutinien. L’honneur et les valeurs humaines que défend Perret sont loin (très loin !) des brutasses de la milice de tueurs et de truands Wagner comme du cynisme glacé d’un Poutine – qui ne fait aucun cas des hommes.

Jacques Perret a toujours bandé à part, y compris dans la Résistance ou existaient autant de groupes que de villages gaulois. La plupart était politisés, pas le sien, issu de l’armée régulière après qu’au mépris de l’Armistice, l’armée allemande eut envahi la zone occupée. L’auteur se moque de la politique, bonne pour les grandes gueules et les vantards. Ce qu’il préfère, c’est la fraternité du combat et la vie à la campagne d’adultes unis par un seul but : bouter l’Occupant hors de France.

Cette Résistance-là est peu connue, gaullistes et communistes préférant toujours vanter la gloire et les coups de main spectaculaires, alors que l’essentiel de la vie des résistants était à la manière d’un camp scout avec de rares escarmouches. Le narrateur, qui porte son propre nom, est sergent sous les ordres de l’adjudant Tabarau, un ancien policier qui se verrait bien capitaine (et qui, d’ailleurs, changera de groupe de maquis pour le devenir). C’est lui qui aura de ses réflexions profondes telles que « bon, je ferme les yeux mais j’ouvre l’œil ! » Mais celui que préfère l’auteur est Ramos, un bâtard Hispano-français flanqué de gosses, qui a choisi de se battre bien que son village ne soit qu’à quelques dizaines de kilomètres. Insomniaque, il adore monologuer en racontant des choses sans queue ni tête. Il périra debout au milieu de la route, le fusil-mitrailleur à la hanche, devant toute une compagnie d’Allemands effarés. Cette façon de faire est celle même que Jacques Perret accomplit en 1940, le 12 mai, dans la citation qu’il a eue pour la Médaille militaire et la Croix de guerre avec palmes.

Tout ce qui intéresse l’auteur n’est pas le combat lui-même, mais « de parler des copains ». Toute sa résistance est en effet au ras des maïs, car les ordres et les contre-ordres qui font mouvoir son groupe n’ont l’air ni concertés par les soi-disant hautes instances, ni efficaces sur le terrain. Des rendez-vous sont manqués, des « appuis » sont sollicités sans raison, et le groupe se retrouve sans soutien face à une colonne nazie surarmée qui remonte vers l’Allemagne. Une mauvaise plaisanterie loin de l’histoire officielle et des légendes colportées par les tout derniers arrivés… une fois les Allemands en déroute.

Il n’y avait pas que des Jean Moulin dans la Résistance, on ne le dira jamais assez. Il ne faut pas croire la propagande, pas plus celle aujourd’hui de Poutine que celle, hier, de De Gaulle et du parti communiste. Tout ceux qui racontent de belles histoires ont leurs propres intérêts à servir. À la Libération, il fallait refaire l’unité de la nation et montrer aux Américains et aux Anglais que la France pouvait se redresser toute seule. Mais le temps a passé et la vérité doit être dite. Jacques Perret, avec son récit romancé de ses années résistantes, remet les choses en place et les pendules à l’heure.

Il remet l’héroïsme où il est la plupart du temps : parmi les hommes. « Sans nous croire héritiers des gardes françaises ou des archers du roi, sans nous prendre pour les mainteneurs d’une légalité introuvable, nous ne faisions figure ni de Jacques ni de Maillotins. Notre principale distinction était de grouper autour d’officiers professionnels un grand nombre d’hommes ayant déjà porté régulièrement les armes et fait la guerre au moins une fois dans leur vie » p.25.C’est cela résister : faire son métier pour la patrie.

Prix Interallié 1951

Jacques Perret, Bande à part, 1951, Folio 1973, 224 pages, occasion € 40.00

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Et le Covid dans tout ça ?

Au 1er août, l’état « d’urgence » sanitaire est levé. Plus d’obligations, sauf quelques rares concernant l’hôpital et les voyageurs. La grande « liberté ». Les anti-tout son ravis, les médecins le sont moins. La foule à tête de linote croit que tout est terminé alors que tout ne fait que commencer. Il subsiste chaque jour autour d’une centaine de morts en France.

Il va falloir désormais vivre « avec » le Covid, comme on vit avec la grippe, la peste et autres sida. Il est de mode de s’élever contre cette expression de « vivre avec » pour lui préférer « vivre contre ». C’est une absurdité : bien sûr que nous allons vivre « avec » ! Non pas « coucher avec » le virus de façon incestueuse en lui faisant des mamours, mais vivre en acceptant sa présence, constante, insidieuse, parfois mortelle.

Ce n’est que parce que c’est « Macron » qui l’a dit qu’il faut s’insurger contre : un bel illogisme. Les enfeignants « de gôch », repris par les opposants politiques qui surfent sur la mode, avaient réagi de même lorsque Sarkozy s’était demandé publiquement en 2006 pourquoi un roman archaïque de 1678 (trois siècles auparavant), La princesse de Clèves, figurait au programme d’un concours de la fonction publique de simple attaché d’administration. Se poser la question était légitime : ni le niveau requis, ni le travail demandé ne justifiaient de s’intéresser à une œuvre, certes littéraire, mais plutôt ennuyeuse à lire (vous l’avez lue ?) et se perdant dans les méandres d’une psychologie amoureuse d’un autre temps (sans égalité homme-femme ni droit mitou). Les engouements idéologiques aveuglent la raison.

Donc le Covid : il subsiste, à sa 7ème vague. Il n’a pas fini de muter. Même s’il semble moins dangereux, il est encore plus contagieux. Ce qu’il veut ? Survivre. Ce qu’il fait ? S’adapter. A nous de faire de même, donc vivre « avec », comme on vit avec son ennemi – sans pour autant coucher « avec ».

Tout comme Poutine à nos portes, et son rêve de Grande Russie impérialiste pour mille ans, le Covid reste une menace constante. La stratégie de « zéro virus » comme la Chine l’a tenté est vouée à l’échec ; le Covid s’infiltre partout où il peut, comme de l’eau. La stratégie du laisser-faire pour atteindre l’immunité collective, comme la Suède et le Japon l’ont tenté, est peu acceptable étant donné le nombre élevé de morts. Reste le « faire avec » qui combine vaccins et prévention. Vivre « avec » veut dire se protéger, autant que faire se peut, et se préoccuper plus particulièrement des populations à risque (vieux, gros, cardiaques, insuffisants respiratoires, affaiblis par de multiples pathologies).

Donc rester vigilant, le nombre de réanimations à l’hôpital, comme le nombre de morts quotidiens, n’étant que la statistique ultime, celle qui dit combien nous avons échoué a posteriori à sauver des vies.

Bien sûr, l’idéologie qui domine de plus en plus, sur l’exemple du Grand frère Trump et des libertariens américains, est de déclarer l’égoïsme sacré et la liberté du plus fort : les autres, on s’en fout ! (traduction : ils peuvent crever). Ce qu’ils font lorsque la majorité ne porte pas le masque en milieu confiné, reste cas contact sans s’en préoccuper lorsqu’ils vont embrasser mamie, refuse tout vaccin au nom d’on ne sait quelle superstition médiévale (injecter un « sort » par des nanoparticules qui contrôleraient les individus) ou antisémite (le complot des labos américains – évidemment juifs – pour contrôler la planète et surtout « faire du fric »). Les ratés, les exclus, les imbibés de ressentiment contre tout et personne, ceux qui ont une peur infantile des piqûres, s’engouffrent naturellement dans la brèche. Les Zemmour et autres extrémistes au front bas national inféodés à Moscou s’empressent d’affaiblir ainsi la société en la divisant pour mieux instiller leur propagande.

Il est un temps pour la politique et un autre pour la santé. Il est bon que l’état d’urgence politique s’arrête, afin de préparer un « vivre avec » durable – qui est le temps de la santé. Le Covid n’a pas disparu, il n’a pas été éradiqué, ni par le vaccin (qui booste seulement l’immunité), ni par une improbable immunité collective. La grippe mute sans arrêt, le SRAS Cov-2 aussi : a-t-on jamais connu une immunité collective contre ce genre de virus ? Le seul avenir que l’on puisse espérer est que le Covid 19 devienne une sorte de grippe comme une autre, qui tue mais seulement à bas bruit les organismes affaiblis, comme la grippe le fait plus ou moins chaque année. Si ce n’est pas le cas, si une nouvelle mutation rend le Covid encore plus dangereux que les variants existants, alors la politique reviendra sur le devant de la scène avec des mesures de contrainte. La santé publique est à ce prix, la protection de la population est aussi une « liberté », n’en déplaisent aux matamores et autres partisans du droit de faire ce qu’on veut (aussi partisans d’une dictature à la Poutine, à la Castro ou à la Mussolini…).

Nous vivrons désormais « avec » tout en luttant sans relâche contre, comme on le fait pour la grippe : avec des vaccins mutés eux aussi chaque année, en espérant avoir prévu la bonne direction ; mais aussi (et surtout!) avec la prévention du lavage des mains et du masque en milieux confinés.

Nous n’en avons pas fini avec le Covid – pas plus, malheureusement, qu’avec les ignares qui font passer leur égoïsme sacré et leurs lubies idéologiques avant la vie sociale et la santé.

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Top secret ! d’Abraham et frères Zucker

Avant la chute du Mur puis celle de l’URSS, les Soviétiques étaient déjà considérés comme des sortes de nazis avec répression des opinions (dissidentes), unanimisme de façade (élections à 99%), camps de travail (qui rend libre), surveillance généralisée et délation. Les auteurs d’Y a-t-il un pilote dans l’avion s’en donnent à cœur joie pour ridiculiser ces fossiles de l’Histoire qui sévissent en RDA. Ils n’imaginent pas moins qu’un complot militaire pour attaquer les forces de l’OTAN censées traverser le détroit de Gibraltar un samedi à 8 h du matin. Ils ont emprisonné pour ce faire un savant pour lui faire réaliser dans les temps une mine magnétique si puissante qu’elle attire les sous-marins. Toujours le gigantisme foutraque d’une armée à la soviétique, férue de technologie délirante mais incapable de contrôler ses hommes de troupe. On le voit avec Poutine et son fiasco ukrainien.

Le miroir entre nazis et soviétiques n’est pas nouveau, je ne l’ai pas inventé en évoquant Poutine. Il existait déjà à la fin des années 1930 sous la plume d’intellectuels russes, puis en 1945 sous celle du journaliste de guerre Vassili Grossman (Vie et destin). Il se ravive aujourd’hui avec le despote asiatique Poutine, convaincu sincèrement du bien-fondé de faire le bonheur du peuple malgré lui et de conforter l’État avant les individus. Ce film américain des années Mitterrand se moque de ces prétentions totalitaires en mettant en scène des résistants, en cheville avec les Occidentaux, qui veulent délivrer le professeur et empêcher la guerre.

La propagande de l’Est n’est jamais en reste et veut récupérer les vedettes internationales pour servir son image. Rien de nouveau sous le soleil rouge, du festival de la jeunesse de Khrouchtchev aux jeux olympiques de Sotchi de Poutine, les Soviétiques imitent les Nazis des JO de Berlin 1936. La République démocratique allemande invite donc officiellement Nick Rivers, un jeune rocker américain, à venir se produire dans un festival international de musique. Les vieux sbires du régime ne connaissent rien au rock’n roll mais la célébrité du chanteur leur suffit ; c’est un gage d’ouverture qui ne coûte rien et fait bien dans le monde.

Le gamin (Val Kilmer jeune, étonnamment frais avec une chevelure mi-longue qui lui va mieux que les cheveux courts) arrive donc en train à Berlin-est, flanqué de son impresario (Billy Mitchell). Il assiste à l’arrestation sur le quai d’un homme qui porte un paquet dans les bras et que les chiens policiers repèrent tout de suite. Molesté par les nervis en uniforme nazi, le double S des SS est remplacé par deux traits, le paquet tombe et les bergers allemands l’éventrent : il s’agit de biscuits pour chien ! L’homme est emmené pour avoir résisté et l’on entend un coup de feu. Les gags ne sont jamais loin des horreurs, ce qui fait le sel du film.

Le beau Nick se voit refuser l’entrée au restaurant de son hôtel de prestige car il porte une chemise au col largement ouvert ; on l’invite à aller se changer dans un salon annexe. Pendant ce temps Hillary, la fille du professeur en prison, membre de la résistance (Lucy Gutteridge), a rencontré un espion anglais (Omar Sharif) qu’une dénonciation a fait enfermer dans un taxi que le chauffeur a mené dans une casse où la voiture est happée et rétrécie en cube. L’espion n’est pas écrabouillé mais peut encore marcher, avec son uniforme d’acier autour de lui ; il confie les deux places d’opéra qui permettront à Hillary de prendre contact ; elles sont « dans la boite à gant ». Mais la jeune fille est traquée, la police politique à ses trousses ; elle se réfugie dans l’hôtel où Nick Rivers va dîner seul, son impresario ayant du travail. Voyant qu’elle va être refoulée, il l’invite. Le menu, traduit par elle, est révélateur des pénuries soviétiques, enjolivée dans un style de chef français : tripes de porc garnies d’intestin de cochon finement émincé entourant des roustons de porc flambés. Hilarant.

Le général comploteur, venu avec le chanteur classique d’opéra à ses côtés, demande au maître d’hôtel de le présenter pour qu’il donne aux convives un exemple de ses talents. Nick Rivers, en bon yankee égocentré, croit qu’il s’agit de lui et s’élance sur la scène avant que le vieux ne se soit seulement levé de sa chaise. Il distribue une partition aux musiciens et se lance dans un rock endiablé, qui ne tarde pas à enflammer la salle et l’orchestre, ravi. Le général, réactionnaire comme tous les Soviétiques, sort, outré. Il envoie la police armée mais Hillary entraîne Nick vers une sortie pour fuir. Lequel fouette tous les vélos qui hennissent comme des chevaux avant d’en enfourcher un.

Il est invité à l’opéra où l’on joue Casse-noisette. Dans une loge, il revoit Hillary, venue pour son contact, mais il s’avère que c’est un policier au masque en caoutchouc. Le voyant aux jumelles de théâtre sortir un pistolet, Nick se rue et entraîne Hillary. Le chanteur américain ne tarde pas à se retrouver dans les sous-sols de la prison pour avoir résisté aux policiers qui envahissaient sa chambre, Hillary fuyant par le balcon dans une parodie de James Bond. Son impresario vient lui rendre visite et lui apprendre que ni le gouvernement américain, ni l’ONU, ne peuvent rien pour lui, ce qui n’a guère changé depuis car l’URSS-Russie a droit de veto au Conseil de sécurité et des bombes nucléaires. Nick lui offre un godemiché électrique made in RDA, en vente dans la prison, pour sa femme. Il apprendra plus tard qu’il en a usé pour lui-même et est mort électrocuté – piètre qualité soviétique !

Le jeune homme va être fusillé si le sergent qu’il a laissé tomber du balcon en s’esquivant meurt – ce qui est le cas, le général attend la nouvelle au téléphone bien que les huit étages soient de fait mortels. Nick est d’abord torturé, battu aux poings par un demeuré puis fouetté « comme à l’école », ce qui semble le faire jouir. Mais sa chemise reste soigneusement repassée et sans une toile d’araignée quand il s’enfile dans les conduits d’aération pour s’évader. Il se retrouve avec le professeur Flammond (Michael Gough) dans son laboratoire-prison. En touchant l’engin de mort presque prêt, il déclenche l’attraction magnétique et… un sous-marin défonce les murs, attiré irrésistiblement. Les policiers casqués soviéto-nazis entrent et mettent en joue tout le monde, capitaine du sous-marin compris.

Nick est conduit au poteau d’exécution mais le politburo de RDA déclare qu’il ferait mauvais effet qu’il ne se produise pas sur scène avant, comme prévu. Il est donc évadé officiellement et reconduit à son hôtel pour sa prestation. Il joue et les groupies se pâment comme devant Elvis. Sa guitare, montée par une corde, redescend au final et Hillary, d’en haut des coulisses, lui fait signe de grimper. Il serait arrêté sinon et fusillé.

Dans une librairie scandinave, les deux jeunes trouvent un refuge pour la huit et Hillary raconte à Nick son histoire, naufragée enfant sur une île déserte avec un garçon de son âge, Ange (Christopher Villiers). Très Lagon bleu, elle a connu avec lui ses premiers émois et le sexe avant qu’un jour il disparaisse à la pêche, sans doute noyé. Sauvée par un bateau qui passait par là, elle a vu son père réprimé puis mis en prison afin qu’il réalise l’engin de guerre qu’il ne voulait pas construire. La science est abâtardie par le soviétisme pour ne servir que le mal et pas le bien de l’humanité. Rien de changé avec Poutine, notez-le. C’est le cas de tous les nationalistes, étroitement réduits à leur petit territoire et à leur population génétiquement pure. Nick avoue avoir été perdu à 6 ans par sa mère dans un grand magasin, élevé par une vendeuse, puis repéré pour avoir amélioré un jingle publicitaire pour le magasin quand il était jeune ado. Des gags d’histoires familiales merveilleuses. D’ailleurs, ils tombent amoureux.

Le libraire les fait évader dans une charrette de foin conduite par un cheval qui braie l’opéra, façon de décrire une Allemagne restée dans son jus du siècle précédent. La ferme où ils arrivent abrite la résistance, un commando d’une dizaine de déjantés portant tous des surnoms loufoques qui les décrivent : Déjà-vu, De quoi, Mousse au chocolat (car il est noir) et ainsi de suite. Leur chef, la Torche, n’est autre qu’Ange qu’Hillary croyait perdu et qui se révèle dans sa beauté des îles, en pagne, un collier de longues coquilles ornant sa musculature nue. Hillary est partagée entre son amour d’enfance et son amour adulte. Mais la ferme ne tarde pas à être attaquée, le général prévenu par pigeon voyageur casqué. Un traître est parmi eux !

Qu’importe, Nick Rivers apporte des informations sur le professeur et l’endroit où il se trouve. Il s’agit de le faire évader de la forteresse et c’est tout un plan qui est élaboré par Ange, les autres se contentant d’opiner et de suivre, habitués à obéir à la discipline nazie puis soviétique. Deux se déguisent en vache pour se mêler au troupeau rentré chaque soir par les soldats qui gardent la prison ; une vache avec des bottes, mais une vache est une vache et les sbires soviétiques n’ont pas à prendre l’initiative d’observer ni de penser. La vache va couper le courant dans une cabane située à l’écart des murs (ce qui est peu stratégique) tandis que les autres lancent des grappins pour prendre d’assaut les remparts et neutraliser les gardiens, parodie du film Les Douze salopards. Mais le traître sévit et sabote l’opération en faisant remettre le courant, ce qui déclenche l’alarme. La vache entraîne des allusions sexuelles très en vogue au début des années 1980, un veau vient téter les pis et suce Ange, qui est à l’arrière-train ; ensuite le taureau entreprend de le monter, ce qui occasionne du plaisir dans la douleur. Mais Ange à l’habitude, violé et séduit par tout l’équipage du bateau soviétique qui l’a recueilli en mer lorsqu’il était jeune et ingénu, vite convaincu par les caresses des bienfaits du régime (parodie des Cinq de Cambridge).

Le professeur évadé ne veut pas partir sans sa fille, or celle-ci est prise en otage dans la camion Mercedes qui devait les emporter par le traître qui la braque. Nick n’écoute que son courage et enfourche une moto tel un cheval fougueux pour rejouer une scène de La Grande évasion en sautant par-dessus les barbelés. Il rattrape le camion, délivre la belle, et les autres le rejoignent après avoir arrosé une Kubelwagen remplie de soldats mais fonctionne encore après avoir juste touché une Ford Pinto, ce qui la fait exploser – qualité germanique ! Ce modèle de Ford, pire des quatorze voitures de tous les temps, avait le réservoir d’essence très peu sûr à l’époque : une voiture modèle cercueil.

Le finale est grandiose dans le sirupeux style Magicien d’Oz de rigueur, le savant, sa fille et Nick partent en avion, un vieux Dakota de la Seconde guerre mondiale pour rallier l’Angleterre tandis que le commando de résistants reste pour résister. Mais l’OTAN est sauvée, leurs sous-marins pourront passer Gibraltar sans se faire attaquer.

Bien servi par un Val Kilmer épatant, bien qu’il ne change jamais ses doigts sur le manche de sa guitare lorsqu’il sort des arpèges, la suite de gags dans la lignée d’Y a-t-il un pilote dans l’avion 1 et 2 ne relâche jamais le rire. Un très bon moment.

DVD Top secret !, Jim Abraham, David et Jerry Zucker, 1984, avec Val Kilmer, Lucy Gutteridge, Billy J. Mitchell, Christopher Villiers, Michael Gough, Parmount Home Entertainment 2002, 1h30, €7,91 blu-ray 14,99

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La liberté c’est l’esclavage !

Les éduqués se souviennent de ce slogan de Big Brother dans le 1984 d’Orwell. Les ignorants se laisseront manipuler car invertir les mots est la base de la propagande, la perversion des masses depuis Lénine et Goebbels où la mystique du parti et le martèlement dogmatique conduisent au culte du Chef.

En Allemagne hitlérienne comme en Russie poutinienne, « la défense de la civilisation chrétienne » par exemple est citée comme objectif pour mobiliser les troupes. Ni Goebbels (cité par Jean-Marie Domenach dans son Que sais-je ? sur La propagande politique p.33), ni Poutine ne sont religieux, ni même probablement croyants, mais ils font les gestes de la superstition pour la mystique ethno-nationaliste. Défendre la religion populaire signifie attaquer le pays voisin pour éradiquer ses élites et occuper son territoire afin de l’exploiter. Ce fut le cas pour les nazis allemands ; c’est le cas pour les nationalistes russes.

La liberté ne peut qu’être honnie par les partisans d’une société organique, holiste, qui placent le collectif ethno-national au-dessus de tout individu. La personne n’existe pas, n’existent que ses gènes à transmettre et ses bras pour défendre les traditions. Rien tant qu’individu, tout en tant que nation, c’est l’inversion du slogan révolutionnaire Stanislas de Clermont-Tonnerre : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. » Donc la liberté n’est pas la liberté mais un esclavage imposé : l’exploitation du peuple par les patrons selon Lénine, le complot juif pour asservir les Aryens pour Hitler, la décadence masculine, blanche et religieuse pour Poutine, Trump et Zemmour. La liberté du commerce asservit les pauvres, la liberté politique asservit les gogos, la liberté des mœurs asservit les jeunes et les faibles. La « vraie » liberté est donc, selon les tyrans, d’obéir au Chef car il sait mieux que vous ce qui est bon pour le peuple, donc pour vous.

La droite conservatrice et religieuse contre-révolutionnaire (qui désire revenir à l’avant 1789) aux Etats-Unis comme en Europe considère Poutine comme un modèle. Il figure l’hypermâle musclé, n’hésitant pas à poser torse nu à cheval en Sibérie ou sortant de l’eau glacée d’un lac. Il domine, autoritaire, défendant les valeurs traditionnelles face aux revendications des femelles féministes qui veulent renverser le pouvoir mâle, contre les déviants LGBTQA+ qui veulent subvertir les genres et mêler les sexes, contre le communautarisme musulman volontiers assimilé à des terroristes en puissance puisque l’appel au djihad est écrit dans le Coran. Comme aux temps des fascismes et des conservatismes réactionnaires à la Franco et Salazar – ou Pétain – la droite radicalisée croit à une « décadence ». Elle serait politique (le parlementarisme), juridique (le droit « édicté à Bruxelles » comme les Droits de l’Homme), religieuse (l’affaiblissement du christianisme, particulièrement du catholicisme gangrené par ses affaires de mœurs, et la montée concomitante d’un islam conquérant), morale (divorce, avortement, mariage gai, gestation pour autrui, incitation à la débauche homosexuelle, transsexualité, pornographie…).

Comme si la « décadence » ne faisait référence qu’à un passé nostalgique et fantasmé – qui n’a jamais existé comme Age d’or – et qui recouvre curieusement l’époque de l’enfance des Chefs… Comme ce déclin n’existe pas – car tout change sans cesse et se recompose – il s’agit de créer des réflexes pavloviens dans les masses par la répétition des mêmes inepties et par l’intensité des messages. La vérité (la Pravda) c’est la propagande officielle – et quiconque la met en doute ou la conteste est condamné à l’amende, la prison ou le camp). Quiconque s’exprime autrement est immédiatement « rééduqué » à la vérité seule admise : celle du Chef, celle du parti, celle du peuple tout entier. « L’ignorance est la puissance », fait déclarer Orwell à Big Brother. « Toute propagande doit établir son niveau intellectuel d’après la capacité de compréhension du plus borné », écrit Hitler dans Mein Kampf. Le « dangerdélit » d’Orwell est cette peur de blasphémer qui fait que les sondages en Russie montrent toujours plus de 80 % de « pour » alors que la population n’en pense probablement pas moins, comme en témoignent le vote avec leurs pieds des jeunes éduqués qui fuient la Russie et le désarroi des conscrits juvéniles qui croyaient arriver en libérateurs en Ukraine.

La guerre c’est la paix ! La Russie ne vient pas attaquer l’Ukraine mais la délivrer, tout comme l’Allemagne nazie n’a pas attaqué l’Autriche ni les Sudètes mais seulement délivré les Allemands qui l’appelaient. Hitler comme Poutine protègent « le peuple », c’est-à-dire la communauté de sang et de tradition de leur contrée ; ils sont un « grand frère » venu protéger les petits frères, un Père des peuples, appellation commune du tsar reprise avec gourmandise par Staline. Un père qui châtie jusqu’à tuer les enfants de la maternité de Marioupol – ses « fils » – et à violer incestueusement de façon répétée les femmes de Boutcha – ses « filles » – , un père qui détruit et considère tous les civils présents, y compris les réfugiés dans les gares, sur le théâtre d’opération comme des combattants et des « nazis », ce qui signifie une race de sous-hommes assimilés à des « moucherons » ou des cafards selon Poutine. C’est la même chose aux Etats-Unis de Trump avec les nègres et les latinos, c’est la même chose en Europe avec les musulmans et les basanés (les Juifs sont réévalués au rang de Blancs comme les autres depuis qu’ils ont un Etat qui fait l’admiration des droites).

Il n’y a rien entre le Chef et vous, tout comme la publicité de jean illustrée par une très jeune fille dans les années 1980 (elle n’avait pas de slip, pouvait-on en déduire, ce qui fit scandale…). Plus aucun intermédiaire pour que le magnétisme du Chef passe. Plus de presse libre (on interdit les médias, on pénalise les informations déviantes, on tue les journalistes, on traite en espions de l’étranger les ONG), plus de corps intermédiaires, plus d’élections non truquée. Plus d’autre information que celles des officiels : ce sont les « vérités alternatives » de Trump et du storytelling (croyez-moi quand je le dis), la double pensée orwelienne de Poutine, l’intox à laquelle il finit, comme Hitler (et Mahomet), à croire lui-même comme par message divin. La novlangue est la langue de bois communiste hier, les fake news d’aujourd’hui. La vérité c’est moi, tout comme l’Etat pour Louis XIV et la République pour Mélenchon.

Pour assurer son emprise de modèle sur les jeunes mâles de la communauté ethno-nationale, il faut agir comme toutes les religions : faire croire que le sexe est une débauche morale et un effondrement d’énergie physique. La frustration exalte l’ardeur juvénile – qu’il suffit de canaliser en fonction des objectifs : pour le djihad terroriste chez les musulmans, pour l’assaut contre le Capitole pour Trump, pour reconquérir l’Ukraine par la guerre pour Poutine. C’est pour cela que le rigorisme et la pruderie sont revenus au galop sous Lénine, alors que la révolution bolchevique avait débuté dans une véritable libération anarchique des mœurs. Alors que le sexe épanoui est tout autre chose que ces extrêmes.

La Russie est ce « pays du mensonge » déjà noté avec Potemkine et ses villages-décors, l’Okhrana tsariste et ses Protocoles des sages de Sion (un faux concocté en officine), les procès de Moscou de Staline où les condamnés avouaient d’avance le texte qu’on leur soumettait, les faux attentats tchétchènes fomentés par le FSB pour conforter Poutine en 1999, l’invasion de l’Ukraine pour la « dénazifier » en février 2022. Rien de nouveau sous le soleil : toujours le despotisme asiatique, la passivité du peuple dans ses profondeurs, une méfiance invétérée pour tout ce qui vient de la ville, de l’Europe, de la modernité, la barbarie des moeurs. Un siècle de retard – qui n’est pas près de se combler.

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François Géré, La guerre psychologique

L’agression de l’Ukraine par l’autocrate du Kremlin montre combien la guerre psychologique est de nos jours l’une des composantes de la guerre tout court. Les chars et les avions, la capacité professionnelle, le renseignement sont indispensables – mais ils ne sont rien sans l’aspect psychologique sur les populations. Sur celle que l’on attaque pour la démoraliser et l’inciter à se rendre « au nom de la paix », entre « pays frères ». Sur la sienne propre pour justifier moralement la guerre, « dénazifier » un pays à demi-russophone dirigé par un Juif qui ferait peser une menace de « génocide » sur la population russe, mais aussi pour masquer les pertes humaines, tués et blessés, inhérentes à l’invasion.

François Géré, dans ce livre d‘il y a vingt-cinq ans, fait le point sur l’histoire et les concepts de la guerre psychologique. Agrégé d’histoire et docteur (d’État) en Science politique, il a enseigné à Polytechnique et aux universités de Paris III et de Marne-la-Vallée. Un manuel pas trop bien écrit mais qui se comprend aisément, maîtrisant mal les retours à la ligne et un brin verbeux mais découpé en chapitres chronologiques, il apporte des informations sourcées et précises sur ce qu’est la guerre psychologique et comment elle peut être employée. L’Internet commençait à peine lorsque le livre fut écrit mais fait déjà l’objet d’une réflexion à chaud qui n’est pas mal venue.

Trois parties : la généalogie rapide depuis le rusé Ulysse (30 pages), l’expérience française en Indochine puis en Algérie 1945-1962 (254 pages), enfin l’hypermédiatisme de la presse sur le Vietnam à la guerre en Serbie en passant par la guerre du Golfe et CNN (130 pages). L’expérience française est la plus documentée et la plus développée, ce qui est intéressant pour comprendre les effets sur le terrain d’une armée non préparée et sans valeurs définies pour tous, comme pour saisir les enjeux d’extrême-droite aujourd’hui… issus de cette période où Le Pen était engagé nationaliste et où la propagande OAS a construit les groupuscules étudiants dont sont issus les leaders actuels autour de Zemmour.

La guerre psychologique passe par l’information, cruciale, et l’analyse des déformations qui lui sont apportées. Volontairement pour l’intoxication, la désinformation étant la base de la propagande, sujet amplement développé à l’époque soviétique, ou la terreur, base de la propagande islamiste à la suite des gauchismes pro-arabes des années 1970-90. Involontairement pour la contre-propagande venue de l’adversaire qui tend à faire prendre des vessies pour des lanternes ou à affirmer avec conviction et relais naïfs d’idiots utiles des fake news, sujets amplement développés par Trump et ses avatars politiciens mais aussi par Bush fils à propos des armes de destruction massive de Saddam et par Poutine à propos des nazis juifs ukrainiens, sans parler des dénis chinois sur la « rééducation » civique en campos de travail forcé de centaines de milliers d’Ouïgours.

La contrainte sur la pensée via les émotions primaires et les instincts est un acte de guerre. L’isolé du Kremlin s’en rend compte lorsque le faible retranché dans sa capitale défie le fort devant le monde entier par des vidéos multiples et des directs avec les parlements du « monde libre » ; mais aussi lorsque les reporters de guerre occidentaux postent heure par heure des audios ou des films sur ce qu’ils voient et entendent. Poutine tombe trop facilement, par tropisme stalinien venu du KGB dans « le piège du mimétisme », faire la même chose que l’ennemi en l’accusant lui de le faire (p.316). « Ainsi s’établit une sorte de loi de la manœuvre psychologique, écrit l’auteur : lorsque les mesures passives deviennent plus importantes que les mesures actives, lorsque la défense l’emporte sur l’offensive, on doit admettre que l’on se trouve en passe de perdre la guerre psychologique » p.376. Poutine semble bien en être là après plus d’un mois de guerre sans grands résultats autres qu’un isolement mondial jamais vu et un effondrement programmé de son économie.

C’est la faiblesse de la démocratie que de laisser ouvertes les infox comme les infos ; c’est sa force d’avoir une puissance de communication diversifiée et une souplesse d’adaptation étonnante. « L’expérience française entre 1947 et 1962 montre qu’il existe toujours une tentation, y compris dans les Etats démocratiques, de la part des élites civiles ou militaires, de transformer en propagande le corpus des idées, des valeurs, des principes couramment acceptés et pratiqués par la société » p.31. Autant le système totalitaire (par exemple communiste soviétique ou chinois, mais aussi islamiste ou fasciste) impose l’idéologie unique du parti dirigeant entre autres par l’armée – autant le système libéral met l’armée de côté pour la défense des valeurs, elles librement débattues et sanctionnées dans les urnes. La guerre psychologique, en démocratie, est à usage externe ; en autocratie, à usage interne autant qu’externe, abolissant toute « politique » dans le diktat. Ce pourquoi Poutine comme Xi emprisonnent leurs opposants, voire les font tuer, et font voter par un parlement à leur botte une série de lois pour justifier la restriction et la censure. L’expérience du 5ème Bureau en Algérie française fut un échec justement parce qu’il confondait pacification et libre consentement et prêtait aux militaires le pouvoir de fixer une direction qui ne pouvait être que politique (et qui manquait cruellement). En Algérie, « l’armée française deviendrait-elle une sorte d’Armée populaire de libération à la chinoise ? » s’interroge l’auteur avec quelque malice. Comment peut-on « libérer » des résistants patriotes ? Les Américains en Afghanistan et en Irak ne l’avaient pas encore compris, minimisant selon l’auteur l’expérience française d’Indochine et d’Algérie, entachée du péché originel de « colonialisme ». Mais qu’ont-ils fait d’autre, les conservateurs bushistes, que tenter de coloniser les esprits, les élites et l’économie ?

De l’expérience française sort un ouvrage, Les valeurs fondamentales du patriotisme français, qui fait encore référence pour « l’identité française ». Elle reste plus ou moins fantasmée par les « souverainistes » d’aujourd’hui, car essentialisée alors qu’elle change dans l’histoire. En 1956 l’armée française s’interroge sur son rôle, ses valeurs et ses ennemis et le général Chassin écrit dans la Revue de Défense nationale un article intitulé « Vers un encerclement de l’Occident » – thème qui ressurgit aujourd’hui des sables, le grand remplacement étant l’islamisme (fondu et confondu avec l’islam) plutôt que le communisme, reconverti en divers nationalismes. Mais à l’époque déjà, note l’auteur, « comme adversaires ne sont retenus que la Russie et le communisme, le monde arabe panislamique, enfin la Chine » – avec deux incidentes : les États-Unis qui poursuivent leurs propres intérêts et le Marché commun qui risque « de développer dans notre pays l’influence étrangère comme de provoquer des difficultés sociales » p.269. Pas un mot à changer à ce diagnostic, selon les extrêmes-droites d’aujourd’hui. Le Français « de souche » aurait toujours l’islam ethnique autant que culturel, le Chinois impérialiste comme l’Américain, et le Russe archaïquement conservateur menaçant la démocratie et la modernité pour les uns, rempart contre la décadence et le métissage pour les autres.

Plus pratique est la description de l’action psychologique à l’égard de son propre camp et envers l’adversaire (pages 203 à 224). Pour les siens, il importe de soutenir le moral, d’instruire les hommes et de former les cadres, de disposer d’outils adéquats et d’une organisation qui définit qui fait quoi. Pour les autres, il faut savoir ce qu’on dit et à qui, pour cela établir le contact, organiser et enseigner, affirmer la positivité de son camp et user des procédés adéquats. La torture, par exemple, largement discutée en son temps en Algérie, apparaît comme très peu efficace sauf pour obtenir un renseignement précis. « De fait, la torture comme acte de violence physique est l’antithèse des mécanismes psychiques que l’expert en action psychologique cherche à faire jouer », note l’auteur p.235. Pratiquée assez couramment par les armées en campagne, par les Français en Algérie comme par les Américains en Irak, les Chinois au Tibet et au Xinjiang, et par les Russes en Ukraine, elle apparaît plus comme une vengeance qui révèle la faiblesse de ceux qui la pratiquent.

Pour l’auteur en 1997, la guerre du Golfe représente le plus grand succès à cette date de la guerre psychologique, compte tenu de l’hypermédiatisme. La guerre a été légitime par l’ONU et le Congrès, avec des buts précis (libérer le Koweit), la communication maîtrisée, et n’a duré que le temps nécessaire à la mission. Pas d’occupation comme ce sera le cas en Afghanistan après les attentats de septembre 2001, ni en Irak, après la tentative d’assassinat de George Bush par Saddam Hussein et son bluff sur les « armes de destruction massive » (qu’il n’avait que chimiques). Occupation qui refera les mêmes erreurs que les Français en Indochine, puis en Algérie : on ne transforme pas par la psychologie les gens comme par décret.

Les moyens d’informations sont désormais multipliés par le net, les smartphones, les caméras embarquées – et la guerre devient de plus en plus psychologique ! Un ouvrage fondamental de la Bibliothèque stratégique des éditions Economica, qui fait encore référence aujourd’hui auprès des étudiants en Science politique comme des militaires.

François Géré, La guerre psychologique, 1997, Economica/Institut de stratégie comparée EPHE IV Sorbonne, 423 pages, occasion €99,93 e-book Kindle €8,99

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George Orwell, Hommage à la Catalogne

Le 17 juillet 1936, des généraux de l’armée espagnole venus du Maroc colonial fomentent un putsch contre le résultat des élections qui a mené au pouvoir le Frente popular en février. Une guerre civile commence qui durera jusqu’en 1939 entre féodaux et démocrates. Les premiers rallient les monarchistes, les fascistes et l’Eglise catholique, les seconds allant des libéraux aux communistes en passant par les anarchistes et les nationalistes basques et catalans. La propagande a trop facilement résumé ce conflit par le combat entre fascisme et démocratie : c’est moins simple et George Orwell, qui l’a vécu quelques mois au début, le montre.

En fait, Franco est un conservateur catholique, pas un fasciste révolutionnaire comme Mussolini (venu du socialisme) ni Hitler (parti de rien et devenu agitateur tribun). Franco est plus proche idéologiquement de Pétain. Quant aux démocrates, ils sont autant de sectes dont la mieux organisée – la communiste stalinienne – l’emporte rapidement. Orwell, venu par le parti travailliste anglais (scission ILP – Independant Labour Party) choisit le POUM. Malgré son nom explosif, le Parti socialiste unifié de Catalogne est un parti communiste, scission trotskyste du Komintern. La différence avec les staliniens est que le POUM récuse le pouvoir centralisé au profit des soviets ouvriers. Il s’appuie sur les syndicats tandis que le parti stalinien s’appuie sur l’armée de Catalogne et la police. Or qui a les armes et l’argent possède le pouvoir. Ce pourquoi les combats « contre le fascisme », après la réussite ouvrière à Madrid, prend à Barcelone un aspect anarchiste, le front étant composé de milices de très jeunes hommes – dès 15 ans ! – armés de vieux fusils avec peu de cartouches, les meilleures armes étant réservées à la police qui tient le pouvoir…

C’est que, explique Orwell, l’URSS ne tient absolument pas à ce qu’une révolution survienne en Occident, préoccupée tout au contraire de « bâtir le socialisme dans un seul pays » en profitant de la complaisance avide des libéraux européens à lui fournir des machines et du blé. Pas question donc que des troubles révolutionnaires se répandent tant que Moscou ne l’a pas ordonné. Ce sera la même chose avec les communistes français en 1940 lors de l’invasion nazie. Or L’Espagne des années 1930, tout comme la Russie de 1917 ou la France de 1789, avait un potentiel révolutionnaire, la modernité faisant craquer d’un coup la chape de féodalisme hérité des siècles. Les ouvriers, devenus nombreux dans les villes industrielles, prenaient le pouvoir par les urnes avant que la réaction des militaires leur fasse prendre par les armes, notamment dans la région autonome de Catalogne.

Orwell arrive en Espagne en 1936 et la Confédération nationale du travail avec ses milices ouvrières est le centre de la résistance à Franco. Staline mandate ses agents en Espagne début 1937 pour liquider par tous moyens le POUM, et Orwell assiste en direct à cette liquidation, ne manquant de peu d’être arrêté malgré son passeport anglais. Il est parti comme journaliste indépendant avec l’intention de décrire les événements et des idées simples sur un mouvement compliqué. Il a tendance à suivre d’abord les communistes, plus sensés et mieux organisés, avant de prendre conscience de la propagande inventée de ceux-ci contre le POUM et de la haine moscoutaire contre « les trotskystes » venue de l’idéologie plus que des valeurs sur le terrain. Il se souviendra du pire des méthodes staliniennes de coercition, de mensonge et de réécriture de l’histoire lorsqu’il écrira 1984.

De façon très vivante, Orwell s’inspire de son journal de guerre pour décrire la fraternité humaine, une atmosphère de pagaille et de solidarité, des situations politiques ambiguës et des moments d’intrigue policière retorses. Lorsqu’il part au front d’Aragon avec des gamins de 15 et 16 ans (il est nommé chef de groupe), il ne se passe quasiment rien. Mais il connait la joie de la camaraderie et « ce sens inné de la dignité humaine » chap. I p.669 Pléiade, que possèdent selon lui les Espagnols de cette époque. George Orwell se forge sa conviction du socialisme non dans l’abstrait d’un manuel marxiste mais en côtoyant tout simplement les gens qui le vivent sans le savoir : « Un grand nombre des incitations normales de la vie civilisée – le snobisme, la cupidité, la peur du patron, etc. – avaient tout simplement cessé d’exister. La traditionnelle division en classes de la société avait disparu dans des proportions pour ainsi dire impensables dans une atmosphère anglaise empoisonnée par l’argent (…). On avait vécu dans une communauté où c’était l’espoir qui était normal, et non l’apathie ou le cynisme, où le mot ‘camarade’ signifiait la camaraderie et non, comme dans la plupart des pays, n’importe quelle faribole. On avait respiré l’air de l’égalité » chap. VII p.733.

Revenu en permission à Barcelone, il ne reconnait plus la ville qui s’est réembourgeoisée tandis que la police tenue par les communistes staliniens combat le POUM trotskyste et ses alliés anarchistes qui ont érigé des barricades dans les rues. De retour au front, il est blessé à la gorge et est évacué dans divers hôpitaux avant de retrouver Barcelone et sa femme, secrétaire de l’ILP anglais. Les distinctions de classes sont revenues et la police traque les anarchistes et les trotskystes bien plus que « les fascistes ». La révolution étant morte à cause du diktat de Staline, George Orwell n’a plus rien à faire en Espagne. Il rentre en Angleterre où il rédige son témoignage aussitôt. Bien loin de « l’engagement » idéologique à la française (que Sartre poussera à l’absurde en vantant l’URSS stalinienne et Cuba sous la dictature), l’engagement d’Orwell est celui d’un homme sur une pulsion de justice et qui pense par lui-même. Sa sincérité est sa vérité, tirée de ses convictions intimes et non pas d’un schéma a priori. « Il était inutile de s’accrocher à l’idée anglaise qu’on est en sécurité tant qu’on respecte la loi », observe-t-il finement. « Dans les faits, la loi c’était ce que la police décidait qu’elle était » chap. XII p.804.

Son livre est mal reçu parce qu’il tranche avec la pensée dominante de la presse anglaise qui reprend sans distance (et à grande distance du front) la propagande stalinienne (bien organisée). Il réussit à publier dans la presse de gauche hors parti et expose le mensonge et la terreur – ingrédients que Poutine a conservé de Staline, faisant comme lui censurer les journaux, tuer les journalistes trop entreprenants, emprisonner et torturer les opposants de gauche… « Le communisme est aujourd’hui une force contre-révolutionnaire », écrit Orwell dans le New English Weekly du 29 juillet 1937. On le constate un siècle après en Russie et en Chine comme à Cuba. Hommage à la Catalogne est édité par Warburg au Royaume-Uni mais ne se vend que très peu ; il ne sera édité aux Etats-Unis qu’en 1952, durant la guerre froide ; et en France qu’en 1955 seulement sous le titre La Catalogne libre. Car la vérité, au fond, tout le monde s’en fout : seule importe la belle histoire que l’on se raconte à soi. C’est cela qui fait la force des fascismes, jusqu’à Trump – et l’indigence des intellos.

Hugh Thomas, le spécialiste anglo-saxon de la guerre d’Espagne, juge que le récit d’Orwell est le meilleur témoignage sur le sujet parmi les centaines qu’il a recensé, même s’il idéalise la stratégie du POUM qui était vouée à l’échec. Car Eric Blair dit George Orwell est un pragmatique, pas un mystique de Front populaire comme les petits-intellos français.

George Orwell, Hommage à la Catalogne (Homage to Catalonia), 1938, 10-18 1999, 293 pages, €7.50

George Orwell, Œuvres, édition de Philipps Jaworski, Gallimard Pléiade 2020, 1599 pages, €72.00

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Humeur confinée

Le vampire de Wuhan fera sans doute un bon sujet de série télé sur le modèle de Tchernobyl, après la pandémie. Mais cinq problèmes se posent à moi :

Premier problème : le mensonge. Car il faut sans cesse le rappeler, malgré la propagande communiste qui nomme sa grippe « italienne » ou susurre l’idée qu’elle proviendrait d’un labo de l’armée US, c’est bel et bien la chauve-souris chinoise qui a conchié donc virusé ce que bouffent les mammifères à écailles pangolins que les humains bouffent en Chine – ce qui est à l’origine de la contamination mondiale en décembre 2019 (96% de séquences génétiques en commun). Et si ce n’est pas en ville, puisqu’on aurait « attesté » (a posteriori) un cas ailleurs le 1er décembre, c’est donc tout proche (revue La Recherche, mars 2020). Oh, ce n’est pas la première fois ! De la grippe de Hongkong à la grippe aviaire, nombre de grippes sont venues de Chine. Seule la grippe « espagnole » serait semble-t-il venue des éleveurs texans, mais c’était il y a un siècle. Le parti communiste chinois au pouvoir a mis tout un mois pour admettre qu’une nouvelle grippe virulente existait, l’ophtalmologiste Li Wenliang qui en a parlé sur les réseaux sociaux le 3 décembre a été arrêté pour « déstabilisation de l’ordre public » puis est mort sans que les autorités ne daignent d’abord vérifier. Comme sous Staline, le communisme en marche ne tolère aucun écart, fut-il de la nature : les avions ne s’écrasent jamais, la production est toujours dépassée, le peuple toujours plus heureux.

Second problème : la Chine. Malgré sa prétention à la civilisation, elle connait une arriération hygiénique et sanitaire ; il suffit d’y avoir voyagé hors des grandes villes mondialisées, ou dans les quartiers traditionnels des mêmes villes. La civilisation passe par l’eau courante et les chiottes, mais aussi par l’entretien des marchés ouverts et des normes minimales pour les animaux vivants. Au lieu de se frotter entre acheteurs dans la presse de foire, de tâter la marchandise ici ou là, de laisser sans nettoyage les étals le soir, de copuler à même les tables non nettoyées à la brune, il est inévitable que des contaminations se produisent et que les virus, pas cons, recodent leurs chaîne ADN par mutations afin de trouver un nouvel hôte bien gras et ayant la bougeotte. Baiser pour se multiplier est en effet le tropisme éternel de tout organisme, même aussi peu sophistiqué et aussi peu vivant qu’un virus. La promiscuité avec les bêtes, que ce soit en Chine (SRAS-Cov, Covid19), en Arabie (MERS-Cov), en Afrique (HIV, Ebola) ou au Texas, favorise les sauts d’espèce ; une hygiène douteuse les rend inévitables.

Troisième problème : la bougeotte mondiale. Des affairistes aux commerçants en passant par les touristes, chacun ramène sa petite provision de virus en souvenir. Il suffit d’un contact infecté ou de postillons jusqu’à 1m80, et chaque contaminé contamine à son tour – tout comme un vampire – entre 1.4 et 3.9 personnes. L’aggravation, c’est la religion. Partout où ça contamine le plus, c’est à cause des sectes évangéliques (en Corée, dans l’est), des rassemblements pèlerins musulmans, des banquets communistes, de l’appel Trump à remplir les églises. La religion tue ! Consommez avec modération.

Quatrième problème : le con – finement. Confiner est la meilleure solution en absence de tests fiables qui permettent immédiatement de séparer le bon grain sain de l’ivraie contaminée, de médicaments qui retardent ou de vaccin qui guérisse. A surgi alors une polémique à la con sur la Chloroquine, remède miracle aussi attendu que les pilules pour bobo du labo Boiron, qui ferme une usine de croquettes homéopathiques au lieu de fabriquer de vrais médicaments, même génériques. La croyance magique et le marketing engendrent un gaspillage consommatoire que je ne crois pas avoir entendu les fameux « écolos » dénoncer en ce cas précis. Macron fait ce qu’il doit, en tâtonnant comme tout le monde, même si les « groupes de pression » (à commencer par Larcher et Mélenchon) l’ont forcé à tenir le premier tour des municipales, tout en se doutant bien (ou alors ils sont stupides) que le second tour ne pourrait se tenir dans les délais. Ce n’était qu’une grippette et il ne fallait pas affoler le bon peuple (con comme un balai si on les entend bien). Ils ont tellement ri de Roselyne Bachelot en son temps, qui voulait vacciner massivement. Les cons râlent avant d’avoir mal, puis râlent après car cela aurait pu être mieux et un con reste un con. Peut-on espérer qu’ils vont la jouer plus finement ?

Cinquième problème : les écolos. Un vieil adage de trader s’applique parfaitement aux écolos : « quand la vague se retire, on voit ceux qui sont à poil ». Justement, nul ne les entend plus sur les ondes qu’ils occupaient pourtant largement – je me demande pourquoi. La Greta serait-elle contaminée au virus bio ? La « croissance » coloniale qu’ils appelaient de tous leurs vœux n’a-t-elle pas surgi… d’un vaste pays ex-colonisé ? Le krach boursier, puis économique qu’ils espéraient comme l’Apocalypse pour « changer le Système » n’est-il pas en cours ? Et puis quoi ? Quelles propositions concrètes ici et maintenant ? Les grandes idées, mais rien derrière : l’industrie polluante, y compris celle qui fabrique gel alcoolique, médicaments et vaccins, n’apparaît-elle pas insuffisante ? Le revers le la médaille « décroissance » saute aux yeux : effondrement de l’activité économique, donc de l’emploi, donc des revenus, donc des ressources publiques, donc de la recherche. La majeure partie des écolos en France sont fonctionnaires : qui va les payer sinon la dette, l’impôt et la planche à billet ? Ils n’en ont rien à faire des autres (je ne dis pas foutre, ça pollue). Ils restent tout à leur petit jeu d’ego qui se veut plus « conscient » et plus « moral » que les autres.

Au fond, chacun s’aperçoit que deux semaines de Corona, ça saoule.

Mais les remises en cause des évidences ont quelque chose de réjouissant. Outre la niaiserie « décroissance », la fuite à la campagne de 15% des Parisiens (riches) et les supermarchés brusquement à sec sur l’île de Ré, les gens qui n’ont jamais couru depuis l’enfance et qui courotent à deux à l’heure en sautillant pour faire croire qu’ils sont légitimes à sortir, les chiens que l’on voit passer en laisse de maîtres différents plusieurs fois par jour pour la même raison (mais oui, on se prête les chiens !), les chats ravis d’avoir leurs humains à la maison et plus longtemps sous la couette, les voleurs d’Amsterdam qui profitent du musée fermé pour piquer un Van Gogh invendable, le trafic de drogue qui s’effondre faute de mondialisation, l’information radio avec France-unique aux heures de  journal, la bêtise des gens qui passent leur chat au gel hydroalcoolique pour les désinfecter des caresses des autres (ce qui engendre un coma éthylique selon les vétérinaires qui le signalent…), les chiens passés à l’eau de Javel (vous vous foutez de l’eau de javel sur la tronche, vous ? alors pourquoi le chien ?) – tout cela change des récriminations habituelles : des gilets jaunes qui tournent en rond, des chauffeurs qui ne chauffent plus dans un service public de transport qui n’en est plus (sauf les impôts en contrepartie), et la réforme des retraites qui n’en finira jamais. D’ailleurs la grève « internationale » des travailleurs franco-français prévue au 31 mars a été coronavirée…. que font les syndicats ?

La retraite, nous y sommes pour 2.2 millions de chômeurs partiels, ajoutés aux 3.3 millions de chômeurs permanents sur les 29 millions de population active en âge de travailler, cela fait 19% sans activité. A ajouter aux 17 millions de retraités et aux gamins, sur 66 millions au total, il n’en reste plus guère pour bosser ces temps-ci. La majorité ne produit pas, consomme peu, ne se déplace plus : en bref est enfin écologique ! Est-elle plus heureuse comme ça ? Voire…

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1984 de Michael Radford

Sorti en 1984 d’après le célèbre roman d’anticipation Nineteen Eighty-Four (1984) de George Orwell (pseudonyme d’Eric Blair), ce film sonne comme un avertissement : il n’y a qu’un pas entre notre société aux apparences démocratiques et un régime totalitaire. La différence ? Tomber amoureux et penser par soi-même. Supprimez par décret ces deux attitudes du cœur et de l’esprit et vous ne garderez que les bas instincts, soumis au parti.

C’est ce qui arrive dans le pays imaginaire d’Oceania (métaphore transparente du monde anglo-saxon), en lutte avec Eurasia (d’obédience soviéto-nazie) et Estasia (clairement maoïste) – tous totalitaires comme en vrai. Le reste du monde est le quart-monde où conquérir des matières premières et des territoires. Le roman d’Orwell est paru en 1949, en réminiscence du Nous autres de Zamiatine, publié en 1920 (et interdit dès 1923 par Staline). Le roman d’Orwell surgit en 1949 à l’heure d’un Staline triomphant, d’un Mao vainqueur, et du premier recul de l’Amérique avec la bombe A désormais aux mains des soviétiques.

Il imagine un parti totalitaire stalino-hitlérien, arrivé au pouvoir trente ans auparavant en 1954, embrigadant tous les âges dans l’AngSoc, le (national) « socialisme anglais », dominé par Grand frère – Big Brother (Bob Flag dans le film). Les individus ne s’appellent plus entre eux monsieur ou citoyen, ni encore camarade, mais « frère ». Le secrétaire général des frères est le « Grand » frère, selon le tropisme constant de gauche à surnommer « grand » tout ce qui émane d’elle. La société est uniforme mais hiérarchisée : les apparatchiks en costume à la tête (membres du cercle restreint du Parti intérieur), les employés en bleu de travail au milieu (n’appartenant qu’au Parti extérieur) et le prolétariat relégué dans des ghettos et des taudis, tout en bas. Pour éradiquer le « vieil homme » qui jouit, aime et pense, la propagande est omniprésente, télévisuelle, répétant en boucle les slogans et les informations aménagées par le pouvoir (tout comme en Chine de Mao).

« Big Brother is watching you ! » n’est pas un vain mot. Le Grand frère vous regarde constamment car les écrans ont aussi des caméras qui permettent à la monitrice de gym du matin de vous apostropher personnellement pour rectifier la position, ou à la police politique d’observer avec qui vous baisez et ce que vous dites entre deux étreintes. Il y a bien une résistance, elle réussit même à faire sauter un pylône ou deux, mais le principal de la police est la pensée. Le « crime de pensée » se rapproche tellement de ce que nous connaissons comme le « politiquement correct » de la « gauche morale » du « catho de gauche » moralisant ou de l’islamiste sourcilleux que c’en est confondant. Même les gamins vous soupçonnent, enrôlés dans des mouvements disciplinaires style BrotherJugend ou Pionniers staliniens. Ils sont les pires, car façonnés depuis la crèche à penser formaté. Quant à désigner les choses, le dictionnaire approuvé se réduit d’année en année au profit d’une Novlangue de 800 mots, tout comme le russe s’est abâtardi avec la langue de bois du proletcult. Tout mot est euphémisé, simplifié et doit servir le parti. Il comprend peu de syllabes afin d’être prononcé vite et sans réflexion, une sorte de mot-réflexe à la Pavlov permettant de susciter immédiatement la réaction voulue. « L’ignorance, c’est la force ! ».

Winston Smith (John Hurt) est un employé banal, chargé d’un travail inutile à l’humanité mais vital pour le parti : rectifier pour le ministère de la Vérité (Miniver) les archives du Times selon la « vérité » en vogue au présent. Car le passé n’est pas histoire, il n’est qu’un souvenir dans la mémoire. Winston « éradique » ainsi un membre du parti en disgrâce et le remplace par un quidam, tout comme Staline faisait recouper les photos avec Trotski (pseudonyme pour Bronstein). Ce dernier, en Oceania, s’appelle d’ailleurs du nom juif de Goldstein, bouc émissaire commode stalino-hitlérien.

Seul le parti définit ce qui est « vrai » ou pas, selon la doublepensée novlangue, aujourd’hui la bonne maxime de Trump, reprise de Goebbels, qu’un mensonge affirmé avec force et répété en boucle finit par devenir une croyance de groupe, donc votre vérité personnelle. « La liberté, c’est le mensonge ! » clame la propagande – et la CGT reprend l’idée à chaque manif, quel qu’en soit le sujet. On le voit, 1984, ce n’était pas seulement hier mais c’est en partie aujourd’hui et ce pourrait être pleinement demain. Car « qui possède le passé possède le présent ; et qui possède le présent détermine le futur », dit encore Big Brother.

Winston, qui a osé aller en zone interdite se faire une pute du prolétariat (pour 2$), se sent observé par Julia, une fraîche jeune fille de la Ligue anti-sexe (Suzanna Hamilton, 24 ans au tournage) qui milite pour le parti afin de décourager les relations sexuelles et l’amour – tout comme les féministes hystériques américaines de nos jours, adeptes de la PMA et de l’enfantement sans mâle (donc sans mal). Car le sexe isole du collectif et l’affect amoureux rend indisponible au parti. Chacun n’a le droit d’aimer que le Grand leader, tout comme les chrétiens n’ont à aimer que Dieu. Où le spectateur pense par lui-même que ces partis collectivistes ont tout de la religion, fonctionnant comme elle, réclamant la même soumission inconditionnelle et totale, repoussant tout amour terrestre et toute vie bonne au profit du but unique qu’est le Pouvoir du parti. Quand l’orgasme aura été éradiqué scientifiquement, selon le projet du parti, les humains seront les parfaits robots fonctionnels du social. L’individualisme, le capitalisme, la pensée personnelle seront des vestiges animaux dépassés par l’Evolution créatrice du parti.

Sauf que Julia tombe amoureuse de Winston ; il n’est pourtant pas très beau ni jeune (44 ans au tournage)… Mais elle aime coucher et jouir, elle le dit crûment, comme les premières égéries « libérées » autour de Lénine jadis. Cet exercice physique serait sain s’il n’entraînait pas l’amour, donc le désir de faire nid, donc de préférer les « membres » du parti au parti lui-même. « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Matthieu 22:37) est le mantra de toute religion despotique, et la police de la pensée doit y mettre bon ordre. Ce qui fournit quelques scènes cocasses où Julia porte sa combinaison de travail sans jamais rien dessous, se promène nue dans la chambre louée, où les flics casqués, sanglés et bottés arrêtent le couple entièrement nu sans même un battement de cil.

Julia soupçonne Goldstein de ne pas plus exister que la guerre contre Eastasia car on ne maintient le peuple dans l’obéissance que lorsqu’il est au bord de la survie, lorsqu’une ration de 25 g de chocolat par semaine au lieu de 20 g suffit à rendre heureux et que « la géniale stratégie » du Grand frère a permis aux fils partis à l’armée obligatoire de « tuer 25 000 ennemis en un jour ». Winston, qui ose aussi penser tout seul dans un cahier où il tient un journal de ses opinions et fixe ses souvenirs, est poussé à basculer par son supérieur O’Brien (Richard Burton) qui lui confie un exemplaire pilote du nouveau dictionnaire de Novlangue, dixième édition. Entre les pages sont collées celles d’un Traité que l’on entrevoit brièvement comme Théorie et pratique du collectivisme oligarchique. Son auteur serait Goldstein (alias de Trotski) mais O’Brien, après l’arrestation de Winston et Julia, déclarera qu’il en est lui-même l’auteur. Selon Machiavel, tout prince doit susciter sa propre opposition pour se valoriser et contrôler le ressentiment. Mais la théorie politique qu’il contient est une science des révolutions : seule la classe moyenne peut remplacer la classe dirigeante, jamais « le peuple » qui est toujours manipulé. D’où l’emprise que les dominants maintiennent par des techniques de publicité et de manipulation psychologique dont la Minute de la Haine où la foule en délire lynche le bouc Goldstein virtuellement devant l’écran.

Winston est torturé (Julia aussi probablement), avec pour fonction d’annihiler totalement sa personnalité. Il renie Julia, révoque ses opinions, écrase ses souvenirs ; Julia lui avouera avoir fait de même car trahir l’autre, c’est se montrer repentant. Le corps, le cœur et l’esprit de chacun ne doit appartenir qu’au parti. La terreur comme anesthésiant de la raison a été pratiquée avec le succès qu’on connait par Staline, Hitler, Mao et Pol Pot, et se poursuit en Chine où les camps de « rééducation politique » subsistent toujours en grand nombre. Chez Poutine, c’est la prison en premier avertissement et l’assassinat par une mafia parallèle impunie en cas de récidive.

Winston, relâché après avoir « avoué » que quatre doigts sont cinq si le parti le dit, que la mémoire doit être vidée de tout souvenir s’ils contredisent le présent du parti, en bref que le chef a toujours raison. Il est dénoncé comme traître repenti et la litanie de ses crimes aussi imaginaires qu’absurdes (comme durant les procès de Moscou) s’étale sur les télécrans : « j’ai trahi le parti, j’ai suivi le traître Goldstein, j’ai saboté la production industrielle du pays (lui qui n’avait accès qu’aux archives du Times !), j’ai couché avec les deux sexes, j’ai… ». Le Confiteor chrétien ne dit-il pas : « j’ai gravement péché par orgueil contre la loi de mon Dieu, en pensée, délectation, omission, consentement, regard, parole et action » ? Au parti comme en religion, il s’agit de se purger de tout péché, d’éradiquer à la racine sa « nature humaine » pour redevenir blanc comme neige aux yeux de Dieu, pure créature-miroir de Lui-même, et être accueilli dans le paradis socialiste où l’on vous dit ce qu’est le vrai bonheur… qui est au fond la mort : Winston, une fois converti, sera exécuté.

Prix du meilleur film et du meilleur acteur 1985 pour John Hurt aux Evening Standard British Film Awards.

DVD 1984, Michael Radford, 1984, MGM United Artists 2005, 1h46, avec John Hurt, Richard Burton, Suzanna Hamilton, Bob Flag, standard €5.14 blu-ray €10.99

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Akira Yoshimura, La guerre des jours lointains

Voici un roman japonais décalé. Il évoque l’histoire douloureuse de la défaite face aux Américains en 1945, après les bombardements incendiaires, puis atomiques des villes du pays. Le lieutenant Takoya Kiyohara, des forces antiaériennes, exécute sur ordres des aviateurs américains abattus. Il les tue sans état d’âme, ces flambeurs de gosses et de femmes, qui lâchaient leurs bombes sur des civils en écoutant du jazz.

Mais voilà, la loi du vainqueur s’applique dès lors qu’il est le plus fort. Les Américains occupent le Japon et font la chasse à ceux qu’ils qualifient de « criminels de guerre ». Ceux qui, dans le camp victorieux, ont incendié les villes et tué des centaines de milliers de civils ne sont pas inquiétés. Ils agissaient sur ordre et pour la patrie. Quand il s’agit de Japonais, agissant sur ordre et pour la patrie, il en est tout autrement : ils doivent être pourchassés, arrêtés, jugés et condamnés, le plus souvent à mort.

Takuya l’accepte mal. Il fuit dans son propre pays. Il sollicite ses amis puis, voyant leur gêne, il se cache. La nature humaine est ainsi faite qu’elle est volontiers pute, elle se plie avec amour à la loi du vainqueur. Ces Américains arrogants qui ne supportent pas qu’on double l’une de leur jeep ou qu’on ne leur cède pas le passage, deviennent beaux et désirables pour les filles, forts et justes pour les hommes. Les premières se donnent à eux pour de la nourriture et des bas, les seconds leur obéissent car ils ont le pouvoir. Pas question d’aider les pourchassés, des soldats qui ont pourtant fait leur devoir pour le Japon. Pas question de réclamer une dignité pour les morts d’Hiroshima et de Nagasaki.

Qu’est-ce donc qu’un crime de guerre ? Ce que le vainqueur déclare qu’il est ? Yoshimura décrit de façon glacée et implacable l’itinéraire d’un soldat instruit, un officier, qui a fait ce qu’il a cru devoir faire, avant de se voir condamner par l’histoire et renier par son peuple. Cela peut arriver à n’importe qui, sûr de son bon droit, porté par la propagande de son pays, incité à obéir par ses chefs. Il n’est pas sûr que ce soit la justice. Plonger dans l’âme d’un soldat pris dans cette nasse est une prévention salubre.

Akira Yoshimura, La guerre des jours lointains, 1978, Actes sud Babel poche, 2007, 284 pages, 7.70€

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CGT et Mélenchon sur le modèle de Lénine

Lénine l’impatient croyait qu’un bon coup de pouce pouvait faire avancer l’Histoire. Il déclarait : « la force seule peut résoudre les grands problèmes historiques. » Pour lui, la violence est la vérité de la politique, le révélateur des rapports de force, l’épreuve où se séparent révolutionnaires et opportunistes. Il n’excluait pas la guerre comme moyen de faire avancer le socialisme, car elle est génératrice de changements. La CGT se situe dans sa ligne – tout comme Mélenchon.

Lénine a tout dit dans L’Etat et la révolution, avec le même cynisme de grand dictateur qu’Hitler – qui avait tout dit dans Mein Kampf. Ecrit de circonstance visant à combattre la social-démocratie de la IIe Internationale, le livre d’action de Lénine prend l’Etat comme outil de passage au communisme utopique. Il utilise Marx et Engels, avec un didactisme un peu lourd, pour définir les trois étapes de l’action révolutionnaire :

1/ La révolution violente est nécessaire pour supprimer l’Etat bourgeois et éradiquer « le faux problème de la démocratie », cette oppression de classe. Un autre pouvoir de répression, celui du prolétariat, dernière classe dans l’Histoire selon Marx, doit prendre le pouvoir. Pour ce faire, son avant-garde (le Parti de Lénine, aujourd’hui le syndicalisme CGT) doit faire un coup de force, aidé par sa connaissance des rouages sociaux et historiques donnée par le marxisme.

2/ Organisé en classe dominante, le prolétariat majoritaire construira la société socialiste en brisant les résistances des exploiteurs et en dirigeant la grande masse vers la « pensée juste » (par la contrainte, la propagande et l’éducation). La forme du pouvoir ne change pas (il s’agit toujours d’un Etat qui opprime) mais le contenu de son activité se fait (en théorie) au profit du grand nombre et (en réalité) par le seul Parti en son nom. Le modèle est la République jacobine de 1792 à 1798.

Selon Lénine, « Toute l’économie nationale est organisée comme la Poste ». Tous les moyens de production sont collectifs et « tous les citoyens se transforment en employés salariés de l’Etat. » Donc pas de problème de financement de la retraite.

L’administration suit l’exemple de la Commune parisienne de 1792 : l’armée permanente est dissoute au profit du peuple en armes, tous les fonctionnaires et les juges sont élus au suffrage universel et révocables par les électeurs, tous ont un salaire égal, fonctionnaires comme ouvriers. Exécutif, Législatif et Judiciaire sont confondus dans une seule « volonté du peuple » – évidemment exprimée par les seuls dirigeants, « représentants » de l’avant-garde dans l’Histoire. La bureaucratie est supprimée et les fonctionnaires réduits à des tâches de surveillance et de comptabilité sous le contrôle des ouvriers.

3/ Un jour non précisé, le communisme sera la dernière phase. L’Etat s’éteindra au profit des soviets (ou des communes) parce que les dernières racines des classes sociales auront été arrachées et qu’un « homme nouveau » sera né, façonné par la force. Il n’y aura plus nécessité de recourir à la violence pour concilier les intérêts car :

  • le développement (pas celui de la société, mais celui du Parti, ingénieur des âmes…) aura fait disparaître l’opposition entre travail manuel et intellectuel,
  • le travail ne sera plus un moyen de vivre mais le premier besoin vital, selon les capacités de chacun,
  • les forces productives seront tellement accrues que l’abondance sera possible (sauf que nul n’aura plus l’idée fatigante d’innover, d’entreprendre ou d’augmenter la productivité… mais usera et abusera du ‘droit à la paresse’ de certains employés de monopoles aujourd’hui minoritaires),
  • « les hommes s’habitueront à observer les conditions élémentaires de la vie en société, sans violence et sans soumission » (Engels). Quant aux excès individuels, le peuple armé s’en chargera, comme une foule quelconque empêche aujourd’hui qu’on rudoie un gosse (Engels disait « une femme », mais c’était avant l’obscurantisme de banlieue).

Lénine laisse soigneusement dans le flou « la question des délais » et notamment la disparition historique de l’Etat. Il le déclare expressément. Le socialisme suppose « la disparition de l’homme moyen d’aujourd’hui capable (…) de gaspiller à plaisir les richesses publiques et d’exiger l’impossible. » Donc pas de démagogie à la Mélenchon mais pas non plus d’opinion publique : le Parti seul sait parce qu’il est l’avant-garde éclairée, éduquée dans la pensée juste, celle de Marx & Engels. Le Parti seul décide de ce qui est vrai et bien – pour tous. Et les contestataires ferment leurs gueules sous peine de mort ou de camp.

Staline a fait de Lénine l’homme devenu mausolée. Sa pensée est devenue un bunker théorique qu’il est sacrilège de critiquer ou de prolonger. Au contraire, on peut s’y retrancher à tout moment. L’Etat et la révolution est l’Evangile du communisme. Le monument de Leningrad montre Vladimir Illitch devant la gare de Finlande, qui harangue la foule debout sur la tourelle d’un blindé coulée dans les douilles de bronze des obus de la guerre. Tout est dit, tout est figé, le bas-peuple n’a plus qu’à obéir, « on » agit pour son bien, pour l’Avenir. « On », ce n’est pas le peuple mais les seules élites autoproclamées, bien-entendu, une nouvelle « classe » de privilégiés autoproclamés.

Qui se rebelle est éradiqué. Au début par le fusil ou la famine, ensuite par les camps de rééducation et de travail (le Goulag), puis dans les derniers temps du « socialisme réalisé » – sous Brejnev – par l’accusation de maladie mentale. Pourquoi en effet l’être humain qui refuse l’avenir et le savoir scientifique de Marx, Engels, Lénine et Staline serait-il sain d’esprit ? Les psychiatres socialistes le déclarent « fou » en bonne logique (puisque non socialistes), et la société socialiste l’interne « pour son bien » et pour ne pas contaminer les autres par de « mauvaises » pensées. L’Eglise catholique a brûlé des hérétiques pour moins que ça et les fatwas des oulémas ne sont aujourd’hui pas en reste.

L’exemple vient de Lénine. Mis en minorité, l’intolérant nie la signification du vote et sort de L’Iskra peu après le Congrès de Bruxelles. Puisque les Bolcheviks y sont minoritaires, le journal ne représente plus la majorité « réelle » et Lénine transporte la vérité du parti à la semelle de ses bottes. Il dissout le peuple qui ne pense pas comme lui, tout comme il le fera de l’Assemblée constituante. Le 7 décembre 1917, cinq semaines seulement après le soulèvement d’octobre, c’est Lénine lui-même qui crée la Commission pan-russe extraordinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage (Vetchéka). Il prend pour modèle la Terreur jacobine, appelant Dzerjinski qui la dirige son « Fouquier-Tinville ». Dès 1918, le Comité Central décide qu’on ne peut critiquer la Tchéka en raison du caractère difficile de son travail. Son rôle dans les institutions se consolide : en 1922 elle devient la Guépéou, en 1924 elle est absorbée par le NKVD et dépend du Ministère des Affaires intérieures. En 1954, après la mort de Staline, on la rattache directement au Conseil des Ministres sous le nom de KGB. Dans un régime idéologique, chaque partisan doit être un parfait vecteur des lois scientifiques à l’œuvre. Lénine disait qu’un bon communiste devait être un bon tchékiste – autrement dit un flic pour traquer toute déviance de la ligne. Aujourd’hui les « réseaux sociaux » s’en chargent au plus bas de la vanité et de l’envie populacière.

L’avenir se devait d’avancer comme un engrenage. Lénine adorait l’armée et la Poste, son organisation et sa discipline qui font l’efficacité des masses. Le parti bolchevik a été calqué sur l’organisation militaire allemande avec l’enthousiasme révolutionnaire des nihilistes russes en plus. Lénine écrivait : « La notion scientifique de dictature s’applique à un pouvoir que rien ne limite, qu’aucune loi, aucune règle absolument ne bride et qui se fonde directement sur la violence. » Avis aux sympathisants de la CGT (version Staline à moustache) – ou de Mélenchon (version éruptive autocratique sud-américaine). La tyrannie naît dans les faits avec Lénine et est issue de sa certitude dogmatique d’avoir raison. Au-dessus du suffrage populaire, il place sa propre vision de l’intérêt général. Il faut relire Caligula de Camus…

La première utilisation des camps remonte au 4 juin 1918, lorsque Trotski, très proche intellectuellement de Lénine, donne l’ordre d’y emprisonner les Tchèques qui refusaient de rendre leurs armes. Lénine en personne a poursuivi, lors de l’insurrection paysanne de Penza le 9 août 1918. L’usage en a été codifié dans la résolution Sovnarkom du 5 septembre 1918. Tous les groupes de population « impurs » aux yeux des maîtres du Parti y finiront : les koulaks dès 1929, les adversaires de Staline dès 1937, les groupes nationaux soupçonnés de faible patriotisme soviétique et les prisonniers militaires libérés dès 1945, les intellectuels juifs dès 1949, les dissidents jusqu’à la chute du régime. Selon l’écrivain soviétique Vassili Grossman, « il suffirait de développer logiquement, audacieusement, le système des camps en supprimant tout ce qui freine, tous les défauts, pour qu’il n’y ait plus de différence. » Le socialisme réel est un vaste camp de travail… Un rêve de CGT qui ne veut voir qu’une seule tête, une utopie mélenchonienne qui ne veut entendre qu’une seule voix (la sienne).

Lénine connaissait peu l’économie et imaginait tout régenter sur le modèle de l’armée. Il a laissé s’élaborer une économie-machine parce qu’il ne voyait pas de différence radicale entre la gestion des chemins de fer et la gestion de l’économie tout entière. Le système a nécessité de « Nouvelles Politiques Economiques » successives pour combler les catastrophes régulières du collectivisme. Le Parti a toujours (et vainement) cherché la pierre philosophale : sous Staline les recettes biologiques de Lyssenko, la plantation de forêts à outrance, le projet d’irrigation des déserts. Sous Khrouchtchev les labours profonds, l’extension du maïs à tout le pays, l’utilisation massive d’engrais, l’exploitation des terres vierges et le détournement des fleuves pour irriguer le coton – qui ont asséché la mer d’Aral. Sous Brejnev, les achats annuels de céréales à l’Occident et le développement de l’espionnage technologique et scientifique. L’URSS est restée jusqu’à la fin un Etat qui applique en temps de paix les méthodes de l’économie de guerre – sans jamais décoller, sauf les fusées et le matériel de guerre.

Rien à voir avec le socialisme de l’avenir mais bien plus avec le despotisme asiatique des Etats archaïques comme le fut Sumer. Et il faudrait suivre le syndicat CGT ou le dictateur Mélenchon ?

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V pour Vendetta de James McTeigue

S’inspirant de l’historique Conspiration des poudres déjouée in extremis le 5 novembre 1605 à Londres, et plus immédiatement du « comic » V pour Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd publié de 1982 à 1990, cette histoire conte la résistance d’un homme seul contre une société devenue fasciste.

Nous sommes au Royaume-Uni quelque part vers un demain proche (et de plus en plus proche en cette année 2019, treize ans après la sortie du film). Les Etats-Unis sont en proie à une nouvelle guerre civile raciste et sociale. L’Europe est absente. Au Royaume-Uni, un parti conservateur se crispe à l’appel du Norsefire (le feu nordique) et un leader à la Oswald Mosley surgit, croyant, éructant, imposant la vertu et l’ordre. Pour arriver au pouvoir, il agit comme Poutine (et Hitler) : terroriser la population par des émeutes, des incendies et une bonne vieille épidémie répandue exprès dans une école, une station de métro et une station d’épuration des eaux qui tue près de 100 000 personnes, dont de nombreux enfants. La société a peur, les citoyens votent pour l’ordre comme en 1933.

C’est ainsi que le Premier ministre (John Hurt) devient Haut chancelier comme sous les nazis, Adam Sutler vocifère comme Adolf Hitler. Tous les immigrés, les « païens », les musulmans, les malades mentaux, les homosexuels et les lesbiennes, les anarchistes et tous les intellectuels critiques sont bannis, emprisonnés ou fusillés lors de l’Assainissement. Comme sous Bush après le 11-Septembre, les libertés fondamentales sont supplantées par la sécurité nationale et la « lutte contre le terrorisme » – dont la définition est élargie au gré du pouvoir. Une seule chaine de télé, la BTN dans une tour comme un donjon qui surplombe Londres, diffuse la propagande naze du conservatisme paranoïaque aux accents d’Apocalypse. Protero (Roger Allam), un ex-militaire, enrichi par les vaccins contre l’épidémie répandue et qui se fait appeler « la Voix de Londres » se vautre dans des imprécations à la Céline contre tous les déviants qui menacent le pouvoir blanc, chrétien et anglais. Une ligue de vertu dirigée par l’évêque anglican Lilliman censure les œuvres d’art et retire des musées tous les nus, même religieux, comme saint Sébastien torturé de flèches, jugé trop lascif, Bacchus et Ariane du Titien, la Dame de Shalott de Waterhouse ou une copie de la Vénus de Milo dont les seins nus sont provocants.

Une milice politique bien armée nommée le Doigt maintient la paix civile et contraint au couvre-feu. Ses agents en civil arborent l’insigne à croix de Lorraine rouge aux deux branches horizontales égales sur fond gris. Ils ont tous les droits passé l’heure fatidique. Y compris celui de violer à loisir la belle égarée avant de la relâcher au matin, déchirée et matée. C’est ainsi qu’ils découvrent Evey (Natalie Portman), assistante à la BTN, qui brave le couvre-feu en tête de linotte pour aller dîner avec son producteur Gordon (Stephen Fry). Quatre agents du Doigt le lui mettraient bien profond dans les orifices mais un mystérieux homme en cape noire au visage masqué de Guy Fawkes (Hugo Weaving), surgit de la nuit et, tel Zorro, sauve la fille sur le point d’être poinçonnée par des inspecteurs trop zélés. Il la convie à venir voir sur le toit le feu d’artifices qu’il a préparé, précédé par l’Ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski passée sur les haut-parleurs à la chinoise, installés pour la propagande dans toutes les rues. Les gens sortent, attirés par le bruit incongru, et l’Old Bailey, la plus vieille cour de justice criminelle de Londres, saute en beauté sous leurs yeux. Il faut détruire la vieille « justice » qui s’est dévoyée au service du pouvoir pour en instaurer une neuve. Dans un an, prophétise V, ce sera au tour du Parlement de sauter pour l’anniversaire de Guy Fawkes.

La fille est épatée, elle ne le croit pas, puis se laisse circonvenir. C’est que son frère a été l’une des victimes de l’épidémie inoculée à l’école et que ses parents, lui écrivain critique, elle devenue activiste, sont morts sous la répression. Elle accepte de faire entrer avec son badge celui qui se fait appeler « V » (pour vendetta) afin qu’il lance sur les ondes de la télé un appel à résister au régime hypocrite et corrompu. Au moment où V, après quelques péripéties, est mis en joue par un inspecteur, elle le sauve en détournant l’attention puis s’évanouit, frappée par le policier. V la ramène dans son antre, un souterrain au cœur de Londres.

Il se présente à elle comme l’émule d’Edmond Dantès, devenu comte de Monte-Cristo, revenu se venger des traîtres qui l’ont emprisonné et torturé à tort. Le régime, en effet, avait raflé tous les marginaux pour entreprendre sur eux des expériences de vaccins contre l’épidémie, comme on le faisait volontiers à Auschwitz quelques décennies auparavant, dans les camps japonais en Mandchourie et dans le goulag soviétique sous Staline. Résistant physiquement, résistant mentalement, le jeune homme avait fini par faire sauter et incendier le laboratoire-prison de Larkhill où il occupait la cellule 5 (V en chiffre romain) et s’en échapper, gravement brûlé. D’où le masque et les gants qu’il porte en permanence. Sa vie est foutue mais il veut délivrer celle des autres.

L’inspecteur Finch (Stephen Rea) enquête, soumis aux foudres du Haut chancelier lors de conseils restreints par vidéo-conférence. C’est un bon flic, épris d’ordre mais aussi de justice. Il va peu à peu découvrir que V n’est pas un vulgaire terroriste mais plutôt un résistant politique, et que l’épidémie qui a semé la terreur est peut-être le fait du parti conservateur pour instaurer le régime autoritaire qui permet tout pouvoir et enrichissement assuré à ses dirigeants.

Evey suit V jusqu’à ce que les meurtres systématiques de tous les affreux lui paraissent trop : Protero, Lilliman, la docteur Surridge nouveau Mengele de la prison-labo… Elle se réfugie chez Gordon – qui lui présente sa chambre secrète où trône un Coran et où sont affichées des reproductions de sadisme homosexuel (cette cohabitation en dit long sur les préjugés britanniques). La police perd sa piste mais arrête Gordon qui n’a pu s’empêcher de ridiculiser le Haut chancelier dans une émission de divertissement : tandis qu’Evey se réfugie sous le lit, comme lorsque sa mère a été arrêtée, elle voit Gordon à qui l’on enfile un sac noir sur la tête (comme à Guantanamo), signe qu’il va disparaître sans jamais revenir dans les geôles du régime. En fuyant par la fenêtre, Evey est arrêtée par un homme en noir.

Elle se retrouve en cellule et on lui demande chaque jour d’avouer le nom de V ou les indices qui permettraient de le trouver. Elle n’a rien à perdre, que la vie, et résiste, aidée par les lettres écrites sur papier cul d’une lesbienne emprisonnée avant elle qu’elle découvre dans un trou à rat. Si bien qu’un jour elle est libérée… C’était V qui voulait l’éprouver. Une fois que l’on accepte l’idée de mourir, c’est alors que l’on est vraiment libre.

V va utiliser le chef de la milice Creedy (Tim Pigott-Smith) pour amener le Haut chancelier à fuir par les souterrains – où il va le cueillir. Creedy croit pouvoir posséder le justicier solitaire et prendre la place de Haut chancelier tout en éliminant la résistance, mais tel est pris qui croyait prendre. V ne s’en sort pas mais a réussi son pari : le fasciste est mort, la population se répand dans les rues où la milice, sans ordres, ne tire pas, et Evey abaisse la manette qui fait partir le métro sous le Parlement pour le faire exploser.

C’est un bon thriller romantique de science-fiction (si l’on ose ce rapprochement inattendu), malgré l’air ahuri de Natalie Portman dans presque toutes les scènes. Le pouvoir des idées transforme l’acte terroriste en acte de résistance, bien que « les idées » puissent être mises au service de toutes les causes. La vengeance est-elle révolutionnaire ? Et s’avancer masqué est-il le meilleur moyen d’être démocrate ? Ce sont ces contradictions qui font la profondeur de cette histoire plus que les effets spéciaux qui réjouissent les ados. Chacun y verra midi à sa porte : les anars, les démocrates, le parti communiste chinois (qui l’a diffusé à la télé en 2012 !), les Anonymous (qui ont repris le masque).

Mais la montée de la peur par contamination (des immigrés, des croyants, des idées subversives, des peintures de nu, de la violence black bloc, des virus), la théorie du Complot qui se répand, la surveillance généralisée, la pudeur qui s’hystérise en censure, les lois de « sécurité nationale » de plus en plus rapprochées et sévères votées par une large majorité de consentants, les fausses vérités de la propagande télévisée officielle, la corruption hypocrite des puissants – tout cela est de plus en plus actuel et nous mène vers un néo-totalitarisme de moins en moins feutré. Le néofascisme est-il analogue au virus informatique qui déforme, paralyse et immobilise l’esprit ? L’intelligence humaine na-t-elle être dominée par l’intelligence artificielle manipulée par quelques-uns ?

DVD V pour Vendetta (V for Vendetta), James McTeigue, 2006, avec Hugo Weaving, Natalie Portman, Stephen Rea, Stephen Fry, John Hurt, Tim Pigott-Smith, Rupert Graves, Roger Allam, Warner Bros 2006, 2h08, standard €6.99 blu-ray €7.99

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Mauvaise foi syndicale

Un tract du syndicat Solidaires Finances publiques Paris du mois de mai justifie le mouvement des agents du jeudi 9 contre le projet de loi de transformation de la fonction publique. Un agent sur quatre était en grève, dit-on. Mais touche-t-on véritablement au service public ? Ou s’agit-il de le réadapter à la nouvelle donne qui exige moins d’impôts, donc moins de dépenses publiques ?

Le paragraphe deux de l’éditorial du « journal de section syndicale » La Griffe, multiplie les vocables négatifs : « détruire, casser, imposer, forcer, empêcher ». Comme si la situation actuelle était un monde idéal, une sorte de paradis public à perdre pour les agents comme pour les « assujettis » et qu’il ne faille surtout pas y toucher – au risque d’un futur péché originel.

Ce qui est expliqué ensuite est que ce projet permettrait au Premier ministre de déplacer des services, d’en décentraliser certains en province et d’encourager la sortie de la fonction publique pour les volontaires. Cela me semble sain pour adapter les effectifs et les structures, et les recentrer sur ce qui ressort de l’État en ôtant ce qui n’en ressort pas (par exemple l’informatique, le ménage, la cantine). La révolte des gilets jaunes, après celle des bonnets rouges et celle des pigeons, a montré depuis quelques années que les Français en ont assez du « trop d’impôts » par rapport aux pays voisins et du mauvais usage qui en est fait.

Qu’un syndicat défende sa corporation est certes naturel, mais il ne doit pas se croire un représentant de l’intérêt général. Il s’agit d’intérêts particuliers sur les emplois, les postes, les tâches et les salaires, et non pas de la destruction pure et simple des services publics. Cette mauvaise foi dessert le propos et explique pourquoi les Français sont en général peu syndiqués.

L’histoire explique en partie ce phénomène, l’extrémiste marxiste ayant supplanté le proudhonisme de base au début du XXe siècle, tout comme Lénine et son parti centralisé en Russie ont supplanté les soviets spontanés dans l’URSS naissante. Puisque Karl Marx avait défini les lois de l’Histoire, le parti d’avant-garde (communiste) se devait d’appliquer la vérité révélée, et tous les moyens étaient bons. Y compris les mensonges ou les fausses nouvelles à la Trump (qui n’a rien inventé), y compris la propagande outrancière et les injures, y compris la grimpée aux rideaux qui transforme toute modification en chaos et toute réforme en « casse ».

Il aurait été bien préférable que le syndicat Solidaires Finances publiques consacre un paragraphe entier à ses propres propositions de réforme, respectueuse selon lui du service public, mais adaptées au nouveau format réclamé par les citoyens.

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Svetislav Basara, Guide de Mongolie

Basara est serbe et écrivain de l’absurde. Quoi d’étonnant dans un ex-pays socialiste où le seul rêve autorisé, parce que matérialiste, est la vodka produite en abondance ? La littérature, c’est louche, surtout lorsqu’elle parle du sexe et des profondeurs désespérées de l’âme. Tout doit être rectifié pour aboutir à la réalité positiviste. Un ami suicidé l’envoie en Mongolie à sa place pour y écrire un guide. N’est-ce pas le prétexte à une rêverie sur l’extrême-orient des agences de voyage ? Fantasmer ce pays perdu et isolé, malheureusement contaminé par le socialisme soviétique au point de fusiller un météorologue pour n’avoir pas su planifier le temps, et de brûler une sorcière parce qu’elle évoque des choses qu’on esprit communiste ne peut pas voir.

Il y a du surréalisme dans ce roman onirique qui dérive aux franges du réel. De l’humour aussi, cette politesse du désespoir ainsi qu’on dit. D’un prêtre rencontré à la messe pour le suicidé (première absurdité), il dit : « Je crois qu’il aurait mieux valu qu’il eût été empalé, tant je déteste ce siècle des lumières. Cette époque anémiée où tout est exploré, dévoilé, éclairci. Or on sait bien que les choses qui comptent sont cachées dans les ténèbres » p.12. La dérive des Lumières a été le rationalisme, dont le socialisme est la traduction politique technocratique. Trop de socialisme incite au mysticisme, et pourtant : « C’est à la tradition bouddhiste que l’on doit la réussite spectaculaire de la doctrine communiste en Mongolie. Que de points communs : le déni des dieux, le sous-développement et l’indifférence pour les choses de ce monde, le mépris pour le laxisme démocratique » p.31. Délicieux, n’est-ce pas ?

L’auteur songe à cette fille qu’il voyait de sa fenêtre chaque soir, étant enfant. Elle se promenait dans sa chambre sans rideaux – toute nue. Par association d’idées, le voilà à chercher un bordel à Oulan-Bator, capitale mongole. Ils sont déguisés en poissonnerie et se tiennent dans l’arrière-salle. « Même en Europe occidentale un préjugé veut qu’il n’y ait pas de bordels dans les pays communistes. C’est absolument faux. Il y en a dans tous. Ou plutôt : il y en a et il n’y en a pas. Il y en a pour les étrangers, pas pour les indigènes. Non par souci de la santé et de la morale de la population autochtone – les communistes et la morale ! – mais parce que les gouvernants communistes ne permettent aucun plaisir à leurs sujets ; ils les obligent à se masturber, à se cogner la tête contre le mur, à violer, à voir leur moelle épinière se dessécher, à sombrer dans la délinquance juvénile, pour la seule raison que les types débilités et frustrés se laissent plus facilement manipuler » p.36.

Ah, le socialisme « avancé » du père Brejnev ! « Ce monde est horrible précisément parce que personne ne laisse personne en paix, que nous sommes tous, au plus profond de nous-mêmes, des tyrans et des réformateurs, pour parler sans détours : chacun de nous a la folle idée de refaire le monde – ni plus ni moins – conformément à ses opinions et à ses besoins. L’ampleur du mal que telle ou telle personne va pouvoir faire autour d’elle ne dépend que de ses aptitudes et des caprices du sort » p.49. On comprend mieux pourquoi les pays de l’est sont plus attirés par le libéralisme que par la social-démocratie : ils en ont soupé du caporalisme d’Etat. On comprend moins que les pays libéraux soient attirés par l’étatisme socialiste : ils sont lâches et flemmards et ont peur de la liberté, ils en appellent à papa l’Etat. Gilles et Jeanne associés le disent : je ne veux pas voter, je ne veux pas être représenté, je ne veux pas débattre – je veux seulement gueuler (et casser).

Rêve interdit, sexe frustré, embrigadement – ce ne sont pas les seuls maux du socialisme réel. Il y a encore l’activisme envieux de l’égalité. En témoigne Baïna-Bachta, bourgade serbe : « A l’époque de ma naissance, c’était un site nébuleux, un bourbier sur la rive droite de la Drina, l’endroit où le rêve d’une grande Serbie s’est pétrifié dans sa marche triomphale vers l’ouest. De ce bourbier émergeaient ici et là de petites maisons croulantes, bâties avec un tiers d’argile, un tiers de paille et un tiers de merde. Les demeures à deux étages d’avant-guerre étaient celles des ennemis du peuple, lesquels d’ordinaire n’étaient plus du nombre des vivants » p.93.

Alors le rêve autorisé revient sous la forme d’un Disneyland socialiste : le village Potemkine de la propagande. « Tout le monde connaît ces décors où sont peints des avions, des nymphes, de fastueux salons, tout ce qu’on voudra, avec des ouvertures où le modèle peut passer sa tête. De la même manière, dans les bureaux de propagande du Parti, les employés passent leur tête dans les ouvertures des décors voulus, puis les tirages sont distribués aux activistes, qui ont la prévenance de les mettre à disposition des historiens » p.96. Pourquoi, dès lors que l’on s’est libéré du socialisme, ne pas se réapproprier pour soi le rêve, se demande l’auteur ? Et de le privatiser en artiste, plongé dans un roman où le fil se perd, quelque part dans ce pays imaginaire qu’est devenu la Mongolie.

C’est assez étonnant pour être lu, très décalé par rapport aux pâmoisons narcissiques ou aux coulpes battues et rebattues de la plupart des écrivaillons français contemporains. Svetislav Basara rafraîchit notre regard sur le monde et secoue rudement les modes confortables d’Occident, telle une vodka citron : l’illustration judicieusement érigée en couverture !

Svetislav Basara, Guide de Mongolie, 1992 (traduit du serbe), 10/18 2008, 131 pages, €1.03 occasion

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Karl Marx par Raymond Aron 1 – le Manifeste

Qui veut comprendre les idées de Marx doit quitter le fatras des gloses et exégèses marxistes qui ont embrumé l’œuvre : Marx n’était pas marxiste. Pour cela, l’analyse rigoureuse et claire de Raymond Aron reste inégalée. En 76 pages denses d’un ouvrage plus vaste, Les étapes de la pensée sociologique’, le lecteur aura une idée précise de la pensée de Marx. Nous l’examinerons sur trois notes.

Chacun a tiré le philosophe à soi pour justifier ses ambitions politiciennes ou prendre le pouvoir. Raymond Aron écrit fort justement : « S’il n’y avait pas des millions de marxistes, personne ne douterait de ce qu’ont été les idées directrices de Marx ». Castro, Mao ou Staline sont-ils vraiment les héritiers de Marx ? Karl, intellectuel petit-bourgeois allemand, a-t-il prôné la dictature d’un seul et le culte de la personnalité au nom des Lois de l’Histoire que lui-même aurait découvertes ? C’est faire la part belle aux théories du Complot, tirer le juif Marx vers la Kabbale et l’interprétation ésotérique du monde, en faire le grand maître d’une future domination du monde. Or Marx n’était pas religieux, encore moins sioniste. Il était avant tout observateur de son époque, préoccupé d’analyser la réalité des rapports entre les hommes. Ces rapports sont humains, politiques, économiques. Marx était de son temps et ce n’était ni l’avenir ni le passé qui l’intéressaient, mais bel et bien le présent. Pour Raymond Aron, Karl Marx « est d’abord et avant tout le sociologue et l’économiste du régime capitaliste. » L’avenir reste à tout moment de l’histoire à créer, à imaginer, à inventer. Contre les croyants du diamat (matérialisme dialectique en russe léniniste) ou contre les illuminés des gauches radicales (qui sévissaient déjà de son temps), Marx « n’avait pas de représentation précise de ce que serait le régime socialiste ».

Althusser a cru « refonder » le marxisme en réévaluant les écrits de jeunesse. Il a surtout replacé Marx dans son contexte intellectuel : celui d’un philosophe d’abord proche de Hegel avant de s’en détacher par mutation, quittant le déterminisme de l’Histoire (comme avatar des religions du Livre) pour analyser les rapports de force sous-jacents à la réalité humaine du présent. Ce pourquoi Marx a été meilleur journaliste que philosophe et meilleur analyste économique qu’inspirateur politique. Attention aux contresens : « Les thèmes de la pensée de Marx sont simples et faussement clairs. (…) Chacun peut y trouver ce qu’il veut ». Pourquoi ? Parce que, « par rapport aux sociologies dites objectives d’aujourd’hui, c’était un prophète et un homme d’action en même temps qu’un savant ». D’où les dérives d’ordre « religieux » qui ont eu cours après la mort de Marx. Raymond Aron considère que les écrits de jeunesse aident à la compréhension de l’œuvre mais qu’ils n’en sont pas l’essence. Sa méthode d’analyse est la suivante : « Je me référerai essentiellement aux écrits que Marx a publiés et qu’il a toujours considéré comme l’expression principale de sa pensée ».

Le ‘Manifeste communiste’ est une brochure de propagande, pas une œuvre scientifique, mais elle est fondée sur les recherches de Marx. L’idée principale est que la lutte des classes est le moteur d’évolution des sociétés. La nature essentielle des sociétés modernes est dans le conflit entre ouvriers et entrepreneurs, ressort pour lui du mouvement historique. La bourgeoisie du XIXe siècle maintient son pouvoir en révolutionnant en permanence les instruments de production, réaffirmant à chaque fois sa force dans les rapports sociaux qui en sont la conséquence :

  1. Il y a contradiction entre forces et rapports de production. Les moyens de production sont plus puissants mais les rapports de propriété et de répartition des revenus ne changent pas au même rythme.
  2. Il y a contradiction entre production des richesses et misère du plus grand nombre. D’où les crises révolutionnaires périodiques qui devraient aboutir un jour à la dernière classe sociale, majoritaire, qui réalisera l’égalité parfaite de toute l’humanité.
  3. Quand les antagonismes de classe auront disparu, le pouvoir perdra son aspect politique, qui est l’organisation d’une classe pour dominer. Le pouvoir deviendra alors associatif, « communiste ».

On mesure combien ce Manifeste théorique a peu à voir avec les régimes socialistes qui se sont instaurés par la suite en son nom… Les moyens de production ont augmenté en URSS mais ont vite touché aux limites de la bureaucratie, ce qui n’a pas entraîné un meilleur niveau de vie après la toute première industrialisation. La misère générale égalitaire n’a pas été « préférée » aux inégalités des pays capitalistes puisque, dès que le Mur est tombé, des millions de gens de l’Est se sont précipités à l’Ouest. Les antagonismes de classe étaient loin d’avoir disparus dans les régimes socialistes : on avait simplement remplacé la bourgeoisie par la caste du Parti. Elle dominait plus strictement et vivait bien mieux que la bourgeoisie des pays capitalistes. Le pouvoir n’était absolument pas devenu associatif, ni même participatif, au contraire : c’était la plus évidente dictature. Cuba, la Corée nord et encore la Chine restent des fossiles de cette théorie communiste devenue réalité socialiste.

La théorie générale de la société réside, pour Marx, dans le matérialisme historique :

  1. Le degré de développement des forces productives détermine les rapports sociaux, indépendamment de la volonté des hommes.
  2. L’ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, sur laquelle s’élèvent les divers édifices : juridique, politique et idéologique. L’idéologie justifie la domination comme l’existence détermine la conscience.
  3. Quand les rapports de propriété, les lois ou les idées, entrent en contradiction avec le développement des forces productives, ces rapports deviennent des entraves et enclenchent des révolutions. Pensons aujourd’hui au développement de l’Internet, en contradiction avec la rente des éditeurs de musique, de films et de livres, qui aboutit à la réaction de la loi Hadopi… et à la réaction des gilets jaunes, très petite bourgeoisie qui se voit déclassée et reléguée aux provinces.
  4. La nécessité historique est portée par une seule classe à chaque époque, mais ce n’est pas la conscience qui force la réalité. C’est la réalité des forces de production et des rapports sociaux induits qui détermine la conscience d’une époque. « Jamais une société n’expire avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir. » Mais encore faut-il en prendre conscience et que la classe amenée à révolutionner la société se constitue en pouvoir – ce qui est bien loin d’être le cas du sac à patates des gilets jeunes.
  5. Marx énumère les étapes de l’histoire humaine d’après les régimes économiques : soumission d’Etat asiatique, esclavage de classe antique, servage féodal, salariat bourgeois. Seul « le socialisme » mettrait fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. Il s’agit, pour Marx, d’exploitation économique. Si elle disparaît, elle doit permettre l’émancipation politique. Or les régimes socialistes réels ont conservé l’exploitation politique via les Etats, qui demeurent des contraintes collectives non négociées par de libres associations.

Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, 1967, Tel Gallimard, 659 pages, 18.00 e-book Kindle €12.99 

Raymond Aron, Le marxisme de Marx (son cours des années 1970), de Fallois 2002, 600 pages, €29.00

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Hitler

L’idée m’est venue de regarder à nouveau cet autre monstre sacré de l’histoire du siècle précédent qu’est Adolf Hitler. Je l’avais survolé durant mes études mais, au contraire de Lénine dont les œuvres, bien que sectaires, ont une certaine séduction intellectuelle, Hitler ne m’a jamais attiré. Son œuvre n’est qu’un tissu de hantises plates ou hystériques, sa personnalité bien falote. Reste sa politique, dont les conséquences furent énormes en son siècle – et qui fait toujours question. On ne peut l’ignorer, donc il faut tenter de le comprendre l’homme.

La biographie de Marlis Steiner, paru en 1991, ainsi que les souvenirs d’Albert Speer, parus en 1966, peuvent y aider. Le premier est d’une historienne française ; il opère une belle synthèse, claire et abondamment référencée. Le second est un participant au Reich, un ministre proche de Hitler, dont l’intelligence aiguë offre un regard de l’intérieur, une observation acérée de technocrate imperméable à la propagande et tenu seulement par une fidélité personnelle. Il apparaît comme le meilleur ouvrage sur le nazisme et le régime hitlérien. Tout y est : l’exposé de la doctrine, la pratique de la dictature, la flagornerie et les rivalités de clans, le fanatisme borné de Hitler et son magnétisme personnel, ses innombrables erreurs, la faillite d’un système archaïque et ossifié dans son principe, fondé sur une propagande c’est-à-dire une illusion permanente, qui vendait une énergie dont le relai devait impérativement être pris par la réalité sous peine de retomber – enfin une idéologie brumeuse, mythologique et névrosée.

Qui était Adolf ?

Son grand-père est inconnu, peut-être était-il même juif bien que les recherches de Himmler n’aient rien donné. On soupçonne l’inceste : l’oncle de Hitler serait en fait son vrai grand-père… Son père est coureur de jupon et arriviste, il se rêve. Rien de bien glorieux pour le führer du Reich. Après la mort de ses trois premiers enfants, avec un mari souvent absent, l’amour de sa mère pour Adolf est excessif. L’enfant est dévoué et anxieux, il préfère l’imagination à la réalité, perçoit les choses sélectivement, n’apprend que ce qui l’intéresse. Opposé à toute discipline, il rejette son père et son arrivisme. Timide et renfermé, il n’aime personne et nul ne l’aide à s’insérer dans la société. Alors il joue à faire des bulles de savon, à se bâtir des châteaux imaginaires, et il s’en prend à l’ensemble du monde lorsque tout s’écroule. Il échoue deux fois à l’Académie des beaux-arts de Vienne. La musique de Wagner produit chez lui une excitation hystérique. Le vieux musicien manieur de mythes et producteur d’art « total » répond au désir du jeune Adolf d’échapper au carcan rationaliste et à la discipline positiviste de l’époque, pour lequel il n’est pas fait, afin de se réfugier dans un monde onirique et héroïque où tout est possible en imagination. Hitler se voit en Rienzi, le tribun romain de l’un des opéras.

Mais le jeune homme n’est pas à part : « En se remémorant le climat de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on est frappé de voir à quel point Adolf Hitler est un produit de la culture ambiante, qu’il a absorbée comme une éponge » Steiner p.35. Quête d’identité, la germanité héroïque suscite le rejet du cosmopolitisme capitaliste, du socialisme internationaliste, des juifs « apatrides », des ploutocrates qui n’ont pour dieu que l’argent. En quête de reconnaissance pour sa puissance nouvelle, l’Allemagne est comme Hitler : elle a peur du déclassement, elle veut rester dans la cour des grands. Le jeune Adolf, seul et pauvre à Vienne, découvre le monde ouvrier et la crainte de la déchéance qui guette artisans et petits commerçants, ainsi que les fonctionnaires subalternes. Pudibond, Hitler répugne à se dévêtir et ressent du dégoût devant les prostituées. C’est une vraie névrose ; il verra dans le Juif un bouc émissaire lubrique de son impuissance sexuelle.

La société allemande reste à la fois industrielle et féodale, écartelée entre deux mondes. La bourgeoisie est incapable de prendre en main la politique. On assiste à une résurgence de l’irrationnel, du culte de l’instinct et du sentiment. Le rationalisme est considéré à la fois comme Français, abstrait et trop sec, l’esprit scientifique trop réducteur, l’individualisme trop égoïste. C’est la lutte finale du romantisme contre les Lumières. On cultive la « profondeur de l’âme » allemande, en opposition au superficiel rationaliste des Français. L’individu ne se conçoit que comme lié à la nature et à la réalité supérieure du peuple en tant qu’entité historique et biologique qui réalise un destin. Les sciences sociales encouragent cet esprit : en biologie Darwin et Gobineau, en psychosociologie Gustave Le Bon et Vacher de Lapouge, en historiographie Taine et Renan (mais aussi Hegel), en philosophie Schopenhauer, Nietzsche, et Bergson. Les Germains se veulent anti-Romains. Ils constituent une société médiévale, hiérarchique, religieuse et organique, en opposition avec la société industrielle considérée comme niveleuse, scientiste et nihiliste. L’impérialisme économique des milieux d’affaires allemands rencontre l’impérialisme colonial des victimes de la modernisation.

Et c’est la guerre, celle de 1914. Hitler, soldat, y fut très bon ; il reçut plusieurs distinctions dont les croix de fer de deuxième puis de première classe. Il apprécie surtout la camaraderie égalitaire forcée, l’esprit des tranchées, la règle – loin du relâchement moral de l’arrière. Il se saisira de la psychose allemande de la défaite pour échapper à sa propre psychose personnelle. L’Allemagne, ce sera lui ; il la fera basculer du monde paysan au monde technique. « Chien errant » après la défaite, il est embauché par un capitaine au vu de son excellente conduite pour assurer la propagande contre les spartakistes. C’est le succès : Hitler révèle ses dons d’orateur, mêlant du fanatisme à une attitude populaire. Il se montre brutal, cynique, vulgaire : il plaît à l’époque. Il devient expert en techniques du discours, prévoyant par avance les objections pour y préparer des réponses détaillées. Il fait appel à l’émotion et, sensitif, suit les mouvements de son auditoire ; il lui donne le sentiment de le comprendre. Albert Speer, jeune architecte peu convaincu par le nazisme, en sera séduit presque immédiatement. L’éclatement de la personnalité de Hitler correspond à l’éclatement de l’Allemagne, ce qui lui permet de jouer plusieurs rôles où chacun peut se reconnaitre. Hitler réalise ainsi l’identité mythique du peuple qui fusionne en lui.

Ses idées ?

Avant tout acquérir et consolider son pouvoir, puis celui de l’Allemagne. La politique étrangère sera une fin mais aussi un moyen pour cela. Hitler a une vision social-darwiniste d’une lutte éternelle entre les hommes et entre les peuples, où la race a la prééminence d’un destin à l’antique, où les personnalités jouent un rôle providentiel. Selon Speer, son évolution intellectuelle s’est figée lors de ses années de jeunesse, entre 1880 et 1910. Il n’a pas de consistance intérieure, il est un pur acteur qui n’aime ni le sport, ni les spécialistes, ni l’humour. En fait, il ne supporte ni l’effort, ni la critique (qui est un effort d’argumenter). Il préfère l’intuition, la volonté, la providence. Le fanatisme lui tient lieu de doctrine. « Il ne savait rien de ses adversaires et se refusait aussi à utiliser les informations qu’on mettait à sa disposition ; il faisait bien plus confiance, même si elles étaient souvent contradictoires dans le détail, aux intuitions spontanées, déterminées par un mépris extrême de l’adversaire » Speer, p.236.

Il admire Lénine pour sa technique de prise du pouvoir et la lui emprunte : il crée un petit groupe organisé, prêt à tout et tenu d’une main de fer ; il manipule et embrigade les masses par les cortèges, la propagande, les organisations. Son « socialisme » est une attitude éthique entre gens de même race : un esprit communautaire suscité et encadré par l’État. C’est le contraire du socialisme marxiste qui est « juif », c’est-à-dire réduisant les relations des hommes au matérialisme, à l’économie, à l’opportunisme égoïste sans notion de patrie ni de race. La politique prévaut : c’est le destin de la race assurée par la providence ; la production suivra. On aboutira à une sorte d’économie mixte faite de planification au sommet et de libre initiative à la base ; notons que c’est un peu la voie que choisira la Chine après Mao.

La théorie de l’espace vital viendra plus tard, mais appartient au même corps de doctrine. Hitler est « fou de la technique » mais regrette ses effets de prolétarisation des masses et de destruction écologique. Il rejette cependant le mysticisme, l’occultisme, les religions et même la mythologie SS de Himmler, selon Speer et Steiner. Il déclare par exemple : « Quelle absurdité ! Alors que nous en sommes presque à une époque libérée de toute mystique, le voilà qui recommence ! (Il parle de Himmler). Tant qu’à faire, nous n’avions qu’à en rester à l’église. Elle, au moins, avait des traditions. Penser qu’un jour on puisse faire de moi un saint SS ! Vous vous imaginez ! » Speer p.136. Rosenberg ? Son Mythe du XXe siècle est « un truc que personne ne peut comprendre », écrit « par un Balte obtus à la pensée terriblement compliquée », « une rechute dans des conceptions moyenâgeuses ! » Speer p.139. Hitler considérait sa conception du monde comme fondée sur la science moderne, mais sans avoir les moyens intellectuels de percevoir les présupposés des sciences sociales. Il maniait les mythes sans construction intellectuelle.

La fin du siècle XIXe a découvert, effaré, les bacilles et les microbes avec les travaux de Koch, de Pasteur, de Virchow. L’homme de la rue qu’était Hitler en a retiré le sentiment d’une lutte insidieuse de tous les instants pour survivre, à tout niveau. Il existe, depuis les corps particuliers aux peuples entiers, toujours des risques de contagion, de maladie, de perte de substance vitale. La question raciale est pour Hitler la clé de tout et il assimile les Juifs à la syphilis, aux vampires suceurs de sang ou aux prostituées suceuses de sperme. Pour lui, pureté de race égale pureté d’âme. L’identité idéale ne peut se construire qu’en projetant tout son mal sur une image opposée, une « anti-race » en bouc émissaire. Les qualités héroïques que l’on peut promouvoir se sélectionnent par la lutte. Il s’agit de purifier la race de ses éléments allogènes. L’État n’est qu’un moyen pour la conservation et pour la réalisation de ce destin. Mais « la politique, pour Hitler, était une question d’opportunité. Même sa profession de foi, Mein Kampf, n’échappait pas à ce critère. Il prétendait, en effet, que bien des parties de son livre n’étaient plus valables » Speer p.175. Par-là, il rejoint Lénine en pragmatisme et machiavélisme.

Son système politique ?

Il est devenu un corporatisme qui isole et déresponsabilise, un idéal de société de caste avec une élite grossière vouée à l’épate, à l’étalage de sa force et de sa fortune, avec de rares intellectuels le plus souvent technocrates comme Albert Speer. Pour Hitler, l’intelligence ne compte pas, seule compte la volonté. Et les êtres frustres en manifestent plus que les êtres de raison qui sont prudents et mieux avisés. La politique biologique n’était qu’un leurre selon Speer. Il récuse la Napola et les « châteaux de l’ordre » SS : « Il est cependant vraisemblable que cette sélection n’aurait abouti qu’à former une classe de bureaucrates tout juste apte à occuper des positions dans l’administration du parti. Coupés de la vie par la claustration de leur jeunesse, ils auraient cependant été imbattables pour leur arrogance et leur suffisance, comme le montraient déjà certains indices. Fait caractéristique, les hauts fonctionnaires n’envoyaient pas leurs enfants dans ces écoles » Speer p.175. Le sentiment d’une providence, d’un destin aveugle de la race, ajouté au sentiment de faire partie d’un ensemble qui dépasse l’individu, n’incitent ni à la réflexion, ni à la critique. Tout cela déresponsabilise et tend à réduire les problèmes moraux ou politiques à leur seule dimension technique ou administrative. Cette neutralisation est totalitaire et conduit aux camps d’extermination sans aucun état d’âme.

Ce système, dit Speer, était Inférieur au système démocratique parce qu’il ne connaissait aucun contrepoids : il n’y avait plus personne pour faire la critique interne des abus et des erreurs et permettre au système de s’auto-corriger.

Un entourage flagorneur, le surmenage de qui veut tout décider par lui-même, la réclusion de qui se sent malade et vieillissant, la sclérose et la rigidité intellectuelle sans contrepartie, entraînent Hitler à multiplier les erreurs :

  • il a cru possible un accord avec l’Angleterre ;
  • il a pensé que la France et la Grande-Bretagne n’interviendraient pas pour la Pologne ;
  • il a voulu attaquer Leningrad et Stalingrad à la fois au lieu de faire porter tous ses efforts sur Moscou, puis de négocier ;
  • il a laissé le biologisme conduire son action plutôt que la politique, la préparation économique et les manœuvres diplomatiques – la politique raciste lui aliénait les pays occupés à l’est, alors qu’il aurait pu les retourner contre l’URSS ;
  • émerveillé par les gadgets techniques, il a refusé longtemps d’équiper l’infanterie de pistolets mitrailleurs (ils n’existaient pas du temps de « sa » guerre de 14), de développer le missile sol-air plutôt que les V1, de produire l’avion à réaction en chasseur plutôt qu’en bombardier, de produire des chars légers et rapides plutôt que lourds ;
  • il a qualifié la physique nucléaire de « physique juive » et interdit toute poursuite des recherches ;
  • il prenait toujours les hypothèses les plus favorables dans ses plans de campagne, négligeant toutes les mises en garde, préférant les improvisations aux préparations méticuleuses, la volonté et le courage devant suppléer au matériel manquant ; c’est ainsi que son entêtement à ne jamais reculer a rendu impossible de préparer le moindre glacis défensif en URSS et a conduit à lâcher trop vite le terrain…

Produit des frustrations de l’histoire allemande, Hitler a échoué, son idéologie haineuse et son système dinosaurien avec lui. Et la conclusion d’Ernst Jünger sur les nazis dans La cabane dans la vigne est sans appel : « Étrangers aux langues anciennes, au mythe grec, au droit romain, à la Bible et à l’éthique chrétienne, aux moralistes français, à la métaphysique allemande, à la poésie du monde entier. Nains, quant à la vie véritable, Goliath de la technique – et, pour cette raison, gigantesques dans la critique, dans la destruction, la mission qui leur est impartie, sans qu’ils en sachent rien. D’une clarté, une précision peu commune dans tous les rapports mécaniques ; déjetés, dégénérés, déconcertés sitôt qu’il s’agit de beauté et d’amour. Titans borgnes, esprits des ténèbres, négateurs et ennemis de toutes les forces créatrices – eux qui pourraient additionner leurs efforts pendant des millions d’années sans qu’il en reste une œuvre dont le poids égale celui d’un brin d’herbe, d’un grain de froment, d’une aile de moustique. Ignorants du poème, du vin, du rêve, des jeux, et désespérément englués dans les hérésies de cuistres arrogants. Mais ils ont leur tâche à remplir » Kirchhorst, 22 septembre 1945.

Cette conclusion est la mienne.

Marlis Steinert, Hitler, 1991, Fayard 1991, 713 pages, €37.00 e-book Kindle €27.99

Albert Speer, Au cœur du IIIe Reich, 1966, Fayard Pluriel 2011, 848 pages, €16.20 e-book Kindle €10.99

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Randa Kassis, La Syrie et le retour de la Russie

La Syrie est d’actualité avec la réduction du dernier bastion islamiste d’Idlib, et la Russie est aux premières loges avec la défection trumpeuse des Etats-Unis qui se retirent de la régence du monde. Randa Kassis est née syrienne et demeure une femme politique « laïque et démocratique » jadis membre du Conseil national syrien ; elle milite depuis 2015 pour « la plateforme d’Astana » qui consiste à mettre tout le monde autour de la table sous l’égide des Russes, des Turcs et des Iraniens alliés, afin de trouver une solution politique à la guerre civile et au chaos syrien sur le modèle du règlement de la guerre civile au Tadjikistan entre 1992 et 1997.

Son essai est publié aux éditions des Syrtes, qui vise depuis Genève à éditer des textes russes méconnus en littérature et des études à contre-courant de la mode médiatique sur la Russie. C’est dire si le livre de Randa Kassis mélange allègrement propagande et recherche en histoire. Touffu, il mêle des invectives à des analyses, parfois d’une logorrhée qui rappelle les textes-fleuves gauchistes des années post-68 par la multiplication des qualificatifs, comme par exemple page 17 : « des faucons russophobes américains et de leur fidèle soutien français François Hollande » – qu’est-il besoin de multiplier ce genre d’étiquettes ? Mais chacun des chapitres se termine toujours par ce leitmotiv à la Cicéron à propos de Carthage : il faut que la Russie impose une solution politique.

Car la Russie serait la puissance stabilisatrice vers laquelle il serait nécessaire de se tourner. Dans l’urgence pour la Syrie, compte-tenu de l’égoïsme américain et de la lâcheté occidentale, c’est une vérité bonne à dire. D’autant que Daesh encourage les musulmans intolérants du Caucase russe et du Tatarstan aux frontières, ce qui menace la Russie du terrorisme à la tchétchène.

Sur le long terme, c’est accepter sans débat le néo-colonialisme d’influence de la Russie sur le Moyen-Orient comme du temps soviétique. Poutine « raisonnable » et « respectueux des autres » ? Demandez aux Baltes, aux Géorgiens ou aux Ukrainiens… L’auteur reprend sans recul les antiennes de la diplomatie russe affaiblie depuis la chute de l’URSS : le monde « doit » être multipolaire, les puissances « doivent » contrecarrer autant que faire se peut l’hyperpuissance américaine inégalée qui la pousse à l’orgueil solitaire, les nations « doivent » préserver leurs cultures tout en respectant celle des autres, l’usage de la force « doit » être réservé au dernier recours et avec l’aval de l’ONU (où la Russie possède un droit de veto). Avec ce rappel un peu court sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : « Dans le sillage de la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie… » p.229 – il n’y avait bien-sûr ni Anglais, ni Américain pour débarquer en Normandie, ni prêt-bail des Etats-Unis pour livrer des camions et du matériel à l’URSS de Staline… Et cet amalgame inepte pour une historienne : « Etant donné qu’elle n’a pas un passé colonial dans la région du Moyen-Orient arabe, la Russie bénéficie de plus de confiance de la part des peuples arabes, dont beaucoup ont été déçus des expériences américaines… » p.267 – les Américains auraient-ils eu « une expérience coloniale » dans les pays arabes ? En bref, une « chercheuse » plus pro-russe que l’auteur est rare ces temps-ci, proche d’Alexandre dell Valle (Marc d’Anna) dont la thèse complotiste affirme que le gouvernement américain utilise l’islamisme dans le but de détruire l’Europe, et avec qui elle a co-écrit un livre (Comprendre le chaos syrien).

Il reste que, dans ce fatras enflammé, des analyses subsistent miraculeusement, comme si le « livre » était une compilation d’articles disparates hâtivement rassemblés en un semblant de plan qui n’évite ni les répétitions, ni les contradictions. Comme cette curieuse phrase page 20 : « l’administration américaine (…) soutient de moins en moins le PYD kurde, d’où une relation de plus en plus tendue avec la Turquie » (ah bon ?… si vous avez compris, laissez un commentaire).

Les Etats-Unis se retirent piteusement après avoir échoué en Afghanistan, en Irak, en Libye, et avoir laissé détruire le Syrie et le Yémen. Daesh est la conséquence de la guerre d’Irak qui a détruit l’Etat et n’a rien construit à la place, tout en poussant l’indigent Obama à retirer les troupes sans solution politique, conduisant à la débandade de l’armée et au chaos des milices. Comme si tout ce qui intéressait les « stratèges » en chambre de Washington était de contrer l’Iran pour protéger Israël, au prix d’un pacte avec le diable saoudien.

Car c’est bien l’Arabie Saoudite, aidée des émirats richissimes en pétrodollars, qui a financé les mosquées salafistes partout dans le monde (y compris aux Etats-Unis même) et exporté sa version archaïque et fondamentaliste de la lecture du Coran et des hadiths. Ce sont bien des Saoudiens qui sont majoritaires dans la liste des terroristes du 11-Septembre et le prince Bandar a largement financé dans les années 2000 les islamistes sunnites pour contrer les chiites. « Le résultat, après des décennies de propagande totalitaire théocratique wahhabite, est que le monde musulman, en pleine métamorphose néo-totalitaire, est en train de s’uniformiser de façon inquiétante autour de la vision obscurantiste wahhabite-salafiste » p.129. Arabie au demeurant fragile, car 4000 prétendants sur 20 000 princes peuvent revendiquer le trône et la lutte interne des familles polygames aux nombreux fils ne cesse jamais. Quant à la minorité chiite du pays, elle est massée justement sur les champs pétrolifères juteux de la côte est face à l’Iran.

Conséquence historique : « La résurgence du panislamisme conquérant, sur le terrain mythifié des premières conquêtes islamiques des VIIe et VIIIe siècle, est une lame de fond, un tsunami civilisationnel dont le terrorisme de Daesh n’est que la face émergée et la plus convulsive. Ce projet totalitaire d’une extrême brutalité que le politiquement correct occidental considère comme n’ayant « rien à voir avec l’islam » ne doit pas dissimuler la réalité profonde et l’étendue de la radicalisation du monde musulman (…) dans un processus qui remonte à la Première Guerre mondiale » p.73

L’Iran, seule puissance musulmane non-arabe du Moyen-Orient, conteste la lecture sunnite wahhabite saoudienne et veut s’imposer comme puissance régionale, utilisant pour ce faire du « croissant chiite » Téhéran-Bagdad-Damas-Hezbollah-Hamas qui coupe le Moyen-Orient en deux et assure l’équilibre confessionnel de la région.

L’Égypte, autre puissance, a été échaudée par l’expérience au pouvoir des Frères musulmans (branche salafiste moins ouvertement barbare que Daesh mais tout aussi intégriste) et s’est retirée de la diplomatie. La Turquie islamo-nationaliste, sous l’ego enflé du président Erdogan, a pour premier objectif d’éviter que les populations kurdes ne créent un Kurdistan à ses frontières, mais aussi pour ambition de recréer une influence perdue après la Première guerre mondiale sur les sunnites du Moyen-Orient.

Au total, il y a à prendre et à laisser dans ce livre d’actualité brûlante. Une fois passé le style agaçant qui multiplie les qualificatifs comme s’ils étaient explicatifs (l’équivalent des « voilà » à la télé de ceux qui ne savent pas s’exprimer), le lecteur pourra s’instruire en géopolitique régionale, mesurer une fois de plus le « moi-je » américain qui se croit une vocation messianique d’imposer la démocratie et le libre-marché aux autres (mais plus chez lui), l’indigence des Européens passivement arrimés à l’OTAN, et les ambitions qui s’aiguisent entre Turquie, Iran, Arabie Saoudite et Russie pour exister dans la zone. Il pourra aussi mesurer l’ampleur de l’intégrisme en islam, la vision partiale salafiste l’emportant par l’argent sur les autres visions plus savantes de la religion.

Randa Kassis, La Syrie et le retour de la Russie, 2018, éditions des Syrtes, 307 pages avec glossaire de 19 pages et bibliographie de 8 pages, €20.0

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Maxime Chattam, La théorie Gaïa

Les écolos sont (étaient ?) à la mode, la grande terreur millénariste du climat s’installe : quoi de meilleur pour faire un bon thriller ? Maxime Chattam a le chic pour plonger à pieds joints dans les peurs d’époque : avant-hier les tueurs psychopathes, hier le Mal biblique venu du fond des âges, aujourd’hui le retour des tempêtes… C’est écrit simple, au galop, avec des caractères bruts aisément reconnaissables. En bref, c’est d’époque et bien fabriqué. Mais vous n’apprendrez rien sur le climat, vous resucerez les fantasmes qui font bien dans les brunchs branchés, par exemple sur Adam Smith, et vous frémirez de toutes les émotions du temps (promotion des femmes, hantise pédophile, machos prédateurs, apprentis sorciers, théorie du Complot, services secrets, bureaucratie européenne…)

Nous sommes quelque part dans les années futures. « Depuis que les dégradations climatiques s’étaient transformées en catastrophes régulières, l’Europe avait gagné en pouvoir. Chaque pays avait décidé de ne plus travailler seul dans son coin… » (p.15). Sauf que, justement, l’un des pays a décidé de faire cavalier seul. Le pays, ou plutôt ses « militaires », c’est-à-dire un service très secret à l’intérieur du service secret. Avec cette imagination débordante qui consiste pour Chattam à transposer les fantasmes américains dans le prosaïque fonctionnariat français, voici le Complot réhabilité. Il use de même des techniques américaines d’évasion de financement, cette fois au détriment de la Commission européenne. Comme des îles désertes investies par de gros capitaux pour s’y livrer à des expériences « non-éthiques ». Ajoutez un couple de scientifiques bien sous tous rapports, dotés de trois enfants, de prénoms affronts pour les garçons (Zach ou Ben) et ragnagna pour les filles (Emma, Melissa, Lea). Secouez un peu en séparant tout ce beau monde, pimentez d’un peu de technoscience vite lue glanée sur Internet – et voilà ! Le cocktail frémissant de bulles et fort en alcool est prêt à servir.

Vous ne vous ennuierez pas. Mais vous serez pris pour un niais et c’est cela qui est désagréable. Que l’auteur présente comme une évidence la dégradation du climat en tant que réaction de la planète comme organisme est déjà hasardeux ; c’est prêter une « âme » à des matières mues par des lois physiques. Que l’auteur aille plus loin en présentant comme une théorie acceptable celle de l’être humain qui a bien réussi possédant en son sein les germes de sa destruction, tout comme les dinosaures hier et les espèces des quatre autres extinctions massives avant-hier, est plus vaseux. Mais qu’il fasse de l’agressivité poussée à son extrême la variable-clé de l’adaptation des meilleurs, voilà qui sent tranquillement son nazi. L’auteur ne s’en rend probablement pas compte mais il accuse carrément Adam Smith, le père du libéralisme, d’être à l’origine de l’égoïsme du profit, de la concurrence sans frein et de la culture du résultat. « Nous grandissons dans un système socio-économique qui nous façonne dès l’enfance, et ce depuis deux siècles » (p.310).

Tous les poncifs sont réunis : libéralisme = fascisme, c’est ce que disait la propagande de Lénine. Adam Smith serait préfasciste alors qu’il est l’auteur non pas de Mon combat mais de La théorie des sentiments moraux. C’est peut-être l’excès de liberté plutôt que de discipline, mais ce n’est pas le libéralisme qui crée par caractères acquis des tueurs en série, spécimens qui développent l’égoïsme de la jouissance immédiate au détriment des autres, avec la meilleure efficacité dans la réalisation du fantasme et une joie cruelle de faire souffrir longuement ? Car le libéralisme est adepte de la modération par des contrepouvoirs – dont l’éducation et la justice.

Chattam vous fera donc le récit de deux enfants de 6 ou 7 ans – évidemment « nus » – longuement trimballés et terrorisés par les psychopathes évadés de l’île du docteur Grohm (un avatar – comme par hasard allemand – du Docteur Moreau).

Quoi de réaliste dans tout ce fatras d’idées reçues et de bonnes intentions ? Pas grand-chose. Oui, le climat change, comme tout change sur cette planète depuis qu’elle existe. Sommes-nous sur la fin du réchauffement cyclique initié il y a 15 000 ans et qui ne serait peut-être pas étranger à la disparition de Neandertal ? Possible. L’industrie, accentue-t-elle le réchauffement ? Probable. Connaissons-nous une dérive génétique à cause de la concurrence et de l’individualisme ? N’importe quoi ! Staline était-il « capitaliste » pour être responsable de 22 millions de morts ? Et Mao ? Et Pol Pot ? Et les racistes du Rwanda ? Et les islamistes ?

A l’inverse, c’est probablement dans les pays capitalistes qu’il y a le moins de morts lorsque le libéralisme fonctionne au quotidien. L’argument des deux guerres mondiales, timidement objecté par l’auteur, décidément léger, ne tient pas : ces deux guerres sont le fait du nationalisme, pas du libéralisme. Les régimes militaires autoritaires ne font pas bon marché des règles de la liberté ou de négociation sur le marché. La lutte pour la vie, le lebensraum, l’éradication des minorités ethniques, la promotion de la race « pure », ne sont pas des fantasmes issus d’Adam Smith – pas même de Charles Darwin. L’écolo-gauchisme à la mode ne fait pas une pensée. Il récupère tous les poncifs marxistes contre l’industrie en les mêlant d’accusations propalestiniennes. La théorie Gaïa apparaît dans ce livre pour ce qu’elle est : une foutaise. Faire peur pour mieux imposer son idéologie. Agiter le millénarisme pour que chacun se « repente ».

A force de se vouloir « vendeur », Maxime Chattam récupère des théories bien scientifiques, piquées ici ou là et résumées en deux lignes « pour les nuls ». Il finit par fabriquer des thrillers formatés par la nouvelle marchandisation de l’édition. Que reste-t-il de la littérature, même policière ?

Et que reste-t-il du discours moralisateur quand celui qui le profère profite aussi bien du système marchand ? Le plus démago des thrillers de Maxime – à vous décourager de lire la suite. Je me suis d’ailleurs arrêté longtemps avant d’y revenir.

Maxime Chattam, La théorie Gaïa, 2008, Pocket thriller 2010, 500 pages, €8.30 e-book Kindle €9.99

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Information trompeuse

« Dans d’autres pays, nous constatons la présence d’un nombre considérable d’organes de presse concurrents. Chaque journal tire de son côté et cette déconcertante diversité de tendances engendre dans l’esprit de l’homme de la rue une confusion complète ; dans notre pays véritablement démocratique, une presse homogène est responsable devant la nation de la justesse de l’éducation politique qu’elle fournit. Les articles de nos journaux ne résultent pas de telle ou telle fantaisie individuelle mais constituent un message adulte et soigneusement préparé adressé au lecteur qui, de son côté, le reçoit avec le même sérieux et la même profondeur de réflexion »

Ces phrases sont-elles de Trump ? Elles ne le peuvent, étant trop bien écrites. Sont-elles de Mélenchon ? Elles le pourraient. Elles résument parfaitement la position du président de la France insoumise comme celle du président des Etats-Unis national-identitaire : qui n’est pas avec moi est contre moi et « les médias » sont mes ennemis (sauf ceux que je possède… dans tous les sens du terme). Les fake news sont des news si je décide qu’elles le sont car je ne crois pas à « la » vérité – sauf celle de Dieu, du Parti ou du Peuple.

Ces phrases sont de Vladimir Nabokov dans Brisure à senestre, chapitre XII, p.744 Pléiade. Elles ont été écrites entre 1942 et 1946 et reproduisent le discours totalitaire soviéto-nazi de l’époque.

« Nos journaux sont complètement et absolument indépendants par rapport à toute influence qui ne correspond pas aux intérêts du Peuple auquel ils appartiennent et qu’ils servent à l’exclusion de tout autre maître ».

Seul « le Peuple » a raison et ce qu’il pense est donc « la vérité » en soi – que moi, dictateur ou chef de parti, est évidemment bien le seul à « révéler » en son nom. L’indépendance n’est qu’un mot ; elle n’existe que si elle suit la ligne, sinon elle est qualifiée de propagande. En témoigne Mélenchon et son média qui ne cesse de publier des nouvelles orientées, grossies, déformées – dans le sens de l’illusion idéologique. Moins on sait, moins on doute ! Tout comme Trump et tous les dictateurs qui trompettent.

Il existe des faits et des interprétations, des événements réels et diverses façons de les voir, ainsi que divers jugements qui sont des opinions. Le média objectif n’existe pas, la seule façon honnête d’approcher la vérité du réel est de multiplier les points de vue et d’aller voir ceux qui ne pensent pas comme vous.

Quant au Peuple, il n’a pour opinion commune qu’un ramassis moyen de préjugés et de connaissances ancrées et répétées entre soi dans les groupes divers qui composent le pays ; le Peuple n’est pas la vérité en marche et n’est dépositaire d’aucune sagesse des nations. Le fantasme du Peuple homogène qui aurait des idées homogènes dont rendrait compte une presse homogène a un nom : cela s’appelle le totalitarisme. Rêvé par les catholiques révocateurs de l’Edit de Nantes, par les fascistes adeptes de feue la gloire romaine, par les communistes œuvrant pour la « dictature » du prolétariat, par les nazis croyant imposer la supériorité de la « race » aryenne, par les islamistes pour qui seul l’islam est la solution à tout et au reste, par le « politiquement correct » du puritanisme petit-bourgeois qui a abouti, en réaction, au trumpisme national-identitaire.

La pensée unique est un danger car elle se paye de l’illusion et du mensonge. Or qui décolle du réel risque de retomber lamentablement et cruellement lorsque le réel s’impose à lui.

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